La Suite de l’Adolescence Clémentine/Deploration sur le trespas de messire Florimond Robertet

Les Œuvres de Clément Marot
Texte établi par Georges Guiffrey,  (p. 382-399).

Deploration de messire Florimond Robertet

Jadis ma Plume on veit son vol estendre
Au gré d’Amour, et d’ung bas stile, et tendre
Distiller dictz, que soulois mettre en chant :
Mais ung regret de tous costez trenchant
Luy fait laisser ceste doulce coustume,
Pour la tremper en ancre d’amertume.
Ainsi le fault, et quand ne le fauldroit,
Mon cueur (helas) encores le vouldroit :


Et quand mon cueur ne le vouldroit encores,
Oultre son vueil contrainct y seroit ores
Par l’aiguillon d’une mort, qui le poinct :
Que dis je mort ? D’une mort n’est ce point :
Ains d’une amour : car quand chascun mourroit
Sans vraye Amour, plaindre on ne le pourroit :
Mais quand la Mort a faict son malefice,
Amour adonc use de son office,
Faisant porter aux vrays Amys le dueil,
Non point ung dueil de fainctes larmes d’œil,
Non point un dueil de drap noir annuel,
Mais ung dueil tainct d’ennuy perpetuel :
Non point ung dueil, qui dehors apparoist,
Mais qui au cueur (sans apparence) croist.
Voylà le dueil, qui a vaincu ma joye :
C’est ce qui faict, que toute rien que je oye
Me sonne ennuy : c’est ce qui me procure,
Que couleur blanche à l’œil me soit obscure,
Et que jour cler me semble noire nuict :
De tel façon, que ce, qui tant me nuyt,
Corrompt du tout le naïf de ma Muse,
Lequel de soy ne veult que je m’amuse
A composer en triste Tragedie :
Mais maintenant force m’est que je die
Chanson mortelle en stille plein d’esmoy,
Veu qu’aultre cas ne peult sortir de moy.
De mon cueur donc l’intention totalle
Vous comptera une chose fatalle,
Que je trouvay d’adventure mal saine
(En m’en venant de Loyre droict à Seine)
Dessus Tourfou. Tourfou jadis estoit
Ung petit Boys, où la Mort commettoit
Meutres bien grands sur ceulx, qui chemin tel
Vouloient passer. En celluy lieu mortel
Je vy la Mort hydeuse, et redoubtée
Dessus ung Char en triumphe montée,
Dessoubz ses pieds aiant ung corps humain

Vers 39. Deffus Turf ou. Turf ou jadis eftoit (a),
(a) B. N. ms. 1717.

Mort à l’envers, et ung Dard en la main
De boys mortel, de plumes empenné
D’ung vieil Corbeau, de qui le chant dampné
Predit tout mal : et fut trempé le fer
En eaue de Styx fleuve triste d’Enfer.
La Mort en lieu de Sceptre venerable
Tenoit en main ce Dard espoventable,
Qui en maintz lieux estoit tainct, et taché
Du sang de cil, qu’elle avoit submarché.
Ainsi debout sur le Char se tenoit,
Que ung Cheval pasle en hanissant trainoit :
Devant lequel cheminoit une Fée
Fresche, en bon point, et noblement coeffée,
Sur teste rase aiant triple Couronne
Que mainte Perle, et Rubys environne :
Sa Robe estoit d’ung blanc, et fin Samys,
Où elle avoit en pourtraicture mys
(Par traict de temps) ung million de choses,
Comme Chasteaulx, Palais, et Villes closes,
Villages, Tours, et Temples, et Conventz,
Terres, et Mers, et Voylles à tous ventz,
Artillerie, Armes, Hommes armez,
Chiens, et Oyseaults, Plaines, et Boys ramez,
Le tout brodé de fine Soye exquise,
Par mains d’aultruy, torse, taincte, et acquise :
Et pour devise au bors de la besongne
Estoit escript Le feu a, qui en grongne.
Ce neantmoins sa robe elle mussoit
Soubz ung Manteau, qui humble paroissoit,
Où plusieurs draps divers furent compris
De Noir, de Blanc, d’Enfumé, et de Gris,
Signifiant de Sectes ung grand nombre,
Qui sans travail vivent dessoubz son umbre.
Ceste grand Dame est nommée Rommaine,
Qui ce corps mort jusques au Tumbeau maine
(La Croix devant) en grand cerimonie,
Chantant Motetz de piteuse armonie.

Une aultre Dame au costé droit venoit,
A qui trop peu de chanter souvenoit :
D’ung Haubin noir, de pareure tanée
Montée estoit, la plus triste, et tannée,
Qui fut alors soubz la haulteur Celique :
Helas c’estoit Françoyse Republique,
Laquelle avoit en maintz lieux entamé
Son Manteau bleu, de fleurs de Lis semé :
Si derompoit encor de toutes pars
Ses beaulx cheveulx sur elle tous espars ;
Et pour son train ne menoit avec elle
Sinon Douleur, Ennuy, et leur sequelle,
Qui la servoient de tout cela, qui duyt,
Quand au Sepulchre ung Amy on conduyt.
De l’aultre part cheminoit en grand peine
Le bon hommeau Labeur, qui en la Plaine
Avoit laissé Bœufz, Charrue, et Culture
Pour ce corps mort conduire en Sepulture :
Mais, bien lava son visage haslé
De force pleurs, ains que là fut allé.
Lors je voyant telle pompe mondaine
Presupposay en pensée soubdaine,
Que là gisoit quelcque Prince de nom :
Mais tost apres feuz adverty, que non,
Et que c’estoit ung Serviteur Royal,
Qui fut jadis si prudent, et loyal,
Qu’apres sa mort son vray Seigneur, et Roy,
Luy ordonna ce beau funebre arroy,
Monstrant au doid, combien d’amour desservent
De leurs Seigneurs les Servans, qui bien servent.
Et comment sceu je alors, qui estoit l’homme ?
Autour de luy ne veoy, qui le me nomme,
Et m’en enquiers : mais le cueur, qui leur fend,
Toute parolle à leur bouche deffend.
Si vous diray, comment doncques j’ay sceu
Le nom de luy. Ce Char, que j’apperceu,
N’estoit paré de Rouge, Jaune, ou Vert,

Mais tout de Noir par tristesse couvert :
Et le suyvoient cent hommes en douleur
Vestuz d’habitz de semblable couleur :
Chascun au poing Torche, qui feu rendoit,
Et où l’Escu du Noble mort pendoit.
Lors curieux picquay pour veoir les Armes,
Mais telle veue aux yeux me mist les larmes,
Y voyant painct l’Esle sans per à elle.
Dieu immortel (dis je lors) voyci l’Esle,
Qui a vollé ainsi, que voller fault
Entre deux Airs, ne trop bas, ne trop hault :
Voyci (pour vray) l’Esle, dont la vollée
Par sa vertu a la France extollée,
Circonvollant ce Monde spacieux,
Et survollant maintenant les neufs Cieulx.
C’est l’Esle noire en la bende dorée,
L’Esle en vollant jamais non essorée,
Et dont sortie est la mieulx escripvant
Plume, qui fut de nostre aage vivant.
C’est celle Plume, où modernes espritz
(Soubz ses patrons) leur sçavoir ont appris :
Ce fut la Plume en sage main baillée,
Qui ne fut oncq (comme je croy) taillée
Que pour servir en leurs secretz les Roys :
Aussi de reng elle en a servi troys
En Guerre, en Paix, en Affaire urgens,
Au gré des Roys, et proffit de leurs gens.
O vous humains, qui escoutez ma plaincte,
Qui est celluy, qui eut ceste Esle paincte
En son escu ? Vous en fault il doubter ?
Sentez vous point, quand venez à gouster
Ce, que je dy en mon triste mottet,
Que c’est le bon Florimond Robertet ?
En est il d’autre en la vie mortelle,

Pour qui je disse une louange telle ?
Non, car vivant de son art n’en approche :
Or est il mort, Serviteur sans reproche,
Ainsi (pour vray) que mon cueur, et ma langue
Disoient d’accord si piteuse harangue,
La fiere Mort sur le Char sejournée
Sa face pasle a devers moy tournée,
Et a bien peu qu’elle ne m’a rué
Le mesme Dard, dont elle avoit tué
Celluy, qui fut la toute ronde Sphere,
Par où guettoys ma fortune prospere.
Mais tout à coup tourna sa veue oblique
Contre et devers Françoyse Republique,
Qui l’irritoit, maudissoit, et blasmoit
D’avoir occis celluy, qui tant l’aymoit.
Adonc la Mort sans s’effrayer l’escoute,
Et Republicque hors de l’estomac boute
Les propres motz contenus cy apres,
Avec sangloutz s’entresuyvants de pres.


La Republique Françoise

Puis qu’on sçait bien, ô perverse Chimere,
Que toute rage en toy se peult choisir,
Jusque à tuer avec angoisse amere
L’enfant petit au ventre de sa Mere,
Sans luy donner de naistre le loysir :
Puis qu’ainsi est, pourquoy prens tu plaisir
A monstrer plus ta force tant congneue,
Dont ne te peult louange estre advenue ?

Qui de son corps la force mect en preuve,
Devant ses yeux los, ou gain luy appert :
Mais en l’effect, où la tienne s’espreuve,
Blasme pour los, perte pour gain se treuve :
Chascun t’en blasme, et tout le Monde y pert :
Perdu nous a l’homme en conseil expert,

Et l’as jecté mort dedans le giron
De France (helas) qui pleure à l’environ.

Françoys franc, Roy de France, et des Françoys,
Tu le fuz veoir, quand l’Ame il vouloit rendre :
De luy donner reconfort t’advançoys,
Et en ton cueur contre la Mort tançoys,
Qui ton bon Serf au besoing venoit prendre.
O quelle amour impossible à comprendre.
Santé cent ans puisse avoir ung tel Maistre,
Et du servant au ciel puisse l’Ame estre.

France et la fleur de ses Princes ensemble
Le corps au Temple en grand dueil ont mené.
Lors France triste à Hecuba ressemble,
Quand ses Enfans à l’entour d’elle assemble
Pour lamenter Hector son filz aisné.
Quiconques fut Hector aux armes né,
Robertet fut nostre Hector en sagesse :
Pallas aussi luy en feit grand largesse.

Au fons du cueur les larmes vont puisant
Pauvres de Court pour pleurer leur ruyne.
Et toy Labeur, tu ne veoys plus luisant
Ce cler Soleil, qui estoit tant duisant
A esclaircir de ce temps la bruine :
Processions, ne chanter en rues hymne
N’ont sceu mouvoir fiere Mort à mercy,
Qui me contrainct de dire encor ainsi.

Vieille effacée, infecte, Image immunde,
Craincte de gens, pensement soucieux,
Quel bon advis, quelle sagesse abonde
En ton cerveau d’apauvrir ce bas Monde
Pour enrichir de noz biens les haults Cieulx ?

Que mauldit soit ton Dard malicieux :
En ung seul coup s’est monsré trop habille
D’en tuer ung, et en navrer cent mille.

Tu as froissé la main tant imitable,
Qui au proffit de moy lasse escripvoit :
Tu a cousu la Bouche veritable :
Tu as percé le Cueur tant charitable,
Et assommé le Chef, qui tant sçavoit.
Mais maulgré toy çà bas de luy se voit
Ung cler renom, qui ce tour te fera
Que par sus toy sans fin triumphera.

Tu as deffaict (ô lourde, et mal adextre)
Ta non nuysance, et nostre allegement :
Endormy as de ta pesante Dextre
Cil, qui ne peult resveillé au Monde estre
Jusques au Jour du final Jugement.
Las et tandis nous souffrons largement,
N’aians recours qu’au Ciel, et à noz larmes,
Pour nous venger de tes soubdains alarmes.

De voz deux yeux vous, sa chere Espousée,
Faictes Fontaine, où puiser on puisse eau :
Filles de luy, vostre face arrosée
De larmes soit, non comme de rosée,
Mais chascun œil soit ung petit Ruisseau :
Chascun des miens en jecte plus d’ung Seau :
De tout cela faisons une Riviere,
Pour y noyer la Mort, qui est si fiere.

Ha la meschante : escoutez sa malice.
Premier occist en Martial destroict
Quatre meilleurs Chevaliers de ma lice,
Lescut, Bayard, La Tremoille, et Palice :

Puis est entrée en mon Conseil estroict,
Et de la trouppe alla frapper tout droict
Le plus aymé, et le plus diligent.
Souvent de telz est ung Peuple indigent.

Si son nom propre à dire on me semond,
Je respondray, qu’à son los se compasse :
Son los fleurit, son nom est Florimond,
Ung Mont Flory, ung plus que flory Mont,
Qui de haulteur Parnasus oultrepasse :
Car Parnasus (sans plus) les Nues passe :
Mais cestuy vainq la haulteur Cristaline,
Et de luy sort fontaine Cabaline.

De Robertet par tout le mot s’espart
En Tartarie, Espaigne, et la Morée :
Deux Filz du nom nous restent de sa part,
Et ung Nepveu, qui d’esprit, forme, et art
Semble Phebus à la barbe dorée.
De luy se sert Dame France honnorée
En ses secretz : car le nom y consonne,
Si fait son sens, sa plume, et sa personne.

Vous ses deux Filz ne sont voz yeux lassez ?
Cessez voz pleurs, cessez Françoys, et Claude :
Et en Latin, dont vous sçavez assez,
Ou en beau Grec quelcque Œuvre compassez,
Qui apres mort vostre Pere collaude.
Puis increpez ceste Mort, qui nous fraulde,
En luy prouvant par dictz Philosophaux,
Comme inutile est son Dard, et sa Faulx.


L’auteur

Incontinent que la Mort entendit,
Que l’on vouloit inutile la dire,

Son bras tout sec en arriere estendit,
Et fierement son Dard mortel brandit,
Pour Republicque en frapper par grand ire :
Mais tout à coup de fureur se retire,
Et d’une voix, qui sembloit bien loingtaine,
Dit telle chose utile, et trescertaine.


La mort a tous humains

Peuple seduict, endormy en tenebres
Tant de longs jours par la doctrine d’homme,
Pourquoy me fais tant de pompes funebres,
Puis que ta bouche inutile me nomme ?
Tu me mauldictz, quand tes Amys assomme,
Mais quand ce vient, qu’aux obseques on chante,
Le Prebstre adonc, qui d’Argent en a somme,
Ne me dict pas mauldicte, ne meschante.

Et par ainsi de ma pompe ordinaire
Amande plus le vivant, que le mort.
Car grand Tumbeau, grand Dueil, grand Luminaire,
Ne peult laver l’Ame, que peché mord.
Le Sang de Christ, quand la Loy te remord,
Par Foy te lave, ains que le corps desvie.
Et toutesfois sans moy, qui suis la Mort,
Aller ne peulx en l’eternelle vie.

Pourtant si suis deffaicte, et dessirée,
Ministre suis des grands tresors du Ciel :
Dont je debvrois estre plus desirée,
Que ceste vie amere plus que Fiel.
Plus elle est doulce, et moins en sort de Miel,

Plus tu y vis, plus te charges de crimes :
Mais par deffault d’esprit Celestiel,
En t’aymant trop, tu me hays, et deprimes.

Que dis je aymer ? celluy ne s’ayme en rien,
Lequel vouldroit tousjours vivre en ce Monde,
Pour se frustrer du tant souverain bien,
Que luy promect Verité pure, et munde :
Possedast il Mer, et Terre feconde,
Beaulté, Sçavoir, Santé sans empirer,
Il ne croit pas qu’il soit vie seconde,
Où s’il la croit, il me doibt desirer.

L’Apostre Paul, Sainct Martin charitable,
Et Augustin de Dieu tant escripvant,
Maint aultre Sainct plein d’esprit veritable,
N’ont desiré que moy en leur vivant.
Or est ta chair contre moy estrivant,
Mais pour l’amour de mon Pere celeste
T’enseigneray comme yras ensuyvant
Ceulx, à qui oncq mon Dard ne fut moleste.

Prie à Dieu seul que par grâce te donne
La vive Foy, dont Sainct Paul tant escrit.
Ta vie apres du tout luy abandonne,
Qui en peché journellement aigrist.
Mourir, pour estre avecques Jesuchrist,
Lors aymeras plus que vie mortelle.
Ce beau soubhait fera le tien esprit :
La chair ne peult desirer chose telle.

L’âme est le feu, le corps est le tyson.
L’âme est d’enhault, et le corps inutile
N’est aultre cas que une basse Prison,
En qui languist : l’âme noble, et gentile.
De tel prison j’ay la clef tressubtille :
C’est le mien Dard à l’âme gracieux :
Car il la tire hors de sa Prison vile

Pour d’icy bas la renvoyer aux Cieulx.

Tien toy donc fort du seul Dieu triumphant,
Croyant qu’il est ton vray, et propre Pere :
Si ton Pere est, tu es donc son Enfant,
Et Heritier de son Regne prospere.
S’il t’a tiré d’eternel impropere,
Durant le temps que ne le congnoissoys,
Que fera il s’en luy ton cueur espere ?
Doubter ne fault que mieulx traicté ne soys.

Et pour autant que l’homme ne peult faire
Qu’il puisse vivre icy bas sans peché,
Jamais ne peult envers Dieu satisfaire,
Et plus luy doibt le plus tard despeché.
Donc comme Christ en la croix attaché
Mourut pour toy, mourir pour luy desire.
Qui pour luy meurt, est du tout relasché
D’Ennuy, de Peine, de Peché, qui est pire.

Qui faict le coup ? c’est moy, tu le sçais bien.
Ainsi je suis au Chrestien, qui desvie,
Fin de peché, commencement de bien :
Fin de langueur, commencement de vie.
Donc homme vieil pourquoy prens tu envie
De retourner en ta jeunesse pleine ?
Veulx tu rentrer en misere asservie,
Dont eschappé tu es à si grand peine ?

Si tu me dis, qu’en te venant saisir,
Je ne te faiz sinon tort, et nuysance,
Et que tu n’as peine, ne desplaisir,
Mais tout plaisir, lyesse, et toute aisance,
Et dy qu’il n’est plaisir, que desplaisance,

Veu que sa fin n’est rien que damnement.
Et dy, qu’il n’est plaisir, que desplaisance,
Veu que sa fin redonde à saulvement.

Quel desplaisance entendz tu, que je dye ?
Craindre mon dard ? cela n’entendz je point ;
J’entendz pour Dieu souffrir Dueil, Maladie,
Perte, et Meschief, tant viennent mal appoint :
Et mettre jus de gré (car c’est le poinct)
Desirs mondains, et Lyesses charnelles :
Ainsi mourant soubz ma Darde, qui poingt,
Tu en auras, qui seront eternelles.

Doncques pour moy contristé ne seras,
Ains par fiance, et d’ung joyeulx courage,
Pour à Dieu seul obeyr, laisseras
Tresors, Amys, Maison, et Labourage.
Cler temps de loing, est signe que l’Orage
Fera de l’Air tost separation.
Aussi tel’foy au mourant personnage
Est signe grand de sa salvation.

Jesus, affin que de moy n’eusses craincte,
Premier que toy voulut mort encourir :
Et en mourant ma force a si estaincte,
Que quand je tue, on ne sçauroit mourir
Vaincue m’a pour les siens secourir :
Et plus ne suis qu’une porte, ou entrée,
Qu’on doibt passer voulentiers, pour courir
De ce vil Monde en celestre Contrée.

Jadis celluy, que Moyse l’on nomme,
Ung grand Serpent tout d’Arain eslevoit :
Qui (pour le veoir) pouvoit guerir ung homme,
Quand ung Serpent naturel mors l’avoit.
Ainsi celluy, qui par vive Foy voit
La mort du Christ, guerist de ma blessure :

Et vit ailleurs plus, que icy ne vivoit :
Que dis je plus ? mais sans fin, je t’asseure.

Parquoy bien folle est la coustume humaine,
Quand aulcun meurt, porter, et faire dueil.
Si tu croys bien que Dieu vers luy le maine
A quelle fin en jectes larmes d’œil ?
Le veulx tu vif tirer hors du Cercueil,
Pour à son bien mettre empesche, et deffense ?
Qui pour ce pleure, est marry, dont le vueil
De Dieu est faict. Jugez si c’est offense.

Laisse gemir, et braire les Payens,
Qui n’ont espoir d’eternelle demeure :
Faulte de Foy te donne les moyens
D’ainsi pleurer, quand fault que quelcun meure :
Et quant au port du drap plus noir que Meure,
Ypocrisie en a taillé l’habit :
Dessoubz lequel tel pour sa mere pleure,
Qui bien vouldroit de son Pere L’obit.

Messes sans nombre, et force Anniversaires,
C’est belle chose, et la façon j’en prise :
Si sont les Chantz, Cloches, et Luminaires :
Mais le mal est en l’avare Prebstrise.
Car si tu n’as vaillant que ta Chemise,
Tiens toy certain, qu’apres le tien trespas
Il n’y aura ne Convent, ny Eglise,
Qui pour toy sonne, ou chante, ou fasse ung pas.

N’ordonne à toy telles solennitez,
Ne soubz quel marbre il fauldra qu’on t’enterre,
Car ce ne sont vers Dieu que vanitez :
Salut ne gist en Tombeau, ny en Terre.
Le bon Chrestien au Ciel yra grand erre,
Fust le sien corps en la rue enterré :
Et le maulvais en Enfer tiendra serre,
Fust le sien corps soubz l’Autel enserré.

Mais pour tumber à mon premier propos,
Ne me crains plus, je te pry, ne maulditz :
Car qui vouldra en eternel repos
Avoir de Dieu les promesses, et dictz,
Qui vouldra veoir les Anges benedictz,
Qui vouldra veoir de son vray Dieu la face,
Brief, qui vouldra vivre au beau Paradis,
Il fault premier que mourir je le fasse.

Confesse donc, que je suis bien heureuse,
Puis que sans moy tu ne peulx estre heureux :
Et que ta vie est aigre, et rigoreuse,
Et que mon Dard n’est aigre, ou rigoreux :
Car tout au pis, quand l’esprit vigoreux
Seroit mortel comme le corps immunde,
Encores te est ce Dard bien amoureux,
De te tirer des peines de ce Monde.


L’autheur

Quand Mort preschoit ces choses, ou pareilles,
Ceulx qui avoient les plus grandes Oreilles,
N’en desiroient entendre motz quelconques.
Parquoy se teut, et feit marcher adoncques
Son chariot en grand triumphe, et gloire,
Et le deffunct mener à Bloys sur Loyre :
Où les Manans, pour le corps reposer,
Preparoient Tumbe, et pleurs pour l’arroser.
Or est aux champs ce mortel Chariot,
Et n’y a Bled, Sauge, ne Polliot,
Fleurs, ne Boutons hors de la Terre yssus,
Qu’il n’amortisse en passant par dessus.
Taulpes, et Verms, qui dedans Terre hantent,
Tremblent de peur, et bien passer le sentent.
Mesmes la Terre en seurté ne se tient,

Et à regret ce Chariot soustient.
Là dessus est la Mort maigre, et villaine,
Qui de sa froide, et pestifere alaine
L’air d’entour elle a mis en tel meschef,
Que les Oyseaulx, vollans dessus son chef
Tumbent d’enhault, et mors à Terre gisent :
Excepté ceulx, qui les malheurs predisent.
Bœufz, et Jumens courent par le Pays,
De veoir la Mort grandement esbays.
Le Loup cruel crainct plus sa face seulle,
Que la Brebis du Loup ne crainct la gueulle.
Tous Animaulx de quelconques manieres
A sa venue entrent en leurs Tasnieres.
Quand elle approche ou Fleuves, ou Estangs,
Poulles, Canardz, et Cignes là estants,
Au fons de l’eaue se plongent, et se cachent,
Tant que la Mort loing de leurs rives sachent.
Et s’elle approche une Ville, ou Bourgade,
Le plus hardy se musse, ou chet malade,
Ou meurt de peur. Nobles, Prebstres, Marchans
Laissent la Ville, et gaignent l’air des Champs :
Chascun faict voye à la Chimere vile,
Et quand on voit, qu’elle a passé la Ville,
Chascun revient. Lors on espand et rue
Eaue de senteurs, et Vinaigre en la rue.
Puis es Cantons feu de Genevre allument,
Et leurs Maisons esventent, et parfument,
A leur pouvoir de leur Ville chassant
L’air, que la Mort y a mis en passant.
Tant fait la Mort, qu’aupres de Bloys arrive,
Et costoyoit jà de Loyre la rive,
Quand les Poissons grands, moiens, et petitz
Le hault de leaue laisserent tous crainctifz,
Et vont trouver au plus profond, et bas
Loyre leur Dieu, qui prenoit ses esbatz

Dedans son creux avec ses Sœurs, et Filles
Dames des eaues les Naiades gentilles :
Mais bien à coup ses esbatz se perdirent,
Car les Poissons en leur langue luy dirent,
Comment la Mort, qu’ilz avoient rencontrée,
Avoit occis quelcun de sa Contrée.
Le Fleuve Loyre adonc en ses espritz
Bien devina que la Mort avoit pris
Son bon Voisin : dont si fort lamenta,
Que de ses pleurs ses undes augmenta :
Et n’eust esté qu’il estoit immortel ;
Trespassé fust d’ouïr ung remors tel.
Ce temps pendant la Mort fait ses exploictz
De faire entrée en la Ville de Bloys,
Dedans laquelle il n’y a Citoyen,
Qui pour fuir cherche lieu, ne moyen,
Car du defunct ont plus d’amour empraincte
Dedans leurs cueurs, que de la Mort n’ont craincte.
De leurs maisons partirent Seculiers,
Hors des Convens sortirent Reguliers,
Justiciers laisserent leurs practiques :
Gens de labeur serrerent leurs Bouticques :
Dames aussi, tant fussent bien polies,
Pour ce jour là ne se feirent jolyes.
Toutes, et tous, des grans jusque aux menuz,
Loing au devant de ce corps sont venuz :
Sinon aucuns, qui les Cloches sonnoient,
Et qui la Fosse, et la Tumbe ordonnoient.
Ses Cloches donc chascune Eglise esbranle
Sans carrilon, mais toutes à grand bransle
Si haultement que le Ciel entendit
La belle Echo, qui pareil son rendit.
Ainsi receu ont honorablement
Leur Amy mort, et lamentablement
L’ont amené avec Croix, et Bannieres,
Cierges, Flambeaulx de diverses manieres
Dedans l’Eglise au bon sainct Honnoré :

Là où Dieu fut pour son âme imploré
Par Augustins, par Jacobins, et Carmes,
Et Cordeliers. Puis avec pleurs, et larmes
Enterré l’ont ses Parens, et Amys :
Et aussi tost qu’en la Fosse il est mis,
Et que sur luy Terre, et Tumbe l’on voit,
La fiere Mort, qui amené l’avoit,
Subtilement de là s’esvanouyt,
Et oncques puis on ne la veit, ne ouyt.
Tel fut conduyt dedans Bloys la Conté
L’ordre funebre, ainsi qu’on m’a compté.
Si l’ay comprins succinct en cest Ouvrage
Faict en faveur de maint noble courage.
S’il y a mal, il vient tout de ma part :
S’il y a bien, il vient, d’où le bien part.