La Vérité sur l’Algérie/06/21


CHAPITRE XXI

La ruse, la naïveté et la religiosité de la race nouvelle.


Si je crois discutable et si je discute l’intelligence de la race nouvelle, je reconnais qu’elle a, très développées, les qualités d’esprit qui, dans les êtres plus rapprochés de l’animalité, donnent l’illusion de l’intelligence.

L’Algérie est la terre d’élection des malins, des roublards et de ce que les officiers de zouaves disent en langage élégant les « tireurs au flanc ».

Étudiez ce prototype de la race algérienne : Étienne. Il n’est pas intelligent. Il est malin. Sa vie est un développement de roublardise. Anoblissons ; de ruse. L’observation des affaires, de la politique en Algérie ; l’analyse des petits faits, la rue, les tribunaux, montrent le triomphe de la ruse. Compliquée d’un humour très spécial. On ne dit pas qu’on a vaincu l’adversaire, mais « qu’on le lui a mis » ; cela n’est pas seulement le langage des charretiers du port, c’est aussi celui des classes les plus élevées de la société. Le délégué financier qui l’emporte sur le concurrent lorsqu’il vient au cercle et qu’on le félicite répond : « Oui, nous le lui avons bien mis. » Quand on parle de l’élection de M. le sénateur Gérente à ses concurrents malheureux ils disent avec une expression qui comprend beaucoup plus d’admiration que de rancune : « Ah ! oui, le bougre nous l’a bien mis. Il est vrai que sans ce cochon de Martin… » Grossièreté… mon livre est documentaire. La ruse, la sale ruse, l’ignoble ruse est admirée, en Algérie même par ceux qui en sont les victimes.

Ce bas esprit de ruse donne à l’Algérie une morale toute spéciale.

Les excès de l’antisémitisme, approuvés par le Télégramme et par la Dépêche algérienne quand M. Casteran et M. Lys du Pac ne les jugeaient que du point de vue de la morale, de la morale mise au point de la vue algérienne (Théorie de la morale-lunette si chère à la Dépêche, voir plus haut page 243 et page 241) ne furent condamnés par les Algériens que lorsqu’ils s’aperçurent que « ça leur donnait mauvaise réputation dehors ». Le crime, ils ne le réprouvent pas en tant que crime ; ils ne disent pas « nous ne devons point voler parce que voler est mauvais » ; ils disent tout simplement « ne volons plus quand on l’apprend ça nous fait du tort ». Et ils ne condamnent point les voleurs dont ils approuvent les actes. Ils condamnent les gens qui disent les vols. Ils ne deviennent pas honnêtes par vertu. Ils rentrent leurs pinces-monseigneur par intérêt. L’attitude civilisée pour eux est une attitude de ruse.

M. Casteran est sur le propos un type caractéristique. Nous avons lu comment il a célébré, sous le vocable de « superbe explosion de colère légitime, etc… », les vols, les assassinats et le reste… Lorsque M. Casteran s’aperçoit que le monde civilisé donne aux actes algériens les noms qui conviennent, il réfléchit et sa ruse écrit :


« … Nous recommencerions l’agitation qui paralyse les affaires, ruine le commerce et fait entrer la misère dans les intérieurs d’ouvriers.

« Et il serait toléré que les actes de pillage qui nous ont faits qualifier d’énergumènes et de sauvages dans la métropole se reproduiraient encore ? Non… » (Télégramme, 22 avril 1899.

« L’Algérie, la vraie, celle qui travaille, celle qui produit… antijuive, elle l’est, mais sagement, parce que évolutionniste et non révolutionnaire. » (Télégramme, 14 mai 1899.)


Une race intelligente manifeste son intelligence dans les crises qui en exigent. L’histoire de l’anti-judaïsme est probante. Il n’y a pas d’intelligence dans la race nouvelle.

Même la ruse dont l’école Dépêche, Télégramme, etc., nous montre l’action ne fut pas tout d’abord comprise. Pour tuer le parti violent de M. Régis et faire du dictateur le vaincu dont tout le monde s’éloignerait à jamais, il fallut employer les seuls moyens qui pussent convaincre une masse inintelligente ; à la force Régis opposer la force Laberdesque.

Quel roman de mœurs, quel pamphlet, quel écrit le plus violent, le plus cruel, pour fouetter la basse et l’inintelligente mentalité de la race nouvelle égalera jamais le simple récit des hauts faits de ces deux champions de l’Algérie… Laberdesque ! Régis !

L’ « âme » algérienne avait reconnu dans M. Milano Régis le chef parce que ce beau jeune homme, un jour d’émeute, aux écoles supérieures, avait passé la revue des étudiants, monté sur une bourrique.

L’ « âme » algérienne reconnut que son culte pour le beau jeune homme s’adressait à un faux dieu le jour où M. Laberdesque osa cracher publiquement dans le verre de M. Régis en l’appelant Caroline, et que M. Régis, vraiment Caroline, eut peur de la cravache de M. Laberdesque.

Mais ce jour-là, M. Laberdesque, s’il avait justement apprécié l’intelligence algérienne, montra qu’il avait compté sans la ruse dito, car il n’avait pas songé que l’Algérie n’ayant plus besoin de lui ne le conserverait point.

Cet esprit de ruse apparaît dans toute l’histoire algérienne. La métropole a, toutes les fois que la question fut discutée au Parlement, condamné le principe de la colonisation officielle, de l’expropriation arabe ; la ruse algérienne, avec ténacité poursuivant son dessein, triomphe aujourd’hui.

La ruse algérienne considère toujours la légalité comme un « écueil. » qu’il faut tourner. Cette année aux Délégations financières, M. Giraud parlant de l’act Torrens, dit :


« … Vous êtes en présence d’un écueil que vous ne pouvez éviter, que le Parlement ne consentira pas à franchir avec vous parce qu’il serait arrêté par la légalité. » (Dél. financ., t. Ier, p. 305.)


C’est devenu normal en Algérie que la ruse à tourner la légalité.

Dans une séance de cette année il y eut sur ce propos un échange de mots doux, caractéristique, entre l’administration et le Parlement d’Algérie.


« Je ferai remarquer à M. Jacquiet en admettant — ce que l’administration n’a pas donné beaucoup de raisons de croire — qu’elle ait cherché à faire passer cette question par la petite porte, il ferait en vérité peu de crédit à son Ingéniosité en supposant que, pour obtenir ce résultat, elle aurait pu avoir recours à une procédure de ce genre. »


C’est toujours cet excellent M. de Peyerimhoff qui nous fournit sur la ruse, pardon, sur l’ingéniosité algérienne du bon document. (Dél. financ., t. Ier, p. 177.) Nous verrons plus loin au chapitre des méfaits de son service jusqu’où va cette ingéniosité.

Voici sur celle de ses administrés une phrase délicieuse :


« M. de Peyerimhoff espère aussi faire venir de la métropole des jeunes gens ayant des capitaux et il escompte les avantages que la colonie en retirera. Alors ce n’est pas un établissement école que l’administration se propose de faire, mais une ferme réclame et j’estime qu’il serait possible d’arriver au même but avec moins d’argent. Il suffirait de battre un peu plus la grosse caisse autour des colons qui ont réussi afin de dissimuler l’échec de ceux qui ont été ruinés par l’incurie et les vexations de l’administration. » (Jacquiet, ibid., p. 174.)


Voilà le ton d’inconsciente immoralité que la ruse algérienne donne aux dialogues des élus et des administrateurs dans le Parlement d’Alger. Je n’invente pas. Je ne rapporte pas. Je cite.

Poussée à bout, cette ruse devient tout à fait inintelligente… comme celle de l’autruche… Ils veulent bien une caisse de retraites, mais ils ne la veulent point doter. Le gouverneur leur dit : « Il est impossible que vous mainteniez le principe d’une caisse de retraites et que vous vous dispensiez de la doter. » (Ibid., p. 88.) Ils n’en refusent pas moins les crédits de dotation tout en conservant la caisse.

C’est que leur inintelligence va jusqu’à la croyance au miracle en matière de finance.

Voici, de M. Vinci, le président de la délégation des non-colons :


« Avec l’act Torrens, nous pourrons décupler la valeur en capital de notre avoir foncier. Cette petite cédille hypothécaire que j’aurai détachée de mon calepin et qui aura une valeur de 3.000 francs, je suppose, sera transmissible par voie d’endossement. Elle passera entre les mains de 5 ou 6 endosseurs et, par conséquent, ce capital de 3.000 francs deviendra une valeur en circulation de 15 ou 18.000 francs. Si notre capital foncier est d’un milliard, c’est, par contre, 5 ou 6 milliards de valeurs que nous pourrions mettre en mouvement. Vous voyez l’accroissement de prospérité publique qui en résulterait. » (Ibid., p. 301.)


Oui… comme dans l’Évangile, on voit la multiplication des pains…

Notons, en passant, ce chiffre d’un milliard, qui vient à l’esprit de M. Vinci, comme celui de la valeur de la propriété algérienne ; c’est celui de l’hypothèque dont cette propriété est grevée.

La conséquence naturelle de la ruse exagérée qui est la naïveté excessive, puis la croyance au miracle avec le développement d’une religiosité fétichiste, on la constate en Algérie. L’Algérie retombe lentement, sûrement, sous le joug — non pas religieux — mais clérical. Ce n’est pas à l’influence de la religion qu’elle cède, mute à celle des gens de religion. Il y a une nuance.

M. Irr protestera, lui, qui disait avec tant de véhémence et de génie français aux Délégations financières :


« J’entends suivre la voie tracée par les idées nouvelles et protester, une fois de plus, avec la dernière énergie…

« Laissez-moi vous dire que la jeune Algérie s’oriente, chaque jour, vers les idées nouvelles. Accoutumée à lire dans l’espace chargé d’azur et de soleil, elle repousse du pied les dogmes anciens, dont les horizons s’arrêtent aux voûtes d’un temple. Au culte des dieux elle substitue le culte des hommes. Elle court droit aux religions sociales et attend, de vous, le geste qui arrachera de votre jeune budget une page toute noircie de millions perdus. »


M. Irr est le patriarche qui enseignait à la jeunesse la bonne parole dans ce mauvais lieu de Mostaganem, où commença la première grande bagarre de l’antisémitisme.

Et l’on ne sait vraiment laquelle apparaît la plus attristante, l’Algérie des libres penseurs ou celle des idolâtres de la religion.

Jadis le catholicisme, compromis en Europe, a repris force en se développant sur le sol d’Afrique. Il se passe maintenant quelque chose de semblable. La croix qui domine Paris du haut du Sacré-Cœur de Montmartre est moins significative que toutes les croix qui pointent, sur les plus hautes collines, autour de nos villes algériennes. Malgré M. Irr, un catholicisme fétichiste reprend l’Algérie. Cela fut caractéristique dans la crise antijudaïque.

M. Barthou a lu le 15 mai 1899, à la tribune, ces extraits du journal la Croix, sur la journée des pillages :


« Eh bien ! ce jour-là, Alger a manifesté pour le Christ plus qu’il ne l’avait jamais fait ; il s’est mis spontanément, ouvertement, sous la protection du Christ ; c’était tout indiqué : chrétien, antijuif, voilà les deux termes inséparables.

« Qui avait donné ce mot d’ordre ?

« Qui avait suggéré cette idée ? Ah ! personne, si ce n’est le Christ lui-même…

« … Le Christ, qui aime les Francs et auquel il faudra bien revenir, puisque lui seul est le Sauveur ; aussi, la protection a été claire, palpable et évidente.

« Pas une maison française… » — Et vous allez voir combien avait raison celui de nos collègues qui évoquait la Saint-Barthélemy.

« Pas une maison française ou même étrangère, ni arabe, n’a souffert le moindre dégât, tandis qu’à côté on saccageait tout chez le juif, et cela, très souvent, entre deux magasins non juifs.

« Il n’y a pas eu une seule méprise : les commerçants français n’ont pas craint un seul instant pour eux ; et même, si le pillage avait duré plus longtemps, on ne leur aurait rien fait ; tous en étaient certains.

« La France, sous la protection du Christ, a tout couvert, sauf les traîtres.

« Puisse-t-elle donc enfin comprendre quelle influence elle exercera dans le monde en s’affirmant de plus en plus ce qu’elle est réellement, chrétienne et catholique avant tout ! »


Et ce mouvement religieux sur quoi nous trouvons, par ailleurs, des détails précis dans les enquêtes universitaires, se compliquait de cette anthropolâtrie que les savants ne voient, en Algérie, que chez le Berbère. Le culte des hommes, nous disait tantôt M. Irr. La croyance en toutes sortes de Messies. M. Casteran, s’adressant à M. Drumont, écrit (Télégramme, 22 avril 1899) :


« Le Messie que vous apparûtes aux vrais Français, lors de votre premier voyage, s’est impudemment métamorphosé… »


M. Régis était aussi un Messie. Et M. Casteran n’a combattu les antisémites que le jour où il comprit qu’on ne voulait pas le prendre, lui aussi, pour un Messie. La crédulité messianique des masses fait la force des politiciens d’Algérie, aussi bien que celle des curés et des congrégations.