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La Tour fendue
(Légende)


Il existe dans une province du sud de la France une tour, fendue du haut eu bas. On la nomme la Tour fendue ou Tour de Ganelon. Huit jours après la défaite de Roland à Roncevaux, le traître Ganelon donnait en son château un grand festin. Personne ne connaissait encore sa trahison. Cependant Charlemagne suspecte Ganelon ; tout-à-coup, il pénètre dans la salle où l’on festoie ; il interroge Ganelon au sujet de la mort de son neveu et découvre le crime.


Depuis qu’à Roncevaux il est tombé Roland,
le fier neveu de Charle, à la barbe chenue,
huit fois la nuit est revenue ;
mais Charle vengera Roland.

Dans l’antique château, grande est la joie.
Les chefs vaillants, hôtes de Ganelon,
ayant vaincu le Sarrazin félon,
sont réunis, et gaîment l’on festoie.

Le vin vermeil coule à flots dans les coupes
d’argent. On a tué maints noirs sangliers,
maints cerfs, maints bœufs en l’honneur des guerriers.
Les valets vont, actifs, parmi les groupes.

Tandis qu’on boit et qu’on chante, la porte
très haute s’ouvre, et le vieil empereur
paraît, immense, à la fauve lueur
des flambeaux d’or, suivi de son escorte.

Ce sont des preux, en des combats sans nombre
toujours vainqueurs. Or, tous les invités,
devant le roi, joyeux, se sont levés ;
sauf Ganelon dont le visage est sombre.

Il reste assis, tout seul, loin de la porte.
Charle s’avance. Il lui pose la main
sur l’épaule, et, parlant en souverain,
lui dit ces mots, d’une voix grave et forte :

— Et tous se sont tus dans la salle immense —
« Où donc est-il Roland, mon fier neveu ?»
Ganelon dit : « Messire, il est à Dieu. »
— Les hauts barons ont fait un grand silence —

Charte le Roi, la voix plus grave, insiste :
« Où donc est-il mon cher neveu Roland ? »
« Point ne le sais, dit Ganelon tremblant. »
— Lors l’empereur est devenu tout triste.

Puis il reprend encor d’un ton sévère :
« Où donc est-il Roland que tant j’aimais ? »
Ganelon dit : «. Messire, je ne sais,
mais le bruit court qu’il est mort à la guerre. »

« Jure-moi donc sur la tour principale
de ton château que tu n’as pas trahi
mon doux Roland, car tu l’as fort haï. »
— De Ganelon, comme la face est pâle ! —

Mais sa tour est très massive et solide :
« Sur mon donjon, dit-il, je fais serment
devant le Christ que je suis innocent
de cette mort. » Sa parole est perfide.

Tout aussitôt s’ouït un bruit terrible ;
A Ganelon le Christ a répondu.
Du haut en bas le donjon est fendu,
comme coupé par un glaive invisible.

Ganelon tombe aux pieds de Charlemagne.
Mais l’empereur pense à son cher Roland.
Pour douce France, il est mort combattant
à Roncevaux, aux défilés d’Espagne.

Pour le venger, Charlemagne fit mettre
le traître en croix. On voit encor la Tour
de Ganelon. On la nomme en ce jour
la Tour fendue, en souvenir du traître.

Depuis qu’à Roncevaux il est tombé Roland,
le fier neveu de Charte, à la barbe chenue,
huit fois la nuit est revenue ;
mais Charle a vengé Roland.


TH. CART.