La Troisième République française et ce qu’elle vaut/27

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CHAPITRE XXVII.

Point du tout. Ils se sont immédiatement occupés de changer la forme du gouvernement et, dans ce but, leur premier soin a été de renverser celui qui existait et qui tout occupé à se défendre et à défendre le territoire envahi, ne se voyant plus ni armées, ni ressources, a dû tomber quand on s’est mis à lui tirer dans le dos.

Pourquoi s’est-il laissé tomber ? ont déclaré les membres du Gouvernement de la défense nationale. Nous n’avions pas l’intention de lui être désagréable et ce que nous pouvions dire ou faire n’aurait pas dû être de nature à le troubler.

Assurément, mais sa position lui a paru difficile. Lorsque, pour son malheur, il se fut dépouillé, lui-même, des prérogatives qui l’avaient fait vivre et se fut donné à la nation pour autre qu’on ne l’avait connu ou supposé, enclin à ne plus se défendre si on voulait prendre la peine de l’attaquer, pourvu d’une presse, orné d’une tribune, servi par les libéraux, ces mêmes libéraux qui ont fait choir et la royauté de 91, et la Restauration et Louis Philippe, et qui feront choir le Septennat s’il ne se hâte pas d’employer un autre moyen de ruine, le Gouvernement Impérial se trouva n’avoir plus dans les mains et la ceinture que des armes de précision, sans doute, mais qui se déchargeaient toutes par la culasse et c’est pour cela qu’il se laissa tomber.

Alors la faction qui prit sa place, voyant l’Allemagne solidement attachée au cœur de la France, et s’y plongeant du bec et des griffes à loisir, elle se garda de faire la paix, ce qui eût été la seule conclusion possible de la faute qui avait été commise en faisant la guerre, elle déclara au contraire, qu’elle ne ferait jamais la paix et qu’elle allait user de tous les moyens dont le pays était riche, pour rejeter les vainqueurs au-delà du Rhin, ce qu’elle jura être infaillible. Il n’existait plus d’armées françaises, rien de plus vrai ; mais on se bat si bien sans armées, quand on a de l’enthousiasme et des proclamations !

Je crois sincèrement, contrairement à l’opinion de beaucoup de gens, que les gouvernants d’alors croyaient un peu à ce qu’ils disaient. Par la vertu de la sainte ignorance, ils eurent confiance, à peu près, dans les mesures dont ils firent étalage et leur manière de raisonner faux, mais enfin de raisonner est garantie par la façon dont ils agirent.

Ils ravagèrent tous les environs de Paris afin, dirent-ils, de s’entourer d’une couture de déserts. Ils étaient d’opinion, d’abord que cette opération avait d’autres résultats possibles que la ruine d’une foule de gens qui n’en pouvaient mais ; secondement, ils entretenaient quelque vague espérance que l’ennemi allait se laisser mourir de faim ce qu’il eut la malice de ne pas faire.

Ils firent sauter à grand fracas des ponts et des ouvrages d’art valant des sommes immenses ; peut-être leur avait-on révélé que les armées envahissantes ne marchaient pas sans équipages spéciaux et pouvaient à leur gré passer toutes les rivières, sans qu’on leur donnât la main. S’ils le savaient, ils étaient convaincus que ce n’était pas commode et que les Allemands seraient au moins contrariés. Le résultat fut pourtant que ceux-ci ne moururent pas de faim, passèrent et quand ils eurent passé, on leur fit courir entre les jambes des mobiles à demi-nus, ni armés ni commandés, des mobilisés encore plus misérables, mais il y en avait beaucoup et c’était sur cette circonstance qu’on se fondait pour ne pas douter d’exterminer l’adversaire jusqu’au dernier homme. Que pouvait-il devenir, si à chacun de ses soldats on accostait deux et même trois bourgeois ou paysans poussés contre lui ? C’était un raisonnement d’arithmétique et les hommes habiles qui le faisaient tout haut promettaient que pas un des malandrins ainsi serrés ne sortirait vivant de sa folle entreprise. Pourquoi ce calcul a été trompé, c’est ce qu’il est inutile d’expliquer ; le fait est qu’il l’a été. Cependant, un certain nombre de bataillons échappés aux désastres existait encore, des officiers dévoués les ralliaient, des généraux animés du dévouement le plus absolu se montraient à leur tête ; on pouvait tenter quelque chose, espérer quelque peu ; le général d’Aurelles l’a prouvé à la bataille d’Orléans ; mais les dictateurs voulurent assumer sur eux la responsabilité entière, parce qu’ils voulurent, sans doute, faire éclater dans tout son jour le mérite de leurs combinaisons et le plus apparent d’entre eux, harcelant les chefs militaires de ses ordres, de ses contre-ordres, de ses plans, de ses inspirations, de ses invectives, produisit ce qu’on a vu, l’épouvantable désastre de l’armée de l’Est, la ruine des troupes de l’Ouest et l’arrivée des envahisseurs jusqu’au sein de la région trans-ligérienne. La folie, les mensonges, les fanfaronnades, les menaces des proclamations n’y changeaient rien, et les marchés scandaleux et l’agiotage et la collation insensée de grades militaires tombant en pluie sur les épaules les plus grotesques et tout ce qu’on a vu, enfin, et qu’il faudrait encore revoir si la commission des XVIII et ses triumvirs et le chef des dits triumvirs venaient à pousser leur victoire actuelle jusqu’au bout, tout cela n’a pas empêché la France d’être foulée aux pieds comme jamais nation ne l’a été, non que la défaite ait en soi le caractère humiliant que l’absurdité de ceux qui en ont été cause prétend lui imposer ; toutes les armées, tous les peuples ont été successivement vaincus les uns par les autres et à plusieurs reprises. S’il est honteux d’être battu tout le monde l’ayant été, personne n’a lieu d’en rougir devant le vainqueur, battu hier et qui peut l’être demain ; mais il est honteux, il est inexcusable pour des gouvernants d’avoir voulu et amené ce qui s’est passé dans le triste pays de France entre la bataille de Sedan et la paix de Paris.