La Turquie, son gouvernement et ses armées pendant la guerre d’Orient/01
L’histoire des guerres modernes n’est considérée le plus souvent qu’au point de vue de la stratégie : elle ne s’adresse pas dès lors à toutes les intelligences, nous ne le contestons nullement ; mais on la trouvera, ce nous semble, féconde en enseignemens d’un intérêt général, si, laissant de côté la partie technique, on vient à l’étudier dans ses rapports avec l’état des sociétés. La guerre, qui met en jeu toutes les forces vives des nations, ne nous apprend pas seulement ce que vaut leur organisation militaire, elle nous révèle encore l’esprit de leurs institutions politiques, l’étendue de leurs ressources matérielles ; elle nous fait apprécier le développement de leur intelligence, de leur civilisation, de leur industrie, en un mot les conditions mêmes de leur existence sociale. Les observer en temps de paix, c’est en quelque sorte observer la nature au repos. La part que les Turcs ont prise à la guerre d’Orient mérite, dans cet ordre d’idées, toute notre attention ; elle n’eut pas sans doute d’influence réelle sur les événemens de cette époque, mais elle nous permet d’analyser la situation de l’empire ottoman au sortir d’une de ces révolutions qui parfois rendent aux nations une nouvelle vie, qui parfois aussi épuisent leurs dernières forces.
La tâche que le sultan Mahmoud avait si laborieusement poursuivie pendant le cours de son règne pouvait être considérée vers la fin de 1853 comme définitivement accomplie. L’antique organisation militaire et féodale due au génie des premiers conquérans turcs était détruite de fond en comble : les milices des sipahis et des janissaires, qui en formaient la base, avaient perdu leurs privilèges et leurs domaines ; le régime du sabre faisait place aux formes savantes et compliquées d’un gouvernement emprunté à la civilisation la plus avancée ; les institutions nouvelles étaient acceptées sans résistance, et déjà des esprits ardens voyaient en elles la régénération de la Turquie. Cependant l’œuvre de Mahmoud n’avait pas encore subi sa dernière épreuve : la guerre allait faire reparaître, à travers cette couche d’une civilisation factice, les vices qui depuis des siècles minent l’existence de l’empire.
Aujourd’hui la situation de la Turquie ne pourrait laisser d’illusion à personne, si les idées n’avaient été complètement faussées par les publications passionnées qui, pendant le cours de la dernière guerre d’Orient, vinrent inonder l’Europe. Les apologistes de la Turquie avaient alors seuls la parole : ils se gardaient de nous dévoiler les hontes et les misères de nos alliés ; ils nous les montraient, au milieu même de leurs malheurs, dignes de toutes nos sympathies par les mâles vertus dont ils avaient conservé l’héritage. Depuis six mois, ne tenaient-ils pas en échec les armées du tsar sur les bords du Danube ? n’avaient-ils pas remporté la victoire dans de sanglantes rencontres où ils combattaient un contre quatre ? Ces fables et tant d’autres que l’imagination des Turcs enfantait au milieu des émotions de la guerre étaient accueillies avec enthousiasme par la presse européenne, qui les livrait en pâture à la crédulité de ses lecteurs ; elles sont insensiblement passées depuis lors presque à l’état de vérités historiques.
Si nous voulons cependant nous former une idée juste de la Turquie, de son gouvernement et de ses armées, il nous faut détourner notre attention des bords du Danube, où les Turcs obtenaient des succès illusoires, pour interroger les souvenirs de la guerre qui s’engagea en Asie et se termina par la capitulation de Kars. Les incidens de cette guerre sont demeurés à peu près inaperçus en France ; mais, de l’autre côté du détroit, ils furent l’objet de vives préoccupations, qu’explique la jalousie inquiète de la nation anglaise en ce qui touche sa prépondérance en Asie. La chute de Kars causa dans toute l’Angleterre une profonde émotion, bientôt suivie de récriminations auxquelles le ministère crut devoir répondre par la publication de sa correspondance avec lord Stratford de Redcliffe, le colonel Williams et les officiers qui dirigèrent la défense de la place. Cette correspondance nous initie aux moindres détails de l’organisation militaire des armées turques, et par là même nous permet de remonter aux causes premières des désastres qu’elles essuyèrent en Asie. Les armées sont en tout pays ce que les font les institutions qui les régissent. Or, nous le savons maintenant par des témoignages irrécusables, les institutions politiques et militaires de l’empire ottoman sont profondément viciées par la corruption générale des mœurs ; la société tout entière est arrivée à son dernier terme de décomposition. Cette fois, pour nous, le voile se déchire, et la Turquie nous apparaît dans toute sa misère et sa décrépitude.
Ce fut vers le milieu de l’année 1854 que lord Clarendon, alarmé des nouvelles qu’il recevait d’Asie, se résolut à envoyer à Kars le colonel d’artillerie Williams. Les instructions de cet officier lui prescrivaient de rendre compte à son gouvernement de la situation des Turcs et de s’efforcer en même temps de mettre un terme aux désordres de tout genre qui, s’il fallait en croire les renseignemens transmis dès lors par l’ambassadeur d’Angleterre à Constantinople, menaçaient d’anéantir en Asie non-seulement l’armée, mais la domination même du sultan. Ces renseignemens n’étaient que trop exacts. Au moment où le colonel arrivait à sa destination, l’armée de Kars n’existait plus que de nom ; l’incurie du gouvernement, l’ignorance barbare et l’impudente rapacité des généraux, l’inconduite, l’ivrognerie, l’ignominieuse lâcheté des officiers avaient été pour elle la source d’une longue suite de désastres. Tous les services étaient désorganisés, les magasins épuisés, les caisses vides, le pays ravagé. Les soldats, livrés à la plus affreuse misère, désertaient par milliers ; Kars allait se trouver sans défenseurs. Cette importante position une fois tombée entre les mains des Russes, l’Asie-Mineure, dénuée de tout moyen de résistance, leur était ouverte jusqu’aux rives du Bosphore. Les Turcs le savaient, mais l’effort suprême qu’ils avaient dû faire pour entreprendre la guerre contre la Russie les avait complètement épuisés ; les rouages du gouvernement, qui fonctionnaient encore, tant bien que mal en temps de paix, s’étaient brusquement arrêtés ; la nation tout entière était tombée dans un état de torpeur voisin de l’anéantissement.
Si dans un moment aussi critique la Turquie s’abandonnait elle-même, l’Angleterre était là qui veillait pour elle. Cette fidèle alliée en ce moment ne pouvait lui venir matériellement en aide, mais elle avait à sa disposition de ces hommes qui pour les empires valent des armées. Lord Stratford à Constantinople, le colonel Williams à Kars allaient, par la seule force de leur volonté, rendre à la Turquie défaillante un dernier souffle de vie.
Le colonel Williams était le type de cette énergique race anglo-saxonne qui partout semble appelée à dominer. Seul au milieu de ces régions barbares, il n’hésite pas à s’emparer du gouvernement du pays. Pour rétablir la discipline dans l’armée, l’ordre dans l’administration, il se voit obligé d’entrer en lutte ouverte avec cette société corrompue. Son inexorable sévérité lui attire bientôt la haine des généraux, des gouverneurs de province, des administrateurs des finances, des fonctionnaires de tout ordre acharnés à la curée des provinces de l’empire. Irrité des obstacles que ces misérables lui suscitent, il les dénonce au divan, les fait arrêter, les envoie sous bonne garde répondre à Constantinople de leurs méfaits. Grâce à ces exemples, il parvient à se faire obéir ; maître dès lors de la situation, il commande, il exécute, et devient ainsi l’âme de la défense du pays. Au nom de lord Stratford, tout tremble devant lui, car, les Turcs le savent, lord Stratford à son tour fait trembler le divan. Il parle au nom de l’Angleterre, et le langage de cette puissance est le dur langage que tenait Rome à ses alliés. « Votre excellence, écrit lord Clarendon, informera Rechid-Pacha du parfait mécontentement que cause au gouvernement de sa majesté la conduite des affaires en ce qui concerne l’armée d’Asie. » Lord Stratford n’est point homme à atténuer dans ses communications de si hautaines paroles ; il ne ménage au divan ni les leçons, ni les réprimandes, ni les injonctions, à peine voilées sous la forme de conseils. La physionomie de cet homme d’état, qui eut une si grande influence sur les destinées de la Turquie, se détache nettement dans sa correspondance. À chaque pas se fait jour l’âpreté de ce caractère difficile, cassant, mais ferme, actif, infatigable dans la défense des intérêts qui lui sont confiés. Nous le voyons discuter les plans de campagne, présider au choix des généraux, à l’organisation de leurs armées, surveiller les préparatifs de guerre, presser les envois de troupes, de vivres, de munitions. Il entre, en ce qui touche l’Asie, dans les moindres détails que lui signale le colonel Williams. Les sabres de cavalerie sont trop courts, ils doivent être remplacés par d’autres achetés en Angleterre. L’étamage négligé des gamelles est une cause de dyssenterie pour les troupes, il faut se hâter d’y porter remède. Le calibre des balles ne peut être le même pour les armes rayées et les fusils de munition. Rien, on le voit, n’échappe à sa vigilance ; mais en même temps sa seigneurie ne daigne pas même accuser au colonel Williams réception de ses dépêches.
« Le colonel Williams (écrit lord Clarendon à lord Stratford) est entouré de traîtres et de voleurs ; il a besoin de toute l’aide et de tout l’encouragement que peuvent lui donner les serviteurs de sa majesté. Le gouvernement de la reine ne peut voir sans regret la mortification qu’a dû ressentir cet officier en n’obtenant pas un mot de réponse à cinquante-quatre de ses dépêches. »
« J’en ai bien reçu soixante-dix, sans compter les pièces à l’appui (répond vivement lord Stratford). J’ai appelé l’attention du gouvernement ottoman sur celles des observations du commissaire de la reine qui ont rapport à l’organisation des armées du sultan ; mais il en est d’autres qui ne rentrent évidemment pas dans ses attributions, ou qui me semblent d’un intérêt contestable, et j’ai cru devoir en référer à votre seigneurie avant d’en entretenir les ministres du sultan : les questions de forme ou de compétence ne sauraient m’arrêter dans la voie que je suis pour obtenir d’eux ce qui me semble utile à la cause commune. Dans cette vue, je m’efforce d’éviter toute difficulté personnelle, toute discussion avec les individus qui doivent agir de concert avec moi pour le service de sa majesté. Je laisse ainsi à l’appréciation de votre seigneurie les défauts de forme qui échappent au commissaire de la reine et ne s’accordent pas avec les égards qu’il doit à l’ambassadeur de sa majesté… Enfin je voudrais savoir quelle est exactement la position attribuée au colonel Williams et l’étendue de nos devoirs réciproques… Il paraît que le commissaire de la reine se croit le droit d’exiger une obéissance immédiate, soit qu’il demande la punition ou la destitution d’un officier accusé par lui, soit qu’il indique une réforme à introduire, soit qu’il trace le plan d’une opération militaire. Si tels sont les pouvoirs qui lui sont conférés, je ne vois pas en quoi ils diffèrent de ceux d’un général en chef. Je remarque enfin dans les instructions de votre seigneurie qu’il est recommandé au colonel Williams d’entretenir les relations les plus amicales avec les officiers turcs, et je me hasarde à demander si les formes abruptes, les menaces, les propos violens, les ordres absolus qu’atteste sa correspondance, s’accordent avec les intentions de votre seigneurie. »
Tout en blâmant le colonel Williams de la rudesse avec laquelle il traite les Turcs, tout en rappelant à lord Clarendon le danger d’anéantir les restes de l’indépendance du pays, lord Stratford n’en soutient pas moins son compatriote dans l’exercice de l’autorité qu’il s’est arrogée. Demande-t-il à être élevé au grade de ferik, grade qui lui assurera plus complètement le respect et l’obéissance des Turcs, lord Stratford ne se contentera pas d’obtenir à l’instant cette faveur. L’usage veut que les Européens prennent en pareille occurrence un nom musulman qui déguise aux yeux des soldats leur qualité de chrétiens. Lord Stratford n’entend point se soumettre aux préjugés du pays ; il exigera que le colonel soit proclamé ferik sous le nom de Williams-Pacha, et le divan finira encore par se soumettre à cette exigence. Le jeûne du ramazan empêche-t-il les soldats de travailler aux fortifications de Kars, la loi religieuse devra céder aux considérations militaires. Le cheik-ul-islam, consulté par lord Stratford, trouvera une interprétation du Koran qui permette aux soldats de rompre le jeûne. Faut-il des exemples pour rétablir la discipline, arrêter les déprédations, faire taire les murmures des officiers, des généraux, le divan concédera tout. Les plus hautes dignités n’abriteront pas les coupables ; ils seront arrêtés, traînés en prison, jugés, condamnés. Lord Stratford veillera encore à ce qu’ils n’échappent point au châtiment de leurs méfaits, ainsi qu’il arrive trop souvent en Orient. Les mouchirs Achmet-Pacha, Moustafa-Zarif-Pacha, les feriks Aali-Pacha, Souleyman-Pacha, les livas[1] Achmet-Pacha, Moustafa-Pacha, Kourd-Moustafa-Bey, Kadry-Bey, Nouri-Bey, et nombre d’autres officiers-généraux et supérieurs sont ainsi traduits devant des conseils de guerre pour vol, ivrognerie ou lâcheté sur le champ de bataille. Le ferik Schoukri-Pacha, commandant intérimaire de l’armée d’Asie, et son chef d’état-major Hussein-Pacha, accusés d’avoir manqué de respect au commissaire de la reine, n’échappent à une condamnation que grâce aux subterfuges de leurs protecteurs à Constantinople.
Le divan aurait voulu parfois se soustraire à la sollicitude de cette incommode amitié, mais lord Stratford n’a garde de l’abandonner à lui-même. Il connaît l’apathie des Turcs, leur esprit d’intrigues, leur vénalité, leur corruption, « ce chancre, dit-il, qu’il combat depuis douze années. » Il ne leur accorde ni repos ni trêve, il veut les sauver en dépit d’eux-mêmes ; mais il veut poursuivre cette œuvre à sa guise, et il faut que le gouvernement anglais ne contrarie en rien sa volonté. Lord Clarendon s’avise-t-il de se plaindre de l’abandon où le divan laisse l’armée d’Asie, lord Stratford prend alors la défense de ses protégés ; mais en quels termes !
« Sans doute il est à regretter, dit-il, que les ministres ottomans apportent à suivre les conseils que je leur transmets une lenteur si peu compatible avec les exigences de la situation. On ne fait pas boire des chevaux malgré eux : le proverbe n’est pas moins vrai à Constantinople qu’à Londres ou à Paris ; mais, si je ne puis décider mes chevaux à prendre une allure plus vive, je dois dire que les circonstances parfois les excusent. Les rigueurs de l’hiver, les distances, l’état des routes, le défaut d’argent, l’étendue du mal auquel il s’agit de porter remède, la difficulté pour le gouvernement de trouver des agens qui méritent sa confiance,… ces causes et tant d’autres que je pourrais énumérer entraînent des pertes de temps. Je regrette qu’il en soit ainsi, je blâme les ministres ottomans de ne pas mettre plus d’activité à surmonter les obstacles qui s’opposent à la marche des affaires ; mais je ne saurais m’en étonner. Non, la corruption, l’ignorance, l’égoïsme des intérêts privés, en étouffant le patriotisme, auraient partout les mêmes conséquences. Des chancres aussi profonds, aussi invétérés sont la ruine des empires, et les nations n’échappent à leur action destructive qu’autant que l’opinion publique est en droit de les stigmatiser et d’exiger qu’il y soit porté remède.
« L’Angleterre elle-même a-t-elle toujours été à l’abri de la contagion ? N’avons-nous jamais entendu parler de Bacon et de Marlborough ? Avons-nous oublié les mémoires de Pepys et les hontes de cette époque ? Les dénonciations de Burke ne résonnent-elles pas encore à nos oreilles ? Le mal existe partout en germe ; mais, suivant les temps, les lieux, les circonstances, il se développe avec plus ou moins de violence. En Turquie, le mal est à son comble. Dans la chrétienté, il est généralement en décroissance. En Russie, il infecte toute l’administration, et causerait les mêmes maux qu’en Turquie, si la toute-puissance du gouvernement ne le combattait avec énergie. »
Lord Stratford dit plus loin : « La corruption générale mène à sa ruine l’empire ottoman. » Tel est évidemment, sur le présent et sur l’avenir de la Turquie, le dernier mot de cet homme d’état, et ce mot trouve partout sa confirmation dans la correspondance soumise au parlement. En retraçant aujourd’hui les incidens de cette guerre d’Asie qui jettent à notre sens la plus vive lumière sur la situation de l’empire ottoman, nous avons interrogé soigneusement cette correspondance. Les renseignemens qu’elle nous offrait ont pu être complétés grâce à quelques informations particulières ainsi qu’aux relations publiées par le général Bystrzonowski, le général Kmety, le colonel Lake, le chirurgien militaire Sandwith, et divers autres Européens qui vinrent à cette époque offrir leurs services au sultan. Telles sont les sources d’un travail dont la campagne d’Arménie et la défense de Kars marquent les divisions principales.
« La position de Kars, écrivait Fuad-Pacha à lord Clarendon, est la clé de nos frontières d’Asie. Si cette place venait (à Dieu ne plaise !) à tomber entre les mains des Russes, d’abord Erzeroum serait menacé, puis toute l’Anatolie serait en danger : cela est indubitable. »
Il est facile de s’expliquer l’importance que les Turcs attachent à ces derniers débris de leur puissance en Arménie. Si nous examinons en effet la configuration de cette partie du globe, nous voyons qu’un énorme massif de montagnes sépare le bassin central de l’Asie du bassin de l’Europe méditerranéenne. Les chaînes du Caucase, de l’Alaghez, de l’Ararat, du Taurus[2], en forment la charpente ; ces chaînes suivent une direction sensiblement parallèle du sud-est au nord-ouest, et soutiennent une succession de plateaux qui s’élèvent en forme de degrés depuis les plaines basses de l’Asie jusqu’à la région comprise entre l’Ararat et le Taurus. La ville d’Erzeroum est située dans cette partie du massif, au point de partage des eaux, qui se déversent en tous sens. L’Euphrate et le Tigre vont se jeter dans le golfe Persique, l’Araxe et la Koura dans la Mer-Caspienne, le Tchorok et les deux Irmaks dans la Mer-Noire. Le maître de ce point de partage des eaux se trouve maître en réalité de toute la partie occidentale de l’Asie. Il n’a qu’à suivre le cours des fleuves pour descendre dans l’Asie-Mineure, dans la Mésopotamie, dans la Géorgie, dans la Perse.
Cette considération ne pouvait échapper au génie conquérant des Turcs, et lorsqu’ils tournèrent leurs regards vers l’orient, ils songèrent tout d’abord à s’emparer de l’Arménie. Le sultan Sélim II, par la conquête d’Erzeroum, ouvrit la voie à ses successeurs Soliman le Grand et Mourad III, qui enlevèrent aux Persans la Géorgie et la Mésopotamie. Après une lutte qui dura près d’un siècle, les Turcs se trouvèrent en possession de cette longue chaîne de montagnes qui, sous le nom de montagnes de l’Arménie et du Kurdistan, s’étendent en ligne droite de la Mer-Noire à la mer des Indes. Ils n’avaient plus qu’un pas à faire pour descendre en Perse ; ils touchaient à l’apogée de leur puissance, qui dès lors allait rapidement décliner. Déjà ces expéditions lointaines entraînaient d’immenses difficultés. De graves désastres firent même sentir aux sultans la nécessité d’asseoir fortement leur domination en Arménie avant de pousser plus loin leurs conquêtes. Pendant le cours de ces guerres, leur base d’opérations était toujours Erzeroum ; mais la situation de cette ville au milieu d’une plaine la rendait, dans les idées du temps, peu propre à la défense. Il fallait donc avant tout s’assurer des passages des montagnes qui d’Erzeroum mènent en Perse et en Géorgie. Du côté de la Perse, il n’existe qu’une seule route, suivie de temps immémorial par les armées et les caravanes. Au sortir de la plaine d’Erzeroum, elle gagne, à travers les monts Bingel, la vallée de l’Euphrate, la remonte jusqu’aux sources de ce fleuve et débouche dans la plaine de Tchaldiran par le col de Bajazid, dépression qui sépare la flèche de l’Ararat du massif inaccessible des montagnes du Kurdistan. Du côté de la Géorgie, les chaînes parallèles au Caucase, l’Ararat et l’Alaghez, opposent un double obstacle à la marche des armées. Bien qu’à la rigueur ces montagnes puissent être traversées sur d’autres points, elles ne livrent un passage facile que dans la partie suivie par la grande route d’Erzeroum à Tiflis. Cette route franchit la chaîne de l’Ararat au col désigné par les indigènes sous le nom de Soghanly-Dagh, coupe la plaine qu’arrose le Kars-Tchaï, s’enfonce dans l’Alaghez, et par la gorge d’Ellidara gagne Tiflis et la Géorgie. Aussi le premier soin du sultan Mourad III, après la conquête de Tiflis, fut-il de se rendre complètement maître de cette communication en fortifiant la ville de Kars. Ce sultan, dont le nom est resté attaché aux grands monumens de la puissance militaire des Turcs en Asie, fit quelques années après relever l’enceinte d’Erivan et remettre en état de défense les autres villes enlevées aux Persans. Il couvrit le pays d’un réseau de places et de châteaux-forts qui servaient à ses armées de dépôts de vivres et de munitions, qui jalonnaient les étapes des colonnes et leur permettaient ainsi de se mouvoir librement dans un pays impraticable à la marche de longs convois.
Dans le système de défense que les Turcs avaient adopté, ils conservaient en Géorgie quelques avant-postes, tels que les châteaux de Tiflis, de Gori, de Gandzak, destinés à tenir en bride les princes chrétiens et les khans des bords de la Caspienne, qui reconnaissaient la suzeraineté de la Porte ; mais leurs véritables lignes de défense étaient d’abord la chaîne de l’Alaghez : les passages de ces montagnes étaient occupés par des châteaux, dont quelques-uns ont encore joué un rôle dans les guerres avec la Russie. L’histoire nous a transmis ainsi les noms des châteaux d’Atzchweri, de Kerthvisi, d’Achalkalaki. Plus loin s’étend jusqu’au pied de l’Ararat un vaste et fertile plateau. Au milieu de ces plaines s’élevaient trois grandes places fortes, où pendant le cours de leurs guerres se concentraient les armées turques : Kars, Érivan et Achaltziche. Enfin, sur le revers opposé de l’Ararat, les villes d’Olti, Hassan-Kalé, Toprak-Kalé, Bajazid, reliées par une multitude de châteaux, couvraient en dernière ligne la capitale de l’Anatolie.
Tel était l’ensemble des positions que les Turcs, à l’époque de leur grandeur, occupaient en Arménie. Ils s’y étaient longtemps maintenus au milieu d’alternatives de succès et de revers. Cependant les Persans avaient fini par recouvrer une partie des territoires perdus. De longues brèches se trouvaient ouvertes ainsi dans les lignes de défense des Turcs, quand un nouvel ennemi, apparaissant au-delà du Caucase, vint menacer l’existence des deux nations rivales. Les progrès de la Russie furent rapides. Aujourd’hui elle est solidement assise en Géorgie ; elle a forcé la ligne de l’Alaghez. La place d’Achaltziche, enlevée aux Turcs en 1828, et la citadelle de Goumry, hexagone bastionné construit depuis cette époque au débouché des gorges d’Ellidara, lui donnent pied en Arménie. Enfin les provinces d’Érivan et de Nachdjevan, après de longues vicissitudes, sont également tombées au pouvoir de la Russie. Les Russes se trouvent ainsi maîtres des défilés de l’Ararat, ils peuvent descendre sur Bajazid et, par la route de Perse, gagner en quelques marches Erzeroum ; mais ces provinces, séparées de la Géorgie par les âpres montagnes qui entourent le lac de Zevanga, ne leur offrant pas une base d’opérations assez large, la route directe de Tiflis à Erzeroum est encore la grande ligne stratégique que les Russes doivent suivre pour arriver à la conquête de l’Anatolie, et cette route leur est interdite par la position de Kars. En un mot, Kars est pour la Turquie d’Asie ce qu’est Choumla pour la Turquie d’Europe.
Aux premiers indices d’une guerre avec la Russie, la Porte avait dirigé sur cette ville les troupes qu’elle destinait à la défense de ses frontières d’Asie ; elle en avait donné le commandement au mouchir Abdi-Pacha. Ce personnage appartenait, en Turquie, à la nouvelle école ; il avait fait ses études militaires en Allemagne, et jouissait, à ce titre, d’une réputation de savoir et de capacité que nul ne s’avisait de contester à Constantinople. Le ferik Sélim-Pacha occupait avec un autre corps d’armée Bathoum et le littoral de la Mer-Noire.
Les Turcs prirent, de ce côté, l’initiative des hostilités. Dans la nuit du 31 octobre 1853, ils franchirent le Tchorok et enlevèrent un petit poste avancé, décoré pompeusement du nom de fort Saint-Nicolas. Le mouchir pénétra en même temps dans les provinces arméniennes soumises à la Russie ; il les ravagea sans rencontrer la moindre résistance de la part de l’ennemi. L’armée du Caucase était encore dans ses cantonnemens. Loin de se disposer à envahir le territoire ottoman, elle n’était pas même en mesure de repousser l’agression des Turcs. Ce n’est pas là le fait le moins curieux de cette campagne, et nous ne saurions en trouver l’explication que dans la politique suivie par l’empereur Nicolas lors de ses démêlés avec la Porte. Ce prince venait de se décider à occuper les provinces danubiennes. Intervertissant l’ordre naturel des idées, il jetait ainsi le poids de ses armées dans la balance, et considérait cette mesure comme un terme moyen qui seconderait ses négociations sans mener à la guerre. Il se trouva donc pris au dépourvu du côté de l’Asie. Des renforts y furent envoyés en toute hâte, mais en attendant l’armée russe se trouva réduite à l’inaction. La jactance des Turcs s’en accrut naturellement. Après un engagement fort insignifiant près de Bayandir, le mouchir annonça officiellement à son gouvernement qu’il avait taillé en pièces les ennemis, et qu’il se disposait à leur enlever les places de Goumry et d’Achaltziche, où ils étaient venus chercher un refuge.
À l’arrivée du Tartare porteur de ces nouvelles, l’enthousiasme des défenseurs de la cause ottomane ne connut plus de bornes ; le nom de Schamyl était alors dans toutes les bouches, et nul ne doutait qu’à la tête de soixante mille Circassiens il ne vînt rejoindre les Turcs dans leur marche sur Tiflis. Du reste il nous serait difficile de dire si, dans ce premier moment de surprise, l’invasion de la Géorgie n’avait pas quelque chance de succès. Nous devons l’avouer, les événemens qui signalèrent cette partie de la campagne nous sont très imparfaitement connus. On voit seulement que les bulletins du mouchir Abdi-Pacha excitaient l’hilarité de ses propres soldats. « Vous avez traversé notre bivouac, disait un chef de bachi-bozouks, Aali-Bey, au docteur Sandwith[3] : nos hommes couchent à la belle étoile ; moi, j’ai cette tente pour abri. Sachez cependant que, s’il faut en croire nos pachas, nous avons ici deux mille tentes enlevées aux Russes. Mon histoire est connue de toute l’armée. Dans une de mes courses, j’avais eu la chance d’arrêter un chariot escorté de quelques cavaliers. Ce chariot contenait des sacs de biscuit et une tente. J’amenai ma prise au mouchir. « C’est bien, me dit-il ; garde pour toi la tente. » Cette tente, vous la voyez. Un mois après, un de mes hommes m’apporta le journal ; j’appris ainsi qu’après un combat acharné, nous avions enlevé aux Russes un convoi chargé de biscuit et deux mille tentes. — Les pachas, ajoutait d’un ton sentencieux le chef de bachi-bozouks, sont les pères du mensonge. »
Les triomphes des Turcs furent du reste de courte durée. L’arrivée de la 18e division et d’une brigade de la 13e ayant mis les Russes en mesure de reprendre l’offensive, ils attaquèrent le corps d’armée qui, sous les ordres du ferik Aali-Pacha, menaçait Achaltziche. Ce général avait éparpillé ses troupes autour de la place. Grâce à ses mauvaises dispositions, il n’eut pas le temps de les concentrer au moment décisif. Le 26 novembre, les Russes, un peu avant le jour, enlevèrent à la baïonnette le village de Soukoupliss, où les Turcs s’étaient retranchés. Canons, drapeaux et bagages tombèrent entre leurs mains. La déroute fut complète. Aali-Pacha ne songea d’abord qu’à pourvoir à sa propre sûreté ; mais, une fois hors de danger, il s’efforça d’arrêter à coups de sabre les fuyards. Le ferik donnait ce témoignage de bonne volonté un peu tard. « L’affaire était finie depuis deux heures, le mal était sans remède ; » telle est la remarque judicieuse que nous trouvons dans un rapport adressé à Haïreddin-Pacha[4]. À la nouvelle de cet échec, le mouchir donna l’ordre à son lieutenant ou reis Achmet-Pacha, qui observait Goumry, de se retirer sur Kars. Celui-ci, n’ayant pas opéré son mouvement à temps, se vit à son tour attaqué par le général Béboutof à Basch Kadik-Lar. L’action s’engagea dans la matinée du 2 décembre 1853 ; elle fut vive. Le canon des Turcs fit éprouver aux Russes des pertes sensibles ; mais Vély-Pacha, qui arrivait avec sa division sur le champ de bataille, n’osa pas s’engager et laissa écraser les troupes du reïs. Cette fois encore la débandade fut générale ; toute l’artillerie tomba aux mains des Russes. Le désarroi de l’armée turque fut tel qu’en arrivant à Kars, les soldats mirent à sac la ville et les bazars.
À leur retour, les généraux s’accusèrent réciproquement de ces désastres. Le mouchir Abdi-Pacha, qui était resté à Kars, se plaignit amèrement de la désobéissance de ses lieutenans ; mais le lieutenant Achmet intrigua si bien à Constantinople qu’il fit retomber la faute sur la tête de son chef, et obtint le commandement de l’armée à sa place. Ce fut là un nouveau malheur. Abdi-Pacha était sans doute un médiocre personnage ; ses connaissances militaires, si fort prisées à Constantinople, étaient nulles. Pendant son séjour à Vienne, il ne s’était occupé en réalité que d’ornithologie, science évidemment peu propre à former un général. Du moins il était honnête homme, et son successeur se trouva être un misérable.
La campagne était finie ; la tâche du nouveau mouchir se réduisait donc à veiller pendant l’hiver à l’entretien de ses troupes ; mais Achmet avait bien d’autres soucis : il s’agissait pour lui de rentrer, avant tout, dans son argent. Le commandement d’une armée dans ce pays est dispendieux à acquérir, plus dispendieux encore à conserver. En thèse générale, un Turc ne saurait parvenir, s’il n’est la créature de quelque dignitaire de l’empire, et nul ne saurait acheter trop cher les bonnes grâces de tels protecteurs. Ce n’est pas tout d’ailleurs, il faut compter encore avec le sérail ; femmes, eunuques, serviteurs du sultan, ne se laissent point oublier. Tout ce monde une fois gorgé, il reste enfin à partager les bénéfices avec les ministres. Or, Achmet le savait, le séraskier Riza-Pacha n’entendait pas laisser contester ses droits sur ce chapitre. Il partageait avec l’apothicaire de l’armée, à plus forte raison avec le général en chef. Achmet pilla donc, mais il pilla si démesurément que son armée faillit en périr de misère et de faim. « Rien ne peut donner idée de l’horreur de l’hiver qui s’écoula pendant le commandement d’Achmet-Pacha, dit le docteur Sandwith ; les soldats, entassés dans des caves, dans des réduits infects, couchés sur de la paille pourrie, privés de vêtemens, de combustibles, d’alimens même, succombèrent par milliers. La plume se refuse à décrire le spectacle des hôpitaux. Tel était l’épuisement des malades que, dans les cas de fièvre simple, leurs extrémités se gangrenaient avant que la vie ne fût éteinte en eux. De larges tranchées, ouvertes à grand’peine dans la terre gelée, reçurent ainsi plus de douze mille cadavres que les chiens et les loups venaient dévorer pendant la nuit. » Grâce à l’incurie du gouvernement, ces faits eussent passé inaperçus, si lord Stratford ne s’en fût ému. Il provoqua une enquête, et sur le rapport de Haïreddin-Pacha, qui se rendit à Kars à la fin du mois de mars 1854, Achmet et son chef d’état-major Aali-Pacha furent arrêtés et traduits devant un conseil de guerre. Pendant longtemps, nous voyons lord Stratford poursuivre le châtiment des coupables, et enfin l’obtenir.
On avait fait un exemple ; mais ce n’était pas tout : il fallait trouver un successeur à Achmet. Le séraskier Riza-Pacha avait tout juste sous la main un homme qui réunissait à son gré les qualités nécessaires pour réorganiser l’armée et la commander dans le cours de la campagne prochaine. C’était le gouverneur d’Erzeroum, Moustafa-Zarif-Pacha. Barbier de son état, Moustafa-Zarif avait été au service du séraskier, qui l’avait pris en amitié et lui avait fait obtenir l’emploi de trésorier dans un régiment. Une fois lancé, Moustafa-Zarif, qui ne manquait pas d’intelligence, s’était poussé dans le commissariat. Malheureusement il avait été dénoncé pour ses rapines et s’était vu destituer. Un accident semblable n’est point de nature à briser la carrière d’un Turc. Le séraskier ne lui en continua pas moins sa protection, et, pour le dédommager, le fit entrer dans l’administration civile. Cette fois la fortune fut moins cruelle au barbier ; il parvint rapidement au poste de gouverneur de province. Il n’avait ainsi qu’un pas à faire pour devenir mouchir. Sans doute de tels antécédens ne nous semblent point donner droit au commandement des armées ; mais en Orient un usage immémorial veut qu’un Turc soit propre à tous les emplois. La volonté du sultan eût appelé Moustafa-Zarif aux fonctions de ministre des finances, d’ambassadeur ou d’amiral, que nul ne s’en fût étonné. Du reste, une fois nommé mouchir, Moustafa-Zarif justifia la confiance du séraskier : il sut allier dans une proportion convenable le service de l’état au soin de ses intérêts. Naturellement il ne s’oublia pas ; mais, loin d’imiter la coupable incurie de son prédécesseur, il prit des mesures énergiques pour mettre son armée en état d’entrer en campagne. Il s’occupa d’abord des approvisionnemens. S’étant aperçu de la détestable qualité des farines que livrait le munitionnaire Kosma, il le prit à partie ; à la suite d’explications orageuses, il le fit saisir par ses aides-de-camp et lui appliqua de sa main une volée de coups de canne. Ce retour aux vieux usages produisit le meilleur effet dans l’armée. Les premières chaleurs ayant permis en même temps de tirer les soldats de leurs demeures dans la ville pour les faire camper sous la tente, le changement d’air et les ablutions prescrites par la loi religieuse eurent bientôt rétabli la constitution naturellement vigoureuse des Turcs. Dès lors les travaux du camp retranché furent poussés avec activité. Le mouchir enfin s’occupa de combler les vides ouverts dans les rangs de l’armée par les misères de l’hiver précédent. Les ressources de la conscription se trouvant déjà épuisées, il fit saisir tous les hommes valides que ses gendarmes rencontrèrent sur leur chemin et les enrôla dans ses régimens. Grâce à ces levées et à quelques renforts venus de Constantinople, l’armée se trouva compter environ quarante mille hommes de troupes régulières sans les bachi-bozouks, qui, ne recevant ni solde ni vivres, s’étaient tirés d’affaire en ravageant affreusement le pays.
Avant d’entrer en campagne, le mouchir se résolut à passer ses soldats en revue. Pour lui donner idée de l’ordre d’une armée en bataille, les généraux européens dont le sultan avait accepté les services se chargèrent de disposer les troupes sur le terrain : l’infanterie sur deux lignes, l’artillerie dans les intervalles, la cavalerie sur les ailes, les réserves en arrière. Le mouchir, entouré de son état-major, parcourut les rangs ; il inspecta à diverses reprises l’armement et l’équipement des différens corps ; il n’oublia pas, en passant, de laisser tomber quelques mots d’une familiarité soldatesque. Moustafa-Zarif n’était pas sans avoir entendu parler de Napoléon. À son exemple, il s’arrêta devant un vieux sergent et lui saisit l’oreille en l’interrogeant sur ses campagnes. À ce geste, le sergent s’imagina qu’il allait recevoir la bastonnade et poussa des hurlemens lamentables. Outré d’une telle stupidité, le mouchir jugea que les officiers seuls étaient en état de le comprendre. Les ayant réunis autour de lui, il les harangua en ces termes : « Officiers de l’armée d’Anatolie, nous allons attaquer les giaours russes, combattre pour notre padishah et notre patrie. Montrez-vous ce que vous êtes ; gardez-vous surtout de fuir, car moi, votre mouchir, je serai là pour vous surveiller et vous punir. Au milieu du feu, les milazims veilleront sur les soldats, les uzbachis sur les milazims, les bimbachis sur les uzbachis, les miralaïs sur les bimbachis, les livas et les feriks se tiendront un peu plus en arrière et veilleront sur les miralaïs, et moi je suivrai tous les mouvemens des livas et des feriks. Vive le padishah ! » Après cette allocution, le mouchir se fit apporter sa pipe et donna l’ordre de faire défiler les troupes.
L’aspect de ces troupes était singulièrement misérable. Les uniformes en lambeaux n’offraient plus la moindre trace des couleurs primitives. Les capotes et les sacs avaient été perdus l’année précédente pendant les déroutes qui avaient suivi les affaires d’Achaltziche et de Bach-Kadik-Lar. Depuis lors, nulle mesure n’ayant été prise à cet égard, la plupart des soldats en étaient réduits à porter leurs effets noués dans un morceau de toile. Du reste ils n’avaient ni bas, ni souliers, le plus souvent point de chemise ; enfin telle était l’incurie du gouvernement et des généraux que, malgré la rigueur du froid, leur tenue était encore le pantalon de toile. Sous leurs haillons, ces malheureux soldats conservaient un air martial ; leurs armes étaient bien entretenues, ils les maniaient avec aisance et régularité, mais c’était tout. Leur instruction, en ce qui touche l’école de peloton et de bataillon, était complètement négligée. Les manœuvres les plus simples s’exécutaient avec lenteur et confusion.
La cavalerie était hors d’état de rendre le moindre service : les vices de son. organisation ne lui permettaient même pas de soutenir la comparaison avec la cavalerie irrégulière des bachi-bozouks. Les hommes, formés par des instructeurs européens à une école dont les principes sont en désaccord avec les usages du pays, étaient pour la plupart mauvais cavaliers. Nous devons ajouter qu’ils n’avaient ni bottes, ni éperons, et que leur armement était des plus mal entendus. Quant aux chevaux, de race petite, mais vigoureuse, ils étaient tellement exténués qu’ils pouvaient à peine supporter le poids de l’homme. Les bachi-bozouks au contraire, livrés à eux-mêmes et vivant aux dépens du pays, avaient pour leurs chevaux la sollicitude qui distingue les Orientaux. Ils les montaient à leur mode et en tiraient un très bon parti. Armés de l’antique djerid, ils lançaient avec une adresse merveilleuse ce long roseau dont la pointe acérée transperçait l’ennemi avant qu’il pût les joindre à l’arme blanche. Malheureusement les bachi-bozouks, recrutés parmi les tribus kourdes que les mesures du sultan Mahmoud avaient exaspérées, n’étaient attirés cette fois sous les drapeaux que par l’espoir du pillage. C’étaient de lâches brigands, et rien ne rappelait en eux la valeur des sipahis, véritables seigneurs féodaux dont les derniers débris ont été enveloppés dans la ruine des janissaires.
L’artillerie seule était dans des conditions meilleures. Les hommes sans doute étaient tout aussi déguenillés, mais les chevaux avaient moins souffert, le matériel était en état convenable. Le contraste avec les autres armes était même frappant. On en peut trouver la cause dans l’aptitude et la prédilection des Turcs pour le service de l’artillerie. Cette disposition est naturelle à toutes les races asiatiques, et les instructeurs ont formé ainsi une classe d’excellens sous-officiers qui, à défaut d’officiers, répondent aux premières exigences du service en campagne.
Ce ne sont pas, on le voit, les soldats qui manquent à l’empire ottoman. Encore aujourd’hui les Turcs méritent cet éloge suprême que leur donne Montecuculli : « ils sont braves, sobres et patiens ; » mais ces qualités sont frappées d’impuissance par le défaut d’organisation. Dans le système de guerre moderne, il ne faut pas l’oublier, l’individu disparaît ; les masses organisées jouent seules un rôle, et par ce motif les cadres d’une armée font toute sa force. Or dans l’armée turque les cadres n’existent que de nom. L’avancement n’est soumis à aucune règle ; les rudes débuts du service militaire n’assurant ainsi aucun avantage, les classes riches délaissent le métier des armes pour entrer dans les carrières civiles, qui conduisent même au commandement des armées. Les officiers subalternes sont des soldats tirés des rangs par le caprice ou le hasard. Rien ne les sépare de leurs subordonnés avec lesquels ils vivent dans une familiarité que repousse toute bonne discipline ; rien ne les excite à s’élever par le mérite, l’instruction ou la valeur, — l’intrigue seule et l’argent donnant accès aux grades supérieurs. Ceux-ci reviennent de droit à l’ignoble classe des chiboukjis, barbiers, valets et commensaux des grands fonctionnaires. Complètement étrangers à l’armée, corrompus par l’atmosphère de Constantinople, créatures du sérail et des ministères, ces hommes n’apportent dans les camps que leurs vices. Le mépris qu’ils inspiraient ressort de la correspondance de tous les officiers anglais qui se sont trouvés en contact avec eux. « Ils sont, nous disent-ils, lâches, voleurs, débauchés et ivrognes. » Ce dernier vice semble extraordinaire chez les Orientaux ; il est en réalité, de tous les résultats de la civilisation, le seul qui se soit généralement propagé chez les Turcs. Tout individu qui se fait gloire d’avoir pris part aux lumières de l’Occident se fait par là même gloire d’avoir su vaincre les préjugés religieux relatifs à l’usage du vin ; mais là se borne le plus souvent le goût des Turcs pour la civilisation. Infatués d’une vaine admiration pour les connaissances des Européens, ils n’en conservent pas moins au fond du cœur le mépris du musulman pour le giaour, et ce mépris s’étend à ceux de leurs compatriotes qui se rapprochent des chrétiens par l’éducation. Ils repoussent ainsi des rangs de l’armée avec une obstination invincible les jeunes gens élevés dans les écoles militaires de Constantinople. À leur sortie des écoles, ces officiers, dont quelques-uns ont un mérite véritable, sont fatalement condamnés à végéter dans les arsenaux de l’artillerie et de la marine, où leur concours est indispensable. Plusieurs d’entre eux étaient allés rejoindre l’armée d’Anatolie, mais bientôt ils avaient dû céder aux avanies systématiques qui leur étaient infligées. Le colonel Williams en trouva encore trois ou quatre qui, privés d’emploi et de solde, avaient dû s’attacher au service personnel de quelques valets ignorans devenus feriks ou livas.
Par une contradiction apparente, mais qu’explique l’usage immémorial chez les Turcs de prendre à leur service des renégats de tous les pays, l’armée turque était encombrée de réfugiés allemands, italiens, hongrois, polonais, la plupart gens de sac et de corde qui, ne sachant où se réfugier, s’étaient décidés à prendre le turban. L’Anglais Duncan[5] cite entre autres un baron Wetzler qui avait fini par oublier sa langue, son pays et sa religion, et qui, pour l’ignorance et la superstition, ressemblait de tous points à un Turc du vieux régime. Tous du reste, renégats ou chrétiens, portaient des noms turcs et se confondaient ainsi avec l’armée dont ils faisaient partie. Dans les momens critiques, remarque un autre témoin, le miracle de la tour de Babel semblait se renouveler, et tous les dialectes du monde se croisaient au milieu des rangs.
Il ne régnait pas une moindre confusion dans l’état-major général de l’armée. Le mouchir ne savait pas le premier mot de la guerre, et il en était de même des généraux turcs qu’il avait sous ses ordres. Pour obvier à cet inconvénient, le divan lui avait envoyé trois officiers européens destinés à l’éclairer de leurs lumières : c’étaient les généraux polonais Bystrzonowski, Breanski, et le général hongrois Guyon. Comme ni les uns ni les autres n’avaient adopté la religion musulmane, ils ne pouvaient avoir le commandement direct des troupes. Ils se bornaient donc à donner des conseils ; mais, ainsi qu’il arrive à des généraux irresponsables, ces conseils se contredisaient continuellement. Les idées des Turcs se brouillaient au milieu des combinaisons de la stratégie ; faisant abstraction de leur bon sens naturel, ils suivaient tour à tour les plans les plus opposés. Au fond de l’âme, le mouchir était fort partagé ; il sentait instinctivement que son armée était hors d’état de se mesurer avec les Russes. Ses instructions d’ailleurs lui prescrivaient de demeurer sur la défensive, et le souvenir des désastres de l’année précédente ne justifiait que trop une telle circonspection ? mais parfois aussi il se laissait aller à l’idée de s’illustrer par quelque action d’éclat. L’armée russe, disséminée sur un immense territoire, était faible partout. Ainsi le général Béboutof n’avait à Goumry que dix-sept bataillons, affaiblis encore par les maladies. La grande supériorité de l’armée turque permettait de l’accabler ; l’occasion était belle. Moustafa-Zarif-Pacha, dans un conseil de guerre, proposa gravement d’aller attaquer Goumry. Il fallait toute son ignorance pour avoir la pensée de se rendre maître d’une place régulièrement fortifiée sans posséder les premiers élémens d’un équipage de siège. Le mouchir finit par céder aux observations des généraux européens. Ceux-ci avaient une tout autre idée : ils voulaient porter la guerre en Géorgie, donner la main aux Circassiens et marcher sur Tiflis. La difficulté pour l’armée turque était de franchir la chaîne de l’Alaghez sans passer sous le canon des deux places de Goumry et d’Achaltziche, qui s’élèvent à l’entrée des montagnes ; mais il existe un défilé intermédiaire que couvre le château d’Achalchalaki. Ce château, en mauvais état, n’était gardé que par trois bataillons. Le général Bystrzonowski proposait en conséquence de se porter rapidement sur ce point, d’enlever la garnison et de descendre ensuite en Géorgie par ce défilé, qui présente sans doute quelques difficultés, mais n’est pas absolument impraticable pour une armée. Une fois en Géorgie, les Turcs se seraient dirigés sur le col de Souram, et auraient fait leur jonction avec le corps d’armée de Sélim-Pacha, qui de Bathoum serait venu les rejoindre par Koutaïs. Ainsi assurés de leurs communications avec la Mer-Noire, les Turcs pouvaient alors marcher sur Tiflis, recueillir en route les Circassiens et porter un coup mortel à la puissance russe en Asie. Ce plan, que devait adopter l’année suivante Omer-Pacha, était ingénieux ; mais avec des troupes aussi mal disciplinées que celles du mouchir, il faisait une part excessive au hasard.
Sur ces entrefaites, les coureurs de l’armée vinrent annoncer que les Russes, sortis de Goumry, s’avançaient, dans la plaine de Kars, et qu’un détachement de la garnison d’Achaltziche menaçait en même temps Ardahan, où se trouvait la division de Kérim-Pacha, formant l’aile gauche. À cette nouvelle, le mouchir avait envoyé en toute hâte des renforts à Kérim-Pacha, et s’était porté de sa personne au-devant des Russes. Les deux armées s’observèrent ainsi pendant quelques jours sans en venir aux mains, puis les Russes rentrèrent dans leurs positions sans qu’il fût possible de deviner le motif de leurs mouvemens. « On apprit seulement, quelques jours après, que Sélim-Pacha avait été complètement défait dans l’intervalle. En effet, le ferik avait eu la malencontreuse idée de s’avancer dans le Gouriel jusqu’à Ouzourghetti. Les Russes, qui se tenaient généralement sur la défensive, avaient cette fois marché sur lui et l’avaient poursuivi jusqu’au-delà du Tcholok. Sélim-Pacha avait pris position derrière cette rivière, entre Kakouthi et Dschandjour. Brusquement attaqués, les Turcs avaient pris la fuite, abandonnant, comme d’habitude, aux mains de l’ennemi leur artillerie et leurs bagages.
Le malheur de Sélim-Pacha avait fait faire de sérieuses réflexions au mouchir. Guéri par ce triste exemple de sa passion naissante pour la guerre, il avait ramené son armée à Kars et s’y tenait immobile. Dans cette situation, son flanc gauche se trouvait couvert par la division de Kérim-Pacha, qu’il avait laissée à Ardahan, son flanc droit par un détachement destiné, sous les ordres d’un autre SélimPacha, à observer les passages de l’Ararat qui mènent à Bayazid. Le mouchir avait formellement enjoint à ses lieutenans de ne rien entreprendre. Les jours s’écoulaient ainsi dans un repos que rien ne serait venu troubler, si les Russes ne se fussent avisés, en juillet 1854, de pénétrer dans la plaine de Kars pour y faire des fourrages.
Cette plaine est située au milieu de l’amphithéâtre des montagnes de l’Ararat[6] et de l’Alaghez. Le Kars-Tchaï, après avoir longé les derniers contre-forts de l’Ararat, fait un coude et traverse la plaine à distances à peu près égales de Kars et de Goumry. Il semblait aux Turcs que ce cours d’eau traçait entre les deux armées une limite qu’elles ne devaient pas franchir. Or les Russes, toujours en fourrageant, s’étaient avancés jusqu’au Kars-Tchaï ; le 4 juillet 1854, ils l’avaient même traversé au gué de Djamouschly. Cette manœuvre avait fini par devenir suspecte au mouchir. Il rappela à lui le corps de Kérim-Pacha, et le 11 juillet vint prendre position avec toute son armée à Hadji-Veli-Keui, village éloigné seulement de 12 kilomètres du Kars-Tchaï. Il espérait par ce déploiement de forces décider les Russes à se retirer ; mais ceux-ci n’en tinrent aucun compte, et continuèrent à fourrager, même à démolir les villages voisins, pour se procurer le combustible qui leur manquait dans ces plaines dénudées. Ils avaient fortifié la tête du vallon d’Indjé-Déré, qui mène au gué de Djamouschly. Leurs troupes étaient campées en avant, dans la plaine, entre les villages de Kourouk-Déré et de Poldervan. Enfin, sur leur droite, ils travaillaient à construire une redoute au sommet du Kara-Iel, amas de collines volcaniques qui domine le vallon d’Indjé-Déré, la plaine, le cours du Kars-Tchaï, et qui forme ainsi la clé de la position.
Fort contrarié de l’insistance des Russes à se maintenir si près de Kars, le mouchir tenait conseil de guerre sur conseil de guerre pour trouver le moyen de les déloger sans arriver à livrer bataille. Les projets les plus divers furent successivement mis en avant ; de grandes reconnaissances furent poussées sur divers points ; des escarmouches de cavalerie eurent même lieu, sans que les Russes montrassent la moindre émotion. Le mois de juillet s’écoula ainsi. Les troupes, laissées dans l’inaction, commençaient à se démoraliser ; elles souffraient des violentes transitions de la température. Pendant le jour, le soleil avait une ardeur insupportable ; la nuit, il régnait une fraîcheur glaciale ; parfois même, au matin, la terre était couverte de gelée blanche. Les villages voisins avaient été successivement détruits, le bois manquait, les fourrages étaient consommés tout à l’entour du camp ; le moment était venu de se retirer ou de marcher en avant. Le mouchir ne savait encore quel parti prendre ; enfin il annonça un beau jour, à l’étonnement général, qu’il allait livrer bataille. La circonstance qui avait mis fin à ses perplexités est significative ; elle montre l’asservissement actuel des Turcs aux idées de l’Europe. Le mouchir venait de recevoir des dépêches de Constantinople que lui avait apportées un Français attaché à l’état-major d’Omer-Pacha. M. le comte de Meffray, avant d’entrer au service de la Turquie, avait été officier d’ordonnance du général commandant la garde nationale de Paris. Un service de ce genre n’avait pu l’initier aux combinaisons de la stratégie ; mais le mouchir n’en savait pas si long. Enchanté de pouvoir se décharger sur un officier européen de sa responsabilité de général en chef, il se décida, d’après l’avis du nouveau-venu, à prendre l’offensive. Comme les jours suivans dans le calendrier des Turcs étaient néfastes, il différa du reste ses projets jusqu’au 6 août, jour regardé comme propice. Le mouchir n’était pas au bout de ses peines ; au moment même où il se disposait à l’action, arrivait la nouvelle d’un événement qui pouvait avoir les plus fâcheuses conséquences pour le sort de l’armée : les troupes qui, sous les ordres de Sélim-Pacha, occupaient Bayazid depuis le commencement de la guerre venaient d’être taillées en pièces.
Sélim-Pacha, ayant appris que le général Wrangel, qui commandait à Érivan, se dirigeait, par la route d’Igdyr, sur Bayazid, avait essayé de lui disputer le passage de l’Ararat. Il avait occupé le défilé d’Ilglyl ; son artillerie balayait au loin la route que les Russes devaient suivre ; son infanterie était massée en arrière, les irréguliers étaient dispersés au loin, sur les hauteurs environnantes. Les Russes, abordant la position à la baïonnette, avaient tout renversé sur leur passage. Les Turcs s’étaient enfuis dans toutes les directions, et Sélim-Pacha, entraîné dans la déroute, n’était pas même parvenu à les ramener sur la route d’Erzeroum. Il avait dû, avec le gros des fuyards, chercher un refuge à Van. La ville de Bayazid ayant ouvert ses portes au général Wrangel, tout le pays, de ce côté, était sans défense contre les Russes, et le premier parti de cavalerie qui se présenterait devant Erzeroum pouvait en un instant anéantir les magasins de l’armée, qui s’y trouvaient réunis. Telles étaient les réflexions qui se présentaient à tous les esprits. Évidemment, dans ces tristes conjonctures, il ne restait plus qu’à battre en retraite. Le mouchir, en conséquence, donna ses ordres, dans la journée du Il août, pour qu’un détachement d’environ dix mille hommes allât prendre position à Toprak-Kalé sur la route d’Erzeroum, tandis que le gros de l’armée filerait à la nuit tombante vers Kars. Malheureusement, ainsi qu’il arrive aux caractères faibles dans les momens de crise, le mouchir passa le soir même à une résolution diamétralement opposée. Ayant réuni ses généraux, il leur signifia son intention arrêtée de livrer immédiatement bataille aux Russes. Après une discussion de quelques instans, où les généraux Guyon et Bystrzonowski eurent comme d’habitude de la peine à se mettre d’accord, le plan de ce dernier fut adopté. Il consistait essentiellement à assaillir tout d’abord les hauteurs du Kara-Iel, qui formaient, ainsi que nous l’avons dit, la clef de la position. L’armée turque, à cet effet, était répartie ainsi qu’il suit :
AVANT-GARDE. — Liva : Abderrhaman-Pacha. | 5 bataillons | 2,340 | |
« | 1 batterie | 50 | 2,390 |
« | Bachi-bosouks | 1,200 | |
PREMIER CORPS. — Ferik : Kérim-Pacha. | 20 bataillons li,911 j | 11,911 | |
« | 16 escadrons | 2,058 | |
« | 6 batteries | 680 | 14,649 |
DEUXIEME CORPS. — Ferik : Vély-Pacha. | 23 bataillons | 12,173 | |
« | 20 escadrons | 3,072 | |
« | 7 batteries | 780 | 16,025 |
« | Bachi-bosouks | 3,500 | |
Total général de l’armée[7] | 37,704 |
L’avant-garde de cette armée devait se mettre en marche à onze heures du soir ; une demi-heure après, le premier corps, commandé par Kérim-Pacha ; une autre demi-heure après, l’échelonnant à gauche, le deuxième corps sous les ordres de Vély-Pacha. Le Kara-Iel une fois enlevé, Kérim-Pacha devait appuyer son aile droite à la colline et aborder l’extrême gauche de l’armée russe. Il était probable que l’ennemi, se voyant attaqué de ce côté, rectifierait son ordre de bataille, pivoterait sur sa gauche et avancerait à droite pour déborder les Turcs au moyen de sa nombreuse cavalerie. Le mouchir lui opposerait les vingt-six escadrons et les trois mille cinq cents bachi-bozouks qu’il avait en réserve, et ferait en même temps effort contre le centre de l’ennemi pour le rejeter dans le Kars-Tchaï. Ce plan, on le voit, était simple[8]. Il fallait sans doute, pour arriver à portée de l’armée russe, exécuter une marche de nuit ; mais justement cette nuit-là était parfaitement claire. La lune, dans son dernier quartier, n’était voilée par aucun nuage. L’extrême transparence de l’atmosphère dans ces régions élevées permettait de discerner les moindres plis de terrain : çà et là, les cônes volcaniques qui surgissent au milieu de la plaine ; plus loin, les masses sombres du Kara-Iel ; plus loin encore, le magnifique amphithéâtre des montagnes de l’Alaghez et le pic couvert de neiges éternelles qui les domine toutes. Il n’était donc pas difficile de se diriger au milieu de la plaine. Cependant l’armée turque ne parvint pas à suivre l’ordre de marche qui lui était prescrit. L’avant-garde se mit en mouvement à onze heures du soir, le premier corps suivit ses traces ; mais le deuxième corps, sous le commandement immédiat du mouchir, perdit un temps énorme. À la sortie même du camp, les différentes colonnes qui le composaient se croisèrent. Le mouchir eut toutes les peines du monde à leur faire prendre leurs positions respectives. Une fois en ordre, le deuxième corps se remit en marche, mais il donna beaucoup trop à gauche. Vers la pointe du jour, il se trouva ainsi au pied du Kabak-Tépé, colline située à près de deux heures du Kara-Iel.
Cependant l’avant-garde et le premier corps avaient atteint la ligne dominante du terrain, qui descend ensuite vers le Kars-Tchaï. Le premier corps y fit halte à deux heures du matin ; l’avant-garde continua sa marche vers le Kara-Iel et disparut bientôt à tous les regards. Chacun s’attendait à voir éclater une vive fusillade ; mais la colline restait complètement silencieuse. Les minutes s’écoulaient ainsi pour tous dans une vive anxiété. À l’approche de l’aube, on put remarquer des formes encore indécises qui s’agitaient dans le demi-jour au sommet de la colline. Enfin l’aurore vint éclairer les immenses drapeaux rouges des bachi-bozouks d’Abderrhaman-Pacha, qui avaient occupé sans coup férir la redoute. Grande fut la surprise ! Au même moment, les rayons du soleil inondèrent de leur lumière la plaine, et laissèrent voir sur la gauche des Turcs toute l’armée russe formée en colonnes.
Le général Béboutof avait sans doute appris par ses espions le projet de retraite du mouchir. Il avait en conséquence levé son camp dans la nuit, et il s’acheminait vers Kars. Laissant le Kara-Iel à sa gauche, il remontait les pentes que descendaient les Turcs de Kérim-Pacha. Les deux armées se trouvèrent ainsi en présence, de part et d’autre, fort inopinément. Kérim-Pacha, brave et vieux soldat, mais d’une intelligence bornée, se disposa aussitôt au combat, et, sans se préoccuper autrement de l’éloignement des troupes du mouchir, déploya les siennes sur la crête où elles avaient fait halte. L’idée ne lui vint même pas d’appuyer sa droite au Kara-Iel et de se relier ainsi au corps d’Abderrhaman-Pacha, qui, faute d’ordres, demeura immobile sur la hauteur. Kérim-Pacha avait en ligne seize bataillons, trois batteries d’artillerie sur son front, huit escadrons sur ses ailes, quatre bataillons et huit escadrons en réserve. Le général Béboutof avait de son côté dix-huit bataillons, vingt-six escadrons de dragons, une brigade de cavalerie musulmane, des cosaques, et cinquante-six pièces d’artillerie. Voyant qu’il avait affaire à une partie de l’armée turque, il engagea immédiatement contre elle presque toutes ses forces ; il garda seulement en réserve six bataillons, dix escadrons, trois batteries d’artillerie, la cavalerie musulmane et six sotnies de cosaques.
Il était quatre heures et demie du matin quand la canonnade commença. Bientôt les deux armées furent aux prises sur toute la ligne. Kérim-Pacha, reconnaissable à sa haute taille courbée par l’âge, à sa longue barbe blanche, parcourait, son cimeterre à la main, les rangs des troupes, et se montrait partout au plus fort de l’action. Quelques officiers turcs, à son exemple, firent bravement leur devoir. Le général d’artillerie Tahir-Pacha, Zachariah-Bey, colonel du 6e régiment (rédif d’Anatolie), Hussein-Daïn-Tcherkess-Bey, colonel du 1er régiment (nizam d’Arabistan), s’efforcèrent jusqu’à la fin de maintenir leurs soldats ; mais les autres abandonnèrent honteusement leur poste. Le liva Achmet-Pacha, au premier coup de canon, enfonça les éperons dans le ventre de son cheval, et ne s’arrêta qu’à deux heures de là pour sabrer les fuyards. Le liva Moustafa-Pacha, les colonels Kadry-Bey du 6e régiment d’Arabistan, Kurd-Mustafa-Bey du 5e régiment d’Anatolie, s’enfuirent également avec tout leur état-major dès le commencement de l’action. D’autres officiers de tous grades s’entassèrent dans les voitures destinées aux blessés, et d’autorité se firent ramener à Kars. « Je vis moi-même, dit l’Anglais Duncan, un chef de bataillon de chasseurs à pied de la garde refuser de marcher à l’ennemi, — Je n’ai pas d’ordres de mon colonel, disait au général Kolman cet officier en tremblant de tous ses membres. — Lâche, hurlait Kolman, c’est au nom du mouchir que je vous donne l’ordre de marcher. » Les soldats, indignés, menaçaient leur chef de leurs baïonnettes ; il fit alors quelques pas en avant, mit son cheval au galop, et s’enfuit. Grâce à cette lâcheté générale des officiers, des régimens entiers se trouvèrent bientôt commandés par de simples sous-officiers. La cavalerie avait disparu depuis longtemps ; dispersés au loin dans la plaine, les hommes avaient débridé leurs chevaux et les faisaient paître en attendant l’issue du combat. Les rangs de l’infanterie s’éclaircissaient rapidement. Une multitude de soldats en était sortie pour enlever les blessés : soin inutile, car les chirurgiens militaires avaient disparu. Ces malheureux, abandonnés sans secours, se tordaient dans les convulsions de l’agonie. Partout régnait un affreux désordre ; les réserves mêmes, avant d’avoir entendu siffler une balle, étaient déjà démoralisées.
Au bout d’une heure et demie, le corps de Kérim-Pacha était tout à fait compromis. L’artillerie seule soutenait intrépidement le combat, mais elle avait beaucoup souffert, et la vivacité de son feu diminuait, quand apparurent enfin les têtes de colonne du deuxième corps. À mesure qu’elles arrivaient sur la ligne dominante du terrain où l’action se trouvait engagée, le mouchir leur faisait prendre l’offensive, en s’efforçant toujours de prolonger la droite des Russes. Il avait en première et deuxième ligne quatorze bataillons, quatre batteries d’artillerie sur son front. Sa cavalerie, composée de douze escadrons et de 3,500 bachi-bozouks, précédait son extrême gauche. Neuf bataillons, quatorze escadrons, trois batteries d’artillerie formaient sa réserve. Les troupes du mouchir gagnèrent rapidement du terrain : elles menaçaient même de tourner complètement l’armée russe, qui, fort inférieure en nombre, avait dû engager ses dernières réserves ; mais en ce moment les bachi-bozouks, écrasés par le feu de l’artillerie russe, prirent la fuite. Il fallut les remplacer au moyen des réserves d’infanterie que le mouchir appela à lui ; tout le deuxième corps fut ainsi entraîné à descendre la pente, et, faute de précision dans les mouvemens, la ligne de l’armée turque se trouva disjointe. Les Russes, profitant de cette trouée, allaient percer le centre, quand le général Guyon, apercevant le danger, amena sur ce point les trois batteries de la réserve. Il arrêta le mouvement d’attaque par le feu de son artillerie. Formant alors en colonne les quatorze escadrons qui lui restaient, il les lança sur les Russes. Lui-même chargea des premiers. Malheureusement toute cette cavalerie, une fois arrivée au milieu du feu, tourna bride et s’enfuit au loin, sans qu’il fût possible de la rallier. Au même moment, le corps tout entier de Kérim-Pacha, saisi d’une terreur panique, se débanda. Cette panique était causée par l’apparition inattendue des Russes sur les derrières de l’armée turque. En effet, tandis que ce combat se livrait dans la plaine, un détachement de l’armée ennemie avait gravi les hauteurs du Kara-Iel et en avait délogé le corps d’Abderrhaman-Pacha. Redescendant la pente opposée, ce détachement s’était hardiment jeté sur le flanc des Turcs. Les réserves avaient à l’instant pris la fuite ; une grande partie de la deuxième ligne s’était laissé entraîner par l’exemple de la réserve, et la première ligne, se voyant ainsi abandonnée, avait succombé sous une charge générale des dragons russes.
Délivré de toute appréhension de ce côté, le général Béboutof tourna tous ses efforts contre les troupes du mouchir, qui se trouvèrent alors dans la situation la plus critique. Il ne leur restait plus qu’à regagner au plus vite la position dominante qu’elles avaient quittée. Chargées par la cavalerie russe, elles durent se former en carrés. Deux de ces carrés sur cinq furent enfoncés et sabrés ; les autres regagnèrent à grand’peine le sommet du plateau. À la vue de la plaine couverte de fuyards, ces malheureux soldats furent saisis de la contagion générale et se débandèrent à leur tour. « Il ne resta pas dix hommes réunis, dit le général Bystrzonowski ; un millier de cavaliers lancés en ce moment eussent pu tout prendre, tout détruire ; le général russe, qui, de la position qu’il occupait, voyait au loin tout ce qui se passait dans la plaine, n’eut pas même l’idée de nous poursuivre. » L’armée russe fit halte au sommet du plateau, poussa trois hourras et regagna son camp au son des musiques militaires.
L’armée turque laissa aux mains de l’ennemi quinze pièces de canon et deux mille prisonniers. La perte en tués et en blessés ne saurait être évaluée, car la désertion fut immense. Il nous suffira de dire que peu de jours après le mouchir n’avait plus que dix-sept mille cinq cents hommes. Comme l’année précédente, la ville de Kars fut en danger d’être pillée ; mais cette fois Moustafa-Zarif prit des mesures énergiques pour arrêter le désordre et fit garder les bazars par les bataillons qui étaient restés dans la place. Il parvint avec de grands efforts les jours suivans à reformer les débris de son armée. Telle était néanmoins la consternation qu’au moindre mouvement des Russes il eût été impossible au mouchir de se maintenir à Kars ; mais à la surprise universelle le général Béboutof demeura immobile dans sa position d’Indjé-Déré. Son inaction permit aux Turcs de respirer. Enfin le 17 août le mouchir apprit que l’armée russe se disposait à regagner Goumry. Les bachi-bozouks allèrent rôder autour du camp, parvinrent même à enlever quelques chariots qu’ils ramenèrent en triomphe à Kars. Moustafa-Zarif, enchanté de cette retraite, écrivit à Constantinople qu’il avait repoussé les Russes sur Goumry et leur avait enlevé une grande partie de leurs bagages. Le canon de la ville, tiré en signe de réjouissance, annonça aux pieux musulmans que le Tout-Puissant avait béni les armes du sultan.
Moustafa-Zarif-Pacha eut beau faire cependant, personne ne voulut accepter la déroute de Kourouk-Déré comme une victoire, et lord Stratford ayant demandé son rappel, l’ordre de venir rendre compte de sa conduite parvint au mouchir dans le courant de septembre 1854, au moment où le colonel Williams arrivait à Kars. L’inspection minutieuse à laquelle cet officier se livra lui révéla bientôt la misérable condition où ce triste chef laissait son armée.
« J’admire, dit-il dans un ensemble de rapports adressés à lord Clarendon, la patience avec laquelle cette race endurante et sobre de l’Asie supporte des souffrances qui deviendraient partout ailleurs un sujet de continuelles mutineries. La nourriture du soldat est pitoyable ; son pain, mal pétri, mal cuit, est de la dernière qualité ; le beurre qui sert à accommoder le riz de son pilau est fétide ; encore cet aliment, le plus substantiel de son ordinaire, lui est-il maintenant supprimé deux fois par semaine. Il en est de même le plus souvent de sa ration de viande. Une affreuse saleté règne dans les cuisines, et telle est la négligence que le cuivre des chaudières, oxydé faute d’étamage, occasionne des accidens journaliers. Les règles les plus simples de l’hygiène sont méconnues ; les troupes sont entassées dans les maisons de la ville, au milieu des débris de tout genre ; il en résulte une infection dont les miasmes engendrent continuellement la fièvre et le typhus. Les hôpitaux sans doute sont dans de moins fâcheuses conditions ; mais il règne dans la pharmacie un complet désordre. Les médecins et les chirurgiens sont d’une ignorance grossière, et les blessés qui sont livrés à leurs soins meurent ou restent estropiés. Ils sont alors renvoyés sans secours et réduits à mendier leur pain. La chaussure, l’habillement, l’équipement sont hors de service. La solde est arriérée, suivant les corps, de dix-huit, vingt, vingt-deux mois. Les approvisionnemens de tout genre, à l’exception de ceux de l’artillerie, sont épuisés. L’armée vit, au jour le jour, des ressources du pays. Le service, la discipline, l’instruction des troupes sont honteusement négligés par les officiers ; la plupart d’entre eux, surtout dans les grades élevés, sont indignes du commandement. Sur le champ de bataille, ils ont fait preuve d’une lâcheté scandaleuse ; dans l’habitude de la vie, ils sont ivres et ne s’occupent qu’à voler le soldat. À cet égard, le mouchir donne l’exemple de la malversation. La connivence des généraux, des colonels et des comptables, avec lesquels il partage le produit de ses rapines, lui a permis jusqu’ici d’envoyer à Constantinople des états de situation entachés de fraudes énormes. Les rations sont délivrées par le gouvernement sur le pied de 33,000 hommes, tandis qu’il n’en existe réellement que 17,500 présens sous les drapeaux. La solde des bachi-bozouks, en raison de l’irrégularité de ce corps, est une source de larges profits pour le mouchir et les chefs de ces bandes, Hassan-Yazi-jy et Injeh-Arap. Au lieu de 3,500 hommes portés sur les contrôles, ces chefs n’en ont que 800 sous leurs ordres. Le mouchir ne dédaigne pas même les plus petits profits : il a fait vendre ainsi les dépouilles des 12,000 soldats morts dans les hôpitaux l’hiver dernier, et comme les sommes destinées aux besoins de l’armée lui sont versées partie en argent et partie en papier, il garde l’argent et paie en papier, qui perd environ 20 pour 100. Les généraux et les colonels trouvent d’autres moyens de voler ; ils s’entendent avec les comptables pour toucher en argent la valeur des rations de riz et de viande, ou, s’ils sont obligés de les prendre en nature, ils les font vendre à leur compte. Ils envoient des corvées couper les moissons des environs, démolir les villages pour en retirer le bois, qui, dans ce pays, a une grande valeur. Chacun s’ingénie de son côté à se faire dans ce pillage la part la plus large. »
Il était évident qu’un aussi effroyable désordre devait rapidement amener la ruine de l’armée ; mais en ce moment l’approche de l’hiver ajoutait à l’imminence du péril. La ville de Kars est située à six mille pieds au-dessus du niveau de la mer ; elle est entourée de montagnes de dix, douze, et même seize mille pieds de hauteur. Le froid devient terrible pendant l’hiver ; le thermomètre descend d’ordinaire à 20 degrés Réaumur au-dessous de zéro. L’abondance des neiges rend les routes impraticables, surtout au col du Soghanly-Dagh, que suit la route d’Erzeroum. L’armée, dépourvue de magasins, privée des ressources que le pays lui offrait au commencement de la guerre, était exposée à mourir littéralement de faim. Les malheureux soldats entrevoyaient avec terreur l’idée de passer un hiver semblable à celui qui avait coûté la vie à tant des leurs l’année précédente. La désertion, qui avait déjà réduit l’armée des deux tiers, continuait à éclaircir ses rangs, Kars allait se trouver sans défenseurs, si des mesures énergiques n’étaient prises à l’instant pour sauver ce boulevard de l’Anatolie.
Le colonel Williams n’hésita point à assumer la responsabilité de ces mesures : il réunit chez le réis Kérim-Pacha les chefs de l’armée. Après leur avoir reproché dans les termes les plus durs leurs malversations, il leur signifia que désormais il tiendrait la main ferme au maintien de l’ordre et de la discipline, et les menaça, s’ils contrevenaient à leur devoir, du courroux de la reine d’Angleterre et de son ambassadeur à Constantinople, lord Stratford ; puis, laissant à Kars son aide-de-camp, le lieutenant Teesdale, pour les surveiller, il se rendit de sa personne à Erzeroum, où sa présence n’était pas moins indispensable pour empêcher le gaspillage des ressources destinées à l’alimentation de l’armée. Ce n’était pas tout : les soldats étaient dans un dénûment complet ; il s’adressa à lord Stratford pour obtenir, par son entremise, de l’argent, des munitions, des effets d’habillement et d’équipement, des renforts, mais surtout des officiers et un général capable, honnête et brave. C’était demander l’impossible. « Le divan, répond lord Stratford, est dans le plus grand embarras pour trouver un général. » À cette occasion, il laisse tomber de sa plume ces mots, qui sont la condamnation formelle d’une société : « Il ne saurait être ici question d’accorder les emplois au mérite. Le gouvernement, en changeant ses agens, ne peut avoir en vue d’autre objet que le châtiment des coupables. »
Le divan avait fini par jeter les yeux sur Ismaïl-Pacha, qui, disait-on, avait montré de l’intelligence et de la valeur pendant le cours de la campagne du Danube ; mais le héros de Tchétaté, tout en acceptant le grade et les émolumens de mouchir, ne se souciait pas d’aller compromettre ses lauriers à Kars. Pour ne pas se rendre à son poste, il alléguait l’état de sa santé, et obtint l’autorisation de passer l’hiver à Constantinople. En attendant, il envoya en Asie son réis, Schoukri-Pacha, avec les instructions qu’il avait rédigées pour la réorganisation de l’armée. Ces instructions incroyablement puériles[9] firent bondir le colonel Williams ; mais Schoukri-Pacha allait lui fournir de bien autres sujets de plainte. Après avoir fait connaître aux troupes les intentions du mouchir, le réis, rassuré sur leur sort, ne s’occupa plus qu’à contrecarrer Williams. Le colonel était en ce moment à Erzeroum, où il poursuivait la difficile entreprise de réunir dans les magasins de cette ville, pour les diriger ensuite sur Rars, les approvisionnemens nécessaires à la garnison. Il avait à lutter contre des difficultés infinies, le défaut d’argent, de moyens de transport, le mauvais état des routes, l’abondance des neiges, mais surtout la mauvaise volonté des autorités civiles et militaires, que gênait singulièrement sa rigoureuse surveillance. Aussi Schoukri-Pacha ne tarda-t-il pas à ameuter contre lui tout le pays. Le temps que Schoukri-Pacha n’employait pas à ses intrigues, il le passait en parties de débauche. Pour son malheur, il s’avisa, sous l’influence du vin, de parler en termes peu circonspects de l’autorité que s’était arrogée, disait-il, un simple officier de l’armée anglaise. Ces propos revinrent bientôt au colonel. Il n’en fallait pas tant pour exaspérer son humeur irascible et despotique. À la suite d’une scène violente qu’il eut avec Schoukri-Pacha, il exigea du divan que ce général fût arrêté et envoyé à Constantinople pour y répondre de sa conduite irrévérencieuse envers le commissaire de la reine et d’une longue suite d’autres méfaits, parmi lesquels figuraient ses habitudes scandaleuses d’ivrognerie et de dissipation. Le lecteur devine aisément ce que signifie ce mot de dissipation sous la plume réservée d’un officier anglais.
Cependant les malheureux ministres du sultan ne savaient plus à quel choix s’arrêter pour donner satisfaction à lord Stratford. Comme Ismaïl-Pacha décidément ne voulait pas aller en Asie, ils désignèrent à sa place Vassif-Pacha. C’était, depuis dix-huit mois, le cinquième général qu’ils envoyaient à l’armée de Kars. Vassif-Pacha était un honnête homme, faible de corps et d’esprit, mais animé des meilleures intentions. Il devint un docile instrument entre les mains du colonel Williams, et bientôt des actes d’une inexorable sévérité apprirent aux Turcs que désormais ils avaient à compter avec le commissaire de la reine d’Angleterre. Toutefois ces exemples ne pouvaient qu’arrêter momentanément le désordre. La source du mal était dans le sérail même. « C’est de là, dit Williams, que le flot de la corruption se répand dans tout l’empire pour y engendrer ces nuées de tyrans et de concussionnaires qui dévorent la substance du pays. » A l’image des grands dignitaires de la capitale, les fonctionnaires des provinces passaient leur temps à voler, à intriguer, à se dénoncer réciproquement. Le defterdar[10] Djazim-Pacha était un voleur ; le gouverneur de Kars, Sirri-Pacha, était encore un voleur : il s’entendait avec le munitionnaire Kosma, qui naturellement était aussi un voleur. Le gouverneur-général d’Erzeroum avait les mains plus nettes ; mais il était âgé, infirme, hors d’état de se livrer à un travail soutenu, et cependant, comme les autres, il était livré à la dissipation, tout occupé de ses plaisirs, il laissait chacun voler autour de lui. Kérim-Pacha, le réis de l’armée, était un brave soldat et montrait de la bonne volonté pour rétablir la discipline ; mais il n’était pas sans avoir de graves reproches à se faire. Des malversations nouvelles se découvraient à chaque instant. Un jour, c’est le réis du medjlis[11] et son trésorier qui se font arrêter pour détournemens s’élevant à 300,000 piastres. Un autre jour, c’est le liva Achmet-Pacha qui, de connivence avec les colonels Ethem-Bey et Moustafa-Bey, a laissé périr de faim et de misère les troupes placées sous ses ordres dans les cantonnemens d’Olty et de Bardez.
« Les quatre bataillons, écrit l’aide-de-camp du colonel Williams, le lieutenant Teesdale, sont réduits à 1,115 hommes ; le reste est mort ou malade. Entassés dans des demeures sombres et humides, couchés sur de la paille que personne ne songe à changer, privés de bois, de viande, de riz, couverts de vermine, à ce point qu’il est impossible de les approcher, ces malheureux soldats succombent journellement aux ravages du typhus. »
« — Les autorités turques, écrit le baron de Schwartzembourg, commandant le corps de cavalerie détaché à Toprak-Kalé, laissent mes hommes mourir de faim ; elles ont mis à leur profit un droit sur le riz qui nous vient de Perse, et arrêtent ainsi l’importation d’une denrée indispensable à la garnison de Kars. »
Les autres témoignages recueillis dans les correspondances officielles sont de tous points semblables.
« J’ai l’honneur d’appeler votre attention, écrit le docteur Sandwith, sur la qualité des médicamens qui nous sont envoyés par la pharmacie centrale de Constantinople. Le sieur Della-Souda n’a évidemment d’autre but que de se débarrasser de son fonds de magasin. Outre les instrumens de chirurgie endommagés, abandonnés depuis longtemps par la pratique, ou destinés à la chirurgie des femmes, nous avons reçu une quantité de substances, les unes gâtées, les autres inutiles, de l’eau de Cologne, jusqu’à des pots de pommade. Le sieur Della-Souda gagne ainsi tous les ans des sommes énormes, qu’il partage notoirement avec le ministre de la guerre, Riza-Pacha. Le service des hôpitaux se fait de la manière la plus déplorable ; les pharmaciens, après la bataille de Kourouk-Déré, ont volé tous les médicamens qui conservaient quelque valeur, et les ont vendus comme butin enlevé aux Russes. Les médecins et les chirurgiens militaires sont d’une incroyable ignorance… La source de tout le mal est à Constantinople : les professeurs des écoles doivent leurs fonctions à l’intrigue ou à l’argent ; à leur tour, ils se laissent influencer par les mêmes causes, et accordent les diplômes sans tenir le moindre compte du mérite réel des candidats. »
« — Les colonels ont recommencé à voler le riz du soldat, écrit une autre fois le lieutenant Teesdale… Les colonels envoient leurs soldats couper du bois qu’ils vendent ensuite pour leur propre compte… Les colonels volent sur le prix des chevaux qu’ils achètent pour le compte du gouvernement. La somme de 10 livres sterling leur est généralement allouée à cet effet ; ils paient 4 ou 5 livres des chevaux de rebut et gardent le reste. »
« — Le defterdar, écrit le colonel Williams à Sirri-Pacha, vous accuse de trafiquer des misères de l’armée en forçant les paysans de vous vendre à bas prix le grain que vous revendez ensuite avec de gros bénéfices au sultan ; Il vous accuse aussi de l’avoir contraint, par l’entremise de Kérim-Pacha, à vous payer 75,000 piastres pour vous-même et 50,000 pour les dépenses arriérées. Ces dépenses arriérées sont en réalité la part de ces indignes colonels qui volent le riz du soldat. Je vous préviens que je ne vous laisserai pas vous joindre au pillage général. »
Nous hésiterions à admettre une démoralisation aussi complète, si elle ne nous était attestée par le gouvernement ottoman lui-même. Les instructions adressées par le grand-vizir et le séraskier ne nous laissent aucun doute à cet égard ; nous en reproduisons fidèlement le texte.
« L’armée sur laquelle le gouvernement comptait le plus au commencement de la guerre avec la Russie était l’armée d’Anatolie. Pour l’amener à l’état de désorganisation où elle se trouve aujourd’hui, il a fallu les fautes accumulées par ses chefs depuis le commencement de cette guerre. Les uns n’ont à se reprocher que leur négligence et leur incapacité, les autres de plus se sont rendus coupables de malversations de tout genre.
« Les opérations militaires ont été conduites avec ineptie et déraison. Évidemment il fallait avant tout rassurer et protéger les populations qui venaient faire leur soumission et offrir leurs services : elles ont été livrées à la fureur des bachi-bozouks, qui ont jeté partout la terreur par leurs excès. Les sujets du sultan ont été les premières victimes de ces vagabonds.
« L’usage dégoûtant de voler le gouvernement est condamnable en tout temps ; mais il l’est plus particulièrement dans un moment où la Porte soutient une lutte qui peut décider de son existence. Il est alors du devoir de tout homme qui conserve au fond du cœur le moindre sentiment d’honnêteté et de patriotisme de s’abstenir de semblables prévarications, et de ne pas quitter le sentier de l’intégrité. Des gens méprisables ont profité de ces temps de trouble pour satisfaire leurs intérêts privés aux dépens du gouvernement ; ils ont ainsi acheté du grain à bas prix pour le lui revendre le double de ce qu’il valait. D’autres ont eu l’impudence de soustraire une partie des rations destinées à l’armée impériale, dont nous devons cependant prendre plus de soin que de nous-mêmes. Ces actes répréhensibles ont désorganisé l’armée ; ils ont réduit les soldats de sa majesté impériale à la misère, ils ont rempli d’une douleur profonde le cœur des fidèles sujets du sultan. Vassif-Pacha, immédiatement après son arrivée, ouvrira une enquête sur la conduite des fonctionnaires grands et petits ; il fera arrêter et enverra ici tous ceux dont la culpabilité sera démontrée, pour qu’ils soient punis conformément aux lois. La Sublime-Porte a pris la résolution de ne pas laisser impunis les méfaits de ces êtres, qui, par leur corruption, tombent bien au-dessous de l’humanité. Ni le rang ni les relations des coupables ne leur feront obtenir la moindre indulgence. Décidément l’intention du gouvernement impérial est que Vassif-Pacha, libre de toute préoccupation, purge l’armée de cette bande de concussionnaires ; mais Vassif-Pacha ne doit pas oublier qu’une fois entré dans cette voie, il doit y persévérer : s’il agissait autrement, le désordre reprendrait bientôt son cours. De plus, qu’il le sache bien, il ne suffit pas qu’un général soit lui-même honnête, il faut qu’il empêche les gens de sa suite de voler ; il doit apporter la plus grande attention aux fournitures de l’armée, prévenir les malversations, veiller à l’exacte distribution des rations, donner en un mot tous ses soins au bien-être de ses troupes. Pour convaincre son excellence de l’importance des recommandations que nous lui adressons ici, nous croyons nécessaire de lui rappeler que les odieuses malversations commises à Erzeroum et à Kars sont connues dans tout l’empire ottoman, et sont même devenues un texte de conversation en Europe. L’honneur et le patriotisme nous font un devoir de ne pas permettre que les crimes d’un petit nombre d’êtres misérables, qui ne méritent pas le nom d’hommes, nous fassent passer pour un peuple apathique et corrompu. Vassif-Pacha est donc autorisé à user de la plus grande sévérité… Si son excellence négligeait les investigations que nous lui recommandons, s’il venait, par quelque raison que ce soit, à cacher les faits qui parviendraient à sa connaissance, il en serait responsable envers la Porte dans ce monde, et dans l’autre envers Dieu. »
Or, il ne faut pas l’oublier, le ministre qui adressait au mouchir ces belles instructions était ce même Riza-Pacha dont lord Stratford, dans ses dépêches, flétrissait « l’administration perverse. » Son nom se retrouvait au fond de toutes les iniquités, de toutes les intrigues, de toutes les malversations. Grâce à son incurie, l’armée, depuis le commencement de la guerre, était abandonnée sans ressources au fond de l’Asie. Il n’était pas le seul coupable ; son successeur, Méhémet-Rouchdi-Pacha, opposait à toutes les réclamations de lord Stratford la même force d’inertie. À la veille de cette campagne qui devait consommer sa ruine, la malheureuse armée d’Anatolie n’avait encore reçu ni solde, ni vêtemens, ni munitions, ni renforts. « Il semble, écrit le colonel Williams le 2 avril 1855, que les autorités de Constantinople prennent un secret plaisir à ruiner la seule armée qui leur reste en Asie. En dépit de toutes mes représentations sur notre dénûment absolu, nous n’avons obtenu ni souliers, ni sacs pour notre infanterie, ni bottes ni sabres pour notre cavalerie ; pas un soldat n’est venu nous rejoindre. » — « Les Turcs, dit lord Stratford en répondant à ces plaintes du colonel Williams, font ce qu’ils peuvent ; mais, permettez-moi de vous le rappeler, le désordre n’est pas moindre dans l’administration que dans l’armée. Partout l’honnêteté, l’intelligence, le patriotisme, font défaut ; les finances sont dilapidées, les ressources du pays épuisées. Le gouvernement, dans son impuissance à créer une armée régulière, en est réduit à appeler sous ses drapeaux des hordes indisciplinées. ». Ainsi qu’il arrive aux empires parvenus au dernier degré de la décrépitude, le temps se passait en discussions, en projets, en enquêtes, en ordonnances, en paroles enfin. Rien ne se faisait. S’agissait-il d’envoyer les vêtemens et les armes demandés par le colonel Williams, le séraskier répondait imperturbablement que les convois étaient déjà partis pour l’Asie. Puis, comme rien n’arrivait, il alléguait à lord Stratford des causes réelles ou imaginaires de retard : les convois allaient partir, ils étaient partis, ils étaient arrivés à Trébizonde, et, fait incroyable, un an après, au moment où la garnison de Kars allait capituler, le séraskier apprenait à lord Stratford que certainement les effets d’habillement, les armes et les munitions avaient été débarqués dans le port de Trébizonde, mais que depuis lors il était impossible de savoir ce que cet envoi était devenu ! Il en était de même de la solde. Le sultan avait bien rendu un firman par lequel il ordonnait l’envoi à Kars de 43,000 bourses ; mais le ministre des finances, au lieu d’envoyer l’argent, avait entamé avec le defterdar une interminable correspondance pour se faire rendre préalablement compte des sommes que Moustafa-Zarif-Pacha avait reçues l’année précédente. Or, comme personne ne savait l’usage qu’il en avait fait, le temps s’écoulait en plaintes, en enquêtes, en récriminations. Le defterdar était en avance de 10,000 bourses, et sa caisse contenait tout juste 1,500 bourses destinées à satisfaire aux menues dépenses de tous les jours. Quant aux renforts, le divan ne faisait nulle difficulté de reconnaître qu’il lui était impossible d’en envoyer. La conscription ne fournissait en réalité que 18 ou 20,000 hommes par an ; les réserves avaient été appelées en totalité, ainsi que les contingens des provinces vassales de l’empire. Les Turcs n’avaient cependant guère plus de 140,000 hommes sous les armes, dont 50,000 se trouvaient en Bulgarie, 60,000 en Crimée, 30,000 en Asie.
Leur situation de ce côté était des plus critiques. La garnison de Kars absorbait à elle seule 18,000 hommes, celle de Bathoum de 7 à 8,000 ; encore ces troupes étaient-elles tout juste suffisantes pour occuper ces positions. En cas d’agression de la part de la Russie, il ne fallait pas moins de 20,000 hommes pour défendre les passages secondaires des montagnes et couvrir Erzeroum. Ce n’était pas tout cependant : aux dangers de l’extérieur venaient se joindre les dangers de l’intérieur. Le chef kourde Yezdeschir-Bey avait appelé à la révolte les tribus des montagnes qui entourent le lac de Van. Deux bataillons levés parmi ces tribus avaient déserté avec armes et bagages. L’insurrection, fomentée par les intrigues de la Russie, alimentée par la haine du régime de la conscription, que le sultan Mahmoud avait imposé à ces sauvages montagnards par la force des armes, gagnait de proche en proche et menaçait de devenir générale. Les populations grecques et arméniennes, courbées sous le joug depuis des siècles, répétaient avec une évidente satisfaction que les Russes étaient venus à Erzeroum en 1828, et qu’ils y reviendraient bientôt. Elles assistaient les ennemis en secret de tout leur pouvoir, les instruisaient des moindres détails qu’il leur importait de savoir, et se gardaient de dévoiler aux Turcs les préparatifs de guerre qui se faisaient à Goumry. Une armée russe de 30,000 hommes put ainsi se concentrer à quelques heures de Kars, sans que le colonel Williams en reçût le moindre avis. Ce fut seulement le 29 mai 1855, au moment où les Russes allaient entrer en campagne, que le lieutenant-colonel Lake, détaché à Kars pour surveiller les travaux des fortifications, lui fit part des projets de l’ennemi, en l’invitant à se rendre au plus vite auprès du mouchir. Celui-ci voulait, dans son effroi, abandonner la position et ramener son armée à Erzeroum. Il fallut toute l’autorité que le colonel Williams s’était acquise sur son esprit pour le décider à rester à son poste.
Le siège de Kars allait donc commencer et donner à cette triste guerre un dénomment trop prévu. Le mouvement des Russes sur Kars prenait l’armée turque au dépourvu ; de grands approvisionnemens accumulés sur le revers opposé du Soghanly-Dagh n’avaient pu être amenés jusqu’à la ville faute de charrois. Quelques dépôts durent même être abandonnés dans les villages voisins. Malgré ce contre-temps, la garnison avait des vivres assurés pour quatre mois, les ouvrages du camp retranché étaient terminés et armés. Les troupes, dont l’instruction avait été pendant le cours de l’hiver l’objet de soins assidus, étaient maintenant en état de défendre vigoureusement les positions qu’elles occupaient. Elles avaient confiance en elles-mêmes. Les officiers qui les avaient si lâchement abandonnées pendant la bataille de Kourouk-Déré avaient été chassés et remplacés par ceux qui, dans cette rencontre, avaient fait preuve d’intelligence et d’énergie. La défense était dirigée par quelques officiers anglais d’un véritable mérite, et, ce qui valait encore mieux, le colonel Williams, qui avait en réalité le commandement suprême, était résolu à résister jusqu’à la dernière extrémité.
SAINT-PRIEST, DUC D'ALMAZAN.
- ↑ Les grades de mouchir, de ferik, de liva, équivalent en Turquie aux grades de maréchal de France, de général de division et de général de brigade.
- ↑ Nous ne parlons ici que de la partie orientale du Taurus. Cette chaîne descend ensuite vers le sud et délimite ainsi le bassin de la Méditerranée. La géographie de ces contrées n’est connue que par des travaux fort récens, et encore incomplets. On les trouve résumés dans l’ouvrage de Ritter et dans les cartes de Kiepert.
- ↑ Voyez A Narrative of the Siege of Kars, by Humphry Sandwith, M. D. London 1856.
- ↑ Ce rapport manuscrit nous a été communiqué par le général Bystrzonowski, que nous avons déjà cité parmi les écrivains militaires qui ont raconté la guerre d’Arménie.
- ↑ A Campaign with the Turks in Asia, by Charles Duncan, esq. London 1855.
- ↑ L’amphithéâtre est tracé a l’est par le Soghanli-Dagh et les monts Tchildir, que longe le Kars-Tchaï, au nord par le Gok-Dagh, à l’ouest par la flèche de l’Alaghez.
- ↑ Cet état de situation nous a été communiqué par le général Bystrzonowski. Il ne comprend que les troupes engagées le jour de la bataille.
- ↑ Voyez sur les détails de ce plan la relation publiée par le général Bystrzonowski dans le Spectateur militaire 1858.
- ↑ Elles étaient ainsi conçues : « Article Ier. Désormais le fez sera porté sur l’oreille gauche, au lieu d’être porté sur l’oreille droite. — Article II. Les paremens des uniformes seront rouges au lieu d’être jaunes. — Article III. Les officiers porteront des cravates noires. — Article IV. Les officiers n’iront pas au même bain que les soldats. »
- ↑ Receveur-général des finances.
- ↑ Conseil de l’intendance attaché à chaque armée.