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VII


Le trio n’en resta pas là, mais le séjour au château d’Ecofleur ne se prolongea pas au-delà de trois mois et l’on se réinstalla chacun chez soi dans sa maison de S…

Passer l’hiver comme l’année précédente ne semblait plus possible aux deux époux. Ils reprirent cependant leur existence ordinaire et en furent tirés par trois évènements qui les rapprochèrent encore davantage, afin de parer aux éventualités.

Ce fut d’abord la constatation qu’Annina était enceinte, qui vint les surprendre dans la sécurité des plaisirs qu’ils entretenaient avec leur jolie suivante, se formant de jour en jour en grâce et en beauté. Irène rejaillissait bien sur ce qui l’entourait.

L’astre d’Annina n’avait pas pâli au milieu des félicités que le mari et la femme recherchaient avec Olympe.

Avec une demi-position fausse à la campagne par Son retrait du service et par son effacement devant les membres de la famille, Annina se tenait presque constamment enfermée dans les appartements particuliers de ses maîtres, dont sa chambre dépendait, ne se promenant que le matin avec Irène dans le parc, pour l’aider à cueillir des fleurs, ou le soir après le dîner, courant avec les uns et les autres, chacun s’habituant à la considérer dans l’élévation où l’appelait sa maîtresse.

Enfermée durant la majeure partie de la journée, elle lisait ou s’occupait des toilettes d’Irène, ce qui l’intéressait beaucoup. Celle-ci avait fait aménager une galerie dans les combles du château pour ses costumes, posés sur des mannequins, afin qu’ils ne prissent pas de faux plis et recouverts d’étoffes préservatrices. Baisée une fois à la hâte par Stanislas, il arriva que charmé de la façon dont elle le reçut, il s’arrangea parfois pour la rejoindre et la manœuvrer avec plus de fougue. Elle répondait de son mieux à son assaut et, à peine de retour en ville, elle remarqua que pour la seconde fois, ses époques ne survenaient pas.

Il n’y avait pas là de quoi s’effrayer, Irène et Stanislas prévenus, décidèrent qu’on ne pouvait la faire accoucher à S… et que d’un autre côté on ne devait pas la laisser seule quand le moment arriverait. On convint qu’on dissimulerait la grossesse tant qu’il le serait possible et que le jour où elle deviendrait trop visible, où l’on approcherait du dénouement, on partirait soit pour Paris, soit pour toute autre ville, où elle ferait ses couches, entourée de ses maîtres et qu’on mettrait l’enfant en nourrice, pour l’élever ensuite et lui créer une situation. Irène, toute émue, ajouta que les louis qu’elle économisait pour celui qu’elle avait espéré, seraient placés sur sa tête et lui constitueraient une première prime pour l’époque de sa majorité.

S’amuser est fort bien ; veiller au sort des enfants qui résultent du plaisir est encore mieux et le contrat social devrait le consacrer.

Cette affaire n’était donc pas pour faire dévier les deux époux dans la ligne de conduite qu’ils avait adoptée.

Deux autres évènements suivirent qui les obligèrent à réfléchir, en apportant une ombre au milieu de leurs joies.

Irène, rentrée en ville sortit davantage que l’année précédente, rendant de fréquentes visites aux parents et amis, surtout à Olympe, avec laquelle elle entretenait des relations lesbiennes les plus actives. Or, une après-midi, chez celle-ci, Isidore Desbrouttiers, le mari qu’on n’attendait pas, apparut brusquement dans leur tête-à-tête et surprit sa femme, la tête sous les jupes d’Irène.

Elle eut juste le temps de se relever et de S’écrier :

— Dieu, que tu m’as fait peur ! Est-il permis d’entrer ainsi sans s’annoncer !

Isidore était demeuré tout bête ; Irène rajustait tranquillement sa robe, sachant par expérience que le meilleur moyen d’en imposer à un homme consiste à ne pas se départir de son calme.

— Que faisais-tu aux genoux d’Irène, interrogea Isidore, la voix légèrement tremblante.

— Je lui appliquai sur la cuisse un morceau de sparadrap, elle s’est blessée et un peu plus tu voyais… ce qu’il ne t’est pas permis de voir.

— Je ne m’en serais pas plaint, dit-il rassuré et devenant galant. Cette blessure, pourquoi avoir attendu ? Comment s’est-elle produite ?

— Quel curieux ! Elle n’y a pas pris garde ! Elle changeait un de ses linges. Est-il admissible de vouloir tout savoir. Le linge était noué, elle a essayé de couper le nœud avec les ciseaux les ciseaux ont glissés ; elle n’a rien ressenti sur le moment : ici, ça a commencé à lui cuire très fort, elle me l’a dit et j’ai eu l’idée de la soulager ainsi.

— Oh, les femmes, les femmes !

C’était son refrain habituel. L’histoire passa ; il eut le tort de la colporter et, dans toute la ville, on parla bientôt des cuisses de Mme Stanislas Breffer, que pansait Mme Desbrouttiers, non qu’on y attachât de la malignité, mais pour le simple plaisir de parler des jambes d’une jolie femme.

Stanislas et Irène en rirent pendant quelque temps, puis ça les agaça. À force d’en causer, de subtiles mauvaises langues n’exploiteraient-elles pas le récit et Dieu sait les proportions qu’on lui donnerait.

Le troisième évènement suivi de près.

Stanislas avait continué ses habitudes de manille le soir : les jours étant courts, le temps lui pesa avant le dîner, il alla au café absorber l’apéritif.

À la suite de la lettre écrite à Irène par le cousin Boullignon, lors du bal chez Sigismond, on lui battit froid pendant quelques semaines, puis on se raccommoda. Il s’appliqua à faire oublier son intempestive missive, et il parvint à ne plus porter ombrage ni à l’un ni à l’autre des deux époux.

Boullignon était un homme de trente-cinq ans, pas beau, mais très gai, marié à une femme laide, acariâtre, qui aurait rendu la vie malheureuse à tout autre qu’à lui. Il l’avait épousée pour son argent, qui lui assurait une certaine indépendance, n’ayant à s’occuper que de la gestion de ses terres, toutes de bon rapport dans les environs de S…

Très gai, il avait un répertoire d’histoires amusantes, avec lesquelles il excitait l’hilarité de ses auditeurs, ce qui lui facilitait l’accès de bien des maisons.

Il devint l’un des familiers de chez Stanislas, qu’il sût flatter et qui n’attacha plus aucune importance à ses anciennes velléités, surtout depuis le retour d’Ecofleur.

Familier, il profita du nouveau goût de Stanislas pour l’apéritif et vint quelquefois chez lui à ces heures ; Irène, seule dans son salon, lisait ou brodait, s’en remettant à Annina du soin de veiller aux divers services.

Elle le reçut, parce qu’il se montrait très réservé et qu’il la faisait rire par ses contes.

Il arriva qu’à une de ces visites, il eut un récit assez grivois, très folâtre, qui souleva de tels éclats de rire chez Irène que, comme elle était debout, lui sur le point de partir, il simula l’air le plus niais et s’écria :

— Je parie, cousine, que vous en pissez.

Avant qu’elle n’eût cessé de rire, sa main toute prête se faufilait sous les jupes, agrippait le conin et les fesses.

Elle riait encore, dans un moment d’oubli, se secouant mal de la main qui la chatouillait ; ne recouvrant son sang-froid que, lorsque devant ses yeux, elle aperçut la queue de Boullignon, hors de la culotte et se dirigeant dare-dare vers ses cuisses.

— Êtes-vous fou, cousin, dit-elle, ou cela est-il dans l’histoire ?

Elle se défendit ; il l’a tenait bien. Il ne l’aurait pas lâchée si, lui attrapant la queue avec les doigts, elle ne l’eût fortement pincée, au point de lui arracher un cri.

Reculant de deux pas, elle lui dit d’un ton très sec :

— En voilà une de belle ! Stanislas sera joliment furieux, lorsque je lui raconterai votre sottise.

— Vous ne raconterez rien du tout, cousine, parce qu’autrement je jaboterai qu’il n’y avait pas de coup de ciseaux à votre cuisse et que je l’ai vue votre cuisse. Vous allez faire patte de velours sur ce petit là, pour lui demander pardon de votre méchanceté, sans quoi j’en dégoiserai qui ne vous sembleront pas drôles.

— Vous, un parent, vous inventeriez des histoires sur mon compte !

— Je passe mon temps à en inventer ! Il faut bien amuser. Patte de velours là-dessus.

— Racontez tout ce que vous voudrez, je m’en moque.

— Vous avez tort On écoute toujours les histoires qui roulent sur les machinettes des femmes. Puis ne lui devez-vous pas la main de velours, après l’avoir si vilainement pincé ?

En somme, elle ne posait pas à la pudibonderie outrée, elle obéit avec une sage réserve : elle fit la main de velours sur la queue de Boullignon qui n’insista pas davantage, se reculotta gravement et dit :

— Voyez, c’était la fin de l’histoire et, pour rire un brin, ça n’a pas d’importance. Nous restons amis, eh !

— Vous êtes un mauvais sujet, cousin ! Soyez plus raisonnable et on oubliera.

— On ne demande pas mieux.

Elle l’accompagna, comme les autres fois, jusqu’à la porte ; en traversant un couloir étroit et mal éclairé, il l’attrapa de nouveau, l’eut vite troussée, en la poussant contre le mur.

Elle n’osa bouger de peur que le service peu éloigné ne l’entendit ; elle donna des coups sur les mains qui lui tenaient les jupes relevées, et murmura :

— Cette fois-ci, nous nous brouillerons.

— Oh que non pas ! Il ne sera pas dit que ma queue, ayant été touchée par votre main, ne vous aura pas chatouillé… le nombril.

Elle n’opposa aucune résistance à cette lubie, immobile, prête à recouvrer la liberté de ses mouvements, à la moindre hésitation qu’il montrerait. La queue toucha le nombril, les poils : l’hésitation se produisit quand, descendant vers les cuisses, il lâcha les jupes pour la pointer vers le conin.

Irène recula subitement et, avec ironie, lui dit :

— À abuser, cousin, on perd ses avantages.

— Je m’en souviendrai, cousine ! Hein, nous avons été bien près de la chose ; avec un peu de bonne volonté ça y était. Vous y viendrez plus tard.

— Jamais, mon bonhomme.

— Ne le jurez pas.

Le soir même, Boullignon imaginait une histoire sur cette visite où, sous un léger voile, il parut désigner l’héroïne.

Cette histoire que son mari lui raconta, elle le sentit, devenait comme une épée de Damoclès sur sa tête. Elle fit part à Stanislas de ce qu’il en était réellement et celui-ci, encore plus irrité que de la lettre, parla de châtier son cousin.

— Pas de bêtise, conseilla Irène, il est homme à faire du scandale ; ignore, c’est le plus sage. Quant à moi, jamais, jamais avec un tel magot, sans argent et je ne me vends plus.


Fin du Tome I