ACTE PREMIER.



Scène Première

BÉATRIX, FABRICE.
BÉATRIX.


Quand ton maître ſçaura de quelle part je viens
Lui demander ce ſoir une heure d’entretien…

FABRICE.

C’eſt bien du tems qu’une heure, & nous n’en avons guéres.
Tant nous ſommes chargez de ces ſortes d’affaires.

BÉATRIX.

Il eſt donc par l’amour occupé vivement ?

FABRICE.

Par l’amour peu, beaucoup par le déréglement.

BÉATRIX.

Il ne ſe pique pas d’un ardeur bien conſtante.

FABRICE.

Non, il prend ſans façon tout ce qui ſe préſente.
Sans goût, ſans choix, ſans régle il ſe livre au plaiſir,
Mais il s’épargne au moins l’embaras de choiſir ;
Ainſi de quelque part, mon enfant, que l’on vienne,
De prude, de coquette, & fût-ce de la tienne ?
Je puis t’en aſſurer par ce que j’en ai vû,
Nul meſſage galant ne ſera mal reçû.

BÉATRIX.

À la bonne heure.

FABRICE.

À la bonneBon, c’eſt bien prendre l’affaire :
Si par hazard auſſi l’on a dequoi te plaire ?

BÉATRIX.

Hem.

FABRICE.

Hem.Si tu ſens pour moi quelque tentation,
Parle, & l’on y fera conſideration.

BÉATRIX.

Si cela m’arrivoit par grand malheur, je compte
De n’en parler qu’à toi, tant j’en aurois honte.

FABRICE.

Et ſi tu me fais part jamais d’un tel ſecret,
Je le dirai par tout moi, tant je ſuis diſcret.

BÉATRIX.

Nous voilà bien d’accord.

FABRICE.

Nous voilà bienOn ne ſçauroit mieux l’être,
Touche-là.

BÉATRIX.

ToucheSoit, mais fais que je parle à ton maître ;

Je ne l’ennuirai point, j’aurai fait en deux mots.

FABRICE.

Le hazard le conduit ici tout à propos.


Scène II

BÉATRIX, FABRICE, D. ANDRÉ.
D. ANDRÉ.

QUe veut on ?

FABRICE.

Que veut onUne jeune & gentille Suivante
Qu’on députe vers vous pour affaire importante,
Demande avec inſtance à vous rendre un billet.
Et je me ſuis chargé, comme premier valet,
De ces vétilles-là, l’unique ſecretaire,
Et de vos faits galans intendant ordinaire,
De vous la preſenter.

D. ANDRÉ.

De vous la prſesenterQu’elle aproche.

FABRICE.

De vous la prſesenter. Qu’elle aprocheAllons vien,
Mon compliment eſt fait, ma chere, fais le tien.

BÉATRIX.

Une Dame, Monſieur, qui n’eſt pas ma maîtreſſe,
Mais que je ſers pourtant avec zéle & tendreſſe,
M’a fort recommandé de remettre en vos mains
Ce billet, par lequel vous ſçaurez les deſſeins,
Et pour toute réponſe, il ne faut que me dire
Si vous viendrez ce ſoir au lieu qu’elle deſire.

D. ANDRÉ lit, & continuë.

Je ne manquerai pas d’aller au rendez vous,
Et tiendrois à bonheur de n’y trouver que vous.

BÉATRIX.

Que moi, Monſieur !

FABRICE.

Que moi, MonſFort bien.

D. ANDRÉ.

Que moi, Monſ Fort bien.Si bien faite & ſi belle ;
Celle que vous ſervez préſume beaucoup d’elle ;
Et lorſqu’on vous a vue, il eſt bien mal aiſé
Qu’à d’autres feux un cœur ſe trouve diſposé.
Oui, quiconque ſe ſert de telle meſſagère,
Quelques charmes qu’elle aie, hazarde de moins plaire.

BÉATRIX.

Oh ! Monſieur.

D. ANDRÉ.

Oh ! Monſieur.Dites-lui que vous m’avez manqué,
Et trouvez-vous vous-même au lieu qui m’eſt marqué,
J’irai plus volontiers.

BÉATRIX.

J’irai plus volontiers.Nous y ſerons en enſemble.
Et vous m’en conterez pour lors ſi bon vous ſemble ;
Juſqu’à ce ſoir.

D. ANDRÉ.

Juſqu’à ce ſoir.J’irai pour vous uniquement,
Et ſi je ſuis réduit à feindre…


Scène III.

D. ANDRÉ, FABRICE.
FABRICE.

Et ſi je ſuis réduit à feindreDOucement.
Depuis que je vous ſers dans vos bonnes fortunes,
Au diable, ſi jamais j’ai profité d’aucunes,
Et ce n’a pas été faute d’occaſion.
Si j’euſſe eu comme vous mauvaiſe intention,
Je ſuis aſſez bien-fait, & plus d’une Marquiſe…
Il n’a tenu qu’à moi d’en faire la ſotiſe…
Cela vous regardoit, & je n’en ai dit mot,
Mais quand un bon hazard ſe trouve dans mon lot …
Puiſqu’en tel cas pour vous j’ai de la conſcience,
Aiez-en, & vivons en bonne intelligence.

D. ANDRÉ.

Comment belitre, fat. Belle comparaiſon ?

FABRICE.

Je ſuis votre valet, & vous avez raiſon ;
Mais lorſque le valet eſt fidèle à ſon maître,
Le maître à ſon valet a tort de ne pas l’être.

D. ANDRÉ.

Oh ! tais-toi. Sur le ton que ce coquin la prend,
Il me croie ou bien ſot, ou beaucoup endurant.

FABRICE.

Oh ! pour endurant non, tous les jours d’ordinaire,
Vous me donnez, Monſieur, des preuves du contraire.

D. ANDRÉ.

Pour t’en donner encor qui te convainquent mieux,

Si tu ne veux ceſſer tes diſcours ennuieux :
Inſolemment encor ſi ta langue s’exerce.
Sors.

FABRICE.

Sors.Il a des momens où le diable le berce.
Monſieur…

D. ANDRÉ.

MonſieurSors d’avec moi, te dis je.

FABRICE.

Monſieur. Sors d’avec moi, te dis je.Quoi ! comment
Vous me mettez dehors, Monſieur !

D. ANDRÉ.

Vous me mettez dehors, MonſieurAbsolument.
Tu manques de reſpect, tu ne ſçaurois te taire,
Je ſuis las de t’entendre.

FABRICE.

Je ſuis las de t’entendre.Et moi de vous voir faire.

D. ANDRÉ.

Encor, ſortiras-tu ?

FABRICE.

Encor, ſortiras-tu ? Mais que vous ai je fait ?

D. ANDRÉ.

Tu deviens familier, je t’ai pris pour valet ;
Tu l’es.

FABRICE.

Tu l’es.D’accord, Monſieur.

D. ANDRÉ.

Tu l’es.D’accord, Monſieur.Comme tel je te chaſſe.

FABRICE.

Vous êtes le maître.

D. ANDRÉ.

Vous êtes le maître.Oui, ſans contredit.

FABRICE.

Vous êtes le maître. Oui, ſans contredit.De grâce,
Du droit de maître ici puiſque vous vous ſervez,
Comme tel paiez moi ce que vous me devez.

D. ANDRÉ.

Que je te paie ?

FABRICE.

Que je te paie ? Oui.

D. ANDRÉ.

Que je te paie ? Oui.Va parles, tu peux dire
Tout ce que tu voudras, je ne fais plus qu’en rire.

FABRICE.

N’oubliez pas au moins ce que vous permettez,
Je lâcherai par fois d’étranges veritez
Si vous vous fâchez…


Scène IV.

D. ANDRÉ, FABRICE, UN LAQUAIS.
D. ANDRÉ.

Si vous vous fâchez…QU’eſt-ce ?

UN LAQUAIS.

Si vous vous fâchez… Qu’eſt-ce ? Un Cavalier demande
À parler à Monſieur.

FABRICE.

À parler à Monſieur.Hé dis-lui qu’il attende.

D. ANDRÉ.

Non, qu’on le faſſe entrer.

FABRICE.

Non, qu’on le faſſe entrer.Mais y ſongez-vous bien ?
Si c’eſt quelqu’ennemi qui vienne…

D. ANDRÉ.

Si c’eſt quelqu’ennemi qui vienne…Ne crains rien.

FABRICE.

Quelque mari jaloux, quelque amant, quelque frere.

D. ANDRÉ.

Il vient, demeure ici.

FABRICE.

Il vient, demeure ici.Le drôle a l’air colere.


Scène V.

D. ANDRÉ, D. GARCIE, FABRICE.
D. GARCIE.

JE voudrois, D. André, vous parler en ſecret.

D. ANDRÉ.

Vous le pouvez, cet homme eſt fidèle & diſcret,
Et depuis trés-long-tems il a ma confidence.

FABRICE.

Monſieur n’a pas pour moi la même confiance.
Ce ſeroit le gêner.

D. GARCIE.

Ce ſeroit le gêner.Ce valet a raiſon.
Le ſecret me regarde.

D. ANDRÉ.

Le ſecret me regarde.Hé bien qu’il ſorte donc.

FABRICE.

Volontiers. D’écouter j’ai pourtant grande envie.

D. GARCIE.

Sçavez-vous qui je ſuis ?

D. ANDRÉ.

Sçavez-vous qui je ſuis ? Vous êtes D. Garcie.

D. GARCIE.

C’eſt mon nom, & je fuis du ſang des Torellas,
Noble autant qu’il en ſoit.

D. ANDRÉ.

Noble autant qu’il en ſoit.Je ne l’ignore pas.

D. GARCIE.

Cadet, je ſuis peu riche, & je me dédomage
De ce manque de bien par un autre avantage.
J’ai pour moi la vertu, la nobleſſe de cœur ;

Qui me font eſitmer de tous les gens d’honneur.

D. ANDRÉ.

Mais où tend ce diêcours, il eſt peu neceſſaire
Pour moi qui vous eſtime autant qu’on puiſſe faire.

D. GARCIE.

Vous me le prouvez mal, D. André.

D. ANDRÉ.

Vous me le prouvez mal, D. André.Moi ?

D. GARCIE.

Vous me le prouvez mal, D. André. MoiOui, vous,
Et puiſqu’à vous parler enfin je me réſous,
Croiez que j’ai gardé toute la patience…

D. ANDRÉ.

Je ne vous entens point.

D. GARCIE.

Je ne vous entens point.Dès ma plus tendre enfance
J’adore Leonor : M’entendez-vous enfin ?

FABRICE caché.

Hoi, Hé.

D. GARCIE.

Hoi, Hé.De ſon cœur j’ai trouvé le chemin.

D. ANDRÉ.

C’eſt être bien-heureux qu’un objet plein de charmes…

D. GARCIE.

Ce bonheur m’a coûté des ſoucis, des allarmes,
Des ſoins, du tems, des pleurs, & peut-être après tout
De mes peines encor je ne ſuis pas à bout.

D. ANDRÉ.

Cela ſe pouroit bien.

D. GARCIE.

Cela ſe pouroit bien.Je ne crains que ſon pere,
Tout autre qui voudra hazarder de m’en faire,
Soit caprice, ou raiſon, deſſein prémédité,
Paſſion venerable, ou ſimple vanité…
Avez-vous donc encore quelque peine à m’entendre ?

D. ANDRÉ.

Beaucoup.

D. GARCIE.

Beaucoup.Ceci ſera plus facile à comprendre.
Enfin de Leonor autant aimé qu’amant,
J’entre ſans lui déplaire en ſon appartement :
Et c’eſt une faveur où je puis ſeul prétendre.

D. ANDRÉ.

C’eſt donc-là le ſecret que vous vouliez m’apprendre ?

D. GARCIE.

Oui, je vous le confie, & j’oſe défier
Quiconque le ſçaura de l’oſer publier :
Et quoique mon amour ſoit ſçû de tout Valence
Sur mon bonheur de vous j’exige le ſilence.

D. ANDRÉ.

Ah ! je vous promets fort de n’en jamais parler.

D. GARCIE.

Ce n’eſt pas tout, ſongez à ne le point troubler,
Non que de vôtre amour j’apréhende les ſuites,
Car près de Leonor vos efforts, vos pourſuites,
Les ſoins qu’on vous a vû juſqu’ici vous donner,
N’ont produit d’autre effet que de la chagriner ;
Je ſens des mouvemens bien plus violens qu’elle :
Mais après le ſecret qu’ici je vous revele…
Vous êtes galant homme, & j’oſe me flâter
Que vous m’empêcherez de les faire éclater,
Vous avez peu d’amour, la faveur n’eſt pas grande,
Leonor vous en prie, & je vous le demande.

FABRICE éloigné.

Mais il parle raiſon, & j’en ſuis fort content,
Plût au Ciel que mon maître en pût avoir autant.

D. GARCIE.

Vous rêvez, ſe peut-il qu’un noble cœur héſite
À prendre un parti juſte, à changer de conduite ?
Je m’en vais ſans réponſe, elle ſera je croi
Telle qu’en pareil cas je vous la ferois moi.

D. ANDRÉ.

Arrête, D. Garcie.

D. GARCIE.

Arrête, D. Garcie.Adieu, ſongez de grace
Que c’eſt une prière & point une menace.


Scène VI.

D. ANDRÉ, FABRICE.
FABRICE.

LE Seigneur Torellas parle d’aſſez bon ſens ;
Qu’en dites-vous, Monſieur ?

D. ANDRÉ.

Qu’en dites-vous, MonMoi, je dis que je ſens
Pour cette Leonor une plus vive flâme,
Que lorſque j’ignorois celle qu’elle a dans l’ame.
D. Garcie…

FABRICE.

D. GarcieEn entrant il m’a paru fâché.

D. ANDRÉ.

Je m’en trouve entre nous quitte à très-grand marché.

FABRICE.

Comment, a-t-il ſujet d’être plus en colère ?
Et feriez-vous en droit par hazard de lui faire
Pareille confidence ?

D. ANDRÉ.

Pareille confidence ? Oh ! non ! mais j’avois peur…

FABRICE.

Dequoi donc ?

D. ANDRÉ.

Dequoi donc ? Qu’il ne vint me parler de ſa sœur.

FABRICE.

De ſa sœur ?

D. ANDRÉ.

De ſa sœur ? D. Garcie eſt frere d’Iſabelle,
Et ſans l’aimer tu ſçais que je ſuis aimé d’elle.

FABRICE.

Oüi, tout l’Été dernier je ſçai que vous faiſiez
À peu prés, comme ſi tous deux vous vous aimiez.

D. ANDRÉ.

Rien moins ; c’eſt de ma part amuſement, ſottiſe.

FABRICE.

Peut-être de la ſienne auſſi.

D. ANDRÉ.

Peut-être de la ſienne auſſi.Non, elle eſt priſe
Tout de bon. J’en reçois des billets chaque jour,
Dont à d’autres beautez je ſçai faire ma cour.

FABRICE.

Que vous êtes, Monſieur, d’un joli caractére !
Mais quel eſt le plaiſir que vous pouvez vous faire
De voltiger ſans ceſſe & ſans réfléxion,
Sans plaiſir à coup ſûr, ſi c’eſt ſans paſſion ;
De pourſuivre à la fois la belle & la plus laide,
Qui du plus fort amour ſeroit un ſûr remede ;
Ou jeune, ou vieille, ou grande, ou petite, ou dondon.
Ou maigre, ou blonde, ou brune, enfin tout vous eſt bon ;
Les yeux grands, les petits, le long nez, la camuſe,
Tout vous plaît.

D. ANDRÉ.

Tout vous plaît. Rien ne plaît, mon enfant, tout amuſe.
Tout le cours de la vie eſt un amuſement,
Et rien n’amuſe enfin tant que le changement.
Pour ſe déſennuier d’une ſtupide belle,
On en trouve une alors laide & ſpirituelle.
Qu’une vieille fatigue avec ſa gravité,

On prend un jeune objet plein de vivacité ;
Si je ſuis las de voir une taille géante,
Je rabaiſſe mon vol, & la naine me tente ;
Et lorſqu’on eſt outré de l’excez d’embonpoint,
Qu’il s’en offre une maigre, on ne la chaſſe point.
Je n’ai jamais le goût délicat ni malade,
Et la brune me plaît, quand la blonde eſt trop fade.

FABRICE.

Que c’eſt bien fait à vous ! l’heureux temperamment !
Mais ſi par cas fortuit, (car tout événement
Peut arriver,) ſi donc ſur quelque jalouſie,
Pere, amant, frere, époux vouloit par fantaiſie.
Se vanger d’un affront ou fait, ou prétendu…

D. ANDRÉ.

On ſe battroit, jamais ne me ſuis-je battu ?

FABRICE.

Mais vous n’avez jamais été tué… je penſe ?
Si vous l’étiez, Monſieur, quelque jour… patience…

D. ANDRÉ.

Je ceſſerois de vivre, & puiſqu’on eſt mortel,
Ne faut-il pas mourir une fois ?

FABRICE.

Ne faut-il pas mourir une fois ? Plût au Ciel !
Que pour être bien mort il falût mourir quatre
C’eſt alors qu’on pouroit hazarder de ſe battre.

D. ANDRÉ.

Le hazard n’eſt pas grand.

FABRICE.

Le hazard n’eſt pas grand.Non, mais pour l’éviter ;
D. Garcie eſt brave homme il faut le contenter.
Défions-nous de lui, Monſieur, il eſt allaigre,
Sa Maîtreſſe dondon, prenez-en quelque maigre,

Pour vous en conſoler par oppoſition.

D. ANDRÉ.

Parbleu, j’écouterois ta propoſition
S’il ne m’avoit voulu ſottement faire entendre,
Que mes feux près des ſiens n’ont plus rien à prétendre.
Cette fierté me pique, & je traverſerai
Son amour, ſon bonheur autant que je pourai :
Les traits de Leonor ne me touchoient plus guéres
Et je ne lui trouvois que des charmes vulgaires.
J’allois les oublier, on prétend m’y forcer,
Un rival ſe déclare, il faut le traverſer.
Lui ceder, ce ſeroit…

FABRICE.

Lui ceder, ce ſeroitUne action fort ſage.
Vous vous garderez bien de la faire, je gage.

D. ANDRÉ.

Oh ! oüi, je t’en répons… Que me veut-on encor ?
Vois donc.

FABRICE.

Vois donc.C’eſt D. Félix, père de Leonor.


Scène VII.

D. ANDRÉ, D. FÉLIX, FABRICE.
D. ANDRÉ à Fabrice

LAiſſe-nous à D. Félix. Vous chez moi ; quelle heureuſe fortune !

D. FÉLIX.

Plaiſe au Ciel que pour vous ma viſite en ſoit une.

D. ANDRÉ.

Ce m’eſt, je vous aſſure, un ſenſible bonheur,
Qui me fait grand plaiſir enſemble & grand honneur.

Quel ſujet me l’attire & quel ſoin vous amène ?

D. FÉLIX.

Je vous en inſtruirai, n’en ſoiez point en peine.
Vous connoiſſez mon nom, ma naiſſance & mon bien ;
D. André là-deſſus je ne vous dirai rien.

FABRICE écoutant.

Ce début me paroit très-fort ſemblable à l’autre :
Un peu moins vif pourtant.

D. FÉLIX.

Un peu moins vif pourtant.Quel objet eft le vôtre ?
Ignorez-vous combien les perſonnes de cœur
Tels que ie ſuis ſont tous délicats ſur l’honneur ?
Quand cet honneur ſur-tout regarde une famille.
Pour fruit de mon himen j’eus une ſeule fille ;
D. André, vous avez pour elle des deſſeins,
Vous ne m’en parlez point, & c’eſt dont je me plains.
Sur ſes pas en tous lieux vous cherchez à paroître.
Vous paſſez fort ſouvent la nuit ſous ſa fenêtre,
Près d’elle au cours, au Temple, on vous voit tous les jours,
Cela donne ſujet à de mauvais diſcours ;
Et quoique ſa vertu n’en ſouffre aucune tache,
Tout Valence en murmure, & c’eſt ce qui me fâche.
Et m’engage à venir vous dire doucement,
Qu’il me faut là deſſus un éclairciſſement.
Enfin à Leonor quand Don André s’adreſſe,
Il ne ſe flâte pas d’en faire une maîtreſſe,
Et ſi c’eſt ſon deſſein de lui donner ſa foi,
je crois qu’il eût déia dû s’adreſſer à moi.
Dans cette incertitude il eſt de ma prudence
De ſçavoir là-deſſus ce qu’il veut, ce qu’il penſe.

D. ANDRÉ.

Je vous ai, D. Félix, grande obligation,
De me choiſir ainſi par prédilection.
Je rends à Leonor des ſoins, je l’ai ſervie ;
Qu’ai-je fait en cela que n’ait fait D. Garcie.

Et peut-être les ſiens ſont les moins mal reçüs…
Ne me faites point trop expliquer là deſſus…

D. FÉLIX.

Arrêtez, D. André, vôtre diſcours m’irrite,
Je connois D. Garcie, il n’eſt pas ſans mérite ;
Il aime Leonor, il l’a fait demander,
J’en conviens.

D. ANDRÉ.

J’en conviens.À ſes feux vous pouvez l’accorder.

D. FÉLIX.

L’accorder à ſes feux ! quelle erreur eſt la vôtre ?
Aprenez qu’elle n’eſt ni pour l’un ni pour l’autre,
Et qu’il vous faut ceſſer vos aſſiduitez,

D. ANDRÉ.

Oui, mon rival ceſſant les ſiennes.

D. FÉLIX.

Oui, mon rival ceſſant les ſiennes. Écoutez,
D. André, de chagrins n’outrez point ma vieilleſſe.
J’aime, vous le ſçavez ? ma fille avec tendreſſe,
Et quand je vous demande un éclairciſſement,
C’eſt que j’ai pris pour elle un autre engagement.
Un de mes bons amis pour ſon fils la demande,
Je l’attens de Madrid. Tout ce que j’aprehende,
C’eſt que ce Cavalier arrivant aujourd’hui,
Quelque bruit de vos feux ne vienne juſqu’à lui.
Tout le paſſé n’eſt rien, mais de fâcheuſes fuites
Naîtroient, ſi vous faiſiez de nouvelles pourſuites.
Comme vôtre deſſein n’eſt pas de l’épouſer,
Avec tranquillité laiſſez-m’en diſpoſer.

D. ANDRÉ.

À de telles raiſons, Seigneur, il faut ſouſcrire.
Vous-même preſcrivez comme il faut me conduire ;
Je ferai mon devoir après un tel aveu.

D. FÉLIX.

J’en prens vôtre parole & me retire ; adieu.


Scène VIII.

D. ANDRÉ, FABRICE.
FABRICE.

POur la première fois vous voilà raiſonnable,
J’en fuis ravi, Monſieur, ou je me donne au diable.
Il croioit vous tenir & vous prendre au filet.

D. ANDRÉ.

Tu nous écoutois donc ?

FABRICE.

Tu nous écoutois donc ? Ne ſuis-je pas valet ?

D. ANDRÉ.

Me vouloir marier, moi ! la plaiſante idée !

FABRICE.

De bien plus doux objets vôtre ame eſt poſſedée ;
Le mariage, ſi, c’eſt un engagement,
Et vous ne voulez, vous, que de l’amuſement.

D. ANDRÉ.

Pour Leonor pourtant ma paſſion s’irrite,
Et plus on met d’obſtacle à ce que je médite…

FABRICE.

Hé ! ſi vous l’aimez tant, pourquoi ne pas oſet…

D. ANDRÉ.

D’accord, je l’aime aſſez pour ne pas l’épouſer.

FABRICE.

Mais vous avez promis.

D. ANDRÉ.

Mais vous avez promis.Les promeſſes de bouche
N’engagent point le cœur quand l’affaire le touche.
Je n’avois point encor aimé juſqu’à ce jour ;
Mais les difficultez me donnent de l’amour ;
Il faut tromper un pere, & deux rivaux enſemble.

C’eſt de quoi m’amuſer.

FABRICE.

C’eſt de quoi m’amuſer.Mais, Monſieur, il me ſemble.

D. ANDRÉ.

Suis-moi, viens…

FABRICE.

Suis-moi, viens…Quelqu’un monte en cet apartement ;

D. ANDRÉ.

Que pourroit-ce être ?

FABRICE.

Que pourroit-ce être ? Encor quelque éclairciſſement.


Scène IX.

D. ANDRÉ, D. JUAN, FABRICE.
D. ANDRÉ.

QUe vois-je ? quel bonheur, D. Juan d’Alvarade ?

D. JUAN.

Quel plaiſir je reſſens d’une telle embraſſade !
Mon cher ami.

D. ANDRÉ.

Mon cher ami.Celui que j’ai dans ce moment
Eſt encore au deſſus du vôtre aſſurément.

FABRICE.

Je ſuis fort aiſe auſſi que le ſort réuniſſe
Deux auſſi bons amis.

D. JUAN.

Deux auſſi bons amis.Bonjour mon cher Fabrice.

D. ANDRÉ.

Sçaurai-je quel deſſein vous amène en ces lieux ?
Eſt-ce affaire ou plaiſir ? car je fuis curieux,
Et j’attendois ſi peu de vous voir à Valence…

D. JUAN.

Je viens m’y marier.

D. ANDRÉ.

Je viens m’y marier.Vous vous moquez, je penſe.

D. JUAN.

Je ne me moque point, cet hymen réſolu
Par mon pere, en mon cœur, eſt encor mieux conclu.

D. ANDRÉ.

Je vous plains cher ami, cet aveu diminuë
Le plaiſir que d’abord m’a donné vôtre vuë.

À Fabrice.

Il va ſe marier.

FABRICE.

Il va ſe marier.Fi, faites comme nous,
Ne vous engagez point, Monſieur, amuſez-vous.

D. ANDRÉ.

Peut-on changer ainſi d’humeur, de caractere ?
Vous qu’à l’hymen toûjours j’ai connu ſi contraire,
Qui juriez tant en Flandres, où je vous ai laiſſé,
Que jamais…

D. JUAN.

Que jamais…Pour l’hymen ce dégoût m’a paſſé,
Mon étoile le veut, mon pere le ſouhaite.

D. ANDRÉ.

Vôtre étoile, morbleu, dites vôtre comète,
C’eſt un aſtre malin qui vous conduit ici.

D. JUAN.

Aſtre malin, comète, étoile, m’y voici.

D. ANDRÉ.

J’en fuis fâché. La Dame aparemment eſt belle ?

D. JUAN.

Si vous voulez tantôt m’accompagner chez elle,
Vous pourrez en juger. Arrive d’hier au ſoir,
J’ai juſqu’à ce moment differé de la voir :
C’eſt à vous que je rends ma premiere viſite,
Les devoirs d’amitié ſont ceux dont je m’acquite
Par préférence à tout.

D. ANDRÉ.

Par préférence à tout.Cette même amitié
Me fait craindre pour vous de vous voir marié.
Mais cependant par tout je ſuis prêt à vous ſuivre,
Heureux, d’un mauvais pas ſi mon ſoin vous délivre.

D. JUAN.

Nous verrons. Comme ici je n’ai nul de mes gens.
Voudrez-vous me prêter Fabrice pour un tems ?

D. ANDRÉ.

Volontiers.

D. JUAN.

Volontiers.Un valet qui ne me quitte guère,
Eſt parti ce matin pour aller chez mon pere.
Je n’avois que lui ſeul, comme je viens de loin,
Ainſi…

D. ANDRÉ.

Ainſi…De ce détail nous n’avons pas beſoin.

D. JUAN.

Juſques à ſon retour puis-je garder Fabrice ?

D. ANDRÉ.

Il ſera trop heureux de vous rendre ſervice.

FABRICE.

Et de changer de maître, au moins pour quelques jours.

D. JUAN.

J’en uſe librement ? va donc m’attendre à l’Ours,
Fabrice.

FABRICE.

Fabrice.Ne faut-il, Monſieur, que vous attendre ?

D. JUAN.

Sçachez ſi l’on n’a point de Lettres à me rendre.
Je vais chez un Banquier, & je repaſſerai
Quand…

D. ANDRÉ.

Quand…N’allez-vous que là ?

D. JUAN.

Quand… N’allez-vous que là ? Non.

D. ANDRÉ.

Quand… N’allez-vous que là ? Non.Je vous y ſuivrai.


Fin du premier Acte