La Vie amoureuse de Francois Barbazanges/2

Calmann-Lévy, éditeur (p. 12-14).


II


Madame La Poumélye la mère, et M. Jean Baluze, frère du célèbre écrivain, tinrent François Barbazanges le jour de son baptême, qui fut le 30 de juillet. Après la cérémonie, les dames de Tulle vinrent complimenter l’accouchée. Malgré la chaleur extrême, les fenêtres de la grande chambre étaient closes et un feu de fagots faisait rougeoyer les boiseries grises et les quatre « pentes » ou panneaux en tapisserie d’Aubusson. Sur un cabinet de laque, on avait placé, bien en vue, les présents du parrain et de la marraine : une chaîne d’hyacinthes et cornalines et un fort beau tour de gorge en point de Tulle, avec les manches pareilles, qui venait de chez la bonne faiseuse, mademoiselle Contrastin.

Le matin même, l’évêque Mascaron — le plus aimable prélat de France, qui estimait madame Catherine et lui prêtait force romans — avait envoyé une boîte de dragées et de nonpareilles. Les visiteuses goûtaient à ces douceurs, et, parlant toutes ensemble, étalaient leurs jupes de moire et de ferrandine, leurs corps busqués, leurs belles coiffes, leurs petits éventails d’ivoire dorés et ciselés à jour. L’une citait quelque remède convenable aux femmes en couches ; l’autre donnait son avis sur la nourriture des enfants ; celle-ci déplorait l’humeur jalouse de son mari ; celle-là, l’opiniâtreté de sa servante. Et toutes s’accordaient à envier l’heureuse condition des hommes, qui n’ont de la paternité que les plaisirs. Cependant le petit François criait en son berceau, que la vieille Marceline — nourrice de madame Barbazanges — faisait branler doucement. Les dames, aussitôt penchées vers lui, louaient sa bonne constitution, sa beauté miraculeuse, s’étonnant qu’il ne fût ni ridé, ni gonflé, comme on voit les enfants de deux jours, plus semblables, certes, à des crapauds écarlates qu’à des êtres humains. Elles admiraient le duvet blond frisant sous le bonnet de guipure, les yeux bleu foncé, les joues pétries de roses. Telles des fées dans l’alcôve d’une reine, elles composaient à leur façon l’horoscope du joli François, et, lui promettant une vie toute amoureuse, elles plaignaient déjà les pauvres filles que ces yeux bleus feraient pleurer.

Le berceau craquait ; le soleil oblique riait aux carreaux ; la matrone, accroupie devant la rougeur du foyer, dépliait des linges, et, sous ses rideaux de ras vert, madame Catherine, attendrie, orgueilleuse et lasse, sentait le premier lait lui monter au sein.