La Statue de Philopoemen, de M. David



DU PHILOPŒMEN
DE M. DAVID.

Le Philopœmen de M. David n’a pas trompé nos espérances ; c’est un ouvrage très remarquable et qui soutient dignement la réputation de l’auteur. L’étude de cette statue ne sera pas sans profit pour les sculpteurs de notre âge ; cependant il y a lieu de discuter la composition et le style de cette statue, soit en consultant l’histoire de la sculpture, soit en interrogeant la nature du sujet et les intentions du statuaire. Le sujet choisi par M. David ne manque certainement pas d’intérêt ; mais pour le plus grand nombre des spectateurs Philopœmen est une figure plutôt qu’un personnage. La biographie du guerrier mégalopolitain est non-seulement étrangère aux hommes du monde, mais à demi effacée de bien des mémoires studieuses, et cet oubli est un malheur pour M. David. Quand on lit les noms gravés sur la plinthe des statues récemment placées aux Tuileries, il est difficile de s’expliquer quelle pensée a présidé à la décoration de ce jardin. Nous ne contestons pas la valeur sculpturale des sujets grecs ; nous croyons au contraire que la patrie de Phidias offre au ciseau des thèmes excellens et innombrables ; mais la décoration d’un jardin doit être conçue autrement qu’un musée. Il ne s’agit pas de placer aux Tuileries des statues remarquables par leur mérite individuel, mais bien d’assortir et d’ordonner les idées exprimées par ces statues, de telle sorte qu’elles intéressent les promeneurs, non-seulement par le mérite de l’artiste, mais encore, et selon nous ce dernier point est fort important, par l’ensemble des sujets traités. Or, est-il possible de deviner pourquoi Périclès précède Phidias, pourquoi le Soldat laboureur des Géorgiques est placé près de Cincinnatus, pourquoi Spartacus et Thémistocle séparent Cincinnatus de Philopœmen ? Le Minotaure et Prométhée, Alexandre et le Soldat de Marathon donnent lieu à la même question. Avec la meilleure volonté du monde, il n’est pas permis de croire que M. Fontaine, qui prétend continuer Philibert Delorme et Lenôtre, et qui même s’attribue le droit de les corriger, ait délibéré pendant une matinée sur le choix des figures qu’il place aux Tuileries. Livré tout entier aux soucis de la maçonnerie, il n’a pas daigné discuter avec l’intendant de la liste civile le nom et la patrie des personnages qui devaient garnir les piédestaux ; pour lui, toute la question se réduit à distribuer en face du château un certain nombre de blocs de Carrare. Que les personnages soient grecs, romains ou français, peu lui importe. S’il n’eût consulté que son goût, si personne ne fût intervenu dans la distribution des travaux de sculpture, il est probable que M. Fontaine eût préféré aux statues que nous venons de nommer une douzaine de vases exécutés par M. Plantard ; heureusement l’intendant de la liste civile ne partage pas le goût de M. Fontaine pour la caricature des vases antiques et des vases florentins, et si la plupart des statues nouvelles placées aux Tuileries sont au-dessous de la critique, du moins faut-il reconnaître qu’elles sont préférables aux vases, aux lions et aux candélabres de M. Plantard. Si l’on excepte le Phidias, le Prométhée et le Philopœmen, pas une de ces statues ne mérite l’honneur de l’analyse ; Périclès et Thémistocle sont d’une égale médiocrité. Mais il était certainement possible de tirer bon parti de ces figures, et quoiqu’elles soient d’une vulgarité rebutante, nous les préférons aux œuvres de M. Plantard. N’y avait-il donc pas moyen de concevoir pour la décoration des Tuileries une série de statues en harmonie avec le bon sens, avec le goût des promeneurs, avec les idées qui préoccupent la société contemporaine ? N’eût-il pas été naturel de demander aux statuaires français un choix de figures prises dans l’histoire de France ? Le caractère païen des figures et des groupes distribués dans le jardin ne s’opposait pas à l’accomplissement de cette idée ; car il n’était pas nécessaire de soumettre la décoration sculpturale des Tuileries aux lois d’une impérieuse unité. Ce qui eût été sage dans un jardin nouveau, devenait puéril dans un jardin commencé depuis long-temps. D’ailleurs, je le demande, comment Phidias et Philopœmen s’accordent-ils avec les groupes de Coustou et de Lepautre ? Sans imiter le ridicule exemple du patriotisme anglais, qui a représenté le duc de Wellington sous les traits d’Achille, il est permis de placer aux Tuileries les guerriers et les hommes d’état qui ont consacré leur vie au bonheur et à la gloire de la France. Pour exciter l’admiration et la sympathie, il n’est pas nécessaire de prêter à Bayard et à Duguesclin les traits d’Hector et d’Agamemnon. La cuirasse et la cotte de mailles, quoique moins belles sous le ciseau que la chair vivante, seront toujours, pour un sculpteur habile, l’occasion d’un triomphe. Pourquoi la liste civile n’a-t-elle pas placé aux Tuileries des figures tirées de l’histoire de France ? Je ne crois pas qu’elle puisse le dire. Elle a trouvé plus simple de demander à chaque sculpteur une statue, quelle qu’elle fût ; et voyez ce qui est arrivé. Chacun a suivi son penchant sans s’inquiéter de ce que les autres allaient faire, et la médiocrité commune au plus grand nombre de ces ouvrages est devenue plus frappante encore par le caprice individuel qui a présidé au choix des sujets. Puisque chacun n’a consulté que lui-même, et a déployé librement toutes ses facultés, nous sommes en droit de demander à chacun un bon ouvrage ; l’indulgence n’est pas permise en face de ces œuvres insignifiantes dont les auteurs ont choisi le thème et le programme. Les statues des Tuileries confirment victorieusement et d’une façon déplorable ce que nous avons si souvent répété en parlant de la distribution des travaux de peinture et de sculpture. Si la composition et l’exécution de ces statues eussent été confiées à un seul homme, et certes une pareille hypothèse n’a rien d’extravagant, nous n’aurions pas à regretter l’incohérence que nous signalons. Si un seul homme eût été chargé de cette décoration, quelle que fût la pente de ses préférences, qu’il se décidât pour la Grèce ou pour la France, pour la Judée ou l’Italie, du moins il eût mis de l’unité dans son travail ; il n’aurait pas mis en loterie les noms des personnages destinés à orner le jardin. Mais la raison voulait que le statuaire, libre dans la composition et l’exécution de son œuvre, acceptât et ne choisît pas les personnages confiés à son ciseau. Et comme il est assurément plus facile d’appeler l’intérêt sur l’histoire nationale que sur l’histoire grecque ou romaine, tout se réunissait pour prescrire à la liste civile le choix de personnages français. En livrant au hasard le sujet des ouvrages qu’elle demande, elle manque à la mission qu’elle s’est donnée, dont elle se glorifie ; au lieu d’encourager les arts, que les chambres négligent comme inutiles, elle les déprave et les abâtardit. En plaçant sur la même ligne M. Lemaire et M. David, M. Debay et M. Pradier, en mettant le talent éprouvé au même rang que la médiocrité authentique, elle trahit les intérêts qu’elle prétend protéger.

Le Philopœmen de M. David est assurément la meilleure de toutes les statues nouvelles placées aux Tuileries. Il y a dans le Phidias et le Prométhée des morceaux excellens ; mais la figure de Philopœmen, envisagée sous le double rapport de la composition et de l’exécution, est un ouvrage plus harmonieux et plus logique. Le moment choisi par M. David est la bataille de Sellasie où Philopœmen, blessé dangereusement, retire de sa cuisse un javelot que personne n’osait arracher. Plutarque dit formellement que les deux cuisses de Philopœmen furent traversées, et que le guerrier mégalopolitain brisa d’abord le javelot en deux morceaux par la violence de ses mouvemens, et retira séparément les deux tronçons ; mais je conçois très bien que M. David n’ait pas suivi la version de Plutarque, car il eût été difficile, dans un morceau ronde bosse, de trouver, pour cette double blessure et pour les mouvemens convulsifs de Philopœmen, un ensemble de lignes heureuses ; le respect littéral du texte grec n’eût été qu’une puérilité. Il est vraisemblable que M. David a voulu exprimer le courage militaire ; et si telle a été son intention, le trait cité par Plutarque n’a pas besoin d’être scrupuleusement traduit pour exciter notre admiration et notre sympathie. L’omission d’un détail sans importance ne peut inquiéter que les archéologues et ne nuit en rien à l’œuvre du sculpteur. À mon avis, la mort de Philopœmen offre plus d’intérêt que le trait choisi par M. David ; le guerrier septuagénaire qui, avant de boire la ciguë que lui envoie le vainqueur, s’informe du sort des cavaliers qui l’ont abandonné, et qui, en apprenant qu’ils sont sauvés, remercie le bourreau de cette bonne nouvelle, est plus grand que le guerrier de trente ans qui surmonte la douleur pour retourner au combat ; mais ce glorieux épisode ne convient qu’au bas-relief, et M. David ne pouvait le traiter dans les conditions qui lui étaient imposées. Le sujet qu’il a choisi exige l’expression de trois sentimens, le courage, la souffrance et l’enthousiasme. Si ces trois sentimens sont nettement exprimés, quelle que soit l’ordonnance des lignes, quel que soit le style des morceaux, le statuaire peut s’applaudir, et aux yeux du plus grand nombre son œuvre est complète. Or, nous nous plaisons à reconnaître que le Philopœmen de M. David exprime clairement le courage, la souffrance et l’enthousiasme. La douleur est empreinte sur le visage ; mais la tête tournée vers le ciel révèle chez le héros une pieuse espérance, une belliqueuse ardeur ; quant au courage, il est écrit en caractères éclatans dans la contraction de la main gauche qui serre la cuisse blessée, tandis que la main droite arrache le javelot. Ainsi M. David n’a manqué à aucune des conditions impérieuses du sujet, il a respecté fidèlement le caractère du personnage, et le sens de l’action qu’il avait à retracer. Au premier aspect, j’en conviens, son Philopœmen ne semble pas exempt d’une certaine emphase ; mais si l’étude n’efface pas cette impression, elle ne tarde pas à l’expliquer et à la justifier. L’action de Philopœmen n’a pu s’accomplir que sous l’empire d’une vive exaltation ; en arrachant le javelot qui venait de lui traverser la cuisse, il a dû exprimer, dans son attitude, dans les traits de son visage, l’emphase que M. David lui attribue. J’excuse pareillement l’arme placée dans la main gauche de Philopœmen. Il ne faut pas oublier, en effet, que le chef de la cavalerie achéenne brûle de retourner au combat, à l’ennemi qui est devant lui, et malgré sa blessure, il ne peut quitter le fer dont il va se servir. Toutefois l’emphase de cette figure serait moins sensible et ne choquerait personne si l’auteur se fût abstenu de supprimer l’armure de Philopœmen. Je sais que le nu, la chair proprement dite, est le triomphe de la statuaire ; je sais que les sculpteurs de l’antiquité étaient habitués à représenter les héros, comme les dieux, complètement nus, ou les enveloppaient tout au plus d’une draperie légère pour donner aux lignes de la figure plus de grâce ou de majesté ; mais la pratique des sculpteurs grecs et l’importance du nu dans la statuaire, sont loin de justifier le parti adopté par M. David. Car la plupart des statues antiques représentent des personnages immobiles, le type idéal d’un héros plutôt qu’un homme engagé dans une action déterminée. Si donc M. David eût été chargé de restituer pour un musée la statue de Philopœmen, placée, lui vivant, dans le temple de Delphes, je concevrais très bien l’absence de l’armure ; mais il a voulu nous montrer Philopœmen à la bataille de Sellasie ; et ce moment est tellement déterminé, tellement précis, que nous désirons naturellement retrouver dans la réalité du personnage la réalité de l’action. Nous concevons difficilement le casque sans la cuirasse, et le baudrier suspendu à l’épaule nue du héros étonne les yeux les plus complaisans. L’absence de l’armure est d’autant plus singulière que Philopœmen aimait la magnificence militaire presque autant qu’un guerrier ottoman. Il avait décidé la jeunesse opulente de Mégalopolis à briser toutes ses coupes ciselées, à déchirer la pourpre de ses manteaux et à dépenser le plus clair de ses revenus en casques et en cuirasses. Les jeunes femmes, par son conseil, s’empressaient à orner de broderies les armures destinées à la défense du pays. Philopœmen avait cherché à exciter parmi ses soldats une émulation qui n’est pas sans analogie avec la chevalerie du moyen-âge. Je regrette que M. David n’ait pas tenu compte de cette donnée ; car il pouvait, en la respectant, conserver toute l’énergie du personnage. Sans sacrifier la chair à l’airain, sans cacher l’homme sous la cuirasse, il pouvait couvrir une partie de la poitrine, et traiter le casque de Philopœmen avec moins de simplicité. Il avait dans le casque d’Ajax un bel exemple à suivre ; il pouvait semer sur l’airain les quadriges haletans. Le bouclier surtout appelait la magnificence ; car Philopœmen, qui lisait tantôt la tactique d’Evangelus, tantôt les poèmes d’Homère, portait dans le gouvernement de son armée le même goût que dans ses lectures. Non-seulement il surveillait, il multipliait, il variait les manœuvres de ses escadrons avec cette sagacité que Polybe et Folard ont admirée ; mais il s’occupait d’élargir et d’enrichir les boucliers de ses soldats, et ses lieutenans s’abritaient derrière un chant de l’Iliade. Je crois sincèrement que le Philopœmen de M. David, couvert d’une riche armure, n’eût rien perdu de sa grandeur ni de son idéalité ; car les armures grecques étaient loin d’avoir le même poids et d’offrir la même sécurité que les armures du moyen-âge ; elles ornaient plutôt qu’elles ne couvraient le corps ; elles rehaussaient la beauté, et laissaient aux parties nues toute leur valeur sculpturale. Il eût été bien facile à M. David d’éviter ces légers reproches, et de faire entrer dans son œuvre les élémens que l’histoire lui indiquait ; il est évident qu’il a négligé l’armure pour la chair, le général de l’armée achéenne pour l’homme pris en lui-même, l’archéologie pour la sculpture.

L’étude successive des différentes parties du Philopœmen est pleine d’intérêt et diminue les regrets que nous inspire l’omission de plusieurs détails historiques. La tête, le torse et les membres sont traités avec tant de soin, et je puis dire avec tant d’amour, que la préférence accordée par M. David à l’homme pris en lui-même semble justifiée. Quant à nous, sans méconnaître les droits de l’histoire dans un sujet historique, nous placerons toujours la vérité humaine au-dessus de la réalité locale et passagère, et c’est au nom de la vérité humaine que le Philopœmen de M. David nous paraît digne de la plus haute estime. Le style de la tête s’accorde très bien avec la nature des sentimens que le statuaire a voulu exprimer ; les plis du front et le regard inspiré peignent fidèlement les émotions diverses du général achéen. Le type du visage s’éloigne heureusement des types consacrés dans l’école ; rien de systématique dans la division des plans, nulle symétrie officielle dans l’ordonnance des lignes, mais de l’animation, de l’ardeur et de la souffrance. Les narines dilatées, les lèvres palpitantes, retracent énergiquement ce qui se passe dans l’ame du héros. On sait que Philopœmen ne fut jamais célèbre pour sa beauté ; M. David a donc bien fait de ne pas prêter à son modèle une élégance inutile. Il a cru pouvoir se priver de cette ressource vulgaire, et il a eu raison. Peut-être serait-il permis de lui reprocher, sans injustice, l’âge qu’il a donné à sa figure. Philopœmen est mort à soixante-dix ans, mais le moment choisi par M. David se rapporte aux débuts militaires de Philopœmen ; car le général achéen n’avait que trente ans à la bataille de Sellasie, et n’avait pas encore pris le commandement en chef de l’armée. Je m’explique facilement pourquoi le statuaire a vieilli son modèle ; mais cette explication, qui se présente naturellement, décèle chez l’auteur une injuste défiance. Il a voulu évidemment se donner le plaisir et la gloire de chercher dans le marbre la chair d’un vieillard ; il a craint, en laissant à son modèle l’âge viril que lui donne l’histoire, de demeurer trop loin des monumens de l’art grec. Il a violé la chronologie pour donner à son œuvre l’attrait de la nouveauté, pour présenter le modèle humain sous un aspect que l’art grec s’est rarement proposé. À notre avis cette pusillanimité doit être blâmée d’autant plus sévèrement que le style adopté par M. David pour toutes les parties de sa figure s’éloigne absolument de l’art antique. Si l’on cherchait dans l’histoire de la sculpture un homme dont les ouvrages rappelassent le style du Philopœmen, le nom de Puget se présenterait sur-le-champ à la mémoire ; car entre le Philopœmen et le Milon il y a une évidente parenté. Il eût donc été facile à M. David de respecter l’âge viril de son modèle, et de traiter cette donnée d’une façon originale. En donnant au général achéen cinquante ans au lieu de trente, il a été nouveau comme il le voulait, mais il a diminué la gloire du succès en diminuant le nombre des points de comparaison. Les épaules et la poitrine sont pleines de vie et de puissance, et seul entre tous les statuaires contemporains, M. David pouvait les traiter avec une telle largeur ; cependant le goût conseillait, je crois, d’omettre, ou du moins de combler partiellement les fossettes claviculaires, et de donner aux chairs de la poitrine plus de fermeté. La réalité, je le sais, donne à peu près constamment ce que M. David nous montre, mais le devoir du sculpteur n’est pas et ne sera jamais d’adopter la réalité tout entière. Pour lutter avec la nature vivante, il ne faut pas oublier les élémens dont l’art dispose ; or, le ciseau n’a que la forme à pétrir, c’est à la forme seule qu’il emprunte ses moyens d’action. La couleur, la transparence, la vie qui lui sont refusées, modifient singulièrement la forme du modèle humain ; c’est pourquoi la raison conseille au statuaire d’omettre les détails que la forme est inhabile à traduire sans le secours de la couleur et de la transparence. Il n’est permis qu’aux esprits frivoles d’identifier l’art et la réalité ; la différence profonde qui les sépare est, depuis long-temps, une vérité vulgaire pour M. David, et pour tous les artistes qui prennent la sculpture au sérieux. La partie abdominale du torse, sans donner lieu aux mêmes objections que la poitrine, n’est peut-être pas traitée avec assez de simplicité. L’attitude imprimée au modèle justifie certainement les plis du ventre, mais il n’était pas nécessaire d’indiquer avec tant de précision la topographie anatomique des parties latérales et inférieures. Moins de science et plus de simplicité eussent été d’un meilleur effet.

La cuisse et la jambe gauche ne laissent rien à désirer. La jambe porte bien, et les détails ne sont pas trop multipliés ; la force est évidente, et le style est pur. La cuisse droite, celle qui est traversée par le javelot, mérite les mêmes éloges. Le dessin et le mouvement de la jambe droite sont d’une énergique vérité ; mais il me semble que l’espace laissé entre le premier et le second orteil n’est pas nécessaire et donne au pied droit un mauvais aspect. Il eût été possible de conserver l’énergie du mouvement en omettant ce détail mesquin. La partie antérieure des bras est généralement excellente ; il serait difficile d’exprimer la force avec plus d’élégance. Mais je reprocherai à M. David d’avoir trop multiplié les détails réels dans le coude des deux bras ; les plis de la peau, qu’il a cru devoir traduire fidèlement, me semblent très inutiles et nuisent à l’effet général. Ici, comme pour la poitrine, le goût conseillait impérieusement la simplicité. M. David, en cédant au désir de reproduire la réalité, a troublé l’harmonie de son œuvre.

L’avis que j’exprime sera, je crois, partagé par les admirateurs les plus sincères de M. David. Personne ne voudra contester le mérite éminent du Philopœmen ; mais les ennemis les plus résolus de la couleur locale regretteront que l’auteur, par amour pour la sculpture du nu, ait négligé plusieurs détails historiques, dont l’art pouvait très bien s’accommoder. Sans exagérer la valeur de ce reproche, ils croiront que le devoir de M. David était de concilier la vérité humaine et la réalité de l’histoire. Ils s’accorderont à louer la science et l’habileté qui se révèlent dans toutes les parties du Philopœmen, mais ils penseront, comme nous, que plusieurs détails, utiles à connaître, eussent été omis avec avantage. Le statuaire n’en sait jamais trop ; mais le goût lui commande souvent de ne pas montrer tout ce qu’il sait. L’art grec, si justement admiré, et dont les monumens seront, pour les générations futures, un éternel motif d’émulation, un sujet inépuisable d’études, se distingue surtout par la simplicité. Mais simplifier, qu’est-ce autre chose qu’omettre les élémens mesquins et agrandir les élémens importans ? C’est à la pratique assidue de l’exagération et de la simplification qu’il faut rapporter la beauté de l’art grec ; c’est au nom de ce double principe que nous avons jugé le Philopœmen.


Gustave Planche.