La Transylvanie et ses habitants/Chapitre 18


La Transylvanie et ses habitants
Imprimeurs-unis (Tome IIp. 33-48).
chapitre XVIII.
Fagaras. — Les libres barons.

Si le lecteur jette les yeux sur la carte, il verra qu’au milieu du pays des Saxons, vers la Valachie, se trouve une portion de territoire peu étendue réservée aux Hongrois. La population se compose là des mêmes éléments que sur le sol voisin : on y compte peu de Magyars, un certain nombre d’hommes de race allemande et beaucoup de Valaques.

On ne comprend pas d’abord pourquoi ce territoire est séparé ainsi du pays des Saxons, puisque ni la nature ni les hommes n’ont changé. Ce sont toujours les mêmes campagnes également bien cultivées, les mêmes villages également bien bâtis, les mêmes langues, les mêmes physionomies, les mêmes costumes. Mais il faut en accuser les événements politiques, qui fort souvent arrangent les choses contre tout ordre naturel. Les Saxons s’écrient qu’on leur a enlevé une partie de leur terre, et à ce sujet formulent un nouveau grief contre les Hongrois. Il leur en coûte de ne pouvoir plus dire avec le diplôme d’André II : Le pays compris entre Varos et Boralth ... appartient à un seul peuple. Ils ont raison ; toutefois j’imagine qu’il y aurait danger pour eux à invoquer trop haut ce vieux privilège. Ils perdraient du terrain si on leur rendait les véritables limites que le roi André avait assignées. Sans parler de Bistritz, qu’ils occupent à leur tour au milieu de la terre des Hongrois, ils possèdent plusieurs points en dehors de ces limites, lesquelles, par exemple, ne comprenaient qu’une partie du district actuel de Cronstadt. Trois siècles après André, le roi Vladislas donnait encore aux Saxons le château de Törts avec neuf villages. Le territoire de Fagaras, celui-là même qui se trouve placé au cœur de leur pays, faisait autrefois partie du comitat hongrois d’Also Fejér, comme le montrent les anciennes chartes.

Il tire son nom d’un château autour duquel fut bâtie la petite ville qui en est le chef-lieu : on la traverse en allant à Cronstadt. La contrée est belle, seulement un peu froide. Le maïs et le tabac y croissent assez bien ; mais il n’y a guère de vignes. Plus loin, dans la province de Cronstadt, il y en a moins encore. Cela tient à l’élévation du sol, qui augmente graduellement à mesure que l’on approche des montagnes de la Valachie. Les torrents qu’alimentent ces montagnes coulent avec rapidité vers le nord, et l’Aluta, qui arrive en droite ligne du pays des Sicules, rencontrant une pente, revient brusquement sur ses pas, tourne à droite, longe le territoire de Fagaras, et ne franchit la chaîne que beaucoup plus bas.

Quoique la saison fût peu avancée lorsque nous traversâmes Fagaras, il régnait un froid très vif qui contrastait singulièrement avec les moissons dont les champs étaient encore couverts. Les montagnes qui terminent au sud la Transylvanie bornaient continuellement l’horizon. Elles se groupent quelquefois par masses énormes, de façon que l’œil se perd dans une suite de cimes hautes et ardues. La neige les avait déjà blanchies. Des nuages de plomb roulaient lentement au ciel , qui semblaient les prolonger sans fin, comme si nous eussions eu devant nous les bornes de la terre. Les montagnes portent à leur base d’antiques forêts de sapins, ce qui leur donnait là une teinte sombre. Ailleurs elles se présentent régulièrement fendues, également élevées, pareilles à de gigantesques sillons fraîchement tracés. Quand le soleil paraissait un instant entre les nuages gris, il dessinait des lignes d’argent sur ces cimes et ces arêtes, animait de quelque lueur ces masses de fer, puis bientôt tout rentrait dans l’ombre, et le tableau se cachait dans un épais brouillard.

Placé entre ces montagnes et l’Aluta comme entre des limites naturelles, le territoire de Fagaras fut regardé de bonne heure comme une sorte de province à part, qui avait ses maîtres distincts. Les vayvodes de Valachie y exercèrent un droit de protection : ils eurent la prérogative d’y envoyer des actes de donation et des lettres de noblesse, qu’on appelait pour cette raison boeronales litierœ[1].

Les habitants étaient exemptés des charges ordinaires ; mais ils devaient défendre le château. De là vient que dans les actes publics on les appelait souvent bastazones, du hongrois bástya, bastion[2]. Pour les nobles, ils étaient tenus, au temps de Michel Apaffi, d’aller au devant du prince à son arrivée, et de l’escorter à son départ. Quand il eut perdu ces puissants possesseurs, le territoire de Fagaras fut soumis à un officier qui commandait le château. Aujourd’hui encore le magistrat qui l’administre ne prend pas le titre de comte, mais de capitaine suprême.

La forteresse qui lui a donné son nom fut élevée vers l’an 1299. Elle était destinée à couvrir les frontières de la Transylvanie, que les Tatars commençaient déjà d’attaquer périodiquement. On raconte que les ouvriers qui la bâtirent recevaient chaque soir une pièce de bois en forme de monnaie : la semaine finie, on leur comptait autant de pièces d’argent. Ils l’appelèrent pour ce motif Fa Garas[3], c’est-à-dire « sou de bois », et le nom lui est resté. C’était un château redoutable. Les larges fossés qui l’environnaient se remplissaient des eaux qui tombent des montagnes, et les murailles, d’une épaisseur prodigieuse, étaient encore défendues par des ouvrages extérieurs. Presque tous ceux qui le possédèrent y ont laissé des signes de leur passage : ils gravèrent sur les murs leurs noms et leurs armes. Báthori y sculpta les trois dents, avec deux anges pour support, qui firent reculer les Turcs à Kenyér mezö. À côté vinrent se placer les deux cygnes du prince Bethlen. Les janissaires, eux aussi, y laissèrent leurs souvenirs, des trous de balles et des traces de fumée. De nos jours le château de Fagaras, judicieusement raccommodé au moyen de murs en brique fort propres, est devenu une mauvaise citadelle autrichienne. Ses quatre tours, diminuées de moitié, flanquent lourdement l’édifice principal, derrière lequel ressort le gros mur qui protégeait la chapelle. Tout cela est magnifiquement peint en blanc.

Que ne l’ont-ils gardé noirci et tout paré des blessures que lui firent les Turcs et les Hongrois, les Révoltés et les Allemands ! car Fagaras fut défendu et assiégé dans toutes les guerres de Transylvanie. Pendant le 17e siècle les princes y résidèrent souvent : c’était au milieu des troubles une habitation sûre. Apaffi Ier y mourut Mais avant qu’il servit de demeure aux souverains, il attira toujours les armées ennemies. En 1704 les Révoltés et les Impériaux se battaient encore sous ses murs. En 1661 Jean Kemény y assiégeait le frère de Bartsai, dont il était le compétiteur, et la garnison qu’il y jetait avait ensuite à soutenir les assauts d’Ali, pacha de Temesvár. Georges Bánffi le prenait en 1573, au bout de dix-neuf jours, sur Békesi, au moment même où les Turcs allaient s’en emparer pour leur compte. Le château de Fagaras rappelle surtout un fait de l’histoire nationale qui s’est accompli au temps de Majlath, en 1540.

Étienne Majlath, qui avait pris part à la conjuration d’Alvintz en faveur de l’Autriche, s’était retiré dans sa forteresse de Fagaras, quand il apprit que l’armée hongroise commandée par Valentin Török venait l’assiéger. Török avait reçu l’ordre d’attaquer jour et nuit. Il n’était pas possible à Majlath de soutenir long-temps un siège de ce genre. Quand il sut en outre que la Diète de Torda l’avait déclaré coupable de haute trahison, il ne chercha plus à se sauver par les armes. Il se soumit, et, le roi Jean étant mort dans le même temps, jura fidélité à sa veuve Isabelle et au jeune prince Jean Sigismond. Török leva le siège. Délivré du péril, Majlath recommença d’intriguer. Les partisans de l’Autriche le nommèrent vayvode pour l’empereur, avec Emeric Balassa, son complice, dans une diète qui fut tenue à Schœsbourg. Alors il leva le masque, et se déclara ouvertement contre Isabelle. Soliman, lorsqu’il en fut informé, défendit à la noblesse transylvaine de soutenir les généraux impériaux, et, pour joindre les effets aux menaces, envoya Achmeth-Balibeg, pacha de Nicopolis, et Pierre, prince de Moldavie, à la tête d’un corps de troupes, avec ordre de les amener à Constantinople morts ou vifs. Majlath se vit encore assiégé dans Fagaras. Les Turcs tentèrent d’abord d’emporter le château ; mais ils trouvèrent l’ennemi bien disposé à les recevoir. D’ailleurs le rebelle avait eu le temps de faire de grands préparatifs, et ni approvisionnements ni armes ne lui manquaient. Ils eurent alors recours à la ruse.

Un ami lui conseilla de réclamer une entrevue d’Achmeth, en prenant pour sa sûreté toutes les précautions possibles, afin de terminer par un accord cette guerre, qui pouvait tôt ou tard le perdre. Il y consentit, pourvu qu’on lut envoyât des otages importants. Quelques janissaires superbement vêtus se présentèrent en conséquence aux portes du château, et furent reçus avec cérémonie. Dès qu’il les vit entre les mains de ses heiduques, Majlath monta à cheval et se rendit au camp des Turcs. Il y fut chargé de fers. Achmeth répondit à ses reproches, disant qu’il fallait agir perfidement avec un perfide. Selon d’autres chroniqueurs, Pierre de Moldavie aurait proposé à Majlath de venir sous la tente du pacha, l’assurant qu’aussi long-temps que le soleil brillerait aux cieux il ne courait aucun péril, puis, le soir venu, l’aurait fait prisonnier. Quoiqu’il en soit, Étienne Majlath, devenu captif des Turcs, fut envoyé à Constantinople, et enfermé jusqu’à sa mort dans les Sept-Tours. Sa femme gagna la Hongrie avec ses deux enfants, Gabriel et Marguerite. Le premier sut dans la suite acquérir les bonnes grâces de Jean Sigismond, et rentra en possession des biens de son père. Fagaras lui fut donc rendu ; mais il ne le garda point. Gaspard Békesi eut l’adresse de l’effrayer de la colère des Turcs, et devint aussitôt possesseur de « ce véritable duché », comme dit l’historien Bethlen.

Les seigneurs de Fagaras étaient libres barons, c’est-à-dire qu’ils étaient presque rois sur leurs terres. Il n’est peut-être pas hors de propos d’entrer ici dans quelques détails.

Quand les rois de Hongrie voulaient récompenser un noble qui s’était distingué dans la guerre, ils lui conféraient une baronnie, c’est-à-dire une terre dont il devenait maître, sous la condition d’en mener les habitants au combat. C’était la seule charge du libre baron ; aussi les évêques qui étaient investis de cette dignité devaient-ils avoir fait leurs preuves de valeur. Un diplôme où étaient représentés les emblèmes du courage militaire lui était remis comme acte de donation. La cérémonie d’investiture avait lieu en présence des grands de l’état : le roi tirait l’épée et déclarait que le récipiendaire était admis au nombre des libres barons, avec la faculté de jouir des droits et privilèges que ce rang élevé comportait. Les guerriers qui étaient présents ressentaient à l’envi une noble émulation, et à la première bataille le souverain les retrouvait plus intrépides encore.

On a vu que l’évêque de Transylvanie avait rang de libre baron. La terre de Fagaras, celle de Kövár, étaient comptées comme libres baronnies avec les châteaux de Déva et de Görgény. Les seigneurs auxquels le prince en faisait donation n’obéissaient ni au vayvode ni aux autres officiers royaux. Ils gouvernaient leur baronnie avec une autorité pleine et entière. Ils rendaient la justice, décidaient toutes les causes, et on ne pouvait appeler de leurs jugements qu’auprès du prince. Eux-mêmes n’étaient tenus de se justifier que dans le cas de haute trahison. Leur terre était respectée des officiers qui parcouraient la Transylvanie dans le but de prendre les malfaiteurs. Cette opération de police (tzirkálás) avait lieu tous les trois ans, et hormis les habitants des villes privilégiées, ceux qui tentaient de s’y soustraire payaient une forte amende. Les libres barons faisaient rechercher et punir les malfaiteurs sur leurs terres par leurs propres officiers. C’était là un grand privilège, et qui les exemptait de toute inquisition. Ils avaient un drapeau, où étaient représentées leurs armes, et sous lequel accouraient les gens de la baronnie, en nombre déterminé, quand le service du roi l’exigeait. Ils se mettaient à leur tête, et suivaient partout le roi, ou le magnat qui tenait sa place. De là le nom qu’on leur donnait en hongrois, Zászlós urak, « seigneurs à bannières».

Les libres barons ont disparu. Déjà en 1561 les États avaient essayé d’abolir leurs privilèges, et de faire partager à leurs paysans les charges qui pesaient sur le reste des Transylvains ; mais l’influence des seigneurs intéressés avait rendu ces efforts inutiles. D’autres tentatives furent faites sans relâche jusqu’à ce qu’enfin les libres barons succombèrent. Les diètes de 1607 et de 1609 déclarèrent qu’à l’avenir le prince ne pourrait plus en instituer, et les baronnies furent assimilées au reste du territoire. Toutefois on conserva quelque temps celle de Fagaras en faveur des princesses qui la possédaient. Elle fut définitivement abolie lorsque le gouvernement des princes cessa. On voit encore dans quelques villes, suspendues aux murs des églises, de vieilles bannières trouées, sur lesquelles sont brodées des devises et des armoiries. C’est tout ce qui reste aujourd’hui de ces fiers seigneurs qu’on appelait des libres barons.

La recherche des malfaiteurs, dont les exemptaient leurs privilèges, était alors d’une extrême importance. On ne se bornait pas seulement à punir les coupable qui avaient attiré le regard de la justice ; mais on questionnait tout le monde pour découvrir ceux qui pourraient lui échapper. Le savant Benkö a retrouvé quelques fragments d’un interrogatoire tel qu’on en faisait subir alors au populaire de Transylvanie. La scène se passe sous Apaffi Ier, c’est-à-dire vers 1670. Un officier demande au nom du prince :

« Connaissez-vous des calomniateurs ou des blasphémateurs qui aient invoqué le démon ?

» Connaissez-vous des sorciers qui aient fait du mal aux hommes ou aux bêtes, ou qui aient emporté le beurre des vaches ?

» Connaissez-vous des paysans qui portent des bonnets de martre, des manteaux ou des culottes de drap teint et des bottes de peau de Cordoue ?

» Y a-t-il des gibets dans le village ?

» Qui de vous fume du tabac ?

» Qui s’est moqué des officiers chargés de prendre les moineaux ?

» Connaissez-vous des hommes qui se soient habillés comme les Allemands, et aient aidé les Allemands à voler autrui ?

» Qui a acheté aux Allemands des moutons volés ? »

Ces questions, quelque extraordinaires qu’elle puissent paraître de nos jours, même dans le pays où on les adressait sérieusement il y a moins de deux siècles, étaient en parfaite harmonie avec les idées du temps. J’ai eu occasion de parler des excès commis par les soldats allemands en Transylvanie, quand les empereurs commencèrent à prendre cette province sous leur protection. — Pour la chasse aux moineaux dont il est ici question, elle fut ordonnée par une loi spéciale, à cause du dommage que ces oiseaux faisaient au laboureur, et fut effectuée pour le plus grand plaisir du peuple, lequel raille toujours très volontiers ceux qui lui rendent service[4]. — Il était alors défendu aux paysans d’avoir du drap, afin que le prix des habits de luxe ne fût pas élevé. La diète décidait en 1683 qu’ils ne pouvaient porter ni armes, ni drap, ni vêtements de toile étrangère. En 1714 ce décret était renouvelé, et on ajoutait que le paysan ne pouvait avoir ni bottes, ni bonnets de martre, ni habit de drap étranger ; il pouvait toutefois faire usage du drap qu’il fabriquait lui-même. La chasse lui était aussi interdite sous peine de confiscation. Une exception fut faite à ces mesures en faveur des domestiques, des gardes et des chasseurs des nobles[5]. — Il paraîtra étrange qu’on recherchât des sorciers dans un pays où l’égalité des religions était reconnue depuis cent ans. Mais cette égalité, j’ai essuyé de le faire voir, fut due moins aux lumières qu’à l’esprit de justice qui anima les Transylvains, et l’on conçoit que, tout en suivant les règles de l’équité, chacun ait pu garder ses idées superstitieuses. Un Valaque subit la peine de mort en 1619 à Tövis parce qu’il était « possédé du diable », et les nobles qui assistèrent à cette exécution allèrent en donner les détails à la princesse de Transylvanie. — On se rappelle qu’autrefois les blasphémateurs étaient partout poursuivis et punis vigoureusement. En Transylvanie également ils subissaient une peine sévère. Marie-Thérèse les recommandait dans l’année 1770 à la vigilance des magistrats.

La plus inattendue de ces questions, surtout si l’on connaît la Transylvanie du 19e siècle, est sans contredit celle qui a rapport au tabac. Les Hongrois d’aujourd’hui fument dans tous les moments de la journée et dans toutes les circonstances de la vie. Il est vrai que leur tabac est excellent. À quelque heure du jour que vous arriviez dans une maison de campagne, le maître du logis vous emmène, fait apporter une nouvelle pipe, et vous devisez au beau milieu des nuages, à la manière des dieux de l’Olympe. Ordinairement les femmes se dispensent de passer à l’état de divinités : elles se retirent. Le cocher qui fait galoper ses quatre chevaux trouve moyen de tirer sa pipe, de la charger, de l’allumer, et d’envoyer des bouffées d’un azur magnifique aux honnêtes gens qu’il conduit. Le postillon de douze ans, dans les moments de halte, se livre avec gravité à la même occupation, et, quand il a suffisamment goûté ce plaisir inconnu des anciens, secoue dans sa petite main la cendre qui sort du fourneau rouge de sa pipe, puis en fourre le tuyau dans la tige de sa botte avec un air de satisfaction qui n’échapperait pas au plus distrait voyageur. J’ai vu beaucoup de Bohémiennes qui fumaient à ravir. Un peintre hongrois a dessiné plusieurs Bohémiens, entre lesquels figure un marmot de cinq ans, assis nu près du feu et fumant sa pipe. Les nations diverses qui habitent la Hongrie et la Transylvanie, se jalousant et se détestant le mieux du monde, s’accordent pourtant en ce point qu’elles proclament hautement l’excellence du tabac. Il n’a pas fallu moins que cette union extraordinaire pour rendre nulles les tentatives des diètes, lesquelles essayèrent en vain de proscrire cette plante intéressante.

Le tabac, qui est si commun aujourd’hui, ne fut pas cultivé en Transylvanie avant le 17e siècle. Jusque alors, malgré les défenses qui avaient été faites, on s’était contenté de faire venir par les marchands des paquets de feuilles séchées. Celui qui était surpris apportant du tabac perdait tout ce qu’il avait avec lui. Quand on commença à en cultiver, les mesures de prohibition devinrent plus rigoureuses. La diète tenue en 1670 à Fejérvár condamna les fumeurs à des amendes considérables, parce que leur imprudence avait causé des incendies : les magnats et les autres gentilshommes devaient payer 50 florins, les nobles d’une « session » 12, et les paysans eux-mêmes en payaient 6. Quinze ans après, l’amende ne fut plus que d’un florin : c’est que pendant l’intervalle la diète elle-même s’était mise à fumer. Enfin, en 1702, le comte Nicolas Bethlen, en parlant du commerce et des intérêts de la Transylvanie, démontra l’avantage que le pays pouvait tirer de la culture du tabac ; si bien que « pour aider le pauvre peuple à supporter le fardeau des contributions, ajoute l’honnête pasteur auquel j’emprunte ces détails, on fit publier partout la manière de cultiver cette panacée universelle ».

  1. Du hongrois boér, « boyard ». Benkö, m. s.

    Au seizième siècle, Jean Zápolya fit don de la terre de Fagaras au palatin Thomas Nádazsdi, qui la transmit à sa sœur Anne, et par suite à son beau-frère Étienne Majlath. Gabriel Majlath, fils d’Étienne, la vendit pour 300,000 florins hongrois, et le prince de Transylvanie, Jean Sigismond, la donna à Gaspard Békesi. Ce dernier, accusé de rébellion, vit ses biens confisqués. Fagaras échut en conséquence au prince Étienne Báthori, qui fut roi de Pologne, et après lui à Balthazar, son frère, lequel fut injustement mis à mort en 1595. Cette terre eut encore différents possesseurs jusqu’au prince Bethlen, qui l’inscrivit pour la somme de 100,000 florins dans la dot qu’il donna à Catherine de Brandebourg, sa femme. Georges I Rákóczi devint alors possesseur de Fagaras, qui appartint dans la suite à Anne Bornemissza. Celle-ci la légua en 1684 à Michel II Apaffi, auquel Léopold a succédé. C’est de cette façon qu’elle est devenue propriété du fisc. Dans l’année 1764 l’Autriche en réunit une partie aux districts militaires des frontières, et concéda le reste (inscriptione) pour quatre-vingt-dix-neuf ans à la nation saxonne moyennant 200,000 florins. Ces détails, dont nous demandons pardon aux lecteurs français, ont un intérêt en Transylvanie : car ils ne sont consignés que dans un manuscrit, celui du Benkö, dont une odieuse censure a empêché jusqu’à ce jour l’impression.

  2. Benkö m. s.
  3. Les Hongrois appellent garas cette monnaie que les Allemands nomment Groschon, et traduisent en français par « gros ».
  4. Aujourd’hui encore il existe une foule d’arrêts de proscription contre les moineaux. Le conseil du gouvernement qui siège à Clausenbourg ordonne quelquefois aux comitats de les faire poursuivre par les paysans de leur territoire. Mais les volatiles se réfugient dans la bourse des employés, auxquels les paysans, pour se dispenser de la peine, font un jour de corvée, ou donnent simplement de l’argent. Ordinairement les moineaux meurent de vieillesse. Entre autres décrets rendus à ce sujet par le conseil il faut en citer un qui enjoint expressément aux employés des comitats de recevoir tant de têtes de moineaux, et de ne pas prendre en place les cadeaux de paysans. (Decretum guberniale, 14 octobre 1819, n° 9388.)
  5. Est-il nécessaire d’ajouter que ces lois sont abolies depuis long-temps ? On voulait alors éviter que l’argent ne sortît du pays.