ACTE IV.



Scène Première

LÉONOR ſeule.


NOn, je ne conçois point de ſuplice plus rude
Que l’état où je ſuis, de mon inquiétude
Jacinte eſt avertie & me ſçait ſeule ici.
Qu’elle tarde ! à la fin grace Ciel la voici.
Hé ! bien, Jacinte ?



Scène II.

LÉONOR, JACINTE.
JACINTE.

Hé ! bien, Jacinte ? HÉ bien… un moment je vous prie,
Je ſuis toute eſſouflée.

LÉONOR.

Je ſuis toute eſſouflée.As-tu vû D. Garcie ?

JACINTE.

Je viens de le quitter chagrin, fou, préparé
À ſe couper la gorge avecques D. André.

LÉONOR.

Ah… Jacinte c’eſt là ce qui me deſeſpere,

JACINTE.

J’ai dit de vôtre part qu’il n’en falloit rien faire,
Que de quelque façon que la choſe tournât,
Cela ſeroit pour vous un très fâcheux éclat.
Enfin à mes raiſons il a paru ſe rendre.

LÉONOR.

Le Ciel en ſoît loüé :

JACINTE.

Le Ciel en ſoît loüé : Mais il m’a fait entendre,
Que ſi D. Juan vient le trouver aujourd’hui,
Il ne peut éviter de ſe battre avec lui.
Ainſi, quoiqu’il arrive, entre nous, il me ſemble,
Qu’à coup ſur deux des trois auront du bruit enſemble.

LÉONOR.

He, c’eſt ce que je crains & qu’il faut empêcher.

JACINTE.

Il en eſt un moien qu’à force de chercher
J’ai trouvé dans ma tête en cette conjoncture,

Et pour lequel déjà j’ai pris quelque meſure.

LÉONOR.

Jacinte, que je t’ai grande obligation.

JACINTE.

Il faut avoir un peu de réſolution.

LÉONOR.

J’en aurai pour cela, tu n’as qu’à me preſcrire.
Dis.

JACINTE.

Dis.J’ai de vôtre part été chez Donne Elvire.

LÉONOR.

Elvire eſt mon intime.

JACINTE.

Elvire eſt mon intime.Oui, je ſçai bien cela,
Et l’ai choiſie exprès pour cette raiſon-là.
À vôtre amant je viens en ce moment de dire,
Que ſans perdre un inſtant il fût chez Donne Elvire.
Que c’eſt le ſeul endroit où vous pourrez le voir,
Qu’il vous attendit là du matin juſqu’au ſoir,
Et juſqu’à demain même, attendu que ſans peine
Vous n’y pouvez aller, & n’êtes pas certaine
De l’inſtant qui ſera commode pour cela.
Il eſt au rendez-vous dès à preſent. Voilà,
Comme en gagnant du tems à tout on remedie,
Ce que pour en avoir m’a fourni mon génie.
C’eſt à vous maintenant, ſi vous le trouvez bon,
De voir, d’examiner ſi vous irez, ou non.
Pour mieux le retenir par une longue attente…

LÉONOR.

Jacinte, que je crains qu’il ne s’impatiente ?

JACINTE.

Non, non, raſſûrez-vous, j’ai pris ſoin d’avertir,
Qu’on le reçût en lieu dont il ne pû ſortir.

LÉONOR.

Mais n’étant pas chez lui, ſi D. Juan, Jacinte,
Va penſer qu’il le fuit ?

JACINTE.

Va penſer qu’il le fuit ? Le beau ſujet de crainte ?
Ma foi que D Juan penſe ce qu’il voudra ;
Pourvu qu’il aille au diable, on s’en conſolera.
Mais voici D. Félix : qu’il eſt ſombre, Madame ?
Tenons-nous bien.


Scène III.

LÉONOR, JACINTE, D. FÉLIX.
D. FÉLIX.

Tenons-nous bien.QUe j’ai d’inquiétude en l’ame ?

JACINTE.

Mais plus que nous, je gage.

D. FÉLIX.

Mais plus que nous, je gage.Ou je ſuis fort trompé,
Ou d’un chagrin fort vif D. Juan occupé.
Qu’eſt-ce ? vous me ſemblez interdite, inquiète.

JACINTE.

Elle n’a pas ſujet d’être fort ſatiſfaite.

D. FÉLIX.

Hé pourquoi donc ?

JACINTE.

Hé pourquoi donc ? Pourquoi, nous le demandez-vous ?
Vous lui faites, Monſieur, eſperer un époux,
L’époux vient, & d’abord à la première vûë,
On tombe en pamoiſon, tant on a l’ame émûë :
Pour vous mieux obéir on ſe livre à l’amour,
Et l’on en prend, Dieu ſçai… Puis dès le même jour
Cet époux trop aimé, que la grêle accompagne,

Preſque ſans dire mot, part, ſe met en campagne,
Croiez-vous que cela ſoit fort divertiſſant ?

LÉONOR.

Si vous ſçaviez l’ennui que mon ame reſſent,
Mon pere ?

D. FÉLIX.

Mon pere ? Mais, ma fille en eſt ce là la cauſe ?
Car je crains très-fort, moi, que ce ſoit autre choſe.

JACINTE.

Autre choſe, Monſieur, en conſcience, non.

D. FÉLIX.

Si ce n’eſt que cela, tranquiliſez-vous donc.

JACINTE.

Hé de moien, de grace ? il eſt bien difficile,
Quand on attend ſûr tout, Monſieur, d’être tranquille.
Ne nous condamnez point.

D. FÉLIX.

Ne nuus condamnez point.D. Juan ne part pas.
Son pere eſt mort.

JACINTE.

Son pere eſt mort.Comment ſon pere eſt mort, helas ?
Aiez égard, Monſieur, à ce fatal préſage ?
Quel tems, quel triſte tems pour faire un mariage ?
Rompez, que D. Juan, Madame, déſormais
Aille pleurer ſon pere, & qu’il nous laiſſe en paix.

D. FÉLIX.

Écoute, mon enfant, j’entens la raillerie.
Et m’accommode peu de ta plaiſanterie.
Ça, ma fille, parlons plus ſérieuſement,
Quel bruit ſe paſſa hier dans vôtre apartement ?
D. Juan, je ne ſçai pourquoi, m’en fait myſtere ;
Mais enfin les valets qui parlent d’ordinaire…

LÉONOR.

Quoi, D. Juan ?

JACINTE.

Quoi, D. Juan ?Céans, eſt-ce qu’il eſt venu !
Hier au ſoir ?

D. FÉLIX.

Hier au ſoir ?Paix, tais-toi

JACINTE.

Hier au ſoir ? Paix, tais-toiVous ne l’avez point vû,
Madame, aſſûrement, c’eſt une médiſance…

D. FÉLIX.

Finis donc.

JACINTE.

Finis donc.Toutes deux dans un profond ſilence,
Sans avoir entendu le moindre petit bruit,
Nous avons en repos paſſé toute la nuit.
Ai-je menti, Madame ?

D. FÉLIX.

Ai-je menti, Madame ?Ah ! ma fille !

LÉONOR.

Ai-je menti, Madame ? Ah ! ma fille !Mon pere ?

D. FÉLIX.

Vous ne me dites rien ?

LÉONOR.

Vous ne me dites rien ?Qu’ai-je mieux, à faire.
Jacinte vous dit vrai.

D. FÉLIX.

Jacinte vous dit vrai.Non, ce qui vous confond ?
C’eſt vous à qui je parle, & Jacinte répond.

JACINTE.

Si je me mêle, moi, d’être ſon interprète,
C’eſt que comme aux vapeurs elle eſt parfois ſujettes…

D. FÉLIX.

Paix ? je ne puis ſçavoir ce ſecret là de vous.
Rentrez.


Scène IV.

D. FÉLIX ſeul.

Rentrez.QUel miſtere eſt caché là-deſſous ?
Je l’aprofondirai pourtant, quoiqu’il en coûte,
Et D. Juan qui vient m’en inſtruira, ſans doute.



Scène V.

D. FÉLIX, D. JUAN.
D. JUAN ſans voir D. Félix.

MOn rival eſt un lâche, à m’attendre chez lui
Il ſçait quelles raiſons l’engageoient aujourd’hui,
Il ne s’y trouve point, Ah ? traître D. Garcie ?

D. FÉLIX.

D. Juan, de quel trouble eſt vôtre ame ſaiſie.

D. JUAN.

D’aucun, Seigneur.

D. FÉLIX.

D’aucun, Seigneur.Parlons avec ſincérité
Des chagrins les plus vifs je vous crois agité.
(Je ne vous parle point de ceux que d’ordinaire
Au cœur d’un fils bien né cauſe la mort d’un pere)
Vous en avez encore de plus piquans.

D. JUAN.

Vous en avez encore de plus piquans.Qui, moi ?

D. FÉLIX.

Je vous l’ai déja dit, parlons de bonne foi.

Je ne voulus hier vous faire aucune inſtance,
De m’éclaircir un fait que je crois d’importance :
Je craignis, D. Juan, de vous embaraſſer…
J’eus mes raiſons, enfin, pour ne vous pas preſſer
Mais aujourd’hui ceſſez de m’en faire miſtere.
Nous ſommes ſeuls, je dois être vôtre beau pere.
Et je ſuis vôtre ami…

D. JUAN.

Et je ſuis vôtre ami…Vous me faites honneur.

D. FÉLIX.

Comme ami, comme fils, ouvrez-moi vôtre cœur,
Quand on a des chagrins, eſt-il rien qui ſoulage
Tant que de rencontrer quelqu’un qui les partage ?

D. JUAN.

L’eſpoir de me vanger, Seigneur, peut ſeulement
Donner à mes chagrins quelques ſoulagement.

D. FÉLIX.

Hé bien, dites les moi. D. Félix par avance
S’aſſocie avec vous pour en prendre vangeance.
Que vous eſt-il céans arrivé cette nuit ?

D. JUAN.

Vous le voulez ſçavoir ?

D. FÉLIX.

Vous le voulez ſçavoir ? Je meurs d’en être inſtruit.

D. JUAN.

Sçachez donc…

D. FÉLIX.

Sçachez donc…Juſte ciel ? que me va-t-il aprendre ?

D. JUAN.

Je tremble en lui parlant,

D. FÉLIX.

Je tremble en lui parlant,Que je crains de l’entendre ?

D. JUAN.

Arrivant hier ici, tout plein de la douleur
Que la mort de mon pere avoit miſe en mon cœur,

L’objet qui le premier ſe preſente à ma vûë
C’eſt vôtre fille en pleurs, interdite, éperduë,
D. Garcie auprès d’elle, & D. André, tous deux
L’épée en main.

D. FÉLIX.

L’épée en main.Comment ! quoi, ma fille avec eux ?
Qui les avoit chez moi fait entrer ?

D. JUAN.

Qui les avoit chez moi fait entrer ? Je l’ignore.

D. FÉLIX.

Ô fille impertinente ! & qui me deshonore !

D. JUAN.

Elle n’eſt point coupable.

D. FÉLIX.

Elle n’eſt point coupaHé, qui l’eſt donc !

D. JUAN.

Elle n’eſt point coupa Hé, qui l’eſt doncC’eſt moi,
Qui fis ſauver moi-même un Rival ſur ſa foi.
D. Garcie.

D. FÉLIX.

D. Garcie.Hé, pourquoi ſouffrir que D Garcie
À vos juſtes tranſports ait dérobé ſa vie ?

D. JUAN.

Pour éviter l’éclat, dans l’eſpoir qu’aujourd’hui,
Comme il me l’a promis, il m’attendroit chez lui,
J’en viens, il eſt ſorti.

D. FÉLIX.

J’en viens, il eſt ſorti.Mais D. André mérite
Qu’à même intention vous lui rendiez viſite.

D. JUAN.

Non. La premiere fois que je parus chez vous,
J’y vis ce D. Garcie, & j’en devins jaloux.
Je priai D. André que pendant mon abſence
Il obſervât ſes pas avec diligence :
Il l’a fait, il vit hier qu’auſſi-tôt qu’il fut nuit,
Mon perfide valet ici fut introduit.
Il entra, le ſuivit, plein d’ardeur & de zéle ;
Il le joignit enfin, & cet ami fidéle

De Leonor, qu’un traître alloit perdre d’honneur ;
Heureuſement pour moi fut le liberateur.
Voilà la vérité.

D. FÉLIX.

Voilà la vérité.Du moins le vrai ſemblable :
Mais ma fille en cela ſeroit-elle coupable ?

D. JUAN.

Je n’oſe le penſer, Seigneur.

D. FÉLIX.

Je n’oſe le penſer, Seigneur.Et D. André,
Pour vôtre compte ſeul y ſeroit-il entré ?
Songez bien. D. Juan, qu’en une telle affaire,
Il n’eſt pas queſtion d’agir à la legere.
Pour moi je crois devoir vous parler net ici ;
Cet ami ſi fidele eſt un rival auſſi.
Je n’en ſçaurois douter.

D. JUAN.

Je n’en ſçaurois douter.Vôtre erreur eſt extrême.

D. FÉLIX.

J’en parle ſçavamment, je le ſçais par moi-même :

D. JUAN.

Non, non, une autre Dame eſt l’objet de ſes ſoins,
Et mes yeux, cette nuit, en ont été témoins.
J’avois avant cela des ſoupçons, je l’avouë,
Mais…

D. FÉLIX.

Mais…Croiez, D. Juan, que D. André vous joüe,
Que pour la fourberie il a de grands talens,
Et que bien mieux que vous je me connois en gens,
Comptez enfin qu’il faut en pareille occurence
Bien choiſir l’offeuſeur pour bien punir l’offenſe.

D. JUAN.

Mais s’ils vous ſont ſuſpects tous deux également,
Qui pourra nous donner quelque éclairciſſement ?

D. FÉLIX.

Les Valets qui toûjours ou curieux, ou traîtres,
Épient avec ſoin les actions des maîtres.

D. JUAN.

Comment les obliger à faire ce raport.

D. FÉLIX.

Par l’eſpoir du ſalaire, ou la peur de la mort,
Jacinte ! interrogez celle-ci la premiere,
Tirez-en le ſecret qui vous eſt neceſſaire.
Jacinte ?



Scène VI.

D. FÉLIX, D. JUAN, JACINTE
JACINTE.

Jacinte ? VOulez vous quelque choſe de moi,
Monſieur ?

D. FÉLIX.

Monſieur ? D. Juan veut s’éclaircir avec toi.

JACINTE.

La peſte !

D. FÉLIX.

La peſte ! Je vous quitte, & vous laiſſe avec elle ;
Comptez ſi Leonor ſe trouve criminelle,
Qu’aux dépens de ſon ſang, vous verrez de quel prix
Eſt l’honneur d’une fille aux yeux de D. Felix.



Scène VII.

D. JUAN, JACINTE.
D. JUAN.

QUe de cette entretien j’apréhende la ſuite ?

JACINTE.

Si pour quelques ſouflets j’en pouvois être quite ?

D. JUAN.

Jacinte.

JACINTE.

Jacinte.Quoi, Monſieur ?

D. JUAN.

Jacinte. Quoi, Monſieur ?Pourquoi te troubles-tu ?

JACINTE.

Je crains que l’on ne tende un piége à ma vertu.
Dès qu’un homme me parle, ou me regarde en face,
Il me monte au viſage un feu que rien n’éface.
(Car voiez vous, Monſieur, j’ai beaucoup de pudeur)

D. JUAN.

Oüi, je te crois, Jacinte, une fille d’honneur,
Tu trembles ?

JACINTE.

Tu trembles ?En ce tems il me prend d’ordinaire
Certain leger friſſon qui ne me quitte guère.

D. JUAN.

Le trouble où je la vois augmente encor le mien ?
Je veux ſçavoir de toi…

JACINTE.

Je veux ſçavoir de toi…De moi ; je ne ſçais rien !
Monſieur.

D. JUAN.

Monſieur.Tu ne ſçais rien ? Jacinte, en conſcience ?
Si tu ne ſçavois rien, répondrois-tu d’avance ?

JACINTE.

Mais je ſçai ſeulement, Monſieur, qu’en bonne foi,
Ce que vous demandez eſt un ſecret pour moi.

D. JUAN.

Un ſecret ?

JACINTE.

Un ſecret ?Oüi, Monſieur,

D. JUAN.

Un ſecret ? Oüi, Monſieur,Non, non, parlons ſans feinte,
Leonor n’eut jamais de ſecret pour Jacinte.

JACINTE.

Leonor ? c’eſt l’eſprit le plus diſſimulé,
Jamais d’aucune choſe elle ne m’a parlé.

D. JUAN.

Je le crois ; mais Jacinte eſt pénétrante & fine,
Et dans de certains cas quelquefois on devine.
N’as-tu rien pénétré qui me regardât ?

JACINTE.

N’as-tu rien pénétré qui me regardât ?Non.

D. JUAN.

Il te faut, je le vois parler d’un autre ton.
Prens cette bourſe, prens.

JACINTE.

Prens cette bourſe, prens.Monſieur…

D. JUAN.

Prens cette bourſe, prens. Monſieur…Pren la, te dis-je.

JACINTE.

Oh ? Monſieur, je ſçais trop ce qu’un preſent exige,
Et ſi je l’acceptois…

D. JUAN.

Et ſi je l’acceptois…Il faudroit ſeulement
Que Jacinte avec moi parlât confidemment.

JACINTE.

Je ne parlerai point, rien ne peut me corrompre,
J’en ai fait bon ſerment.

D. JUAN.

J’en ai fait bon ſerment.Pour te le faire rompre,
Et te réduire au point de me parler ſans fard,
Si l’argent ne peut rien, compte que ce poignard.

JACINTE.

Miſericorde, hélas ! Monſieur, je ſuis perduë.

D. JUAN.

Tais toi.

JACINTE.

Tais toi.Je me tairai.

D. JUAN.

Tais toi. Je me tairai.Non, parle, ou je te tuë.

JACINTE.

Tais-toi, parle ? Monſieur, comment vous contenter ;

D. JUAN.

Parle, il n’eſt pas ici ſaiſon de plaiſanter.
Et ma juſte fureur laſſe de ſe contraindre…

JACINTE.

Mais ſi je parle auſſi, n’aurai-je rien à craindre ?

D. JUAN.

Non, mais je veux ſçavoir tout ce qui s’eſt paſſé.

JACINTE.

Puiſqu’il faut vous le dire, & ſauter le foſſé,
Donnez-moi donc la bourſe.

D. JUAN.

Donnez-moi donc la bourſe.Elle eſt à toi.

JACINTE.

Donnez-moi donc la bourſe. Elle eſt à toi.Que dire ?
Car en payant ſi bien, vous n’avez qu’à preſcrire.

D. JUAN.

La vérité, c’eſt tout ce que j’exigerai.

JACINTE.

La croirez-vous de moi, quand je vous la dirai ?

D. JUAN.

Je démêlerai bien ce que j’en devrai croire.

JACINTE.

Soiez-donc attentif : voici toute l’hiſtoire,
D. Garcie eſt épris de Leonor.

D. JUAN.

D. Garcie eſt épris de Leonor.Hélas !

JACINTE.

De cette vérité, Monſieur, ne doutez pas.

D. JUAN.

Ce n’eſt pas celle-là que je crains.

JACINTE.

Ce n’eſt pas celle-là que je crains.Patience.
Depuis plus de ſix mois qu’il l’adore, je penſe,
Ils ſe ſont vus aux cours, aux ſpectacles, au bal.

D. JUAN.

Paſſons.

JACINTE.

Paſſons.Oüi, tout cela ne fait ni bien ni mal.

D. JUAN.

Comment répondit-elle à l’ardeur qui l’enflâme ?

JACINTE.

Comme elle y répondit, Monſieur, en brave Dame,
Très-mal d’abord, moins mal dans la fuite, encore moins
Après : au bout du compte elle agréa ſes ſoins.

D. JUAN.

Ah ! que me dis-tu là !

JACINTE.

Ah ! que me dis-tu là ! Si l’aveu vous fait peine.
Vous pouvez en douter ; mais moi, j’en ſuis certaine.

D. JUAN.

Se ſont-ils vûs ſouvent ?

JACINTE.

Se ſont-ils vûs ſouvent ? Moins qu’ils ne l’ont voulu

D. JUAN.

Et ſe ſont-ils parlé ?

JACINTE.

Et ſe ſont-ils parlé ?Tout autant qu’ils ont pû

D. JUAN.

Mais hier au ſoir ici, dis, que venoit-il faire

JACINTE.

Oh ! cet article-là va vous mettre en colere,
Et contre moi, Monſieur, terriblement.

D. JUAN.

Et contre moi, Monſieur, terriblement.Non, non.
Va, je ſçai me ſervir de toute ma raiſon.

JACINTE.

C’eſt bien fait.

D. JUAN.

C’eſt bien fait.Pourſuis donc.

JACINTE.

C’eſt bien fait. Pourſuis donc.Comptant ſur vôtre abſence ;
Et par-là voiant luire un rayon d’eſperance,
C’eſt moi qui leur avoit fait prendre un rendez-vous,
Pour chercher les moiens d’être défait de vous.

D. JUAN.

À tes conſeils ainſi Leonor complaiſante…
Malheureuſe !

JACINTE.

Malheureuſe !Hé, Monſieur, voulez-vous que je mente ?

D. JUAN.

D. Garcie…

JACINTE.

D. Garcie…Il alloit s’en retourner ſoudain
Comme il étoit venu, par le mur du jardin.

D. JUAN.

Tu n’ouvris pas pour lui la porte de la ruë ?

JACINTE.

Non.

D. JUAN.

Non.Non ?

JACINTE.

Non. Non ? Si je l’ouvris je veux être penduë.

D. JUAN.

De quelle trahiſon te voilà convaincu ;
Perfide ami ! c’eſt-là que tu dis l’avoir vû !

JACINTE.

Ah ! c’eſt de D. André que vous parlez peut-être
Ne vous y trompez point, Monſieur, c’eſt un grand traître.
Le malheureux, hélas ! ſans lui nous étions bien.
Et s’il ne fut venu, tout cela n’étoit rien.

D. JUAN.

Ah ! tais-toi, mon malheur vient de plus d’une ſource.

JACINTE.

Voilà le curieux bien payé de ſa bourſe.

D. JUAN.

Ah ! que je ſouffre, hélas ! & dans quel déſeſpoir…

JACINTE.

N’eſt-il plus rien, Monſieur, que vous vouliez ſçavoir ?

D. JUAN.

Ôte-toi…



Scène VIII.

D. JUAN, JACINTE, LÉONOR.
LÉONOR.

Ôte-toi…QUe fais-tu ? que te vouloit mon pere ?
Dis, Jacinte !

JACINTE en montrant D. Juan.

Dis, Jacinte !Hé ; que diantre en avez vous affaire !

LÉONOR voulant entrer.

Ciel !

D. JUAN.

Ciel !Arrêtez, Madame, & ſouffrez qu’un moment
Comme ami je vous parle, & non plus comme amant.

LÉONOR.

Seigneur…

D. JUAN.

Seigneur…De vôtre cœur vous n’êtes plus maîtreſſe,
Et ſans le cœur, la foi n’a rien qui m’intereſſe,
Vous me voiez outré du plus ardent couroux.

LÉONOR.

Seigneur…

D. JUAN.

Seigneur…N’en craignez rien, ce n’eſt pas contre vous
Je me plains de mon ſort, ſans vous blâmer. Madame,
L’amour ſelon nos vœux n’entre point dans une ame.
Je crois, ſi vôtre cœur étoit moins prévenu,
Que par mes tendres ſoins je l’aurois obtenu.
Sans même interpoſer l’autorité d’un pere.

Le Ciel ne permet pas qu’à preſent je l’eſpere.
Plus que je ne voudrois de mon malheur inſtruit…

LÉONOR.

Quoi ? comment ? quel diſcours, Jacinte !

JACINTE.

Quoi ? comment ? quel diſcours, Jacinte ! J’ai tout dit,
Madame.

LÉONOR.

Madame.Ainſi mon cœur ennemi de la feinte
Se peut donc à preſent expliquer ſans contrainte ?
J’aime, vous le ſçavcz, ce cœur a fait un choix,
Et ne ſe peut, Seigneur, engager qu’une fois,
Je vous offre amitié ſincere, égards, eſtime,
Vous promettre le cœur, ce ſeroit faire un crime.

JACINTE.

C’eſt parler net.

D. JUAN.

C’eſt parler net.Au point que je ſuis outragé,
Pourriez-vous m’eſtimer, ſi je n’étois vangé ?

LÉONOR.

Quoi donc vangé ! de qui ?

D. JUAN.

Quoi donc vangé ! de qui ? D’un Rival, d’un perfide.

LÉONOR.

Ne vous livrez point trop au tranſport qui vous guide.
Songez qu’à D. Garcie un tel nom n’eſt point dû.



Scène IX.

D. JUAN, LÉONOR, JACINTE, FABRICE.
FABRICE.

AH ! Madame ! ah Seigneur !

JACINTE.

Ah ! Madame ! ahQu’eſt ce ?

FABRICE.

Ah ! Madame ! ahQu’eſt ce ?Tout eſt perdu.

D. JUAN.

Quoi ?

FABRICE.

Quoi ?Vous avez quitté D. André fort tranquile,
Il lui vient au cerveau de monter une bile…
Je n’ai pas crû d’abord que ce fût tout de bon,
Mais j’en fuis convaincu par vingt coups de bâton.
Coups de pieds, ou ſoufflets, qu’en ſa fureur extrême
Il vient de me donner en parlant à moi même.

JACINTE.

Je ne vois pas grand mal à tout cela.

FABRICE.

Je ne vois pas grand mal à tout cela.Fort bien.

D. JUAN.

Pourquoi te mal traiter ainſi ?

FABRICE.

Pourquoi te mal traiter ainſi ?Je n’en ſçais rien.
Chez D. Garcîe il m’a fait porter une Lettre,
Que ne le trouvant point, j’ai cru pouvoir remettre
À Madame Iſabelle ; & quand de ſon billet
Je lui ſuis revenu dire ce que j’ai fait,
Enragé, furieux, faiſant le diable à quatre,
Il a pris une canne & s’eſt mis à me battre.
Moi qui ne comprens point ni comment, ni par où

J’ai merité cela, je conclus qu’il eſt fou.

JACINTE.

Belle concluſion !


Scène X.

D. JUAN, LÉONOR,
JACINTE, FABRICE, ISABELLE.
ISABELLE.

Belle concluſion ! AH ! Leonor, de grâce
Détournez s’il ſe peut le coup qui me menace.

LÉONOR.

Quelqu’accident fâcheux vous eſt-il arrivé ?

ISABELLE.

C’eſt un bonheur pour moi de vous avoir trouvé ;
D. Juan.

D. JUAN.

D. Juan.Vous puis-je être utile en quelque affaire ?

ISABELLE.

Je m’en flatte, Seigneur, D. Garcie eſt mon frere.

D. JUAN.

D. Garcie !

ISABELLE.

D. Garcie ! Oüi, Seigneur, j’ignore quand, comment,
Il peut avoir eu priſe avecque mon amant
D. André.

D. JUAN.

D. André.D. André eſt vôtre amant, Madame,

ISABELLE.

Depuis long-tems, Seigneur, même ardeur nous enflâme,
Et celle qu’il reſſent eſt égale à mes feux.

D. JUAN.

Ce D. André, Madame, eſt un grand malheureux

ISABELLE.

Ah ! Seigneur !

FABRICE.

Ah ! Seigneur ! Il eſt vrai.

D. JUAN.

Ah ! Seigneur ! Il eſt vrai.Pourſuivez, je vous prie.

ISABELLE.

Il propoſe un duel, Seigneur, à D. Garcie,
Je l’ai ſçû par hazard en ouvrant ce billet,
Qu’inconſidérément m’a laiſſé ſon valet.

FABRICE.

Et voilà le ſujet qui broüille ſa cervelle.

D. JUAN.

Ah ! que pour me vanger l’occaſion eſt belle !
Allons… aprenez-moi le lieu qu’il a marqué,
Et l’heure.

ISABELLE.

Et l’heure.En ce billet tout eſt bien-expliqué,
Vous verrez…

D. JUAN.

Vous verrez…J’y cours

ISABELLE.

Vous verrez… J’y coursOù, Seigneur ?

D. JUAN.

Vous verrez… J’y cours Où, Seigneur ? Vous ſatifaire
Et ſauver un duel, Madame, à vôtre frere.


Scène XI.

LÉONOR, ISABELLE, JACINTE, FABRICE.
JACINTE.

QUel tranſport ! Sur quelle herbe eſt-ce qu’il a marché ?
Suis-le, Fabrice.

FABRICE.

Suis-le, Fabrice.Moi ! non, il eſt trop fâché,



Scène XII.

ISABELLE, LÉONOR, JACINTE.
ISABELLE.

LÉonor !

LÉONOR.

Léonor ! Iſabelle.

ISABELLE.

Léonor ! Iſabelle.Ah ! que je ſuis à plaindre !

JACINTE.

Tréve aux douleurs, que diantre avez-vous donc à craindre ?

ISABELLE.

D’un frere ou d’un amant la fuite ou le trépas.

JACINTE.

Tout ira bien, allez, ne nous chagrinons pas.


Fin du quatrième Acte