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XI


Irène les attendait à la gare et ne dissimula pas sa joie en les voyant descendre du train.

Sitôt dans la voiture, elle serra dans ses bras avec grand amour Olympe, en lui disant :

— Ah ! ma jolie cocotte, quel bonheur tu me procures et quelle fête t’en récompensera !

Se tournant vers Gabrielle, qui était assise en face d’elle et à côté de Stanislas, elle l’embrassa de même et susurra :

— Stanislas a été gentil pour toi !

Ce que signifiait la question, Gabrielle le comprit, elle glissa la bouche vers celle de sa sœur et répondit à voix basse :

— Tout à fait gentil.

Irène éprouva un certain étonnement, puis tout d’un coup elle engouffra la main sous les jupes de Gabrielle, arriva au conin à travers le pantalon, le toucha avec un doigt fureteur et s’écria :

— Il t’a dépucelée ! Mes compliments, monsieur mon mari ! Embrasse-moi, tu as bien fait !

Elle se retourna du côté d’Olympe assise près d’elle, dans le fond de la voiture, et l’enlaçant, lui dit :

— Avez-vous fait des folies ensemble en mon absence ?

— Il a commandé la sagesse.

— Ah ! bah !

On lui raconta alors la brouille du ménage Desbrouttiers.

Son avis fut de ne pas penser au divorce, mais de profiter de cette occasion pour imposer un joug tyrannique à son mari, joug qui lui assurerait sa pleine liberté.

— Tiens bien la dragée haute, ma chérie, lui dit-elle, et rentrée dans ton intérieur signifie ta volonté de sortir tous les jours, de venir avec nous dans nos parties de bicyclette et ailleurs.

— Tous les jours avec vous ? Quelle veine ?

— Tous les jours, non : tu t’en lasserais, et puis on finirait par trouver trop intime notre affection. Presque tous les jours, oui ; les autres tu iras chez les parents, les amis, pour bien savoir ce qu’on dit dans le pays.

— Compris, compris.

Stanislas considérait sa femme avec des yeux étonnés : il la trouvait changée d’allures et de physionomie. Ses yeux, très marqués, trahissaient l’ardeur des plaisirs amoureux ; son teint un peu pâle, la fatigue : les cheveux rangés à la chien, avec des frisons sur le front, qu’elle n’avait pas d’habitude, soulignaient la volonté voluptueuse de l’ensemble de la tête ; elle affirmait par la vivacité des mouvements la soif des ivresses sensuelles.

— Ta lettre m’a-t-elle tout conté, demanda-t-il ?

— Elle est écrite depuis hier, répondit-elle, et j’ai tout fait pour ne pas m’ennuyer ; devine.

— Irène, Irène.

— Voici mon programme pour ce soir ; j’espère que tu l’approuveras, pour notre plus grande joie à tous. J’ai invité deux amis à dîner.

— Deux amis, je les connais ?

— Non, mais vous serez vite très bien ! Un arabe et un prêtre.

Ce fut un ébahissement général.

— Dites donc, mes amours, continua Irène, nous sommes ici des cocottes, vous m’entendez bien, vous voulez de la noce avant de rentrer à S… Stanislas consent à vous la servir, il fera le troisième cavalier. Ça va-t-il ?

Il y eut un petit silence, puis Gabrielle prit la parole :

— Toi, tu es l’aînée et sa femme ; tu le prends donc de plein droit, et nous, nous aurons ceux que nous ne connaissons pas.

— Tu es une serine, ma fille ! On ne prend personne ; liberté de plaisir et pas de préférence ! Moi, je désire que tous les trois me passent dessus.

Gabrielle devint rouge comme une pivoine devant ce langage, auquel elle n’était pas accoutumée, devant le nouveau genre de sa sœur ; elle commença à penser que la cocotterie pourrait bien cacher de vilains aspect, dont elle se choquerait.

Elle jeta un regard langoureux à Stanislas, qu’Irène vit.

— Ne t’effarouche pas mignonne, dit-elle, ceci n’est que pour brûler nos vaisseaux. Tu veux mon mari comme cavalier attitré, je te le cède. Nous nous arrangerons avec Olympe, n’est-ce pas ?

— Moi, répondit celle-ci, je ne demande qu’à m’amuser. J’oublie notre ville de province, vive la noce et si nos trois cavaliers ont envie de moi, qu’ils me prennent.

— Bravo, Olympe, tu as du sang dans les veines.

La visite de l’hôtel d’Irène provoqua l’étonnement des deux jeunes provinciales qu’étaient Olympe et Gabrielle. Elles ne résistèrent pas à la tentation de se baigner dans la jolie piscine ; Stanislas courut au tube avec sa femme, afin d’en obtenir des explications complémentaires sur ces deux nouveaux amis.

Irène arrangea très bien son histoire de vieilles connaissances de voyage rencontrées à Paris dès son arrivée de S… Elle s’étendit surtout sur l’arabe, exprima l’opinion qu’il serait un ami sincère, un ami de durée et, quand Sidi-ben-Mohammed survint sur les six heures et demie, aucun mauvais visage ne l’accueillit.

Irène avait dirigé la toilette de sa sœur et de sa belle-sœur. Possédant tout ce qu’il fallait pour organiser des costumes appropriés à ses fantaisies, il lui était facile de réussir, surtout quand ils offraient peu de complications, comme ceux rêvés pour la soirée qu’elle désirait. Les trois femmes adoptèrent presque le genre du Directoire ; des toilettes d’étoffes voyantes, laissant les épaules nues, les seins à peine encastrés d’une mousseline vaporeuse, avec des jupes tombant sur le cou-de-pied, mais d’ampleur assez large pour favoriser toutes les audaces.

Elles étaient toutes les trois, radieuses beautés, dans le salon avec Stanislas, lorsqu’apparut l’arabe Mohammed.

Les présentations se firent, Mohammed salua en portant la main au cœur, puis vint à Stanislas, lui tendit la main, et dit :

— Je ne demande qu’à être ton frère, à toi le mari de cette splendeur, le maître de ce gentil harem.

Les deux hommes se serrèrent cordialement la main et Irène, forçant la situation, comme Mohammed venait de s’asseoir, s’installa franchement sur ses genoux, en disant :

— Mohammed a été mon amant. Maintenant qu’il vous connaît, j’ai permission de lui donner un baiser d’amour.

Elle se pencha à son cou et colla les lèvres aux siennes.

Gabrielle cette fois pâlit et éprouva comme une lueur de révolte devant cet acte si prompt, elle se glissa derrière Stanislas.

Mohammed s’aperçut de ce mouvement, en devina le sens, souleva Irène de dessus ses genoux, s’approcha d’une corbeille de fleurs, y prit trois roses de nuances différentes, vint offrir à Gabrielle la plus claire de couleur, en disant :

— Ta beauté s’ignore encore, gentille houri comme s’ignore cette rose à peine colorée : les roses, quelle que soit leur parure, sont belles et méritent qu’on les admire ; prête ta main, que je la baise. Je sais observer le sentiment des femmes et le respecter.

Gabrielle ne refusa ni la fleur, ni le baiser et Mohammed, se dirigeant vers Olympe, lui remit une rose plus foncée comme nuance, en disant :

— Ta beauté veut savoir et consent à aimer, jolie Odalisque ; cette fleur est belle, mais ne jouit pas de ton éclat. Je voudrais te baiser le cou, le permets-tu ?

Olympe ne fit pas plus de façon que Gabrielle. Mohammed vint alors à Irène avec une rose pourpre, éblouissante, s’agenouilla, et dit :

— Celle-ci serait pour pousser sous tes pas, ô femme qui a en toi la passion de l’amour ; accorde à mes lèvres le baiser qui te rend la reine du plaisir.

Doucement, Irène tira à elle ses jupes jusqu’à hauteur des cuisses et Mohammed lui baisa son fin et coquet joyau.

— Ceci est la porte du ciel, les hommes méchants sont seuls la cause qu’elle est fermée et cachée.

La glace était rompue : Stanislas lui serra de nouveau la main et Mohammed se trouva tout à fait à l’aise.

L’abbé Déculisse arriva à son tour, dans une tenue laïque et, malgré l’étrangeté du trio masculin, l’accord se scella rapidement, grâce à des madrigaux qu’il débita fort à propos à chacune des dames.

À table, pour qu’il n’y eût aucune gêne entre personne, Irène avait divisé les trois couples, s’installant à trois côtés d’une table carrée, sur des canapés faits exprès pour présenter toutes les commodités, reliant ainsi son festin moderne aux brillantes orgies romaines.

Stanislas et Gabrielle, Déculisse et Olympe. Irène et Mohammed, formaient les trois couples les plus parfaits qu’on pût souhaiter pour cette fête culinaire et amoureuse, que servaient deux gentilles soubrettes, engagées pour la circonstance par Mirette.

À peine assis à leurs places Irène se leva debout pour donner le ton à la réunion, un verre à la main, se tourna vers Mohammed, et dit :

— Que l’amour et ses plaisirs, mon cher convive, soit pour toi et pour vous, dans ce repas, où je veux que revive l’harmonie des joies délicates : prends ma taille, monte tes lèvres jusqu’aux miennes et bois la gorgée que j’y coule pour tes ivresses.

Son regard plana sur les deux autres couples, Olympe et Gabrielle comprirent son invitation, elles se levèrent à leur tour, le verre à la main, l’imitèrent pour leurs cavaliers, lorsqu’elle se plaça contre Mohammed pour lui offrir sa taille et chacun d’eux but aux lèvres de sa dame une gorgée de vin féminisé.

On commença le repas, un orchestre de six à sept instrumentistes, dans un salon voisin, exécuta de douces mélodies.

Les yeux de Sidi-ben-Mohammed, extasiés sur ceux d’Irène, la remercièrent de cette fête si complète qu’elle sût organiser, tandis qu’Olympe, se laissant enlacer par Déculisse, dont le type blond s’alliait à merveille à sa brune beauté, permettait à ses mains de voyager sous ses jupes et sur ses seins.

Gabrielle et Stanislas, se tenant par le cou, échangèrent un long, long baiser.

Les mets, succédant aux mets, accompagnés de leurs vins spéciaux, ce fut un doux murmure de conversations amoureuses, de tendres caresses, de chaudes privautés où Irène dirigea les services et… les libertés. Elle quittait de temps en temps sa place, passait derrière Déculisse, se penchait par dessus le canapé, près de sa tête et lui disait :

— Jouis. Il y a ici plusieurs vins, des mets variés, bois et mange, ne serait-il pas monstrueux de s’en tenir à un vin ou à un plat !

Déculisse levait la tête, il apercevait celle d’Irène penchée, il happait sur ses lèvres la caresse qu’elle sollicitait.

Posant la main sur l’épaule d’Olympe, elle continuait :

— Va rendre à mon cavalier la caresse que le tien m’a donnée.

Poussant Stanislas contre Gabrielle, elle s’installait à côté de lui, appuyait la tête sur son épaule et murmurait :

— Ses lèvres sont plus jeunes que les miennes ; elles ne possèdent pas la saveur du baiser, qu’on apprend que par le commerce de plusieurs hommes. Baise ma bouche mon cher époux, prouve que tu n’est pas jaloux de ta femme, prouve que tu ne ressens pas d’irritation de la volupté qu’elle procure.

Stanislas prenait dans ses lèvres celles de sa femme, la caresse s’échangeait, puis Irène tournait brusquement sur elle-même, se couchait les reins sur les jambes de son mari, apportait la tête sur les genoux de Gabrielle, lui tendait les bras et disait :

— Baise sur ma bouche la caresse que ton amant vient d’y faire.

Cette caresse faite, Gabrielle voyait sa sœur se relever, la prendre par la main, la conduire vers Mohammed et dire :

— Assieds-toi sur mes genoux, rend-lui le baiser que tu m’as pris, atteste ainsi que tu es digne d’être houri de harem.

Les cœurs battaient, les sens s’alanguissaient, Irène, la première, se renversa sur les coussins de son canapé, ouvrit les bras à Mohammed et, entre deux services, les soubrettes jetant des pétales de fleurs sur les deux amants, se fit baiser.

Olympe et Gabrielle n’osaient pas.

Déculisse sortit sa queue, Olympe avait inconsciemment exécuté la manœuvre d’Irène pour le suçage et cette manœuvre, amenant le résultat, elle tressaillit, glissa à genoux et suça.

Gabrielle, à cheval sur Stanislas, s’abandonnait.