La Victime/IV
IV
Après une nuit exempte de rêves, Gégé qu’on n’avait réveillé qu’à huit heures, procéda sans hâte aux soins de sa toilette. Et vers neuf heures moins le quart, étant prêt, il descendit dans la salle à manger, où M. Lecherrier et Mme Taillard, près de la fenêtre ouverte, finissaient de déjeuner.
Sans aucun parti pris, Roger préférait de beaucoup le chocolat qu’on buvait chez son grand-père à celui qu’on buvait chez lui. L’arome en était plus délicat, la facture plus mousseuse. Il se régala. Puis il avait cette sensation si amusante pour les enfants d’être en excursion, en voyage, presque à l’hôtel. Et tout lui en semblait meilleur : le ciel d’un bleu tranquille, la fraîche haleine de l’air matinal et cette fine odeur d’été qu’on ne trouve chez aucun parfumeur.
Jusqu’à l’institution Beaujoint, de l’avenue Marceau à la rue de Longchamp, le long de l’avenue du Bois, par ce beau temps, la route serait délicieuse !
Il fit à sa mère et à M. Lecherrier des adieux sans déchirement. Mais, la porte à peine close, il reparut pour recommander qu’on n’oubliât pas de lui envoyer à la boîte son complet gris numéro un, sa cravate bleu marine et ses souliers vernis.
— Puisque c’est convenu, mon chéri ! — dit Lucie. — Seulement, tu te rappelles ce que tu m’as promis : tu seras raisonnable ! Tu ne mangeras pas trop… Et tu diras bien à ton père que je t’ai prié de ne pas rentrer trop tard.
— Pour sûr ! — répliqua Gégé, avec l’arrière-projet de s’acquitter loyalement de la commission, mais sans insistance superflue.
Et il rejoignit dans le vestibule Firmin qui l’attendait pour le conduire.
Les trois caractéristiques de l’institution Beaujoint étaient l’exiguïté du petit hôtel bourgeois qu’elle occupait rue de Longchamp, le prix relativement onéreux de la pension, qui ne montait pas à moins de quatre cent cinquante francs par mois, et le nombre restreint des élèves, invariablement fixé à dix. M. Beaujoint, quand il s’agissait de séduire les parents, s’attardait plus volontiers sur cette dernière particularité, qui donnait à son établissement comme un aspect de petite académie. Mais, à vrai dire, ces trois caractéristiques se commandaient, la quantité des élèves étant en raison directe des faibles dimensions du local et le chiffre de la pension en rapport avec le nombre réduit des élèves.
M. Beaujoint ne manquait pas non plus de signaler aux clients deux autres spécialités de sa maison : à savoir l’éducation mondaine et la perfection culinaire.
Sur le reste, il concédait que, dans les autres établissements privés ou dans les lycées de l’État, il n’y avait trop rien à dire. Mais pour la pratique des bonnes façons et pour l’hygiène alimentaire, il n’admettait pas de rival. Chez lui, l’enfant apprenait à « se tenir » comme nulle part, et, en ce qui concernait la table, on n’avait qu’à consulter les menus : viandes de premier choix et toujours rôties, lait de provenance contrôlée, vin de propriétaire. Aussi, à chaque repas, ne fût-ce qu’en manière de commémoration, M. Beaujoint avait bien soin de s’extasier devant ses élèves sur l’exceptionnelle qualité des mets. « Oh ! oh ! — s’écriait-il, — voilà un rôti de veau qui n’est pas précisément exécrable ! » ou bien : « Voilà un bœuf en daube dont vous me demanderez la recette ! » ou : « Voilà, si je ne m’abuse, un gigot de tout premier ordre ! » — et cette variété dans les formules ajoutait encore à l’éloge un je ne sais quoi de plus persuasif.
Lorsqu’il eut parcouru la lettre de Mme Taillard excusant Gégé, il appliqua sur la nuque de celui-ci une tape bienveillante :
— Parfait, mon petit ami ! Allez rejoindre vos camarades salle B. La leçon d’histoire vient de commencer.
Roger monta sans précipitation à la salle B, un ancien cabinet de toilette qui, par les jours d’été, fleurait la peau d’Espagne et l’eau dentifrice. Le professeur était occupé à narrer devant la division élémentaire, composée des deux Thomas — Thomas (Achille), Thomas (Antoine) — et de Pierre de Ribermont, les fastes de l’Assyrie.
Gégé l’écouta peu. Que lui importaient Téglath-Phalazar et Assourbanipal ? Sa pensée était toute au dîner du soir. En aucune occasion, l’idée de revoir son père ne lui avait inspiré tant d’émoi et d’impatience. Était-ce la brusquerie, l’imprévu de cette séparation ? il lui semblait qu’elle durait depuis des éternités. En outre, d’habitude, quand M. Taillard revenait d’une absence, le plaisir de Roger était à l’avance gâté par l’évocation des scènes d’intérieur dont ce retour allait infailliblement être le signal. Tandis que, pour ce soir, nulle crainte pareille. Ce n’est pas lui, Gégé, n’est-ce pas ? qui se disputerait avec son père ! Alors on dînerait tranquillement ensemble, sans doute au restaurant et peut-être même qu’après on irait à un théâtre quelconque. Bref, de toutes façons, cela finirait très bien.
Gégé continua ces pronostics optimistes durant toute la leçon d’histoire, puis durant toute l’étude subséquente. Et, à la récréation de dix minutes qui précédait le repas de midi, il rayonnait d’un tel contentement que Pierre de Ribermont ne put s’empêcher de lui en faire la remarque :
— Tu as l’air joliment content, mon vieux !
— Tu parles ! — répliqua Gégé, qui maintenant considérait comme définitivement réglées toutes les phases de sa soirée. — Je dîne avec papa au restaurant, et, après, nous allons au théâtre…
Il s’était bien proposé de confier à Ribermont la nouvelle du divorce. À son meilleur ami doit-on rien cacher ? Mais le récit de ces événements compliqués lui parut un effort pénible, et il l’ajourna à un autre moment.
D’ailleurs, la cloche sonnait pour le déjeuner. On descendit à la salle à manger où, devant un plat d’œufs brouillés, M. Beaujoint occupait déjà sa place de président.
Les œufs, quoique douteux, arrachèrent à M. Beaujoint des exclamations de volupté. Par contre, il eut de sérieuses difficultés avec le rosbif qu’on servit ensuite. Trois fois le cube de viande résista au couteau trois fois aiguisé. Tous les élèves se regardaient en dessous. Gégé, emporté par la belle humeur, ne sut pas se contenir, et, du ton le plus convaincu :
— Oh ! oh ! — s’écria-t-il, — voilà, si je ne m’abuse, un rosbif de tout premier ordre !
Un éclat de rire général répondit à cette parodie. De stupeur, M. Beaujoint, cramoisi, avait gardé son couteau en l’air :
— Taillard ! Vous serez en retenue de dîner ce soir… Vous dînerez ici !
Les rires tombèrent, comme foudroyés. La retenue de dîner était une des punitions les plus redoutées à la pension Beaujoint. Comptée quatre francs aux parents, une fois donnée, elle ne se reprenait plus. C’était le châtiment sans rémission et sans appel.
— Oui, — poursuivit M. Beaujoint, — vous dînerez ici, et, qui plus est, je vous engage fortement à vous surveiller, si vous ne désirez pas aussi y passer demain votre dimanche… À ma table, je ne veux pas de macaques !
Quelques lâches sourires de complaisance accueillirent cette injure facile. Mais Gégé ne les aperçut même pas. Il était abîmé de chagrin. Toutes les tristesses des jours derniers s’amalgamaient en lui avec cette déception suprême. Pourquoi la malchance s’acharnait-elle ainsi contre sa quiétude, ses rêves et ses plaisirs ? Les paroles de M. Lecherrier lui revinrent à la mémoire. Il songea à son père, à sa mère, séparés, ennemis. Il mêlait dans le même regret sa soirée perdue et le ménage de ses parents désuni. Il se sentait abandonné, persécuté, et, pour la première fois de sa vie, malheureux. Comment garder pour soi tout cela ? Et, sitôt levé de table, entraînant à part Pierre de Ribermont :
— Dis donc, mon vieux, tu sais, il m’arrive un grand malheur ! — déclara-t-il, les regards à terre.
— Bah ! fit Ribermont, résigné, — tu dîneras au restaurant un autre jour !
— Tu n’y es pas du tout… Je te dis qu’il m’arrive un grand malheur : mes parents divorcent !
— Ah ! — fit Ribermont.
Puis, après une brève réflexion :
— En quoi est-ce que c’est un grand malheur pour toi ?
Roger, pris de court par cette question, expliqua tant bien que mal :
— Comment ! tu ne comprends pas ?… C’est pourtant pas malin à comprendre ! Mes parents sont fâchés. Ils ne vont plus vivre ensemble… Alors, moi, tu comprends, je vais me trouver entre eux comme ça… tiraillé… Je serai tiraillé tout le temps.
— Je ne dis pas, — accorda Ribermont, — je ne dis pas !… C’est très embêtant… Mais ce n’est pas un grand malheur !
Roger, vexé, riposta :
— Alors qu’est-ce que tu appelles un grand malheur ?
— Je ne sais pas… Si tes parents mouraient… ou si ils étaient ruinés… ou si tu te cassais quelque chose…
— Eh bien, merci ! — se récria Gégé, suffoqué à l’énumération de tant de catastrophes. — Enfin, moi, je te dis que c’est un grand malheur… Du reste, mon grand-père me l’a dit, et il s’y connaît un peu mieux que toi !…
Ribermont haussa les épaules et maintint :
— Peut-être qu’il s’y connaît mieux que moi… Mais ça n’est pas un grand malheur !
Devant une telle obstination, toute controverse devenait impossible. Gégé s’éloigna froidement. Quelle journée ! Jusqu’à son vieux Pierre qui le lâchait et refusait de compâtir ! De dégoût, après déjeuner, au Bois, il bouda pendant toute la partie de foot-ball et resta assis sur un banc près du maître d’études, en prétextant une crampe à la cuisse.
Au retour, la classe de calcul n’atténua pas sa mélancolie, et quand, sur les quatre heures et demie, l’institution Beaujoint, au complet, s’achemina vers le gymnase Capdemas, le cœur de Gégé restait aussi morne et désemparé.
Non qu’en principe la gymnastique lui répugnât. Le trapèze, les anneaux, les barres lui avaient, au contraire, valu les plus jolis succès. Mais, avec M. Capdemas, on n’était jamais sûr que la leçon ne commencerait pas par une séance d’assouplissements ; et Gégé, tout en enfilant son maillot bleu paon, pariait avec lui-même qu’aujourd’hui ça ne raterait pas.
Effectivement, les dix Beaujoint à peine alignés, M. Capdemas commanda, de sa voix méridionale qui ne faisait tort à aucune voyelle :
— Allons, mes petits… Aux massues !
Les massues ! Gégé ne connaissait rien de plus ennuyeux que cette façon d’assommer en cadence et sans haine des adversaires absents. Il se dirigea lentement vers le ratelier et empoigna deux vieilles massues où quelques traces de vernis vert indiquaient encore la couleur de leur jeunesse.
— Taillard, au temps !… Taillard, gare à vous !… Taillard, ça va barder !
Les avertissements pleuvaient sur Gégé insensible. Comment exécuter en mesure et arriver à point, quand vos parents divorcent ? Le père Capdemas pouvait s’époumonner tant qu’il voudrait. Avec une telle tristesse à l’âme, pas moyen de faire mieux.
— Taillard ! — tonna enfin M. Capdemas, et si fort, cette fois, que le chétif écho de la salle s’en émut, — Taillard ! deux heures de retenue, demain dimanche !
À ce nouveau trait du sort Gégé n’opposa qu’un ricanement amer. La retenue du dîner, la retenue du dimanche, le divorce, tout cela se tenait, rentrait dans la même série noire : il n’y avait qu’à s’incliner.
Mais comme, les yeux un peu voilés par les larmes, il prenait ces conclusions fatalistes, le commandement de : « Halte ! » arrêta brusquement dans leurs assommades les dix petits hercules.
En arrière, les soieries d’une robe bruissaient sur le parquet. Dans la sèche odeur de sciure un frais parfum de white-rose passa. Roger, en louchant un peu, reconnut sa mère, au-devant de laquelle M. Capdemas s’avançait avec des sourires. Tous deux échangèrent quelques mots. Et M. Capdemas ordonna :
— Taillard, sortez des rangs… Pour les autres, repos !
Gégé s’était approché sans fierté. Sa mère l’embrassa. Puis M. Capdemas, lui collant à l’épaule sa main noueuse :
— Taillard, madame votre maman est venue me dire la situation spéciale et particulière qui existe chez vous… Elle vous recommande à mon indulgence… Alors, vu cette situation spéciale et particulière, je vous lève votre retenue.
Et désignant Roger à Mme Taillard :
— C’est que, quand il veut, le drôle, il fait comme un ange !
Gégé baissa modestement la tête, en raclant le sol avec le bout de son pied. Il se demandait si, par la même occasion, et sous le même prétexte, il ne pourrait pas envoyer sa mère chez M. Beaujoint pour obtenir la même grâce. Une espèce de pudeur le retint : si novice qu’il fût dans la situation « spéciale et particulière », charger sa mère d’intercéder pour qu’il dînât avec son père lui semblait peu gentil. Il préféra se borner à de chaleureux remerciements.
— Tu n’es donc plus fâché, serin ? — lui demanda tout bas Ribermont, vers qui, en rentrant dans le rang, il avait hasardé un sourire de paix.
— Mais non ! — chuchota Gégé.
Ils firent côte à côte le chemin du retour. Roger conta à Ribermont l’heureuse intervention de sa mère. Ribermont, par distraction, sans doute, enregistra sans triompher.
Mais, au moment où l’on arrivait, M. Beaujoint fit appeler dans son cabinet le jeune Taillard.
— Fermez la porte, mon ami, — dit-il avec une aménité insolite.
Puis, se grattant familièrement le mollet sous son pantalon :
— Vous avez vu votre père ?
— Non, monsieur ! — répliqua Gégé, la voix aussi ferme qu’il pouvait.
— Il sort d’ici et pensait vous retrouver chez M. Capdemas auquel il voulait vous recommander. Enfin, peu importe ! J’ai reçu aujourd’hui d’abord la visite de madame votre mère ; ensuite, à peu d’intervalle, la visite de M. Taillard… Vous devinez, je suppose, la pensée d’affection qui les avait guidés vers moi… Ils voulaient, chacun de son côté, m’apprendre la situation particulièrement touchante et intéressante qui vous est créée par le malheur que vous savez… Je leur ai promis de ne vous ménager, dans la circonstance, ni mes soins, ni mon bon vouloir… Et, pour première preuve, sur la prière de votre père, j’ai consenti à lever votre retenue de dîner…
— Oh ! monsieur… merci bien ! — balbutia Roger, étourdi par cette succession de coups de théâtre.
— Mais n’allez pas prendre ma bienveillance pour de la faiblesse… Et même, dorénavant, mon jeune ami, si j’ai un conseil à vous donner, méfiez-vous d’un certain esprit caustique auquel vous n’auriez que trop de tendance !…
Gégé remonta vers l’étude, au cri de plusieurs fois répété de : « Chic et veine !… Veine et chic !… » Il avait cette allégresse puissante et sans pensée des petits garçons sauvés par deux fois de la retenue. La joie le poussait comme un ascenseur, et il ne songeait plus du tout au divorce de ses parents.
— Eh bien ? — murmura Ribermont, pressé de savoir.
— C’est papa qui est venu causer au père Beaujoint pour moi. On me lève ma retenue de dîner.
— T’en as une veine ! — fit Ribermont, surtout frappé par la chance de son camarade.
— Tu parles ! — confirma Gégé.
Il était habillé, paré, ganté, depuis une demi-heure, lorsqu’on lui annonça que son père l’attendait en automobile. Il dégringola, trois par trois, les marches de l’escalier. Et, après qu’on se fut embrassé tout son saoul :
— Où dînons-nous ? — questionna Taillard. — M’est avis qu’il vaudrait mieux dîner aux environs du Nouveau-Cirque, où j’aurais l’intention d’aller ce soir, si tu n’y vois pas d’inconvénient.
— Oh ! papa ! — se récria gauchement Roger.
— Alors, chez Voisin ! — dit Taillard au chauffeur.
Au restaurant, Roger s’assit en face de son père. Puis, tous deux, instinctivement, s’adressèrent un long sourire, presque un sourire d’amoureux. Taillard se sentait un peu ému en contemplant ce cher petit être dont maintenant il n’allait plus posséder que la moitié. Et Gégé, après tant de traverses, goûtait la molle béatitude de l’arrivée au port.
— Tu m’aimes bien ? — interrogea tendrement Taillard.
— Oh ! oui, papa ! — fit avec élan Roger.
Le dîner lui parut un enchantement. Jamais, les soirs de théâtre, il n’avait éprouvé cette impression de parfaite sécurité, cette certitude solide que rien désormais ne le priverait du plaisir projeté. Au dessert, Taillard lui permit une coupe de champagne mêlée d’eau. Roger ne se rappelait pas l’avoir vu si jovial. Un autre homme tout à fait ! Il ne s’assombrit qu’un instant, en entendant décrire les splendeurs de la chambre bleue. Mais, aussitôt, une étincelle malicieuse palpita au fond de ses yeux, et il déclara doucement :
— Cela ne m’étonne pas de la part de ton grand-père, qui est la bonté même. Ta mère aussi est une femme pleine de qualités… Et tu vois que ce n’est pas ce divorce qui nous empêchera de t’aimer !
— Oui… oui ! — fit vivement Gégé, qu’un si brusque rappel aux choses du foyer avait d’abord décontenancé.
Par bonheur, c’était le moment de partir. Sans insister sur ce sujet épineux, qui ne le divertissait pas plus que son fils, Taillard solda l’addition et, à petits pas, on s’achemina vers le Cirque…
À la sortie, près du contrôle, Roger, qui s’était princièrement amusé, réfléchit que l’instant arrivait peut-être de faire sa commission concernant l’heure du retour. Mais, justement Taillard lui demanda :
— Es-tu fatigué ?
— Pas du tout.
— Veux-tu que nous allions prendre quelque chose ?
— Oh ! oui !
Gégé, sitôt ces mots prononcés, les regretta. Tant pis ! Déjà l’automobile les emportait par la nuit claire, le long des rues silencieuses. Et puis une demi-heure de plus ou de moins, le mal ne serait pas grand.
Une bavaroise au chocolat et un panier de brioches eurent vite raison de ce restant de remords. Il y avait dans la salle une foule de jolies dames en peau, avec des colliers de perles, des rubis, des diamants, des émeraudes et d’immenses chapeaux à panaches. Des tziganes ponceau jouaient des valses mélancoliques à en pleurer ou des marches américaines à vous rendre ivre de gaieté. La lumière ruisselait des lustres sur les fleurs qui jonchaient les tables. Comme M. Beaujoint, comme M. Capdemas, comme Mme Taillard elle-même étaient loin ! De sa vie, Gégé n’avait passé une aussi bonne soirée.
Enfin Taillard lui fit signe de se lever. L’automobile les ramena avenue Marceau. Tout le long de la route, Taillard tint dans sa main la main de son fils. Sur le seuil, il dit :
— À samedi, alors… Du reste, d’ici là, je viendrai te voir chez M. Beaujoint.
Ils s’embrassèrent de deux forts baisers. Puis, comme la porte se refermait sur Gégé, Taillard regrimpa en voiture et se fit conduire à un restaurant de la rue Royale où Nelly Jelly l’attendait dans un cabinet.