La Tentation de l’homme/Quelques lignes pour servir d’argument


QUELQUES LIGNES

POUR SERVIR D’ARGUMENT



L’Esprit de l’Homme a compris qu’il ne pouvait dépasser ses propres limites, et que, s’il tentait une explication du Problème, il se heurtait à cet infranchissable cercle qui, — pour lui, du moins, — est à la fois sa forme et la forme du Monde.


Vaincu, foudroyé, il accepte sa défaite ; sa stoïque résignation lui rend amèrement joyeuse la constatation de son impuissance, et transforme en attitude superbe la perception de l’inévitable vanité de son effort.

Et c’est la TENTATION D’ORGUEIL.


Mais voici que, réaction nécessaire, le sollicitent d’irréductibles forces qui hantent quand même sa pensée, et qui, pour ne plus rien représenter d’extérieur, n’en existent pas moins, et raccompagnent comme son ombre. Et le regret lui vient de savoir qu’elles ne sont que des fantômes,

Et c’est la TENTATION DU MYSTÈRE.


Il se réfugie alors dans la conception d’une œuvre dont sa douleur et sa fierté légitimes seront la chair et le métal, à laquelle le Verbe souverain donnera la forme, et qui évoluera dans l’âme successive des générations. Et il se consolera dans cette illusion d’avoir créé un aspect nouveau du Monde, que sa vanité dérisoire pensera éternel,

Et c’est la TENTATION DE BEAUTÉ.


Ou bien l’inquiétude d’élargir les frontières de l’expérience le jettera dans les travaux qui pourront, au moins, lui asservir les forces de la Nature, sinon lui en faire pénétrer l’essence. Et, si puissant qu’il devienne, il pourra sans cesse avancer, — marcher à jamais, sans atteindre à la connaissance entière.

Et c’est la TENTATION DE SCIENCE.


Et ce sera l’œuvre de ses descendants, héritiers de tant d’œuvres, de s’élever à jamais vers cette connaissance, jusqu’au moment où, peut-être, l’Esprit humain sera près de se confondre avec l’Unité totale. S’abîmeront-ils dans cet océan, où, égalés au savoir intégral, ils s’y anéantiraient ? Dureront-ils autant que l’aspect actuel du Monde ? ces HOMMES QUI VIENDRONT ?


Puissent les Poètes, — mes Maîtres et mes Frères, — faire à ce livre le même accueil indulgent qu’ils firent à mes premiers travaux, et les Philosophes, qui voudront bien le lire, ne pas être trop sévères pour la philosophie d’un poète !