La Vérité sur l’Algérie/06/03

Librairie Universelle (p. 158-162).


CHAPITRE III

Les précédents historiques. Rome.


La race romaine implantée par la force des légions dans l’Afrique du Nord y aurait prospéré, C’est le précédent qui allume de joie nos conquérants de l’Algérie et leur dicte los et dithyrambes… Nous sommes les héritiers de Rome. Le Romain a peuplé l’Afrique du Nord, y a fait souche ! Le Français doit peupler et faire souche !

Le Romain n’a pas peuplé. Le Romain n’a pas fait souche. Il en fut de son peuplement comme de sa domination. Précaire toujours. Le général Duvivier l’écrivait : « À toutes les époques la domination romaine fut précaire. » C’est les pions de Sorbonne qui nous ont collé cette légende de l’occupation romaine « bien assise ». Ils ont vu des quantités de cailloux. Beaucoup de ruines de forteresses. Et ils en ont déduit que l’occupation était forte… C’est lorsque toutes ses places sont fortifiées que le maître d’un pays y est vraiment faible. Voilà la réalité. C’était celle de Rome. Quant à son peuplement, la lecture intelligente nous montre ce qu’il était.

Puis voulez-vous bien réfléchir. Ils nous parlent de l’émigration romaine, d’une race romaine ayant pris racine, et tenu, et multiplié dans l’Afrique du Nord… Mais, grands dieux ! où Rome aurait-elle pris ces émigrants, Rome qui n’avait plus assez de Romains, assez d’Italiens pour ses armées et qui devait enrôler des barbares et qui mourut d’avoir mis le glaive romain au poing de l’étranger ?…

L’aventurier de partout affluait à Rome ; s’il en partait ensuite pour l’Afrique du Nord, y devenait colon, ce n’était point la race romaine qui s’implantait. Et c’est à l’honneur de Rome, car les colons de l’Afrique du Nord s’ils gardaient le nom romain n’en avaient certes plus les vertus. Ils étaient brillants, bruyants… mais pour le reste… lisons ce qu’en écrit un compilateur des auteurs anciens, le vieux Gibbon :


« Quoique Carthage ne possédât ni les prérogatives de Constantinople ni peut-être le commerce d’Alexandrie ou la splendeur d’Antioche, elle passait cependant pour la seconde ville d’Occident et les contemporains la nommaient la Rome d’Afrique.

« … Cette riche capitale quoique asservie présentait encore l’image d’une république florissante…

« Une subordination régulière d’honneurs civils s’élevait depuis les commissaires des rues et des quartiers jusqu’au tribunal du premier magistrat, qui, avec le titre de proconsul jouissait du rang et de la dignité d’un consul de l’ancienne Rome. Des écoles gymnastiques étaient ouvertes à la jeunesse et on enseignait publiquement les arts libéraux, la grammaire, la rhétorique et la philosophie en langues grecque et latine…

« Un port vaste et sûr facilitait le commerce des habitants et attirait celui des étrangers. La réputation des Carthaginois n’était pas aussi brillante que celle de leur ville ; le reproche fait à la foi punique convenait encore à la finesse et à la duplicité de leur caractère. L’esprit du commerce et l’habitude du luxe avaient corrompu les mœurs ; mais les vices les plus odieux, contre lesquels Salvinien, prédicateur de ce siècle, s’élève avec véhémence sont le mépris coupable des moines et la pratique criminelle du péché contre nature. »


Et, comme si cela ne suffisait point, Gibbon ajoute :


« L’auteur anonyme de l’Espositio totius mundi compare dans son latin barbare le pays avec les habitants et, après avoir reproché à ceux-ci leur manque de bonne foi, il dit froidement difficile autem, inter eos invenitur bonus, tamen in multis pauci boni esse possunt. »


Puis :


« Salvinien assure que les vices particuliers de tous les pays se trouvent rassemblés à Carthage. Les Africains s’enorgueillissaient de la pratique de leur vice favori. Et illi se magis virilis fortitudinis esse credebant qui maxime viros fæminei usus probrositate fregissent… »


Oui. Sans vous contenter de l’idée mise en vous des splendeurs latines de l’Afrique romaine par des diplomates comme M. Millet, par des historiens comme M. Boissier, remontez aux sources, voyez quel ignoble personnage était devenu le « soi-disant » Romain d’Afrique. Et, si après sa morale et sa vertu vous étudiez sa politique, vous verrez avec quelle impatience il supportait le joug de la métropole, Rome ou Constantinople ; combien de libérateurs surgirent ; combien d’empereurs l’Afrique donna, voulut donner ; M. Max Régis n’est pas un phénomène nouveau. Et si vous relisez, si vous lisez, vous verrez également comment les Méditerranéens devenus Africains, lorsqu’ils ne luttaient point contre la métropole se déchiraient entre eux. Combien l’homme féroce en Europe le devenait plus en Afrique, et l’exaspération des haines sur tout prétexte, politique ou religieux. Les persécutions, la sauvagerie et l’orgueil. J’ai senti revivre cela, quand sur les murs intérieurs de l’altière cathédrale de Saint-Louis de Carthage, peinturlurée en sérail américain, j’ai lu, pleine de superbe, l’inscription du pontife exaltant la primatie de son église rivale de toutes, supérieure à toutes…

M. Jonnart nous a dit que ce pays pourrit très vite les vernis et que c’est très désagréable pour les entreprises de chemins de fer, que les métaux même… Et les âmes ! Qu’y devint l’âme romaine ?

Non, non. Je vous en prie, si vous me voulez donner espoir en l’avenir de ma race sur ce sol maudit, jamais plus ne me parlez de Rome… Quand l’Afrique apparut bien romaine on disait de ses colons : «  Difficile inter eos invenitur bonus, tamen in multis pauci boni esse possunt. »

Jamais, vous dis-je, ne citez plus Rome. Car l’exemple de Rome vous condamne. C’est de la crapule que la force de Rome avait péniblement accrochée à la terre africaine, et qui disparut sans avoir pris racine, emportée, comme elle avait été apportée, par l’orage.