La Vérité sur l’Algérie/06/18


CHAPITRE XVIII

L’esprit nouveau, la poésie nouvelle, la langue nouvelle de la race nouvelle.


C’est triste… aussi demandons un peu de gaieté à leur esprit. Comme de toutes leurs qualités, c’est aux moments de crise qu’il faut en chercher l’expression la plus subtile. En antisémitisme.

Mon garçon coiffeur, un jour que je le complimentais, l’ayant trouvé spirituel, m’a dit :

— Ici on a de l’esprit tout naturellement… ça ne compte pas… le mien est insignifiant… Mais celui de M. Moussat !…

M. Moussat est en Algérie l’homme d’esprit. Il y fait les revues et les chansons à succès. Voici un échantillon de ses couplets.


     Beaucoup plus cruel qu’Agrippine
     Dont cert’ il n’a pas la beauté,
     Il faut espérer que Lépine
     Nous débarrass’ra d’ce raté.
     Nous avons assez de sa morgue
     Et de son air outrecuidant…

     Qu’on l’nomme gouverneur de la Morgue,
     C’est la place de Bonbon Fondant.

bis.


C’était pour ennuyer le préfet, dans le Télégramme du 11 octobre 1897. On le voit, pas méchant, méchant…

Ceci non plus :


     Régis, jeune héros, au cœur brave et stoïque.
     Des juifs algériens a pu sonner le glas.
     Sa plume et son épée ont frappé les judas
     Qui bientôt vont quitter notre terre d’Afrique.


C’est que c’était publié par le Télégramme où les plaisanteries les plus risquées — pour ne pas trop déplaire aux fondateurs et gros actionnaires de ce journal, gens de goût — ne pouvaient dépasser ceci :


« Le consistoire Israélite vient de demander à l’autorité supérieure la suppression de l’enseigne d’un restaurant de la rue de Tanger, ainsi conçue :

« À Bar… chie… chat, »


par allusion délicate au nom de Barchichat qui est celui d’un juif notable.

Cela demeurait dans le ton des bonnes plaisanteries de la Lanterne où l’on montrait :


« Lyonne capable de bouffer cinquante kilos de gruyère à condition qu’on ne lui en laisse manger que les trous. »


On trouve beaucoup mieux dans l’Antijuif qui pour sa clientèle de « femmes bien » se croyait obligé de tout exagérer à l’usage des vestales du Souvenir. Quand pour elles on chantait « les Bains de famille », on y mettait des couplets comme celui-ci :


     Y a aussi des sal’s gueul’s de juifs
     Qui promèn’nt leurs odeurs de suifs
     Et r’poussent la luxure à pleins pifs,
              Cochons de gorilles !
     Ils nous regard’nt comme leurs serfs
     Et devant nos femm’s redress’nt leurs nerfs,
     Espérant p’t’-être nous fair’mieux c… erfs
           Aux bains d’familles. »

(Antijuif, 12 septembre 1897.)


Pour celles qui avaient de la littérature et du monde, c’était mots de la fin de ce style :

« On causait de littérature dans un de nos grands salons parisiens.

« — J’adore les romans dans le genre de ceux de l’Abbé Constantin, dit la youtresse Rothschild, et je ne puis m’expliquer comment M. Halévy fait…

« — Il l’a coupé, interrompt Richepin…

« Tête des juifs ! »

(Antijuif, 8 août 1898.)

Pour celles qui avaient de l’histoire on terminait ainsi les monologues :

     Allons, messieurs, pas de retard ;
     Vite, vite. C’est le départ.
     Il ne faut pas que temps se perde
     Et pour adieux je vous dis m… »

Enfin pour celles qui voulaient, gourmandes, esprit tout à fait savoureux, on publiait « l’histoire de deux zéphyrs qui entrent de nuit à la synagogue ».

« … Une armoire aux teintes bronzées attira leur attention. Dans des bocaux transparents, rangés méticuleusement et nettoyés rigoureusement, nageaient dans un liquide hyalin des matières verdâtres.

« — Vé, pitchoun ! des cerises confites !

« — Te troumpo, ce sont des lausannes !

« — Es plombât à la ciro ! Cassons-les.

« Et dans un magistral coup de poing nos zéphyrs brisant les reliques recueillaient avec onction l’alcool qui en découlait.

« Le lendemain David Schwob, grand rabbin, à la vue des dégâts, fit plus que pousser des hauts cris : il griffa. Sa bonne plume de Jérusalem en main, il relata les faits au consistoire dans une épître virulente autant que peu circoncise. Il finissait même par cette apostrophe au président :

« — Ousqui li lé prépouces, m’sieu Honel ? » (Antijuif, 26 août 97.)

Et « celle de l’asticot qui se trompe de cercueil » :

     Un asticot, dans un cim’tière,
     Histoir’ de faire un chouett’ gueul’ ton,
     Se glissa douc’ment sous la pierre
     Qui r’couvrait l’cadavre, dit-on,
     D’un gros banquier mort mi’yonnaire,
     Ça puait la charogn’ ; l’asticot
     Déjà s’en léchait les babines.
     « Vieux macchabé, lèv’ ton pann’tot,
     « Y faut qu’avec ta viande j’dîne,
     « Que j’boiv’ ton pus comm’ de la fine ! »
     Sans s’fair’du mal, il ouv’ la bière ;
     Mais il recule en s’bouchant le nez !
     Là, dans le cercueil, gisait sous terre,
     Un gros youpin : l’asticot v’nait
     D’étr’ à peu près empoisonné.

(Antijuif, 5 août 1897.)


Pas très nouveau.

Pensez-le, mais ne le dites pas en Alger, car ils se croient sérieusement d’avant-garde. Ils en sont encore cependant à l’âge du calembour :


« Je propose un grognement d’honneur et un triple ban en l’honneur de la Purée noire : Hipp ! hippi hourra ! »

« Fermez le ban ! N’oubliez pas surtout d’aller au Cabaret et au Kursaal où les Gaietés de l’Escadron s’annoncent comme un incommensurable succès.

« Pétrone. »

« P.-S. — Qu’est-ce à dire ? Peladan est dans nos murs ? C’est sans doute par sympathie pour cet ennemi de Massenet que nos étudiants essayèrent d’un chahut à Manon ?

« Pour éclaircir la question, je me mis à la poursuite de l’auteur de choses aussi suprêmes que les Pernots.

« Je frappai à la porte de son hôtel :

« — La sar daigne me recevoir ?

« — Le sar dîne, me fut-il répondu.

« — À l’huile ? ajoutai-je par habitude.

« Je suis sar assez, pensai-je en me retirant indigné.

« Si le sar sait : Oh ! mon oncle Francisque ! » (Turco, janvier 1904.) »


Toutes ces calembredaines sont pour eux d’esprit tout nouveau qui paraît du plus fin aux jeunes gens bien élevés… J’ai même connu des gens sérieux, de haute situation, qui ont réputation d’esprit et qu’on invite à dîner pour leurs calembours.

Ils ont des cabarets littéraires : le Clou, la Purée, des arrière-brasseries, des sous-sols…, quelque chose d’un comique lamentable, mais dont ils sont très fiers…

N’oubliez pas que Sarah Bernhardt dans tout l’éclat de son génie fut sifflée par eux. Car ils n’admirent bien que ce qui est de chez eux, que ce qui est eux, que ce qui devient eux…

Ainsi il y a dans la rédaction de la Dépêche un brave immigré qui fait tout ce qu’il peut pour devenir plus Algérien que nature.

Les Algériens connaissant les coins de l’horizon[1], lui a voulu en trouver le bout. Et il l’a trouvé. Rose. Il le chante en beaux vers que les jeunes filles mettent en musique. Le bout rose de l’horizon du poète leur plaît. Ça va très bien. Il devient populaire. Le poète, s’entend. Mais ne va-t-il point s’aviser de publier qu’il est un vaincu !


   Las de la lutte ardente et toujours sans merci,
   Je suis sorti des rangs, résigné, mais sans haine ;
   Et j’ai dit aux vaincus mes frères : « Me voici !
   Je veux ma part de paix éternelle et prochaine ! »
   Tranquille ayant jeté mon rêve sous les pieds
   Et mis sur ce que j’aime un funéraire voile,
   J’ai reposé mon front sur l’herbe des sentiers
   Pour regarder aux cieux ascender ton étoile !
   Parmi les oubliés arrêtés dans l’essor,
   Parmi les ignorés qu’un trop long rêve tue,
   Au front des nuits j’ai vu briller ton astre d’or…

   

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


   Celui que les destins ont vaincu te salue !

Ce charabia, c’était la bonne versification algérienne avec toutes les hardiesses d’images qui charment les clients de l’Athénée… « le front sur l’herbe pour regarder aux cieux », à Marseille on s’étonnerait ; en Alger c’est naturel ; on comprend ; mais ce que l’on ne comprend pas, c’est qu’un homme soit las de la lutte ardente, car on est dans un pays d’ardents lutteurs jamais las ; mais ce que l’on n’admet pas, c’est qu’un homme se dise vaincu… même par le destin. Ça, jamais. À peine est-il permis d’accepter la victoire de la Mort. Et encore est-ce pour lui demander des ailes afin de remonter au ciel.

Le poète Henri Sans l’a bien compris, lui qui nous dit :


   Comme l’oiseau meurtri par la terrestre fange,
   Notre âme erre, ici-bas, dans le regret des cieux
   Où n’ont pu la garder ses blanches ailes d’ange
   Trop frêles pour une âme au vol audacieux.
   Mais au seuil du tombeau refleurit l’espérance.
   Malgré l’exil amer où nous retient le Sort,
   Nous trouverons enfin, dans l’ultime souffrance,
   Pour remonter au ciel, les ailes de la Mort.


Henri Sans est ce poète qui, à la gloire tapageuse offerte aux artistes algériens par Paris, préfère les lauriers plus discrets d’Alger.

Il me serait impossible de passer en revue tous les poètes jeunes et vieux, mâles ou femelles de l’Algérie… vraiment il y en a trop… Et c’est toujours quelque chose dans le genre de ce qu’on vient de lire. De vagues réminiscences d’harmonie. Dans le démarquage ça se tient à peu près. Dans l’inspiration personnelle ça boite. Et ça fait un rythme singulier ; un mélange d’images et d’idées amenées par les hasards du mot, du nombre de syllabes exigées. Et le terrible c’est que le climat porte au lyrisme. Ils se croient tous forcés de chanter. Un officier file dans le Sud, il faut qu’il rimaille. De braves garçons qui parfois écriraient bien en prose s’ils voulaient être simples et se contenter de dire bonnement ce qu’ils ont à dire, quand ils ont quelque chose à dire, éprouvent le besoin de se montrer ridicules par de mauvaises petites poésies… C’est une maladie qui se prend. Je me suis vu sur le point de l’avoir. On me fit heureusement lire quelques sonnets de M. Lys du Pac. Et ça m’a guéri.

Tout cela est beaucoup plus mauvais qu’en Haïti où le climat porte aussi effroyablement à la poésie.

Bref, si l’on voulait caractériser la déformation du rythme de l’harmonie et du sentiment français dans la poésie vraiment algérienne on pourrait dire que les poètes de la race nouvelle ont fait de la lyre un bigophone et qu’ils en jouent tout le temps. Observez que je rends hommage à leur tempérament de gens de progrès. Je n’ai pas dit mirliton.

Cette altération du rythme, de l’imagination, du sentiment se complique d’une inquiétante déformation de la langue dans presque tous les écrits algériens. C’est l’impression que l’on éprouve à la lecture des journaux et des documents officiels. Je ne voudrais pas abuser des citations de la prose de M. de Peyerimhoff. Mais cette prose est caractéristique et montre combien rapidement agit l’ambiance. Il n’y a pas besoin d’être « fils d’acclimaté » pour ne plus parler français. Je vous ai dit que ça se gagnait. Après peu d’années de séjour M. de Peyerimhoff n’a plus rien, sur ce propos, à envier à M. de Soliers.

Si vous avez lu les écrits de M. de Soliers et que vous ayez gardé le souvenir de ses images telles que :

« Les faits actuels qui seuls rentrent dans le giron de l’arithmétique. » (Rapport budget 1903.)

ou que :

« Les crédits reproducteurs. » (Rapport budget 1903.)

ou que :

« Même soumis à une responsabilité atténuée le gouverneur ministre sera parfois emporté par les crises violentes qui éclatent certains jours sur les bords de la Seine. Mais ces crises deviennent de moins en moins fréquentes, et dans tous les cas le représentant de la France et de l’Algérie ne naviguera plus sur une mer constamment tourmentée où le plus habile pilote, après avoir doublé les récifs de Charybde, n’est jamais bien sûr d’échapper aux gouffres de Scylla. » (Rapport budget 1903.)

vous jugez que c’est difficile, impossible. Mais M. de Peyerimhoff est un homme fort et ne veut se laisser battre sur aucun terrain par M. de Soliers. Lisez :

« Il y a dans votre constitution un luxe de formalités, de précautions peut-être excessives qui ont pour but, quoi ? de limiter vos pouvoirs ? non, messieurs, certains d’entre vous n’en ont peut-être pas encore mesuré toute l’étendue, mais de canaliser vos efforts dans un sens véritablement pratique et efficace, de faire de vous, quoi ? des pseudo-députés, d’autres conseillers généraux ? — non pas, les negotiorum gestores de la colonie entière. Vous êtes une assemblée d’affaires, par opposition aux assemblées politiques, vous êtes un conseil d’administration : délibèrent-ils dans la poussière de la place publique ?

« … Le régime que l’on sollicite pour vous serait un brusque et dangereux tournant dans votre évolution dont il contredit toute l’orientation et la demande que vous en feriez serait comme une indication alarmante que vous ne vous êtes pas compris vous-même. » (1904, Dél. financières, 1er  vol, t. Ier, p. 42.)

Ailleurs il leur dit à ces bons negotiorum gestoribus :

«  Je vous prie, messieurs, de vouloir bien réserver à cette question toute la maturité et tout le recul qu’elle comporte. »

Et c’est comme ça toujours…

Dans ce que l’on pourrait dire la littérature d’affaires, la littérature politique de l’Algérie, on observe une pauvreté de pensée, une confusion de conception, une incohérence d’expression… Les mots sont désaffectés. On les emploie indifféremment. La richesse de notre langue, il semble que les Algériens la considèrent comme M. de Peyerimhoff notre budget, « qu’ils doivent conserver avec elle des liens précieux sous des formes variables et détournées ». Il se passe également dans leur esprit quelque chose d’analogue à ce que l’on voit sur les « chantiers neufs ». L’ouvrier se sert indistinctement des outils. Comme il n’en a point beaucoup, son « débrouillage » les adapte à tous usages. Quand la civilisation lui en donne beaucoup, l’habitude est prise. C’est la confusion. C’est le cas des mots de la langue française dans le vocabulaire de la nouvelle race. Ou bien l’Algérien emploie le même mot pour désigner les réalités les plus diverses ; ou bien quand il veut richesse, variété, il confond ; tel un « moutchou » qui met les étiquettes marmelade sur les pots de cornichons, et réciproquement ; la confusion qui caractérise leurs poètes dans l’emploi de l’image, qui leur fait dire que pour voir au ciel ils posent le front sur l’herbe du sentier, cette confusion nous l’observons dans l’emploi du mot ; elle est plaisante à la pêcherie et dans les cabarets des « centres » ; mais je la trouve énervante dans les journaux, affligeante dans les documents officiels. Vous la pourrez constater souvent au cours de cet ouvrage, car la documentation en exigera beaucoup de citations. Elle a été notée par tous les observateurs.

J’ai lu dans le Siècle du 15 octobre 1898 :

« La science moderne n’est pas restée indifférente aux déformations que la langue latine a subies sous la plume des Africains. Elle s’est plu à relever dans saint Cyprien, Tertullien et le grand Augustin même, les fautes de goût et les corruptions de langage dont leur style n’a pu se défendre, sous l’influence fatale du milieu.

« Il s’en faut de beaucoup que notre littérature, quant à présent, doive d’aussi grands noms à l’Afrique française. Dans l’ordre littéraire comme dans le reste, l’Algérie ne nous a pas encore été prodigue de grands hommes. En revanche, notre idiome subit déjà, de l’autre côté de la Méditerranée, une altération des plus fâcheuses. »

Cette altération, sauf quelques puristes comme M. Casteran, M. de Soliers, M. Lys du Pac, M. E. de Redon, etc., qui croient avoir une solide syntaxe pour carcasser leur rhétorique et leur éloquence, les Algériens en sont d’ailleurs très fiers.

Dans les mois à gale bédouine on voit des colons qui « portent » leurs bourbouilles comme si les boutons en étaient glorieux. Au régiment le vieux soldat qui a belle vérole en affecte supériorité sur les bleus. Ne parlant plus français l’Algérien veut que l’immigré l’admire. Et il force la note. Il y a dans la littérature algérienne (!) un monsieur Musette qui a compris cela. Il leur a donné Cagayous. Ils ont applaudi. M. Musette a du génie.

Voici les vers de Cagayous :

     Oullà ! j’t’asseur’ ci pas gai l’agzestence
     Quand ti n’bé pas ovrir la magasin
     Sans baroufa, sans fir la rospétance
     Et je si pas combien tant di potin !
     J’ti jeur, battel jé laiss’li marchandèses :

     On franc cenquante on zoli patalon
     Et quarant’sos on dozèn’di chimèses.
     Aouat ! le monde y torne la talon.
     Tpou ! y na hal din ou din saloup’rie !
     Oullà ji vos asseur, ci dégotant,
     Vos avez pas fini cit plaisant’rie !
     Ti veux je crèbe ou jé bolott’ di vent ?
     Y a trop longtemps qu’vos ît’s dans la misère
     Et nous, ti crois qu’nos sont didans l’bonhor.


Et voici la prose de Cagayous :


« … Maintenant le monde qui commande c’est des chiqueurs, des trois quatre cinq et des fégnants. Bessif, faut que toi tu les casses et que tu mets nous autres à la place d’euss. Ti es républicain oui ou m…

« — Double qué !

« — Ti es antijouif, antiriche, antipoulice, antitout ?

« — Et alorss, si moi je suis pas ça que vous disez, qui c’est qui l’est ?…

« Procès-verbal.

« Mengo qu’il avait parlé mal de la sœur à Léon, Léon il a appelé grand bâtard à Mengo. Alors Mengo il a pris la rage et il a dit à Léon que sa sœur c’est une chouarrie, un wagon, un fourneau. Léon il est venu blanc et il a été sarchê des témoins…

« Max Régis il a été élu. Vive lui ! Moi je n’ai pas porté pour de vrai ; j’ai pas écrit l’affiche. Lefant de p… qui m’a volé le nom pour eh… un œuf de coq en s’attrapant le coup de sang, si vrai qu’y a un Dieu, si jamais je me le choppe j’y force qu’il écrit dedans la Lanterne jusqu’à temps qui s’apprend à parler algérien que tous les patriotes d’ici on le comprend.

« Des fois ça s’peut qu’c’est Lutaud !

« Cristo, si ça serait lui.

« Depuis longtemps, tous ceux-là d’ici, les antijuifs et lés antitout, y rouspètent après un homme qui pense rien qu’à faire la misère à le monde. À cause de lui le commerce y s’en va à la baballah ; on s’ensassine à chaque moment ; darrière chaque type y suit un espion ; on n’a pas le droit de crier ça qu’on veut, sans que la police elle vous f… le grappin dessus ; tous les cafés, les bars, les bodégas, les mignettes, les tchic-tchic, les petits borozun ousqu’on mange l’olive et le serra y z’ont été fermés en soi-disant qu’on parle polétique Barberousse c’est rempli des endividhus qui sont pères de famille et tout.

« En voyant ça la rage elle me mange le sang. Les camarades y me parlent.

« — Cagayous, t’es pas un homme si tu laisses que ce m… là y reste un mois de pluss ici. Casse-le, ho ! que nous venons tranquilles.

« — Aspéra, j’y réponds à la bande faut qu’y saute aussinon je perds la figure, mécago in dio.

« J’ai fait venir mes camarades de l’ancien temps qui sont capables et je m’ai sorti ma Lanterne… Faut d’garce d’ensassin, qui s’a bouloté le chemin vecinal dedans l’hôtel Bradefort, y s’en rappelle pas d’ça, lui !

« Voleuse de sort, si je neme retiens pas, je me le rouvre !

« Ça fait rien…

« … Quand il a vu que moi j’y pisse au… et que mon journal il a pas pour d’aucun y s’a pris la cagade et il a demandé à son chef de Paris qu’il y sange la place tout de suite…

« Ententions, hein, si çuila qu’y vient y marche pas avec les antitout, je le prends pas en retraite, d’avant qui se salit la première chimèse, nous se le traboquons. »


Un pince-sans-rire du Temps fit un jour l’éloge de Cagayous. Depuis, l’Algérie est persuadée que le héros de M. Musette par l’univers est admiré. Certes, je trouve génial qu’un homme ait si bien compris à quel point l’Algérie a la hantise et le goût et l’amour de l’ordure. C’est un héros national ce type au nom symbolique, Cagayous… Avec Pepete le Bien-Aimé, Cagayous inaugure à merveille la série des glorieux qu’attend le Panthéon de la nouvelle race. Ils avaient à choisir dans la foule héroïque et magnifique des Français qui ont mis leur sang et leur labeur dans cette terre… mais des types français pour ces littérateurs, pour ce public d’Algérie ne pouvaient symboliser la nouvelle race ; ils ont retenu Cagayous et Pepete le Bien-Aimé !

Et lorsque nous refusons notre admiration, disant notre dégoût de ces pourritures, ils nous condamnent cuistres :


« … Si d’ailleurs les cuistres osaient reprocher l’heureuse audace de son style à Musette, celui-ci, j’imagine, ne serait pas en peine de la justifier par l’exemple de grands maîtres tels que Montaigne, Mathurin Régnier, Jules Vallès, Zola et Jean Richepin.

« … Créer ce type, c’est là du grand art et j’oserai le dire, de l’art purement classique.

« Toutes proportions gardées, Corneille, Racine, Molière, La Bruyère ne font pas autre chose. »


Cela était signé Paul Gisel et publié par la Dépêche algérienne le 17 juin 1899.

  1. « Voilà bientôt six ans que nous sommes venus ici des quatre coins de l’horizon du bled… » Discours de M. Vinci. Délégations financières. 23 mars 1904.