La Terre selon le Cosmos de M. de Humboldt
Donner une description générale du monde, élever sous le nom de Cosmos à la science moderne un monument digne d’elle et accessible cependant à toutes les intelligences, telle est l’œuvre que nous voyons un savant illustre poursuivre depuis quelques années et mener aujourd’hui même à bonne fin. Il y a dans cette œuvre, on le sait, deux parts à distinguer : la description générale d’abord, puis l’étude détaillée des faits, des observations qui ont servi à élaborer les théories contenues dans la première. Cette seconde division du Cosmos se partage elle-même en deux grands ordres de considérations : le premier relatif aux corps et aux phénomènes célestes dont il n’y a plus à s’occuper ici[1], le second principalement consacré à la terre, et que le plus récent volume du Cosmos est destiné à développer.
Les tableaux terrestres le cèdent aux spectacles du ciel en grandeur et en majesté ; mais l’esprit se fatigue à compter les distances incommensurables, les ombres effrayans que révèle la géométrie des cieux : il s’égare à travers les soleils, dans cette poussière des mondes qu’on nomme les nébuleuses, dans les innombrables étoiles de la voie lactée ; il s’épuise à suivre les orbites des satellites autour des planètes, des planètes autour des soleils, des soleils autour de centres d’attraction inconnus, qui sont eux-mêmes sans doute en mouvement, et finit par éprouver je ne sais quel sentiment de vertige et d’effroi. Si nous redescendons sur la terre, nous nous sentons plus à l’aise : le théâtre se rétrécit, mais il s’anime et présente des spectacles d’une infinie variété. Nous pouvons étudier ici les forces moléculaires, les affinités chimiques, les phénomènes admirables de la vie organique ; mais avant de reconnaître les harmonies de la nature animée, il faut considérer la terre à l’état de simple planète, la mesurer, la peser, l’envisager comme un vaste aimant, comme un foyer de chaleur, telle en un mot qu’elle nous apparaîtrait si toute vie végétale ou animale se trouvait anéantie, et si le repos de la surface n’était troublé que par les tremblemens de terre et les éruptions volcaniques. Cette étude générale de ce que l’on pourrait nommer les fonctions terrestres vient d’être accomplie par M. de Humboldt, et nous allons en noter les résultats principaux.
Si l’on se propose d’étudier la terre au point de vue le plus général, il faut avant tout en déterminer la forme, les dimensions, la densité. Quand les astronomes mesurent la figure de notre globe, ils ne tiennent pas compte des inégalités que présentent les continens et le lit des mers : ils supposent les terres rasées au niveau de l’océan, et ne s’occupent que de ce niveau lui-même. La surface théorique d’un tel sphéroïde serait un ellipsoïde de révolution, c’est-à-dire que chaque méridien aurait la forme d’une ellipse : la différence de l’axe équatorial et de l’axe polaire, due au mouvement de rotation diurne, détermine ce que l’on nomme l’aplatissement. Quand on admet que la surface des eaux tranquilles en équilibre sur le globe est un ellipsoïde de révolution parfait, on fait une hypothèse qui n’est pas absolument exacte. Il n’y a pas, en réalité, deux méridiens qui soient identiquement égaux en longueur, et l’on peut dès aujourd’hui hardiment affirmer que ni l’équateur ni les parallèles terrestres ne sont des cercles parfaits. L’Académie des Sciences de Paris prit l’initiative des premiers travaux destinés à mesurer la terre. Vers la moitié du XVIIe siècle, Richer trouva que le pendule à secondes est un peu plus court à Cayenne qu’à Paris, et confirma ainsi les vues profondes de Newton et d’Huyghens sur la diminution de la pesanteur à l’équateur et sur l’aplatissement de la terre au pôle. Pour en obtenir des preuves directes, La Condamine et Bouguer allèrent mesurer un arc de trois degrés à Quito, Maupertuis et Clairaut un arc d’un degré sous le cercle polaire en Suède, près de Tornea. À la fin du siècle dernier, ces tentatives se multiplièrent : des arcs, encore peu étendus il est vrai, mais placés à des latitudes très diverses, furent mesurés par Lacaille au cap de Bonne-Espérance, les jésuites Lemaire et Boscowich aux États-Romains, Liesganig en Autriche et en Hongrie, Mason et Dixon en Pensylvanie, Beccaria près de Turin, et Reuben Burrow dans le Bengale. En même temps notre Académie des Sciences entreprenait cette longue triangulation qui, commencée par Delambre et Méchain, fut terminée en 1808 par Biot et Arago, et comprend plus de douze degrés en latitude.
Au commencement de ce siècle, Svanberg corrigeait en Suède les premières mesures de Maupertuis, que des déterminations astronomiques douteuses ne permettaient plus de conserver, et l’on commençait en Angleterre une triangulation qui aujourd’hui est terminée sur deux arcs de méridien, dont le plus long comprend dix degrés de latitude, de l’île de Wight aux îles Shetland. En rattachant la chaîne des triangles français à celle de l’Angleterre, on a déterminé la longueur d’un arc qui n’a pas moins de vingt-deux degrés, depuis les Baléares jusqu’aux Shetland. Les tronçons mesurés en Allemagne par Schumacher et Gauss, par Bessel et Baeyer, n’ont pas une grande longueur ; mais ces opérations, quoique de peu d’étendue, ont été d’une haute importance, parce qu’elles ont fourni aux savans qui les dirigeaient l’occasion d’amener les méthodes géodésiques à leur perfection actuelle. M. de Humboldt ne peut donner trop d’éloges au magnifique travail de Bessel, qui a comparé les résultats de onze mesures de degré et relevé les erreurs dont quelques-unes étaient entachées.
L’étendue des travaux géodésiques accomplis en France et en Angleterre a été encore dépassée par ceux qu’on a exécutés dans l’Inde, en Russie et en Amérique. L’arc indien, qui aujourd’hui comprend environ vingt et un degrés, a été mesuré par Lambton et Everest, dont le nom vient d’être donné récemment au sommet le plus élevé de la chaîne de l’Himalaya. L’arc russe part de Hammerfest, sur la Mer-Glaciale, traverse la Suède, la Norvège, touche le golfe de Bothnie, coupe la Finlande, et s’étend à travers la Lithuanie, la Podolie, la Wolhynie et la Bessarabie, jusqu’à l’embouchure du Danube. Ce grand travail, accompli sous la direction de Tenner et de Struve, comprend vingt-cinq degrés. Il était impossible de trouver un meilleur théâtre que les immenses plaines de la Russie pour suivre les méridiens terrestres sur une grande longueur. Les plateaux de l’Asie centrale sont hors du domaine de notre civilisation : les steppes glacés de la Sibérie, les pampas inhabitées de l’Amérique du Sud présentent trop d’obstacles aux longs et patiens travaux de la géodésie. L’Amérique du Nord seule offre un champ comparable à celui de la Russie. Le relèvement hydrographique des côtes, qui s’exécute sous la direction habile de M. Bzche, a pour base une triangulation qui s’étend depuis la Floride jusqu’au Labrador, et dont il faut espérer de voir un jour le réseau se prolonger dans l’intérieur du continent.
Le pendule, qui oscille sous l’influence de la pesanteur, fournit une autre méthode pour mesurer la terre. M. de Humboldt rapporte les premières expériences des Arabes, celles de Galilée, des astronomes de Bologne et de Padoue, et des académiciens Richer et Picard. Aujourd’hui même, après la longue expédition scientifique du colonel Sabine sur les côtes d’Afrique et d’Amérique, il n’y a pas plus de soixante à soixante-dix points, irrégulièrement disséminés entre le 51e parallèle austral et le 79e parallèle boréal, où la longueur du pendule qui bat la seconde soit connue avec une parfaite précision. La comparaison des résultats donnés par le pendule et par les mesures géodésiques directes, faite avec beaucoup de soin en France par Biot et Arago, donne lieu à des anomalies très extraordinaires. Suivant M. de Humboldt, le pendule, qu’il appelle avec bonheur une sonde jetée dans les couches invisibles de la terre, ne trahit que des effets trop locaux et trop superficiels, et ne peut être préféré, pour la mesure exacte de notre planète, aux opérations géodésiques et à la méthode astronomique imaginée par Laplace et fondée sur les inégalités lunaires. En adoptant pour l’aplatissement la valeur qui résulte des travaux de Bessel, on voit que l’enflure de la terre à l’équateur n’atteint pas tout à fait trois fois la hauteur du mont Kintschindjinga, qui a 8,587 mètres d’élévation, et qu’on croyait le plus élevé de tout l’Himalaya, avant d’avoir mesuré le mont Everest.
Après avoir mesuré la terre, si on cherche à la peser, on aborde de nouvelles difficultés. Le globe n’a point la même densité dans toutes les parties, et la loi suivant laquelle les couches augmentent de densité vers le centre nous est tout à fait inconnue. Les expériences faites avec le pendule aux environs des montagnes., telles que celles de Bousguer au Chimborazo, de Maskelyne et Hutton sur le Shehallien, de Carlini au Mont-Cenis, ne peuvent révéler que des densités exceptionnelles, parce qu’elles trahissent l’influence de masses qui altèrent la symétrie terrestre. La balance de torsion, véritable pendule horizontal, fournit une autre méthode : imaginée par Cavendish, elle a été employée récemment par Reich en Allemagne et par Bailey en Angleterre. La densité moyenne de la terre, admise par M. de Humboldt d’après la comparaison de ces travaux, est de 5,62, chiffre très élevé, qui démontre que le noyau terrestre est formé de matières beaucoup plus lourdes que toutes les roches que nous pouvons découvrir à la surface.
Parmi ce que nous avons appelé les fonctions terrestres, le magnétisme occupe une place des plus importantes. On trouve dans le nouveau volume du Cosmos l’exposé le puis complet des phénomènes magnétiques. C’est à M. de Humboldt que la science encore naissante qui s’occupe d’en rechercher les lois doit ses progrès les plus récens : grâce à ses sollicitations, le gouvernement russe a semé ses immenses territoires, en Asie comme en Europe, d’observatoires magnétiques et météorologiques. C’est aussi d’après ses avis que l’Angleterre en a élevé dans ses colonies, à Toronto, au Canada, à Hobart-Town, dans la terre de Van-Diémen, au cap de Bonne-Espérance. Ses encouragemens n’ont manqué à aucune des expéditions scientifiques qui sont allées étudier le magnétisme terrestre dans les parages les plus lointains. Cette science, aujourd’hui servie dans de nombreuses stations par des instrumens d’une extrême délicatesse et d’une grande perfection, armée de méthodes rigoureuses dues à la pénétration de Gauss, est désormais en état de faire de rapides progrès.
Les forces qui agissent sur l’aiguille aimantée varient, comme on le sait, aux divers points de la terre, non-seulement en direction, mais en intensité. Pour connaître la direction, il faut deux instrumens : l’un mesure la déclinaison, c’est-à-dire l’angle que fait l’aiguille aimantée avec le nord, l’autre l’inclinaison, ou l’angle que fait avec l’horizon un barreau aimanté qui peut se mouvoir librement autour de son centre de gravité. Quant à l’intensité de la force magnétique, on la mesure à l’aide d’un appareil unique. Quand on veut peindre aux yeux la répartition du magnétisme terrestre, on joint sur un globe les points où ces divers élémens ont la même valeur. On obtient ainsi trois séries ou systèmes de courbes, les unes qu’on nomme isogoniques ou d’égale déclinaison, les autres isocliniques ou d’égale inclinaison, les troisièmes isodynamiques ou d’égale intensité. Il y a longtemps déjà qu’on a tracé les premières sur les cartes marines : ce sont en effet les seules qui soient importantes pour la navigation. Les lignes qui réunissent les points où la boussole fait le même angle avec le nord peuvent être considérées comme les méridiens magnétiques, mais elles dévient singulièrement des méridiens terrestres. Dans le nombre, il faut distinguer celles où la déclinaison, passant de l’est à l’ouest, devient nulle : alors la boussole est exactement dirigée vers le nord. Dès 1492, Christophe Colomb avait, dans son premier voyage en Amérique, traversé une de ces lignes remarquables, qui est placée dans l’Atlantique : une autre, avec les inflexions les plus bizarres, traverse la Nouvelle-Hollande, l’Asie orientale et septentrionale.
Les lignes d’égale inclinaison sont beaucoup plus rapprochées des parallèles terrestres, que les méridiens magnétiques des méridiens ordinaires. Aux environs de l’équateur se trouve une ligne où l’aiguille d’inclinaison reste parfaitement horizontale : c’est ce que l’on nomme l’équateur magnétique. Les observations de Humboldt lors de son voyage en Amérique, de Sabine en 1822, de Duperrey vers la même époque, du capitaine Elliott qui visita en 1846 les mers de la Sonde, de M. Rochet d’Héricourt dans son expédition en Abyssinie, ont servi à déterminer cette ligne en quelques parties ; mais M. de Humboldt insiste avec raison sur la nécessité de charger des expéditions spéciales de la mission de relever exactement tous les points de l’équateur magnétique aussi bien que les lignes de déclinaison nulle. Le réseau des lignes magnétiques n’est point stable et se déplace sensiblement pendant l’espace de quelques années : des observations faites à de longs intervalles par des explorateurs différens, disséminées dans une foule de voyages et de journaux de bord, ne peuvent être aussi utiles à la science que le seraient des études exécutées avec méthode et dans une courte période. À mesure qu’on s’éloigne de l’équateur magnétique, l’inclinaison de l’aiguille aimantée devient plus forte : sir James Ross a pu déterminer dans la zone glaciale le pôle nord magnétique, où l’aiguille se tient tout à fait verticale. Ce point est situé sous le 70e degré de latitude environ, à une très grande distance du pôle terrestre. Sir James Ross avait espéré arriver aussi au pôle sud magnétique ; mais, pas plus que Dumont d’Urville et le commodore américain Wilkes, il ne put approcher de ce point, placé dans le continent antarctique et défendu par des glaces inabordables.
Les lignes d’égale intensité magnétique ont la direction générale des parallèles terrestres, mais s’en écartent sensiblement. C’est aux environs de l’équateur que l’intensité est la moindre : auprès des pôles, elle devient à peu près deux fois plus forte ; mais les points où l’intensité est la plus forte ne tombent pas, comme on aurait pu s’y attendre, sur les pôles magnétiques. L’unité d’intensité magnétique jadis adoptée était l’intensité que M. de Humboldt avait déterminée à Cumana ; mais Gauss y substitua avec raison une unité invariable et mathématique, parce que les forces magnétiques subissent d’insensibles et de continuelles variations, dont on commence seulement à démêler les lois. Parmi ces variations, les unes embrassent un long cycle d’années, les autres sont diurnes. Chaque jour, les aiguilles de déclinaison et d’inclinaison oscillent légèrement autour de leur position normale. Quelle est la cause de ces petits mouvemens qu’on pourrait nommer les marées magnétiques par comparaison avec les marées océaniennes ? Les innombrables observations faites en diverses parties du globe sur les variations diurnes et périodiques ont déjà montré que ce phénomène est intimement lié à la rotation de la terre et à la position de notre planète par rapport au soleil : le magnétisme obéit donc à une excitation extérieure et n’a point sa source dans les profondeurs mêmes du globe. Toutes les observations modernes, si bien discutées par Sabine, justifient la pensée hardie de Kepler, qui faisait dépendre le magnétisme de la présence du soleil, et ce n’est pas seulement par la chaleur envoyée à la terre qu’il peut en entretenir le magnétisme ; il faut qu’il soit lui-même un aimant véritable, d’une extrême puissance.
M. de Humboldt avait cru autrefois qu’il existait sur la terre une ligne où il n’y a point de variations diurnes, et qu’on aurait par conséquent pu nommer l’équateur de stabilité magnétique ; il avait eu cette pensée en observant que les marées magnétiques affectent les aiguilles aimantées d’une façon opposée dans les deux hémisphères, et produisent dans l’un une déviation plus grande vers l’ouest, et dans l’autre vers l’est. Sabine a fait voir qu’il n’existe pas de ligne pareille, mais que dans une certaine région, dont Sainte-Hélène par exemple fait partie, l’aiguille exécute pendant une moitié de l’année ce que l’on pourrait appeler des oscillations boréales, et pendant l’autre moitié des oscillations australes.
Il y a longtemps qu’on a observé qu’à certains momens les aiguilles magnétiques ont des mouvemens irréguliers, qu’elles s’affollent, pour employer une expression pittoresque et consacrée. Les nombreux observateurs qui épient les variations diurnes avec une attention minutieuse ont pu constater que ces oscillations exceptionnelles ont lieu au même moment en des points très éloignés les uns des autres. Ces orages magnétiques sont quelquefois locaux, mais plus souvent se font sentir sur une immense étendue, parfois sur la terre entière : l’apparition des aurores boréales en marque la fin, de même que les éclairs servent à rétablir l’équilibre de l’électricité atmosphérique. Dès 1806, M. de Humboldt et Oltmann ont observé avec soin les oscillations irrégulières de l’aiguille aimantée, et ont pu reconnaître que les orages magnétiques reviennent de préférence à certaines heures particulières. Dans les observatoires anglais, on a depuis enregistré une multitude d’observations à ce sujet. En examinant le rôle que jouent dans ce singulier phénomène l’époque de l’année, l’heure de la journée, Sabine est arrivé à conclure que les orages ne sont point des accidens, mais reparaissent périodiquement, suivant des lois reconnaissables, et qu’ils se rattachent intimement à la rotation terrestre et au mouvement de la terre dans son orbite. Les observations récentes ont aussi permis de montrer que les orages électriques suivent les phases de l’intensité magnétique ; ils sont fréquens pendant cinq ans, plus rares pendant les cinq années suivantes. Cette période décennale marque des variations périodiques dans l’intensité, la déclinaison et l’inclinaison magnétique, ainsi que Lamont l’a fait remarquer en 1851. Schwabe, qui a étudié avec tant de soin les taches du soleil, a reconnu de son côté une phase décennale dans l’apparition de ces ombres singulières : la coïncidence des périodes fixées par ces deux savans établit un lien nouveau entre le magnétisme terrestre et l’action solaire. Ainsi le foyer placé au centre de notre système planétaire ne nous envoie pas seulement de la chaleur et de la lumière, il entretient encore ces forces mystérieuses qui dirigent nos boussoles. Il tient sans doute à bien peu de chose que l’on n’ait jamais découvert les propriétés directrices des aimans naturels. N’ayant aucun sens pour percevoir le magnétisme comme nous percevons la lumière, comment aurions-nous pu soupçonner des influences dont, même aujourd’hui, nous ne pouvons que mesurer quelques effets sans en comprendre la nature ? La lumière solaire inonde constamment une moitié de notre globe, la chaleur y entretient la vie d’une multitude de plantes et d’animaux, amasse les nuages, met en mouvement les eaux de la mer, l’électricité se révèle par les effets les plus terribles. Le magnétisme, force muette et tranquille, ne se révèle d’aucune manière. Les aurores boréales n’en auraient jamais pu faire deviner l’existence à l’esprit le plus pénétrant : aujourd’hui même on sait uniquement que l’apparition de ces météores coïncide avec des mouvemens particuliers des aimans ; mais on ignore en quoi consistent ces orages silencieux, à la fin desquels l’atmosphère terrestre brille, vers les régions polaires, d’une lumière qui lui est propre.
Plus on sera disposé à admettre que les forces magnétiques s’exercent principalement à la surface de la terre, plus il y aura d’intérêt à examiner de quelle manière elles se modifient à mesure qu’on s’élève dans l’atmosphère. M. de Humboldt a fait à ce sujet des observations en plusieurs points de la chaîne des Andes : il rappelle aussi celles de Kupffer sur le Caucase, de Forbes et de Quételet dans les Alpes, de MM. Laugier et Mauvais sur le Canigou, de MM. Bravais et Martins sur le Faulhorn. Leurs expériences ne permettent encore d’établir aucune conclusion définitive sur ce point délicat.
Quand Gay-Lussac fit sa célèbre ascension en ballon, on avait cru pouvoir conclure de ses observations que l’intensité magnétique est la même à 8,000 mètres de hauteur qu’à la surface de la terre ; mais on avait négligé de faire les importantes corrections qui tiennent au refroidissement des aimans à une hauteur si extraordinaire. M. de Humboldt exprime le vœu qu’on applique les aérostats à la solution définitive de ce problème. Il faut avouer que la science a tiré encore bien peu de parti de l’ingénieux appareil de Montgolfier : elle l’a abandonné aux physiciens qui amusent les foules et aux esprits malades qui ont abandonné le problème du mouvement perpétuel pour celui de la navigation aérienne.
Après avoir considéré la terre comme un aimant, il reste à l’envisager comme un foyer de chaleur. Tout le monde sait que si l’on descend à une profondeur considérable au-dessous de la surface du sol, on trouve des températures beaucoup plus élevées, qui sont indépendantes des saisons. M. Cordier, qui a réuni un grand nombre d’expériences faites dans les mines et sur les eaux de sources, a montré que l’accroissement de la température avec la profondeur n’est pas partout rigoureusement la même, mais qu’on peut en moyenne admettre que le thermomètre monte d’un degré quand on descend de 33 mètres. Il en résulte qu’à une distance assez faible on trouverait déjà des températures capables de fondre le fer et la plupart des corps que nous connaissons. L’écorce solide de notre globe a une très petite épaisseur, moindre en comparaison que celle de la coquille d’un œuf. L’instabilité de cette frêle enveloppe nous est fréquemment révélée par les tremblemens de terre, qui comptent au nombre des plus effrayantes manifestations de l’activité souterraine de notre planète. La cause en reste encore entièrement inconnue : les uns l’attribuent à l’ascension subite de vapeurs ou de laves dans des cavités souterraines rapprochées de la surface, les autres à l’irruption des eaux marines dans les profondeurs ignées du globe, d’autres enfin au tassement de massifs montagneux, formés de parties incohérentes qui s’affaissent subitement. Quelle que soit la cause de l’impulsion primitive, elle se propage en obéissant aux lois ordinaires de la mécanique, en faisant naître sur son passage des mouvemens ondulatoires de diverse nature : tantôt ils sont surtout développés dans le sens vertical, tantôt ils sont accompagnés d’un tangage et d’un roulis qui amènent les effets les plus désastreux. La force vive produite par une explosion se propage en tous sens jusqu’à ce que, venant se perdre à la surface terrestre, elle imprime à tous les objets un choc d’autant plus violent qu’ils sont plus isolés et plus saillans : on peut expliquer ainsi qu’on n’ait point ressenti parfois, au fond des mines, des mouvemens assez marqués à la surface du sol. Si Strasbourg ou Anvers étaient jamais agités par un violent tremblement de terre, les magnifiques cathédrales qui en sont l’ornement seraient certainement renversées plus facilement que les maisons et les édifices qu’elles dominent. Le tremblement de terre qui, en 1855, agita d’une manière effrayante la vallée du Rhône, auprès de Vispe, fut légèrement ressenti dans une partie de la vallée du Rhin. À Strasbourg, la secousse, extrêmement faible dans les maisons, fut beaucoup plus marquée sur la plate-forme qui sert d’appui à la flèche de la cathédrale ; le gardien qui l’habite vit de l’eau se projeter en dehors d’un grand bassin où on a l’habitude d’en garder. C’est cette concentration subite d’une immense force vive dans les parties les plus superficielles du sol qui donne lieu à ces singuliers phénomènes de projection qu’on a signalés dans les tremblemens de terre de Lisbonne, de Murcie, de Valence, de la Guadeloupe, et particulièrement dans ce terrible tremblement de terre des Calabres qui, en 1783, coûta la vie à 130,000 personnes. Lors du tremblement de terre très récent qui vient d’agiter la Basilicate et la Principauté-Citérieure, on a vu en beaucoup de points tous les objets légers jetés à de grandes distances, les meubles les plus lourds entraînés avec rapidité, les vitres éclatant en une infinité de débris.
La plupart des tremblemens de terre sont annoncés et accompagnés par des bruits souterrains qui d’ordinaire ressemblent au roulement lointain de lourdes voitures sur le pavé ; mais ce phénomène n’a rien de constant. M. de Humboldt rapporte que le fameux tremblement de terre qui détruisit Riobamba ne fut précédé d’aucun bruit ; vingt minutes seulement après le premier choc, on entendit un frémissement souterrain, mais seulement au-dessous de Quito, assez loin du centre de l’ébranlement. Les ondes sonores qui se propagent dans les couches terrestres sont indépendantes des ondes qui viennent remuer la surface du sol ; elles voyagent avec une autre vitesse et souvent dans une autre direction. Suivant M. Jules Schmidt, professeur à Bonn, la vitesse des bruits souterrains qui accompagnent les tremblemens de terre n’est pas supérieure à la vitesse du son dans l’eau, qu’on a pu déterminer par l’expérience. Quant aux ondulations proprement dites, on peut affirmer qu’elles se propagent beaucoup plus rapidement dans les parties solides que dans l’eau. Il arrive en effet fréquemment, surtout au Chili, qu’après un tremblement de terre d’énormes vagues arrivent de la haute mer et se précipitent sur la côte : le lit solide de l’Océan-Pacifique transmet le mouvement ondulatoire beaucoup plus vite que l’Océan lui-même, car ces marées extraordinaires ne précèdent jamais les oscillations, et en sont souvent séparées par un intervalle assez long.
Il y a longtemps qu’on a signalé une coïncidence entre les tremblemens de terre et les phénomènes volcaniques. M. de Humboldt en a cité de nombreux exemples. Dès l’époque de son voyage en Amérique, il attribuait les tremblemens de terre qui détruisirent Cumana en 1797 et Caracas en 1812 à l’influence des volcans des Antilles. Il ne semble pas éloigné d’admettre aujourd’hui que les tremblemens de terre proprement dits, qui étendent leur influence sur une partie assez considérable de la surface terrestre, sont indépendans des éruptions volcaniques. Les volcans, avant de décharger les vapeurs et les gaz souterrains, ébranlent fréquemment la région qui les environne ; mais cette agitation n’est que locale, et n’a point son origine à la même profondeur que les vibrations souterraines qui se communiquent à d’énormes distances : on en eut un exemple lors du fameux tremblement de terre de Lisbonne, qui se propagea d’une part jusqu’en Laponie, et de l’autre jusqu’à la Martinique. Les tremblemens de terre agitent fréquemment des contrées non volcaniques ; mais quand un volcan actif se trouve compris dans la zone d’ébranlement, il n’est pas rare qu’il préserve les villes qui l’avoisinent contre la destruction, et agisse comme une véritable soupape de sûreté. L’instinct populaire, qui a ses racines dans l’expérience des siècles, ne s’y trompe point, et dans les régions volcaniques, aussitôt que les premières secousses des tremblemens de terre se font sentir, on interroge avec anxiété l’état du volcan voisin. Pendant le tremblement de terre qui vient de se faire sentir dans une partie du royaume des Deux-Siciles, Naples, si rapprochée du Vésuve, n’a éprouvé que des chocs trop faibles pour renverser les maisons, tandis que Potenza, la capitale de la Basilicate, a été presque entièrement détruite. Le Vésuve est, depuis deux ans environ, entré dans une période d’activité chronique, et, bien qu’au moment même des premières secousses il n’y eut pas d’éruption véritable, il est peut-être permis d’attribuer la préservation de Naples au dégorgement du Vésuve. Deux jours après le commencement du tremblement de terre, le volcan, jusque-là peu démonstratif, donna issue à une grande quantité de fumée, et rejeta des scories en grande abondance.
Dans les régions volcaniques des Andes, on se croit garanti contre les effets les plus désastreux des tremblemens de terre tant que les volcans continuent à fumer ; mais quand on voit disparaître les panaches blanchâtres qui en couronnent les sommets, on s’attend aux plus terribles catastrophes. Le 2 février 1797, le nuage qui environnait depuis des mois entiers le sommet du volcan de Pasto disparut subitement ; au même moment, la ville de Riobamba, qui est à soixante lieues de cette montagne, était entièrement détruite par un tremblement de terre qui ébranla une immense surface.
Il n’est pas sans intérêt de comparer la statistique des tremblemens de terre à celle des éruptions volcaniques, bien que nous n’ayons pour les établir que des documens encore insuffisans. M. von Hoff a publié dans les Annales de Poggendorf plusieurs listes des tremblemens de terre qui ont eu lieu dans les diverses parties du globe depuis 1821 jusqu’à 1836. Il suffit de jeter les yeux sur ce consciencieux travail pour voir qu’il ne se passe pas un mois sans qu’on éprouve des secousses sur un ou sur plusieurs points de la terre. Le nombre des éruptions volcaniques doit s’élever à peu près à vingt-huit chaque année sur la terre entière ; mais quoique ce chiffre ne soit pas très différent de celui des tremblemens de terre annuels, il n’en résulte pas clairement qu’il y ait une connexité directe entre ces deux ordres d’événemens, parce que les points terrestres où ils ont lieu simultanément sont, dans la plupart des cas, situés à des distances immenses.
L’activité interne de notre planète ne se trahit pas seulement par des effets dynamiques qui embrassent une partie considérable de la surface, elle se concentre en quelque sorte en certains points qui sont le siège des phénomènes volcaniques. C’est à M. de Humboldt qu’on doit d’avoir élargi la définition de la volcanicité, et de l’avoir appliquée à toutes les réactions que fait naître une communication constante ou périodique entre les régions souterraines de notre planète et l’atmosphère qui l’environne. Les jets intermittens d’eau chaude, tels que le grand Geyser et le Strokkr en Islande, peuvent donc déjà être considérés à bon droit comme des phénomènes subordonnés à la volcanicité terrestre. À un degré plus élevé, il faut placer les sources de gaz auxquelles on donne encore le nom impropre de salses. Elles émettent par de petites ouvertures coniques, véritables volcans en miniature, des matières très diverses, de la vapeur d’eau, du sel marin, du soufre, des combinaisons de soufre et de carbone avec l’hydrogène, de l’acide carbonique, de l’azote, de la naphte, de l’acide borique, ou simplement de la boue. Les vapeurs qui sont rejetées par ces petits soupiraux varient parfois à d’assez courts intervalles. Quand M. de Humboldt visita les volcancitos de Turbaco, à peu de distance du port de Cartagena de Indias, le mélange gazeux qui s’en échappait n’était point inflammable. Joachim Acosta, qui visita la même localité en 1850, put enflammer ces gaz avec une grande facilité. Parrot ne put allumer en 1811 ceux qui sortent des volcans boueux de la presqu’île de Taman. Gobel, vingt-trois ans après, les trouva inflammables. Les contrées les plus riches en sources volcaniques, si ce mot pouvait être employé, sont la Sicile, le Modenais, la région qui avoisine le Caucase, l’Islande, l’île de Java et la Chine. Il y a longtemps que, dans ce dernier pays, on a inventé des procédés de sondage très ingénieux pour aller chercher à d’immenses profondeurs du gaz d’éclairage et du sel marin, et créer en quelque sorte des salses artificielles.
L’expression la plus complète de l’activité souterraine doit être cherchée dans les volcans eux-mêmes ; mais elle y revêt aussi des caractères très variables. Quand la pression continuelle des matières souterraines parvient à vaincre en un point de la terre la résistance des parties solides qui en forment l’enveloppe, les couches superficielles se soulèvent sous forme de montagne arrondie : la première éruption, pareille à l’explosion d’une mine, arrache la partie supérieure de cette protubérance ; c’est à l’entonnoir qui se trouve ainsi ouvert au sommet du volcan que l’on donne le nom de cratère de soulèvement. Au centre de ces cirques s’élèvent en dôme les matières souterraines que recouvrent bientôt les débris incohérens rejetés par le volcan ; mais la nature ne procède pas toujours de la même manière. Quelquefois la première explosion rejette une telle abondance de débris, que le terrain, au lieu de garder la forme d’un cône de soulèvement, s’écroule et s’affaisse en masse. M. de Humboldt donne à ces cavités le nom de cratères-lacs, parce qu’ordinairement elles sont remplies d’eau. Dans ce nombre, on peut citer les lacs qu’on rencontre dans la région volcanique de l’Eifel, et qui portent le nom de maaren.
Il faut que l’émersion des roches souterraines s’opère sans trop de violence pour qu’un volcan conserve un véritable cratère de soulèvement : aussi l’on peut remarquer que ceux qui rentrent dans cette catégorie n’ont jamais qu’une hauteur moyenne ; mais quand les matières souterraines se sont fait jour avec une très grande force et se sont élevées à une très grande hauteur, il ne reste plus trace d’un cirque primitif. Les roches éruptives débordent celles qu’elles avaient d’abord soulevées et rompues, et s’amassent sous forme d’immenses dômes et de cloches rarement percés par un cratère. C’est dans cette catégorie que rentrent les magnifiques volcans des Andes, dont les sommets sont couverts de neiges éternelles.
M. de Humboldt donne la hauteur exacte des principaux volcans connus. L’élévation des montagnes ignivomes est extrêmement variable. La plus basse se trouve au Japon dans l’île Kolima et a seulement 700 pieds de hauteur ; la plus élevée de toutes celles que l’on connaisse est le Sahama, qui fait partie des Andes de la Bolivie, et dont Pentland estime la hauteur à 20,970 pieds. La comparaison des volcans de la Méditerranée, de Stromboli, du Vésuve et de l’Etna avait fait croire pendant longtemps qu’ils ont des éruptions d’autant plus fréquentes qu’ils sont moins élevés ; mais M. de Humboldt cite des exemples qui démontrent la fausseté de cette opinion. Le gigantesque volcan Sangay, qui domine le plateau de Quito, a été mesuré jadis par Bouguer et La Condamine. Bien qu’il atteigne 16,000 pieds, il est dans un état continuel d’irritation, tout à fait semblable à celui qui, depuis Homère jusqu’à nos jours, a été observé au Stromboli, qui ne dépasse point 2,775 pieds.
Les développemens que M. de Humboldt consacre à la géographie des volcans présentent un intérêt d’autant plus vif, qu’il n’a voulu accepter aucun document, aucune nomenclature de seconde main, et a toujours pris la peine de remonter aux sources originales. Cette œuvre de patiente érudition est fréquemment relevée par de curieux détails, dont les plus piquans sont surtout empruntés à l’ancienne littérature espagnole. Les magnifiques contrées qui furent envahies par les conquistadores ne pouvaient manquer de faire une vive impression sur l’imagination de ces aventuriers audacieux ; mais on verra dans le récit suivant que le spectacle des Andes, des Cordillères et de leurs volcans excita dans leur esprit une curiosité qui n’avait rien de scientifique.
« Le volcan de Masaya, dont, sous le nom de l’Enfer de Masaya, la réputation s’était répandue au loin dès le commencement du XVIe siècle et fut l’objet de rapports adressés à l’empereur Charles-Quint, est situé entre les deux lacs de Nicaragua et de Managua, au sud-ouest du ravissant village indien Rindiri. Au mois de juin 1529, l’historien espagnol Gonzales Fernando de Oviedo en fit le premier l’ascension, qui fut tentée huit ans après lui par le moine dominicain fray Blas de Castillo. Partageant la croyance absurde que la lave fluide du cratère était de l’or fondu, fray Blas s’adjoignit un moine franciscain des Flandres aussi avide que lui, fray Juan de Gandavo. Tous deux, mettant à profit la crédulité des émigrans espagnols, fondèrent une société par actions pour retirer le précieux métal à frais communs. Eux-mêmes, ajoute le satirique Oviedo, se déclarèrent, en leur qualité d’ecclésiastiques, dispensés de tout concours pécuniaire. Le rapport que fray Blas de Castillo envoya à l’évêque de Castillo del Oro, Thomas de Verlenga, pour raconter comment il accomplit son audacieuse entreprise, n’est connu que depuis la découverte faite en 1840 de l’ouvrage d’Oviedo sur Nicaragua. Fray Blas, qui avait auparavant servi sur un navire comme matelot, voulut employer la méthode des habitans des îles Canaries, qui se suspendent par une corde au-dessus de la mer pour recueillir sur des falaises à pic la matière colorante de l’orseille (lichen roccella). On consacra plusieurs mois à de nombreux travaux préparatoires pour faire avancer sur le précipice une poutre de plus de trente pieds de longueur, munie d’un treuil et d’une grue. Le moine dominicain, la tête couverte d’un casque en fer et le crucifix en main, se fit descendre avec trois autres membres de la société : ils passèrent une nuit entière sur la partie solide du fond du cratère, et s’épuisèrent en vains efforts pour recueillir le prétendu or fondu avec des vases en terre, enfermés dans des bassins en fer. Pour ne pas décourager les actionnaires, ils convinrent de dire, quand on les retira, qu’ils avaient trouvé de grandes richesses, et que l’Enfer de Masaya méritait réellement d’être appelé le Paradis de Masaya.. L’opération fut depuis plusieurs fois renouvelée, jusqu’à ce que le gouverneur de Grenade, la ville voisine, suspectant une fraude ou l’intention de tromper le fisc, défendit qu’on redescendît avec des cordes dans le cratère. Ceci arriva dans l’été de 1538 ; mais en 1551 le doyen du chapitre de Léon, Juan Alvarez, n’en reçut pas moins de Madrid la naïve permission « d’ouvrir le volcan et d’exploiter l’or qui s’y trouvait contenu. » Telle était la crédulité populaire au XVIe siècle ; mais n’a-t-il pas fallu qu’en 1822, à Naples, Monticelli et Covelli prouvassent, par une analyse chimique, que les cendres rejetées le 28 octobre par le Vésuve ne contenaient point d’or ? »
Ce sera toujours une honte pour l’Espagne de n’avoir rien tenté pour l’avancement des sciences pendant la longue période de sa domination dans l’Amérique. Les tristes bruits de cette indifférence se font encore sentir aujourd’hui, et les nombreux états sortis de la décomposition de son vaste empire ne sont connus que par les descriptions imparfaites de quelques voyageurs étrangers. M. de Humboldt exprime le regret que l’Amérique centrale (en comprenant sous ce nom Costa-Rica, Nicaragua, San-Salvador et Guatemala) n’ait pas encore été explorée avec soin. Cette région est, avec Java, la plus volcanique de la terre. Nous avons nous-même rendu compte ici récemment des travaux de M. Junghuhn, qui a comblé une lacune importante en décrivant les volcans javanais[2]. Les îles de la Sonde ne contiennent pas moins de cent vingt volcans, dont cinquante-six ont fait éruption pendant le XIXe siècle ou la dernière moitié du XVIIIe. L’Amérique centrale peut rivaliser sous ce rapport avec les possessions hollandaises : M. de Humboldt y compte vingt-neuf volcans, dont dix-huit ont été actifs, pendant la même période. Il est d’autant plus étonnant qu’on les connaisse encore si mal, que la plupart sont très facilement accessibles, et que très peu d’entre eux dépassent la hauteur de l’Etna et du pic de Ténériffe.
E nous est impossible de suivre M. de Humboldt dans la description des nombreuses chaines volcaniques du globe ; mais quelques résultats principaux méritent d’être rapportés. Veut-on savoir combien il y a en tout de volcans proprement dits sur la terre ? M. de Humboldt en compte jusqu’à quatre cent sept, et dans ce nombre on peut en considérer deux cent vingt-cinq comme actifs, en rangeant dans cette catégorie ceux qui ont fait éruption dans le siècle présent ou la moitié du siècle dernier. Parmi ces deux cent vingt-cinq, bouches ignivomes, il n’y en a que soixante-dix, par conséquent un peu moins d’un tiers, sur les continens ; les autres sont insulaires. C’est dans les îles de la Sonde et les Moluques, dans l’archipel des îles Aleutiennes et des Kouriles qu’ils sont en plus grand nombre. Les sept huitièmes des volcans actifs sont semés sur les contours de l’Océan-Pacifique, depuis le Chili jusqu’au détroit de Behring, et de là jusqu’aux abords de l’Océan-Indien. M. de Humboldt n’admet pourtant pas, avec certains géologues, que le voisinage de la mer entretienne l’activité volcanique : il y a des volcans qui en sont séparés par d’immenses distances, par exemple ceux de la chaîne centrale du continent asiatique ; les points par où les matières souterraines peuvent se donner issue sont groupés sur les grandes lignes de fracture terrestres. Comme la configuration des côtes est due au même système de dislocation, il n’est pas étonnant qu’elle détermine ordinairement la position des volcans. Ces vues coïncident exactement avec celles de M. de Buch et de M. Elie de Beaumont. Suivant ce dernier, les nombreux soupiraux volcaniques qui enceignent l’immense Océan-Pacifique ont été ouverts du même coup, quand la chaîne des Andes a été soulevée, événement qui semble être postérieur à l’apparition de l’homme sur la terre. « Ce fut sans doute, écrit-il à ce sujet dans sa notice sur les systèmes de montagnes, un jour redoutable dans l’histoire des habitans du globe, et peut-être même dans l’histoire du genre humain, que celui où cette immense batterie volcanique vint à gronder pour la première fois. La ride de l’écorce terrestre à laquelle on peut rapporter l’origine du système des Andes paraît avoir fait éclater des volcans dans tous les systèmes de montagnes plus anciens qu’elle a rencontrés. Les tronçons discontinus et diversement orientés de cette immense traînée de volcans peuvent être cités à l’appui de l’une des plus belles théories de M. de Buch comme autant d’exemples de volcans alignés, soit au pied, soit sur la crête de chaînes de montagnes appartenant, par leur origine première et par leur direction, à différens systèmes plus ou moins anciens. Les volcans sont alignés entre eux suivant les directions propres à ces systèmes, mais ils n’existent que dans la zone où le nouveau ridement s’est fait sentir. Leurs différens groupes, pris chacun en masse, en jalonnent la direction, mais d’une manière assez confuse, et ils dessinent, surtout vers ses extrémités, des configurations bizarres où se montre, dans sa sauvage grandeur, la puissance que la nature s’est réservée pour échapper aux lois régulières qu’elle s’est tracées elle-même. Ainsi on voit, sur les belles cartes, de M. de Buch, vers la limite sud-est du continent asiatique, une série nombreuse de volcans suivre une direction polygonale et se recourber sous la forme d’un hameçon immense autour de l’Ile de Bornéo et de la presqu’île de Malacca. Une autre traînée de volcans se sépare de celle-ci pour se diriger vers la Nouvelle-Zélande. La longue file des volcans du Chili tient aussi comme un chaînon extrême à cette grande chaîne volcanique en zigzag, qui, s’appuyant sur un demi-grand cercle de la terre, marque la limite entre la grande masse des terres américaines et asiatiques et la vaste étendue maritime de l’Océan-Pacifique. »
En examinant de plus près encore la répartition des montagnes ignivomes sur le globe, M. Élie de Beaumont a fait voir qu’outre la ceinture circulaire qui embrasse les volcans des îles de la Sonde, du Japon, des îles Aleutiennes, de l’Amérique centrale, de la Nouvelle-Grenade et de Quito, il y en a deux autres, placées à angle droit sur la première et perpendiculaires entre elles, qui avec la première découpent la surface entière du globe en huit quartiers parfaitement égaux. L’un de ces cercles joint le Vésuve à l’Etna, marque la direction des volcans éteints de l’Auvergne, passe non loin de l’Islande, de l’île de Juan Mayen, du mont Saint-Elie, et va couper exactement le volcan de l’île Hawaii et le mont Érèbe, que sir James Clarke Ross vit fumer sous les neiges antarctiques. Le troisième cercle enfin, qui joint l’Etna au pic de Ténériffe, dessine l’axe des volcans de la Méditerranée, passe près de l’Ararat, coupe les îles Moluques et avoisine Java et la Nouvelle-Zélande.
Il n’était pas inutile de montrer qu’en observant les effets de la volcanicité terrestre, on découvre sur le globe des lignes aussi remarquables que celles que révèle l’étude du magnétisme. Toutes les fonctions cosmiques sont assujetties à certaines lois géométriques qui tiennent à la forme même de notre planète. C’est par ce lien que se rattachent tous les phénomènes divers auxquels M. de Humboldt a consacré le quatrième volume de son Cosmos ; il y a décrit la terre à l’état planétaire, il l’a mesurée, pesée, envisagée comme un foyer de chaleur, de magnétisme, et pendant la durée passagère des aurores boréales comme source de lumière ; il ne lui reste plus maintenant qu’à peindre les spectacles variés de la surface terrestre. Le relief des continens, la météorologie terrestre et marine, la géographie des plantes et des animaux, voilà les sujets féconds qui doivent couronner ce grand ouvrage, qui, avant d’être achevé, a déjà pris sa place parmi les monumens scientifiques de notre âge. M. de Humboldt est parvenu à accomplir le projet qui dès l’antiquité avait excité l’ambition de Pline l’Ancien et qu’au XVIIe siècle notre illustre philosophe Descartes avait rêvé d’accomplir, quand il écrivit quelques fragmens qui nous sont restés d’un grand ouvrage qu’il voulait intituler le Monde. Si l’on compare l’œuvre de M. de Humboldt aux encyclopédies scientifiques des siècles précédens, on y trouvera, au lieu d’arides et minutieuses descriptions, de riches nomenclatures, des aperçus profonds et généraux, des peintures grandioses, le sentiment ému de la nature prêtant un charme particulier aux considérations les plus techniques. Le Cosmos effacera d’un grand nombre d’esprits chagrins et prévenus cette singulière pensée que la poursuite des vérités scientifiques ne peut s’allier à un sentiment poétique élevé. Personne ne songe à nier que la contemplation du monde extérieur ne soit pour l’âme une source intarissable de joies aussi pures que profondes ; mais pourquoi supposer qu’elles s’affaiblissent, quand l’esprit découvre les rouages qui mettent en mouvement les diverses parties de l’univers et les lois qui en assurent la stabilité ? Par une singulière contradiction, ceux qui affectent de redouter que la science ne dépouille la nature de ses charmes appartiennent aux écoles philosophiques qui se posent en ennemies du matérialisme : la contemplation non raisonnée de la nature n’est pourtant autre chose qu’une simple sensation. Le spectacle de l’univers n’éveille dans l’âme des émotions d’un ordre supérieur que quand la raison est en état de comprendre l’ordre universel. La science resserre les liens entre le monde physique et l’intelligence où il se reflète, elle jette ainsi les fondemens d’une vraie philosophie de la nature.
AUGUSTE LAUGEL.