La Vie à l’étouffée (Verhaeren)
LA VIE À L’ÉTOUFFÉE
Dans les enclos boueux et les pacages gras,
Autour des vieux fumiers que la fourche échafaude,
Les litières jaunes et chaudes
Se renversent par tas ;
Sitôt que s’entr’ouvre une porte,
S’échappe, des fournils malsains,
La molle et fade odeur des brassins
Que vers l’auge on transporte ;
On écoute grogner les porcs moites et lourds,
Et leurs pattes glisser sur les dalles visqueuses ;
Goutte à goutte, l’eau choit d’une gouttière creuse
Le tison se consume et boude et sa fumée
Monte, nouant ou dénouant ses nœuds
Nombreux
Jusqu’au plafond de hêtre ;
Dans la chambre voisine on marche sur ses bas,
Tandis qu’au jour brouillé de la fenêtre,
Parmi l’ample vapeur et ses fades bouffées,
La servante savonne et lave à tour de bras
Et plonge dans la cuve, où leurs plis s’enchevêtrent,
Avec un bruit gluant et mat, les draps.