La Tendance collectiviste/01
- Grand Agamemnon, quand la hiérarchie est étouffée, on aboutit au chaos.
- (SHAKSPEARE, TROÏLUS ET CRESSIDA, Acte I, scène III.)
- Grand Agamemnon, quand la hiérarchie est étouffée, on aboutit au chaos.
L’absolu n’est pas de ce monde. Toute doctrine absolue que l’on veut appliquer à des hommes vivant en société est frappée d’impuissance, et vient se briser contre les faits.
Malgré la grandeur et la fécondité du droit individuel, dont il est impossible de se passer, l’outrance dans l’individualisme économique a provoqué au siècle dernier une réaction qui dure encore. Malgré l’impérieuse nécessité d’une conception organique de la société et d’une législation sociale, l’outrance du socialisme collectiviste produit à son tour une réaction naturelle.
La question sociale est la question de la part proportionnelle des différentes classes sociales dans l’ensemble des profits de la production nationale. Aux yeux des socialistes modernes, il y a à la tête du mouvement économique une classe d’entrepreneurs capitalistes, monopolisant la plus grande partie des moyens de production, s’attribuant, sous forme de gain, d’intérêt, de fermage, de rente, une part démesurée du revenu total, et confisquant la plus-value fournie par les classes salariées dont la concurrence capitaliste accroît les maux.
À ces maux, le marxisme oppose un remède souverain : la remise à la collectivité de tous les moyens de production et d’échange.
A un certain moment de sa vie, Marx avait pensé qu’il était possible de réaliser son rêve par le suffrage universel, la dictature prolétarienne et la révolution ; son illusion n’a pas été de longue durée, et à l’espoir d’une révolution a succédé, dans l’esprit des marxistes, la conception d’une lente évolution de la société vers le collectivisme. Rodbertus évaluait à cinq siècles le temps nécessaire à la transformation de la société. La socialisation sera insensible. Nous marchons, par le jeu même des forces naturelles, vers la constitution d’une société économique où la production des biens aura lieu sans capital, ni propriété privée, ni concurrence, ni échange ; la répartition se fera conformément à l’équité ; il n’y aura plus de classes sociales ; les producteurs et les consommateurs, les travailleurs manuels et les intellectuels, les riches et les pauvres disparaîtront au sein d’une sorte de communauté primitive agrandie et concentrée sous la main de l’Etat. La socialisation de l’industrie ne sera que le prolongement et la généralisation des tendances actuelles, dont le terme suprême sera, sans secousses ni violences, l’expropriation régulière et logique de tous les moyens de production et d’échange.
Assurément, la doctrine collectiviste, comprise comme schéma d’une société idéale, n’est pas plus utopique que toutes les doctrines sociales qui, depuis Platon, ont été formulées par de grands penseurs pour assurer le règne de la justice, de la moralité et du bonheur universel. Elle a toutefois un caractère particulier qui la fait sortir de la sphère des discussions académiques et la mêle intimement aux préoccupations présentes ; elle s’est emparée de l’esprit des masses ; elle a exercé sur le prolétariat une influence égale en intensité à l’action qu’a exercée le Contrat social sur l’esprit de la Bourgeoisie ; elle est devenue ainsi, à des degrés divers, une tendance directrice de la démocratie contemporaine.
Dans les lignes qui vont suivre, je me propose d’examiner la valeur scientifique et sociale de cette tendance.
La loi d’évolution est indiscutable. Mais on peut se demander pourquoi elle s’arrêterait à un moment déterminé et pourquoi une société toujours en devenir serait tout à coup figée dans des formes désormais immuables, par la simple raison qu’elle serait arrivée au stade rêvé par Marx. A-t-on bien songé, d’ailleurs, à ce que serait une société parfaite qui aurait atteint l’équilibre absolu, qui n’aurait ni problème à résoudre, ni misère à secourir, ni crime à pardonner, ni richesse à conquérir ; qui ne connaîtrait ni le danger, ni l’inquiétude, ni le besoin de changement ? La douleur est pour les groupes, comme pour l’individu, la grande éducatrice. Une société sans vices, ni passions, ni orgueil, ni égoïsme, ni abus, ni besoins, ce serait une société sans joie, sans charité, sans désir, sans activité ou intelligence, sans esprit d’initiative et d’invention ; elle s’éteindrait, stagnante, dans le silence et le néant ! Et alors que, dans l’humanité comme dans la nature, tout se meut et tout change incessamment, quelle aberration qu’un dogmatisme politique fondé sur la croyance à une solution définitive !
Ensuite, et c’est là un point qu’il importe de mettre en pleine lumière, le collectivisme n’est rien s’il n’est pas le nivellement des inégalités, la fusion des élémens divergens, l’atténuation des différences et des variétés, de la hiérarchie des groupes des organes, des individus dont se compose une société. Et on peut se demander également pourquoi l’évolution, qui a toujours agi dans le sens de la différenciation progressive des facteurs sociaux, se ferait soudain à rebours ; pourquoi elle retournerait brusquement aux formes rudimentaires de la démocratie primitive ; pourquoi cette différenciation s’arrêterait toute seule, alors que jamais encore dans le passé la contrainte la plus rigoureuse n’est parvenue à l’empêcher. Un système de propriété sociale sans capital ni échange, tel que le collectivisme le conçoit, n’est pas un point d’arrivée, il est un point de départ ; il a existé comme étape primitive, sans éviter d’ailleurs qu’il n’y eût des pauvres et des inférieurs ; c’est le germe d’où sont sortis et la multiplicité des formes de l’existence, des modes de groupement des individus, des organes de la vie sociale, des sphères de la vie économique, et la souplesse infinie, la libre variété de structure de l’Etat moderne ; le collectivisme est ainsi la négation même de la loi d’évolution qu’il invoque.
En réalité, l’organisation primitive n’a pas pu rester stationnaire parce qu’il n’y avait pas égalité des individus et de leurs aptitudes. S’il y avait eu égalité parfaite, il n’y aurait eu aucune différenciation des sociétés, des groupes et des hommes, et il n’y aurait jamais eu de transformation sociale.
Mais comme les différences existaient, l’évolution sociale a toujours dû être le passage graduel de l’homogénéité à l’hétérogénéité, de la confusion à la division des organes, des fonctions, des compétences ; à la distinction des classes, à l’inégalité des conditions, des situations et des individus ; à la spécialisation de plus en plus accentuée de tous les élémens de la vie sociale qui, latens dans la communauté naissante, s’en détachent et se développent à travers les siècles.
Toute vie est mouvement et dépense d’énergie ; et aussi longtemps qu’il y a croissance et développement, il y a différenciation. Un groupe social doué de vitalité et d’énergie est un être collectif, qui croît et se différencie comme tous les êtres, hommes, animaux, plantes, qui se subdivise, se ramifie et se spécialise comme les littératures, et le langage, comme les sciences et le droit : les rameaux se séparent du tronc ; ils forment des êtres distincts qui, à leur tour, se différencient[1]. Dès qu’il y a développement, il y a différenciation et complexité.
Le moule social primitif n’a donc rien de fixe ; il n’est et ne peut être qu’une forme provisoire ; et comme tout organisme à tendance égalitaire et communautaire, il recèle en lui les causes de sa destruction, c’est-à-dire la variété infinie des besoins, des buts, des aptitudes, des intérêts, qui, en se multipliant, ont brisé l’enveloppe qui les contenait.
Le procédé de développement de la société est en principe celui de la nature organique. Son résultat est l’antithèse du dogmatisme collectiviste. Dans la nature, la fixité n’existe nulle part et à aucun moment. La variabilité est partout et toujours. Le monde est, à chaque instant, différent de ce qu’il était à l’instant précédent et « chaque étape est conditionnée par l’étape antérieure. » Dans toute l’étendue de l’univers et à tout moment, il y a des milliers et, des milliers de combinaisons, d’accidens, de possibilités d’existence cherchant à se réaliser. Pour tous les êtres aspirant à vivre, à se développer, à se multiplier, le problème est l’adaptation au milieu[2]. Chacun a ses qualités, ses propriétés, ses tendances particulières ; chacun a ses moyens d’action, ses besoins personnels et distincts de ceux des autres êtres ; chacun, tel qu’il est, doit, dans cette vie universelle qui coule sans interruption, s’adapter au milieu qu’il rencontre et aux conditions du moment. En ce sens, tout être qui naît est un défi à la nature ; il faut qu’il s’adapte ou disparaisse.
Dans la société, il en est de même. Les nations, les classes sociales, les individus se différencient par l’adaptation au milieu.
Pour les nations d’abord, que l’on attribue leur différenciation, avec le major Brück, à l’intensité plus ou moins grande de la circulation magnétique, ou, avec Demolins, aux routes suivies dans leurs migrations par les peuples habitant primitivement le plateau central de l’Asie[3], un fait est constant : elles doivent adapter leur énergie au milieu, et l’énergie varie suivant le climat, les richesses naturelles, la fertilité, la configuration du sol qu’elles occupent.
Elles ne trouveront ces moyens d’adaptation ni aux pôles, ni aux tropiques, par exemple[4]. Mais, dès qu’il y a un groupe d’hommes sur une portion du globe favorable à l’expansion de la vie, le groupe s’adapte ; il prend son caractère propre, devient peuple nomade ou agricole ou guerrier, industriel ou commerçant. Et, en s’individualisant, il se perfectionne, il s’outille en vue des buts variés offerts à son activité ; il acquiert, non par l’intervention artificielle du législateur, mais toujours par le même procédé instinctif et naturel de différenciation et d’adaptation, les organes répondant aux fonctions différenciées sans lesquelles la vie sociale est impossible. Puis, à mesure que le groupe s’étend, les intérêts et les besoins se multiplient et les fonctions et les organes se multiplient en proportion des besoins.
L’on aboutit au mécanisme complexe et spécialisé qui distingue une civilisation d’une peuplade non civilisée. Tous les rouages confondus dans la cellule primitive apparaissent chacun avec son caractère particulier : gouvernement et administration, états et communes, cultes, législation, justice, hygiène, enseignement, transports, agriculture, industrie, commerce, sciences, arts, corporations publiques, associations privées, services publics, entreprises privées, etc.
Et tout cela se résorbe dans une unité supérieure, l’unité nationale, qui caractérise chaque peuple et fait qu’il n’y a pas deux peuples semblables.
De même, dans chaque nation, l’on voit, en vertu du même procédé, les classes sociales se détacher du noyau primitif. D’abord chacun travaille pour soi et les siens ; chacun fait indifféremment toutes les besognes ; chacun est menuisier, forgeron, laboureur, soldat, juge ; et, toutes les fonctions et toutes les activités étant réduites au minimum, les efforts en vue de l’adaptation sont élémentaires ; les membres de la communauté n’ont aucune difficulté à se substituer les uns aux autres. Peu à peu, toutefois, la spécialisation s’introduit parmi eux et sa première manifestation est la séparation du travail musculaire, mécanique, manuel, d’avec le travail intellectuel ou non manuel. — A côté de ceux qui font plus particulièrement œuvre de leurs bras, il y a les féticheurs, les sorciers ou médecins, les chanteurs et les chefs dont les occupations sont moins mécaniques, ont un caractère plus relevé et donnent à ceux qui s’y adonnent un certain prestige. Tel est le point de départ des classes sociales. Cette division embryonnaire crée déjà en un certain sens des supérieurs et des inférieurs, qui se différencient de plus en plus par leur genre de vie, de préoccupations, d’intérêts, par leurs idées, leurs sentimens et leurs habitudes. Elle produit même une distinction dans l’aspect extérieur, car elle donne aux supérieurs un costume ou, tout au moins, un signe distinctif, plume, anneau ou tatouage spécial.
En s’accentuant avec le temps, la différenciation forme une classe adonnée surtout à la vie économique, à la production des biens, et une classe adonnée surtout au travail d’organisation et de direction. A mesure que la population augmente et que les relations se développent, les classes se subdivisent de plus en plus en classes professionnelles spécialisées dans les différent métiers et en classes professionnelles spécialisées dans les différentes fonctions, si bien que, d’une part, des producteurs travaillent pour assurer la consommation d’autrui, pendant que, d’autre part des consommateurs travaillent pour assurer la sécurité des producteurs, la paix intérieure et extérieure, la marche régulière des services gouvernementaux nécessaires à des hommes vivant ensemble.
Je n’apprécie pas en ce moment cette différenciation et cette hiérarchie. Je ne recherche pas si elles sont toujours conformes à la justice. Je constate simplement un phénomène permanent de l’histoire et que tout contribue à accélérer.
Au point de vue politique, le passage de l’aristocratie de naissance à l’aristocratie terrienne, de celle-ci à l’aristocratie d’argent et à la démocratie, a fait apparaître successivement les familles nobles et plébéiennes, puis les propriétaires et les non-propriétaires, les travailleurs libres et les esclaves, puis, à côté des propriétaires fonciers, les capitalistes, les commerçans, les industriels, les bourgeois et les prolétaires, les professions urbaines et rurales, les patrons et les ouvriers.
Au point de vue purement économique, à mesure que s’étend la circulation des biens et des personnes, que les stades de l’organisation, de la production se succèdent, que l’économie familiale se transforme, comme le montre Bücher[5], en économie urbaine et en économie nationale, pour aboutir à notre organisation économique internationale ou mondiale, la différenciation progresse également ; elle se fait entre les producteurs, les consommateurs, les entrepreneurs capitalistes et les intermédiaires ; elle engendre des classes professionnelles économiques indépendantes les unes des autres, avec une spécialisation toujours accrue des métiers et des entreprises. Nous nous éloignons chaque jour davantage de l’idéal collectiviste. Jamais encore la libre classification des aptitudes n’a été aussi complète et l’aspect de la société économique aussi varié : non seulement les classes ouvrières sont réparties et strictement spécialisées par métiers ou professions, mais, dans un même métier, il y a des subdivisions à l’infini d’après la nature des mouvemens et des opérations. (P. E., 18 opérations distinctes avec 18 catégories d’ouvriers pour la confection des épingles ; 70 opérations distinctes pour la confection des cartes à jouer ; 1662 opérations successives ! pour la fabrication de la montre « Oméga »[6].)
Non seulement la classe des entrepreneurs se spécialise de plus en plus d’après les industries mais chaque industrie se subdivise en spécialités nombreuses. (P. E., l’horlogerie en 102 métiers, la métallurgie en 1 000 métiers[7].) Et Bernstein signale la progression constante des petites entreprises[8].
Non seulement la multiplication des besoins sociaux multiplie les fonctions et les compétences spéciales, mais cette différenciation progressive se marque même dans l’ordre intellectuel ; les savans se spécialisent ; ils se cantonnent dans des domaines restreints ; voyez, pour prendre encore un exemple courant, la médecine, jadis générale, suivre cette pente et fournir des spécialistes pour les femmes, pour les enfans, pour les maladies mentales et nerveuses, pour la poitrine, la gorge et les différens organes. En un mot, la loi de spécialisation est générale, et nous la retrouvons dans toutes les directions.
Encore une fois, je n’examine pas ici ce qu’il peut y avoir d’excessif dans cette différenciation croissante, ni quels remèdes et quels contre-poids il faut y opposer. Je signale une situation ; elle est l’antithèse de la concentration collectiviste. Et il faut, avec Schmoller, reconnaître que, seule, cette tendance individualisatrice a permis la culture supérieure de l’humanité ; grâce à elle, l’éducation morale, intellectuelle, esthétique, juridique, économique, a pu être distribuée à un nombre d’hommes toujours plus grand ; grâce à elle, les merveilles de l’esthétique ont pu s’épanouira côté des merveilles de la technique, et, sans elle, la civilisation eût été enrayée.
Enfin, à la base de l’évolution des États et des classes sociales, il y a comme cause primordiale la différenciation des individus, c’est-à-dire l’inégalité d’êtres ayant chacun sa personnalité : la personnalité et l’inégalité sont les deux grands mystères qui planent sur le monde, dominent le développement de l’humanité et lui impriment sa direction.
Rousseau, le plus éloquent des adversaires de l’inégalité, est obligé lui-même de reconnaître son caractère inéluctable et originel[9]. Et l’inégalité des hommes n’est pas une doctrine politique, c’est une loi vérifiée par la science. Aussi loin que la biologie peut remonter vers la source de l’humanité, elle constate l’inégalité des hommes : l’homme est un composé de plusieurs trillions de cellules et la cellule elle-même semble constituée d’un très grand nombre de petites masses, phénomènes ultimes de l’individualité[10]. Une individualité vivante résulte d’une complexité inouïe d’élémens chimiques, physiques, psychiques. Nous ne connaissons pas l’Individu, mais des individus ayant chacun des tissus, des muscles, des nerfs, des cartilages différens, des dispositions physiques, morales, intellectuelles, différentes.
La combinaison des innombrables élémens dont est formé un être vivant ne se répétant jamais dans des conditions identiques, il est naturel qu’il n’y ait pas deux êtres vivans identiques.
Dans la collectivité la plus homogène que l’on connaisse, dans la communauté familiale des premiers jours, où l’individu comme tel est si peu de chose, où l’organisme collectif est si condensé, il y a déjà, dans la participation des membres de la communauté à la vie sociale, une certaine différenciation individuelle, résultat tout au moins de l’âge, du sexe, des forces et, par conséquent, une certaine adaptation de l’individu à son milieu et à son but.
Avec l’accroissement de la population, l’extension du territoire, la multiplication des besoins, s’accroît la diversité des intérêts, des désirs, des facultés. Les uns travaillent, produisent, épargnent, consomment plus ou moins que les autres, ont plus ou moins d’esprit de conduite, plus ou moins de chance, et les situations deviennent inégales. Mais ce qui contribue surtout à l’inégalité c’est la nécessité, les richesses restant limitées, de pourvoir à l’existence de familles toujours plus nombreuses, auxquelles s’ajoutent sans cesse des familles nouvelles. Dans une jeune démocratie agricole où la fertilité du sol, la place disponible, la beauté du ciel, la douceur du climat procurent une vie facile, il n’y a pas beaucoup de différenciations individuelles, parce qu’il n’y a pas beaucoup de complications sociales ; mais quand à la simplicité succèdent les difficultés de la lutte pour l’existence, quand, au lieu de circuler et de respirer à l’aise dans de libres espaces où l’on rencontre des compagnons, on doit se faire une place au soleil en même temps que des concurrens poussés par des nécessités identiques, il faut que chacun cherche une voie conforme aux aptitudes dont il est doué ; la concurrence surexcite la spécialisation ; et l’adaptation de tous les individus à l’infinie variété des milieux et des buts progresse graduellement.
Tel est l’obstacle redoutable et permanent qu’à travers toute l’histoire, et malgré tous les efforts contraires, la nature oppose au socialisme égalitaire et niveleur.
Le monde est une évolution incessante par croissance et différenciation. Il y a dans l’homme un élément social et un élément individuel. L’élément social prédomine dans les stades inférieurs de la civilisation, l’élément individuel dans les stades avancés. L’individu est d’autant plus effacé que la communauté est moins importante. Il se détache d’autant plus en relief avec ses qualités ou ses défauts que le groupe a plus d’extension[11]. Encore aujourd’hui, les individualités ne sont-elles pas bien moins tranchées dans un village congolais que dans un village brabançon, dans celui-ci que dans une petite ville, et dans une petite ville que dans une capitale ?
La montée du monde primitif au monde actuel est la montée de la médiocrité à l’expansion de l’individu. Voilà pourquoi aux époques reculées il n’y a que des nuances entre les actifs et les fainéans, les capables et les incapables, les criminels et les moraux, les riches et les pauvres. Les vices primitifs sont moins marqués parce que les vertus primitives sont moins éclatantes. Au contraire, aux époques de civilisation, de vraies différences qualitatives et quantitatives, et non plus, simplement, des nuances, séparent les supérieurs des inférieurs, les ignorans des instruits, l’élite du rebut. La distance s’élargit à mesure que l’organisme entier est contenu dans des limites moins étroites.
Sparte nous fournit l’exemple d’un petit groupe social fortement concentré ; la concentration l’emporte ; elle étouffe l’individualité ; elle assure le triomphe de la médiocrité. La cité athénienne, plus ouverte, plus étendue, est plus complexe ; elle laisse plus de champ à la différenciation, et la démocratie libérale de Périclès est une brillante floraison d’individualités.
Dans cet ordre d’idées, la Rome des premiers jours, petite communauté de rudes paysans, est une collectivité d’une originalité puissante, mais elle laisse peu de place à l’originalité individuelle. La Rome impériale et cosmopolite est une agrégation de races, de sectes, de confessions, de philosophies, où le sentiment national se dissout, où la cohésion nationale s’évanouit devant le déchaînement de l’individualité.
Que l’on songe à la Renaissance italienne, ou que nous regardions les aspects suggestifs de notre civilisation mondiale, et nous constatons le parallélisme entre l’expansion extrême des collectivités élargies et l’épanouissement le plus complet et le plus différencié de l’individualité. Ce ne sont que contrastes, oppositions de couleur, jeux d’ombre et de lumière, variété d’opinions, de conditions. D’une part l’originalité, la fantaisie, les écarts d’une imagination sans mesure et d’un esprit révolutionnaire sans frein ; d’autre part, l’esprit de tradition, le respect de la coutume, les préjugés étroits et le conservatisme outrancier. A côté des splendeurs de l’art, des prodiges de la science, des merveilles de la charité, des plus hautes qualités intellectuelles et morales, on voit la misère, le crime, l’ignorance, le débordement des passions égoïstes, du vice et de l’oisiveté.
Et si nous envisageons spécialement le point de vue économique, aussitôt apparaît l’incroyable profusion des tons dont, semblable à un pinceau magique, l’inégalité dans l’adaptation de l’individu au milieu revêt la société. Cela n’a rien de neuf, cela est inhérent à toute grande civilisation ; mais jamais cela n’a été aussi évident que de nos jours.
Nous voyons se dérouler sous nos yeux les innombrable formes de la production, de l’échange, de la circulation : entreprises publiques ou privées, industrielles, commerciales, agricoles, depuis les colossales usines, les gigantesques manufactures jusqu’aux industries à domicile, aux ateliers familiaux, au travail isolé ; depuis les grandes banques internationales jusqu’au réduit du prêteur sur gage ; depuis les vastes exploitations agricoles de l’Australasie jusqu’aux cultures moyennes et parcellaires ; depuis les bazars universels jusqu’aux échoppes en plein vent. Nous voyons défiler aussi dans un mouvement perpétuel de va-et-vient, avec un rythme incessant de bascule qui fait monter les uns et descendre les autres, des millions d’êtres différens par leur structure externe et interne, leurs tendances et leurs passions, leurs intérêts et leurs besoins, depuis le milliardaire organisateur de trusts mondiaux jusqu’au colporteur touchant au mendiant : capitalistes, propriétaires, industriels aux revenus les plus variés, patrons grands et petits, qui s’enrichissent, végètent ou se ruinent ; employés de toute catégorie dont les traitemens s’élèvent jusqu’à la richesse et s’abaissent jusqu’à la gêne ; ouvriers dont les uns connaissent les hauts salaires et l’épargne, les autres les salaires moyens et l’équilibre du budget, d’autres encore des salaires inférieurs aux besoins. Si bien qu’au sein même du prolétariat, nous rencontrons une distinction entre supérieurs et inférieurs, des préjugés de condition et le sentiment de l’inégalité. Et il n’est pas jusqu’aux mendians et aux délinquans, qui n’aient entre eux des différences sociales, puisqu’il y a des invalides, des incapables, des malheureux dignes d’assistance et des rebelles au travail qui appellent la sévérité ; des délinquans passionnels ou d’accident qui méritent l’indulgence et des délinquans professionnels, qu’il faut traiter avec rigueur ; et ainsi, tout à fait au bas de l’échelle sociale et dans les rangs les plus infimes de l’humanité, l’individualisation du régime s’impose, et le désir des uns d’être plus considérés que les autres se fait jour, même dans ces bas-fonds.
Et ces millions d’unités dissemblables qui circulent, s’arrêtent, essaiment, se recueillent, se dispersent, se concentrent, se recherchent et se groupent, ou s’éloignent et se séparent, qui, en un mot, se combinent de tant de façons d’après les circonstances objectives, du lieu et de l’heure, font une société vivante, comme les millions de cellules circulant dans l’organisme humain font l’être vivant.
On peut, avec les utopistes de tous tes temps, placer dans un passé reculé, ou dans un avenir lointain, l’idylle du repos enchanteur, de la sérénité des âmes, de la modération du désir, le règne du bonheur égalitaire. On peut soutenir que l’idéal est dans le ralentissement de notre activité excessive. On doit reconnaître que cette activité entraîne des maux dont il faut se préoccuper sans cesse pour essayer de les guérir. Une chose est certaine : les sociétés en marche manifestent leur développement par la différenciation croissante des organes et des individus. Ces témoignages de la vie ne cessent qu’avec la vie elle-même. La contrainte ici est stérile ou nuisible.
L’on est parfois obligé d’entourer les membres d’enfans dégénérés et incapables de se soutenir, d’une armature d’acier qui leur donne l’illusion de la force sans leur en rendre une parcelle. Mais, si l’on s’avisait d’en revêtir un être sain et vigoureux, on comprimerait son activité et l’on tarirait en lui les sources de la santé.
De même, quand, pour s’opposer à la différenciation et à l’inégalité, on enveloppe une société d’un étroit réseau de lois de police, si elle les supporte, elle prouve sa décrépitude ; si elle est jeune et bien portante, elle s’en délivre ou périt.
À ce point de vue, le vêtement moderne étriqué, qui recouvre de ses lignes conventionnelles l’harmonieuse noblesse du corps humain, crée, au profit des difformités, une égalité funeste à la beauté naturelle. Le collectivisme serait, lui aussi, le tyran de la vie naturelle ; il établirait, au détriment des supériorités et en faveur des médiocres, une égalité artificielle et mensongère.
L’adaptation d’individus inégaux à des milieux différens, voilà donc le procédé d’évolution que l’on rencontre d’une façon constante dans la société comme dans la nature.
Et l’analogie peut encore être poussée plus avant ; car, des deux côtés, il est vrai de dire que l’adaptation n’est pas toujours synonyme de progrès.
Dans la nature, la survie des plus aptes est parfois la preuve de leur supériorité, parfois aussi, elle est simplement le résultat de leur persistance dans des conditions spéciales qui leur sont favorables ; et l’on ne peut affirmer d’avance qu’une espèce douée de plus de qualités qu’une autre espèce l’emportera sur celle-ci. C’est ainsi que, dans la Virginie, les cochons noirs l’emportent sur les cochons blancs, uniquement à cause de la présence du Lachnantes, plante qui tue le cochon blanc. C’est ainsi que dans le Massachusetts le mouton « Ancons » a éliminé les autres espèces parce qu’il a des jambes courtes et incurvées qui, l’empêchant de sauter par-dessus les haies, ont permis de mieux le conserver. Ce ne sont pas les meilleurs qui nécessairement triomphent, mais ceux qui dans des circonstances déterminées, dues parfois au hasard, s’adaptent le mieux[12].
La société nous offre le même phénomène ; parfois la marche des choses est normale et les individus adonnés au travail le plus méthodique et le plus régulier, et doués de la plus grande somme d’énergie physique, intellectuelle et morale, l’emportent. Mais, parfois aussi, il en est autrement : on en voit qui profitent du hasard : climat, fertilité naturelle du sol, situation exceptionnelle, transmission d’un héritage, protection de l’autorité, etc., et si, dans le monde organique, des formes très inférieures, par exemple des monères à noyau subsistent simplement parce qu’elles ont trouvé un milieu d’adaptation, dans la société, il y a des individus inférieurs qui se maintiennent uniquement à raison de conditions d’existence privilégiée, faute desquelles ils disparaîtraient.
Mais ici s’arrête l’analogie, et pour le surplus, il y a des différences fondamentales entre les procédés de la nature et ceux des sociétés humaines.
Dans la nature, il y a sélection et élimination : c’est-à-dire que la survie des plus aptes et des mieux armés, pour une situation donnée, implique l’élimination des moins aptes et des moins bien armés, pour cette situation. Dans la société, au contraire, la sélection, le triomphe des plus aptes, n’entraîne pas nécessairement l’élimination des moins aptes, et à mesure que la civilisation et la culture progressent, il y a plus de chances et plus d’occasions pour tous de trouver des modes d’adaptation et d’existence. A côté d’une loi de continuité historique, une loi de survivance des formes anciennes apparaît. En premier lieu, dans une société cultivée, se développe un esprit de solidarité et de charité bien éloigné des sentimens moins altruistes des groupes incultes qui, plus près de la nature, en subissent plus directement la cruauté. Chez ces groupes, on ne s’occupe pas des inutiles et des incapables, et on les laisse mourir quand on ne va pas jusqu’à s’en débarrasser.
A mesure que les âmes s’affinent, la philanthropie tempère la brutalité de la sélection ; on cherche à conserver les inaptes. Les malades, les dégénérés, les rachitiques, les vieillards infirmes, les aveugles, les sourds-muets, les estropiés, les idiots, les arriérés, les anormaux, les aliénés, les vagabonds, les criminels, jadis abandonnés ou éliminés, sont recueillis ; on crée pour eux des hôpitaux, des hospices, des asiles, des prisons, des colonies agricoles, des refuges. Dans la mesure du possible, on leur donne du travail. On les conserve, non seulement parce qu’on devient plus humain, mais parce qu’il devient plus facile d’être humain. Jadis, il y avait au sentiment de protection, de pitié, de fraternité un obstacle sérieux : l’étroitesse de la sphère d’activité et la limitation des richesses naturelles. Aujourd’hui, il y a un stimulant de la générosité : c’est, dans une civilisation qui s’étend et dont le mécanisme se perfectionne et l’outillage s’enrichit, une variété croissante des conditions d’existence et une possibilité croissante de procurer, même à des êtres inférieurs, des conditions inférieures d’adaptation.
En second lieu, et telle est la cause de cette variété croissante, une civilisation, en s’élargissant ainsi, donne naissance à des formes et à des types économiques et sociaux nouveaux, sans pour cela supprimer les formes et les types anciens. Si bien que si tantôt tel type prédomine et tantôt tel autre, tous coexistent cependant : il n’y a plus élimination, mais juxtaposition, addition et complexité. Cette complexité s’étend aux modes d’existence des groupes et des individus comme à toutes les sphères de l’activité humaine et à tous les aspects de la civilisation. Il en résulte, pour notre société, une souplesse de structure, une flexibilité des ressorts de la vie, une rapidité et une liberté de mouvemens, une intensité dans les communications, dans l’entremêlement des liens sociaux et dans le contact et la pénétration des classes, dont l’organisation de l’Inde, de la Grèce, de Rome ou de notre ancien régime n’a jamais fourni l’exemple.
Si nous considérons, un instant, le monde économique, nous voyons immédiatement cette richesse et cette profusion des formes de la production. L’épanouissement des formes nouvelles vient s’ajouter à la survivance des formes anciennes. Bücher nous montre[13], dans leur succession historique, l’économie domestique ou familiale, l’économie urbaine, l’économie nationale. Et actuellement nous assistons à la naissance de l’économie internationale ou mondiale. Or celle-ci n’a pas anéanti les autres systèmes de production et d’exploitation, tous parviennent à se faire une place au soleil ; les cercles concentriques sont toujours plus larges ; les cercles plus étroits ne s’effacent pas.
Cela est bien naturel, car chez les hommes réunis en société, de nouveaux désirs et de nouveaux besoins venant toujours s’ajouter aux anciens, de nouveaux moyens d’y satisfaire apparaissent sans détruire les précédens.
La grande industrie est adaptée aux besoins mondiaux, mais les besoins locaux subsistent, et dès lors l’extension de l’industrie n’empêche pas la survivance de la petite industrie locale. Les usines géantes comme celles de Krupp ou de Cockerill, du Creusot ou de Pittsbourg envoient leurs produits dans toutes les parties du monde. Or, en même temps, dans tel village isolé des Ardennes, la famille travaille pour sa consommation personnelle et conserve le type de l’économie domestique primitive. En Norvège, le paysan construit sa maison, fabrique son chariot, son traîneau, ses outils, tanne son cuir ; en Galicie, en Bukovine, dans certaines parties de la Russie méridionale, de la Hongrie, de la Transylvanie, de la Roumanie, le même système de production pour l’usage survit parce qu’il répond à une utilité et est adapté aux besoins du milieu[14].
L’usine, la fabrique, la manufacture produisent ce qui ne pourrait être produit autrement ; elles triomphent quand les prodiges de l’outillage mécanique, la concentration des hommes, des engins, des capitaux, et tous les avantages, et tous les inconvéniens de cette concentration sont nécessaires, soit pour lutter sur le marché universel, soit pour obtenir le bon marché, la quantité, la rapidité (comme dans certaines industries textiles), soit pour répondre par un machinisme puissant et coûteux aux difficultés de l’exploitation (comme dans les mines).
La petite industrie à domicile, l’atelier domestique, le métier individuel, avec l’autonomie familiale, avec la dissémination des forces productrices, avec les avantages et les inconvéniens de cette dissémination, répondent, à leur tour, à des besoins particuliers : ils persistent quand les conditions d’adaptation restent favorables, notamment à la campagne, et alors ils se combinent parfois avec la petite culture ; ils se maintiennent pour les produits de luxe exigeant la délicatesse du travail à la main, ou quand la nature du produit usuel est telle qu’elle demande pour le moins autant de travail humain que de travail mécanique, ou qu’il s’agit de satisfaire à la clientèle locale ou de voisinage, ou que la façon de livrer le produit exige des relations directes et permanentes entre les producteurs et les consommateurs. Telle est la raison d’être des cordonniers, des tailleurs, des bouchers, des boulangers, des menuisiers, des maçons, des barbiers, des photographes, des tapissiers, des horticulteurs, de l’interminable série des petites professions autonomes que les inventions, le bien-être, la richesse font naître par milliers et détachent sans cesse des branches essentielles de la production. Leur spécialisation suit la spécialisation des besoins. Et Bücher[15], Bernstein[16], Leroy-Beau lieu[17] montrent, par des chiffres irréfutables, leur progression croissante, reflet des efforts de la petite classe moyenne pour s’adapter, se maintenir et se développer.
Le phénomène est très apparent en Belgique : le recensement général des industries et des métiers établit qu’il y a en Belgique plus de 300 000 entreprises relevant de la très petite et de la petite industrie ; si l’on y ajoute les petits commerçans, détaillans, boutiquiers, colporteurs, on arrive à un formidable chiffre de citoyens constituant les élémens de la petite et de la très petite bourgeoisie se recrutant dans le prolétariat en train de s’élever par l’ordre, l’économie et le travail[18].
Il résulte également de ce recensement que l’industrie à domicile occupe plus du sixième de la population proprement dite, et que la fabrication à la main se maintient à côté du machinisme, même dans les industries où la prédominance du procédé mécanique paraît incontestable. C’est ainsi qu’il y a plus de 25 700 tisserands travaillant au métier à bras contre 23 500 travaillant au métier mécanique.
Or le métier local ou usuel suppose l’habileté, l’intelligence, l’initiative individuelle ; il entretient une légion de petits patrons, d’artisans, de commerçans travaillant seuls ou avec les membres de leurs familles ou avec quelques auxiliaires. Parfois aussi, ces petits patrons fournissent de l’ouvrage à des ouvriers qui, à leur tour, sont tantôt isolés, tantôt aidés de membres de la famille. Et cette nombreuse classe de producteurs qui est une des garanties de l’équilibre social, puisqu’elle assure par en bas le recrutement de la classe moyenne dont Aristote a dit qu’elle est indispensable à la prospérité des nations, s’affirme à côté des entreprises capitalistes les plus monopolisées.
La civilisation économique s’exprime ainsi dans toutes les directions : elle favorise la production en grand comme la production en petit, elle implique d’une part la formation de puissans organismes capitalistes fonctionnant pour un bénéfice impersonnel et à longue échéance, d’autre part, la constitution d’ateliers de famille où l’on travaille pour la petite épargne quotidienne[19].
Et la science appliquée à l’industrie montre la même souplesse et la même variété d’action et de résultats : en perfectionnant les procédés de fabrication, en permettant, avec la construction de formidables machines, la concentration, dans une même usine de formidables masses ouvrières, elle met en même temps des moyens d’action à la disposition d’individus isolés. Une grande entreprise capitaliste d’électricité peut distribuer de la force motrice à des ouvriers travaillant au foyer domestique, comme à d’autres entreprises capitalistes produisant en grand. — N’essaie-t-on pas, en ce moment, en Suisse, dans l’industrie horlogère, à Lyon dans le tissage de la soie, à Saint-Etienne dans la rubannerie de reconstituer le travail domestique, par la distribution de l’électricité à domicile ? Cette distribution de force motrice est donc aussi bien un facteur de décentralisation et d’individualisation que de centralisation et d’épargne de force.
Rien ne serait plus faux et plus conventionnel que de comparer les deux procédés et de vouloir établir la supériorité de l’un de ces régimes sur l’autre.
L’évolution de la société économique n’est pas l’œuvre factice du législateur. Elle est à chaque instant ce qu’elle peut être dans des conditions déterminées ; la cause de ces conditions nous échappe parfois, leur résultat ne nous échappe pas : nous voyons dans sa réalisation effective le procédé qui approprie la variété des forces économiques à la variété des buts économiques. Tout dépend de la nature, soit du produit, soit des instrumens nécessaires à sa production, soit des consommateurs qui l’emploient. Certaines entreprises exigent une production à caractère collectif et mécanique et réduisent l’effort personnel, tandis que d’autres entraînent la réduction de l’effort collectif, laissant du champ à l’initiative individuelle. Et dans une entreprise déterminée, à côté d’opérations qui réclament l’association et la combinaison des mouvemens, il en est qui ont pour résultat leur séparation, leur division.
La division du travail n’est pas plus, à ce point de vue, l’idéal rêvé par Adam Smith, et d’où doit sortir l’harmonie des intérêts, que le fléau maudit par Marx ; elle est une des formes variables de l’activité des hommes, et jamais ni cette forme, ni son contraire, la fusion des forces, ne s’empare de tout le domaine de la production pour supprimer l’autre.
Un phénomène identique se manifeste partout où il y a de l’énergie à dépenser :
Les magnifiques transatlantiques qui sillonnent les mers n’ont pas supprimé les bateaux à voile et, si l’on pouvait embrasser l’Océan d’un coup d’œil, on admirerait l’infinie diversité des modes de locomotion par eau qui, depuis les plus frêles embarcations jusqu’aux plus terribles vaisseaux de guerre, sont sortis du premier tronc d’arbre évidé, servant de canot.
La traction à vapeur et à électricité n’a pas aboli l’ancien roulage sur les routes et, en parcourant les continens, on voit dans l’espace l’emploi simultané de tous les moyens de transport qui se sont succédé dans le temps, depuis le transport à des d’hommes ou par bêtes de somme, les charrettes à bras, les véhicules de toute catégorie jusqu’aux automobiles.
L’éclairage électrique, malgré sa supériorité, n’a pas acquis de monopole ; il n’a détrôné ni le gaz, ni le pétrole, ni l’huile, ni la bougie, ni la torche ; il y a eu déplacement et déclassement dans l’usage des différens procédés, non pas disparition ; l’on apercevra un quinquet de l’ancien régime à côté d’une lampe à esprit-de-vin, dans un hôtel étincelant de lumière électrique, comme une mèche fumeuse dans la demeure modeste d’un paysan qu’éclaire du dehors un réverbère à gaz.
Quel énorme chemin parcouru depuis l’ouvrier isolé du début du XIXe siècle jusqu’aux manufactures actuelles ! Et pourtant les métiers perfectionnés qui, en Angleterre, obtiennent d’un demi-million d’hommes des résultats équivalens à celui de 100 millions de tisserands travaillant isolément ; les puissantes perforatrices creusant en quelques années à travers les Alpes des tunnels que des légions d’ouvriers ne perceraient pas en travaillant leur vie entière, ne suppriment aucun des instrumens et des outils, marteau, pioche ou forêt dont l’homme s’est toujours servi pour prolonger les mouvemens de ses muscles. — D’ailleurs ne faut-il pas d’autant plus d’aiguilles à coudre que l’on fabrique plus d’étoffes et de toile ; ne faut-il pas pour casser les pierres d’autant plus de marteaux que l’on crée plus de routes ?
C’est un fait d’expérience constante qu’une société qui croît en civilisation provoque des phénomènes nouveaux et de nouvelles conditions sociales ; qu’elle engendre avec une différenciation graduelle des possibilités nombreuses d’adaptation pour les individus et les groupes, pour les fonctions et les choses. — Une société complexe fournit aux individus plus de situations qu’une société simpliste. Ces situations, toutefois, sont inégales et loin de marcher vers le nivellement et la concentration, nous nous en éloignons
Dans l’agriculture comme dans l’industrie, notre société offre une variété absolue d’aspects et une liberté absolue de systèmes : elle admet côte à côte la grande, la moyenne, la petite propriété capitaliste, le domaine de l’État, les biens communaux, le faire-valoir direct familial, et ainsi de suite.
Un voyageur verrait, en faisant le tour du monde, se dérouler la succession des types d’économie agricole, depuis les petites cultures domestiques de la Bukovine jusqu’aux grands domaines prospères de l’État australasien, jusqu’aux misérables latifundia de Sicile où grands seigneurs et ouvriers à la fois pratiquent l’absentéisme.
Il constaterait que tout dépend du sol, du climat, des qualités morales et physiques des habitans ; de l’importance des sacrifices à faire pour l’outillage ; des ressources dont on dispose, du degré de facilité du transport des produits, des efforts qu’impose la concurrence, comme de la densité de la population. Il se dirait que, pour niveler les inégalités, il ne suffirait pas d’une bureaucratie collectiviste contrôlant le travail, ni de l’unification des conditions d’exploitation ; il faudrait unifier partout la chaleur du soleil, la fertilité des régions, l’intensité des désirs et des besoins ; et, alors encore, rien ne serait fait, si on ne limitait pas la croissance de la population.
À aucune époque et dans aucun pays, le régime agricole ne peut donc revêtir d’empreinte uniforme, et refléter le dogmatisme simpliste des théoriciens. Le régime le plus individualiste connaît des biens communaux. Le régime le plus communiste, tel le mir, connaît la propriété individuelle, tout chef de famille y étant propriétaire de sa maison et de son jardin.
Ce sont les circonstances objectives qui font prédominer tel ou tel principe. Prenons, dans la France des premiers siècles, l’Anjou ou la Provence ensoleillée, ou dans la Suisse moderne, certains cantons agricoles ; il s’y manifeste une tendance à la petite culture égalitaire, non pas qu’il y ait là un système démocratique ou communautaire imposé par le législateur pour obtenir l’égalité, mais parce qu’il y existe un état social réunissant les conditions favorables à la petite culture égalitaire : c’est-à-dire une vie patriarcale et simple ; un climat doux, la variété et l’abondance des productions, la facilité de récolter et de garantir à chacun sa subsistance ; ou bien encore l’énergie du caractère, la frugalité des habitudes, la placidité des désirs.
Prenons au contraire à partir du VIe siècle, sur certains plateaux du centre et du midi de la France, les régions incultes et boisées dont le défrichement rencontrait des difficultés et exigeait beaucoup d’hommes et de moyens d’exécution. La grande culture s’imposait, les grands propriétaires ont été indispensables ; et là où les cultivateurs parcellaires eussent été impuissans, les Gallo-Romains avec leurs esclaves, les Visigoths avec leurs soldats, les Bénédictins avec leurs moines, les seigneurs avec leurs métayers ont transformé et fécondé le sol de la France[20].
De nos jours, nous assistons, et surtout dans nos régions, à une crise de la petite propriété paysanne : sous l’action du Code civil qui décime les parcelles et les rend insuffisantes pour vivre, de la fascination exercée par l’industrie qui dépeuple les campagnes, des assauts des produits étrangers qui rendent la lutte difficile et onéreuse, il y a un progrès de la grande propriété capitaliste, un recul de la petite culture personnelle. Mais celle-ci qui, pour résister, fait des efforts, ne disparaît pas. Domaines de l’État, des communes, des associations, des individus, grandes exploitations et lopins de terre, coopératives et syndicats agricoles, toi est le spectacle que nous offre l’agriculture ; celle-ci ne révèle pas, plus que les autres branches de l’activité, une tendance vers un mode unique de production contrôlé par l’autorité. Et ici comme partout, les prophéties marxistes sont démenties par les faits.
En résume, toutes ces forces diverses et ces rythmes divers qui s’entre-croisent, toutes ces vibrations diverses qui se confondent comme les forces, les rythmes et les. vibrations de la mer, sont les élémens qui donnent au monde sa grandeur, sa beauté, sa sonorité profonde. C’est ce que pensait Aristote quand, repoussant l’unité absolue de l’Etat rêvée par Platon, il écrivait que l’on ne fait pas un accord avec un seul son, et que l’harmonie résulte de la combinaison de tons variés[21]. C’est ce que pensait aussi Montesquieu, disant que « la vraie union dans un corps politique est une union d’harmonie qui fait que toutes les parties, quelque opposées qu’elles nous paraissent, concourent au bien général de la société, comme des dissonnances dans la musique concourent à l’accord total[22]. »
Une théorie dogmatique comme celle de Platon ou de Karl Marx, qui, au contraire, cherche l’harmonie dans la suppression des dissonnances, l’équilibre dans la suppression du mouvement aboutit à une sorte d’unité mécanique[23] qui n’a plus rien de commun avec la vie et la réalité.
Le socialisme collectiviste, qui se trouve arrêté sur sa route par une différenciation individuelle et une complexité sociale progressives, a-t-il au moins sa justification dans la nécessité d’une réaction de l’Etat contre l’individu ?
L’histoire sociale du XIXe siècle est l’histoire de l’antagonisme entre l’individu et l’Etat et d’une opposition irréductible entre les deux termes. Tandis qu’avec Benjamin Constant, Fourrier ou Proudhon, Spencer, J.-B. Say, Macaulay ou Jules Simon, toute puissance accordée à l’Etat entrave la liberté et la destinée de l’individu ; au contraire, des penseurs tels que Carlyle, Louis Blanc, Comte, Marx, Lassalle considèrent l’épanouissement de l’individu comme un obstacle au règne de la justice sociale. L’antithèse est complète ; les uns aboutissent à la tyrannie de l’Etat, les autres à son abstention. Et, comme le dit Henry Michel, l’on pousse à l’extrême le dualisme entre la psychologie qui restaure la conscience personnelle et le moi, et la physiologie qui restaure l’organisme social et l’État[24].
C’est ainsi que, devant l’école libérale poursuivant la réalisation du bonheur par l’individu et pour la société, s’est dressée l’école socialiste poursuivant cette réalisation pour l’individu et par la société, et une controverse passionnée s’est engagée sur le point de savoir si l’individu existe pour l’État et doit lui être sacrifié ou si l’État existe pour l’individu qui finira par le dissoudre.
A bien considérer les choses, une pareille controverse n’a pas de raison d’être :
On emploie le mot « individu » pour représenter plus spécialement les volontés particulières et distinctes dont se compose une société ; on emploie le mot « État » pour représenter l’ensemble de ces volontés et plus particulièrement la volonté collective servant d’organe aux intérêts généraux. Mais il y a, non un individu ou un État abstraits, il y a des millions d’individus différens, des multiples formes d’État, chacune extériorisée elle-même par des individus. Le but de la vie sociale est non le conflit de ces élémens, mais leur coexistence, leur groupement, leur coordination et la devise qui répond le mieux à cet idéal est : « Tous pour chacun, chacun pour tous, » l’État ayant en vue le bien des individus, les individus ayant en vue le bien public[25].
La controverse entre les deux écoles est encore sans portée à un autre point de vue. Il n’existe pas de société simpliste construite exclusivement d’après l’idéal de Kant ou d’après l’idéal de Platon. Qu’elle soit fondée sur le droit de l’individu ou sur le droit de l’État, toujours son organisation comprend des élémens opposés à son principe essentiel ; jamais elle ne peut nier d’une façon absolue soit l’individu soit l’État. Les institutions humaines ne supportent pas leurs conséquences extrêmes. La constitution de Lycurgue ou l’impérialisme romain ne détruit pas plus l’individu que la démocratie libérale de Périclès ou la monarchie libérale anglaise n’anéantit l’État. Il entre autre chose que l’essor démesuré de l’individu dans la conception révolutionnaire de 1789 ; il entre autre chose que l’omnipotence du Prince, dans la conception du despotisme éclairé. La vérité, c’est que dans le régime le plus individualiste, s’inspirant le plus nettement de l’optimisme cartésien et exaltant avec le plus de passion l’individu, on ne saurait se passer de l’Etat, seulement on le combat et l’on cherche à réduire son action ; dans le régime le plus socialiste et s’inspirant le plus profondément du concept hégélien, exaltant avec le plus de passion la société, on ne peut se passer de l’individu, mais on reconnaît à la société des droits antérieurs et supérieurs à ceux de la personne et on cherche à diminuer le rôle de celle-ci.
Aujourd’hui, après tant d’expériences pratiques et tant de discussions théoriques, il est possible de montrer la vanité de ce conflit ; il apparaît clairement que l’Etat et l’individu sont non des rivaux et des ennemis, mais des collaborateurs et des auxiliaires, et que la force de l’un fait la force de l’autre.
Regardons autour de nous : le progrès de la civilisation, l’extension du territoire, de la population et des échanges, tout a contribué à provoquer l’accroissement des fonctions de l’Etat. Mais tout cela a dû nécessairement provoquer en même temps un développement parallèle des attributions de l’individu ; car des buts nouveaux offerts à l’activité des sociétés exigent des citoyens capables de les accomplir et dès lors l’enrichissement du mécanisme gouvernemental ne peut signifier qu’une mise en valeur plus étendue de la personnalité humaine.
Une évolution régulière aboutit inévitablement à un tel résultat ; le perfectionnement des services publics n’est pas une cause, il est un effet ; il reflète l’intensité des efforts de tous comme l’outillage rudimentaire de la communauté primitive reflète la simplicité de l’état social. Or, le développement de l’activité sociale n’étant pas autre chose que le développement des activités individuelles, la simultanéité du développement de l’État et de l’individu est par excellence un fait naturel.
La multiplication des besoins et des rapports sociaux crée entre les hommes des liens trop entremêlés pour être abandonnés au hasard.
Il faut de l’ordre, de la méthode, de la régularité ; on ne se contente plus d’un gouvernement réduit à un minimum d’intervention et de dépense ; on ne peut plus, comme on le fait pour les organismes rudimentaires, confier les services publics à des citoyens capables de se charger indistinctement de toutes les fonctions. La législation, la justice, les cultes, l’administration, la défense, la sécurité, les finances, l’hygiène, les sciences, les arts, l’instruction, l’industrie, le commerce, l’agriculture, les transports, etc., sont désormais des intérêts distincts ; ils apparaissent chacun de plus en plus avec son caractère propre d’organisme spécial ; ils exigent chacun des ressources et des qualités particulières.
L’appareil de direction a donc beau se manifester en apparence comme instrument de socialisation, il a besoin d’aptitudes, de compétences, d’énergies morales et intellectuelles et, dès lors, il est en réalité une source de spécialisation et d’individualisation.
Voilà pourquoi une société cultivée, une grande cité réclamant plus de fortes individualités qu’une tribu patriarcale ou un village, fournit à ces individualités plus d’occasions d’adaptation et d’emploi. Voilà pourquoi, quand une communauté s’agrandit et s’élève, les manifestations de la vie sociale réagissant sur les manifestations de la vie individuelle, les personnalités s’affirment avec plus de force, leur champ d’action s’élargit et les inégalités augmentent.
Il se produit donc ici un fait capital dont il importe de préciser les conséquences : dans une société bien équilibrée, un agencement méthodique des rouages et des organismes de l’Etat n’a des avantages que dans la mesure où il agit efficacement sur les œuvres de la liberté. Une extension des pouvoirs publics et des services publics n’est possible et utile que si elle a comme corollaire une extension des activités privées, et en ce sens tout domaine réservé à un service public offre une base à l’exercice des libertés individuelles.
Ainsi, pour donner des exemples, partout où existe un service public de transport par terre ou par eau, il stimule la libre circulation des hommes et des biens à travers le monde, et, en accélérant cette circulation, il stimule toutes les entreprises privées tendant au même but, s’y rapportant ou en profitant.
Partout où la politique mondiale a fait naître un régime public colonial, le gouvernement colonial, en assurant par des mesures générales la sécurité des débouchés, suscite les énergies privées ; quand il installe dans la colonie des fonctionnaires, il a en vue l’action libre des commerçans, des compagnies privées, et par voie de conséquence le travail libre de la mère patrie.
Partout où l’État organise un service d’instruction publique, il forme des hommes instruits et surexcite le besoin de s’instruire. N’est-ce pas pour cela que, même en Allemagne où l’autorité a tant d’empire sur l’enseignement, la liberté d’enseigner laissée aux individus et aux associations par la parole, la plume, les brochures, les livres, les conférences, a un rôle si considérable ?
Cette dualité essentielle des deux facteurs de l’histoire, le facteur individuel et le facteur collectif, le socialisme la néglige. Dédaignant l’initiative individuelle dont il voit surtout les défauts, il réserve sa sympathie particulière à l’État, représentant unique, à ses yeux, des intérêts généraux. Si depuis la Révolution française deux écoles sont de nouveau aux prises, discutant, comparant les mérites respectifs des services publics et des œuvres privées, comme si nous devions choisir et nous laisser englober dans l’une de ces deux formes, c’est que le socialisme considère l’organisation par l’Etat comme la forme supérieure dont il faut poursuivre la généralisation ; et il aboutit logiquement à remettre propriété, moyens de production et entreprises aux mains de l’Etat.
Or l’erreur fondamentale des partisans de la socialisation, ce n’est pas seulement d’opposer les créations de l’Etat à celles de la liberté ; ce n’est pas seulement de ne voir que les mérites des premières et les vices des secondes ; c’est surtout de méconnaître que, dans les deux cas, les œuvres valent exactement ce que valent les individualités placées à leur tête.
Attribuer les avantages d’une institution de l’Etat à son caractère public est absurde ; elle ne réussira que grâce à l’activité, aux facultés éminentes, au talent des dirigeans ; la seule condition de succès d’un service public réside dans l’initiative, les aptitudes personnelles de ceux qui lui impriment sa marche.
Attribuer d’ailleurs les avantages d’une entreprise particulière à la liberté, c’est se tromper tout aussi grossièrement : les résultats dépendent uniquement des qualités marquantes des chefs responsables.
Qu’il s’agisse d’un particulier, d’une société, d’une coopérative, d’un établissement de l’Etat, l’essentiel, c’est la supériorité des individus. Sans cette capacité personnelle, il ne reste du côté de l’Etat que la routine, la paperasserie, les gaspillages, les lenteurs, l’absence de responsabilité ; du côté des particuliers, que l’égoïsme, la légèreté, l’imprévoyance, l’absence de solidarité.
Dans les deux cas, il faut des hommes, et la doctrine de la personnalité et de l’inégalité s’impose ainsi partout, même au socialisme. Il ne peut échapper au fait inéluctable, qu’à un surcroît de culture et de complexité sociales répond un surcroît de culture et de différenciation individuelles.
L’élite, dans nos sociétés contemporaines, a besoin de plus de qualités éminentes que l’élite des communautés patriarcales décrites par Homère où les fils des rois conduisaient les bœufs, traçaient les sillons, fauchaient les prés, aidaient à la construction de leurs demeures, tandis que Nausicaa, sur le rivage de l’île des Phéaciens, lavait le linge de la famille.
Malgré tout ce que l’on eût pu tenter alors pour favoriser l’essor de la personne libre, toujours le facteur social eût triomphé du facteur individuel et l’égalité serait restée le caractère prédominant.
Dans la civilisation moderne, les élémens sociaux supérieurs se séparent plus nettement des élémens moyens ; ils s’élèvent plus haut au-dessus de la masse dépositaire des traditions inférieures de l’humanité, ils s’orientent vers une plus grande somme de science, d’esprit d’invention, d’intelligence, de spontanéité, et tout ce que l’on imaginerait pour socialiser le monde n’empêcherait pas le facteur individuel de l’emporter sur le facteur social, la différenciation sur l’égalité.
Nous allons suivre l’application de ce principe dans l’évolution du capital.
ADOLPHE PRINS.
- ↑ E. Faguet, Revue des Deux Mondes, 1er janvier 1902, p. 161.
- ↑ Le Dantec, Revue de Paris, octobre 1901. Article sur Darwin, page 601 et s.
- ↑ Comte Goblet, Des causes qui ont amené la différenciation des Sociétés humaines. — Extrait du Bulletin de la Société royale belge de Géographie, 1902.
- ↑ Fr. Ratzel, Politische Geographie. Münich, 1897, p. 97 et suiv.
- ↑ Karl Bücher, Études d’histoire et d’économie politique, traduites par A. Hansay. Paris, Félix Alcan, 1901.
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- ↑ Schmoller, Division du travail. Revue d’Économie politique, 1889, p. 537.
- ↑ Bernstein, Socialisme théorique. Paris, Stock, 1900.
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- ↑ Le Dantec, Article cité, p. 609 et suiv.
- ↑ Bücher (Livre cité), passim.
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- ↑ La diversité des industries est énorme dans les provinces belges. — Le recensement industriel cité plus haut relève 667 industries et métiers différens, expression de la libre variété des formes et des types économiques.
- ↑ Demolins, les Français d’aujourd’hui. Paris, Didot, p. 265 et s.
- ↑ Aristote, Politique. Trarl. Barthélémy Saint-Hilaire, II, ch. n, § 9. — Pohlman, Geschichte des antiken Communismus. Munich, 1893, II, 582.
- ↑ Montesquieu, Grandeur et Décadence des Romains. Hachette, 1856, II, p. 42
- ↑ Pohlman, Ouv. cité, I, p. 582.
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