La Troisième République française et ce qu’elle vaut/8

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CHAPITRE VIII.

Non, vivre en état de République n’est pas pour un peuple une situation approximative et sans conséquence. Elle est ce qu’elle est et exige dans ceux qui s’y veulent mettre des aptitudes spéciales. On vient de voir que des bandes de fonctionnaires voués au culte de la promotion n’étaient pas le milieu où peut réussir le dogme démocratique, mais ces bandes de solliciteurs faméliques sont admirablement douées pour faire fleurir et réussir le despotisme. C’est avec de pareilles gens que les meneurs militaires se soutiennent dans le monde ; c’est par eux qu’ils s’y succèdent, c’est par eux qu’ils y reviendront sans cesse, et sans eux, ils ne pourraient tout au plus connaître qu’une existence éphémère.

On ne perd pas de vue qu’il s’agit en ce lieu-ci de montrer comment toutes les nuances de républicains perceptibles en ce moment en France veulent, au fond, tout autre chose que la République. Nous venons de constater ce que le caput mortuum de capacités égalitaires composant la partie apparente de la nation a la prétention passionnée de maintenir : c’est l’égalité et par suite, la doctrine de l’ancienneté, de la faveur, pour arriver à la cause finale, l’avancement et comment tout cela ne mène qu’au goût de la servitude. Regardons maintenant l’autre côté que voici : nous faisons un pas de plus dans la région républicaine ; nous sortons de la plaine et nous montons sur la montagne. Voici le panorama des sommets où campent les partis que l’on appelle avancés : que demandent-ils ?

La liberté ? Pas plus que les honnêtes gens que l’on vient de passer en revue. L’égalité ? En aucune sorte ; ils aspirent à la fraternité et, pour obtenir cette fraternité, il leur faut l’organisation et ce qui rend l’organisation possible, c’est la dictature : « reges et greges », des Rois, alias, des bergers et des troupeaux. Les troupeaux ne trouveraient pas tout seuls les prairies où il leur est bon de paître ; ils y voudraient trop manger ou pas assez manger ; ils préféreraient le trèfle au chiendent, l’orge à l’avoine, le blé au seigle ; ils y voudraient rester à contretemps ou en voudraient sortir. Il faut donc des bergers, tout puissants, armés de bonnes et fortes houlettes, et ce n’est pas assez des bergers ; il faut encore des chiens et qui mordent. Tout cela ce n’est pas la République et c’est précisément le contraire des fastueux avantages de cette République dont on a tant parlé depuis plus d’un siècle.