La Tentation de l’homme/Les Prières

La Tentation de l’hommeSociété du Mercure de France (p. 96-99).
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LES PRIÈRES


 
Elles montent toujours, candides et lustrales,
Animant du frisson où s’étouffent leurs râles
La volute d’argent des encens attiédis,
Vers l’illusoire azur que fleurit de lumières
Le prestige ancestral des ferveurs coutumières,
Par l’apparition des pâles paradis,

Elles montent, et, comme une onde,
Elles enveloppent le monde
D’un attentif recueillement,
Et leurs essaims, en lente ronde
Apaisant leur frémissement,
Sous l’orage des destinées

Ployant leurs ailes fascinées,
D’un cercle aux têtes inclinées
Geignent l’orbe du firmament.

Elles vont, les yeux clos, terribles et roidies
Dans le brutal émoi crispant leurs mains hardies,
Dardant des bras tendus sur leurs fronts convulsés,
Exaltant aux plis durs de leurs faces fatales,
Avec l’inique orgueil des croyances natales,
L’impiété des vœux hautement professés.

Et, dans l’espace en vain ruées,
Elles s’écroulent en nuées
Au sillon de l’astre laissant
L’odeur des haines, embuées
Par l’horrible effluve du sang,
Afin que leur démence appende
Comme une insultante guirlande
L’insolence de son offrande
Aux murs du ciel incandescent.


Suppliantes jetant en rumeurs insensées
L’inexpiable aveu de leurs vaines pensées,
Avec le cri des maux en sacrifice offerts,
Elles vont, sans que leur tempête grossissante
Sur son obsession avide et morne, sente
Peser, comme un mépris, le muet univers.

Que leur bouche implore ou menace,
La même espérance tenace,
Par son enivrante vertu,
Soutient l’injurieuse audace
De leur foule au regard têtu,
Sans que jamais leur foi comprenne
Que l’indifférence sereine
Est la réponse souveraine
De l’Inconscient qui s’est tu,

Tourments de l’innocence ou remords légitimes ;
Voix des bourreaux, chants des martyrs, pleurs des victimes,
Tout un orage aux flancs du globe suspendu,

Par chaque accent distinct de sa clameur confuse,
Sollicite, dénonce, exige ou bien accuse,
S’enfle dans l’éther vide et meurt inentendu.

Au fond du fiévreux crépuscule
La nue obscure s’accumule
Et, flottant, lourde de poison,
Voûte mouvante où l’ombre ondule,
Cerne, par delà l’horizon,
Notre planète maternelle
D’une auréole criminelle,
Et qui semble à notre prunelle
Le cintre de notre prison.

O Pensée ! élargis l’ordre qui nous enserre !
Donne-nous l’équité, dont la loi nécessaire,
N’ayant pas de maudits, ne connaît pas d’élus,
Pour qu’abjurant la peur ou l’espoir, enfin libre,
Et se sachant des droits que le droit équilibre
Une Humanité vienne, et qui ne priera plus !