La Victoire bulgare

La Victoire bulgare
Revue des Deux Mondes6e période, tome 14 (p. 147-171).
LA VICTOIRE BULGARE

Les informations de source officielle manquent encore sur les récens événemens de la campagne de Thrace, et nous en sommes toujours au silence hermétique que les deux états-majors rivaux gardaient au début des opérations. Les Turcs s’efforçaient de cacher une situation de tous points mauvaise, dans l’espoir illusoire qu’elle pourrait rester inconnue de leurs adversaires. Les Bulgares craignaient de voir des indiscrétions de presse compromettre le succès de dispositions élaborées de longue date et réglées dans tous leurs détails.

La bataille de Tchataldja (17-19 novembre) est la seule où ils aient admis des témoins, sans doute parce qu’elle était aussi la dernière, et qu’après cette finale tactique, le rideau de l’armistice allait retomber sur la scène militaire. Mais les deux autres ? L’étrange débâcle de Kirk-Kilissé (23-24 octobre), la grande étreinte de Lule-Bourgas (28 octobre-2 novembre), fameuse demain dans l’histoire à l’égal des journées de Leipzig, de Gravelotte et de Moukden, qu’ont-elles fait voir au juste quant au rôle du commandement, aux déploiemens, aux feux, aux marches, au rôle réciproque de l’infanterie et de l’artillerie, à la valeur relative des armemens, à la solidité et à la justesse de l’instruction militaire, au partage des forces matérielles et des forces morales, aux mille facteurs, aux mille variables, dont la victoire n’est pas seulement la somme, mais le produit complexe et la vivante fonction ?

Ces questions posées resteraient sans réponse si, dans leur mystère même, on n’apercevait un sens, et si le flou des détails ne simplifiait pas l’aspect de ces batailles, massées dans leur ensemble et mises à leur place dans la perspective de l’action. Réduites à n’être, pour ainsi dire, que des taches de fumée dans un paysage, elles s’enchaînent étroitement les unes aux autres et se rangent à leur plan exact dans le cadre que l’état-major de Sofia avait tracé. Car elles étaient prévues pour lui, ces victoires. S’il ne pouvait en dire au juste la date et le lieu, il savait qu’elles étaient certaines et qu’en marquant dans l’histoire l’avènement de la nation, elles seraient pour elle le prix d’un patriotique effort et le triomphe d’une longue préparation.

La justesse de cet aperçu se confirme, quand on remonte dans le passé jusqu’aux origines militaires de la Bulgarie et qu’on se rend compte de la continuité, de la ténacité avec lesquelles le développement de ses forces a été conduit. On suit, sur une seule trame, les phases d’un long rassemblement, d’un acheminement patient, d’un engagement soudain ; on voit des causes profondes, anciennes, intervenir pour établir entre les masses qui s’abordent une différence d’espèce, pour réduire la crise du champ de bataille à n’être plus qu’affaire de circonstance et de modalité, et, partout où tombent les dés de la guerre, à faire du succès le salaire dû en effet à la persévérance et au courage du vainqueur.


Une des qualités les plus précieuses de l’armée bulgare est sans doute de n’avoir que quarante ans d’âge et d’ignorer les maux dont souffrent parfois les vieilles armées dans les vieux pays. Ses institutions symétriques ont vu le jour dans l’espace d’une ou deux générations ; sur un sol tout neuf, elles ont rapidement grandi. Pas de tradition chez elle, mais du réalisme et de l’objectivité. Un corps d’officiers demeurés jeunes, dont aucun n’a eu le temps d’arriver à la retraite et qui tous, grâce au constant élargissement du cadre, sont aisément montés dans la hiérarchie là où leur valeur spécifique devait les porter. Enfin, c’est encore un bienfait pour elle, de n’avoir subi qu’au début l’influence étrangère et, le secours du dehors lui manquant bientôt, de s’être vue contrainte à tirer tout de son propre fonds.

Des officiers russes commandaient les droujinas bulgares formées pendant la guerre de 1877-1878. Elles se développèrent jusqu’à trente bataillons à la cessation des hostilités, puis se partagèrent en deux pour former d’une part la milice rouméliote et, de l’autre, l’armée bulgare proprement dite. Celle-ci, encadrée par 250 officiers spécialement détachés de la métropole, fut habillée, équipée, armée et commandée à la russe. Nul doute que ce premier apprentissage ne lui ait été profitable : il lui donna un vocabulaire, des formes de manœuvre, des règlemens, un service intérieur qu’elle n’avait pas, et lui prêta, pour s’instruire, ces ressources d’organisation et d’outillage qui n’existent que dans les pays parvenus à un degré de développement avancé. L’importance de ce dernier service apparaît par ce simple fait qu’au cours des opérations actuelles devant Tchataldja, les Bulgares utilisent les mêmes cartes de une verste au pouce dont les Russes s’étaient servis pendant la guerre de 1877-1878.

Cependant l’accord parfait qui avait existé d’abord entre les élèves et les maîtres se gâta bientôt. La rusticité et l’inexpérience des bratouchkis (petits frères) bulgares les fit traiter plus d’une fois avec hauteur par leurs instructeurs ; ce peuple fier en resta profondément blessé dans ses goûts démocratiques et dans l’orgueil récent de sa liberté. Le prince Alexandre de Battenberg cherchait, dans le même temps, à s’affranchir de la tutelle politique russe et secouait le contrôle des ministres envoyés de Pétersbourg pour présider son conseil ou pour administrer son armée. On sait qu’après une série de coups d’état, qui étaient aussi des coups de tête, il parvint, en 1884, à s’émanciper, et qu’alors un mouvement pan-bulgare se dessina dans le pays sous le ministère radical Karavelof.

L’année suivante vit la crise de croissance au cours de laquelle l’armée sentit pour la première fois sa force et d’où elle sortit adulte. A la révolution de Philippopoli (18 septembre 1885), à la proclamation de la réunion de la Roumélie à la Bulgarie, la guerre serbo-bulgare succéda presque aussitôt ; pas assez vite cependant pour que la Russie n’eût pas le temps de rappeler à elle ses instructeurs. L’armée bulgare perdait ainsi, d’un seul coup, à la veille même des hostilités, tous ses officiers supérieurs et la plupart de ses capitaines.

Victorieuse quand même à Slivnitza (17-19 novembre), l’intervention d’une grande puissance l’arrêtait le 2 décembre par un armistice. Le choc serbo-bulgare n’avait été de la sorte qu’un acte fratricide, dû, de part et d’autre, à l’éveil fougueux du sentiment national et bientôt interrompu du dehors en raison de l’hégémonie inquiétante que l’armée victorieuse venait tout à coup de prendre sur les Balkans.

La paix de Bucarest (3 mars 1886) et la reconnaissance du prince Alexandre comme gouverneur général de la Roumélie orientale, le mois suivant, mettaient fin à la précaution illusoire prise par l’Europe de maintenir cette province autonome sous l’autorité nominale de la Turquie et de lui donner pour gouverneur un pacha d’opérette, le débonnaire Aléko : ainsi l’action retardatrice que la diplomatie avait prétendu exercer en 1878 n’aboutissait qu’à donner aux affaires balkaniques une vive accélération-Le patriotisme bulgare en était exalté. Le prince Alexandre, sortant, vis-à-vis de la Russie, de son attitude d’indépendance, passait à des actes d’hostilité. Usant à la fois du crédit nouveau que lui prêtaient les événemens et des relations qu’il avait nouées avec les cours d’Europe, il entra dans des combinaisons telles, que la Russie put se croire menacée d’une coalition. L’éventualité d’une nouvelle guerre de Crimée, dans laquelle l’Autriche aurait remplacé la France, fut envisagée à Pétersbourg, et l’on sait que c’est de cet examen critique, demeuré sans solution, que datèrent les prémices de la future alliance franco-russe.

Cependant l’armée bulgare avait si bien grandi en force qu’elle pouvait résoudre toute seule le problème devant lequel la Russie restait prise de court. Le 21 août 1886, le 2e régiment de Pernic marchait sur Sofia, gardée alors par un seul bataillon qui se laissait facilement désarmer ; la nuit suivante, le major Grouief pénétrait dans les appartemens du prince, s’emparait de sa personne, le traînait à peine vêtu au ministère de la Guerre ; là, entouré de conjurés en armes, Alexandre de Battenberg signait son abdication sur un coin de table, à deux heures du matin.

Une année d’interrègne sépara cette révolution de l’élection du prince Ferdinand de Saxe-Cobourg, faite à Tirnovo le 4 juillet 1887. Elle vit émigrer, vers la Russie, Grouief, Benderef, tous les acteurs du 21 août, tous leurs partisans, et s’installer au pouvoir, pour une dictature de dix années, l’homme qui incarnait en lui toute la force, toute l’ambition et tout l’orgueil de la Bulgarie. C’est soutenue par cette ferme poigne, c’est jalousement gardée par Stamboulof de toute influence moscovite, mais stimulée aussi par l’essor donné à toutes les formes de l’activité nationale que l’armée prit, peu à peu, un nouvel équilibre, et qu’après tant de commotions, tant de mélanges et tant de pertes, la réaction militaire bulgare put enfin se faire en vase clos.

Le petit nombre d’officiers qui avaient précédemment reçu à Pétersbourg la culture militaire supérieure, quelques autres, qui s’étaient révélés au cours de la dernière campagne, formaient une élite juste suffisante pour constituer l’administration centrale et pour assurer le commandement des hautes unités. Ces jeunes majors, faisant fonctions de colonel, de général, et de ministre, se mirent à l’œuvre avec une foi juvénile et une patriotique ardeur. L’école militaire de Sofia, où l’on avait jusqu’alors professé en russe, fut réorganisée à la bulgare ; elle combla par de fortes promotions d’officiers subalternes les lacunes créées dans le cadre par l’exode des instructeurs et le départ des « émigrans. » Quant à la formation académique, Pétersbourg restait fermé ; sur ce point, les ordres impératifs d’Alexandre III servaient bien le séparatisme outrancier de Stamboulof. Les rapports franco-russes étaient devenus si cordiaux qu’il ne pouvait être question d’ouvrir à des officiers bulgares les portes de notre Ecole supérieure de guerre. Berlin avait ses raisons pour rester réfractaire. Turin se montrait hospitalier. C’est donc par la seule influence italienne prise à petites doses, diluée dans la masse, et la colorant à peine, que la doctrine militaire européenne se répandait alors en Bulgarie. En revanche, on y lisait beaucoup, on y traduisait à force, non pour s’approprier tout indistinctement, mais pour démêler le bon du nuisible et prendre le bien bulgare partout où on le trouvait.

C’est occupée à ces travaux que cette armée autodidacte vit la chute de Stamboulof en 1894, sa mort en 1895, et, cette même année, les bases d’un rapprochement russo-bulgare marquées par la conversion du prince Boris à l’orthodoxie. En février 1896, le prince Ferdinand était reconnu par le Sultan, puis par les puissances ; en mai, il assistait au couronnement de Nicolas II, à Moscou.

Le zèle avec lequel il profita de ce voyage pour étudier la Russie, rassemblée tout entière alors autour du souverain, ses égards pour les généraux, héros de la dernière guerre, et particulièrement pour Dragomirof, dont il était l’hôte assidu, montrèrent jusqu’à quel point la Bulgarie était lasse de ses dix ans d’isolement.

Le nationalisme exclusif de Stamboulof n’avait été qu’une réponse à l’indifférence altière dans laquelle le « Tsar pacifique » s’enfermait. Mais peut-être était-ce un « Tsar libérateur » qui venait de monter sur le trône et ferait-il pour les Macédoniens non rédimés ce qu’Alexandre II avait fait pour les bratouchkis ? C’était cet espoir patriotique qui venait de modifier instantanément l’opinion bulgare. Il reposait sur ce fait nouveau, que la Russie maîtrisait maintenant la Mer-Noire, grâce à l’escadre spéciale construite à grands frais de 1880 à 1890 ; elle disposait ainsi d’une voie commode pour jeter sur la côte bulgare ou sur la côte turque, vers Bourgas ou vers Derkos, un corps de débarquement, et pour s’affranchir des difficultés qu’aurait soulevées la marche de ce corps si, comme l’armée russe en 1877, il avait dû traverser le territoire roumain. Cet appoint stratégique pourrait n’être numériquement que peu de chose, par exemple l’un seulement des corps d’armée russes installés dans la circonscription d’Odessa, car son importance se mesurerait au poids de la Russie tout entière et à la gravité qu’aura toujours la moindre intervention de sa part dans les affaires d’Orient. On devrait en prévoir la répercussion sur l’Europe centrale et se tenir prêt à en répondre sur le Prout et sur le Séret, sur la Vistule et sur le Boug. Plus encore : cet effort extensif de la Russie pourrait entraîner celui de son alliée. Il était donc naturel que, tout en gardant pour d’autres frontières le gros de ses contingens métropolitains, elle réduisît au minimum sa contribution balkanique éventuelle et qu’elle voulût rester libre de choisir l’heure, le lieu et le mode de sa coopération.

Sous ces réserves expresses, le secours espéré d’outre-mer fut en effet promis aux Bulgares. L’académie d’état-major Nicolas leur rouvrit ses portes : elle ne les a plus refermées depuis. Les « émigrans » de 1887 revinrent à leur armée d’origine ; ce qu’ils rapportaient avec eux de fidèle et d’ému refleurit dans la commémoration commune des souvenirs militaires de 1877. En 1902, — vingt-cinquième anniversaire, — on inaugura, au pied du défilé de Chipka, une église et un séminaire russes. Sur les pentes du Balkan, dans la plaine de Cheïnovo, un jubilé de grandes manœuvres évoqua devant le grand-duc Nicolas, devant les généraux Stolétof, Dragomirof, Kouropatkine, les combats auxquels ils avaient pris part ; des parades solennelles firent défiler devant eux une armée prête à faire vers Constantinople la deuxième étape, celle d’au delà du Rhodope, comme eux-mêmes avaient fait la première, celle d’au delà du Balkan. Etonnée de les voir si froids, elle demandait à ses maîtres, étonnés de la voir si belle : « Etes-vous prêts ? Nous suivez-vous ? » Et comme ils étaient obligés de répondre que toute la politique, toute la force, tout l’argent russes étaient présentement dirigés vers l’Extrême-Orient, les germes d’un nouveau désaccord apparaissaient jusque dans ces fêtes et ces effusions.

L’hiver suivant, des salves de coups de fusil répondirent dans le Rhodope au carillon des cloches de Chipka ; on signala partout un redoublement d’activité de la part des bandes macédoniennes. Le comte Lamsdorf vint exprès de Pétersbourg à Sofia pour calmer cette effervescence, et la conséquence de son voyage fut, en janvier 1903, la chute du ministère Danef, trop docile, selon l’opinion bulgare, à ses conseils de modération. Ainsi se traduisait la sensibilité hyperesthésique avec laquelle le moindre contact russe, sur la plaie macédonienne saignante, faisait tressaillir tous les Balkans.

Ce sursaut patriotique fit revivre à Sofia l’esprit même de Stamboulof, en ce qu’il avait eu de plus actif et de plus militant. On eut alors un ministre Ratchko Pétrof. Ce gouvernement énergique, réduit à ne compter que sur lui-même, tomba bravement en garde et se tint prêt à tout événement. Heureusement, l’âme bulgare, excitée par les nouvelles du Rhodope et prise d’enthousiasme insurrectionnel, était prête à des sacrifices. On pouvait, — et le peuple approuverait, — élever de trois années le temps total passé dans l’armée active et dans la réserve, que la loi de 1897 avait fixé à dix-sept ans seulement. Vingt classes, comprenant des hommes de vingt à quarante ans, seraient alors mobilisables, deux classes actives, dix-huit de réservistes ; et comme elles auraient derrière elles six classes de miliciens, hommes de quarante à quarante-six ans, toute la population mâle du pays serait sous les armes le jour où le tumulte bulgare serait ordonné, Il est remarquable que cette prévision se soit réalisée à l’instant même du règne où elle devenait réalisable, en 1912, et que parle retour des vingt-six classes instruites depuis 1907, tout l’effort militaire accompli sous le roi Ferdinand se soit retrouvé dans la dernière mobilisation.

Chacun des élémens de la somme mobilisée aurait pu être alors de 40 000 hommes, car tel est le total des conscrits recensés chaque année par les bureaux de recrutement. Mais une sélection physique sévère, les droits spéciaux d’une élite intellectuelle, trop peu nombreuse encore en Bulgarie, enfin des considérations d’ordre financier ont abaissé longtemps ce chiffre jusqu’à 17 000 hommes.

Depuis 1903, on l’a relevé progressivement à 26 000, d’après la croissance continue des budgets, de la natalité, surtout d’après celle des besoins. Le cadre s’élargissait à mesure. Aux six divisions d’infanterie existantes, celles de Sofia, Philippopoli, Sliven, Choumla, Roustchouk, Vratsa, celles de Doubnitsa, de Stara Zagora, de Plevna, vinrent s’ajouter. On adjoignit encore à chacune d’elles le cadre d’une brigade de réserve ; il y avait là comme l’amorce d’une deuxième division, et comme une pierre d’attente sur laquelle on pensait construire un jour tout un corps d’armée. La guerre étant survenue avant que ce programme à longue échéance ait pu être réalisé, la question se pose de savoir si, lors de leurs prochains accroissemens militaires, les Bulgares se conformeront encore au plan organique de 1903 ou s’ils considéreront au contraire le type de la division à trois brigades comme consacré par leurs derniers succès.

Quoi qu’il en soit, neuf de ces belles unités, à 24 000 baïonnettes, et 1 000 hommes d’artillerie, portent aujourd’hui à 225 000 hommes le noyau de leur armée en guerre. Grossie de ses troupes spéciales et des quelques formations complémentaires, elle s’élève à 234 000 hommes, auxquels il faut ajouter encore, pour mesurer au juste l’effort bulgare : 13 500 volontaires, 75 000 recrues des classes 1912 et 1913, 36 000 réservistes dans les dépôts, 48 000 miliciens de troupes d’étapes ; soit un total de 400 000 hommes. C’est un effectif double de celui que la France, dix fois supérieure cependant en population, présenta sur les Vosges et sur le Rhin au début de la guerre de 1870. Et l’amertume de cette comparaison est pour nous plus grande, elle est plus curative et plus salutaire, si nous n’oublions pas que, huit mois plus tard, en mars 1871, nous acceptâmes une paix douloureuse, ayant alors sous les armes plus d’un million d’hommes mal encadrés et mal instruits.

Il est remarquable encore que la masse bulgare mobilisée puisse reposer sur une base du temps de paix huit fois moindre numériquement. L’effectif de l’armée active n’est en effet que de 55 500 hommes (deux classes de 26 000 hommes et 3 500 officiers) ; c’est cette somme faible qu’il faut répartir entre les neuf divisions d’infanterie, les neuf régimens d’artillerie de campagne, la cavalerie fixée au plus juste, — car cette arme est chère, — à 11 régimens (37 escadrons), les bataillons du génie, l’artillerie lourde, l’artillerie à pied, etc. Force est ainsi de se borner à former les 36 régimens d’infanterie à deux faibles bataillons en temps de paix. Les quatre bataillons du temps de guerre se constituent, à la mobilisation, par un mécanisme de dédoublement. En même temps que les plus jeunes classes de réservistes reviennent alors à leurs unités d’origine, les brigades de réserve, qui n’ont aucun noyau actif, se forment de toutes pièces, à l’aide des réservistes les plus âgés.

Somme toute, l’armée bulgare n’est qu’une milice où des soldats à court terme coudoient des réservistes de long service et où les seuls élémens professionnels sont les officiers et les sous-officiers rengagés. Un pareil système militaire a chez nous ses défenseurs. Il exige, cependant, pour être applicable, une race patiente, obéissante, obstinée, une population tout entière rurale, une industrie encore dans l’enfance, une bonne volonté générale, un patriotisme universel. Et ces conditions nécessaires ne sont pas suffisantes. Il faut encore qu’en temps de paix, le soldat laboureur soit tenu en haleine par de fréquens appels ; qu’en temps de guerre et rentré dans le rang, il soit aussitôt pris dans un cadre ferme, dont la rigueur le soutienne à ces heures critiques où l’endurance manque aux plus mâles et la force aux plus courageux. L’organisation bulgare pourvoit justement à tous ces besoins. Une discipline si sévère, qu’elle nous paraîtrait brutale, ajoute un attribut de crainte au prestige de l’officier ; et, pour que son autorité soit non seulement obéie, mais honorée et respectée, le chef bulgare est toujours un maître, auprès de qui le soldat ne cesse pas d’être un apprenti.

A côté de la hiérarchie des grades, il existe en effet une échelle correspondante d’écoles ou de centres d’instruction, ayant pour premiers degrés les pelotons régimentaires, les bataillons-écoles divisionnaires, où s’instruisent les simples sous-officiers ; l’école spéciale des sous-officiers rengagés ; plus haut, l’école militaire de Sofia, pépinière commune aux officiers des trois armes ; enfin le cours spécial préparatoire où se recrutent les 4 000 officiers de réserve nécessaires à l’encadrement du temps de guerre. Parmi ceux-ci, la faculté qu’ont les plus aptes de passer avec leurs grades dans l’armée active, étend la sélection militaire à toutes les couches sociales et permet à l’officier né de sortir du rang, si tard qu’il se révèle à lui-même ou qu’il soit distingué par autrui.

Un contrôle constant du personnel, des épreuves sérieuses, vérifiées par des généraux inspecteurs, des règles d’avancement invariablement suivies déterminent le franchissement des grades et l’accession au haut commandement ; mais, ici la législation n’intervient plus seule ; et c’est la marche des événemens historiques eux-mêmes qui s’est chargée de donner à l’armée bulgare l’équipe de généraux qui viennent de la commander si brillamment.

Leurs débuts ont été rapides. Lieutenans de 1880, ils brûlèrent les étapes subalternes, se virent officiers supérieurs dès 1887, et marquèrent longuement le pas dans les grades suivans. La courbe de leurs carrières, — une montée brusque, puis un replat, — est ainsi l’inverse des nôtres, qui d’abord trainent à terre, puis se décident, et vont alors en s’accélérant.

Ils avaient eu tout le temps de se rompre au maniement tactique des bataillons et des régimens. Et l’on sait que, lourdes par elles-mêmes, ces unités pèsent d’autant plus sur l’issue du combat qu’elles semblent plus légères dans la main de leurs chefs. Maîtres de leurs instrumens, ils désiraient changer de rôle et monter d’un degré dans le corps de métier, quand les « émigrans, » se présentant à l’entrée, vinrent à leur tour demander de l’emploi.

On conçoit que ces transfuges d’hier, demain des rivaux, aient été froidement reçus. Leur procès s’instruisant publiquement, ils usèrent largement du droit de défense, et peut-être faut-il faire remonter à cette époque un certain abus d’écrire dont l’armée bulgare s’est ressentie depuis. On a vu plus d’une fois un ministre de la Guerre, un chef d’état-major faire gémir les presses et remplir les librairies de plaidoyers pro domo. Ces erremens, renouvelés des mœurs parlementaires, témoignèrent de liaisons trop étroites avec les partis. Mais ils attestèrent aussi que, dans cette nation jeune et d’opinion changeante, aucune cloison étanche n’existe entre l’armée et la société, que le jugement de l’une est le contrôle de l’autre et qu’un courant de confiance mutuelle les traverse librement.

Le temps aidant, la fusion se fit peu à peu entre les officiers anciens et les « émigrans. » La Bulgarie disposait de toutes ses valeurs d’hommes, dans un temps où, par bonheur, le cadre du haut commandement n’était pas encore définitivement fixé. La création du grade de général de brigade était depuis longtemps réclamée par les colonels « faisant fonctions. « Elle resta systématiquement différée jusqu’en 1902, pour que les jalousies eussent le temps de se calmer, que les nouveaux venus pussent faire leurs preuves, rattraper leurs distances et se mettre en ligne avec leurs concurrens.

Promus à cette époque, les premiers généraux bulgares étaient des hommes de quarante ans. Toute la seconde moitié de leur carrière s’étendait devant eux ; ils pouvaient encore faire l’apprentissage du généralat, comme ils avaient fait celui de leurs précédens grades, et rendre ensuite à l’armée d’autant plus de services qu’ils disposeraient de plus de vigueur physique et d’activité d’esprit.


Il est caractéristique de trouver aujourd’hui à leur tête un representative man, dont la carrière heureuse enveloppe, accompagne et résume toute l’évolution accomplie par l’armée bulgare dans l’étendue de sa génération. Le général Michel Savof est né en 1857 à Haskovo. Cette obscure bourgade turque ne soupçonnait pas alors qu’elle serait, vingt ans après, ville frontière d’une Roumélie autonome, et qu’elle s’épanouirait en 1913 au centre d’une Grande-Bulgarie, dont l’existence serait justement due à la victoire de Michel Savof. Son glorieux enfant est élève à l’école militaire de Sofia en 1878 ; lieutenant en 1879 dans l’artillerie de la milice rouméliote (une demi-batterie !) ; élève à l’académie d’état-major Nicolas en 1881. Il n’a eu que le temps de faire un voyage d’études en Europe, quand surviennent la révolution de Philippopoli, puis les hostilités serbo-bulgares. Capitaine, il fait fonctions de sous-chef d’état-major général pendant la guerre et se trouve officier supérieur au lendemain de Slivnitza.

Une carrière qui va si vite serait faite pour enivrer cet homme jeune, sanguin, de carrure athlétique et de caractère ambitieux. Mais voici la déposition du 21 août 1886, les onze mois de l’interrègne, des années d’attente et de recueillement. Le major Savof est adjoint au ministre de la Guerre, puis ministre lui-même, en 1891, dans le Cabinet Stamboulof ; c’est l’époque où l’armée bulgare s’organise ; l’artillerie se complète en canons Krupp, l’infanterie reçoit le fusil Mannlicher modèle 1888 ; puis la chute de Stamboulof met fin à cette période d’armemens intensifs. Elle écarte aussi des affaires Savof, demeuré pour longtemps simple directeur de l’Ecole militaire.

En 1903, Ratchko Pétrof est chef du gouvernement. Depuis qu’à Slivnitza, comme major-général du prince Alexandre, il avait Savof sous ses ordres immédiats, les deux camarades de 1886 ont détenu tous deux le portefeuille de la Guerre ; et ce département revient de droit à l’un d’entre eux, dans une combinaison ministérielle dont l’autre est le président. L’étroitesse de leur amitié et la communauté de leurs vues ne seront pas de trop, à l’heure où le mouvement macédonien s’accentue et où la force russe s’engage dans une autre péninsule, à l’autre bout du monde : au Liao-Toung. On se hâte de pourvoir à la guerre inévitable en créant les nouvelles divisions, en adoptant un mannlicher perfectionné, en substituant au canon Krupp un 75 à tir rapide de fabrication française. Le ministre passe outre, pour gagner du temps, aux fixations budgétaires, ordonne lui-même les dépenses secrètes, viole tranquillement les lois sur la responsabilité ministérielle. Tombé du pouvoir en 1907, avec Pétrof, il tourne le dos aux vindictes parlementaires pour venir se promener en France, puis fait face à toutes les haines et les affronte sans sourciller au pays natal.

En 1911, les mêmes causes profondes qui mènent tout au pays bulgare marquent l’heure des représailles dirigées contre lui. Le procès des Stamboulovistes éclate, motivé on ne sait par quelles haines personnelles ou conduit par quelles directives d’en haut. Une chose est sûre, c’est que les divulgations faites à cette occasion par un ancien ministre des Affaires étrangères sont nécessaires à la politique du roi Ferdinand. Elles feront sentir à l’opinion l’opportunité des remaniemens constitutionnels demandés au grand Sobranié de Tirnovo, prépareront l’élargissement des prérogatives royales en matière de traités secrets, et, par là, l’élaboration des accords balkaniques d’où naîtra la fédération de 1912, C’est ainsi que tout s’enchaîne en Bulgarie, et même les scandales, selon la ligne politique tracée par le plus systématique et le plus prévoyant des souverains.

Le général Savof présente lui-même sa défense. Son argument est celui de Cicéron : « Je jure que j’ai sauvé la patrie ! », mais ses formes sont moins concises. Il parle six heures d’horloge, émeut les uns, lasse les autres, et laisse l’assemblée vaincue par sa force, son éloquence, son patriotisme et son autorité. Chacun sait trop bien que les événemens marchent ; ces épisodes du dedans sont liés à de grandes affaires du dehors ; et, quoique par un chemin désagréable, la citation du général en haute-cour mène, après tout, là où l’on veut aller. Plus populaire sous la redingote d’officier de réserve qu’il ne l’avait jamais été sous la tunique, il reste le généralissime désigné. Tous les emplois sont distribués ; les rôles, appris ; et l’on sait encore qu’au jour de la proche échéance, il aura sous ses ordres, comme le premier de ses collaborateurs, un homme fait autrefois pour être son ennemi et son rival.

Le général Radko Dimitrief commandera la troisième armée. Les compatriotes l’appelaient : « Napoléontcheto, » — notre Napoléon, — dès avant que ses succès de Kirk-Kilissé et de Loule-Bourgas eussent justifié ce surnom glorieux. C’est qu’avec moins de mobilité dans les traits, le pli d’une contention d’esprit plus grande et d’un labeur plus ouvrier, son masque bulgare a quelque chose en effet de napoléonien. Né en 1859 à Gradez, au pied du Balkan, il rêve, enfant, du secours russe, il va de cœur vers la sainte Russie, par la pente du sentimentalisme et de l’idéalité. Volontaire en 1877, lieutenant rouméliote, élève à l’académie d’état-major Nicolas, combattant remarqué des journées serbo-bulgares, il a traversé toute la Roumélie d’une frontière à l’autre, par marches forcées, pour venir se battre à Dragoman, à Tsaribrod et Pirot. En 1886, il est l’un des acteurs principaux du drame dénoué dans la nuit du 21 au 22 août par la démission d’Alexandre de Battenberg ; en 1887, l’un des « émigrans » les plus réfractaires à la politique de Stamboulof. Son pacte d’amour avec la Russie se change alors en contrat de service. A Sofia, ses contemporains deviennent ministres ou chefs d’état-major ; lui, toujours capitaine, commande pendant onze ans au Caucase la même compagnie de grenadiers.

D’autres laborieuses années lui seront nécessaires au retour, pour se faire, à la bulgare, par la patience têtue et l’effort silencieux, une place digne de ses mérites et de ses facultés. Celle de chef d’état-major général lui est enfin offerte en 1903 ; il se trouve ainsi, quant au plan de guerre et à la mobilisation, le même metteur en œuvre qu’est alors Savof quant au matériel et à l’organisation. Les trois inspections d’armée étant formées en 1908, il est chargé de la troisième, et se trouve avoir pour collègues les généraux Ivanof et Kutintchef, dans le commandement des deux autres. Tous, par un travail ininterrompu, par un maniement militaire incessant, façonnent leurs armées pour la grande épreuve où ils moissonneront ensemble de si beaux lauriers.

On aurait tort d’oublier dans cette énumération, — the last, not the least, — celui qui remplissait les fonctions de chef d’état-major général auprès du général Savof durant les dernières opérations. Les carrières de ces deux hommes ont plus d’un contact et plus d’une ressemblance. L’armée doit à l’un, au point de vue intellectuel, autant qu’à l’autre dans l’ordre des réalisations organiques et de l’armement. Stamboulovistes tous deux, ballottés au début par des courans contraires, ils ont vu leurs barques traverser les mêmes remous, avant de prendre ensemble le fil de l’eau.

Dans le temps où les écoles russes sont fermées aux officiers bulgares, Fitchef suit à Turin les cours de l’Académie de guerre ; il s’affirme au retour comme une force et comme une valeur ; mais sa place n’est pas encore faite, quand la chute de Stamboulof, le choc en retour de l’influence russe le rejettent dans une garnison obscure au pied du Rhodope. Il s’y montre bon instructeur de troupe, mais cette qualité est commune en Bulgarie : sa mission propre sera d’instruire des officiers. Il le prouve par ses écrits militaires, par son activité à la tête de l’inspection des écoles, par l’intelligence avec laquelle il organise les voyages, les conférences, les travaux spéciaux d’état- major. Grâce à lui, les bureaux s’animent et prennent vie ; le ministère de la Guerre devient un foyer d’études qui rayonne intellectuellement sur toute l’armée.

Il a commandé successivement deux divisions et dirigé en 1909 les brillantes grandes manœuvres de Stara Zagora. En 1911, il devient chef de l’état-major général. Le général Nicolaief est ministre de la Guerre ; ancien commandant de la milice rouméliote, il doit son prestige et sa popularité au rôle qu’il joua lors de la réunion spontanée des deux provinces bulgares en 1885, mais on sait d’avance qu’il abandonnera à son premier collaborateur les initiatives principales et les grosses responsabilités.


La mobilisation et la concentration bulgare ont été étudiées dans tous leurs détails depuis 1903. Le temps en reste la donnée essentielle, et il s’agit toujours de faire vite, pour passer dans le délai le plus court aux opérations.

C’est que la Bulgarie, nation de 4 000 000 d’hommes, six fois inférieure à la Turquie en population, n’a d’autres avantages que d’occuper une situation géographique meilleure et d’être mieux à portée de ses objectifs. Elle est chez elle en Roumélie, alors que les sources de l’effectif et les réserves du recrutement turc sont au loin, en Asie Mineure, avec des communications médiocres et de faibles moyens de transport. La ligne ferrée qui part de Scutari, pour atteindre dans diverses directions, Smyrne Angora, Erégli, draine une région très peuplée et peut amener à elle seule une douzaine de divisions de réserve : mais cette ligne à une seule voie n’a pas un rendement supérieur à huit échelons par jour et elle ne pourrait être déchargée par un courant secondaire, dérivé vers la mer de Marmara, que si la ligne Soma-Panderma était achevée.

La Mer-Noire, où la flotte ottomane exerce une maîtrise relative en face de la faible flottille bulgare, la mer Egée, qui est dans un état indéterminé, offrent, par elles-mêmes, des facilités plus grandes ; elles baignent ces régions où la Turquie est forte et dont Erzingian, Erzeroum, Damas, sont les chefs-lieux militaires ; mais, même avec les appoints fournis par ces provinces, cinquante jours seront nécessaires aux Turcs pour former en Thrace une masse de même poids que l’armée nationale mobilisée.

Ce terme passé, l’équilibre numérique se romprait au détriment des Bulgares, s’ils n’avaient justement pour idée directrice d’intervenir offensivement dans la marge du temps dont ils disposent et de profiter alors de leur supériorité relative pour produire à tout prix un événement. L’armée turque ne pourra plus se reprendre, ses renforts ne lui serviront de rien, si, dès le début de la guerre, ils ont su l’atteindre et la frapper au cœur. Ainsi leur campagne de Thrace sera rapide, active ; elle se fera, comme celles de Napoléon, par la quantité de mouvement. Selon la loi même de la force, qui est de produire l’accélération, elle multipliera par la vites.se des corps la farouche exaltation des esprits ; et il ne s’agira pas d’escompter chez la troupe une longue résistance ni de la ménager au début pour la faire durer, mais bien de la lancer au combat comme le cavalier lance son cheval sur l’obstacle, à corps perdu. C’est dans cet esprit que les officiers la dressent, que les généraux la commandent. Dans la même pensée énergique, l’état-major n’a pas cessé un instant d’abréger partons les moyens le passage au pied de guerre et les phases de l’engagement stratégique.

Depuis 1903, chaque régiment a son district de recrutement assigné et la mobilisation est strictement régionale. Elle s’achève en cinq jours, après quoi les transports déconcentration peuvent commencer. Le réseau ferré est devenu national en 1908, par l’effet du rachat consécutif à la proclamation de l’indépendance. Le passage du graphique de guerre et la militarisation du service s’y font aisément ; mais le rendement de la voie n’a pu être élevé encore au niveau désirable et le tracé en reste défectueux. Le rail suit de l’Est à l’Ouest, à travers la Bulgarie Danubienne, un arc d’ellipse, passe à Sofia, sommet de la courbe, pour revenir desservir la Roumélie et s’achever à Bourgas. Ses prolongemens hors du territoire sont, autour de Sofia, les lignes qui s’étendent vers la Serbie et la Macédoine ; puis dans la région d’Haskovo, les lignes convergentes parties de Tchirpan et de Nova Zagora pour se réunir à Seimen. Celles-ci pointent droit au cœur de la Thrace, en fer de lance, et, pour montrer que la Bulgarie tout entière n’est rien qu’un camp retranché, la couvrent au Sud comme d’un grand ravelin.

C’est ici, manifestement, la sortie de la forteresse et l’avancée où se rassembleront les gens d’armes. Mais son défaut est de n’avoir que des communications d’aile et de n’être pas rattachée directement au cœur de la place. Il faudrait percer derrière elle, rendre perméable au rail le mur qui la paradosse et qui s’appelle le Balkan. Le projet de cette transversale existe. Elle réunira un jour Stara Zagora avec l’important nœud ferré de Gornia Orjevitsa, où toutes les voies ferrées danubiennes viennent aboutir. On compte que, grâce à elle, après l’aménagement définitif de la voie, quinze jours de transports, succédant aux cinq jours de la mobilisation, suffiront pour amener les neuf divisions dans les zones de rassemblement choisies. Ainsi, les opérations proprement dites pourront commencer le vingt-et-unième jour, et la différence de trente jours entre les dates d’achèvement des deux concentrations (50 — 20 = 30) fixe à un mois juste la durée pendant laquelle il faudra produire des événemens décisifs.

Quant aux instrumens pour les produire, quant au nombre et à la composition des armées, il est probable qu’un grand nombre de combinaisons successives ont été étudiées ; mais la constitution des trois inspections, l’une en Roumélie, l’autre dans la Bulgarie danubienne, la troisième dans la Bulgarie occidentale, permet aussi de penser que tous ces projets n’ont été que des variantes d’un plan unique, lié à l’idée mère qui avait donné naissance à ces trois grandes circonscriptions. Chacune d’elles devait, dans le principe, former une armée de trois divisions. La première armée, dite de Macédoine et rassemblée au Sud de Sofia, serait chargée de couvrir les avenues de la capitale dans la direction de Salonique ; la deuxième se constituerait en Roumélie ; la troisième descendrait du Balkan ; ces deux armées de Thrace auraient l’armée turque pour objectif et la direction de Constantinople pour ligne d’opérations.

L’esprit d’un pareil plan ne peut être affecté par les tractations de 1911 et par l’espoir qu’on a d’une offensive prochaine, effectuée simultanément par les Grecs, les Serbes et les Monténégrins. En effet, si la Thrace était le théâtre principal pour les Bulgares tout seuls, elle le sera davantage encore pour la coalition. Les objectifs des Monténégrins et des Grecs ne sont que partiels : Scutari pour les uns, Salonique et les îles de l’archipel pour les autres. Les succès qu’ils espèrent ne sont que conditionnels ; tous, et même l’occupation des iles, demandent à être sanctionnés par une victoire en Thrace. Suppose-t-on en effet, pour un instant, que les Turcs puissent y prendre l’avantage ? Ils portent aussitôt leur offensive en Macédoine, la Grèce s’y retrouve en face d’eux dans la même situation qu’après ses revers de 1897, et l’on sait qu’alors, battue sur ses frontières, elle n’avait pas eu l’idée d’annexer des iles.

Cependant les leçons de la guerre italo-turque et le rôle présent joué par la flotte italienne, maitresse de la mer Egée, suggèrent aux esprits le service éminent que l’escadre grecque peut rendre à la cause des alliés : celui d’interdire tous transports de la côte d’Asie vers la côte d’Europe et de paralyser à Smyrne ou dans les Échelles du Levant une force de plus de cent bataillons. Les troupes turques de Macédoine resteront ainsi livrées à elles-mêmes et ne pourront espérer aucun renfort. Aux Serbes de les battre, et certes ils sont de taille à le faire ; mais cette épreuve non plus ne sera pas décisive. La force ennemie principale est en Thrace, encore une fois, et c’est bien là que se jouera le va-tout de la coalition.

Cette situation est connue ; les tractations en cours s’en inspirent, avec une subordination du politique au militaire qui prouverait à elle seule que le centre des négociations est à Sofia. Elles aboutissent, au début de 1912, à un système d’alliances tel, que la Bulgarie, placée au centre de la fédération, rayonne politiquement vers les autres puissances et les laisse indépendantes entre elles. Ce plan simple garantit l’unité de la pensée militaire, confie au général Savof l’impulsion directrice et fait du général Fitchef le grand organisateur des forces de la coalition.

La coopération avec les Serbes exige de sa part un examen particulier. Toute idée de rivalité politique ou de défiance envers eux est bien bannie ; cependant en leur laissant Uskub et toute la vallée du Vardar, on ne peut se désintéresser de celles de la Struma, de la Mesta, de la Bregalnitza. Trop souvent les malheureux Macédoniens ont remonté le cours de ces rivières pour se réfugier en Bulgarie, et, parvenus à la montagne du Rylo, ont salué en pleurant la Terre Promise de la liberté. Les comitadjis attendent, avec leurs fusils cachés sous des meules, enterrés au fond des jardins. Il faut rentrer les armes à la main dans Kotchana, si fameuse dans la triste histoire de la Macédoine, et tout récemment encore, au mois d’août, redevenue le théâtre d’une échauffourée tragique et d’une effusion de sang ; il faut occuper Drama, Cavala, Serès, traverser assez vite ces pays amis pour ne pas entrer plus tard que l’armée grecque dans Salonique.

La 7e division bulgare, opérant par colonnes de brigade dans les trois compartimens du théâtre, suffira à toute cette besogne. De la même manière, la 2edivision aura à surveiller le versant méridional du Rhodope, à couvrir contre les incursions des partisans turcs la voie ferrée qui, par endroits, court à 20 kilomètres seulement de la frontière, à nettoyer de toutes troupes régulières ou irrégulières les régions de Timrosh, de Kirdjali, à couper de leur retraite les Turcs rejetés hors de la Macédoine, enfin, par Gumuldjina, à se réunir au groupe des armées principales, parvenu alors vers Dimotika. Les troupes employées à toutes ces marches manqueront, il est vrai, aux rassemblemens principaux ; mais ces détachemens sont indispensables et les forces ainsi perdues seront, dans une certaine mesure, récupérées par l’activité insurrectionnelle qu’elles susciteront au passage parmi les Macédoniens.

En dernière analyse, sept divisions sur neuf restent disponibles pour l’irruption projetée en Thrace. La voie d’invasion naturelle qui s’offre à elles est la vallée de la Maritza. Là, sur une largeur de 30 kilomètres, elles disposeront de nombreuses routes parallèles à la rivière, et de la voie ferrée, d’autant plus précieuse pour elles qu’elles n’ont d’autres trains que les trains régimentaires et que le rail faciliterait grandement leurs ravitaillemens. Plus à l’Est, la vallée de la Toundja présente des facilités de marche à peu près pareilles, à la voie ferrée près, tandis qu’à l’Ouest, on peut, sans difficultés considérables, traverser les collines du Bech Tépé Dagh pour passer dans la vallée de l’Arda. Ainsi les deux régions de Yamboli et d’Haskovo se présentent, de part et d’autre du triangle stratégique Tchirpan-Seimen-Nova Zagora, comme deux zones éventuelles de rassemblement ; chacune d’elles se prolonge vers la Thrace par une voie pénétrante, propre à la marche d’une armée, et toute cette figure symétrique n’a qu’un défaut, c’est que les lignes qu’elle trace, Maritza, Toundja, Arda, convergent vers Andrinople et s’achèvent là en cul-de-sac.

Il est fâcheux, à l’heure où le temps est si précieux, de donner droit dans un obstacle et d’avoir à porter le premier coup, non pas sur l’armée turque elle-même, mais sur la place qui la couvre et qu’elle présente devant elle comme un bouclier. L’état-major ottoman n’a eu garde de négliger un si bel avantage. A la suite des grandes manœuvres de 1910, les premières dans l’histoire de l’armée turque, une critique de Von der Goltz a souligné l’importance stratégique d’Andrinople. Depuis, les défenses de la ville ont été modernisées ; sur sa résistance certaine, on échafaude des combinaisons.

On sait que les Bulgares ne s’immobiliseront pas devant elle, mais que, l’ayant investie, ils la dépasseront aussitôt par l’Ouest ou par l’Est. La première voie est d’abord la plus facile ; mais oblique, et barrée bientôt par l’Arda, par la Maritza, elle est finalement la plus longue pour parvenir au cœur de la Thrace et pour y produire le choc décisif. Le chemin par la Toundja présente des propriétés inverses : plus direct sur la carte, il s’écarte à l’excès de la voie ferrée et crée d’immenses difficultés de ravitaillement. Au surplus, les Bulgares doivent opter entre les deux itinéraires, et ne peuvent les utiliser simultanément, sous peine de se présenter en deux corps de bataille distincts, entre lesquels Andrinople ferait un trou. Ainsi, la résistance à leur opposer consistera toujours à s’appuyer sur cette place et, soit par l’aile gauche, soit par l’aile droite, à la prendre pour pivot des forces qui opéreront dans son rayon.

Cette première observation conduisit à d’autres, et fît bientôt découvrir le moderne quadrilatère de Thrace, plus célèbre aujourd’hui en Orient que ne le fut jamais en Europe le fameux quadrilatère lombard-vénitien. Andrinople, Kirk-Kilissé, Dimotika, Baba Eski sont les roues de ce nouveau Char-de-David. Par les deux côtés dont Andrinople marque le sommet, il trace les lignes de résistance éventuelles opposées à l’offensive bulgare ; les deux autres sont des positions de repli.

Suppose-t-on maintenant une armée bulgare débouchant au Sud d’Andrinople, par la vallée de l’Arda ? On la combat aux passages de la Maritza, — premier acte ; — on se rabat de là, — second acte, — vers la ligne de l’Ergène Moyen, entre Dimotika et Baba Eski ; ou encore, directement, vers le front Kirk Kilissé-Baba Eski. On a ainsi le choix entre deux manœuvres, l’une rétrograde, l’autre pivotante ; entre deux positions défensives, pour couvrir la capitale, l’une directe, l’autre de flanc. L’attaque bulgare vient-elle au contraire par l’Est et la vallée de la Toundja ? Le quadrilatère offre encore des facilités pareilles, et permet les mêmes retraites savantes, vers les mêmes positions.

On n’ignore rien à Sofia des développemens que toutes ces hypothèses ont reçus sur la carte dans les Kriegspiel tenus à l’état-major de Constantinople, car on y travaille aussi sur la carte, mais dans l’esprit d’une stratégie strictement bulgare, non pas sujette au prestige de maîtres étrangers. Et justement le plan de concentration, tel qu’il résulte des dernières consultations tenues entre le général Fitchef et le général Savof, va sortir du cadre des discussions d’école et placer les conseillers allemands de Constantinople, comme Veyrother à Austerlitz, en face du cas « qui n’est pas prévu. »

L’intention du commandant en chef est d’aborder de front la courtine Andrinople-Kirk Kilissé en prononçant par sa gauche, vers cette dernière place, un effort double de rupture et de débordement. Trois armées seront formées : la première, centrale, et formant la liaison entre les deux autres, sur la Toundja ; la seconde, destinée à l’attaque d’Andrinople, sur la Maritza ; la troisième, dont l’existence doit rester jusqu’au bout secrète, occupera, vers Strandja, une zone de concentration refusée par rapport aux deux précédentes ; elle se portera en avant avec elles à la dérobée, par la région réputée impraticable de Kaibilar et produira à l’improviste son attaque contre Kirk-Kilissé.

De tous les modes d’engagement stratégique qui pouvaient être conçus, celui-là est incontestablement le plus objectif et le plus offensif. Il ajoute au brusque déclanchement des forces matérielles un puissant effet de surprise ; il procède de cette théorie française de l’impossible, qui n’est que l’art de stupéfier et de paralyser l’adversaire, de faire contre lui ce que lui-même n’aurait pas pu faire, et, par la grandeur des difficultés vaincues, d’atteindre et de briser en lui les ressorts de la volonté.

Cependant l’étendue du théâtre et les conditions de la manœuvre exigeraient pour chaque armée une articulation à trois divisions. Neuf de ces unités seraient donc nécessaires, et l’on n’en a que sept. On en constitue une nouvelle, qui prend le numéro 10. Dès lors, la première armée (général Kutintchef) pourra comprendre les 1re et 10e divisions ; la 2e (général Ivanof) les 8e, 9e, 3e divisions ; la 3e (général Dimitrief) les 4e, 5e, 6e divisions. Les précautions sont soigneusement prises pour cacher les préparatifs et dépister les informateurs. Les correspondans étrangers, qui affluent à Sofia, sont gardés à vue ; le langage évasif qu’on leur tient est tel que la diplomatie européenne continue de travailler à la paix, et qu’à Constantinople, on espère encore éluder la guerre.

Le 29 septembre, la mobilisation est ordonnée : c’est qu’elle s’est faite en secret les jours d’avant, qu’elle s’achève en ce moment même et que dès le lendemain la concentration va commencer. Les wagons chargés à refus et jusque sur les toits, — car partout il y a des excédens d’effectif, et toutes les prévisions sont dépassées, — roulent sur toutes les lignes bulgares. A Sofia, c’est le jeu de jongler, dans les informations officielles, avec les noms des généraux ; on les attache tantôt à un quartier général, tantôt à un autre ; les lecteurs attentifs parviennent à la longue à démêler l’existence de la troisième armée, mais ils la croient dans la région du Rhodope, de sorte que tout leur effort les amène à découvrir non pas le plan du général Fitchef en 1912, mais celui du général Dimitrief en 1903.

Les 1er et 2e armées étant destinées à faire devant l’adversaire la montre du dispositif, leur rassemblement peut s’effectuer normalement et sans artifice particulier. Les divisions qu’elles ont à pied d’œuvre, la 8e à Stara Zagora, la 3e à Sliven, s’avancent donc, aussitôt que mobilisées, la première vers Seimen, la seconde vers Kizil Agatch ; dans leur dos, commencent les débarquemens des échelons transportés, qui serrent à mesure sur les cantonnemens de concentration.

Les élémens de la 3e inspection sont tous dans la Bulgarie danubienne. Certains renseignemens laissent croire qu’ils auraient traversé le Balkan par voie de terre ; à Paris, on ne doute pas que ce ne soit le long de la transversale inachevée de Gornia Orjevitza à Stara Zagora. En réalité, elles ont été dès le début rejetées vers l’Est, pour venir débarquer sur une base provisoire Kaspitchan-Eski Djoumaia ; c’est de là, la 4e en tête, qu’elles défilent par le col de Kazan.

Du 5 au 15 octobre, leur masse se complète dans la région de Strandja ; Bourgas les fait vivre, grâce à la voie ferrée ; tous les fours y sont réquisitionnés, et la population civile n’a plus de pain. Leurs marches laborieuses, dans la montagne, par un automne pluvieux, n’ont fait perdre que quarante-huit heures sur la durée prévue : c’est là le retard dû au non-achèvement du réseau ferré. Le 18, tous les rassemblemens sont terminés, et le seul indice que l’Europe en ait encore est le transfert du grand quartier général à Stara Zagora. La déclaration de guerre est lancée à cette date ; et tandis que le calife, devenu souverain constitutionnel, s’abstient d’appeler les croyans à la guerre sainte, on lit dans les églises bulgares le manifeste d’un roi catholique invitant ses sujets orthodoxes à prendre les armes, et la Croix à se dresser contre le Croissant. Il nomme le « tsar libérateur » et la Russie, gardienne longtemps d’une paix tutélaire, à qui la Bulgarie doit d’avoir pu grandir jusqu’à sa majorité.

Le lendemain, les trois armées atteignent la frontière. Les 8e et 9e divisions marchent parallèlement par les deux rives de la Maritza ; la 3e, longeant la rive droite de la Toundja, abordera Andrinople avec elles, mais par le Nord ; la 1re  par Vaisal, refoulera devant soi, dans la direction de cette place, la cavalerie turque chargée du service de découverte et couvrira l’approche de la 3e armée, qui continue de cheminer en arrière, à huis clos.

Celle-ci trouve dans Umur-Fakik un centre d’approvisionnement spécial, alimenté encore par Bourgas et desservi par des convois de réquisition. C’est ici le premier essai du mode de ravitaillement, proprement bulgare, et le premier effet d’une autre mobilisation complémentaire de celle des hommes : la mobilisation des bœufs. À défaut de convois et de parcs, le service des étapes utilise des colonnes de chariots agricoles ; les uns transportent des vivres et les autres des munitions ; des enfans, des vieillards, les seuls mâles restés dans les villages, les ont amenés, heureux de servir, d’être nourris, car tous sont devenus des rationnaires, et de recevoir des bons qui ne sont encore que du papier, mais qu’après la victoire le trésor bulgare paiera avec de l’argent européen. Ils cheminent à trois kilomètres par heure, à cinq lieues par jour, se déchargent sur les trains régimentaires, reviennent à vide et recommencent aussitôt leurs lentes navettes.

Grâce à eux, tous les régimens de la 3e division ont pu se recompléter à neuf jours de vivres, avant de franchir la frontière. Le lendemain 20, par des pistes à peine tracées, dans un labyrinthe de rochers et de ravines, les colonnes du général Dimitrief atteignent et dépassent la crête de l’Istrandja. Tantôt elles s’approchent et tantôt elles s’écartent ; elles s’éloignent et tout à coup émergent sur une hauteur ; elles reviennent, mais c’est pour disparaitre dans un bas-fond. L’ennemi les ignore toujours, tandis qu’elles se révèlent ainsi les unes aux autres. Les canons enfoncent jusqu’au moyeu, les hommes enfoncent jusqu’au genou ; pareils aux ennemis de Macbeth, qui s’avançaient en se couvrant de branches et réalisaient ainsi la prophétie de la sorcière, ils descendent par les couverts boisés, ils sont, eux aussi, une forêt en marche, une nation en armes, un fourré de soixante-quinze mille baïonnettes, que la guerre attire et qui vont à la bataille comme vers une montagne d’aimant.


Devant cette marche à la victoire, quelle contenance l’armée turque pourrait-elle faire ? Quel ralliement ? Quel geste ? Quel effort ? Surprise en flagrant délit de concentration, elle s’offre en ordre dispersé, et cet émiettement de ses forces n’est rien encore auprès du désarroi qui règne dans son commandement et dans son organisation.

Des réformes hâtives, entreprises au lendemain du passage à l’ordre constitutionnel, ont modifié en elle le cadre, la dislocation des temps de paix, le recrutement, le commandement. Des troubles intérieurs ont motivé sans cesse des mobilisations partielles, interrompu la marche de l’instruction et le plan de la réorganisation, lassé les réservistes, avivé de province à province les haines de races et les tendances à l’insurrection. Les pronunciamientos, les contre-coups d’Etat, ont opposé les troupes de Constantinople à celles de Salonique, provoqué des échauffourées et des représailles, des assassinats et des pendaisons. Le corps d’officiers, partagé d’opinion par la politique, n’a plus de foi patriotique et pas encore de doctrine de guerre. Une science d’emprunt lui vient d’Allemagne, avec un matériel neuf, que l’artillerie ne sait pas servir. L’état-major parle d’offensive : il ignore que celui-là seul en est capable qui l’a préparée jour par jour el montée pièce à pièce, dans les ateliers militaires du temps de paix. Il parle de manœuvre, et pour manœuvrer sur le flanc des Bulgares, dans l’espoir de leur infliger « un Sedan, » arrache à Nazim hésitant l’ordre qui porte sous Kirk-Kilissé les 1re, 2e, 3e, 4e corps de l’armée d’Abdulla.

C’est ainsi, de hasard en hasard et d’erreur en erreur, que se prépare la rencontre du 24 octobre. Prélude elle-même de celles qui suivront, effet et cause à la fois, elle résume l’ensemble de toute la campagne. Elle n’est pas le désastre fortuit d’où l’on se relève, ni le succès hasardeux, contesté dès le lendemain ; elle est cette Victoire éternelle par laquelle les forts forgent eux-mêmes leurs destins ; elle est cette sanction inéluctable, qui consacre en tout temps, entons lieux, la supériorité des troupes instruites sur les troupes ignorantes, des forces morales sur les forces matérielles et des cœurs unis sur les esprits qui sont divisés.


PATRICE MAHON.