La Suite de l’Adolescence Clémentine/Les Elegies

Les Œuvres de Clément Marot
(p. 1-61).

ELEGIES

I

Quand j’entreprins t’escrire ceste lettre,
Avant qu’un mot à mon gré sceusse mettre,
En cent façons elle fut commencée :
Plustost escripte, et plustost effacée :
Soubdain fermée, et tout soubdain desclose,
Craignant avoir oublié quelcque chose,
Ou d’avoir mis aulcun mot à refaire :
Et briefvement, je ne sçavois que faire,

De l’envoyer vers toy (mon reconfort)
Car (pour certain) Doubte advertissoit fort
Le mien esprit de ne la commencer,
Ne devers toy en chemin l’advancer.
Incessamment venoit Doubte me dire,
Homme abusé, que veulx tu plus escrire ?
Tous tes escriptz envoyez à fiance
Sont mis au fons du coffre d’oubliance.
N’as tu point d’yeux ? ne vois tu pas que celle,
Où tu escriz, ses nouvelles te cele ?
Si tes Envoys luy fussent agreables,
Ele t’eust faict responces amyables.
Croy moy, Amy, que les choses peu plaisent,
Quand on les voyt, si les Voyans se taisent.
Ainsi disoit Doubte plaine d’esmoy :
Mais Ferme amour, qui estoit avecq moy,
Me dist (Amant) il fault que tu t’asseures :
Te convient il doubter en choses seures ?
Sçais tu pas bien, qu’en cueur de noble Dame
Loger ne peult ingratitude infâme ?
S’elle a de toy quelcque escript apperceu,
Croy qu’à grand joye aura esté receu,
Leu, et releu, baisé, et rebaisé,
Puis mys à part comme ung Tresor prisé.
Et si pour toy ne mect Lettres en voye,
Crainte ne veult que vers toy les envoye :
Car bien souvent Lettres, et Messagers
Les Dames font tomber en gros dangers.
Parquoy, Amy, ne laisse point à prendre
La plume en main, en luy faisant apprendre,
Que quand jamais elle ne t’escriroit,

Jà pour cela t’amour ne periroit.
Si par amour le fais (comme je pense)
Mal n’en viendra, mais plustost recompense :
Pource que chose estant d’amour venue
Voulentiers est par amour recongneue.
Recongnois doncq, que celle où tu t’adresses,
D’honnesteté congnoist bien les adresses.
Voylà comment Amour ferme t’excuse
De ce, de quoy Doubte si fort t’accuse :
Et m’ont tenu longuement en ce poinct.
L’ung dict, escry : l’autre dict, n’escry point :
Puis l’ung m’attraict : puis l’autre me reboute :
Mais à la fin Amour a vaincu Doubte.
Doubte vouloit lyer de sa cordelle
Ma langue, et main : mais tout en despit d’elle
Amour a faict ma langue desployer,
Et ma main dextre à t’escrire employer,
Pour t’advertir, que puis le mien depart,
Tant de malheurs, dont j’ay receu ma part,
Tumbez sur nous n’ont point eu la puissance
De te jecter hors de ma congnoissance :
Voire et combien qu’au Camp il n’y eust âme
Parlant d’Amours, de Damoyselle, ou Dame,
Mais seulement de Courses, et Chevaulx,
De Sang, de Feu, de Guerre, et de Travaulx :
Ce nonobstant avecques son contraire
Amour venoit en mon cueur se retraire
Par le record, qui de toy me advenoit.
D’aultre (pour vray) tant peu me souvenoit,
Que si de toy cela ne fust venu,
Certes jamais ne me fust souvenu
D’amour, de Dame, ou Damoyselle aulcune :
Car tu es tout (quand à moy) et n’es, qu’une.
Que diray plus du combat rigoreux ?

Tu sçais assez, que le sort malheureux
Tumba du tout sur nostre Nation :
Ne sçay si c’est par destination,
Mais tant y a, que je croy que Fortune
Desiroit fort de nous estre importune.
Là fut percé tout oultre rudement
Le bras de cil, qui t’ayme loyaulment :
Non pas le bras, dont il a de coustume
De manyer ou la Lance, ou la Plume :
Amour encor le te garde, et reserve,
Et par escriptz veult que de loing te serve.
Finalement avecq le Roy mon maistre
Delà les Monts Prisonnier se veit estre
Mon triste corps navré en grand souffrance :
Quant est du cueur, long temps y a qu’en France
Ton Prisonnier il est sans mesprison.
Or est le corps sorty hors de Prison :
Mais quant au cueur, puis que tu es la Garde
De sa Prison, d’en sortir il n’a garde :
Car tel Prison luy semble plus heureuse,
Que celle au corps ne sembla rigoreuse :
Et trop plus ayme estre serf en tes mains,
Qu’en liberté parmy tous les humains.
Aussi fur prins maint Roy, maint Duc, et Conte

En ce conflict, dont je laisse le compte :
Car que me vault d’inventer, et de querre
En cas d’Amours tant que propos de Guerre ?
J’en laisseray du tout faire à Espaigne,
De qui la main en nostre sang se baigne.
C’est à ses gens à coucher par hystoires,
D’un stile hault Triumphes, et Victoires :
Et c’est à nous à toucher par escriptz
D’un piteux stile infortunes, et cryz.
Ainsi diront leurs Victoires apertes,
Et nous dirons noz malheureuses pertes.
Les dire (helas) il vault trop mieulx les taire,
Il vault trop mieulx en ung lieu solitaire,
En Champs, ou Boys pleins d’Arbres, et de fleurs
Aller dicter les plaisirs, ou les pleurs,
Que l’on reçoit de sa Dame cherie.
Puis pour oster hors du cueur fascherie,
Voller en Plaine, et chasser en Forest,
Descoupler Chiens, tendre Toilles, et Rhetz,
Aulcunesfois apres les longues Courses
Se venir seoir pres des Ruisseaux, et Sources,

Et s’endormir au son de l’eaue qui bruyt,
Ou escouter la Musique, et le bruyt
Des Oyselletz painctz de couleurs estranges
Comme Mallars, Merles, Mauviz, Mesanges,
Pinsons, Pivers, Passes, et Passerons.
En ce plaisir le temps nous passerons :
Et n’en sera (ce croy je) offensé Dieu,
Puis que la Guerre à l’Amour donne lieu.
Mais s’il advient, que la Guerre s’esbranle,
Lors conviendra dancer d’un autre branle :
Laisser fauldra Boys, Sources, et Ruisseaulx,
Laisser fauldra Chasse, Chiens, et Oyseaulx,
Laisser fauldra d’Amours les petitz dons,
Poursuivre aux Champs Estandars, et Guydons :
Et lors chascun ses forces reprendra,
Et pour l’amour de s’Amye tendra
A recouvrer Gloire, Honneur, et Butins,
Faisant congnoistre aux Espaignolz mutins,
Que longuement Fortune variable
En ung lieu seul ne peult estre amyable.
Tant plus les a Fortune autorisez,
Tant moins seront en fin favorisez,
Car la Fortune est pour ung Verre prise,
Qui tant plus luist, plustost se casse, et brise.
Voyla comment avecques Dieu j’espere,
Que nous aurons la Fortune prospere.
Si ne sçay plus que t’escrire, ou mander,
Fors seulement de te recommander
Cil, qui vers toy ceste lettre transmect :
Et si pour luy ta main blanche ne mect
La Plume en œuvre, au moins (quoy qu’il advienne)
Fais, que de luy quelcque fois te souvienne.

S’il t’en souvient, lors que tu trouveras
De mes Amys, si dure ne sera
A mon advis, que de moy ne t’enquieres :
Et qui plus est, que tu ne les requieres
De t’advertir, en quel poinct je me porte :
Lors ce seul mot, si on le me raporte,
Allegera la grand douleur des coups,
Dont j’ay esté en deux sortes secoux.
Amour a faict de mon cueur une bute,
Et Guerre m’a navré de hacquebute :
Le coup du bras le montre à veue d’œil :
Le coup du cueur le monstre par son dueil :
Ce nonobstant celluy du bras s’amende,
Celluy du cueur je le te recommande.


II

Puis qu’il te fault desloger de ce lieu,
Il m’est bien force (helas) de dire à Dieu
Par escripture au corps, qui s’en ira,
Veu que la Bouche à peine le dira.
O quel depart plein de dueil, ou liesse.
Certes croy moy (ma terrestre Deesse)
Que ton depart a vertu, et pouvoir
De me laisser ou vie, ou desespoir.
Quand ta promesse avant partir tiendras,
En tout plaisir ton Amy maintiendras :
Mais si mon cueur ne vient à son entente

A ce coup cy, je n’y ay plus d’attente,
Et si je perds icelle attente toute,
User mes jours en desespoir je doubte.
Pour ton amour j’ay souffert tant d’ennuys
Par tant de jours, et tant de longues nuictz,
Qu’il est advis à l’espoir, qui me tient,
Que desespoir le cours du Ciel retient,
A celle fin que le jour ne s’approche
De l’attendue, et desirée approche.
Ung an y a, que par toy commencée
Fut l’amytié : et sachant ta pensée
Esclave, et serf d’Amour fus arresté,
Ce que devant jamais n’avoit esté.
Ung an y a (ou il s’en fault bien peu)
Que par toy suis d’Esperance repeu.
O moys de May pour moy trop sec, et maigre :
O doulx acueil tu me sera trop aigre,
Si ma Maistresse, avant son departir,
En aultre goust ne te veult convertir.
S’ainsi n’advient, à tel Moys de l’année,
Bien me duyra couleur Noire, ou Tannée :
A ung tel moys qu’on doibt dancer, et rire,
Raison vouldra, que d’ennuy je souspire,
Veu qu’en ce temps fut faicte l’alliance,
Dont je perdray la totalle fiance.
Mais s’il te plaist, à tel Moys de l’Année
Ne me duira couleur Noire, ou Tannée.
A ung tel Moys, qu’on doibt s’esbatre, et rire,
Raison vouldra, que point je ne souspire,
Veu qu’en ce temps fut faicte l’alliance
Dont j’obtiendray la totalle fiance.
Las, s’il t’eust pleu, bien je l’eusse obtenue
Depuis le temps de la tienne venue :
Mais je congnois, que ton amour de glace
Pres de mon feu du tout se fond, et passe.
Ne me dy point que peur te faict refraindre,
Je sçay que n’as occasion de craindre :
Puis crainte, et peur retarder ne font point

Le cueur d’aulcun, quand vraye Amour le poinct.
Que diray plus ? au tour, dont je t’accuse,
Ne trouveras bien souffisante excuse.
Qu’il soit ainsi, plus tost huy, que demain
(Si ton bon sens y veult mettre la main)
Maulgré Fortune, et tout en despit d’elle,
Tu me rendras content, et toy fidelle,
Brief, rien n’y fault, sinon que ton plaisir
Soit accordant à mon ardant desir.
Or voy je bien que tu n’as pas envie
De me laisser ton cueur toute ta vie :
Car s’ainsi feust, ton Servant allié
Par Jouyssance eusses desjà lié,
Veu que souvent tu t’es dicte asseurée
Que loyaulté auroit en luy durée.
Ce nonobstant quand ton cueur vouldras prendre,
Pour t’obeir, je suis prest à le rendre.
Quand est du mien, tu le tiens enserré
En tes Prisons, et si n’a point erré :
Que pleust à Dieu ne t’avoir jamais veue,
Ou que ma vie encores feust pourveue
De sa franchise : ou que ton propre vueil
Feust ressemblant à ton si bel acueil.
Ha cher Amye, onc jour de mon vivant
Ne me trouvay de tel sorte escrivant.
Mon sens se trouble et lourdement rimoie,
Mon cueur se fend, et mon pauvre Œil larmoie,
Bien prevoians qu’apres le tien despart,
Des biens d’Amour ilz n’auront jamais part.
Doncques avant que partir, je supplie
Qu’envers moy soit ta promesse accomplie.

Ne perds l’Amy, qui ne t’a point forfaict,
Donne remede au mal, que tu as faict.
Si tu le fais, bien heureux me tiendray :
Si ne le fais, patience prendray,
M’esjouissant voiant ma foy promise
Mener la tienne en Triumphe submise.


III

Puis que le jour de mon despart arrive,
C’est bien raison que ma main vous escrive,
Ce que ne puis vous dire sans tristesse :
C’est assavoir, or à Dieu ma Maistresse,
Doncques à Dieu ma Maistresse honnorée
Jusque au retour, dont trop la demourée
Me tardera : toutefois ce pendant
Il vous plaira garder ung cueur ardant,
Que je vous laisse au partir pour hostage,
Ne demandant pour luy aultre advantage,
Fors que vueillez contre ceulx le deffendre,
Qui par desir vouldront sa place prendre.

S’il a mal faict, qu’il en soit hors jecté :
S’il et loyal, qu’il y soit bien traicté :
Que pleust à Dieu, qu’en ce cueur puissiez lire,
Vous y pourriez mille choses eslire.
Vous y verriez vostre face au vif paincte,
Vous y verriez ma loyaulté empraincte,
Vous y verriez vostre nom engravé,
Avec le deuil qui me tient aggravé
Pour ce despart : et en voiant ma peine
Certes je croy (et ma foy n’est point vaine
Qu’en souffririez pour le moins la moytié)
Par le moien de la nostre amytié,
Qui veult aussi que la moitié se sente
Du dueil, qu’aurez d’estre de moy absente.
N’aiez donc peur, deffiance, ne doubte
Qu’aultre jamais hors de mon cueur vous boute.
Je suis à vous : et depuis ma naissance
Du feu d’Amour n’ay eu tel congnoissance :
Car aussi tost que la Fortune bonne
Eut à mes yeux monstré vostre personne,
Nouveaulx soucys, et nouvelles pensées
En mon esprit je trouvay amassées.
Tant que (pour vray) mon franc, et plein desir,
Qui en cent lieux alloit pour son plaisir,
En ung seul lieu s’arresta tout à l’heure,
Et y sera jusques à ce qu’il meure.

Oublirez vous donc apres ce despart
Ce qui est vostre ? helas, quant à ma part,
Des que mon œil de loing vous a perdue,
Il me vient dire, ô Personne esperdue,
Qu’est devenue ceste claire lumiere,
Qui me donnoit liesse coustumiere ?
Incontinent d’une voix basse, et sombre
Je luy responds, Œil, si tu es en l’ombre,
Ne t’esbahis : le Soleil est caché,
Et pour toy est à plein Midy couché :
C’est asçavoir, ceste face tant claire,
Qui te souloit si contenter, et plaire
Est loing de toy. Ainsi M’amye, et Dame,
Mon Œil, et moy sans nul reconfort d’âme
Nous complaignons, quand vient à vostre absence,
En regrettant vostre belle presence.
Et puis j’ay peur (quand de vous je suis loing)
Que ce pendant Amour ne prenne soing
De desbander ses deux aveuglez yeux,
Pour contempler les vostres gracieux,
Si qu’en voyant chose tant singuliere,
Ne prenne en vous amytié familiere,
Et qu’il ne m’oste à l’aise, et en ung jour,
Ce que j’ay eu en peine, et long sejour.
Certainement si bien ferme vous n’estes,
Amour vaincra voz responses honnestes.
Amour est fin, et sa parole farde,
Pour mieulx tromper ; donnez vous en doncq garde,

Car en sa bouche il n’y a rien que Miel,
Mais en son cueur il n’a rien que Fiel.
Si vous promect, et s’il vous faict le doulx,
Respondez luy, Amour, retirez vous :
J’en ay choysi ung, qui en mainte sorte
Merite bien, que dehors moy ne sorte.
Quant est de moy, vienne Helaine, ou Venus,
Viennent vers moy m’offrir leurs corps tous nudz,
Je leur diray, retirez vous Deesses,
En meilleur lieu j’ay trouvé mes lyesses.
Ainsi tous deux tant comme nous vivrons
De Fermeté le grand Guydon suivrons,
Lequel (pour vray) Fermeté a faict paindre
De Noir obscur, qui ne se peult destaindre,
Signifiant à tous ceulx, qui conçoivent
Amour en eulx, qu’estaindre ne la doibvent.
Cestuy Guydon, et triumphante Enseigne
Nous debvons suyvre. Amour le nous enseigne.
Et s’il advient qu’Envieux, et Envie,
Reçoivent dueil de nostre heureuse vie,
Que nous en chault ? en douleur ilz mourront,
Et noz plaisirs tousjours nous demourront.

IV

Salut, et mieulx que ne sçauriez eslire,
Vous doint Amour : je vous supply de lire
Ce mien escript, auquel trouver pourrez
Ung nouveau cas, ainsi que vous orrez.
Mon cueur entier en voz mains detenu,
N’a pas long temps, vers moy est revenu,
Tout courroucé sans nulz plaisirs quelconques,
Et toutesfois aussi bon qu’il fut oncques :
Si me vint dire en plaincte bien dolente :
Homme loyal, ton amour violente
M’a mis es mains d’une que fort je prise,
Et qui (pour vray) ne peult estre reprise
Fors seulement d’un seul, et simple poinct,
Qui trop au vif (sans fin) me touche, et poingt,
C’est que sans cause est en oubly mettant
Moy ton las cueur, et toy qui l’aymes tant.
N’est ce point là trop ingrate oubliance ?
Certes j’avoys d’elle ceste fiance
Que l’on verroit Ciel, et Terre finir
Plustost qu’en moy son ferme souvenir.
Or ne se peult la chose plus nyer,
Regarde moy, je semble ung Prisonnier
Qui est sorty d’une Prison obscure,
Ou l’on n’a eu de luy ne soing, ne cure.
Eschappé suis d’elle secrettement,
Et suis venu vers toy apertment
Te supplier que mieulx elle me traicte,
Ou que vers toy je fasse ma retraicte.
Je suis ton cueur, qu’elle tient en esmoy,
Je suis ton cueur, ayes pitié de moy :
Et si pitié n’as de mon dueil extrême,
A tout le moins prens pitié de toymesme,

Car apres moy, vif tu ne demourroys,
Quand en ses mains mal traicté je mourroys,
Reçoy moy donc, et ton estomach ouvre,
A celle fin que dedans toy recouvre
Mon premier lieu, duquel tu m’as osté,
Pour estre (helas) en service bouté.
Ainsi parloit mon cueur plein de martyre,
Et je luy dy, mon Cueur, que veulx tu dire ?
D’elle tu as voulu estre amoureux,
Et puis te plainds, que tu es doloreux.
Sçais tu pas bien, qu’Amour a de coustume
D’entremesler ses plaisirs d’amertume,
Ne plus ne moins comme Espines poignantes
Sont par Nature au beau Rosier joignantes ?
Ne vueille aulcun Damoyselles aymer
S’il ne s’attend y avoir de l’amer.
Refus, Oubly, Jalousie, et Langueur
Suyvent Amours : et pource donc mon Cueur
Retourne t’en, car je te fais sçavoir,
Que je ne veulx icy te recepvoir,
Et ayme mieulx qu’en peine là sejournes,
Que pour repos devers moy tu retournes.
Voilà comment mon Cueur je vous renvoye.
Brief, puis le temps qu’il print sa droicte voye
Par devers vous, je n’ay eu le desir
De l’en tirer pour apres m’en saisir :
Et toutesfois à dire ne veulx craindre,
Qu’il n’a point eu aulcun tort de se plaindre,
Car mis l’avez hors de vostre pensée,
Sans vous avoir (que je sache) offensée.
Quand force fut d’aupres de vous partir,
Plus d’une fois me vinstes advertir,
Qu’au souvenir de vous je me fiasse,
Me requerant que ne vous oubliasse :
Ce que je feis : mais vous, qui m’advertistes,
La souvenance en oubly convertistes,

Si qu’au retour j’ay en vous esprouvé
Ce que craigniez en moy estre trouvé.
Las tous Amans au departir languissent,
Et retournans tousjours se resjouyssent :
Mais au contraire ay eu plus de tourment
A mon retour, qu’à mon departement :
Car vostre face excellente, et tant claire,
S’est faicte obscure à moy, qui luy veulx plaire :
Vostre gent corps de moy se part, et emble :
Vostre parler au premier ne ressemble,
Et vos beaulx yeux, qui tant me consoloient,
Ne m’ont point rys ainsi, comme ilz souloient.
La qu’ay je faict ? Je vous pry que on me mande
La faulte mienne, affin que je l’amende,
Et que d’y cheoir desormais je me garde.
Si rien n’ay faict, au Cueur, qu’avez en garde,
Vueillez offrir traictemens plus humains :
Car s’il mouroit loyal entre voz mains,
Tort me feriez, et de ce Cueur la perte
Seroit à vous (trop plus qu’à moy) aperte,
D’aultant qu’il est (et vous le sçavez bien)
Beaucoup plus vostre (en effect) qu’il n’est mien.

V

Si ta promesse amoureusement faicte
Estoyt venue à fin vraye, et parfaicte,
Croy (chere Sœur) qu’en ferme loyaulté
Je serviroys ta jeunesse et beaulté,
Faisant pour toy de corps, d’esprit, et d’âme,
Ce que Servant peult faire pour sa Dame.
Je ne dy pas que de ta bouche sorte
Mot, qui ne soit de veritable sorte :

Mais quand à l’œil voy ta belle stature
Et la grandeur d’une telle adventure,
Qui ne se peult meriter bonnement,
Je ne sçaurois croire qu’aucunement
Je peusse attaindre à ung si hault degré,
S’il ne me vient de ta grâce, et bon gré.
Puis que ton cueur me veulx donc presenter,
Et qu’il te plaist du mien te contenter,
Je loue Amour. Or evitons les peines,
Dont les Amours communement sont pleines :
Trouvons moien, trouvons lieu, et loisir
De mettre à fin le tien, et mien desir.
Voicy les jours de l’An les plus plaisans,
Chascun de nous est en ses jeunes ans :
Faisons donc tant que la fleur de nostre aage,
Ne suive point de tristesse l’oultrage :
Car temps perdu, et jeunesse passée
Estre ne peult par deux fois amassée.
Le tien office est, de me faire grâce :
Le mien sera, d’adviser que je fasse
Tes bons plaisirs, et sur tout regarder
Le droict chemin pour ton honneur garder.
Si te supply, que ta Dextre m’anonce
De cest escript la finalle response,
A celle fin que ton dernier vouloir
Du tout me fasse esjouyr, ou douloir.

La Sixiesme Elegie meslée d’une joye doubteuse
Le plus grand bien, qui soit en amytié,
Apres le don d’amoureuse pitié,
Est s’entrescrire, ou se dire de bouche,
Soit bien, soit dueil, tout ce qui au cueur touche :
Car si c’est dueil, on s’entre reconforte :
Et si c’est bien, sa part chascun emporte.
Pourtant je veulx (M’amye, et mon desir)
Que vous ayez vostre part d’ung plaisir,
Qui en dormant l’aultre nuict me survint.
Advis me feut, que vers moy tout seul vint
Le dieu d’Amours, aussi cler que une Estoille,
Le corps tout nud, sans drap, linge, ne toille,
Et si avoit (affin que l’entendez)
Son Arc alors, et ses yeux desbendez,
Et en sa main celluy traict bien heureux,
Lequel nous feit l’ung de l’aultre amoureux.
En ordre tel s’approche, et me va dire :
Loyal Amant, ce que ton cueur desire,
Est asseuré : celle, qui est tant tienne,
Ne t’a rien dit (pour vray) qu’elle ne tienne :
Et qui plus est, tu es en tel credit,
Qu’elle a foy ferme en ce que luy a dit.
Ainsi Amour parloit : et en parlant
M’asseura fort. Adonc en esbranlant
Ses Aesles d’or en l’Air s’en est vollé,
Et au resveil je fuz tant consollé,
Qu’il me sembla que du plus hault des Cieulx
Dieu m’envoya ce propos gracieux.
Lors prins la plume, et par escript fut mis
Ce songe mien, que je vous ay transmis,
Vous suppliant pour mettre en grand heur,
Ne faire point le Dieu d’amours menteur,
Mais tout ainsi qu’il m’en donne asseurance,
En vostre dire avoir perseverance :
Croyant tousjours que les propos, et termes
Que vous ay ditz, sont asseurez, et fermes.
En ce faisant pourray bien soustenir,

Que songe peult sans mensonge advenir :
Et si diray la Couche bien heureuse,
Où je songeay chose tant amoureuse.
O combien donc heureuse elle sera
Quand ce gent corps dedans reposera.

VII

Qu’ay je mesfaict, dictes ma chere Amye ?
Vostre Amour semble estre toute endormye.
Je n’ay de vous plus lettres, ne langage,
Je n’ay de vous ung seul petit message,
Plus ne vous voy aux lieux accoustumez :
Sont jà estainctz voz desirs alumez,
Qui avec moy d’un mesme feu ardoient ?
Où sont ces yeux, lesquelz me regardoient
Souvent en ris, souvent avecques larmes ?
Où sont les motz, qui tant m’ont faict d’alarmes ?
Où est la bouche aussi, qui m’appaisoit,
Quant tant de fois, et si bien me baisoit ?
Où est le cueur, que irrevocablement
M’avez donné ? où est semblablement
La blanche main, qui bien fort m’arrestoit,
Quand de partir de vous besoing m’estoit ?
Helas (Amans) helas se peult il faire,
Qu’Amour si grand se puisse ainsi desfaire ?
Je penseroys plustost que les Ruisseaux

Feroient aller encontre’mont leurs eaux,
Considerant que de faict, ne pensée
Ne l’ay encor (que je sache) offensée.
Doncques Amour, qui couves soubz tes aesles
Journellement les cueurs des Damoyselles,
Ne laisse pas trop refroidir celluy
De celle là, pour qui j’ay tant d’ennuy.
Ou trompe moy en me faisant entendre,
Qu’elle a le cueur bien ferme, et fust il tendre.

VIII

Dictes, pourquoy vostre amytié s’efface
O Cœur ingrat soubz angelicque face ?
Dictes le moy, car sçavoir ne le puis,
Tousjours loyal ay esté, et le suis :
Il est bien vray, qu’ardant est mon service,
Mais d’avoir faict en servant ung seul vice,
Il n’est vivant lequel me sceust reprendre,
Si trop aymer pour vice ne veult prendre.
Las pourquoy doncq laissez vous le cueur pris
D’amour si grand ? Avez vous entrepris
De mettre fin à sa dolente vie ?
Mieulx eut valu (puis qu’en avez envie)
Que consumé l’eussiez à vous servir,
Qu’en le laissant, sans point le desservir.
Mais qui a meu du Monde la plus belle
A me laisser ? est ce amytié nouvelle ?
Je croy que non : Qui vous faict doncq changer
Si bon propos ? Seroit ce point Danger ?
C’est luy pour vray. Danger par Jalousie
Chasse l’amour de vostre fantasie,
Et en son lieu toute craincte y veult mettre :
Ce que ne doibt ung gentil cueur permettre.
Craincte est obscure, Amour est nette, et blanche :
Craincte est servile, Amour est toute franche :
Amour faict vivre, et Craincte faict mourir.

Si vous souffrez en elle vous nourrir
Ceste beaulté de Vertu acueillie
Se passera comme une fleur cueillie.
Mais quand Amour de vous ne partira,
Telle beaulté plus en plus florira.
Et d’aultre part en est il, qui frequentent
Le train d’Amours, sans que l’assault ilz sentent
De ces Jaloux ? Où pensez vous qu’ilz soyent ?
Si pour cela toutes Dames laissoient
Leurs Serviteurs, ainsi comme vous faictes,
Toutes Amours par tout seroient deffaictes.
Ce n’est pas tout que d’aymer seulement,
Il fault aymer perpetuellement,
Et lors que plus Jalousie se fume,
Lors que Danger plus sa cholere alume,
Et que Rapport plus se mect à blasmer,
Lors se doibt plus vraye amour enflammer
Pour leur montrer qu’Amour est plus puissante,
Que leur Rigueur n’est amere, et cuysante.
Ce neantmoins vostre plaisir soit faict :
Il est en vous de me faire (en effect)
Souffrir à tort : mais en vostre puissance
N’est pas d’oster la grande obeissance,
Et l’amytié qu’ay en vous commencée :
Plustost mourir que changer ma pensée.

IX

La grand Amour, que mon las cueur vous porte,
Incessamment me conseille, et enhorte
Vous consoller en vostre ennuy extrême :
Mais (tout bien veu) je treuve que moymesme
Ay bon besoing de consolation

Du dueil, que j’ay de vostre affliction.
J’en ay tel dueil qu’a peine eusse sceu mettre
Sur le papier ung tout seul petit Metre,
Si le desir, qu’ay à vostre service,
N’eust esté grand, et plein d’amour sans vice.
O Dieu du Ciel, qu’amour est forte chose.
Sept ans y a que ma main se repose
Sans voulenté d’escrire à nulle femme,
M’eust elle aymé soubz tresardante flamme :
Et maintenant (las) une Damoyselle
Qui n’a sur moy affection, ne zelle,
Me faict pour elle employer Encre, et Plume,
Et sans m’aymer, d’un feu nouveau m’allume.
Or me traictez ainsi qu’il vous plaira :
En endurant mon cueur vous servira :
Et ayme mieulx vous servir en tristesse,
Qu’aymer ailleurs en joye, et en lyesse.
D’où vient ce point ? Certes il fault bien dire,
Qu’en vous y a quelcque grâce, qui tire
Les cueurs à soy. Mais laquelle peult ce estre ?
Seroit ce point vostre port tant à dextre ?
Seroit ce point les traictz de voz beaulx yeux,
Ou ce parler tant doulx, et gratieux ?
Seroit ce point vostre bonté tant sage,
Ou la haulteur de ce tant beau corsage ?
Seroit ce point vostre entiere beaulté,
Ou ceste doulce honneste privaulté ?
C’est ceste là (ainsi comme il me semble)
Ou si [ne] faulx, ce sont toutes ensemble.
Quoy que ce soit, de vostre amour suis pris :
Encor je loue Amour en mes espritz,
De mon cueur mettre en ung lieu tant heureux,
Puis qu’il falloit que devinse amoureux.
Donc puis qu’Amour m’a voulu arrester

Pour vous servir, plaise vous me traicter,
Comme vouldriez vous mesme estre traictée,
Si vous estiez par Amour arrestée.

X

Amour me feit escrire au Moys de May
Nouveau refrain, par lequel vous nommay
(Comme sçavez) la plus belle de France :
Mais je failly, car veu la souffisance
De la beaulté, qui dessus vous abonde,
Dire debvois, la plus belle du Monde :
Ce qui en est, et qu’on en voit, m’accuse
De telle faulte, et vostre amour m’excuse,
Qui troubla tant mes doloreux espritz,
Que France alors pour le Monde je pris.
O doncques vous du Monde la plus belle,
Ne cachez pas ung cueur dur, et rebelle
Soubz tel beaulté : ce seroit grand dommage :
Mais à mon cueur, qui vous vient faire hommage,
Faictes recueil : je vous en fais present,
Voyez le bien, il est (certes) exempt
De faulx Penser, Fainctise, ou Trahison,
Il n’a sur luy faulte, ne mesprison,
En luy ne sont aulcunes amours vaines,
Tout ce qu’il a de maulvais, ce sont peines,
Qui de par vous y ont este boutées,
Et qui sans vous n’en peulvent estre ostées.
Si vous supply, m’Amye, et mon recours,
Belle, en qui gist ma mort, ou mon secours,
Prenez mon cueur, que je vous viens offrir,
Et s’il est faulx, faictes le bien souffrir,
Mais s’il est bon, et de loyalle sorte,
Arrachez luy tant de peines, qu’il porte.

XI

Pour à plaisir ensemble deviser,
On ne sçauroit meilleur temps adviser
Que de Noël la Mynuict, et la Veille.
En ceste nuict le Dieu d’Amours resveille
Ses Serviteurs, et leur va commendant
De ne dormir, mais rire, ce pendant
Que Faulx Dangier, Maubec, et Jalousie
Sont endormis au Lict de Fantasie.
O nuict heureuse, ô doulce noire nuict,
Ta noireté aux Amans point ne nuyt,
Plus tost endort les langues serpentines :
Si que faignant d’aller droit à Matines,
Plusieurs Amans peulvent bien (ce me semble)
En lieu secret se rencontrer ensemble.
Les Prebstres lors bien hault chantent, et crient,
Et les Amans tout bas leurs Dames prient,
Et puis entre eulx comptent de leurs fortunes,
En mauldissant les langues importunes,
Ou en disant choses, qui mieulx leur plaisent.
Puis les Servans par coups leurs Dames baisent,
Et en baisant, à elles ilz se deulent
Pour avoir mieulx : lors si les Dames veulent,
Maulgré Danger, et toute sa puissance,
A leurs amys donneront jouyssance :
Car noire nuyct, qui des Amans prend cure,
Les couvrira de sa grand Robe obscure.
Et si rendra (ce pendant) endormys
Ceulx, qui d’Amours sont mortelz ennemys.
Qu’en dictes vous ma Maistresse, et M’amye ?
Si vous voulez n’estre point endormye
Ceste nuyt là, de veiller suis content

Avecques vous, car mon vouloir ne tend
Qu’a vous complaire. Or pour nous resjouyr,
Si vous voulez les Matines ouyr
Là, où sçavez, il n’est Chambre si bonne,
Ne si bon Lict, que du tout n’abandonne
Pour me trouver : car pour final propos,
Dedans ung Lict ne gist point mon repos :
Il gist en vous, et en vous je le quiers :
Donnez le moy doncques, je vous requiers.

XII

Le juste dueil remply de fascherie
Qu’eustes hersoir par la grand resverie
De l’homme vieil, ennemy de plaisir,
M’a mis au Cueur ung si grand desplaisir,
Que toute nuyct repos je n’ay sceu prendre :
Aussi seroit à blasmer, et reprendre
Le Serviteur, qui porter ne sçauroit
Le mesme dueil, que sa Maistresse auroit.
Certainement ma Nymphe, ma Deesse,
Quand joye avez, je suis plein de liesse,
Et quand douleur au cueur vous touche, et poingt,
Je ne reçoy de plaisir ung seul poinct.
Toute la nuyct je disois à par moy,
Helas, fault il qu’elle soit en esmoy
Par le parler, et par la langue amere
D’ung, qui la trouve et Mere, et plus que Mere ?
Que pourra il faire à ses Ennemys,
Quand il veut nuyre à ses meilleurs Amys ?
Ainsi disoys, ayant grand confiance
Que vostre Cueur bien armé de Constance
Plus grans assaulx sçauroit bien soustenir,
Et que le mal qui en pourroit venir
Ne pourroit pas tumber que sur la teste
Du mal parlant, qui trop se monstra beste.

Et quand j’euz bien viré, et reviré
Dedans mon Lict, et beaucoup souspiré,
Je priay fort Amour, qui m’assailloit,
Laisser dormir mon esprit, qui veilloit :
Mais lors Amour de rigueur m’a usé :
Car le dormit du tout m’a refusé,
Me commandant de composer, et tistre
Toute la nuyct ceste petite Epistre,
Pour au matin ung peu vous conforter
Du dueil, qu’hersoir il vous convint porter.
Or ay je faict le sien commandement :
Si vous requiers (ma Maistresse) humblement,
Que vostre Cueur tant noble, et gracieux
Chasse dehors tout ennuy soucieux.
En le chassant, le mien vous chasserez :
Priant Amour, qu’en tous lieux, où serez,
Vienne plaisir, et tristesse s’enfuye,
Et que Vieillard jamais ne vous ennuye.

XIII

L’esloignement, que de vous je veulx faire,
N’est pour vouloir m’exempter, et deffaire
De vostre amour, encor moins du service :
C’est pour tirer mon loyal cueur sans vice
Du feu, qui l’ard par trop grand amytié :
Et est besoing, qu’il treuve en moy pitié,
Veu que de vous pour toute recompense.
N’a que rigueur, et mieulx trouver n’y pense :
Car de vous n’ay encor ouy responce,
Qui ung seul brin de bon espoir m’anonce.

Si fault il bien que vostre cueur entende,
Qu’il n’y a chose au Monde, qui ne tende
A quelcque fin. Homme ne suyt la guerre,
Que pour honneur, ou proufit y acquerre :
Qui ces deux poinctz de la guerre osteroit,
A y servir nul ne se bouteroit.
Homme ne suit le train d’Amours aussi,
Que soubz espoir d’avoir don de mercy :
Et qui ce poinct en osteroit en somme,
D’amour servir ne se mesleroit homme.
Ce nonobstant, vostre je demourray :
Mais ce sera le plus loing que pourray :
Car que me vault veoir de pres, et congnoistre
Tant de beaulté, fors d’atiser, et croistre
Mon nouveau feu ? J’ay tousjours ouy dire,
Qui plus est pres, plus ardemment desire :
Parquoy pour moins ardemment desirer,
Raison me dit qu’il me fault retirer,
En m’asseurant (si je croy son propos)
Que mon esprit par temps aura repos :
Et si promect rendre à ma triste vie
La liberté, que luy aurez ravie :
Et vostre amour (helas) ne me promect
Fors desespoir, qui au tombeau me mect.
Ay je donc tort, si raison je veulx croire
Plustost qu’Amour, qui en mes maulx prend gloire ?
Las, s’en ouvrant ceste bouche vermeille
Vous eussiez mis en mon Cueur par l’oreille
Ung mot d’espoir, travaulx, ennuyz, et peines
M’eussent (pour vous) semblé liesses pleines :
Car doulx espoir conforte la pensée,
Qui bien s’attend d’estre recompensée.
Et moy, qui n’ay espoir, ne seulle attente,
Comment feray ma pensée contente,

Fors en fuyant la cause de son dueil ?
Là, et au temps gist l’espoir de mon vueil.
Le temps (pour vray) efface toutes choses :
Au long aller mes tristesses encloses
Effacera : toutesfoys attendant
Remede tel, j’endure ce pendant :
Dont maintesfoys vostre face tant belle
Mauldis tout seul d’avoir cueur si rebelle.
Que pleust à Dieu ne l’avoir oncq pu veoir
Ou souvenir jamais d’elle n’avoir.
Croyez de vray que ma presente plaincte
N’est composée en courroux ; ny en faincte :
Faindre n’est point le naturel de moy :
Parquoy vous pry n’en prendre aulcun esmoy,
Ne me hayr, si je [suis] mon contraire, [fuys]
A qui je veulx plus que jamais complaire :
Mais c’est de loing : et pour en faire espreuve,
Commandez moy. Pour vous certes je treuve
Facile chose à faire, ung impossible,
Et fort aisée à dire, ung indicible.
Commandez donc, car je l’accompliray,
Et sur ce poinct un A Dieu vous diray,
Partant du cueur de vostre amour attainct,
Et qui s’attend d’en veoir le feu estainct
Par s’esloigner, puis qu’on ne veult l’estaindre
Par eaue de grâce, où bien vouldroit attaindre.

XIV

Si ma complaincte en vengeance estoit telle,
Comme tu es en abus, et cautelle,
Croy que ma Plume amoureuse, et qui t’a
Tant faict d’honneur, dont tresmal s’acquitta,
Croy qu’elle auroit desjà jecté fumée
Du stile ardant, dont elle est alumée,
Pour du tout rendre aussi noir que Charbon
Le tien bon bruit si tu en as de bon ;

Mais pas ne suis assez vindicatif
Pour ung tel cueur si faulx, et deceptif :
Et neantmoins si me fault il changer
Mon naturel, pour de toy me venger,
A celle fin que mon cueur se descharge
Du pesant faix, dont ta ruse le charge :
Aussi affin de te faire sçavoir,
Qu’à trop grand tort m’as voulu decepvoir,
Veu qu’en mon cueur ta basse qualité
N’a veu qu’Amour, et Liberalité.
Sus donc ma Plume, ores soys ententive
D’entrer en feu d’aigreur vindicative :
Mon juste dueil t’en requiert pour tout seur,
Ne cherche pas termes pleins de doulceur :
Ne trouve Azur, ny Or, en ton chemin,
Ne fin Papier, ne vierge Parchemin,
Pour mon propos escrire rien ne valent.
Cherche des motz, qui tout honneur ravalent,
Trouve de l’encre espesse, et fort obscure,
Avec Papier si gros, qu’on n’en ayt cure :
Et là dessus escriz termes mordans
D’ung traict lisible à tous les regardans,
Pour (à bon droit) rendre celle blasmée
Qu’a bien grand tort tu as tant estimée.
Incontinent, desloyalle Fumelle,
Que j’auray faict, et escript ton Libelle,
Entre les mains le mettray d’une femme,
Qui appellée est Renommée, ou Fame,
Et qui ne sert qu’à dire par le Monde
Le bien, ou mal de ceulx, où il abonde.
Lors Renommée avec ses aesles painctes
Ira volant en Bourgs, et Villes maintes,
Et sonnera sa Trompette d’Argent
Pour autour d’elle assembler toute gent :
Puis hault, et cler de cent langues, qu’elle a,
Dira ta vie ; et puis deçà, et là
Ira chantant les fins tours, dont tu uses,

Tes Laschetez, tes Meschances, et Ruses.
Ainsi sera publié ton renom
Sans oublier ton nom, et ton surnom,
Pour et affin que toute Fille bonne
Ne hante plus ta maulvaise personne.
Filles de bien n’en vueillez approcher,
Fuyez d’autant comme honneur vous est cher,
Fuyez du tout, fuyez la Garse fine,
Qui soubz beaulx dictz ung vray Amant affine :
Et si au jour de ses Nopces elle a
Cheveulx au vent, ne souffrez pas cela :
Ou si au chief luy trouvez attaché
Chappeau de fleurs, qu’il luy soit arraché :
Car il n’affiert à Garses diffamées
User des droictz de Vierges bien famées.
Vray est qu’elle est ung jeune personnage,
Mais sa malice oultrepasse son aage.
Donc que sera ce au temps de ta vieillesse ?
Tiendras tu pas escoles de finesse ?
Certes ouy. Car Medée, et Circé
Si bien que toy n’en ont l’art exercé.
Vray est, qu’avant que tu soys deffinée,
Par affiner te verras affinée,
Si que desjà commence à me venger
Voyant de loing venir ton grand danger.
Qui te mouvoit lasche cueur dangereux
A m’envoyer tant d’escriptz amoureux ?
Par tes escriptz feu d’amour attisoys,
Par tes escriptz mourir pour moy disoys,
Par tes escriptz tu me donnois ton Cueur :
O don confict en maulvaise liqueur.
M’as tu pas faict par escripture entendre,
Que tout venoit à point, qui peult attendre ?
Veulx tu nyer, que par là n’accordasses

A mon vouloir, et que ne t’obligeasses,
Lors qu’à mes dons ta main prompte estendoys ?
Tu sçavois bien la fin où je tendoys :
Mais ton faulx cueur trouva l’invention
De varier à mon intention :
Car mariage en propos vins dresser,
Pour qui à moy ne te fault adresser.
Ce n’est pas toy que chercher je vouldroye,
En cest endroit de beaucoup me tordroye :
Et en la sorte encor que je t’ay quise,
Je m’en repens congnoissant ta fainctise.
Mon cueur loyal, que je t’avoys donné,
Par devers moy tout triste est retourné.
Et m’a bien sceu reprocher, que j’ay tort
De l’avoir mis en ung logis tant ord.
Si qu’à present ne prend aultre allegeance
Qu’au passe temps de sa juste vengeance,
Que je feray tant que jeune seras :
Mais quand verray que tu te passeras,
Je cesseray ceste vengeance extrême,
Car lors de moy me vengeras toy mesme
Par le regret ; que ton cueur esperdu
Aura, d’avoir ung tel Amy perdu.

XV

Ton gentil cueur si haultement assis,
Ton sens discret à merveille rassis,

Ton noble port, on maintien asseuré,
Ton chant si doulx, ton parler mesuré,
Ton propre habit, qui tant bien se conforme
Au naturel de ta tresbelle forme :
Brief, tous les dons, et grâces, et vertus,
Dont tes espritz sont ornez, et vestus,
Ne m’ont induict à t’offrir le service
De mon las cueur plein d’amour sans malice.
Ce fut (pour vray) le doulx traict de tes yeux,
Et de ta bouche aulcuns motz gracieux,
Qui de bien loing me vindrent faire entendre
Secretement, qu’à m’aymer vouloys tendre.
Lors tout ravy (pource que je pensay
Que tu m’aymois) à t’aymer commencay :
Et pour certain aymer je n’eusse sceu,
Si de l’amour ne me feusse apperceu,
Car tout ainsi que flamme engendre flamme,
Fault que m’amour par aultre amour s’enflamme.
Et qui diroit que tu as faict la faincte
Pour me donner d’amour aulcune estraincte,
Je dy que non, croyant que mocquerie
En si bon lieu ne peult estre cherie.
Ton cueur est droict, quoy qu’il soit rigoreux,
Et du mien (las) seroit tout amoureux,
Si ce n’estoit fascheuse deffiance,
Qui à grand tort me pourchasse oubliance.
Tu crains (pour vray) que mon affection
Soit composée avecques fiction.
Esprouve moy. Quand m’auras esprouvé,

J’ay bon espoir, qu’aultre seray trouvé.
Commande moy jusques à mon cueur fendre,
Mais de t’aymer ne me vien point deffendre.
Plustost sera Montaigne sans Vallée,
Plustost la Mer on voirra dessalée,
Et plustost Seine encontremont ira,
Que mon amour de toy se partira.
Ha Cueur ingrat, Amour, qui vainq les Princes,
T’a dict cent foys, que pour Amy me prinses.
Mais quand il vient à cela t’inspirer,
Tu prens alors peine à t’en retirer.
Ainsi Amour par toy est combatu,
Mais garde bien d’irriter sa vertu :
Et si m’en croys, fay ce qu’il te commande :
Car si sur toy de cholere il desbande,
Il te fera par adventure aymer
Quelcque homme, sot, desloyal, et amer,
Qui te fera mauldire la journée
De ce qu’à moy n’auras t’amour donnée.
Pour fuyr donc tous ces futurs ennuys,
Ne me fuy point. A quel raison me fuys ?
Certes tu es d’estre aymée bien digne,
Mais d’estre aymé je ne suis pas indigne.
J’ay en tresor jeunes ans, et santé,
Loyalle amour, et franche voulenté,
Obeissance, et d’aultres bonnes choses,
Qui ne sont pas en tous hommes encloses,
Pour te servir, quand il te plaira prendre
Le cueur, qui veult si hault cas entreprendre.
Et quand le bruit courroit de l’entreprise,
Cuideroys tu en estre en rien reprise ?

Certes plustost tu en auroys louange,
Et diroit l’on, puis que cestuy se renge
A ceste Dame, elle a beaucoup de grâces :
Car long temps a, qu’il suyt en toutes places
Le train d’Amour : celle qui l’a donc pris,
Fault qu’elle soit de grand estime ; et pris.
Ilz diront vray. Que ne faisons nous doncques
De deux cueurs ung ? Brief, nous ne fismes oncq
Œuvre si bon. Noz constellations,
Aussi l’accord de noz conditions
Le veult et dit : Chascun de nous ensemble,
En mainte chose (en effect) se resemble.
Tous deux aymons gens pleins d’honnesteté,
Tous deux aymons honneur, et netteté,
Tous deux aymons à d’aulcun ne mesdire,
Tous deux aymons ung meilleur propos dire,
Tous deux aymons à nous trouver en lieux,
Où ne sont point gens melancolieux,
Tous deux aymons la musique chanter,
Tous deux aymons les livres frequenter :
Que diray plus ? Ce mot là dire j’ose,
Et le diray, que presque en toute chose
Nous ressemblons, fors, que j’ay plus d’esmoy,
Et que tu as le cueur plus dur que moy :
Plus dur (helas) plaise toy l’amollir
Sans ton premier bon propos abolir,
Et en voulant en toymesmes penser
Qu’Amour se doibt d’amour recompenser.
Las vueilles moy nommer doresnavant

Non pas Amy, mais treshumble Servant,
Et me permetz, allegeant ma destresse,
Que je te nomme (entre nous) ma Maistresse.
S’il ne te plaist, ne laisseray pourtant
A bien aymer : et ma douleur portant
Je demourray ferme, et plein de bon zelle,
Et toy par trop ingrate Damoyselle.

XVI

Qui eust pensé, que l’on peust concepvoir
Tant de plaisir pour lettres recepvoir ?
Qui eust cuidé le desir d’ung Cueur franc
Estre caché dessoubz ung Papier blanc ?
Et comment peult ung Œil au Cueur eslire
Tant de confort par une lettre lire ?
Certainement Dame treshonnorée
J’ay leu des Sainctz la Legende dorée,
J’ay leu Alain le tresnoble Orateur,
Et Lancelot le tresplaisant menteur,
J’ay leu aussi le Romant de la Rose
Maistre en amours, et Valere, et Orose

Comptans les faictz des antiques Romains :
Brief, en mon temps j’ay leu des Livres maintz,
Mais en nul d’eux n’ay trouvé le plaisir,
Que j’ay bien sceu en voz lettres choysir.
Je y ay trouvé ung langage begnin,
Rien ne tenant du stile feminin :
Je y ay trouvé suite de bons propos,
Avec ung mot, qui a mis en repos
Mon Cueur estant travaillé de tristesse,
Quand me souffrez vous nommer ma Maistresse.
Dieu vous doint donc, ma Maistresse tresbelle
(Puis qu’il vous plaist qu’ainsi je vous appelle)
Dieu vous doint donc amoureux appetit
De bien traicter vostre Servant petit.
O moy heureux d’avoir Maistresse au Monde,
En qui Vertu soubz grand beaulté abonde !
Tel est le bien, qui me fut apporté
Par vostre Lettre, où me suis conforté,
Dont je maintiens la plusme bien heurrée,
Qui escripvit Lettre tant desirée.
Bien heureuse est la main, qui la ploya,
Et qui vers moy (de grâce) l’envoya :

Bien heureux est, qui apporter la sceut,
Et plus heureux celluy, qui la receut.
Tant plus avant ceste Lettre lisoys
En aise grand, tant plus me deduisoye :
Car mes ennuys sur le champ me laisserent,
Et mes plaisirs d’augmenter ne cesserent,
Tant que j’euz leu ung mot, qui ordonnoit,
Que ceste Lettre ardre me convenoit.
Lors mes plaisirs d’augmenter prindrent cesse :
Pensez adonc en quelle doubte, et presse
Mon cueur estoit. L’obeissance grande
Que je vous doy, brusler me la commande :
Et le plaisir que j’ay de la garder,
Me le deffend, et m’en vient retarder.
Aulcunesfois au feu je la boutoye.
Pour la brusler : puis soubdain l’en ostoys,
Puis l’y remis, et puis l’en recullay,
Mais à la fin (à regret) la bruslay
En disant, Lettre (apres l’avoir baisée)
Puis qu’il luy plaist, tu seras embrasée :
Car j’ayme mieulx dueil en obeissant,
Que tout plaisir en desobeissant.
Voylà comment pouldre, et cendre devint
L’ayse plus grand qu’à moy oncques advint.
Mais si de vous j’ay encor quelcque Lettre,
Pour la brusler ne la fauldra que mettre

Pres de mon Cueur : là elle trouvera
Du feu assez, et si esprouvera,
Combien ardente est l’amoureuse flamme,
Que mon las cueur pour voz vertus enflamme.
Aumoins en lieu des tourmens, et ennuys,
Que vostre amour me donne jours, et nuyctz,
Je vous supply de prendre (pour tous mectz)
Ung crystallin Myroir, que vous transmectz.
En le prenant, grand joye m’adviendra,
Car (comme croy) de moy vous souviendra,
Quand là dedans mirerez ceste face,
Qui de beaulté toutes aultres efface.
Il est bien vray, et tiens pour seureté,
Qu’il n’est Myroir, ne sera, n’a esté,
Qui sceust au vif monstrer parfaictement
Vostre beaulté : mais croyez seurement,
Si voz yeux clers plus que ce Crytallin
Veissent mon cueur feal, et non maling,
Ilz trouveroient là dedans imprimée
Au naturel vostre face estimée.
Semblablement avec vostre beaulté
Vous y verriez la mienne loyaulté,
Et la voyant, vostre gentil courage
Pourroit m’aymer quelcque poinct d’advantage :
Pleust or à Dieu doncques que puissiez veoir
Dedans ce Cueur, pour ung tel heur avoir :
C’est le seul bien, où je tends, et aspire.
Et pour la fin, rien je ne vous desire,
Fors que cela que vous vous desirez :
Car mieulx que moy voz desirs choysirez.



XVII

Tous les Humains, qui estes sur la Terre,
D’aupres de moy retirez vous grand erre :
Ne oyez le dueil, que mon las cueur reçoit,
Je ne veulx pas que de âme entendu soit,
Fors seulement de ma seule Maistresse,
A qui pourtant ma plaincte ne s’adresse :
Car quand pour elle en langueur je mourroys,
D’elle (pour vray) plaindre ne me pourrois.
D’elle, et d’Amour ne me plainds nullement,
Mais Amour doibt mercier doublement :
Et doublement à luy je suis tenu,
Quand double bien par luy m’est advenu,
De me submettre en lieu tant estimé,
Et d’avoir faict, que là je suis aymé.
Pourquoy d’ennuy suis je doncques tant plein ?
A trop grand tort (ce semble) me complain,
Veu que plaisir plus grand on ne peult dire,
Que d’estre aymé de celle, qu’on desire.
A dire vray, ce m’est grande liesse,
Mais à mon cueur trop plus grand ennuy est ce
De ce, que n’ose user de privaulté
Vers une telle excellente beaulté.
Amour veult bien me donner ce credit :

Mais pour certain Danger y contredit,
Nous menassant de nous faire reproche,
Si l’ung de nous trop pres de l’aultre approche.
O Dieu puissant, quelle grande merveille :
Est il [doulceur] à la mienne pareille ? [douleur]
A ma grand soif la belle eaue se presente,
Et si convient que d’en boyre m’exempte.
Brief, on me veult le plus grand bien du Monde,
Et tout ce bien plus à mal me redonde
Que si ma dame estoit vers moy rebelle,
Veu que sembant n’ose faire à la Belle,
De qui l’amour (par sa grâce) est à moy :
Ainsi je semble en peine, et en esmoy
A cil, qui a tout l’or, qu’on peult comprendre,
Et n’oseroit ung seul denier en prendre.
Ce neantmoins, puis que s’amour me baille,
Je serviray, quelcque ennuy qui m’assaille :
Et ayme mieulx en s’amour avoir peine,
Que sans s’amour avoir liesse pleine.
Helas de nuyct elle est mieulx que gardée,
Et sur le jour de cent yeux regardée,
Plus que jadis n’estoit Io d’Argus,
Qui eut au Chef cent yeux clers, et agus :
Si ne fault pas s’esbahyr grandement,
Si on la garde ainsi soigneusement :
Car voulentiers la chose pretieuse
Est mise à part en garde soucieuse.
Or est ma Dame une perle de pris
Inestimable à tous Humains espritz
Pour sa valeur. Que diray d’advantage ?
C’est le tresor d’ung riche parentage :
Que pleust à Dieu, que la fortune advint,
Quand je vouldrois, que Bergere devint.
S’ainsi estoit, pour l’aller veoir seulette,
Souvent feroys de ma Lance Houlette,

Et conduyrois, en lieu de grands Armées,
Brebis aux Champs costoyez de ramées.
Lors la verroys seant sur la Verdure,
Et luy diroys la peine que j’endure
Pour mon amour, et elle orroyt ma plaincte
Tout à loisyr, sans de nul avoir craincte :
Car loing seroient ceulx, qui de nuyct la gardent,
Et les cent yeux, qui de jour la regardent,
Ne la verroient. Le faulx traistre Danger
Vers elle aux Champs ne se viendroit renger.
Tousjours se tient en ces maisons Royalles,
Pour faire guerre aux personnes loyalles.
Ainsi estant en liberté champestre
La requerroys d’ung baiser. Et peult estre
Me donneroit, pour du tout m’appaiser,
Quelcque aultre don par dessus ung baiser :
Si me vauldroit l’estat de Bergerie,
Plus que ma grande, et noble Seigneurie.
O vous Amans, qui aymez en lieu bas,
Vous avez bien en Amours voz esbas.
Si n’ay je pas envie à vostre bien :
Mais en Amours avoir je vouldroys bien
La liberté à la vostre semblable.
Qu’en dictes vous ma Maistresse honnorable ?
Ces miens soubhaictz vous desplaisent ilz point ?
Je vous supply ne les prendre qu’à point,
Recongnoissant, que l’amour que vous porte,
Faict que mon cueur en desirs se transporte.
Et pour fermer ma complaincte accomplie,
Treshumblement vostre grâce supplie,

Perseverer en l’amour commencée,
Et ne l’oster de si noble pensée.
Quant est à moy, seule vous serviray
Tout mon vivant, et pour vous souffriray
Jusques au jour que Fortune vouldra,
Que par mercy ma grand peine fauldra.

XVIII

Filz de Venus voz deux yeux desbendez,
Et mes escriptz lisez, et entendez,
Pour veoir comment,
D’ung desloyal servie me rendez :
Las punissez le, ou bien luy commandez
Vivre aultrement.
Je l’ay receu de grâce honnestement,
De moy mesdit par tout injustement,
Et me blasonne.
Helas fault il, qu’apres bon traictement,
Ung Serviteur blasme indiscretement
Sa Dame bonne ?
Que seront ceulx, qu’on chasse, et abandonne,
Si ceulx, à qui le bon recueil on donne,
Vivent ainsi ?
Il fault, Amour, que peine on leur ordonne :
Car plus à vous, qu’à nulle aultre personne,
Touche cecy.
Si à telz gens faictes grâce, et mercy,
Noir deviendra vostre Regne esclercy,
Et sans police.
Et n’y aura femme ne fille aussy,
Qui ose aymer craignant d’avoir soucy
Par leur malice.

La maulvaise Herbe il fault qu’elle perisse,
Et la Brebis mal saine fault qu’elle ysse
Hors des trouppeaux.
Jectez donc hors de l’amoureux service
Ce mesdisant, qu’il n’appreigne son vice
A voz feaulx.
Certes on voit aux Champs les Pastoureaux
Leur foy garder mieulx que leurs gros Taureaux
Sans nul mal dire.
Mais en Palais, grands Villes, et Chasteaux
Foy n’y est rien, langues y sont cousteaux
Par trop mesdire.
Las qu’ay je dit ? Pardonnez à mon ire,
Tous ne sont telz : j’en ay bien sceu eslire
Ung tresloyal :
A qui mon cueur se lamente, et souspire,
Des maulx que j’ay par l’aultre, qui est pire,
Que desloyal.
A l’un (pour vray) l’aultre n’est pas esgal :
L’un est bon fruict, et l’aultre Reagal,
Poison mortelle.
L’un est d’esprit, l’aultre est gros animal :
L’un parle en bien, l’aultre tousjours dit mal :
Sa langue est telle.
De l’ung reçoy tourment dur, et rebelle :
De l’aultre j’ay consolation belle,
Dieu sçait combien.
Brief, amytié n’a point peine eternelle :
Apres le mal j’ay rencontré en elle
Singulier bien.

O toy mon Cueur bien heureux je te tien,
D’avoir trouvé ung tel Serviteur tien,
Qui te conforte.
Et à bon droict je me complain tresbien,
Que je ne l’ay plus tost retenu mien,
Congneu sa sorte.
Las de mon cueur luy ay fermé la porte,
Pour à celluy, qui mal de moy rapporte,
Mon cueur unir.
Grand mal je fey, aussi peine j’en porte :
Et croy, que Dieu me l’envoye ainsi forte,
Pour m’en punir.
Par ses faulx tours me suis veu advenir
Ung grand vouloir de ne me souvenir
D’homme, qui vive.
Mais pour les faulx les bons me fault bannir :
Et puis d’aymer on ne se peult tenir,
Quoy qu’on estrive.
Tel veult fuyr, qui plus pres en arrive :
Si loue Amour, qui plus qu’à femme vive,
Ma faict cest heur
De me monstrer la malice excessive,
D’ung faulx Amant, et la bonté nayve
D’ung Serviteur.

XIX

Tant est mon cueur au vostre uny, et joinct,
Qu’impossible est, que l’ennuy, qui vous poinct,
Ne sente au vif : mais si vostre constance

Venoit à faire à l’ennuy resistance,
Lors sortiriez de desolation,
Et j’entreroys en consolation,
En vous voiant n’estre plus desolée.
Si n’ay je empris vous rendre consolée
En cest escript, pour seulement oster
Le mal, que j’ay de vous veoir mal porter.
Plus tost vouldrois, certes, qu’il feust permis,
Que vostre dueil avec le mien feust mis,
Aimant plus cher avoir double destresse,
Que d’en veoir une en ma Dame, et Maistresse :
Mais le moien plus souverain seroit,
Quand par vertu tel ennuy cesseroit.
La vertu propre en cestuy cas, c’est force,
Qui dueil abat, et les tourmens efforce.
Je ne dy point force de corps, et bras :
S’ainsi estoit, les Taureaux gros, et gras,
Lyons puissans, Elephans monstrueux.
Seroient beaucoup (plus que nous) vertueux :
Ce que j’entends, c’est force de courage
Pour soubstenir de infortune l’Orage,
Et resister à survenans malheurs.
N’est elle point parmy voz grands valeurs
Ceste vertu ? Si est abondamment :
Vueillez la donc monstrer evidemment
En cest ennuy. Les estoilles celestes
Jamais ne sont que de nuyct manifestes :
Aussi confiance en nous ne peult bien luire,
Qu’au temps obscur, que douleur nous vient nuire.
Aux grands assaulz acquiert on les Honneurs,
Et tant plus sont aigres les Blasonneurs,

Plus le Constant a de loz meritoire.
Si ne fault point sur eulx chercher victoire :
Ilz se vaincront, tant sont ilz malheureux,
Faisant tumber tous les blasmes sur eulx.
Mais qui est cil, ne celle en cestuy Monde,
En qui douleur par faulx rapport n’abonde ?
Avant que nul jamais soit icy né,
A ceste peine il est predestiné :
Et tant plus est la personne excellente,
Plus est subjecte à l’aigreur violente
De telz assaultz. Vous doncques accomplie
De dons exquis, dictes, je vous supplie,
Cuidez vous bien fuyr les violences
Des mesdisans avec voz excellences ?
Si vous voulez, qu’on n’ayt sur vous envie,
Ne soyez plus de vertueuse vie :
Ostez du corps ceste exquise beaulté,
Ostez du cueur ceste grand loyaulté :
Ne soyez plus sur toutes estimée,
Ne des loyaulx Serviteurs bien aymée :
Ayez autant de choses vicieuses,
Que vous avez de vertus precieuses :
Lors se tairont. Ha chere, et seule Amye
Voulez estre envers Dieu endormie,
De recevoir tant de grâces de luy,
Et ne vouloir porter ung seul ennuy ?
Ennuy (pour vray) n’est pas la pire chose,
Qui soit au cueurs des personnes enclose :
Petit ennuy, ung grand ennuy appaise.
Brief, sans ennuy, trop fade seroit l’aise :
Et tout ainsi que les fades viandes
Avec aigreur on trouve plus friandes,
Ainsi plaisir trop doulx, et vigoreux
Meslé d’ennuy, semble plus savoureux.
Et d’aultre part, Raison vous faict sçavoir,

Que impossible est de non tristesse avoir,
Veu que tous ceulx qui le plus fort s’apuyent
Sur leurs plaisirs, de leurs plaisirs s’ennuyent,
Et deviendroit fascheuse leur liesse,
Si quelcquefois n’entrevenoit tristesse :
Laquelle en fin se perd avec le temps,
Dont en apres sont plus gays, et contens.
Or si ce dueil n’abbatez par vertu,
Si sera il par le temps abbatu :
Mais la vertu de vous croire me faict
Que jà le temps n’aura l’honneur du faict.
Le temps est bon pour les douleurs deffaire
De ceulx, qui n’ont confiance pour ce faire :
Mais vous Amye avez en corps de Dame
Ung cueur viril pour vous oster de l’âme
Vostre douleur mieulx qu’autre creature,
Ne que le temps, ne que mon escripture.

XX

En est il une en ceste Terre basse,
Qui en tourment de tristesse me passe,
Ou qui en soit autant comme moy pleine ?
Faire se peult : mais je croy, qu’à grand peine
Se trouvera femme en lieu, raison, ] [saison, ]
Qui de se plaindre ayt si grande raison.
Dessoubz la grande lumiere du Soleil
Ne trouve point le Phenix son pareil :
Et aussi peu je trouve ma pareille
En juste dueil, qui la mort m’appareille.
Le Phenix suis des Dames langoreuses
A trop grand tort, voyre des malheureuses :
Et cil, qui m’a tous ces maulx avancez

Est le Phenix des hommes insensez.
Las je me plains, non point comme Dido
Frappée au cueur du dard de Cupido :
Jà ne m’orriez alleguer en mes plainctes
Le mien Amant, comme Sapho, et maintes :
Mais mon Mary, dont plus mon cueur se deult :
Car les Amans abandonner on peult,
Et les Marys c’est force qu’ilz demeurent
(Bons, ou maulvais) jusques à ce qu’ilz meurent.
Non que par moy luy soit mort desirée,
Plustost vouldroys sa pensée inspirée
A me traicter ainsi qu’il est licite,
Ou comme il doibt, ou comme je merite :
Veu que mon cueur l’ayme, l’honnore, et sert,
Comme il convient, et non comme il dessert.
Pas ne dessert avoir à sa commande
Ceste en bon point, et ceste beaulté grande,
Que m’a donné Nature à plein desir :
Pas ne merite au chaste Lict gesir
De celle là, qui tant luy est feable.
Il ne fault pas qu’un œil tant agreable
Luy soit riant, ne que bouche tant belle

En le baisant, Mary, ne Amy l’appelle :
Et neantmoins, suivant Dieu, et sa loy,
De mont franc vueil tous ces pointz a de moy.
Mais cest ingrat tout mal pour bien me baille.
Il a de moy le bon Grain pour la Paille :
Humble doulceur pour fiere cruaulté,
Loyalle foy pour grand desloyaulté,
Et pour chagrin toute amoureuse approche,
Sans amollir son cueur plus dur que Roche.
Le fier Lyon dessus le Chien ne mect
Patte, ne dent, quand à luy se soubzmect
Les forts Rommains quand ilz s’humilierent
Soubz Athilla, son cueur felon plierent.
Le noir Pluton à fleschir mal aisé
Fut (par doulceur) d’Orpheus appaisé.
Tout s’amollist par doulceur tresbenigne :
Et toutesfois la doulceur feminine,
(Qui les doulceurs de ce Monde surpasse)
Devant les yeux de mon dur Mary passe
Sans l’esmouvoir : et tant plus me submetz,
Tant plus me sert d’estranges, et durs metz.
Par ainsi passe en cruaultez iniques
Lyons, tyrans, et Monstres Plutoniques.
Certes quand bien je pense à mon malheur,
Il me souvient du Champestre Oiselleur,
Lequel apres que l’Oisellet des champs
Il a sceu prendre avec fainctz, et doulx chantz,
Le tue, et plume : ou si vif le retient,
Le mect en Cage, et en langueur le tient :
Ainsi (pour vray) fuz prinse, et arrestée,
Et tout ainsi (helas) je suis traictée :
Or si l’Oiseau mauldit en son langage

(Comme dit Meung) cil, qui le tient en Cage,
Pourquoy icy doncques ne me plaindray je
De ce cruel, qui chascun jour r’engrege
Mes longs ennuyz ? Le dueil, qui est celé,
Griefve trop plus, que s’il est revelé.
Par quoy le mien donc revelé sera,
Ma bouche au Cueur ce grand plaisir fera.
Et à qui (las) ? Sera ce à mon Mary,
Que descharger iray mon cueur marry ?
Non certes, non : rien je n’y gaigneroye,
Fors qu’en mes pleurs plaisir luy donneroye.
Et à qui donc ? Doy je par amours faire
Ung Serviteur, duquel en mon affaire
J’auray conseil, et qui par amytié
De mes douleurs portera la moytié ?
L’occasion le conseille, et le dit :
Mais avec Dieu honneur y contredit.
Pourtant plaideurs aux amoureuses questes
Allez ailleurs presenter voz requestes :
Je ne feray ne Serviteur, n’Amy,
Mais tiendray foy à mon grand Ennemy.
Doncques à qui feray ma plaincte amere ?
A vous ma chere, et honnorée Mere.
C’est à vous seule, à qui j’offre, et presente
Par vray devoir la complaincte presente.
Et devers vous s’envollent mes pensées
De grand ennuy (à grand tort) offensées,
Pour y chercher allegeance certaine,
Comme le Cerf, qui court à la Fontaine

Querant remede à la soif, qui le presse :
Nature aussi ne veult, que ailleurs m’adresse,
Et si m’a dit, si pour moy en ce Monde
Y a confort, qu’en vous seule il abonde.
S’il est en vous (las) si m’en secourez :
S’il n’est en vous, avecques moy plorez
En mauldissant Fortune, et ses alarmes,
Pour arrouser la fleur qu’avez produicte,
Qui s’en va toute en seiche herbe reduicte.

XXI

de a mort de Anne L’Huilier

Quiconques sois, qui veulx que je confesse,
Que Venus est la plus belle Deesse,
Il fault aussi que de rien tu ne doubtes,
Qu’elle ne soit la plus male de toutes.
Car quelcque don que d’elle soit donné,

(Tant soit il doulx) il est environné
De plus de maulx que la Rose d’Espines
Et (qui pis est) si ses frauldes Vulpines
On sçait fuyr, ou si ung chaste cueur
D’adventure est de sa flamme vainqueur,
Elle (soubdain) devient toute enragée :
Et tout ainsi, que s’on l’eust oultragée,
En prend vengeance. Helas piteuse preuve
Toute recente à ce propos se treuve
D’Anne, qui fut jadis Orleanique.
Le cas est tel. La Deesse impudique
De son brandon (qui maintes femmes dampne)
Jamais ne sceut eschauffer le Cueur d’Anne,
Dont par despit sur le corps se vengea,
Et pour ce faire à Vulcan se rengea :
Car le pouvoir de Venus est petit
Pour se venger selon son appetit.
A Vulcan donc son dueil elle declaire
Qui tout subit (pour à Venus complaire)
De son chault feu, (bien aultre qu’amoureux)
Vint allumer par ung soir malheureux
D’Anne le Lict chaste, et immaculé :
Et en dormant son beau corps a bruslé,
Duquel adonc l’âme noble s’osta
Et toute gaye au Ciel luysant saulta
Sans se sentir du feu de Vulcanus,
Encores moins de celluy de Venus.
Or vit son Ame, et le Corps est pery
Par feu ardant. Mais qui de son Mary
Eust eu alors les larmes, qu’espandues
Il a depuis, pas ne feussent perdues,
Comme elles sont : car de ses yeux sortir
En feit assez pour ce feu amortir.

XXII

Du riche infortuné Jacques de Beaune seigneur de Semblacey
(1527)

En son gyron jadis me nourrissoit
Doulce Fortune, et tant me cherissoit,
Qu’à plein soubhaict me faisoit Delivrance
Des haultz Honneurs, et grands Tresors de France :
Mais ce pendant sa main gauche tresorde
Secretement me filoit une Corde,
Qu’ung de mes Serfz pour saulver sa jeunesse
A mise au col de ma blanche vieillesse.
Et de ma mort tant laide fut la voye,

Que mes Enfans, lesquels (helas) j’avoye
Hault eslevé en honneur, et pouvoir,
Hault eslevé au Gibet m’ont peu veoir.
Ma gloire donc, que j’avoys tant cherie,
Fut avant moy devant mes yeux perie.
Les grands Tresors, en lieu de secourir,
Honteusement me menerent mourir :
Mes Seviteurs, mes Amys, et Parens
N’ont peu servir que de pleurs apparens.
J’eus (en effect) des plus grands la faveur,
Où au besoing trouvay fade saveur :
Mesme le Roy son Pere m’appella :
Mais tel faveur Justice n’esbranla :
Car elle ayant le mien criminel vice
Mieulx espluché que mon passé service
Pres de rigueur, loing de misericorde
Me prononça honte, misere, et corde :
Si qu’à mon los n’est chose demourée,
Qu’une constance en face coulorée,
Qui jusqu’au pas de mort m’accompaigna,
Et qui les cueurs du peuple tant gaigna,
Qu’estant meslée avecques mes ans vieulx,
Fit larmoyer mes propres Envieux.
Certainement ma triumphante vie
Jadis mettoit en grand tourment Envie :
Mais de ma mort or doibt estre contenté.

Je qui avoys ferme entente, et attente
D’estre en Sepulchre honnorable estendu,
Suis tout debout à Montfaulcon pendu,
Là où le vent (quand est fort, et nuysible)
Mon corps agite : et quand il est paisible,
Barbe, et Cheveulx tous blancs me faict branler,
Ne plus ne moins que fueilles d’Arbre en l’Air.
Mes yeux jadis vigilans de nature,
De vieulx Corbeaux sont devenus pasture :
Mon col qui eut l’accol de Chevalier,
Est accolé de trop mortel collier,
Mon corps jadis bien logé, bien vestu,
Est à present de la Gresle battu,
Lavé de Pluye, et du Soleil seiché,
Au plus vif lieu, qui peult estre cherché.
Or pour finir les regretz doloreux
Partans du cueur du Riche malheureux,
Roys, et subjectz, en moy vueillez apprendre,
Que vault grand charge à bailler, et à prendre.
En mon vivant ne fut merveille à veoir
(Veu mon credit) si j’acquis grand avoir :
Mais à ma mort on peult bien veoir adoncques
Ung des grands tours, que Fortune feit oncques.
Long temps me feit appeller Roy de Tours,
Mais puis qu’elle a usé de ses destours
Sur moy Vieillard chetif, et miserable,
Priez à Dieu (ô Peuple venerable)
Que l’âme, soit traictée sans esmoy
Mieulx que le corps : et congnoissez par moy,
Qu’Or, et Argent, dont tous plaisirs procedent,
Causent douleurs, qui tous plaisirs excedent.

De Jehan Chauvun, menestrier

Chauvin sonnant sur Seine les Aulbades,
Donna tel aise aux gentilles Nayades,
Que l’ung pour tous des aquatiques Dieux
Parla ainsi. Le son melodieux
De ce Chauvin, Freres, nous pourroit nuire
Par traict de temps, et noz femmez seduire
Jusqu’à les faire yssir de la clere unde,
Pour habiter la Terre large, et ronde.
Ne feit au chant de son Psalterion
Sortir des eaues les Daulphins Arion ?
Ne tira pas Orpheus Euridice
Hors des Enfers ? Cela nous est indice,
Que cestuy cy, qui mieulx que ces deux sonne,
Et qui tant est gratieuse personne,
Nous pourroit bien noz Nymphes suborner.
Ces motz finiz, se prindrent à tourner
Ces Dieux jaloux au tour de la Nasselle
Du bon Chauvin, et renversans icelle,
L’ont en leurs caves plongé, et suffocqué :
Puis chascun d’eulx des Nymphes s’est mocqué
En leur disant, venez Dames venez,
Voicy Chauvin, que si cher vous tenez :
Commandez luy, que dancer il vous fasse.

Lors le baisant ainsi mort en la face
Toutes sur luy de leurs yeux espandirent
Nouvelles eaues, et apres le rendirent
Dessus la Terre es mains de ses Amys,
Qui l’ont ensemble en sepulture mys,
Et d’instrumentz de Musique divers
Au Roy du ciel, et du Monde univers
Ont rendu gloire, et immortelles grâces
De l’avoir mis hors des terrestres places
Pleines de maulx, pour le loger en lieu,
Où plus n’endure, et plus n’offense Dieu.

XXIV

Gente Danes de Jupiter aymée
Dedans la Tour d’Arain bien enfermée,
Puis que Fortune adverse de tous biens
Est maintenant envieuse du mien,
Puis que de l’œil elle m’a destourné

Le beau present qu’elle m’avoit donné,
Puis que parler à vous ne puis, et n’ose,
Que puis je faire orendroit aultre chose,
Fors par escript nouvelles vous mander,
De mon ennuy, et vous recommander
Le cueur, de moy, dont avez jouyssance ?
Le cueur, sur qui nulle autre n’a puissance,
Le cueur qui fut de franchise interdict,
Quand prisonnier en vos mains se rendit,
Et de rechef prisonnier confermé
Avecques vous en la Tour enfermé.
Je vous supply par celluy dur tourment,
Que nous souffront pour aymer loyaulment,
Qu’entre voz mains il fasse sa demeure,
Jusques à temps, que l’ung, ou l’autre meure.
Tandis Fortune avec cours temporel
Se changera suivant son naturel :
Et ne nous est si dure, et mal prospere,
Comme paisible, et bonne je l’espere.
Parquoy Amye or vous reconfortez
En cest espoir, et constamment portez
L’une moictié de l’infortune forte :
L’autre moictié croyez que je la porte :
Mais où sont ceulx, qui ont eu leur desir
En amytié sans quelcque desplaisir ?
Il n’en est point certes, et n’en fut oncques,
Et n’en sera. Ne vous estonnez doncques,
Car j’aperçoy de loing venir le temps,
Que nous serons plus, que jamais, contens,
Et que de moy serez encor servie.
Sans nul danger, et en despit d’Envie.

XXV

Pour Monsieur Se Barrois
a ma damoiselle de Huban

Le Serviteur de vous, chere Maistresse,
D’ung triste cueur cest escript vous adresse

Pour Salut humble, et pour vous advertir
Qu’il m’est besoin d’aupres de vous partir ;
Mais je ne puis bien vous rendre advertie,
Combien de dueil j’ay de la departie :
Parquoy vault mieulx à voz pensées remettre
Ce que n’en puis par escripture mettre :
Ce neanmoins, puis qu’à l’heure presente
Ancre, et Papier devant moy se presente,
Compter vous vueil ung debat, qui m’esveille.
Toutes les fois, que je dors, ou sommeille.
Dire me vient (d’une part) mon Devoir,
Qu’il m’est besoing, pour long temps ne vous veoir,
Me remonstrant, que j’ay certain affaire,
Que trop je laisse à poursuivre, et à faire,
Et que pour tost chose pressée ouvrer,
Laisser on doibt, ce qu’on peult recouvrer.
De l’autre part, Desir vient contredire
A mon Devoir, et luy vient ainsi dire.
Fascheux Devoir, veulx tu qu’un Serviteur
Qui quant à l’Œil jamais ne se veit heur
Tel qu’à présent, ores il abandonne
Ce bien exquis, que vraye Amour luy donne ?
Laissera il celle, qui est pourveue
De tant de dons ? laissera il la veue
De ce regard de doulceur accomply
Soubz le hazard d’estre mis en oubly ?
Ainsi Desir, et mon Debvoir me preschent :
Vous advisant, que tous deux tant m’empeschent,
Que je ne sçay auquel j’obeiray :
Parquoy Maistresse icy vous suppliray,
De m’advertir, qu’il convient que je fasse.
Mon Devoir veult, qu’eslongne vostre face,
Desir me veult pres de vous retenir,

Mais à nul d’eux je ne me veulx tenir,
Et n’en feray fors cela seulement,
Qu’ordonnera vostre commandement,
Qui dessus moy aultant a de puissance
Que Serviteurs doibvent d’obeissance.

XXVI

A une qui refusa un present

Quand je vous dy (sans penser mal affaire)
J’ay, chere Sœur, ung present à vous faire,
Le prendrez vous ? des que m’eustes ouy,
Dit ne me fut le contraire d’ouy :
Parquoy, ma Sœur, si en vous l’envoyant
Y a forfaict, chascun sera croyant,
Que non de moy, mais de vous vient l’offense :
Et pour renfort de ma juste deffense,
Sans me vanter (ce mot bien dire j’ose)
Qu’en mainct bon lieu j’ay donné maincte chose,
Que l’on prenoit, sans penser le Donneur
Pretendre rien du Prenant, que l’honneur.
Que n’avez vous de moy ainsi pensé ?
Jamais me suis je en termes avancé
Aupres de vous, qu’honneur, et Dieu ensemble
N’y feussent mis : quelcque fois, ce me semble,
Je vous ay dit (si bien vous en souvient)
Treschere Sœur, si service vous vient
De mon costé, je vous supply n’entendre,
Que je vous vueille obliger le me rendre.
Brief, mes propos tenuz d’affection
Seront tesmoingz de mon intention,
Vous asseurant que l’estime immuable
Que j’ay de vous, est si grande, et louable,
Que rien par vous n’y peult estre augmenté,
En refusant ung offre presenté.
Il n’est pas dit (certes) que tous Donneurs
Voysent cherchant (par tout) les deshonneurs :
Et n’est pas dit, que les Dames, qui prenent,
Font toutes mal, et qu’en prenant mesprenent :

Ce non obstant, prendre n’exaulceray
En mon escript, et si confesseray,
Que bien souvent, quand à femme l’on donne,
Le reffuser, est chose honneste, et bonne :
Mais bien souvent (à vous dire verité)
Il peult tourner en incivilité.
Je sçay assez, que de rien n’avez faulte :
Je sçay, combien de Cueur vous estes haulte :
Ce neantmoins (pour nourrir amytié)
N’est mal seant, s’abesser de moytié.
Quand tout est dit, necte sens ma pensée,
D’avoir faict cas, où soyez offensée :
Plustost devrois me sentir offensé
Du mal, qu’avez (peult estre) en moy pensé :
Veu que l’offrir dont j’ay voulu user,
En cas d’honneur vault bien le reffuser.
Et croy de faict, que si ce n’eust esté
La Foy que j’ay de vostre honnesteté,
J’eusse pensé proceder mon default
De n’avoir faict mon present assez hault :
Mais Dieu me gard d’estre si transgresseur
De l’amytié d’une si bonne Sœur,
Qui congnoistra que Frere ne se treuve
Plus vray que moy, me mettant à l’espreuve.