La Torture aux Pays-Bas autrichiens pendant le XVIIIe siècle/01


CHAPITRE PREMIER.

La législation sur la torture pendant le XVIIIe siècle
jusqu’aux premières tentatives de réforme.


Au XVIIIe siècle, l’administration de la justice criminelle est toujours régie dans nos provinces par l’ordonnance de Philippe II en date du 9 juillet 1570[1]. L’usage de la torture y est prévu et réglé par les articles 39-42, ainsi conçus :

« Art. 39. — Si les juges, après avoir visité le procès, trouvent la matière disposée selon les termes de droit et justice à question extraordinaire, la sentence se devra incontinent prononcer par écrit au prisonnier, pour à l’instant la mettre à exécution.

« Art. 40. — Et si par ladite question, le prisonnier confesse ce qui luy est imposé, voulons que hors du lieu de ladite question, et après l’intervalle d’un jour [si tant est qu’il ait actuellement été torturé et tiré de son corps] soit derechef interrogé, sans question et hors du lieu d’icelle, pour voir s’il demeure en sa confession, pour en faire note et approbation de sa dite question ; que s’il le révoque, se peut répéter ladite question, si les juges le trouvent ainsi convenir, ou autrement en pourront faire comme de droit et raison appartiendra, se réglant quant à la signature, comme dit est cy-dessus.

« Art. 41. — Que s’il endure ladite question, et ne se peut rien tirer de sa bouche, ne voulons que sans nouveau indice, il puisse estre remis à ladite question : mais audit cas se devra visiter le procès, pour luy faire droit comme la matière le requerra, tant entre nos Fiscaux-officiers, que partie intéressée, soit à l’absolution, élargissement, peines extraordinaires, ou autrement, comme il conviendra.

« Art. 42. — Deffendons bien expressément à tous juges quels qu’ils soient, d’user de la torture ou question extraordinaire, autrement que ez cas où du Droit il est permis[2] ; sçavoir est quand la chose est si claire et la preuve si apparente, qu’il semble ne rester que la confession du prisonnier pour indubitablement le convaincre : mais où il n’y a plaine demye preuve[3], ou bien où la preuve est certaine et indubitable, interdisons d’appliquer ladite question ; abolissons aussi ausdits cas, toutes coutumes, usances, statuts ou observations au contraire, qui sont plutôt abus que autrement, comme plus amplement est porté par notre dite ordonnance sur la réformation de la justice criminelle, prenant toujours regards aux qualitez des personnes, délits et autres circonstances requises et nécessaires. »

Un point important qui ressort de ces textes et qu’il faut retenir tout d’abord, c’est que, si la preuve de la culpabilité est complète, les juges doivent appliquer à l’accusé les peines prévues par les édits, à défaut de ceux-ci, les peines comminées par le droit écrit, enfin, subsidiairement, des peines arbitraires déterminées, dans les cas imprévus, de l’avis de jurisconsultes instruits. Si la preuve n’est pas complète, et dans ce cas seulement, la torture peut être employée, que le procès soit ordinaire ou extraordinaire[4].

Telle est, au XVIIIe siècle, la doctrine résultant à l’évidence de lois qui n’ont jamais été abrogées. Mais, on ne l’ignore pas, les Ordonnances de 1570, publiées par le duc d’Albe, furent toujours impopulaires[5]. D’ailleurs, l’étroit esprit de tradition de nos ancêtres, joint à la coalition des intérêts privés, mit obstacle dès le début à l’application des règles nouvelles. On ne tarda pas à soutenir que, en vertu de l’article 3 de la Pacification de Gand (novembre 1576), confirmé par l’article 2 de l’Édit perpétuel de Marche (février 1577), les ordonnances du duc d’Albe étaient devenues caduques[6]. De longues et opiniâtres controverses s’engagèrent sur ce point. Nous ne nous y arrêterons pas, et nous nous bornerons à constater que le Gouvernement autrichien tint pour maxime constante que la législation criminelle de Philippe II avait conservé sa force obligatoire[7].

Le droit de faire appliquer un accusé à la question appartient à tous les tribunaux criminels[8].

Dans la pratique, au mépris des ordonnances de 1570 et par une extension abusive, la torture a été usitée dans les cas suivants : 1° contre les « contumaces », — c’est ainsi qu’on désigne alors les accusés qui gardent un silence opiniâtre ; 2° contre les convaincus qui persistent à nier leur crime ; 3° pour découvrir les complices d’un criminel convaincu ; 4° contre les vagabonds, — c’est ce qu’on appelle la torture d’inquisition. Enfin, il y a la torture autorisée par la législation de Philippe II : quand l’accusé nie, et que les preuves relevées contre lui ne sont pas complètes.

I. La torture contre les contumaces. — Il semble qu’au XVIIIe siècle, la torture contre les contumaces ou muets volontaires n’ait plus été en usage dans les Pays-Bas. Du moins, le Grand Conseil de Malines, les conseils de Brabant, de Hainaut, de Flandre, de Tournai et de Namur l’affirment[9]. Ils sont d’avis qu’en général il n’y a point de proportion entre le silence, même obstiné, et les tourments de la question ; que ce genre de procédure est à la fois une cruauté et une injustice. Les juges doivent considérer le contumace comme niant le crime qui lui est reproché, et « développer les charges » comme dans un procès ordinaire.

Certains conseils font cependant des restrictions. Le Conseil de Namur admet la torture des contumaces dans un cas : « S’il arrivoit que les preuves du procès seroient dans un tel degré que le criminel devroit être torturé, nous croions qu’il ne devroit pas moins y être appliqué, ainsi que l’on feroit de celui qui auroit répondu ». — En Brabant, « si l’on condamne un contumace à la torture, c’est qu’il y a d’ailleurs des preuves suffisantes pour lui en faire subir les tourments, afin qu’il procure au juge par ses réponses un apaisement que celui-ci ne croit pas pouvoir trouver par quelque autre moïen ». — Le Conseil de Flandre dit d’une part : « La torture des contumaces seroit déplacée et tendroit à la barbarie » — mais il ajoute d’autre part : « Quand un accusé s’obstine à ne vouloir répondre, l’on procède contre lui par un emprisonnement plus réservé, soit par l’application des fers, soit en le réduisant pour toute nourriture au pain et eau ».

Au cours de nos recherches dans les archives criminelles, nous avons cependant relevé un fait qui contredit l’affirmation du Conseil de Brabant. Le 19 juin 1744, Guillaume W…[10], accusé de divers vols qualifiés, comparut devant les échevins d’Anvers et garda durant les interrogatoires un silence obstiné. La Vierschaere le fit examiner par des médecins, et ceux-ci, dans un minutieux rapport qui nous a été conservé, déclarèrent que le mutisme de l’inculpé provenait d’une mauvaise volonté manifeste, et nullement d’un défaut physique[11].

En conséquence, Guillaume W… subit, le 15 juillet suivant, durant près de quatre heures, le supplice du collier à pointes (Halsband), et finit par avouer qu’il avait simulé la surdi-mutité pour sauver l’honneur des siens : « voor d’eere van sijne familie[12] ».

II. Torture des convaincus qui persistent à nier. — Pendant des siècles, la plupart des magistrats de l’Europe ont jugé qu’il n’était point permis de condamner un homme à mort avant qu’il n’eût avoué son crime. L’aveu du criminel était à leur avis indispensable, quelle que fût d’ailleurs l’évidence de la culpabilité. Toutes les formalités de l’instruction, toute l’habileté du magistrat semblent avoir l’obtention de cet aveu pour unique objectif. Si la résistance du prisonnier n’a pas été lassée par les sollicitations de l’interrogateur, ou entamée par ses menaces, la torture sera mise en œuvre. Scrupule étrange ! On n’osera condamner l’accusé sans avoir obtenu son aveu, mais on n’hésitera pas à l’envoyer à la mort après un aveu mensonger. Charles-Quint avait déjà réagi contre ce système par l’article 69 de la Caroline[13] dont l’esprit se retrouve dans l’article 61 de l’édit du 5 juillet 1570[14]. Mais ici encore il fallait compter avec la force d’inertie des tribunaux et avec l’hostilité qu’ils nourrissaient contre les ordonnances. Nos magistrats s’en tiennent au texte de Damhoudere : « Si les premiers indices fussent si clers et évidents, et si bien approuvez par deux tesmoings suffisants de veue et bien sçavoir, que le juge sentiroit signamment l’obstination du patient : car en ce cas, pour la malice du patient, le juge le pourroit regehenner et réitérer le banc sur lesdits premiers indices[15] ». L’accusé fait appel à tout son courage pour échapper au dernier supplice, et le juge recourt aux tourments les plus cruels pour vaincre son obstination.

En 1629, cinquante-neuf ans après la promulgation des lois criminelles de Philippe II, le Conseil de Luxembourg semble ignorer qu’un crime capital, prouvé à suffisance de droit, peut être puni sans l’aveu du coupable. Cette année-là, ayant à juger un criminel convaincu à l’évidence, mais qui niait opiniâtrement, les magistrats embarrassés demandèrent des instructions au Gouvernement. Celui-ci, dans sa dépêche du 2 avril 1629, affirma une fois de plus la véritable doctrine[16]. Nos cours de justice n’en tinrent guère compte. Wynants nous apprend que tous les échevinages brabançons prétendent avoir le droit de mettre à la question un accusé dûment convaincu, pour lui arracher une confession, et il admet leur prétention dans une certaine mesure : quand l’accusé a contre lui, non une preuve directe, mais seulement une « preuve par indices, ceux-ci fussent-ils indubitables ». C’est évidemment violer la loi, tout au moins dans son esprit, et exagérer à plaisir l’usage d’un mode de procédure aussi défectueux qu’inhumain.

Un siècle plus tard, en 1731, un bourgeois de Malines fut traduit devant les échevins du chef de fratricide et de tentative de parricide ; il protesta de son innocence, mais, écrivait le Magistrat, « les preuves sont plus claires que le jour, et il ne nous reste pas le moindre scrupule ni doute ». Cependant on condamna l’accusé à la question illimitée ; il la subit quatre fois sans avouer, dont une fois huit heures de suite. « Ce forcené se moqua de ses juges et de la torture ; froid et tranquille sur la sellette, ne montrant ni impatience ni sensibilité, il ressembloit à une statue de marbre, il se disoit résolu à ne jamais rien avouer, dût-on le brûler membre par membre, en ajoutant qu’il aimoit mieux expirer sur la torture que de devoir subir par son aveu une mort cruelle et ignominieuse[17] ».

La femme de ce malheureux adressa à l’Empereur une requête en grâce, implorant sa pitié en considération des souffrances atroces que son mari avait endurées. Suivant l’usage, la requête fut renvoyée à l’avis du Magistrat de Malines. Celui-ci demanda au Gouvernement de l’autoriser « à faire appliquer le prisonnier à la torture la plus efficace usitée en ce païs ou dans les États voisins », ou de lui permettre de condamner le coupable malgré ses dénégations.

La Gouvernante générale, Marie-Élisabeth, voulut s’éclairer d’une manière complète et prescrivit à tous les Fiscaux du pays de lui faire rapport sur la question soulevée. Ces rapports furent renvoyés au Conseil privé qui en présenta la synthèse et joignit son propre avis dans une importante consulte qui est conservée aux Archives générales du royaume[18].

Les appréciations des Fiscaux présentent des différences assez notables. Ceux de Malines estiment que, l’accusé étant suffisamment convaincu, le juge doit procéder à la condamnation « sans insister ultérieurement sur la confession, beaucoup moins l’extorquer par la torture. Car la torture n’a été inventée et receue en droit quam ut veritas quæ aliunde haberi non potest , tormentis adhibitis extorqueatur ». Mais immédiatement après cette déclaration, et par une inconséquence étrange, ces mêmes juristes trouvent qu’il faut s’incliner devant l’usage ; ils se fondent, pour se contredire de la sorte, sur la maxime « confessus non appellat », et disent que, s’il n’y avait pas aveu, l’appel en matière criminelle serait licite[19]. Ils retombent dans l’abus réprouvé par les ordonnances de 1570, ordonnances dont ils ne font du reste pas même mention. Au contraire, les Fiscaux brabançons se basent sur le texte de ces ordonnances pour condamner la procédure suivie à Malines et dans le duché de Brabant, et leur avis est partagé par leurs collègues de la Gueldre et du Luxembourg[20]. Ces derniers font même observer que la torture est souvent inefficace, attendu que les brigands s’exercent à subir les tourments et arrivent ainsi à un étonnant degré de résistance[21]. En Flandre, on se conforme à la vraie doctrine depuis 1574[22], et le Fiscal remarque que Damhoudere soutenait déjà la même opinion[23]. Le rapport des Fiscaux du Hainaut est conçu dans un esprit analogue, et il résulte donc de l’enquête que l’aveu du criminel est exigé seulement par les Conseils de Brabant et de Malines.

Le Gouverneur général, d’accord avec le Conseil privé, défendit au Magistrat de Malines de torturer l’incriminé[24] et adressa à tous les conseils de justice une circulaire rappelant les véritables principes à suivre en matière d’instruction criminelle[25].

Il semble cependant que les magistrats brabançons ne se soient pas inclinés immédiatement. En effet, le 6 mars 1751, de Hauregard, assesseur du Drossard de Brabant, écrivait, à propos du procès de Jean C…, voleur de chevaux : « La conviction étoit même si entière et si sure, qu’elle auroit suffi pour condamner tout de suite le prisonnier à la peine capitale qu’il a encouru, si l’on ne devait pas avoir la confession du coupable, ad pænam mortis irrogandam, malgré toute l’étendue de l’évidence de la preuve[26] » ; et en 1771, de Fierlant déclarait : « On m’assure qu’aujourdbuy le Conseil de Brabant est entièrement dans les bons principes à cet égard, mais je doute fort que les autres magistrats de cette province soient revenus de leur préjugé… On se persuade encore assez communément que c’est un usage constant en Brabant qu’un criminel complettement convaincu d’un délit punissable du dernier supplice ne peut être condamné à mort, à moins qu’il n’avoue son crime[27] ». Et il cite à l’appui de son dire un fait typique remontant à quelques années. Un paysan de Wamont tua, d’un coup de fusil, en plein jour, au sortir des offices de la paroisse, un individu avec lequel il se trouvait en différend. Appréhendé sur le fait, il ne nia point, mais prétendit avoir agi en cas de légitime défense. Son système était insoutenable, le crime ayant été perpétré en présence de nombreux témoins. Et cependant le Prévôt de l’Hôtel et le Fiscal de Brabant furent d’avis qu’il fallait appliquer le prisonnier à la torture pour le forcer à un aveu pur et simple. Une circonstance fortuite empêcha la mise à la question : les médecins découvrirent que l’accusé était atteint d’une hernie, et déclarèrent que les tourments pourraient amener une inflammation mortelle[28].

L’école criminaliste du XVIe siècle, dont les juristes belges étaient en majorité les fidèles disciples, considérait la confession de l’accusé comme un infaillible moyen de découvrir la vérité. Jousse, conseiller au Présidial d’Orléans, a très nettement résumé cette théorie : « Quand un accusé est prévenu d’avoir commis un crime, personne ne peut être plus certain que lui s’il est coupable ou innocent de ce crime, et, par conséquent, de toutes les preuves nécessaires pour établir cette vérité, la plus certaine et la moins sujette à l’erreur est celle qui résulte de la confession de l’accusé[29] ». Ce qui n’empêche pas Jousse de reconnaître, quelques pages plus loin, que « l’on trouve dans l’histoire plusieurs exemples de personnes qui, par la force des tourments, ont confessé des crimes qu’elles n’ont pas commis ».

Les préjugés des juges belges[30] ont la vie dure. Le 25 novembre 1763, les échevins de Gand font mettre à la question deux assassins, M… et D…, dont la culpabilité est surabondamment établie[31] ; en janvier 1780, le Magistrat de Louvain demande au Gouvernement l’autorisation de torturer un faussaire dont le crime est évident[32] ; le 21 juillet 1784, une démarche analogue est faite par les hommes de fief de la Cour féodale du Péron d’Audenarde, et ils protestent très vivement quand le Conseil privé les éconduit[33] ; le 7 décembre 1785, le bourgmestre du Franc de Bruges expose qu’il ne « manque à la conviction de l’empoisonneur Jean H… que son aveu », et demande à pouvoir arracher cet aveu par les supplices[34]. La même année, le Gouvernement échange une volumineuse correspondance avec le Magistrat d’Ypres. Celui-ci insiste pour obtenir la torture d’un bandit convaincu, et soutient « qu’on ne peut punir un criminel sans qu’il ait avoué son crime ». Le Conseil privé s’opposa résolument à cette prétention, et résuma le litige en un dilemme irréfutable : ou bien la culpabilité de S… est suffisamment démontrée, et dans ce cas la torture est une cruauté inutile ; ou bien les preuves ne sont pas assez convaincantes, et alors les aveux qu’on pourra lui arracher dans les tourments ne pourront rien ajouter à la conviction des juges[35]. Mais rien n’y fait, les magistrats s’obstinent, et nous verrons dans un autre chapitre les échevins d’Anvers appliquer à la question, en 1793 — quatre ans après la Révolution française, six ans après l’abolition de la torture par Joseph II, — sept fois de suite, dont une fois vingt-quatre heures durant, un assassin dont la culpabilité leur paraissait cependant démontrée par un ensemble de preuves suffisantes.

III. La torture appliquée au criminel convaincu pour lui faire dénoncer ses complices. — Au XVIIIe siècle, ce mode de procédure, appelé en France la question préalable, est en usage dans les provinces de Luxembourg, de Flandre, de Namur, de Tournai-Tournésis, de Hainaut et de Gueldre[36]. Le Conseil de Brabant affirme qu’il n’est pas usité dans son ressort[37], mais la Coutume d’Anvers dément cette assertion[38]. Il existe depuis une époque très reculée[39] : la Joyeuse Entrée de Marie de Bourgogne contient un article destiné à en refréner les abus, et à soustraire à l’arbitraire des justiciers tout au moins les gens de bonne fâme et renommée[40].

Nos recherches dans les archives criminelles du siècle dernier ne nous ont fait retrouver que des exemples peu nombreux d’accusés torturés en vue d’obtenir la dénonciation de leurs complices. Les jurisconsultes discutent le point de savoir à l’égard de qui ce mode d’investigation peut être employé : Zypaeus estime que, seules, les personnes de rang infime y sont soumises[41], tandis que Wynants soutient qu’on peut y appliquer toute espèce de délinquants, du moment que l’existence de complices est certaine[42].

IV. La torture d’inquisition. — La torture dite d’inquisition fut réglementée le 15 avril 1540. Cette année-là, Charles-Quint prescrivit à ses officiers de justice et de police d’arrêter tous les vagabonds, de leur faire subir un interrogatoire minutieux, et de les obliger à justifier de leurs moyens d’existence. Si leurs réponses n’étaient pas satisfaisantes, on devait mettre ces malheureux à la torture pour découvrir si, par hasard, ils n’avaient point commis quelque crime[43]. Précisément parce qu’elle était d’une sévérité excessive, cette loi ne fut guère observée, bien qu’elle menaçât les justiciers négligents de peines rigoureuses, et c’est en vain qu’on la republia à intervalles rapprochés[44]. On finit cependant par comprendre que des dispositions aussi barbares ne pouvaient être efficaces, et, par les articles 13 et 14 de leur édit du 28 septembre 1617, les archiducs Albert et Isabelle prescrivirent aux officiers de justice de se borner à interroger attentivement les vagabonds, sans les appliquer à la torture, à moins qu’ils ne fussent formellement accusés de crimes précis et qu’il n’y eût contre eux des indices graves[45].

Nous assistons alors à un spectacle bizarre : les tribunaux qui ont négligé d’appliquer une loi qu’ils trouvaient trop sévère, deviennent plus rigoureux quand la législation est adoucie par les princes ; cette tradition se perpétue, et nous voyons des jurisconsultes tels que Wynants et Zypaeus[46] admettre, contrairement au texte formel de l’édit précité des archiducs, que le fait seul du vagabondage est « un indice suffisant à torture » ; tout au plus recommandent-ils aux juges la modération. Vers la fin du XVIIIe siècle, les tribunaux brabançons déclarent qu’un vagabond peut être soumis à la question « ob vilem personarum qualitatem », sur des preuves et des indices que l’on estimerait insuffisants, s’il s’agissait d’un « citoyen surcéant[47] ». Toutefois, nous sommes heureux de le constater, ce ne sont plus là que des discussions purement théoriques, et le Président de Fierlant considère la torture d’inquisition comme abrogée de fait : « J’ai trop bonne opinion, dit-il, des tribunaux de ces provinces, pour pouvoir m’imaginer qu’il y en ait un seul qui l’observe encore, ou dont les membres aient l’esprit assez mal tourné pour penser qu’il convient de faire revivre cette pratique atroce[48] ».

V. La torture dont on se sert pour convaincre l’accusé. — Nous arrivons enfin à la torture la plus usitée, celle dont on se sert pour convaincre un accusé. Nous aurons à constater la fréquence de sa pratique, à tous les degrés de la juridiction, dans toutes les provinces des Pays-Bas, pendant le cours entier du XVIIIe siècle, même après la première conquête française. Il en est du reste ainsi dans la plupart des pays de l’Europe.

Certes, la question n’est pas appliquée d’une manière uniforme dans tous les ressorts judiciaires des Pays-Bas ; mais, au-dessus des divergences locales, on observe cependant certains principes généraux[49].

D’abord il faut un jugement formel ordonnant la torture[50]. Avant de rendre ce jugement, les magistrats doivent constater la réalité du corps du délit, établir que le crime a été réellement commis[51] ; cette précaution est indispensable pour éviter le retour d’erreurs judiciaires terribles[52]. C’est ainsi que, le 29 août 1781, le Conseil privé interdit de mettre à la torture Jérôme R…, d’Assenede, accusé d’assassinat, contre lequel il y a de très fortes preuves, mais « on n’est pas sûr que le cadavre retrouvé soit celui de la victime supposée[53] ». Le tribunal doit posséder la preuve de commisso crimine, c’est-à-dire qu’il doit être démontré, par exemple, que la mort de la victime n’est pas due à un accident. Il faut aussi que le crime soit capital[54]. Cette expression ne doit pas être prise à la lettre ; elle s’entend non seulement d’un crime passible de la peine de mort, mais aussi d’un châtiment corporel rigoureux ou d’un bannissement à perpétuité[55]. Enfin, les indices recueillis contre l’accusé doivent former une preuve presque complète. Rien n’est si arbitraire ni si difficile à fixer que ce caractère des indices. Certaines de nos coutumes exigent qu’il y ait « indices et présomptions violentes vérifiées chacune par deux tesmoins dignes de foy contre l’accusé, iceluy là dessus ouy[56] ». Mais, en général, le juge possède un pouvoir discrétionnaire réglé par la tradition. Dans son appréciation des preuves, il tiendra compte de la nature du crime et de la qualité des personnes : il sera moins scrupuleux si l’accusé est un vagabond que s’il est un citoyen honorable, et il sera plus prompt à ordonner la torture lorsqu’il s’agit d’un atroce forfait[57], qu’en matière de crimes ordinaires. C’est aux praticiens que nous devons demander le sens précis et usuel de la formule légale. En cas de vol, nous disent-ils, on considère comme indice grave que l’accusé ait la chose volée en sa possession ; s’il a fait des dépenses inusitées et s’il ne peut expliquer d’où lui viennent ces ressources extraordinaires, il y aura forte présomption contre lui ; de même, en cas de meurtre, si deux témoins ont vu l’accusé sortir de la maison du crime « ayant son épée nue et ensanglantée ». Toutefois, si l’accusé jouit d’une bonne réputation, et s’il ne paraît pas qu’il ait eu intérêt à commettre le crime, quelque grave que soit l’indice, il ne suffirait pas à légitimer l’emploi de la torture[58]. Certains juristes, tout en constatant qu’il est malaisé de déterminer le degré d’importance de l’indice, estiment suffisante la confession extrajudiciaire de l’accusé prouvée par deux témoins « idoines », faite librement, sans menaces ni tentatives de subornation[59] ; de même on peut se contenter de la déposition d’un seul témoin irréprochable, venant corroborer des indices d’importance secondaire, surtout si l’accusé est de réputation suspecte. Cependant les plus éclairés combattent la théorie de l’indice unique et exigent la concomitance de charges nombreuses[60], et aucun de nos légistes du siècle dernier ne reprend pour son compte l’opinion inhumaine de Carpzovius, qui considère le trouble de l’accusé comme un indice suffisant pour autoriser le juge à livrer l’accusé au tortionnaire. Lorsque le patient parait éluder les questions, lorsque les expressions dont il se sert sont vagues ou obscures, Carpzovius estime qu’on doit pouvoir le tourmenter, afin de lui arracher des réponses plus claires et plus catégoriques. Comme si l’appréhension de la peine capitale et l’appareil imposant de la justice ne suffisaient pas à intimider les plus fermes[61] ! Nous pouvons le constater avec quelque satisfaction, le cruel conseiller de l’Électeur de Saxe n’avait pas fait école dans notre pays jusqu’à ce point-là. Cependant nos magistrats prisaient très haut les ouvrages de quelques jurisconsultes qui, inclinant à suivre Carpzovius dans cette voie inique, admettaient comme indices, « éloignés » il est vrai : le tremblement de la voix de l’accusé, l’affectation d’avoir l’oreille dure ou d’avoir perdu la mémoire, « la mauvaise physionomie de l’accusé » ou le vilain nom qu’il porte[62] ». Nous devons aussi signaler l’esprit barbare qui règne en matière d’enquêtes prévôtales : « Si l’on n’y prenait garde, écrit le Conseil de Brabant en 1720, le Prévôt exposerait tous les habitants de la province à estre appliqués à la torture sur une demie preuve, même sur des présomptions qui sont souvent trompeuses[63]. »

Enfin, le tribunal doit décider si l’accusé est ou n’est pas soustrait à la question, soit en vertu de sa position sociale, soit pour des raisons particulières.

Damhoudere déclarait « excusés du banc », sauf en matière de crimes atroces[64], « les grands personnages qui sont constituez en grandes dignitez », expression vague dont Wynants restreint la portée aux seuls chevaliers de la Toison d’or[65].

Dans les autres pays de l’Europe, la jurisprudence est la même, mais les « grandes dignitez » n’exemptent pas toujours de la question[66], à preuve, dans les siècles précédents, Fiesque à Gênes, Cinq-Mars à Paris, et plus récemment, le 2 janvier 1759, le duc d’Aveiro à Lisbonne[67].

Il est aussi de tradition constante de ne torturer ni les enfants[68], ni les vieillards, ni les femmes enceintes ou accouchées depuis moins de quarante jours[69] ni les infirmes[70]. Toutefois, si un individu rentrant dans une de ces catégories est accusé d’un crime capital, on le conduira dans la chambre de la question, on lui montrera les instruments, comme si on allait s’en servir sur lui, on fera en un mot tous les préparatifs, afin d’obtenir un aveu par la terreur qu’inspire la seule vue de l’appareil des bourreaux[71].

À la différence des lois françaises[72], notre législation ne permet pas qu’un accusé interjette appel du jugement qui l’a condamné à la torture. Damhoudere enseigne cependant que cet appel est légal[73], et Matthæus partage son avis[74]. Leur manière de voir est juste s’il s’agit du droit romain, mais le texte des ordonnances de 1570 porte, au contraire, que la sentence devra être exécutée tout de suite : « La sentence se devra incontinent prononcer par écrit au prisonnier, pour à l’instant la mettre à exécution[75] ». Il n’y a d’exception qu’à Namur[76]. Mais nous constatons dans les documents des archives qu’au siècle dernier les juges suspendaient fréquemment l’exécution de leur sentence pour permettre aux condamnés, non d’interjeter appel, mais d’obtenir de la clémence du prince qu’il leur fût fait grâce des tourments. Tantôt la requête est admise, tantôt elle est rejetée ; il n’y a pas de tradition fixe, et l’ajournement de la sentence ne préjuge nullement la décision du souverain. Le 26 juin 1718, Van D…, de Gand, accusé de meurtre, reçoit « grâce de question, à cause de l’inauguration de S. M.[77] » ; en 1734, deux accusés d’assassinat échappent à la torture à l’occasion du mariage du duc de Lorraine[78] ; le 26 mars 1735, une grâce de l’espèce est refusée à Georges D…, de Lustin, accusé de complicité dans un assassinat, et à Elisabeth V…, d’Anvers, poursuivie du chef d’infanticide. Et pourtant, dans ce dernier cas, les magistrats anversois avaient avisé favorablement la requête, « à cause qu’ils doutent s’il y aurait assez de preuves pour la condamner à la torture, étant d’ailleurs d’une complexion délicate et d’un petit geni » (sic)[79] ; par contre, Laurent T…, accusé de faux et de vol, condamné à la torture par le Magistrat de Maesniel[80], est dispensé des tourments par décret du 7 janvier 1779, sur l’avis du Conseil de Gueldre, qui fait valoir contre l’usage de la question des considérations générales d’humanité, et, dans l’espèce, l’insuffisance des charges relevées contre le suppliant[81] ; le 4 septembre 1780, François B… subit la torture à Gand, sa demande de grâce n’ayant pas été accueillie[82] ; le 2 décembre 1781, De G…, condamné à la question par le Magistrat de Louvain, comme persistant à nier les faux dont il est accusé, est soustrait aux effets de ce jugement par décret des Gouverneurs généraux[83].

La sentence condamnant l’accusé à la torture étant rendue et signifiée, on procède à l’exécution, tantôt devant des commissaires délégués, comme à Anvers[84], tantôt devant l’assemblée générale du Magistrat, comme à Gand ou à Bouillon[85]. Quelquefois les médecins requis pour assister aux opérations constatent par un procès-verbal que le patient est en bon étal de santé[86].

On donne lecture à l’accusé des charges relevées contre lui[87]. Il est invité à répondre à ces incriminations ; mais on ne lui défère pas le serment, comme on le fait devant les cours de justice françaises[88]. Le serment avait été introduit en France par l’ordonnance de 1670. En vain le président de Lamoignon avait-il lutté de toutes ses forces pour faire écarter cette disposition mauvaise, qui allait « engager infailliblement l’accusé à commettre un nouveau crime, et ajouter au mensonge qui est inévitable dans ces rencontres, un parjure qui se pourroit éviter » ; il fit voir que ce serment n’était qu’un simple usage, qui s’était introduit « comme ces choses dont on ne connoit pas bien ni l’origine ni la raison » ; il démontra que le droit civil, bien loin de l’autoriser, y était certainement contraire, et que, même dans le droit canonique, avant « qu’il fût embrouillé des formalités de l’inquisition », il n’y en avait pas la moindre trace ; il fit remarquer que la Caroline n’en parlait pas, et que « dans les Pays-Bas tout au moins il n’avait pu s’introduire[89] ». Ce serment n’existait donc pas dans noire procédure. En 1779, le Conseil de Gueldre, adressant au Gouvernement un mémoire sur les réformes qu’il serait utile d’apporter à la législation pénale, rappelle qu’il est défendu d’exiger le serment du prisonnier ; il insiste pour qu’on ne suive pas l’exemple de la France et qu’on ne provoque pas des parjures inévitables en plaçant les accusés entre leur conscience et leur intérêt[90].

Lecture des incriminations ayant été faite, l’interrogatoire commence[91]. Il est recommandé au juge de procéder par questions générales, en se gardant bien de dicter indirectement les réponses[92] ou de recourir à des menaces ; il doit au contraire user de persuasion et faire comprendre à l’accusé que, faute d’avouer, il va s’exposer à de cruelles souffrances[93]. Le juge peut licitement provoquer un aveu par la ruse : « Judex pro eruenda veritate delicti a reo potest uti simulationibus et fictionibus, uti blandis verbis ; non tamen potest uti falsitatibus et mendaciis[94] ». Si ses exhortations sont demeurées vaines, il ordonne au bourreau de faire son office[95]. Il interroge lui-même le patient pendant les opérations ; il ne doit pas se laisser émouvoir par les cris et les lamentations de la victime. Lorsque plusieurs individus sont sur la sellette, le juge s’adresse d’abord à celui d’entre eux dont il espère obtenir le plus facilement un aveu[96]. Lorsqu’il cherche à provoquer la délation des complices, il lui est interdit de citer les noms des suspects que l’accusé pourrait alors dénoncer par une simple affirmation dénuée de preuves[97]. Le juge possède un pouvoir discrétionnaire pour renforcer ou adoucir les tourments. D’habitude, quand l’accusé entre dans la voie des aveux, on ralentit les épreuves sans toutefois les suspendre entièrement[98]. Il n’est détaché de la sellette qu’après une confession entière. À Malines, le 11 août 1723, Rombaut L…, accusé d’avoir pris part à une émeute, fut appliqué à la question depuis 3 h ½ heures de relevée jusqu’au lendemain matin à 4 h ¼ heures ; il avait demandé à plusieurs reprises d’être détaché, promettant de dire la vérité complète ; le Magistrat refusa : l’aveu devait précéder la délivrance[99].

Le greffier dresse un procès-verbal détaillé de tout ce qui s’est passé dans la chambre de la question. On laisse après cela le prisonnier quelque temps en repos ; on lui donne du vin ou quelque autre « confortatif » qu’il demande.

Le médecin et le chirurgien qui assistent à la séance ont pour mission de veiller à ce que les tourments ne mettent pas la vie du patient en danger ou ne l’exposent à demeurer estropié. On doit faire souffrir l’accusé le plus possible sans attaquer notablement les sources de la vie[100] : s’il succombait entre les mains du bourreau, l’inhumanité du système deviendrait par trop évidente[101]. Quelquefois le tribunal formule des instructions détaillées à l’usage des commissaires. Nous en avons trouvé des spécimens dans les dossiers des archives, notamment en cause de Romule Ackerini, natif de Rome, accusé d’avoir assassiné un domestique du marquis de Prié, et condamné par le Grand Conseil de Malines à subir la torture le 19 octobre 1724[102]. Nous y lisons que « les commissaires fairont continuer la torture ordinaire et extraordinaire selon les forces du prisonnier et par avis des médecins et chirurgiens y présents. En cas que ledit prisonnier vient à tomber en foiblesse, il dut être oté de la torture, les commissaires l’ordonneront ainsi et fairont réappliquer lorsqu’il aura repris ses forces selon le même avis ».

Il arrive que les médecins font preuve de peu d’humanité. Au cours de la question subie par ce même Romule Ackerini, on constate que le malheureux souffre d’une hernie ; on ne le détache pas de la sellette pour si peu ! « Le » chirurgien lui a mis des bandages à huit heures et demi ; malgrez quoy il a continué à trembler. Pendant qu’on luy mettoit les bandages, nous avons » remarqué qu’il grinçoit des dents, vraysemblablement à cause des douleurs que la descente (hernie) luy causoit[103] ». Et cela continue depuis 8 ½ heures du matin jusqu’à 3 heures de relevée[104] ! Du reste, l’avis du médecin n’est pas toujours suivi par le juge. Le 22 juin 1739, Simon L…, accusé d’assassinat, est appliqué à la question par arrêt du Conseil de Namur ; « il tomba, nous dit le procès-verbal, dans une espèce de foiblesse ou engourdissement qui le rendoit insensible ; les médecin et chirurgien pensionnairs de la ville conseillèrent de différer l’exécution de la dite sentence et de la remettre à un autre jour, et le maître des hautes œuvres conseilla de même ». La majorité du Conseil fut d’avis que « cette foiblesse et engourdissement étoient procurées par quelques potions que Simon L… auroit pris, plustot qu’occasionnées par les douleurs ». En conséquence, on réitère la torture, et, « étant le prisonnier de nouveau tiré à plusieurs degrés sans pouvoir plus, pour ainsy dire, se plaindre, ni proférer une seule parole, et comme une espèce de cadavre, il fut jugé inutile de le tirer davantage[105] ». À Anvers, le 7 juin 1720, on met à la question Josse de W…, « qui est depuis deux ans dans un état de foiblesse d’esprit », et le procès-verbal porte en marge : « Captivus obiit in carcere[106] ». Le 2 janvier 1751, à Bruxelles, les médecins déclarent que Philippe J… n’est pas en état de soutenir la question, « parce qu’il a une rompure {sic) considérable, laquelle le metteroit en danger de la vie s’il y étoit aplicqué ». Néanmoins il subit la question le 17 juillet, de 9 ½ heures du matin à 4 heures 20 minutes de relevée[107]. Le 4 décembre de l’année suivante, Bernard M…, accusé de nombreux vols, meurt dans la prison de la Steenpoorte, à Bruxelles, des suites de la torture ; il est vrai qu’il l’avait subie quatre fois, dont une fois vingt-trois heures de suite[108] ! À Liège, le 8 janvier 1774, Mcolas H…, accusé de meurtre, subit la question de l’estrapade durant six heures consécutives[109] ; le 10 janvier, la torture est renouvelée pendant plus de huit heures : « huit heures et vingt minutes étantes écoulées, on a laissé descendre le prisonnier[110] ». Le registre porte à la date du 11 : « le prisonnier est mort ensuitte de la question ». Le même jour, à Liège également, François G…, accusé de complicité avec le précédent, après avoir soutenu pendant douze heures l’épreuve de la veille, subit l’application des brodequins, et le registre constate que « le prisonnier est mort en prison[111] ». Le 25 juin 1763, le Conseil privé propose à Marie-Thérèse de faire grâce du ban à Nicolas B…, de Nivelles, « considérant que ses infirmités depuis qu’il a subi la torture, le mettent hors d’état de subvenir aux besoins de la vie[112] ». Ces accidents lamentables, sans être fréquents, ne sont pas très rares ; et cependant le juge encourt de ce chef de sérieuses responsabilités. Damhoudere disait que « s’il advenait que le patient estant géhenné, mourust sur le banc, ou fust affolé de ses membres, on présumeroit contre le juge[113] ». D’autres criminalistes attestent que la question est donnée si rudement, que le patient demeure estropié, ce qui est contre l’intention de la loi[114] ; aussi, dans ce cas, le juge doit être puni d’une peine très sévère, « même de la peine capitale, s’il paroissoit une mauvoise volonté ou dol de sa part[115] ».

En règle générale, la durée de la question ne doit pas dépasser une heure[116], et elle doit cesser immédiatement lorsque l’accusé avoue. Fréquemment la sentence ordonne que, si l’aveu ne s’est pas produit au bout d’une demi-heure, les tourments seront renforcés[117]. L’examen de nos archives criminelles démontre que souvent le juge prolonge notablement l’épreuve. Pour les années 1720 à 1794, nous avons relevé plus de trois cents exemples de tortures exercées durant plusieurs heures. Rien de plus fréquent que de voir un malheureux accusé se débattre contre le bourreau pendant cinq, six ou huit heures, comme, à Wellen, le 2 juillet 1774, Pierre-Guillaume S…, accusé d’incendie[118] ; ou douze heures trois quarts, comme, à Malines, le 11 août 1723, Rombaut L…, accusé d’avoir participé à une émeute[119] ; ou dix-sept heures, comme, à Vliermael, le 4 septembre 1762, Lambert J…, accusé de meurtre[120] ; ou dix-huit heures, comme, à Bruxelles, le 19 février 1723, Martial U…, accusé d’assassinat[121] ; et à Meldert, le 17 avril 1779, Guillaume D…, accusé d’incendie[122] ; ou dix-neuf heures, comme, à Bruxelles, Laurent-Joseph R…, accusé de vol[123] ; et dans la même ville, le 10 octobre 1767, Adrien L.…, également accusé de vol[124] ; ou vingt et une heures, comme, à Bruxelles, le 25 août 1751, un malheureux dont le nom nous est inconnu[125] ; ou vingt-trois heures, comme, à Bruxelles, le 13 décembre 1751, Bernard M…, accusé de vol[126] ; ou vingt-quatre heures, comme, à Bruxelles, le 20 novembre 1752, un assassin dont nous n’avons pu retrouver le nom[127] ; comme, à Gand, le 5 septembre 1780, Jean B…, accusé d’assassinat[128] ; ou vingt-neuf heures sans interruption, comme, à Bruxelles, le 2 juin 1758, Louis L…, également accusé d’assassinat[129].

Une place d’honneur revient, dans cette histoire des cruautés judiciaires, au Magistrat de Munsterbilsen. Pour la seule année 1774, le registre criminel de cette seigneurie nous révèle vingt-deux cas de mise à la torture pendant cinq heures au moins et dix heures au plus[130]. Mais la palme doit être décernée au Drossard de Brabant, qui, au mois de décembre 1767, fit subir à Adrien L…, accusé de vols d’église, une torture de cent huit heures[131] !

L’accusé, livré aux tortionnaires, avoue, nie, ou garde le silence. S’il avoue, nous l’avons dit, le bourreau s’arrête ; le greffier note les aveux circonstanciés, l’accusé et les assistants signent le procès-verbal. Toutefois ceci ne forme pas encore une preuve légale. Pour que cette preuve existe, il faut que l’accusé répète sa confession librement, hors de la chambre de torture[132]. C’est un point universellement admis par les criminalistes, que l’aveu arraché par les tourments ne constitue pas une preuve suffisante[133]. En France, cette confession libre avait lieu immédiatement après la torture[134]. Dans nos provinces, les ordonnances prescrivent de laisser entre les deux séances un intervalle de vingt-quatre heures[135] ; mais cette stipulation n’est pas toujours strictement observée[136]. Au Conseil de Brabant, par exemple, on se contente de laisser le patient reprendre ses esprits, pendant une heure, dans la salle où la question avait été donnée ; le Conseil se borne à faire retirer le maître des hautes œuvres avec la sellette et « tout le reste de cet appareil désagréable[137] ». En général, le tribunal tout entier assiste à la réitération des aveux. Alors, mais alors seulement, il y a pleine preuve contre l’accusé et les magistrats peuvent rendre leur sentence.

Ce qui diminue singulièrement la valeur de cet aveu, c’est que le patient connaît d’avance le résultat d’une rétractation éventuelle : c’est la reprise immédiate des tourments : « qui une fois en la géhenne a confessé son délict, et après le nye, on le peut regehenner pour le faire persister et demeurer en sa cognoissance et confession[138] ». Aussi les rétractations sont-elles assez rares[139]. C’est à peine si, dans le courant du XVIIIe siècle, nous relevons une dizaine de procès-verbaux au bas desquels on trouve cette mention laconique : « Interrogé pourquoi il a avoué, a répondu que c’est par la force des tourmens » ; et le plus souvent les juges d’Anvers, notamment, déclarent ce désaveu « pure frivolyteit ende impertinencie ». Serpillon, lieutenant-général criminel au présidial d’Autun, qui n’est cependant pas un adversaire de la torture, a sur ce point une opinion tout autre que celle des échevins anversois : « Si l’accusé, dit-il, déclare expressément qu’il n’a rien dit ni avoué que par la rigueur des tourments, et qu’il révoque ses aveux, ne les ayant fait que pour cesser ses peines, ce désaveu anéantirait presque entièrement les avantages que l’on aurait pu tirer contre lui de ses réponses[140] ».

L’accusé qui rétracte ses aveux peut être remis à la question jusque trois fois[141]. S’il supporte les trois épreuves successives, et maintient son désaveu, il se trouve dans la même situation que s’il avait obstinément nié depuis le début de la procédure.

Nous avons cependant trouvé une exception à cette règle. Au mois d’octobre 1704, à Louvain, Arnold L…, accusé de vol avec effraction, avait été mis à la torture et son aveu ne s’était pas fait attendre. Le lendemain, il rétracta ses déclarations, arrachées, disait-il, par les douleurs de la question. Après cela, il subit sans faiblir une deuxième, une troisième et une quatrième épreuve. Le Magistrat voulut procéder à une cinquième séance. Arnold L… s’adressa au gouverneur général pour protester contre ce supplice indéfini. Par dépêche du 17 novembre, le marquis de Bedmar ordonna aux juges louvanistes de rendre immédiatement leur sentence sur les actes et pièces du procès[142].

Mais qu’arrivait-il si l’accusé résistait aux tourments et gardait le silence, ou continuait à nier le crime qu’on lui reprochait ?

Dans ce cas, dit Damhoudere, « un patient qui a une fois suffisamment esté géhenné et torturé, et riens ne confesse, ne peut être regehenné, pour le mesme cas ou delict, si non sur nouveaux indices, car avecque la dicte géhenne, les premiers indices sont purgez[143] ».

Cette doctrine, qui est aussi celle des praticiens allemands[144], a passé dans l’article 41 de l’ordonnance du juillet 1570[145]. En conséquence, si l’accusé a supporté les tourments sans faiblir, on le retient quelques jours en prison, le juge recherche s’il n’y a pas de nouveaux indices qui permettent de recommencer l’épreuve, et, dans la négative, on ne le renvoie pas nécessairement absous[146], mais on ne le torture plus, on prononce le jugement définitif sur les preuves relevées au procès, et le tribunal acquitte ou applique une peine arbitraire, mais jamais la peine de mort[147]. Voilà le droit. C’est ainsi qu’en 1734, à Hautem-Saint-Liévin, Antoine de V…, accusé d’incendie, subit la torture durant six heures, sans avouer, puis il est condamné à vingt ans de bannissement[148] ; à Louvain, le 17 janvier 1736, Pierre G…, également accusé d’incendie, résiste à la question, et n’est gracié qu’à l’occasion du Vendredi-Saint[149] ; à Virton, le 21 mars 1740, Roch F…, faux monnayeur, persiste dans ses dénégations ; il est cependant condamné au bannissement, car « il est convaincu d’avoir débité de la fausse monnaie, » et véhémentement suspect de l’avoir fabriquée[150] ». En Gueldre, on relâche l’accusé moyennant la promesse de se représenter, quand il en sera requis, et de ne pas chercher à se venger de ses dénonciateurs[151].

Toutefois les choses ne se passent pas toujours régulièrement. Ed. Poullet a constaté dans les comptes des officiers criminels du Brabant que, dans la pratique, les justiciers ne se faisaient pas faute de réitérer la question « une fois, deux fois, trois fois, een werf, ander werf, ende derder werf », jusqu’à ce qu’ils eussent, par l’excès de la douleur, arraché un aveu. Puis, il faut bien le dire, même dans la disposition qui exige l’existence de nouveaux indices, il n’y a pas de garantie sérieuse pour l’accusé, car c’est le juge chargé de faire appliquer la torture qui décide en même temps le point de savoir s’il y a de nouvelles présomptions de culpabilité. En Allemagne, avoue Del Rio, on est allé jusqu’à remettre vingt fois un homme à la torture[152]. En France, la législation a varié. L’article 113 de l’ordonnance de 1498 avait aboli l’usage qui s’était établi de réitérer la question, même sans que de nouveaux indices fussent survenus, à la seule condition de mettre entre la première torture et la réitération vingt-quatre heures d’intervalle[153]. De même, l’ordonnance de 1539 porte que, si l’accusé n’avoue pas dans la question, il doit être absous[154]. En 1670, on se rapproche du système suivi dans les Pays-Bas espagnols et en Allemagne : « Les juges pourront aussi arrêter que, nonobstant la condamnation à la question, les preuves subsisteront en leur entier, pour pouvoir condamner l’accusé à toutes sortes de peines pécuniaires ou afflictives, excepté toutefois celle de mort, à laquelle l’accusé qui aura souffert la question sans rien avouer ne pourra être condamné, si ce n’est qu’il survienne de nouvelles preuves depuis la question[155] ». Donc, si la torture n’amène pas d’aveu, les charges antérieurement relevées subsistent. C’est ce que l’on appelle la question avec réserve de preuves.

Dans les Pays-Bas du Nord, il y a eu des abus comme dans les provinces méridionales. L’historien Pierre Bor cite, au XVIIe siècle, des exemples d’accusés torturés jusque neuf fois, sans que l’atrocité des supplices ait raison de leur résistance[156]. Pour ce qui concerne la réitération de la torture à ceux qui nient obstinément le crime qu’on leur impute, les jurisconsultes hollandais n’étaient pas d’accord sur l’interprétation de la loi. Les uns soutenaient que l’accusé qui avait enduré les tourments sans avouer devait être puni de la peine ordinaire ; d’autres voulaient qu’on lui infligeât une peine moindre ; la plupart opinaient pour l’absolution. Toutefois, là où cette interprétation prévalait, l’administration communale pouvait, par mesure de police, retenir le patient en prison, quoique absous, ou prononcer contre lui une sentence de bannissement[157].

Mais que faut-il entendre par les indices nouveaux dont parle l’ordonnance ? D’après Voorda, qui a consacré à cette question une savante étude, les indices nouveaux sont ceux qui ont été découverts depuis la sentence qui a ordonné la torture, et ils doivent être purgés sans délai. Voorda proteste contre les errements des juges hollandais ; il n’admet pas qu’on puisse détenir à vie, ou même à temps, un inculpé, uniquement parce qu’il est mal famé, ou sous prétexte que des charges nouvelles pourraient être un jour relevées contre lui, et, ce qui est moins avouable encore, dans l’espoir que, maté par une longue captivité, il finirait par entrer dans la voie des aveux : c’est, dit-il, une iniquité que ne peut justifier aucune considération de police ou de salut public[158].


  1. Ordonnance, Edict et Décret du Roy nostre sire sur le faict de la justice criminelle des Pays-Bas. — Ordinancie, Edict ende Gebot Onss’ Heren des Conimex, op tstuck van de criminele justicie in dese zijne Nederlanden. [Plac de Brabant, t. II, p. 298.)
  2. Du Droit il est permis, c’est-à-dire le droit romain. Ce texte est la traduction du 1. I, § 1 De quæstionibus : « Ad tormenta ita demum veniri oportet, cum suspectus est reus, et aliis argumentis ita probationi admovetur, ut sola confessio deesse videatur. » Cette expression probationi admovetur ne signifie en aucune manière preuve complète, outre laquelle l’aveu serait encore nécessaire, mais preuve incomplète, preuve qui rend seulement la culpabilité de l’accusé vraisemblable, au point d’emporter la conviction morale du juge. Il s’agit donc, dans la pensée du législateur, de compléter cette preuve au moyen de la torture. Voir Voorda, De crimineele ordonnantien van Koning Philips van Spanje, p. 370.
  3. Une malheureuse virgule, glissée par erreur dans le texte original, et suivie avec une maladresse étonnante dans la traduction flamande ou hollandaise, fut saisie avec avidité. L’exemplaire authentique, sur lequel fut faite la traduction, avait une virgule entre les mots plaine, demye, et le traducteur mit volle oft halve, plaine ou demye ; dès lors les mots suivants offraient un contre-sens, et dans les éditions postérieures on mit incertaine et douteuse au lieu de certaine et indubitable ; et, d’après cette faute, on appliqua la question dans le cas où la preuve était suffisante pour condamner, contre l’esprit des lois romaines et du législateur. Voir Meyer, Esprit, origine et progrès des institutions judiciaires, t. IV, pp. 293-294.
  4. « De eerste raadpleging van den Rechter, nadat hij de stukken geleezen, en alles gewikt en gewogen heeft, is deeze : is er ten laste van den gevangen volledig bewijs ? Zo ja, dan moet hij condemneren op grond van dat bewijs. Maar zoo neen, wat dan ? Dan volgd een tweede, en niet min gewichtig punt van raadpleging, namenlijk, of de zaak en materie gedisponeerd is maar de termen van recht en justitie om de pijnbank te gebruiken. Dit is de zamenhang van liet 39ste met liet 38ste artikel. Wij kunnen derhalven al weederom zien uit de order, waarin deze twee artikels geplaatst zijn, dat het eerstgemelde punt altoos eerst bij den Rechter in overweeging moet komen, en dat condemnatie op bewijzen altijd moet worden voorgetrokken aan het gebruik van de pijnbank, en dat dit middel even zoo weinig in geval van extraordinaar, als van ordinaar proces, in geen de minste aanmerking bij den Rechter komen mag, ten zij het eerst bij hem vast staa, dat er geen genoegzaam bewijs tot condemnatie zij » [Voorda, De crim. ord., p. 173]. Déjà en 1555, Damhoudere disait : « Personne ne doit être submis à torture, quand de son delict peut apparoir par preuve ordinaire » [Practique ès causes criminelles, éd. de Paris, 1555, p. 44].
  5. « Multa eo tempore utilia non minus quam speciosa, de criminum persecutione… constituit Albanus, solo auctoris odio peritura » [Grotius, Annales et historiae de rebus belgicis, éd. d’Amsterdam, 1658, t. II, p. 32].
  6. L’article 5 de la Pacification de Gand porte : « Et afin que cependant personne ne soit légièrement exposé à quelque reprinse, caption ou dangier, tous les placcards ci-devant faits et publiez sur le fait d’hérésie, ensemble les ordonnances criminelles faictes par le duc d’Alve, et la suite et exécution d’icelles, seront surceyz et suspendus, jusques à ce que par les Estatz généraulx, aultrement en soit ordonné. »

    Plusieurs jurisconsultes, notamment Zypæus [Notitia juris belgici, t. II, p. 109] et Anselmo [Tribonianus belgicus, t. X, 1. 1], déduisent de cette disposition la caducité des ordonnances. Mais la plupart des auteurs sont d’un avis contraire. Wynants estime que Zypæus et Anselmo « se trompent lourdement, puisque ceux-là même qui auraient dû avoir été les auteurs de la révocation, à sçavoir les États confédérez, l’observent encore aujourd’hui chez eux » [Remarques sur les ordonnances du Conseil de Brabant du 13 avril 1604, t. II, p. 294]. De Ghewiet, Loovens, Voorda et bien d’autres sont de l’avis de Wynants, et jugent que l’article précité de la Pacification de Gand ne s’applique qu’aux dispositions de l’ordonnance de 1570 qui traitent des matières religieuses.

  7. Nous en avons plusieurs preuves : la déclaration de l’archiduchesse Marie-Élisabeth du 26 avril 1735, prescrivant l’observation des articles 53, 54, 56 de l’édit du 9 juillet 1570 dans l’instruction des procès criminels intentés à charge de fugitifs ou de latitants. [Plac. de Brab.. t. VII, p. 60] ; le décret de Marie-Thérèse, du 6 septembre 1762, ordonnant au Conseil de Flandre de se conformer, dans les procès à charge de criminels fugitifs de la ville de Gand, au contenu de l’article 58 du même édit [Plac. de Fland., t. V, 1141] ; enfin la circulaire adressée par le Comte de Cobenzl aux conseils de justice, le 7 août 1765, où nous lisons : « Comme nous sommes de plus informés qu’une partie des irrégularités qui se commettent dans les procédures criminelles, provient de ce qu’on n’observe point partout uniformément l’ordonnance du 9 juillet 1570 concernant le stile et manière de procéder en matière criminelle, nous vous ordonnons aussi de nous aviser s’il ne seroit pas nécessaire ou convenable d’ordonner que tous les tribunaux seront tenus de suivre exactement la susdite ordonnance » [Comm. pour la public, des anciennes lois et ordonn. de la Belgique. Procès-verbaux, t. I, p. 323].
  8. Dans beaucoup de communes, les chartes portent des garanties spéciales contre les abus de la torture : « Nous, ne nuls de par nous ne poront metre bourgois ne bourioise à mort, ne justiche fair sour eaus, ne metre à jehine, se che n’est par les eschevins de Gand » [Mandement du comte Guy, 8 avril 1297, dans Gheldolf, Coutumes de la ville de Gand, t. I, p. 495]. — « On ne peut mettre à la torture des bourgeois habitants de la ville d’Alost, sans avoir préalablement obtenu du prince acte de non-préjudice » [Homologation des Archiducs en 1618 dans de Limburg-Stirium, Coutumes de la ville et du pays d’Alost, p. 157]. — Voici une disposition exceptionnelle et assez singulière : « La ville de Landen a sa justice, et le mayeur de Tirlemont fait l’exécution, sans que les malfaiteurs soient aucunement condamnés par les échevins de Landen, lesquels échevins ne siègent, en matière criminelle, que jusqu’à la torture ou question rigoureuse » [Casier, Coutumes du Brabant, t. I, p. 773].
  9. Avis du Grand Conseil de Malines, 5 novembre 1771, Registre 406bis du Conseil privé ; — Id. du Conseil de Namur, 18 novembre 1771, Ibid. ; — Id. du Conseil de Tournai, 11 février 1772, Ibid. ; — Id. du Conseil de Flandre, 28 décembre 1773, Ibid. ; — Id. du Conseil de Brabant, 29 mars 1774, Ibid. ; — Id. du Conseil de Hainaut, 29 juillet 1781, Ibid. ; — Dans le pays de Liége, la torture des contumaces est interdite. Voir Style de Liége, p. 52, en note.
  10. En règle générale, nous ne désignons que par leurs initiales les condamnés dont nous avons trouvé les noms dans nos archives judiciaires ; en cette matière délicate, une scrupuleuse discrétion doit être de règle, et nos lecteurs nous approuveront certainement. Nous n’avons fait d’exception que pour les procès déjà connus par d’autres publications, comme celui de l’abbé Bauwens en 1781, de Philippe Mertens en 1791-1792, etc.
  11. Voir pièces justificatives, n° V.
  12. Vlierschaerboek van Antwerpen van 28 augustus 1729 tot 29 januar 1757, fus 235-244. Guillaume W… fut étranglé secrètement dans sa prison le 14 août 1744, en vertu d’un ordre formel des Gouverneurs généraux : « Aïant eu rapport de l’avis que vous avez rendu le 5 de ce mois sur la requête des plus proches parents de Guillaume W…, détenu aux prisons d’Anvers, Nous vous faisons cette pour vous déclarer qu’en cas que par votre sentence à rendre au procès criminel du même prisonnier, il soit condamné à subir pour ses crimes la peine de la corde, notre intention est qu’elle soit exécutée en prison sur la personne dudit prisonnier en l’y étranglant secrètement et avec le moins du (sic) bruit possible ». — Les parents de W… avaient demandé que cette exécution fût secrète, afin d’éviter à leur famille le déshonneur d’un supplice public. [Dossier aux archives de la ville d’Anvers.]
  13. « Que si le délinquant est convaincu du crime commis, par des preuves suffisantes, et que nonobstant cela il refuse de se reconnaître coupable, on doit lui remontrer qu’il est convaincu d’en être l’auteur, quoique pour cela on ne puisse tenir de lui sa confession ; si après cette remontrance il persistoit encore à ne point vouloir avouer, quoiqu’il en fût suffisamment convaincu, on doit néanmoins sans l’appliquer à aucune question, le juger suivant le mérite du crime » [Traduction de la Caroline, publiée à Montbéliard en 1612]. — Nous devons observer que la Caroline n’avait pas force de loi dans les Pays-Bas.
  14. « Entre autres notables abus, d’autres observent que personne ne peut être condamné à mort, à moins qu’il n’avoue le crime, fût-il trouvé en flagrant délit, ou convaincu par plusieurs témoins au-dessus de toute exception… voulant y pourvoir, nous ordonnons que pareils abus dans quelqu’endroit qu’on les observe, viennent à cesser ; déclarons, de notre Puissance roïale, autorité souveraine et pouvoir suprême, toutes ces coutumes, privilèges et statuts nuls, de nulle valeur et abusifs ; défendant à qui que ce soit d’en faire usage ou de les alléguer, à peine que ceux qui les allégueront ou en voudront faire usage, comme aussi les officiers qui dissimuleront à cet égard, ainsi que les juges qui s’y conformeront, seront punis et corrigés. Voulons que dans tout ce que dessus l’on suive le droit commun, civil et écrit, à moins que quelqu’une de nos ordonnances n’en disposât particulièrement, qui en ce cas devra être observé ».
  15. Practique criminelle, t. XXXVIII, p. 3.
  16. « Par le Roy. — Nous avons fait examiner en notre Conseil privé ce que notre Procureur général de Luxembourg nous a escript… touchant le doute que vous rencontriez à la vuidange du procès criminel fait à Claude H…, et nous disons pour responze, que sy cessant le défaut de la confession d’iceluy H…, vous avez appaisement de la preuve des excès à luy imposés, vous pourrez passer à sa condamnation, selon que le trouverez convenir en justice, sans vous arrester à ce que l’on semble prétendre que suyvant la coustume de Luxembourg nul criminel ne pourroit estre condemné sans avoir confessé le crime, laquelle coustume avons déclaré et déclarons abusive ». À tant, etc. [Archives du Gouvernement de Luxembourg, Régistrature du Conseil provincial, vol. N, 1626-1632, fol. 164].
  17. Mémoire de G. de Fierlant sur la torture, publié par E. Hubert dans les Comptes rendus des séances de la commission royale d’histoire, 5e sér., t. V, p. 180.
  18. Consulte du 29 janvier 1731, Conseil privé, Registre n° 360, f° 236.
  19. « Ils sont de sentiment que S. M. voulant établir un pied fixe pour la vuidange des procès criminels pourroit être servie, pour éviter lesdits appels, de déclarer qu’oultre et par-dessus la conviction des crimes et excès, il sera nécessaire d’avoir la confession de l’accusé soit volontaire, soit par la torture ». — Au sujet du principe erroné : confessus non appellat, voir Mém. de Fierlant, p. 182. en note.
  20. « Le Conseil de Gueldre condamne le criminel à la mort sans torture et sans confession, quand il est ouvertement convaincu par assez de témoins, et qu’il est si clair que le jour qu’il en est l’auteur ».
  21. « La malice du siècle étant monté à un tel degré qu’aujourd’huy plusieurs auroient trouvé le secret de se rendre insensibles dans les questions même extraordinaires, de sorte que si l’évidence de la preuve ne devoit pas suffire, la pluspart des crimes demeureroit sans châtiment, qui est le plus grand de tous les inconveniens ».
  22. « Suivant qu’il conste de certain registre reposant audict conseil où se trouve insérée la lettre de Don Louis de Requesens de l’an 1574 par laquelle il n’enjoint pas seulement d’observer exactement ledit placard (du 9 juillet 1570), mais ordonne aussi bien expressèment d’informer contre les contraventeurs audit placcard ».
  23. « Consilium Flandriæ etiam nullam audit appellationem, vel appellationi non defert, hoc est, neque ob eam unquam sententiæ executionem differt, quando ea fuit diffinitiva, etiam si proprio ore nil confessi sint, modo probata, legitima, digna, certoque probatione convicti fuerint. Sicut multis exemplis id confirmare possem, et potissimum hoc uno, de Joanne quodam Faillant captivo in Consilio Flandriæ, qui proprio ore nil confessus fuerat, ex legitimo tantum certoque multorum testimonio condemnatus et adjudicatus morti fuit » [Damhoudere, Praxis rerum criminalium, cap. CXLIX, 2, p. 453 de l’éd. d’Anvers de 1570]. — Despeisses avait écrit en 1685 : « La question n’est pas introduite pour la peine des criminels, mais pour en tirer la vérité, et partant, un criminel convaincu n’y doit pas être condamné » [Traité des crimes et de l’ordre judiciaire observé ès causes criminelles, t. II, p. 155].
  24. Voir sa dépêche dans le Mémoire de G. de Fierlant sur la torture, p. 184.
  25. Voir cette circulaire aux pièces justificatives, n° III.
  26. Procès du Drossard de Brabant, n° 38.
  27. Mémoire sur la torture, p. 185.
  28. Ibid., p. 186.
  29. Traité de la justice criminelle, t. I, p. 684.
  30. Les magistrats liégeois partagent ces mêmes préjugés : le 17 décembre 1759, Jean P…, pris en flagrant délit de vol, est mis à la torture [Registre aux prisonniers, fos 134-135] ; — le 2 août 1773, Mathias B…, voleur « saisi au flagrant » [Ibid., fo 226].
  31. Registre spécial du procès M… et D…, aux archives communales de Gand.
  32. Conseil privé, carton 720. — Et cependant le Conseil de Brabant avait écrit, le 29 mars 1774, au Gouvernement général : « Pour avoir l’aveu du coupable pleinement convaincu d’ailleurs, on a discuté si l’article 61 de l’édit criminel de 1570 a proscrit le privilège des Brabançons, vrai ou prétendu, de n’être condamné à mort que sur leur propre aveu. Il y a longtemps que le Conseil de Brabant est revenu de cela » [Conseil privé, Registre 406bis, fo 69]. — De son côté, le Conseil de Hainaut écrivait : « Nous estimons que l’usage de la torture pour tirer de la bouche du criminel, convaincu en règle de droit, l’aveu de son crime, est inhumain et tirannique, que c’est une corruptelle qui devroit être abolie en tout païs [29 juillet 1781, Ibid., fo 113].
  33. Conseil privé, carton 708.
  34. Ibid., carton 720.
  35. Conseil privé, carton 710.
  36. Mémoire de Fierlant, pp. 189-190 (en note).
  37. Avis du Conseil de Brabant du 29 mars 1774. Registre 406 du Conseil privé, fo 69.
  38. Art. 27. « Un prisonnier, après avoir été torturé une fois, ne peut être torturé une deuxième ou une troisième fois, à moins… qu’il ne dût être torturé une deuxième fois pour déclarer ses complices ou commettants. »
    xxArt. 28. « … il peut seulement être demandé, en termes généraux, qui était auprès de lui au moment du méfait, combien ils étaient, qui donna le premier coup, qui l’en a chargé et choses semblables » [de Longé, Coutumes du pays et duché de Brabant. Quartier d’Anvers, t. IV, p. 803].
  39. Voir Poullet, Histoire du droit pénal dans l’ancien duché de Brabant, t. I, p. 223.
  40. L’article 108.
  41. « Hodie, viles præsertim solent de complicibus interrogari àc etiam torqueri » [Notitia juris belgici, lib. IX, 6, p. 299 de l’éd. d’Anvers de 1665].
  42. De publicis judiciis, titre XVIII. En France, la question préalable existait depuis le XVIe siècle dans la jurisprudence parlementaire ; elle fut législativement consacrée par l’ordonnance de 1670 [tit. XX, art. 2], sans protestation d’aucune part. Cependant, cette question préalable était en contradiction avec le principe anciennement formulé en ces termes par le jurisconsulte Paul : « Qui de se confessus est, in alium torqueri non potest, ne alienam salutem in dubium deducat qui de sua desperavit ». À force de sophismes, on parvint à détruire cette règle de bon sens. On demandait à l’accusé, d’une manière générale, s’il avait des complices, et, sur sa réponse négative, on éprouvait par les tourments le degré de confiance qu’il méritait [Voir Allard, Histoire de la justice criminelle au XVIe siècle, p. 303]. — Lorsque, le 24 août 1780, Louis XVI abolit la question préparatoire, il maintint la question préalable, et celle-ci ne disparut des lois françaises que grâce à l’Assemblée nationale constituante.
  43. « Ordonnant et commandant à tous nos justiciers et officiers et ceux de nos vassaulx appréhender tous oyseux et vagabonds qu’ils trouveront à leur pouvoir et jurisdiction, et les interroger de leur vie, conduicte et conversation et sur quoy ils vivent ; et s’ils ne savent donner responce souffisante et vraysemblable, de les mettre à torture et question sans aultre indice » [Plac. de Flandre, éd. de Gand, 1639, t. I, p. 19].
  44. Le 3 février 1542 [Plac. de Flandre, t. 1, p. 24] ; le 15 juin 1556 [Ibid., t. I, p. 35] ; le 30 octobre 1563 [Ibid., t. II, p. 138] ; le 2 novembre 1585 [Ibid., t. II, p. 131] ; le 8 juillet 1599 [Ibid., t. II, p. 153] ; le 26 octobre 1607 [Ibid., t. II, p. 157], et le 15 octobre 1615 [Ibid., t. II, p. 165].
  45. Plac. de Flandre, t. II, p. 166.
  46. Wynants, De publicis judiciis, titre XVIII. — Zypaeus : « Excipiuntur etiam a regula communi ! vagabundi, qui idonee respondere non possunt. At vero, nisi alia indicia concurrent, levem esse hujusmodi torturam oportet » [Notitia juris belgici, t. IX, 4, p. 299].
  47. Wynants, Ibid.
  48. Mémoire sur la torture, p. 198 : « La torture d’inquisition n’a jamais été reçue ni pratiquée en Hainaut. Les ordonnances de 1540 et autres qui l’avaient établie contre les fainéans, vagabonds et gens sans aveu n’ont pas été promulguées audit païs, et nous croyons qu’une pareille loi seroit d’une très dangereuse conséquence, et contraire à la bonne administration de la justice » [Avis du Conseil de Hainaut, 29 juillet 1781, Conseil privé, Registre 406bis, fo 115].
  49. De Pape dit qu’il n’y a pas de principes généraux pour l’usage de la torture, que « chaque tribunal suivait son style » [Wynants, Manuscr. sur Messire L.-J. de Pape et son traité de la Joyeuse Entrée, art. 53] ; nous verrons que c’est une erreur.
  50. Article 108 de la Joyeuse Entrée de Marie de Bourgogne : « Le détenu… ne pourra être mis à la question par la torture, si ce n’est après que l’officier aura montré le résultat de son information aux magistrats du lieu. L’accusé entendu, les magistrats ordonneront la torture, s’il appartient » [Anselmo, Cod. belgicus, p. 59 de l’éd. de 1662]. — Disposition analogue de la Coutume d’Anvers [éd. de Longé, p. 111] ; de Lierre [Coutume de Brabant, t. V, p. 445] ; de Gand [éd. Gheldolf, t. I, p. 495] ; d’Aerschot [éd. Casier, p. 7] ; de Tirlemont [id., p. 699] ; de Diest [id., t. I, p. 583] ; de Louvain [id., t. I, p. 17] ; d’Herenthals [Cout. de Brabant, éd. de Longé, t. VII, p. 111] ; de Gheel [id., t. VII, p. 437]. Les archives judiciaires prouvent à l’évidence que cette stipulation est toujours observée quand il y a en cause une personne « jouissant de bon nom et bonne renommée ». Il n’y a guère d’exceptions que lorsqu’il s’agit de vagabonds et de gens sans aveu ; encore ces exceptions sont-elles infiniment rares au XVIIIe siècle.
  51. Damhoudere disait : « L’on ne submettra personne à la torture quand il n’est apparu le cas être advenu » [Pract. crim., chap. XXXV, 6, p. 44, éd. de Paris, 1555]. — Cette condition est requise dans tous les pays où la torture est en usage : le délit doit être constant, c’est la première de toutes les règles. Toutes les fois que l’on s’est écarté de cette maxime, on a péché contre les principes les plus certains et on s’est exposé à faire périr des innocents. Brillon, au mot Homicide, t. III, p. 608, rapporte un arrêt du 21 novembre 1580, qui interdit des juges pour avoir condamné à mort pour un prétendu assassiné qui revint au pays deux ans après. Il y a de semblables exemples à Paris et à Dijon [Serpillon, Code crim. de la France, p. 918].
  52. « Vers le milieu du XVIIIe siècle, le nommé Antoine Pin, accusé d’avoir tué un certain Joseph Sevas, confessa son prétendu crime dans la torture, en indiquant le lieu où le cadavre aurait été enseveli. Le cadavre ne fut pas trouvé au lieu désigné, mais un jugement parfaitement en règle envoya Pin à la potence. Quelque temps après, Sevas, la prétendue victime, reparut, revenant d’un long voyage. Suivant les praticiens, cette erreur provenait de ce que les juges d’Antoine Pin avaient violé l’une des premières lois de l’instruction criminelle, en passant outre, sans s’être mis en peine de constater le corps du délit. À Genève, des voleurs de nuit ayant dépouillé un magasin, déposèrent leurs crochets dans la poche d’un homme ivre qui dormait sur le pavé. Cet homme, arrêté par la police, confessa dans la torture et fut pendu. Peu de temps après, on découvrit les vrais coupables nantis des objets volés, et, comme on ne pouvait ressusciter un mort, la torture fut abolie dans cette ville » [C. Cantu, Beccaria e il Diritto penale, éd. de Florence, 1862, pp. 48, 49].
  53. Conseil privé, carton 717.
  54. Le 30 juin 1768, le Conseil de Namur révèle que, « passé 17 ou 18 ans, un citoyen a été condamné à la torture, bien que le crime imputé ne fût pas capital ». Le tribunal en défaut a été admonesté [Proc.-verb. de la Commission des lois et ordonnances, t. III, p. 186].
  55. À Maestricht, les Recès de 1665 ne permettent d’appliquer la torture que si la peine comminée contre le crime commis est plus grave que la torture même [Crahay, Coutume de Maestricht, p. lxix]. — La Coutume de Tournai est encore plus explicite : pour mettre un criminel à la question, le crime de quo doit être punissable de la mort, de la mutilation ou du fouet [tit. XII, art. 1, dans le manusc. de De Wulf]. — Cependant nous voyons torturer à Bruges, en 1755, Mathieu P…, accusé d’un faux sans grande importance [Cons. privé, cart. 727] ; et en 1756, à Luxembourg, Pierre H…, pour malversations légères [Ibid., cart. 728]. — Dans la république des Provinces-Unies, la jurisprudence est la même : « In kleine en geringe diefstallen, dewelke bekend zijnde, met een geesseling, bannissement voor eenige tijd, of met andere lichte straf gestraft worden, geen pijniging, die zwaerder dan de dood is, gebruiken » [Van Heemskerk, Balavische Arcadia, éd. de 1729, p. 492].
  56. Cout. de Bouillon, article 30 [dans Laurent, Cout. du Luxembourg, 2e suppl., p. 435].
  57. D’autres juristes vont jusqu’à soutenir que les indices ne sont point nécessaires quand il s’agit d’un crime atroce et laissant peu de traces, comme la haute trahison. Dans ce cas, le juge aurait le droit de torture absolument arbitraire. Ceci est en contradiction formelle avec le texte des ordonnances de 1570 [Voir Van Heemskerk, Batavische Arcadia, p. 505].
  58. Serpillon, p. 912.
  59. Jousse ajoute gravement : « Il faut que cette confession ait été faite sérieusement et non par forme de plaisanterie ou de badinage » [Traité de la just. crim., t. II, p. 479].
  60. « Firmiter est credendum unum indicium ad tormenta non sufficere ; plura desiderari, quœ verisimilem faciant judici accusatoris intentionem » [Matthœus, p. 715]. — Rappelons, à titre de curiosité, qu’ « on ne peut admettre comme indice suffisant à torture que le corps de la victime saigne en présence du prévenu » … D’autre part, « la déclaration faite par un démon qui est dans le corps d’un possédé, quoyque après un exorcisme, n’est pas un indice suffisant pour faire appliquer à la question la personne qu’il accuse, si elle est de bonne réputation ; car le diable est menteur, et ne doit pas être en son pouvoir de faire punir quelqu’un » [Jugé au sénat de Chambéry, le 21 juin 1613]. Voir Despeisses, Œuvres complètes, éd. de Lyon, 1685, t. III, p. 116].
  61. « Ex parte inquisiti requiritur responsio distincta, clara et manifesta, ad singulos articulos et positiones… sed quid, si Reus coram judice constitutus nolit respondere interrogationibus sibi factis, cas præcisè affirmando vel negando ?… quin et hoc ipso, quod Reus non vult categorice respondere, sese satis suspectum facit, et indicium ad torturam sufficiens prœbet, ut sic nullo alio indicio opus sit » [Carpzovius, Practica nova, pars III, q. cxiii, nos 54-56, éd. de Leipzig de 1723, III, 111].
  62. Muyart de Vouglans, Les lois Criminelles de France [p. 810 de l’éd. de Paris de 1783]. Ce livre jouit d’un très grand crédit auprès de nos conseillers de justice. On en retrouve l’esprit et même parfois le texte dans les représentations adressées par les Conseils au Gouvernement quand Charles de Lorraine les eut invités à s’expliquer sur l’utilité de la suppression de la marque.
  63. Conseil d’État, carton 364.
  64. Pract. crim., XLI, pp. 1-6 [p. 54 de l’éd. de Paris de 1535]. — Les crimes qui « n’excusent du banc » sont, d’après Damhoudere : « lèse-majesté, trahison, simonie, enchanterie, faulseté, chartre privée et semblables ».
  65. De publicis judic., titre XVII. Le cas ne s’est pas présenté dans les Pays-Bas au XVIIIe siècle ; tout au moins nos archives criminelles n’en gardent-elles pas de trace.
  66. Pour la raison que des indices graves s’élevant contre l’accusé, lui faisaient perdre toute fonction publique [Allard, Hist. du droit crim., p. 294].
  67. Il y a cependant une exception dans les Pays-Bas : Maestricht possède un privilège de 1413 défendant de soumettre à la question d’autres que « les bourgeois ou les bourgeoises publiquement mal famés » [Crahay, Coutumes de Maestricht, p. lxix].
  68. Ceci doit s’entendre des enfants en bas âge. Le 2 mars 1724, on traduit devant les échevins d’Anvers Henri S…, accusé de vol. Le délinquant demande grâce de la question en faisant valoir qu’il n’a pas 14 ans. Cette considération est traitée par les magistrats de « frivolyteit ende impertinentie », et l’on passe outre [Vierschaerboek der stad Antwerpen, van 22 april 1722 tot 19 augustus 1729, fo 415, aux Arch. comm. d’Anvers].
  69. Le sexe n’est pas un motif d’exemption : nos archives criminelles contiennent de nombreux exemples de femmes torturées. — On ne peut torturer la mère qui allaite ; Carpzow dit qu’en Saxe on le fait, en y mettant une certaine modération : « ut moderate adhibatur, ne per eam noceatur infanti quoad nutrimentum ». Il arrive aussi que, désirant torturer la mère, le tribunal confie l’enfant à une nourrice [Pract. nov., pars III, q. cxviii, 60, p. 145 de l’éd. de Leipzig de 1723].
  70. L’article 39 de la Caroline prescrit de mettre à la question les blessés, même ceux qui le sont grièvement, mais il recommande aussi d’user de modération.
  71. Ce procédé réussit souvent. Rien qu’à Anvers, nous constatons la chose vingt-deux fois, de 1771 à 1788 ; id. à Malines [Office fisc. du Grand Conseil, liasse 27, nos 104 de l’inv.] ; à Bruxelles, sept fois en treize ans, de 1750 à 1763 [voir Procès du Drossard de Brabant, nos 37 à 51] ; à Liège [voir Registre aux prisonniers, fos 57, 87, 239]. « Paris de Puteo, in tract, de syndicatu, verbo torturæ, c. 5, n. 7, assert se vidisse Nobilem, magni criminis insimulatum, qui, cum aulam intrasset, in qua stabat chorda, eà visa, statim cecidit in terram et minxit sub se, et egestionem emisit, quàmvis innocens » [Döpler, Theat. pæn., p. 343].
  72. « Les sentences de condamnation à la question ne pourront être exécutées qu’elles n’ayent été confirmées par arrêts de nos cours » [Art. 7 du tit. XIX de l’ord. de 1670].
  73. « L’on ne jugera personne à être submis à torture que par sentence du juge. Et si le prisonnier en appelle, on l’oirra sans procéder plus avant, iusques à la détermination de l’appel et ce de droict » [Pract. ès c. crim., xxxv, 9, éd. de Paris, 1555, p. 44].
  74. « Requiritur decretum seu interlocutio judicis, qua pronuntiet videri sibi reum eculeo imponendum. Et ab ea quidem interlocutione appellare reo permittitur, quoniam gravem ejusmodi continet, quod, nisi statim appelletur, corrigi postea non possit. Verbis enim satisfieri non potest ei, cui re injuria facta est » [Comment., xlviii, § IV, 6, p. 718 de l’éd. de Cologne de 1727].
  75. Art. 39. Voir Zypaeus, Not. jur. belg., t. II, p. 10, p. 102 de l’éd. d’Anvers de 1665. Voir aussi Grandgagnage, Coutumes de Namur, t. I, p. 129 ; — Casier, Coutumes de Diest, t. I, p. 583.
  76. « Le 20 août 1620 parut une ordonnance réglant la procédure à suivre devant le Conseil de Namur. L’article 31 du chapitre XXVII autorisait le Conseil à ordonner la torture, mais laissait au prévenu la faculté d’interjeter appel de cette sentence. Cette disposition était plus libérale et plus favorable aux droits de la défense que l’article 39 de l’ordonnance de 1570. Quand la question extraordinaire était ordonnée par les cours subalternes, il pouvait être interjeté appel de cette décision devant le Conseil, et l’exécution était suspendue jusqu’après la sentence du juge supérieur » [Lelièvre, De la punition des crimes et délits au comté de Namur, dans les Annales de la Société archéologique de Namur, t. VII, p. 349].
  77. Conseil d’État, carton 366.
  78. Conseil privé, carton 722.
  79. Ibid., carton 722.
  80. Aujourd’hui Maasniel, commune située près de Ruremonde.
  81. Conseil privé, carton 716.
  82. Archives communales de Gand, crimineele processtukken, portef. 213-274.
  83. Conseil privé, carton 720.
  84. Voir les Reg. de la Vierschaere, passim.
  85. « De torture geschiet ter presentie van den Bailliu ende t’ volle collegie » [Manusc. de De Wulf]. — « À l’exécution de la torture assistera la justice entière » [Art. 31 de la Cout, de Bouillon, éd. Laurent, p. 435].
  86. Voir aux pièces justificatives, n° V, le procès-verbal du 14 juillet 1744 en cause de G. W… d’Anvers.
  87. Voir aux pièces justificatives, n° X, les incriminations adressées à Mertens, à Anvers, le 28 décembre 1792.
  88. « L’accusé sera interrogé après avoir prété serment, avant qu’il soit appliqué à la question, et signera son interrogatoire, sinon sera fait mention de son refus » [Ordonn. de 1670, tit. XIX, art. 8].
  89. Procez verbal des conférences pour l’ordonnance de 1670, pp. 153, 159. — Talon soutint contre Lamoignon « qu’en Espagne, en Italie, et l’on peut dire parmi toutes les nations de l’Europe, on fait prêter serment aux accusés avant de les interroger ».
  90. « Il est vrai que le serment, qui a aussi lieu en France, puisse parfois étonner l’accusé, faire voir dans lui une contenance embarrassante, s’il est coupable ; mais la loi du pais y étant contraire, il paroit préférable de s’y tenir, d’autant, entre autres raisons, que ce n’est pas le serment de l’accusé qui le fera absoudre s’il est innocent ; s’il ne l’est pas, l’alternative paroit dure de devoir condamner lui-même son corps ou son âme ; celle-ci presque toujours sera sacrifiée, et le public n’en a ni vengeance ni utilité »[Reg. 51 du Cons. de Gueldre, fo 103, aux Archives générales du royaume].
  91. À Liége, on prépare l’accusé à subir la torture en entretenant dans son cachot un feu ardent, et en le laissant vingt-quatre heures sans boire ni manger [Style de procéder en mat. crim. au pays de Liége, p. 75].
  92. Quelquefois l’accusé, succombant à la souffrance, demande qu’on lui dicte ce qu’il doit dire pour être délié : « Il nous a demandé de vouloir luy dire ou indiquer ce qu’on veut qu’il avoue, à quoy on lui a répondu qu’il devoit lui-même dire la vérité de sa propre bouche et déclarer ce que sa propre conscience lui dictoit » [Procès A… Gr. Cons. de Malines, office fiscal, n° 175 de l’inv., liasse 38].
  93. « Na dat de beschuldighde ter Pijnbanck gebracht is geweest, soo moet de Rechter hem minlijck ende vriendelijck vermanen dat hij de bloote waerheydt eenvoudelijck verklare, ende dat hij door geen hertneckige ontkentenisse soo sware tormenten als hij daer toebereydet siet, niet en wil lijden » [Heemskerk, Batavische Arcadia, p. 527].
  94. Farinacius, Praxis et theor. crim., de reo coufesso et convicto, quœst. 81, nos 304 à 309, t. III, pp. 45-47.
  95. Le juge doit aussi s’assurer que le patient est à jeun.
  96. « Et si un grand nombre de personnes devaient être mises au ban et torturées pour quelque méfait, on doit toujours commencer par celles qui ont le plus de crainte et sont les plus pusillanimes ou les plus faibles, telles que les plus jeunes d’âge, ou les femmes, ou celles par qui les autres seraient les plus engagées ou mues à confesser la vérité, telles que le père par la torture de son enfant, ou bien celles contre lesquelles il y a le plus de présomptions ou d’indices » [Art. 23 de la Coutume d’Anvers, éd. de Longé, p. 801]. — Voir aussi Thielen, Forme et manière de procéder au criminel, p. 182. — Dopler conseille de commencer par celui qui a la plus « böse physionomy » [Theatr. pænar., p. 267].
  97. Van Heemskerk [Bat. Arcad., pp. 515 et suiv.] dit que beaucoup de juges des tribunaux subalternes commettent cette faute déjà prohibée par le droit romain. Il rappelle d’après Christijn [Cout. de Malines, art. 7, n° 9] qu’à Malines une bande d’incendiaires avait dénoncé comme complice un sergent de police de la ville. Au moment de marcher au supplice, ils se rétractèrent. Quand on leur demanda pourquoi ils avaient faussement accusé ce malheureux, ils répondirent que cela provenait de ce que, durant la torture, le juge leur avait demandé si le sergent n’était pas de leur bande.
  98. « Lorsque le prisonnier est appliqué à la question, s’il semble vouloir avouer quelque chose, les juges peuvent faire diminuer un peu les tourments, sans cependant le faire descendre de la torture, en faisant écrire tout ce que le prisonnier dit, mot pour mot, sans aucun changement » [Style de Liége, article 12, p. 78]. — « On prend cette précaution, dit Wijnants, afin de pouvoir autant plus facilement discerner dans la suite, si le dire du prisonnier se rapporte et convient avec celui des témoins, ou s’il y a des contradictions. Car le prisonnier se sert souvent de cette ruse pour faire cesser la torture. Le nommé S…, faux monnoyeur, tâcha de m’amuser ainsi que mon collègue. Il avoua le crime, mais il y ajouta tant de fausses circonstances, que nous le convainquîmes sur le champ de mensonge, et ainsi nous laissâmes continuer la torture, ayant néanmoins tenu note de tout au procès verbal. Après quoi, s’étant aperçu que sa ruse n’avoit porté coup, il persista en son aveu et nous dit la chose telle qu’elle était avec des circonstances qui se rapportoient entièrement au dire des témoins et aux pièces et outils servant à la preuve. Mais aijant demandé, après l’aveu, qu’on l’eut oté de la sellette, cela lui fut refusé jusques à ce qu’on eut eu le loisir de rédiger les responces en écrit, après quoy on le fit oter » [Rem, sur les Ord. du Cons. de Brabant, t. II, p. 376].
  99. Office fiscal du Grand Conseil de Malines, n° 121 de l’inventaire, liasse 28. Dans le même fonds, n° 89 de l’inventaire, liasse 26, nous trouvons le dossier du procès de Corneille 0…, appliqué le 7 août 1720 à la question durant six heures. Quand il se montra disposé à avouer, à condition qu’on diminuât quelque peu la force des tourments, « dat men hem ten minsten sijne beenen en harmen souden willen los maeken », on lui accorda cet adoucissement, mais on ne le détacha du banc qu’après un aveu complet.
  100. « Ad modum quæstionis quod attinet, is ejusmodi esse débet, ut salvus sit reus vel innocentiæ — vel pœnæ. Salvus autem secundum quosdam intelligitur ille, qui nec vitam perdidit, nec membrum aliquod. Addendum, nec vires homini ejusdem conditionis necessarias, quid enim si sutor, si faber, si arator fuerit tortus, quis dixerit salvum esse innocentiæ, si ita vires fractæ sint, ut operis diurnis familiam exhibere non possit ? Rectè igitur monent qui præcipiunt judici, ut quoniam medium tenere difficile est, in defectu potiùs peccet quàm in excessu » [Mattheus, Comm., xlviii, tit. xvi, 9, p. 719]. — « Le juge, dit Lebrun de la Rochette, doit, d’une âme purement chrestienne, pacifiquement et sans émotion qui altère la tranquilité d’un jugement rassis, faire continuer le tourment iusques à ce qu’il recognoisse que le questionné n’en puisse plus endurer davantage » [Le procès civil et criminel, pp. 136, 137].
  101. « Il faut éviter que le peuple fasse des commentaires malveillants sur la procédure » [Döpler, Theatr. pænarum, p. 374].
  102. Grand Conseil de Malines, office fiscal, n° 175 de l’inventaire, liasse 38. Voir pièces justificatives I.
  103. Procès-verbal de la torture de Romule Ackerini, Ibid. Voir pièces justificatives II.
  104. Voir un exemple d’instruction de ce genre au Parlement de Paris, le 18 juillet 1697, dans Serpillon, Code criminel, p. 930, reproduit dans l’intéressante brochure de P. Heuse, Nos vieux livres de droit, p. 25. — En France, si le médecin déclare que l’accusé est hors d’état de souffrir la question par l’eau ou par l’extension, à cause d’une hernie ou de quelque autre infirmité, le juge doit ordonner que la question soit donnée par les brodequins. Voir Jousse, Traité de la justice criminelle, t. II, p. 493 [éd. de 1771].
  105. Conseil privé, carton 724.
  106. Vierschaerboek der stad Antwerpen van den 22 april 1712 tot 29 augustus 1729, fos 297-302.
  107. Le cas est sans doute extraordinaire ; c’est pour cela que je ne trouve point de difficulté d’avoir recours à un moien extraordinaire, et que je suis le sentant qu’on peut ici changer la forme ordinaire de la question, et la donner au prisonnier en lui pressant les extrémités des doigts, ce qui n’est pas entièrement inusité, ou d’une autre façon telle que le prisonnier n’en soit mis en danger de la vie ni de quelque mutilation de ses membres ». [S.] De Cock [Procès du Drossard de Brabant, n° 37].
  108. Ibid., n°38.
  109. Échevins de Liége. Registre aux prisonniers, 1741-1794, fos 235-236.
  110. Voir le dossier du procès Sartorius aux archives de l’État à Liége.
  111. Registre aux prisonniers, fo 240.
  112. Conseil privé, carton 695. — Dans les comptes de dépenses de la prison du Chastelette, à Gand, figurent les états d’honoraires payés aux médecins chargés de soigner les accusés qui avaient été soumis à la torture. Voir P. Claeys, Le bourreau de Gand, p. 33.
  113. Pract. crim., éd. de Paris 1555, p. 52.
  114. Serpillon, p. 908.
  115. Jousse, t. II, p. 493. Jousse rappelle la Lex Julia, pp. 7, 83. — « Quæ sit pæna judicis qui quem contra leges torsit ? Et si quidem dolo malo judex reum ità torserit, ut sub manu carnificis animam effaret, non est dubitandum in Legem Corneliam de sicariis eum incidere. Si non occiderit, in insulam deportandus videtur. Quod si non dolo, sed per imperitiam contra leges aliquem torserit, extrà ordinem puniendus erit » [. Matthaeus, xlviii, tit. xvi, p. 728]. — Lebrun de la Rochette n’est pas moins catégorique : « Est remarquable, que, si par la fréquente réitération de la question, ou forme du tourment d’icelle, l’accusé meurt, succombant aux douleurs qu’il a enduré : ou demeure mutilé de l’un de ses membres, le Iuge est coulpable de sa mort, ou mutilation, ores qu’il eust tous les indices requis et suffisans à la question : sinon que pour sa iustification il fist oculairement voir qu’il n’a excédé, en torturant l’accusé, la forme prescripte par les loix : qu’il n’a rien exécuté par dol, malice, haine ou animosité quelconque : mais a le tout rapporté à l’équitable intégrité requise à la modestie du zèle de Iustice » [Le procès civil et criminel, p. 143].
  116. Döpler, p. 343 ; et, en général, tous les praticiens. Dans les Pays-Bas, on voit fréquemment, au XVIIIe siècle, le juge fixer la durée éventuelle de la question à plusieurs heures. C’est ainsi que nous voyons le Drossard de Brabant condamner à une torture de quatre heures : le 31 mai 1760, Jean D…, voleur [Procès du Drossard de Brabant, n° 46] ; de cinq heures : Marie C…, voleuse, le 31 octobre 1758 [Ibid., n° 107], et le 23 août 1762, Henri B…, voleur [Ibid., n° 50] ; de six heures : le 1er septembre 1763, Jean-François M…, voleur [Ibid., n° 51] ; le 8 janvier 1765, Jean-Baptiste G…, voleur, « pour le temps de six heures ne fut qu’ensuitte de ses aveus il y auroit des motifs de la prolonger » [Ibid., n° 53] ; de sept heures : le 3 décembre 1767, Jeanne R…, voleuse, « voor den tydt van seven ueren, ten zy dat zy door haere bekentenissen ofte andersints materie soude geven om die selve tortuere te prolungeren » [Ibid., n° 55] ; de huit heures : le 6 novembre 1751, Jean-Baptiste L…, voleur [Ibid., n° 37] ; de dix heures : le 13 octobre 1755, Gommaire G…, voleur [Ibid., n° 41] ; le 26 mars 1737, Anne-Marie V…, incendiaire, « voor den tydt van thien hueren ten waere den selven gevangenen door haere bekentenissen ons soude materie geven de selve examinatie ofte torture te verlenghen » [Ibid., n° 41] ; le 3 juin 1771, Jean-Baptiste J…, voleur [Ibid., n° 60] ; de douze heures : le 2 octobre 1767, Louis L…, voleur, « voor den tydt van twelf ueren, ten zy dat door zyne bekentenissen hy materie zoude geven om de selve te verlengen met reserf van de preuven ingevalle hy soude persisteren in syne ontkentenissen in den tydt hier boven gemelt » [Ibid., n° 55] ; le 6 octobre de la même année, Adrien L…, complice du précédent [Ibid.] ; enfin, il condamne à une torture sans limites : le 25 juin 1753, Pierre S… et Jean T…, voleurs [Ibid., n° 39] ; et le 4 février 1768, Pierre R…, soupçonné d’avoir embauché des soldats belges pour le compte de la République des Provinces-Unies [Ibid., n° 57].
  117. Voir Échevins de Liége, Registre aux prisonniers ; on y trouve presque à chaque page l’ordre donné au bourreau d’ajouter des poids de 20 à 50 livres aux pieds des accusés soumis à l’estrapade, et qui n’auront pas fait d’aveux au bout d’une demi-heure.
  118. Criminelen Rollen Register des Edelen en souvereinen Leensaele van Münsterbilsen, begonst den 29 meert 1774.
  119. Grand Conseil de Malines, office fiscal, n° 105 de l’inventaire, liasse 27.
  120. Registre des Échevins de Vliermael, n° 86.
  121. « Item den Doctoor voor syne vacatie op die torture ten tyde van aghtien ure, ieder ure a 2 gd.-8 st. volgens ordinaris
     43-4

    [Procès du Drossard de Brabant, n° 104].
  122. Van der Hoop, Mémoire justificatif pour Guillaume Desmet, pp. 5-54.
  123. Procès du Drossard de Brabant, n° 49.
  124. Ibid., n° 55.
  125. « Item is desen gevangen ten thien uren en half van selven voormiddagh [25 août 1751] ter torture geappliceert ende daer op verbleven tot seven uren en half smorgens van volgenden daege, ende voor sulex ten tyde van een en twintigh uren, dese uren van vacatien dobbel gerekent als ordinaris, compt den raedt.
    « Assesseur 
     72-0
    « Greffier 
     36-0


    [Comptes du Drossard, dans les Procés, n° 104].

  126. « Il fut appliqué à la torture lundy passé, qu’il a soutenu sans presque se plaindre et avec une constance étonnante pendant à peu près vint trois heures, lorsqu’il s’avisa tout à coup de faire l’aveu des deux forfaits dont il étoit chargé ».
    [Rapport du Conseil, assesseur J.-J. de Hauregard, dans les Procès du Drossard de Brabant, n° 38].
  127. « Dito, van twelf uren smiddaghs, tot twelf uren s’middaegh van volgenden daege, voor die Derdemael den geven geappliceert op de torture, dyensvolgens den tyde van vier en twintigh uren, compt aen hre.
    « Assesseur gerekent dobbel 
     86-8


    [Comptes du Drossard, dans les Procès, n° 104].

  128. Arch. comm. de Gand, Criminele processtukken, portef. 213-274.
  129. Procès du Drossard de Brabant, n° 43. Voir Pièces justificatives, VI.
  130. Registre précité. Nous indiquons ci-après les cas de torture prolongée pendant quatre heures et au delà, que nous avons relevés dans quelques fonds d’archives ; cette navrante statistique est loin d’être complète, attendu que la très grande majorité des archives criminelles des communes est perdue : Le 11 juillet 1720, Corneille 0…, émeutier, à Malines, 6 heures [Off. fisc, du G. C. de Malines, n° 89 de l’inv., liasse 26] ; le 8 août 1720, Jean P…, id., ibid., 7 ½ heures [Ibid., 105 inv., liasse 27] ; le 19 février 1723, à Bruxelles, Martial U…, assassin, 18 heures [Proc du Dross. de Br., n° 104] ; le 11 août 1723, Rombaut L…, id., ibid., 12 ¾ heures [Off. fisc, du G. C. de Malines, 121 inv., liasse 28] ; le 19 octobre 1724, Romule A…, meurtrier, à Malines, 6 ½ heures [Ibid., inv., 175, liasse 38] ; le 11 septembre 1727, à Bruxelles, François de W…, 13 heures [Proc. du D. de Br., n° 102] ; le 23 novembre 1730, à Anvers, Antoine B…, voleur, 6 heures [Hoogere Vierschaere, informatien en examinatien, dossiers de 1730] ; en 1734, à Hautem-Saint-Liévin, Antoine De V…, incendiaire, 6 heures [Cons. privé, cart. 722] ; le 6 décembre 1738, à Anvers, Gérard G…, voleur, 5 heures [Ibid., 1738] ; le 31 décembre 1742, à Bruxelles, Catherine G…, Elisabeth B…, Jacqueline C…, François R…, voleurs, 11 heures [Proc. du Dross. de Br., n° 104] ; le 15 juillet 1744, à Anvers, Guillaume W…, voleur, 6 heures [Hoogere Vierschaere, informatien en examinatien, dossiers de 1744] ; le 13 juillet 1744, à Bruxelles, François de T…, voleur, 11 heures [Proc. du Dross. de Br., n° 32] ; le 25 août 1751, à Bruxelles, inconnu, voleur, 21 heures [Ibid., n° 104] ; le 13 décembre 1751, à Bruxelles, Bernard M…, voleur, 23 heures [Ibid., n° 38] ; le 20 novembre 1752, à Bruxelles, inconnu, voleur, 24 heures [Ibid., n° 104] ; le 7 août 1753, à Bruxelles, Pierre S…, voleur, 10 heures [Ibid., n° 39] ; le 11 décembre 1753, à Bruxelles, Mathieu V…, voleur, 7 ¼ heures [Ibid., n° 39] ; le 13 octobre 1755, à Bruxelles, Gommaire G…, voleur, 10 heures [Ibid., n° 41] ; le 26 mars 1757. à Bruxelles, Anna-Marie V…, incendiaire, 10 heures [Ibid., n° 41] ; le 19 décembre 1757, à Bruxelles, Jean-Alexis L…, sommeur, 9 ½ heures [Ibid., n° 42] ; le 22 août 1761, à Bruxelles, Laurent-Joseph R…, voleur, 19 heures [Ibid., n° 49] ; le 9 octobre 1767, Nicolas-Joseph T…, voleur, 9 heures [Ibid., n° 55] ; les 6 et 10 octobre 1767, Adrien L… et Louis L…, voleurs, respectivement 12 et 19 heures [Ibid., n° 55] ; le 3 décembre 1767, à Bruxelles, Jean R…, voleur, 7 heures [Ibid., n° 55] ; le 3 juin 1771, à Bruxelles, Jean-Baptiste J…, voleur, 7 heures [Ibid., n° 60] ; le 2 septembre 1762, à Cortessem, Lambert J…, meurtrier, 17 heures [Reg. des Éch. de Vliermael, n° 86] ; le 19 juillet 1764, à Liège, Pierre L…, voleur, 4 heures [Reg. aux prisonn., fo 163] ; le 4 août 1772, à Liège, François F…, sommeur, 4 heures [Ibid., fos 208-209] ; le 12 mai 1773, à Liège, Henri D…, meurtrier, 4 heures [Ibid., fo 222] ; le 19 août 1773, à Liège, François R…, voleur, 4 heures [Ibid., fos 225-226] ; le 8 janvier 1774, à Liège, François G…, meurtrier, 13 heures [Ibid., fo 240] ; le même jour, à Liège, Nicolas H…, meurtrier, 6 heures [Ibid., fo 240] ; la même année 1774, à Munsterbilsen, vingt-deux cas d’individus, sommeurs ou incendiaires, de 5 à 10 heures [Reg. de Munsterb. cité] ; le 22 juillet 1774, à Wellen, Guillaume S…, sommeur, 8 heures [Ibid.] ; le 24 juillet 1775, à Wellen, Guillaume V…, incendiaire, 6 heures [Ibid.] ; le 2 août 1775, à Wellen, Catherine B…, incendiaire, 6 heures [Ibid.] ; le 30 septembre 1775, à Wellen, Pierre-Jean V…, incendiaire, 5 heures [Ibid.] ; le 16 décembre 1775, à Wellen, Gérard C… et Jean L…, sommeurs, 6 heures [Ibid.] ; le 30 décembre 1777, à Wellen, François E…, sommeur, 6 heures [Ibid.] ; le 16 mai 1777, à Liège, Henri-Eustache S…, assassin, 6 heures [Reg. aux prisonn., fos 259-263] ; le 9 décembre 1777, à Liège, Pierre W…, incendiaire, 4 heures [Ibid., fos  255, 256] ; le 17 avril 1779, à Meldert, Guillaume Desmet, accusé d’incendie, 18 heures [Mém. justif. pour G. Desmet, pp. 5 et 54] ; le 21 mars 1786, à Munsterbilsen, François T…, voleur, 4 heures [Reg. de Munsterb.] ; le 19 avril 1780, à Munsterbilsen, Joseph F…, Mathieu A… et Nicolas F…, voleurs, 6 heures [Ibid.] ; le 29 novembre 1787, à Liège, Adrien V…, sommeur, 8 heures [Reg. aux prisonn., fo 299] ; le 7 mai 1793, à Wellen, Jean M…, sommeur, 4 heures [Reg. de Munsterb.] ; enfin, à Anvers, Philippe Mertens est torturé, le 3 juillet 1792, durant 7 heures ; le 5 juillet, 7 ½ heures ; le 9 août, 12 ¾ heures ; le 29 octobre, 1 ½ heure ; le 30 octobre, 1 heure ; le 31 octobre, 7 minutes, et le 2 novembre, 19 minutes, soit sept séances et un total de 30 heures de souffrances ! Et l’Écoutète ne jugeait pas cela suffisant : le 20 octobre, il avait demandé à la Vierschaere de pouvoir procéder à la question pendant dix-huit heures de suite ! Mais les forces de l’accusé étaient épuisées, et, le 30 octobre, il avoua au bout d’une heure de supplices, sauf à rétracter ses aveux dés qu’il fut détaché de la sellette.
    xx Les deux lettres inédites qui suivent sont édifiantes :
    « Le Prince de Kaunitz au Comte de Cobenzl.

    « On parle dans le précis d’une consulte du Conseil des Finances du 25 février dernier de criminels qui ont été appliqués à la question pendant quarante et quarante-trois heures de suite. Ceci paroit absolument contre l’humanité et me fait présumer, comme dans d’autres États où la question est admise, un temps limité pour sa durée. Votre Excellence se rappellera que je lui ai recommandé de s’occuper avec moi à la recherche des moyens d’abolir cette manière de tirer la vérité de la bouche des coupables. Je ne sais si nos juges trouveront la chose combinable avec notre système de la jurisprudence et procédure criminelle, mais, quand même la torture devroit être conservée, il semble toujours juste de limiter le temps de sa durée. Car sans cela il faut bien qu’à la longue l’innocent confesse ce qu’il n’a pas commis ou qu’il périsse dans les tourmens. Votre Excellence trouvera sans doute ces réflexions trop importantes pour ne pas chercher à remédier à ce qui les fait naitre. Je suis ut in litteris.

    Kaunitz-Ritzberg. »
    De Vienne, le 23 avril 1768.
    [Correspondance du Ministre plénipotentiaire à Bruxelles avec la chancellerie d’État à Vienne, n° 35]
    « Le Comte de Cobenzl au Prince de Kaunitz.

    « La question en ces païs-ci est terrible quoique peu douloureuse et j’ai vu des criminels l’essuier pendant presque cent heures. Le criminel est assis sur une croix de bois exactement appliquée près de l’épine du dos, près d’un petit feu, et enfin que son corps pèse perpendiculairement sur cette croix, on lui met un collier de bois avec des pointes qui est attaché aux quatre coins de la chambre, de façon que le moindre mouvement qu’il voudrait faire est empêché par ce collier ».

    De Bruxelles, le 2 may 1768.
    [Ibid., n° 123].
  131. Pétition de Charles van der Noot, du 30 juillet 1770, Conseil privé, carton 464.
  132. Nous devons signaler cependant deux exceptions : l’Échevinage de Tirlemont, contrairement à la tradition universelle, se contente de l’aveu arraché par les bourreaux : « Le maïeur peut faire exécuter le délinquant sans devoir au préalable le conduire hors de la prison et lui faire avouer ce qu’il a confessé dans la torture » [Coutume de Tirlemont, éd. Casier, t. I, p. 699]. — À Anvers, nous voyons une disposition analogue quand il s’agit de crimes particulièrement graves : « Les confessions et aveux qu’un malfaiteur a faits dans le lieu de torture, s’il les fait étant dans une stricte détention ou ailleurs dans le Steen, fût-ce en présence d’échevins, toutes ces confessions ainsi faites par lui ne peuvent ni ne doivent aucunement lui être préjudiciables, à moins qu’il ne comparaisse devant les échevins de la ville hors du Steen, ou hors de la prison, et même hors du Borcht, et fasse ces confessions sous le ciel bleu et hors de toute détention et tous liens de fer, sur le pont du Borcht ; mais les confessions et aveux que le délinquant fait là ainsi, sur le pont devant les échevins, sont réputés et tenus pour véritables et comme complètement prouvés, et sur ceux-ci il est fait droit et justice selon l’exigence de la cause ; excepté en matière d’hérésie, de lèse-majesté, de crimine pessimo, et semblables, lesquels, étant avoués devant les échevins dans la prison, sont tenus pour avoués comme s’ils avaient été faits au dehors sur le pont » [Cout. de la ville d’Anvers, éd. de Longé, p. 111].
  133. Voir Damhoudere, xxxix, 6. — « Confessionis istius fragilitatem nemo negare potest ; ideoque uno consensu tradunt criminalistæ confessionem tormentis extortam fidem exiguam aut nullam mereri, nisi eam reus extra torturam renovaverit et confirmaverit » [Van Espen, Jus ecclesiast. univ., pars III, tit. VIII, chap. III, n° 36]. — « Quantum ad fidem, ex neque semper, neque nunquam confessio habenda : est enim tortura res fragilis et quæ veritatem fallat. Si tamen confessio rei cum aliis argumentis et indiciis concurrat, reus perinde ac probato crimine condemnari potest : imprimis si et mens, et sermonis constantia, et existimatio aliqua rei accedat et remoto eculeo perseveret in eadem confessione reus quam fidiculæ extorserant. Cujus rei explorandæ gratia non male fori usus horas XXIV définit, quibus elapsis, confessio tormentis expressa reo prælegatur, rogeturque an in ea perseveret. Si persisterit, condemnari potest » [Matthaeus, xlviii, 16, 11, p. 720].
  134. Voir Jousse, t. II, p. 195.
  135. Ordonnance criminelle du 9 juillet 1570, article XL.
  136. « Sufficit horæ spatium aut ampliùs arbitrio judicis, medici, et chirurgi, qui semper præsentes sunt » [de Wynants, De publ. jud., xviii, 39].
  137. de Wynants, Comm. sur les ordonn. du Cons, de Brab., t. II, p. 377.
  138. Damhoudere, XXXVIII, 11.
  139. Le 31 décembre 1704, à Louvain, Arnold L…, voleur [Cons. d’État, cart. 362] ; le 9 décembre 1729, à Anvers, Clément D…, accusé de viol [Vierschaerboek, fo 5] ; le 18 avril 1746, à Liége, Jean C…, voleur [Reg. aux prisonn., ffo 28] ; le 5 avril 1747, à Liége, Marie-Joseph T…, voleur [Ibid., ffo 35]; le 21 novembre 1749, à Anvers, Corneille P…, voleur d’église [Vierschaerboek, ffos 297-301]; le 19 septembre 1750, à Liége, Jeanneton de V…, veuve Th…, voleuse [Reg. aux prisonn., ffo 51] ; le 13 décembre 1751, à Bruxelles, Bernard M…, voleur [Procès du Dross. de Brab., n° 38] ; le 26 mars et le 8 mai 1753, à Liége, Joseph C…, voleur [Reg. aux prisonn., fo 88] ; le 19 et le 21 décembre, à Liége, Jean-François S…, voleur [Ibid., fo 98] ; le 30 juillet 1753, à Bruxelles, Jean T…, voleur [Procès du Dross. de Brab., n° 39] ; le 13 mars 1758, à Liége, Jean-Michel L…, voleur [Reg. aux prisonn., fos 118-119] ; le 18 juillet 1764, à Liége, Nicolas M…, voleur |Ibid., fo 163] ; le 6 décembre 1787, à Liége, Adrien V…, sommeur [Ibid., fo 299] ; à Anvers, les 4 et 6 juillet, 10 août, 30 et 31 octobre 1792, Philippe Mertens [Dossier aux arch. comm. d’Anvers).
  140. Serpillon, Code crim., p. 934.
  141. Wynants, Tr. de publ. jud., t. XVIII. — Matthaeus, xlviii, 16, p. 12. « Ultrà tertium vicem nunquam » [Farinacius, liv. I, tit. V, q. xxxviii, 96, 98, 105] ; — « In criminibus atrocibus vel atrocioribus ultrà duas, in atrocissimis vero ultrà tres vices, quæstionem inferre non liceat » [Carpzovius, pars III, quæst. cxxv, 51]. Voir aussi Döpler, Theat. pæn., p. 362.
  142. Conseil d’État, carton 362.
  143. Prax. crim., xxxviii, 1.
  144. « In torturâ reus perseverans simpliciter debet absolvi » [Carpzovius, p. I, q. xxxiii, n° 72] ; — « Torturam repetunt assessores indistincte, etiam sine novis indiciis, sed male faciunt » [Farinacius, liv. I, tit. V, q. xxxviii, 74, 75].
  145. Voir le texte de cet article, p. 22.
  146. « Le silence de l’accusé sur la torture n’efface pas les véhémentes présomptions qui ont porté le juge à l’y faire appliquer, et c’est sûrement une erreur des plus grossières de quelques auteurs qui disent que l’accusé qui ne déclare rien sur la torture doit être renvoié absous, puisque, suivant les vraies règles, on ne doit renvoyer absous que ceux qui constatent leur innocence ou du moins font cesser les fortes présomptions qui les font présumer coupables » [Réponse du Grand Conseil de Malines au Mémoire de Fierlant, 5 novembre 1771, Cons. privé, Reg. 406bis, fo 63].
  147. Poullet, Histoire du droit criminel en Brabant, t. I, p. 225.
  148. Conseil privé, carton 722.
  149. Ibidem.
  150. Conseil privé, carton 725. Mais, dans la même province, on agit d’une manière différente quelques années après. Le 3 janvier 1765, à Rotté, prévôté de Bastogne, François-Joseph C…, accusé de fratricide, subit la torture sans avouer. Le magistrat demanda au gouverneur général l’autorisation d’appliquer C… à la question extraordinaire [Cons. privé, cart. 688] Nous n’avons pu découvrir quelle fut la réponse de Charles de Lorraine ; mais, à propos d’un autre procès de la même époque, le Conseil de Luxembourg écrit : « La question ordinaire est si douce qu’elle fait impression sur peu de criminels ; l’extraordinaire les jette, au contraire, d’abord dans des douleurs si fortes et si vives que, le premier moment étant passé, ils perdent tout sentiment, et deviennent par conséquent insensibles aux exhortations et questions qu’on leur fait pour en arracher la vérité » [Du 12 février 1761. Corresp. du Conseil, aux archives de Luxembourg].
  151. « Notre droit statutaire est plus indulgent à l’égard du prisonnier qui a enduré la torture sans rien avouer. Il veut, article 22, p. 384, qu’aprez l’avoir encor arrêté quelque temps à l’arbitrage du juge, pour voir si l’on ne découvre pas quelques nouveaux indices, on le relâche de la prison moyennant promesse de retourner quant il en sera requis, et moyennant une autre promesse par serment qui s’appelle Orphede. Cet Orphede signifie, comme il est dit, article 23 suivant, que le prisonnier promette et jure qu’il ne se vangera point, ni ne fera mal à personne directement ou indirectement, soit à l’officier, aux échevins ou à quelqu’autre particulier pour raison de ce qu’on lui a fait souffrir soit par la prison, par la torture ou autrement, et que, si l’on le trouve avoir fait le contraire, il sera puni tout comme s’il était convaincu du crime dont il a été accusé » [Dépêche du Conseiller-Mambour de Gueldre à Charles de Lorraine, du 5 juin 1766, Registre du Cons. de Gueldre, n° 56, fos 98-101].
  152. « Carolus Bilheus, vir clarissimus, mihi narravit hominem vicies sævæ quæstioni subditum » [Del Rio, Disquis. magic, liv. V, chap. IV, sect. IX, p. 763]. — « Quod, si nec poterit ad terrorem vel etiam ad veritatem induci, tunc pro secunda aut tertia die quæstionandum ad continuandum tormenta, non ad iterandum, quia iterari non debent, nisi nova supærvenissent indicia, feretur coram eo sententia in modum qui sequitur. Et nos prafati ludex, ut suprà, assignamus tibi tali, diem talem, ad quæstiones continuandum, ut a tuo ore proprio veritas audiatur » [Sprenger, Malleus Maleficarum, pars III, quæst. XIII, p. 513, éd. de Francfort de 1580].
  153. « Nous défendons à tous nos baillis, sénéchaux et juges ou leurs lieutenants qu’ils ne procèdent à réitérer de nouveau la question ou torture au dit prisonnier sans nouveaux indices. »
  154. « Si par la question ou torture on ne peut rien gagner à l’encontre de l’accusé, tellement qu’il y ait matière de le condamner, nous voulons lui être fait droit sur son absolution » [Allard, Hist. du droit crim. au XVIe siècle, p. 300]. — Voici à ce propos une curieuse observation : « Encore qu’il n’y ait point de nouveaux indices, on peut derechef appliquer à la question le prévenu qui n’y a rien confessé, s’il y a soupçon que lors de la première tourture il eît pris quelque brevage, ou mangé certaines drogues pour ne pas sentir les douleurs de la question. Comme il a esté jugé en la chambre de l’Édit de Castres, en l’année 1605, au rapport du sieur de Prouengues contre Pagès prévenu d’un meurtre. Le mesme a été jugé au sénat de Chambéry en 1593. Le prévenu est par là même rendu suspect, quand il se sert de ces artifices pour n’estre contrainct de dire la vérité. On peut connoitre qu’il y a eu du charme, de ce que le torturé n’a pas tenu compte du tourment. Quelques-uns ont dit que le prévenu qui auparavant la question aura avalé du savon détrempé avec de l’eau, ne sentira point les douleurs de la question, mais le remède contre ce brevage est de donner à ce prévenu du vin, car le vin oste l’énergie et la force du savon » [Despeisses, t. III, p. 117].
  155. Bornier, Conférences des ordonnances de Louis XIV, t. II, p. 302. Bornier ajoute : « Si cette réserve n’y étoit pas, les indices qui étoient contre l’accusé seroient purgés, pour avoir souffert la question sans rien confesser, et il devroit être absous suivant l’ordonnance de François I de l’an 1539, article 164, d’autant que s’il falloit condamner le criminel à quelque peine, il seroit doublement puni, sçavoir de la peine de la torture, et de celle qu’exige le délit. Et d’ailleurs les lois présument qu’endurant les tourmens de la question, il a dit la vérité, et qu’ainsi il ne peut être condamné. C’est l’opinion des docteurs les plus approuvés. — Il est vrai que Faber en son code tit. de quæst. defin., 9, § 25, apporte cette distinction que, ou l’accusé est tout à fait convaincu, ou qu’il y a contre lui simplement des indices : au premier cas, soutirant la question, la preuve convaincante n’est pas purgée ; mais à raison de sa souffrance, la peine doit être diminuée, c’est-à-dire que la peine va ordinairement aux galères et au bannissement perpétuel, si l’accusé en confessant le crime eut mérité la mort ».
  156. Livre VIII, t. I, p. 108 de l’éd. de Leyde de 1621. Il s’agit de vagabonds torturés près d’Alkmaar.
  157. C’est surtout à Amsterdam que cet usage était reçu. Les registres n’offrent presque pas d’exemple d’accusés mis en liberté immédiatement après avoir supporté la question sans avouer ; ils étaient presque toujours bannis ou envoyés à la maison de détention avec les condamnés. Mais, pour faire voir que ce n’était pas comme juges que les échevins rendaient cette ordonnance, et qu’au contraire elle était un effet de leur pouvoir souverain de police administrative, cette disposition n’était pas libellée dans la forme d’une sentence, mais par apostille marginale dans le registre des interrogatoires. Voir Meyer, Esprit, etc. des instit. judic., t. IV, p. 295.
  158. Voorda, De crim. ord., p. 367.