La Tyrannie socialiste/Livre 5/Chapitre 2

Ch. Delagrave (p. 181-184).
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CHAPITRE II

Les causes des grèves.


Le mineur de naissance et le mineur d’adoption. — Les terrassiers et la Série des prix. — La grève d’Anzin 1884. — Aveu de M. Basly. — Les chapeliers. — Prétention des syndicats. — Grèves imposées par une minorité.


D’après une sèche énumération, on ne peut se rendre compte des causes véritables des grèves, de leur bien fondé, de leur proportion entre le risque à courir et le résultat à obtenir. Nous ne pouvons que citer quelques faits qui nous donneront certains aperçus sur la psychologie de la grève.

À Anzin, en 1878, les ouvriers ne faisaient connaître aucun grief, ne formulaient aucune réclamation précise. Dans mes conversations avec un grand nombre d’entre eux, je ne pus dégager qu’une seule idée nette : les mineurs de naissance se plaignaient de la concurrence que leur faisaient les mineurs d’adoption « qui venaient gâcher le métier ».

Quand une grève éclata en mai 1880, à Roubaix, la difficulté était de savoir ce que voulaient les grévistes.

Au mois d’Août 1882, les menuisiers de Paris se mettent en grève, non pas pour une question de salaire ; car voici la progression qu’il avait suivie : 1877, 0,60 ; 1879, 0,70 ; 1882, 0,80 ; mais ils demandent la diminution des heures de travail et la suppression du marchandage.

Nous avons parlé des cahiers des charges que le Conseil municipal avait la prétention d’imposer aux adjudicataires des travaux de la ville de Paris, établissant un maximum d’heures de travail et un minimum de salaire. Dans deux rues voisines, un beau matin, en 1888, se trouvèrent des terrassiers qui travaillaient à des conditions différentes : les uns étaient placés sous le régime de l’ancien cahier des charges et les autres sous le régime du nouveau. Les premiers ne comprirent pas cette différence ; ils ne comprirent pas mieux qu’ils devaient gagner moins que leurs camarades quand des conseillers municipaux essayèrent de le leur expliquer, et ils se mirent en grève.

Quand la grève d’Anzin éclate, en 1884, on réclame la suppression du marchandage, on proteste surtout contre un nouveau mode de travail et M. Basly déclare[1] dans sa déposition devant la délégation de la commission des 44 que « si les ouvriers d’Anzin eussent connu le mode de travail actuel, la grève n’aurait pas éclaté. »

Quand les mineurs sont en grève, ils invoquent les questions d’administration des caisses de retraite et de secours. Cette réclamation permanente suffit rarement pour déterminer la grève ; mais elle apparaît toujours comme un des principaux griefs plus ou moins bien motivés. Souvent quand la compagnie a cru avoir une intention excellente, cette intention est dénaturée ou prise en mauvaise part.

Les grévistes ont invoqué, à maintes reprises, à Bessèges, en 1882, à Anzin, en 1884, à Decazeville, en 1886, l’institution des sociétés coopératives de consommation.

En 1881, la société de secours mutuels des chapeliers qui, comme elle le reconnaît, était un syndicat de résistance, imposa une grève dans des conditions qui montrent jusqu’où peut aller, dans la conception de certains syndicats, l’idée du pouvoir des syndicats et le mépris de la liberté du travail. La maison Crespin, Laville et Cie avait deux maisons, l’une, rue Vitruve et l’autre, rue Simon-le-Franc. Elle payait les ouvriers de cette dernière au tarif de la société et les premiers à un tarif plus bas. La société ordonne à celle-ci de se mettre en grève. Ils obéissent. Elle ordonne aux ouvriers de la maison de la rue de Simon-le-Franc de se mettre en grève à leur tour. Certains se soumettent ; d’autres protestent, en disant : — Nous travaillons au tarif de la société : nous sommes en règle. Nous n’avons pas de motif pour nous mettre en grève. Vous ne pouvez l’exiger de nous. — On vous expulsera. — Et nos cotisations pour la caisse de retraite, etc. ? — Perdues.

Une assemblée générale est convoquée et, avec des procédés menaçants, oblige les ouvriers de la rue Simon-le-Franc à faire grève !

Beaucoup de grèves qui se sont produites dans ces derniers temps viennent de la prétention des syndicats à imposer leur autorité dans les ateliers et usines, à ne pas souffrir qu’il s’y trouvât un ouvrier non-syndiqué. Au mois de janvier 1893, cette prétention provoqua non seulement la grève dans l’usine Marrel mais par solidarité, les ouvriers des autres usines, Brunon, Arbel, Deflassieux, Lacombe, des Aciéries de la marine, etc., etc., les ont quittés sans invoquer aucun grief, ni formuler aucune réclamation.

La grève est déclarée : mais par qui ? Est-ce à l’unanimité ? Pas du tout. C’est une minorité le plus souvent qui prend la résolution. Si elle trouve de la résistance, elle a recours à l’intimidation, aux injures, aux menaces et même aux coups. En mars 1882, à Bessèges, 2 ou 300 individus se mettent en grève : 5.500 ouvriers voulaient travailler, et finissent par céder.

Le 25 novembre 1889, à la Chambre des députés, je signalais qu’à l’Escarpelle, le 7 novembre, une réunion spontanée d’ouvriers antigrévistes avait combattu la grève. Malheureusement, c’est là un acte de courage isolé dans l’histoire des grèves.

Le 19 novembre 1891, je disais à la Chambre des députés, sans que mes renseignements pussent être contestés, que la grève des mineurs du Pas-de-Calais, avait été déclarée à la suite d’un vote dont les voix se répartissaient de la manière suivante : 13.000 pour ; 7.000 contre ; 10.000 abstentions et la grève générale est proclamée.

Ensuite on nomma des délégués pour formuler des revendications qui devaient, a posteriori, la justifier.



  1. Rapport de M. Clémenceau, p. 50