La Statistique de l’enseignement supérieur

La Statistique de l’enseignement supérieur
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 32 (p. 556-591).
LA STATISTIQUE
DE
L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Il est peu de questions qui aient été plus agitées depuis une quinzaine d’années que celle du régime et de l’organisation de notre enseignement supérieur. C’est par centaines que se chiffrent les publications inspirées par ce grave objet, et il ne se passe guère de jour sans que la presse quotidienne elle-même, autrefois si dédaigneuse et si peu au courant des choses de l’université, se montre préoccupée de la situation et des progrès de nos écoles. On peut dire que, sous ce rapport, l’opinion publique en France a subi la plus complète et la plus heureuse transformation. D’apathique et détachée qu’elle était, elle est devenue singulièrement attentive et vigilante. Ce qui était le domaine de quelques initiés est tombé dans le domaine public, et l’on n’est plus, grâce à Dieu, taxé de pédantisme parce que l’on s’occupe plus volontiers du perfectionnement de notre système d’éducation que de l’amélioration de la race chevaline. Au contraire, et peut-être y aurait-il plutôt à modérer l’opinion qu’à la stimuler, tant elle apporte de fougue en des matières où la première condition du progrès est de se hâter avec une sage lenteur et de se défier des empiriques et des charlatans.

À ce point de vue, la statistique récemment publiée par le ministère de l’instruction publique ne pouvait arriver plus à propos. Il était bon qu’une nouvelle enquête officielle vînt compléter et continuer celle de 1868 et montrer les progrès accomplis depuis dix années dans toutes les branches de notre haut enseignement. On pouvait craindre en effet que les événemens intervenus durant cette période, dans l’ordre politique aussi bien que dans l’ordre scolaire, n’eussent en quelque mesure justifié les espérances des ennemis de l’université. Les fluctuations parlementaires d’une part, la loi de liberté votée par l’assemblée nationale en 1875 de l’autre, pouvaient avoir eu de fâcheux effets dont le gouvernement avait le devoir de se préoccuper, et qu’en tout cas il lui appartenait de constater. La lecture de la statistique de l’enseignement supérieur est heureusement faite pour dissiper ces appréhensions. Sans être de tous points satisfaisante, la situation qu’elle nous révèle est cependant meilleure qu’on ne devait le supposer. Grâce aux libéralités des chambres, d’importantes améliorations ont été réalisées ; la plupart des services dépendant de la direction de l’enseignement supérieur ont vu leurs crédits augmentés ; d’utiles créations de chaires, de facultés et même d’écoles ont été faites. Bref, de sérieux résultats ont été poursuivis et obtenus.

Il serait superflu de rechercher ce qui, dans cette œuvre collective, revient en propre à chacun des quinze ministres de l’instruction publique qui depuis 1870 ont exercé le gouvernement de l’Université ; mais on ne sera que juste en payant un tribut d’éloges à l’habile et infatigable administrateur qui a pris une si large part à ces travaux. Ce n’était pas une tâche facile que de suivre un plan régulier de réformes à travers les régimes les plus divers et de perpétuels changemens de personnes. Il fallait compter avec les susceptibilités des uns, l’inexpérience des autres, surtout avec la mobilité des événemens. M. Du Mesnil a doublé tous ces obstacles avec une adresse et un tact supérieurs. Sans froisser personne, en dépit de la surveillance un peu jalouse dont il était l’objet, il a su faire prévaloir les idées dont il s’était constitué le défenseur et continuer la tradition qui lui avait été léguée. La statistique de l’enseignement supérieur n’est signée que d’un nom ; à vrai dire, elle en devrait porter deux : celui du ministre[1] et celui de son collaborateur, et c’est bien le moins qu’au début de cette étude nous les fassions figurer l’un à côté de l’autre.


I

La statistique de 1868 formait un gros volume in-octavo d’environ huit cents pages où se trouvaient les renseignemens les plus complets sur les attributions de chacun des groupes de fonctionnaires, sur le nombre des chaires et sur renseignement propre à chacune d’elles ; sur le nombre des inscriptions trimestrielles et des diplômes conférés par les jurys d’examen, sur le chiffre des recettes opérées pour le compte du trésor et sur la répartition des crédits inscrits au budget. Ces premières indications étaient complétées par une série de notices reproduisant les principales dispositions des lois, décrets, ordonnances, arrêtés ou circulaires qui régissent encore ou qui ont régi l’Université de France et les grands établissemens qui s’y rattachent. Il y avait là des élémens de comparaison d’autant plus précieux qu’ils n’avaient jamais été groupés de cette sorte et que leur confrontation mettait dans une plus vive lumière les défauts d’organisation et les lacunes de notre haut enseignement. Ces défauts étaient d’ailleurs signalés à l’attention des pouvoirs publics dans un rapport d’ensemble qui formait pour ainsi dire la préface du volume et où le ministre d’alors, sortant un peu de la réserve habituelle aux documens officiels, établissait la nécessité d’un certain nombre de réformes, qui ont été réalisées depuis ou qui le seront prochainement.

Le plan de la nouvelle statistique de l’enseignement supérieur ne diffère pas sensiblement de ces données. On y retrouve la même ordonnance et la même méthode, la même disposition de matières et la même abondance de chiffres, de faits et de renseignemens. Elle débute, comme l’autre, par un rapport détaillé du ministre au chef de l’état, et ce rapport lui-même offre plus d’un point de ressemblance avec celui de 1868 : c’est la même inspiration et le même fonds d’idées. On y sent une même conviction, fortifiée par l’expérience et, malheureusement, éclairée par de tristes leçons. C’était presque une témérité d’oser dire en 1868, à ce pays infatué de lui-même, que son outillage scientifique était devenu complètement insuffisant et qu’il avait de grands efforts à faire pour maintenir sa supériorité intellectuelle. Il y fallait, en tout cas, beaucoup de mesure et l’on risquait fort, en poussant un pareil cri d’alarme au lendemain de l’exposition de 1867, de passer pour un prophète de malheur et de n’être point écouté. Car c’est le sort commun des réformateurs d’avoir à lutter contre la routine et l’optimisme officiel et d’y succomber. Aujourd’hui ce danger n’est plus à craindre ; l’opinion publique est faite ; les partis sont unanimes, et l’on ne trouverait pas dans nos chambres un orateur qui eût le courage de refuser son vote aux allocations réclamées dans l’intérêt de nos grands établissemens scientifiques. Sous ce rapport, la statistique de 1878 est d’une lecture infiniment plus réconfortante que son aînée. Elle est aussi plus complète et renferme plus de matières : mille pages au lieu de huit cents. Toutes les notices ont été retouchées et souvent développées. De nouveaux chapitres ont été ajoutés aux anciens. Ainsi l’on n’avait pas cru devoir en 1868 consacrer un titre spécial à l’administration centrale et au conseil supérieur de l’instruction publique. L’auteur de la statistique de 1878 a eu l’idée de placer au début de son travail une étude sur les origines et l’organisation actuelle de l’enseignement public en France, qui contient les plus curieux documens, entre autres une situation des vingt-trois universités existant avant 1789.

Chaque ordre d’enseignement possède son système propre d’examens et de grades, et son régime particulier d’études ; cependant tous nos établissemens d’enseignement supérieur sont soumis à une discipline et à des règlemens communs d’administration. La statistique de 1878 résume tous ces règlemens dans un chapitre spécial.

Ailleurs, elle présente l’état des bâtimens du Collège de France du Muséum, de l’École des langues orientales vivantes, de l’École des chartes, de l’École normale, de la bibliothèque de l’Université et des établissemens astronomiques et météorologiques, et elle récapitule toutes les demandes d’augmentations de crédits soumises aux chambres depuis dix ans. Ces additions réparent fort à propos quelques omissions échappées aux ouvriers de la première heure, et donnent à la nouvelle statistique quelque chose de plus achevé. Elles trouveraient d’ailleurs leur justification (surtout celles d’un caractère historique) dans une pensée qu’on ne saurait trop louer. M. le ministre de l’instruction publique voudrait que le gouvernement « coordonnât dans une loi générale les dispositions les plus essentielles de la législation de l’enseignement public supérieur. » Il trouve avec raison que ces dispositions, éparses dans une foule de lois, de décrets, d’arrêtés et de règlemens dont beaucoup sont tombés en désuétude, auraient besoin d’être révisées. Tout le monde y gagnerait : l’administration y apprendrait à mieux connaître l’étendue de ses droits, les fonctionnaires à mieux apprécier la mesure de leurs obligations professionnelles. En tout cas, on y verrait plus clair et bien des malentendus, qui résultent de la complication des textes disparaîtraient. On doit souhaiter que ce travail de codification ne tarde pas à se faire dans les bureaux du ministère de l’instruction publique. Autrement il se fera ailleurs, et peut-être ne se fera-t-il pas aussi bien.

Il nous faut aussi donner des éloges à l’idée qu’a eue l’auteur de la statistique de placer en annexes des tableaux relatifs à l’organisation et à l’enseignement des universités libres. Le régime de libre concurrence inauguré par la loi du 12 juillet 1875 imposait au gouvernement cette comparaison. Il lui appartenait de mettre en regard de la situation de nos écoles un aperçu des résultats obtenus par les facultés catholiques. Ces résultats sont encore, à vrai dire, fort incomplets, et l’on aurait tort d’en tirer dès aujourd’hui des conclusions d’un caractère général. Toutefois ils présentent déjà quelques, indications utiles, et les pouvoirs publics y trouveront certainement, s’ils sont clairvoyans, plus d’une raison de hâter l’élaboration de la loi de réorganisation que le gouvernement devait déposer dans le délai d’un an (art. 24 de la loi du 12 juillet 1875) et que nous attendons encore.

Ce n’est pas qu’il n’ait été fait de sérieux efforts pour mettre nos grandes écoles en état de résister victorieusement à la concurrence des établissemens libres. Le rapport de l’honorable M. Bardoux énumère brièvement les améliorations qui ont été réalisées depuis dix ans dans les services de l’inspection générale, de l’administration académique et des facultés, et l’on doit reconnaître que de ce côté, tant par les soins de l’état que par la sollicitude des villes, de sensibles progrès ont eu lieu. Mais que de lacunes encore à combler, que de réformes urgentes à pratiquer ! Dans quel état de dénûment se trouvent, sur bien des points, nos laboratoires, nos bibliothèques, nos collections ! De quel faible éclat brillent nos facultés de province, sauf quatre ou cinq, à côté des grands foyers allemands ! Tous ces desiderata sont signalés dans la statistique. Elle y consacre tout un chapitre où se trouvent résumés les vœux des facultés et les vues du gouvernement lui-même. La question de la réorganisation de notre haut enseignement, de la direction à lui imprimer et des réformes à y introduire, apparaît là dans toute sa complexité, avec ses contradictions, ses difficultés, ses écueils : d’un côté l’esprit de routine, de l’autre l’esprit d’aventure et d’imitation maladroite de l’étranger ; ici, la tradition, là, l’empirisme. Le sujet était particulièrement délicat. L’auteur de la statistique n’a pas craint de l’aborder et, malgré la réserve que lui imposait son caractère, il a su le traiter avec assez d’étendue pour n’omettre aucun point important.

On essaiera de faire ici de même ; on voudrait examiner à la lumière des documens et des faits contenus dans la statistique de 1878 les principales réformes dont notre enseignement supérieur semble susceptible, en s’attachant de préférence à celles dont l’administration elle-même reconnaît la convenance. On ne risquera pas ainsi de se jeter dans une discussion théorique et sans application immédiate ; on ira droit aux choses pratiques et dès à présent réalisables. Toutefois on fera précéder cette étude d’un court résumé dans lequel on rappellera tout ce qui s’est fait depuis 1868, dans l’intérêt des hautes études et de leurs représentans. C’est le plan suivi par la statistique ; on n’en saurait adopter un plus logique.

II

Il nous faut d’abord citer quelques chiffres.

En 1867, le total des inscriptions prises dans les facultés de théologie, de droit, de médecine, des sciences, des lettres, de pharmacie, et dans les écoles préparatoires, se montait à 54,299. En 1876, il s’est élevé à 55,191 ; soit une augmentation de 892 inscriptions ou de 223 élèves environ, puisque le nombre des inscriptions prises annuellement est de quatre. A ne considérer que ces chiffres en eux-mêmes, on pourrait croire que la population de nos facultés est, à peu de chose près, demeurée stationnaire. Il s’en faut pourtant que ces apparences soient conformes à la réalité. Si nos facultés de médecine et des sciences, nos écoles supérieures de pharmacie et nos écoles préparatoires de médecine ont vu s’élever le nombre de leurs inscriptions, les facultés de théologie, des lettres et de droit, ces dernières surtout, ont vu diminuer le nombre des leurs dans des proportions presque aussi considérables. Le droit en a perdu 1,878, les lettres 1,715. Faut-il attribuer ces mécomptes au délaissement des études littéraires et juridiques par la jeunesse ? Faut-il y voir seulement la conséquence de nos pertes de territoire, et l’effet de la loi du 12 juillet 1875 sur la liberté de l’enseignement supérieur ? La statistique paraît incliner à cette dernière opinion, en se fondant sur ce fait que, si le nombre des élèves a diminué dans les facultés de droit et des lettres, celui des docteurs a augmenté. En 1868, il n’avait été délivré que 132 diplômes de docteurs en droit et 11 diplômes de docteurs es lettres. En 1876, il en a été délivré 189 d’une part et 12 de l’autre. La progression n’est pas, on le voit, bien considérable ; pour les lettres, elle est même insignifiante, et l’administration aurait tort de se reposer sur ces chiffres. Ils ne sont assurément pas inquiétans, mais ils pourraient être plus en rapport avec les sacrifices que l’état s’est imposés depuis quelques années.

Qu’on ne croie pas au moins que ces sacrifices aient eu rien d’exagéré. En 1867, la somme des crédits permanens inscrits au budget de l’enseignement supérieur était de 7,013,171 francs. En 1878, elle se montait à 13,058,556 fr., soit une augmentation de 6,045,385 fr., qui s’est répartie pour les deux tiers entre les diverses facultés, pour l’autre tiers entre nos grands établissemens scientifiques et nos écoles spéciales. Ces chiffres, il est vrai, sont loin de comprendre toutes les dépenses supportées par l’état. A côté des crédits permanens inscrits au budget du ministère de l’instruction publique figurent pour des sommes importantes plusieurs crédits extraordinaires et annuités qui ont permis à l’administration d’entreprendre ou d’achever de grands travaux d’appropriation et de construction. Il faudrait aussi, dans cette évaluation, tenir compte des sacrifices que beaucoup de villes et de départemens se sont imposés pour aider à l’œuvre de l’état. En revanche, il convient de défalquer du total des sommes affectées à l’enseignement supérieur les recettes des facultés et des écoles supérieures ou de plein exercice de pharmacie et de médecine. Ces recettes figuraient au budget de 1876 pour un chiffre de 4,343,660 fr. Les résultats connus de l’exercice 1877 le portent à 4,478,980 fr., d’où il suit que la dépense réelle de l’état se réduit à 9,714,896 francs.

Si l’on compare cette somme à celles qui sont absorbées par d’autres grands services publics, on reconnaîtra qu’elle est encore bien modeste ; Toute faible qu’elle est, elle a cependant permis de réaliser dans notre haut enseignement de notables améliorations : C’est ainsi que la condition de la plupart des professeurs de facultés a été sensiblement rehaussée. Jusqu’en 1875, le traitement de ces fonctionnaires se composait d’un fixe et d’un éventuel proportionnel au nombre des examens que chacun avait fait passer, ou au nombre des élèves inscrits. Ce régime présentait plus d’un inconvénient. En premier lieu, le nombre des examens et des élèves pouvait notablement varier d’une année à l’autre, en sorte que les émolumens des maîtres se trouvaient exposés à de perpétuelles fluctuations ; ensuite le système de l’éventuel était souvent un obstacle, aux changemens de résidence et à la création de nouvelles chaires. En effet, les droits de présence étant répartis au prorata entre tous les professeurs d’une même faculté, ceux-ci se montraient naturellement hostiles à des fondations qui les atteignaient dans leur revenu, et l’administration, dans bien des cas, n’osait passer outre. Une loi du 22 décembre 1875 et deux décrets des 14 et 15 janvier 1876 ont fait cesser cet état de choses. Désormais les professeurs de facultés n’ont plus qu’un seul traitement, qui a le double mérite d’être entièrement fixe et supérieur à l’ancien. A Paris, ils reçoivent les uns 15,000, les autres 13,000 francs. En province, le traitement minimum a été fixé à 6,000 francs pour les cinq ordres d’enseignement ; le maximum à 11,000 francs pour le droit et les lettres, à 10,000 pour la médecine et les sciences, à 8,000 pour les écoles de pharmacie, chiffres sensiblement supérieurs à la moyenne du traitement qu’avaient autrefois les professeurs de ces divers enseignemens dans les facultés les plus favorisées, telles que Toulouse et Montpellier.

Le traitement des professeurs de nos grands établissemens scientifiques ne pouvait demeurer stationnaire dans le temps que celui des professeurs de facultés s’élevait. Les émolumens des professeurs du Collège de France et du Muséum ont donc été portés de 7,500 fr. à 10,000, ceux des professeurs de l’École des langues orientales vivantes de 5,000 à 7,500, ceux des professeurs de l’École des chartes de 2,400 et 4,000 à 5,000. L’École normale n’a pas été tout à fait aussi largement traitée ; cependant on ne l’a pas oubliée. En 1874, un premier crédit avait déjà permis de distribuer ses maîtres de conférences en trois groupes et de leur allouer des émolumens proportionnels au nombre de leçons que chacun d’eux fait par semaine. Dans sa dernière session, la chambre leur a voté une nouvelle augmentation de 1,000 francs. Et elle ne s’arrêtera pas là, elle voudra faire disparaître l’inégalité choquante qui existe entre les traitemens de ces maîtres et celui des professeurs du Collège de France et du Muséum. En l’état, l’École normale, au lieu d’être un couronnement de carrière, n’est qu’une étape pour la plupart des hommes distingués qui s’y rencontrent. On ne s’y établit pas ; on la traverse. On y séjourne deux, trois ou quatre ans, en attendant une vacance à la Sorbonne ou an Collège de France ; on n’y demeure pas. Il faut sans doute attribuer ce phénomène à l’attraction qu’exercent sur beaucoup d’esprits un enseignement plus oratoire et plus brillant. Mais il a d’autres causes encore, et l’on ne croit pas se tromper en affirmant qu’une de ces causes est précisément l’état d’infériorité pécuniaire où l’on s’obstine à maintenir toute cette catégorie de fonctionnaires.

Il ne suffisait pas de relever la condition des professeurs ; on devait encore leur assurer ainsi qu’aux étudions qui étudient vraiment les espaces, les instrumens, les livres, en un mot toutes les ressources indispensables au progrès des hautes études. Or nous étions précisément sous ce rapport dans le plus lamentable dénûment. C’est à peine si nos professeurs de chimie, de physique ou d’histoire naturelle disposaient, à Paris même, de salles suffisantes à la préparation de leurs cours. « Il faut avoir vu, dit la statistique, nos locaux, il y a dix ans, pour se faire une juste idée de leur indigence. Tout nous manquait, et la Sorbonne elle-même peut se souvenir de ce qu’étaient ses laboratoires avant la création de l’École des hautes études. » Dans les départemens c’était bien pis ; il n’y existait pas avant 1868 deux laboratoires de recherches entretenus par l’état. Nos savans étaient réduits, comme le fut longtemps l’illustre Claude Bernard, à travailler solitairement chez eux, sans former d’élèves, et n’ayant le plus souvent à leur disposition qu’un misérable outillage. Cette situation avait déjà sensiblement changé dans les dernières années de l’empire, grâce à la fondation dont il vient d’être question. A l’heure actuelle, des travaux considérables s’achèvent à Paris et dans les départemens, ou seront prochainement entrepris. La faculté de médecine, qui étouffait dans ses vieux murs, va pouvoir enfin respirer. Ce grand établissement ne possédait que deux amphithéâtres, qu’une seule salle de conférences, et ses jurys d’examen en étaient réduits à tenir leurs séances dans la galerie du musée Orfila, ou dans le cabinet du doyen. Un traité passé entre l’état et la ville de Paris a mis à sa disposition un vaste terrain qui forme comme un îlot entre la place de l’École-de-Médecine, le boulevard Saint-Germain, la rue Hautefeuille et la place Larrey. La nouvelle faculté sera là complètement isolée ; elle possédera six amphithéâtres, trois laboratoires, huit salles de conférences et d’examen, des cabinets d’études et de réunion pour les professeurs et de beaux locaux pour la bibliothèque et les collections.

Il existe, à quelque distance de l’École de médecine, un groupe de vieilles maisons tombant en ruines et péniblement reliées entre elles par d’informes constructions. C’est là que depuis des années était campée l’École pratique de la faculté de médecine. Encore plus que la faculté, l’École pratique souffrait du manque d’air et d’espace. Par un contrat passé entre l’état et la ville, de nouveaux terrains d’une contenance de près de 8,000 mètres ont été mis à la disposition de M. le ministre de l’instruction publique, et sur ces terrains s’élèvent déjà de vastes bâtimens où tous les services dépendant de l’École pourront être confortablement installés. L’ancienne école ne possédait pas d’amphithéâtre ; la nouvelle en aura six, avec six salles de conférences, quatorze laboratoires au lieu de six et cent quatre-vingts tables de dissection au lieu de quatre-vingts. La dépense totale ne s’élèvera pas à moins de 4,700,000 francs.

L’École supérieure de pharmacie se trouvait, elle aussi, dans le plus fâcheux état de délabrement. Elle sera prochainement transférée dans un bel édifice qui s’élève sur les terrains détachés du jardin du Luxembourg ; on s’occupe déjà de son installation. Tout près d’elle, sur ces mêmes terrains, s’ouvrira bientôt l’hôpital des cliniques, qui dépendait autrefois de l’École pratique et qu’on en a distrait pour faire place à d’autres services.

Enfin, pour couronner cet ensemble imposant de travaux, un projet de loi concerté entre l’administration et le conseil municipal et présenté le 11 janvier 1878 à la chambre des députés tranche la question si longtemps en suspens de l’agrandissement et de la reconstruction de notre vieille Sorbonne. Il y avait longtemps que des négociations étaient ouvertes à ce sujet entre l’état et la ville. Sous l’empire, à plusieurs reprises, on s’était abouché sans parvenir à s’entendre. Le préfet de la Seine avait son projet ; le ministère en avait un autre. D’ailleurs la commission du budget d’alors, il faut bien le dire, était animée des plus mesquines dispositions ; bref on ne décida rien, et quand le quatre septembre arriva, la première pierre de la nouvelle Sorbonne, solennellement posée par M. Fortoul en 1855, attendait encore l’architecte.

Elle l’eût longtemps attendu encore sans doute si l’administration n’avait pris son parti d’une solution devant laquelle le précédent gouvernement avait toujours reculé. Le projet de loi présenté aux chambres coupe en deux la vieille métropole universitaire : d’un côté les facultés des lettres et de théologie, la bibliothèque et l’administration académique, de l’autre la faculté des sciences. Cette dernière serait transférée dans les terrains du Luxembourg, près l’École supérieure de pharmacie ; les autres services demeureraient installés dans les vieux bâtimens reconstruits et poussés jusqu’à la rue des Écoles. Cette héroïque mutilation pouvait-elle être évitée ? N’existait-il aucun moyen de respecter la vénérable association de nos trois facultés des lettres, des sciences et de théologie ? On doit le croire, mais il nous sera bien permis de le regretter. La maison de Richelieu ne parlait pas seulement à l’imagination avec ses murs noircis et son air rébarbatif ; ce n’était pas seulement un de ces monumens historiques demeurés debout, parmi les splendeurs disparues, comme un témoin des gloires passées ; c’était la plus haute expression matérielle de l’Université, c’était sa capitale. Sans doute on devait l’agrandir : elle était devenue complètement insuffisante ; mais il fallait se garder d’altérer son caractère et de lui enlever son unité. La création de grands centres universitaires est à l’ordre du jour, et c’est le moment qu’on choisirait, par une fâcheuse coïncidence, pour disséminer ce qui avait été jusqu’ici réuni, pour détruire le centre par excellence, le premier et le plus ancien de tous ! Les chambres voudront sans doute, avant de prononcer un pareil divorce, s’assurer qu’il n’existe pas de solution plus pratique et moins radicale[2]. L’Université de Paris leur saurait gré de respecter son berceau.

Quand les travaux qu’on vient d’énumérer seront terminés, le Paris universitaire n’aura plus rien à envier, sous le rapport matériel, aux grandes capitales intellectuelles de l’Europe. Il ira de pair avec Oxford et Berlin. Mais il s’en faudra singulièrement encore que l’outillage de nos facultés de province soit à la hauteur des établissemens similaires de l’étranger. Cependant là aussi de sérieux efforts ont été faits dans ces dernières années. Les villes, entraînées par le mouvement général, ont montré pour toutes les branches de l’instruction publique un zèle et une bonne volonté que le précédent gouvernement n’avait pas rencontrés au même degré chez elles. Marseille, Bordeaux, Caen, Lyon, Douai, Grenoble, pour ne citer que les plus méritantes, se sont imposé de lourds sacrifices pour la création de nouvelles facultés, la transformation de leurs écoles préparatoires ou la restauration et l’accroissement de leurs bâtimens universitaires. A Marseille, l’école préparatoire de médecine et de pharmacie a reçu le titre d’école de plein exercice et a été installée dans l’ancien palais de justice. De ce chef seulement la ville a dépensé 450,000 francs, indépendamment des travaux d’appropriation qu’elle a pris à sa charge. A Bordeaux, le conseil municipal a décidé le transfert des facultés des lettres, des sciences et de théologie dans les bâtimens du lycée actuel. La dépense sera de 1,800,000 francs, dont 1,500,000 francs à la charge de la ville. Antérieurement la ville avait déjà fait 200,000 francs de travaux et fourni les terrains pour la construction d’une faculté de droit. Douai a voté 1,200,000 francs pour l’installation de sa nouvelle faculté de médecine et de pharmacie. Grenoble et Caen vont jeter bas leurs vieux édifices scolaires et les remplacer par des constructions beaucoup plus vastes et beaucoup mieux appropriées aux besoins de la science. A Lyon enfin, le conseil municipal a résolu de consacrer un terrain de 25,000 mètres et une somme de quatre millions à l’établissement de la faculté mixte de médecine et de pharmacie créée par la loi du 8 décembre 1874. Les travaux ne sont pas terminés, mais ils se poursuivent activement, et l’on a tout espoir d’ouvrir dès l’an prochain les salles destinées aux études anatomiques. En attendant, la faculté fonctionne dans les locaux de l’ancienne école et dans un baraquement, pour la construction duquel 90,000 francs ont été dépensés. Nancy, Rennes, Clermont, mériteraient aussi, dans cette énumération nécessairement incomplète, une mention honorable.

C’est à dessein que nous mettons ici les villes en avant. Certes le gouvernement a stimulé leur zèle, et s’est associé dans une mesure fort honorable à leurs efforts, il les a dirigés et maintenus ; mais c’est aux municipalités que revient en bonne justice le principal mérite de ces travaux matériels. En revanche, il faut reporter à l’administration tout l’honneur des nombreuses fondations de chaires, conférences et cours complémentaires qui sont venus s’ajouter aux anciens enseignemens. Nous avions dans cette direction de grands efforts à faire pour mettre nos établissemens au niveau des universités allemandes. Dans beaucoup de facultés des sciences et des lettres, l’enseignement n’était représenté que par un nombre de chaires notoirement insuffisant. Cinq et parfois même quatre personnes étaient chargées de satisfaire aux exigences d’un programme écrasant. Il s’ensuivait que dans la plupart des cas nos professeurs étaient conduits à sacrifier certaines, parties de leurs cours, les moins brillantes, mais souvent les plus utiles. A Paris même, pour ne citer qu’un exemple, le plus scandaleux, il n’y avait jusqu’à ces derniers temps que deux professeurs d’histoire à la Sorbonne : l’un pour l’antiquité, l’autre pour les temps modernes. Le moyen âge n’avait pas de chaire spéciale, alors qu’il en compte trois ou quatre dans la dernière des universités allemandes. Pour porter remède à cet état de choses, l’administration a fondé 175 nouvelles chaires, 42 cours complémentaires, et 47 conférences qui n’existaient pas en 1867. L’économie politique, qui ne possédait que deux chaires officielles, l’une au Collège de France, l’autre à la Faculté de droit de Paris, est aujourd’hui professée dans la moitié de nos facultés de droit ; le droit commercial, le droit des gens, la législation industrielle, le droit féodal et coutumier ont pris place à côté de l’enseignement traditionnel du droit civil et du droit romain. Dans les sciences, où plus que partout la spécialisation est devenue nécessaire, des branches d’enseignement qui avaient été complètement négligées jusqu’à ces dernières années sont désormais en possession de plusieurs chaires. Dans l’ordre des lettres, l’histoire, la philologie, les antiquités grecques et latines et les langues méridionales se sont également enrichies ; enfin un grand nombre de lacunes ont été comblées. Nous ne sommes pas encore au même point que les universités allemandes, que Berlin par exemple, où le seul programme de la faculté de philosophie comprenait en 1869 vingt-quatre heures de cours chaque semaine, sur l’économie politique, les finances, l’administration, la police et l’agriculture ; mais nous nous rapprochons du but, et l’on peut déjà l’entrevoir.

L’institution des conférences et des cours complémentaires a eu un autre résultat. Elle a contribué et elle contribuera dans l’avenir à imprimer une direction plus scientifique à notre enseignement supérieur. Dans les universités allemandes, il est rare qu’un professeur obtienne et cherche le succès avec ces grandes leçons d’apparat qui sont dans nos mœurs universitaires, et où ont brillé, où brillent encore tant d’hommes éminens. Sauf de très rares exceptions, l’enseignement consiste en dissertations d’un caractère tout didactique, où le souci de la forme et de l’art ne se fait jamais sentir. Les maîtres ne s’adressent pas, comme chez nous, à des auditoires de passage ; ils n’ont en face d’eux que des élèves venus pour s’instruire et non pour chercher un passe-temps. Dans nos facultés, au contraire, le public est complètement disparate et varie suivant les saisons et la température. Pour un élève, on compterait bien dix passans aux cours les plus suivis de la Sorbonne et du Collège de France. Les dames même y sont admises, et ne laissent pas d’ajouter à la difficulté de la tâche imposée par l’usage à nos professeurs. Un pareil auditoire serait nécessairement rebuté par l’aridité d’exercices purement scientifiques. Pour le retenir et l’intéresser, nos maîtres sont obligés de sacrifier beaucoup à la forme. C’est presque une nécessité pour eux de donner à leurs leçons un tour élégant, spirituel ; quelques-uns cultivent la grande éloquence et s’y montrent les dignes successeurs des Saint-Marc Girardin et des Cousin. Ces traditions certes ont leur bon et beau côté, et celui qui les voudrait voir disparaître se montrerait bien peu soucieux de notre vieille renommée littéraire. Si nous avons encore une supériorité, c’est assurément celle du beau langage ; sachons nous en montrer jaloux. Mais à côté de ces leçons oratoires, plus faciles à critiquer qu’à faire et que l’envie seule voudrait supprimer, il convenait d’encourager et de multiplier les leçons didactiques, celles qui ne retiennent pas le public, mais qui forment des élèves. L’auteur de la statistique de 1868 avait ouvert la voie par la création de l’École des hautes études, si critiquée au début, aujourd’hui en pleine prospérité. Il pensait qu’à côté des professeurs ordinaires, il fallait placer, comme dans les universités allemandes, le privat-docent, autrement dit le chargé de cours complémentaires ou le maître de conférences. Le gouvernement en demandant les crédits nécessaires à l’établissement de ces nouveaux enseignemens, la chambre en les votant, n’ont fait que réaliser cette pensée.

On en peut dire autant de la nouvelle organisation de l’École des langues orientales vivantes. Destinée dans le principe à préparer des sujets pour nos ambassades, nos légations et nos comptoirs, cette école s’était complètement écartée des intentions du législateur. Elle avait fini par se persuader qu’elle avait été créée exclusivement pour former des lettrés. Les professeurs y faisaient des cours fort savans, mais la langue parlée n’était plus sérieusement enseignée ; l’abus était tel, que nous en étions presque partout réduits à emprunter le secours d’agens étrangers. Un décret rendu le 8 novembre 1869 avait déjà ramené l’école à l’esprit de son institution, en plaçant des répétiteurs indigènes à côté des professeurs titulaires et en établissant des examens de sortie qui permettent de constater le degré d’instruction, des aspirans au diplôme d’élève breveté. Depuis, de nouvelles et importantes améliorations ont été réalisées sous la même forme que dans nos facultés : c’est-à-dire sous la forme de création de chaires et de cours complémentaires où dominent les exercices pratiques. Quant à l’installation matérielle, elle a été complètement changée. L’École des langues orientales, qui avait autrefois pour unique local une salle de la Bibliothèque nationale, possède aujourd’hui rue de Lille un immeuble important.

L’École des langues orientales n’avait besoin que d’être réorganisée ; il a fallu créer de toutes pièces l’école française archéologique de Rome, pour compléter l’œuvre des fondateurs de l’école française d’Athènes. Les membres de cette dernière étaient bien tenus de faire un séjour de trois mois en Italie avant de se rendre en Grèce. Mais ce n’est pas en un si court espace de temps qu’ils pouvaient entreprendre une étude approfondie des monumens, des inscriptions ou des manuscrits. Tout au plus avaient-ils le temps de visiter rapidement Rome, Florence ou Venise. Il faut un an pour bien connaître Rome seule ; les jeunes savans qui entreprenaient un voyage circulaire en Italie pour se préparer, pensait-on, par l’étude des antiquités latines à celle des antiquités grecques n’emportaient le plus souvent de cette visite superficielle et faite à coups de guide qu’une impression fugitive et souvent fausse. La fondation en 1874 d’une école française, placée sous la direction d’un savant distingué et se recrutant parmi les membres de l’école d’Athènes (première année), ou parmi les élèves sortans des écoles normales, des chartes et des hautes études, permet déjà d’entrevoir le jour où l’archéologie romaine aura parmi nous d’aussi nombreux représentans qu’en Allemagne. Mais la nouvelle école ne borne pas là le cercle de ses travaux ; le moyen âge italien, l’art et la philosophie, la renaissance à la cour des papes, la politique et la diplomatie du saint-siège ont déjà donné lieu de la part des membres et du directeur à d’intéressantes publications, notes ou mémoires. Il faut souhaiter que ce vaste champ reste libéralement ouvert. L’école de Rome a presque autant besoin de lettrés et d’historiens que d’archéologues ; pendant que ceux-ci fouilleront la campagne romaine, ceux-là trouveront dans les livres et les manuscrits des trésors enterrés depuis des siècles et dont l’exhumation fera certainement honneur à la science française.

L’école française de Rome n’en est encore qu’à ses débuts, puisque le décret qui l’a organisée n’a guère plus de trois ans de date. L’École pratique des hautes études est un peu plus vieille. Fondée en 1868, elle a déjà dix années d’existence. Chacune de ces années a été marquée par un progrès ou par d’importans travaux. Elle compte à l’heure actuelle 27 conférences et 50 laboratoires d’enseignement ou de recherches, et les publications faites sous ses auspices forment déjà un ensemble de soixante-douze volumes, qui lui ont valu un diplôme d’honneur à l’exposition de Vienne. « Depuis 1868, dit la statistique, l’administration a continué de se diriger sans un moment d’arrêt vers le but que se proposait d’atteindre le fondateur de l’école, M. Duruy. De nouvelles constructions ont déjà permis ou permettront demain d’ouvrir dans toutes les facultés des laboratoires d’élèves ; des règlemens d’administration publique ont rendu obligatoires les travaux pratiques qui jusqu’alors n’étaient que facultatifs ; soixante-dix emplois de maîtres de conférences ont été créés ; il nous est donc permis de croire que, si le public peut continuer de trouver dans les leçons ouvertes à tous un emploi salutaire de ses loisirs, les élèves des établissemens de l’état trouveront de leur côté dans les exercices d’un caractère plus intime les ressources spéciales et les encouragemens qui leur sont si légitimement dus. » Ces ressources étaient en effet ce qui manquait le plus aux étudians sérieux dans l’ancien état de choses, et c’est à les développer que l’administration a compris qu’elle devait mettre tous ses efforts. Quand toutes nos facultés des sciences seront pourvues de laboratoires, quand les exercices pratiques auront pris dans nos facultés des lettres toute l’extension désirable, le dernier mot ne sera pas dit sans doute ; il restera encore à trouver le moyen d’augmenter le nombre beaucoup trop restreint des jeunes gens qui suivent les cours d’enseignement supérieur avec la pensée de conquérir leurs grades ; mais un grand pas aura été fait, et si nos facultés continuent de n’attirer que des auditeurs de passage, du moins on ne pourra pas reprocher au gouvernement de n’avoir pas été jusqu’au bout de son devoir.


III

L’énumération qui précède était indispensable pour donner aux lecteurs une idée de la situation de notre enseignement supérieur, mais on n’a pu qu’y effleurer en passant quelques-unes des questions qui intéressent l’avenir des hautes études en France. Il nous faut maintenant pour compléter ce travail aborder ces questions. Même après les travaux distingués qui ont paru tout récemment encore dans la Revue[3], le sujet ne semble pas épuisé, et peut-être trouvera-t-on qu’il comportait de nouveaux développemens.

On a vu plus haut que la loi du 12 juillet 1875 avait prévu que le gouvernement présenterait, dans le délai d’un an, un projet de loi ayant pour objet d’introduire dans l’enseignement supérieur de l’état les améliorations jugées nécessaires. Par cette disposition pleine de prévoyance, le législateur tenait sans doute à marquer qu’il n’entendait pas livrer l’Université sans défense aux coups de ses adversaires émancipés. En même temps qu’il donnait à ceux-ci la liberté, il était naturel qu’il invitât le gouvernement à se préoccuper des moyens de mettre nos établissemens en mesure de supporter la concurrence. Mais le législateur de 1875 avait compté sans la politique et ses vicissitudes. Depuis le vote de la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur, cinq ministres appartenant aux écoles et aux doctrines les plus diverses se sont succédé rue de Grenelle. Il était difficile que l’administration centrale se livrât, dans ces conditions précaires, à des travaux un peu suivis ; ce qu’une main eût ébauché, une autre main l’eût défait. Ainsi l’honorable M. Waddington avait élaboré un projet qu’il était à la veille de soumettre aux chambres ; ce projet avait été précédé d’une enquête à laquelle avaient pris part toutes les facultés de France, les recteurs, les inspecteurs généraux et un certain nombre de personnes désignées par leur compétence dans les questions d’instruction publique. Il y avait là de précieuses indications ; pour la première fois, croyons-nous, on avait eu l’idée de consulter tous les intéressés : ils avaient pu rédiger leurs cahiers, on connaissait leurs vœux ; bref, il semblait que l’on possédât tous les élémens d’une bonne loi, quand survint le 16 mai. L’occasion était manquée. Six mois se passent ; les élections du 14 octobre ramènent un ministère républicain aux affaires, mais elles ne ramènent pas M. Waddington à l’instruction publique. C’est un nouveau venu dans l’Université qui est appelé à recueillir la succession du magistrat qui avait été mis à la tête. Nouveau délai, nouvelles hésitations, qui durent encore.

Il serait grand temps, en vérité, que le ministère de l’instruction publique cessât de servir ainsi d’appoint dans les combinaisons parlementaires. On ne sait pas assez le mal que font à l’Université ces perpétuels changemens ; à peine un ministre a-t-il fait son apprentissage, qu’on se hâte de lui donner un successeur auquel il faut naturellement plusieurs mois pour se mettre au courant. Cependant le temps passe, les facultés catholiques se fondent et se développent, elles nous prennent à Paris seulement près de deux mille élèves, et le projet de loi promis par le législateur de 1875, élaboré par M. Waddington, amendé par M. Bardoux, et probablement contre-amende par le ministre actuel, n’a pas encore vu le jour[4].

Il semble pourtant qu’après la grande enquête de 1868, complétée par M. Waddington en 1875 et par la publication de la nouvelle statistique en 1878, l’hésitation ne soit plus permise. Cette triple instruction a mis on lumière un certain nombre de points sur lesquels il serait facile de faire porter les améliorations jugées nécessaires dont il est question dans la loi du 12 juillet 1875. Au nombre de ces améliorations figure en première ligne la création d’universités complètes, ou plutôt de centres universitaires dans un certain nombre de villes que leur population, leur importance et leur situation géographique semblent appeler à cet honneur. Ce n’est pas d’aujourd’hui que la question est à l’ordre du jour. Déjà, dans les dernières années de l’empire, l’administration avait été frappée de la nécessité de concentrer ses efforts et ses ressources sur quelques points déterminés au lieu de les partager, suivant une proportion rigoureuse, entre toutes nos facultés. L’exemple des pays étrangers, la prospérité de leurs universités, l’état d’infériorité de notre enseignement supérieur, constatés dans vingt travaux et rapports émanés des hommes les plus compétens et de nos agens diplomatiques, tout se réunissait pour pousser le gouvernement dans cette direction, et quand la guerre éclata il allait s’y engager ; le sénat était saisi de deux projets de loi sur l’organisation et la liberté de l’enseignement supérieur, deux choses qui s’impliquent l’une l’autre et qu’on n’aurait jamais dû séparer. Après la guerre, après le vote de la loi du 12 juillet 1875, la nécessité de la réforme qui s’imposait au gouvernement impérial est devenue plus manifeste encore. De véritables universités, formées de la réunion des quatre facultés de droit, de médecine et pharmacie, des sciences et des lettres, ont surgi sur plusieurs points à la fois, ou sont en voie de formation à Paris, à Lille, à Toulouse, à Angers, à Lyon. Sur ces cinq points, la lutte est désormais engagée entre l’enseignement supérieur libre et l’enseignement supérieur public. Le parti catholique possède aujourd’hui cinq corps d’armée universitaires, admirablement disciplinés, pourvus de ressources inépuisables et soutenus par d’ardentes sympathies. Devons-nous continuer d’opposer à ces corps d’armée des régimens isolés, c’est-à-dire de pauvres établissemens placés dans des conditions désavantageuses, sans lien et sans appui mutuel entre eux, condamnés par leur situation même à traîner dans la médiocrité leur obscure existence ? Évidemment non, l’Université doit, à peine de se voir distancée, modifier son organisation d’après ces données nouvelles.

Quand Napoléon Ier fonda l’Université de France, en 1808, il était moins urgent de créer dans quelques villes privilégiées de grands foyers intellectuels que d’organiser sur tous les points du territoire un enseignement d’état. L’unité morale et intellectuelle de la France était à ce prix. Il importait que la jeune génération née pendant la grande tourmente révolutionnaire fût soumise à une discipline et à une éducation commune. C’était le seul moyen d’effacer dans le cœur des enfans la trace des discordes et des luttes sanglantes qui avaient si longtemps partagé les pères en deux camps. Dans la pensée de l’empereur, l’Université de France devait être comme le creuset où les passions, les idées, les préjugés, les croyances et les traditions de l’ancien régime viendraient se fondre et s’amalgamer avec les principes de 1789. Aujourd’hui, grâce à Dieu, ce travail de fusion, qui a longtemps été la raison d’être et l’honneur de notre enseignement public, n’est plus à faire, et l’Université de France a pu, sous l’effort de l’opinion, renoncer à son monopole. De même, elle pourrait sans grand inconvénient, pense-t-on, renoncer à l’avantage singulièrement illusoire d’entretenir à grands frais, dans toutes nos anciennes provinces, des établissemens animés d’une vie toute factice, et qui ne rapportent ni beaucoup d’honneur au corps, ni de sérieux profits à la communauté. Il y a telle faculté des lettres qui n’a fait, depuis vingt-cinq ans, qu’un seul docteur. On en par le encore comme d’un événement extraordinaire. La plupart délivrent péniblement chaque année cinq ou six diplômes de licenciés, souvent à des jeunes gens venus de Paris dans l’espérance de trouver des jurys plus indulgens et des concurrens moins nombreux. Par exemple elles font toutes un assez grand nombre de bacheliers. En 1876, la faculté des lettres de Besançon en a reçu 101, celle de Caen 218, celle de Clermont 113, celle de Dijon 140, celle de Grenoble 97, celle de Poitiers 264, celle de Rennes, 181, etc.

Mais où serait le mal, si la production de la France en bacheliers diminuait un peu ? Nous n’avons que trop de ces jeunes gens qui, pour avoir fait de prétendues études littéraires, dédaignent les carrières industrielles et commerciales, et mettent toute leur ambition à obtenir un emploi du gouvernement. Où serait le mal si les progrès de la bureaucratie et de l’esprit bureaucratique s’arrêtaient ? Notre pays a trois fois plus d’employés qu’il ne lui est nécessaire, et si la disparition de quelques facultés de province devait avoir pour résultat de ralentir un mouvement qui préoccupe à bon droit les économistes, il faudrait plutôt s’en réjouir que s’en plaindre.

Il ne saurait toutefois être question, dans cette réforme de quelques-uns de nos établissemens, de toucher à la constitution même de notre enseignement supérieur, et de créer au sein de notre vieille Université de France des universités privilégiées formant des corps autonomes, indépendans et sans autre rapport avec l’administration centrale que ceux qui existent entre le contribuable et le percepteur. Cette conception bizarre d’une classe de fonctionnaires, émargeant au budget, payés par la communauté et cependant affranchis de toute obligation professionnelle, de tout lien de dépendance vis-à-vis de l’état et de ses représentans peut avoir séduit quelques esprits faux. Aucun homme sensé ne saurait s’y arrêter ; rien ne pourrait être plus fatal aux bonnes études que ce relâchement de la surveillance et cette diminution de l’autorité du gouvernement. C’est bien assez que l’état ne soit plus seul à enseigner, c’est-à-dire à façonner l’âme des jeunes générations. Qu’il garde au moins sur ses établissemens, sur son personnel, sur les méthodes et l’esprit de l’enseignement, le droit de contrôle et d’investigation qu’il a toujours exercé. Plus il a donné de liberté à ses adversaires, plus il importe qu’il affirme son pouvoir et qu’il fasse sentir sa main dans ce qui lui reste.

On a beaucoup parlé d’autonomie dans ces dernières années. C’est en invoquant leur autonomie que certaines nationalités ont abusé l’Europe, intéressé les philanthropes à leur cause et provoqué d’abominables guerres où les principes les plus élémentaires du droit des gens ont été foulés aux pieds. C’est au nom de leur autonomie que des races entières ont exterminé d’autres races. Le mot a fait fortune, sans doute à cause du sang qu’il a fait répandre. Il est présentement fort à la mode ; il a remplacé la décentralisation à laquelle personne ne songe plus depuis qu’elle a cessé d’être une formule d’opposition. Dans le corps enseignant même, il a ses dévots qui lui attribuent des vertus étonnantes et des propriétés miraculeuses, entre autres celles de rajeunir et de fortifier. C’est, dit-on, d’émancipation et d’indépendance qu’a surtout besoin notre haut enseignement. Les bureaux l’oppriment, l’administration gêne son développement et paralyse ses efforts. Il faut le livrer à lui-même : alors, mais seulement alors, on verra de quels progrès il est capable. — Ce langage, a-t-on besoin de le dire, est celui d’une très petite minorité de fonctionnaires agités et mécontens, qui voudraient faire prendre le change à l’opinion publique et se décharger sur cet être impersonnel qui s’appelle l’administration des responsabilités qui leur appartiennent en propre. La vérité c’est que la liberté est le fonds qui manque le moins à notre enseignement supérieur, et si l’on devait faire un reproche aux bureaux ce serait bien plutôt de n’avoir pas eu depuis vingt-cinq ans la main assez ferme. Si de fâcheuses habitudes se sont introduites dans le corps enseignant, s’il s’est en plus d’un endroit endormi dans un doux far-niente, c’est que l’administration a beaucoup trop pratiqué vis-à-vis de lui la doctrine du laisser faire. Sans doute l’Université ne saurait être menée comme un régiment ; elle a droit à de grands égards et l’on éveillerait chez ses membres de justes susceptibilités en leur faisant trop durement sentir le joug. Mais encore faut-il qu’elle soit conduite. Il n’y a pas de corps, si élevé qu’il soit, si haut qu’il porte le sentiment du devoir professionnel, qui n’ait besoin de frein ; autrement l’anarchie s’y glisse et le désordre y règne.

Mais ce n’est pas seulement le désordre et l’anarchie qu’il faudrait craindre de la part d’universités autonomes. L’institution de pareils établissemens serait pour l’Université le commencement de la fin. Elle porterait un coup funeste à l’idée, déjà bien assez décriée, de l’état enseignant. Il y a toute une école aujourd’hui qui voudrait, au nom de la liberté, retirer à l’état l’éducation de la jeunesse. Quelle force ne donnerait pas aux théoriciens de cette école la création de cinq ou six grands centres universitaires absolument indépendans ! Au nom de quel principe l’état prétendrait-il conserver la haute main sur ses autres établissemens d’enseignement supérieur, et bientôt, par une conséquence fatale, sur ceux d’enseignement secondaire, lorsqu’il aurait constitué les facultés de Paris, ! de Lyon, de Marseille et de Bordeaux à l’état de corps autonomes ? Ces universités dans l’Université, ne tarderaient pas à ruiner tout le système. Si tel est le but que l’on poursuit, si c’est à l’Université qu’on en veut, soit ; on ne sera que logique en poussant à cette réforme. Si c’est au contraire dans son intérêt qu’on la réclame, si c’est un présent qu’on veut lui faire, on se trompe étrangement.

Les amis vraiment éclairés de l’Université ne demandent pas de si grands changemens. Ils ne désirent pas qu’on altère sa constitution primitive, et qu’on détruise son unité. Ils pensent seulement qu’au lieu d’éparpiller ses forces, elle devrait opérer sur elle-même un mouvement de concentration, qui lui permît d’opposer aux établissemens concurrens des groupes plus puissans et mieux outillés. Nous avons cinq ou six grandes villes en France dont on pourrait faire aisément des chefs-lieux universitaires. Il n’y faudrait qu’un peu d’argent et de résolution. L’argent, les chambres le donneront quand on le voudra, mais le gouvernement aura-t-il assez de fermeté pour vaincre la résistance des villes intéressées au maintien du statu quo ? A cet égard, il est permis de concevoir quelques doutes. En effet, sur ce point particulier, le langage, ailleurs si net et si franc, de la statistique est singulièrement obscur. On y sent un grand embarras et comme la crainte d’en trop dire. Manifestement le ministre est gêné sur ce terrain hérissé d’obstacles parlementaires ; il a dû subir de rudes assauts dans les couloirs du sénat et de la chambre des députés. Il ne conclut pas, ou du moins sa conclusion n’est que dilatoire. Il voudrait « laisser faire le temps, » il consentirait peut-être, un jour, « à admettre entre nos établissemens des différences de régime, » mais il « souhaiterait en même temps de ne pas faire descendre du rang qu’ils occupent des hommes qui ont honoré la science par leurs travaux. » Ces généralités peu compromettantes et ce langage conditionnel peuvent être à leur place dans un document officiel ; malheureusement ils n’indiquent pas que le gouvernement ait une doctrine et des idées bien arrêtées sur la question. Qu’a-t-il donc tant à craindre ? Personne ne songe à faire descendre nos professeurs de facultés. Bien au contraire, en créant cinq ou six groupes universitaires qui deviendraient nécessairement des résidences d’avancement, on offrirait à leur légitime ambition des perspectives d’avenir qui leur manquent aujourd’hui. Combien d’esprits distingués, créateurs, se sont engourdis, faute d’un théâtre et d’un public dignes d’eux, dans ce qu’un de nos maîtres appelait ingénieusement l’oisiveté occupée de quelques-unes de nos facultés de province ! Que de talens se sont épuisés ou tout au moins refroidis dans l’atmosphère léthargique de certaines villes, qui s’obstinent à maintenir leurs facultés des sciences et des lettres en dépit de leurs salles désertes et de leurs banquettes vides ! Franchement l’état ne saurait être tenu de continuer à soutenir des établissemens qui ne sont même plus une bonne école pour ses professeurs. Les sacrifices qu’il fait là ne sont plus en rapport avec l’utilité qu’il en retire. Quant « aux différences de régime » dont se préoccupe l’auteur de la statistique, on ne voit pas trop ce qui les rendrait nécessaires, une fois écartée l’idée de constituer des corps autonomes et privilégiés, investis de prérogatives qui seraient refusées aux facultés isolées, telles que la collation des grades. L’administration pense que les facultés « préféreraient un vote de suppression à la mesure qui les réduirait à n’être plus que des commissions d’examen pour le baccalauréat. » C’est très sagement pensé, mais à part quelques esprits téméraires, il n’existe pas un homme compétent qui voulût enlever aux facultés isolées que l’on conserverait la délivrance des grades supérieurs, pour transporter cette prérogative aux seules facultés groupées. Que l’on supprime certaines facultés des sciences et des lettres, la mesure s’explique et se justifie d’elle-même. Mais il serait exorbitant de créer un privilège au profit d’établissemens et de villes déjà favorisés.

Il y aurait d’ailleurs un excellent moyen, et la statistique le propose, de maintenir entre les facultés isolées et les facultés groupées l’égalité de régime et la communauté de discipline, aussi nécessaires à leurs bons rapports qu’aux progrès de l’enseignement : ce serait d’instituer au-dessus des unes et des autres un conseil central qui tiendrait ses pouvoirs d’une loi et dont la mission spéciale serait de diriger et de surveiller, sous la présidence du ministre, l’ensemble de nos établissemens d’enseignement supérieur. A dire vrai, l’Université possède déjà bien des conseils : conseil supérieur et comité consultatif de l’enseignement public, conseils académiques et conseils départementaux. Mais il faut s’attendre à ce que les attributions et la composition de ces divers conseils soient profondément modifiées. Et qui sait où l’on s’arrêtera dans cette voie ? Le législateur de 1850 et plus récemment celui de 1875 avaient cru devoir faire une large part à l’enseignement libre. Dans leur pensée, le conseil supérieur (et par extension les autres) devait être la représentation libre et fidèle de tous les élémens de la société également intéressés dans la préparation des générations à venir. Ce n’était pas, suivant le langage de M. le duc de Broglie, « une simple réunion d’administrateurs associés à la direction d’une branche des services publics. C’était une assemblée de famille, de la famille française tout entière, appelée à surveiller les premiers pas dans la vie de ses propres enfans. » Nous sommes loin, hélas ! de cette largeur d’idées ; un déplorable esprit d’antagonisme s’est introduit, depuis le vote de la loi du 12 juillet 1875, dans les rapports de l’église et de l’Université, et l’on peut déjà prévoir le jour où l’état, par représailles, voudra retirer au clergé, devenu son concurrent, la part d’influence et de direction qu’il lui avait concédée jusqu’à ce jour. L’éviction des membres de l’épiscopat qui siègent dans nos conseils universitaires n’est plus une question d’années, c’est une question de mois[5]. En ce moment même une grande commission parlementaire élabore un projet de loi qui prononcera ce divorce ; la rupture est fatale. Dans ces conditions, l’institution d’un nouveau conseil auquel seraient dévolues toutes les attributions du conseil supérieur et des conseils académiques en matière d’enseignement supérieur s’imposera tôt ou tard aux pouvoirs publics. Le corps enseignant et l’état y sont également intéressés ; l’un y trouverait une garantie contre le morcellement de pouvoir et les empiétemens qui seraient à craindre avec la nouvelle organisation de nos facultés ; l’autre serait assuré d’y rencontrer une protection efficace pour ses titres et pour ses droits.

Telle serait, à notre avis, la solution qui froisserait le moins d’intérêts particuliers et qui offrirait en même temps le plus d’avantages. A vrai dire on ne se flatte pas qu’elle satisferait tout le monde ; plusieurs villes y perdraient, dans un avenir plus ou moins rapproché, la gloire de lancer chaque année quelques bacheliers dans la circulation ; quelques vieux professeurs de facultés, établis dans le pays et entourés de considération, se résigneraient difficilement à quitter le théâtre de leurs exploits discrets. Mais, à part ces petits inconvéniens, l’Université prise en masse s’applaudirait, croyons-nous, d’une réforme qui ajouterait à ses moyens d’action sans compromettre son unité.

Toutefois on aurait tort d’attribuer à cette réforme je ne sais quelle vertu de rajeunissement et de reconstitution. Il en est des lois comme de certains remèdes ; elle peuvent corriger un vice d’organisation, elles sont impuissantes dans les maladies de langueur par où périssent les corps aussi bien que les individus. Or, il faut avoir le courage de le dire, c’est de langueur et de consomption que souffre l’Université. Est-ce sa faute ? A-t-elle fait tout ce qu’il fallait pour se défendre contre l’anémie qui l’a progressivement envahie ? Est-ce la faute du temps où nous vivons et du discrédit où sont tombées les études sérieuses en France ? Il nous entraînerait trop loin de le rechercher ici. Ce qui est certain, c’est que notre enseignement supérieur est loin d’avoir, surtout dans les lettres, la vitalité qu’il possède à un si haut degré en Allemagne. Sans doute on pourrait nous opposer de brillantes exceptions ; à Paris par exemple, les chaires de littérature et de philosophie jettent un grand éclat aussi bien à la Sorbonne qu’au Collège de France, et la jeune École des hautes études a déjà formé toute une pépinière de savans qui ne laisseront pas dépérir entre leurs mains notre honneur scientifique. Mais ces exceptions ne font que confirmer la règle, et, sans être pessimiste, un fait saute aux yeux : c’est l’insuffisance absolue de nos auditoires de facultés. Et nous ne parlons pas seulement ici des auditoires de province ; nous songeons aussi bien à Paris qu’à Rennes ou qu’à Clermont. Même à la Sorbonne, même au Collège de France, les cours les plus suivis n’attirent que très peu d’élèves. Nos professeurs ne font pas école et n’ont pas de disciples. Le plus souvent leur parole se perd dans la sonorité d’amphithéâtres aux trois quarts vicies ou se dépense sans autre profit que la satisfaction de quelques dilettantes et la récréation d’un petit nombre de désœuvrés. Qui n’a vu ce spectacle au moins une fois dans sa vie et n’en a pas été scandalisé : le professeur dans sa chaire parlant ; devant lui, sur les premiers bancs, quelques jeunes gens, bien peu, prenant des notes et suivant avec attention la parole du maître ; derrière, un assemblage étrange de femmes élégantes et de gens sordidement vêtus, de bas-bleus de profession et de pauvres diables venus pour se chauffer l’hiver, pour se mettre à l’ombre en été, de gens qui entrent et de gens qui sortent dans un va-et-vient perpétuel ? Qui n’est revenu un peu écœuré de ces représentations où la dignité du professeur est à tous momens compromise ? Qui ne s’est demandé si l’enseignement de nos facultés ainsi pratique rendait bien tous les services qu’on est en droit d’attendre de lui ? C’est, je crois, Polybe qui a dit de la Grèce qu’elle était morte faute d’hommes, ὀλιγανδρίᾳ (oligandria). On en pourrait dire autant de la plupart de nos facultés des lettres : si elles dépérissent, c’est faute d’élèves ; là est leur vice constitutionnel et leur principe de mort. Dans les autres facultés, surtout dans celles de médecine et de droit, ce vice constitutionnel, ce principe de mort, trouvent leur correctif dans l’obligation des grades professionnels et dans l’empressement des jeunes gens qui se destinent aux carrières d’avocat, de magistrat ou de médecin. Les bonnes lettres, comme on disait autrefois, n’ouvrent malheureusement pas d’aussi larges perspectives d’avenir à l’ambition de la jeunesse. L’enseignement et les honneurs universitaires, l’Institut et les honneurs académiques, voilà tout ce qu’elles peuvent offrir à des générations affamées de jouissances faciles et rapides. Il y a là pour nos facultés des lettres et des sciences, surtout pour les premières, une cause d’infériorité manifeste. Et malheureusement cette cause n’est pas accidentelle ; elle est inhérente à l’objet même de l’enseignement et, par suite, indestructible. Pourtant il ne serait peut-être pas impossible de retenir un plus grand nombre de jeunes gens dans nos amphithéâtres et d’éveiller chez eux des vocations. On a déjà beaucoup fait dans ce sens en relevant la condition des professeurs ; la carrière universitaire offre aujourd’hui des avantages matériels et des sécurités que sont loin de présenter d’autres grands services publics. On pourrait encore employer des moyens d’un ordre moins positif. L’administration les connaît ; elle en a déjà éprouvé plusieurs ; elle étudie les autres.

Un de ces moyens, indiqué par la statistique de 1868 et mis à l’essai dès cette époque, a déjà produit d’heureux effets : nous voulons parler du développement donné dans nos facultés des lettres aux exercices pratiques et de la création, près nos facultés des sciences, de laboratoires d’enseignement. « A cet égard, dit la statistique, dans toutes les directions le mouvement est complet. Les laboratoires se multiplient et, dans l’ordre des lettres, les conférences répondent à un même besoin général. Nous avons beaucoup tardé sans doute à nous laisser convaincre ; mais aujourd’hui les esprits les plus résistans semblent céder, et l’insuffisance des leçons théoriques, des enseignemens qui plaçaient le professeur à distance de ses élèves, est presque unanimement reconnu. » Il a fallu beaucoup de temps en effet pour gagner ce procès ; il a fallu surtout l’éclatant succès de l’École des hautes études. A peine fondée, cette école avait déjà plus d’élèves, dans la seule section d’histoire et de philologie, que les cours les plus suivis de la Sorbonne. Son exemple a piqué d’émulation l’Université. Nos professeurs ont tous compris la nécessité d’ajouter des conférences d’un caractère à la fois plus scientifique et plus intime à ces grandes leçons « faites avant tout pour intéresser le public, mais notoirement insuffisantes pour provoquer chez les étudians cette curiosité persistante qui peut naître seulement de la pratique personnelle des instrumens et qui détermine les vocations, » Qu’ils continuent dans cette voie, qu’ils s’y engagent plus avant encore ; leurs cours y perdront peut-être en éclat, mais ils y gagneront certainement en solidité ; en tout cas la qualité de leurs auditoires ne pourra qu’en être rehaussée. Dans ce même ordre d’idées se présente une question que la statistique a fort bien fait de soulever et que les pouvoirs publics devraient bien trancher, autrement elle ne le sera jamais : la question de la durée des cours et du nombre des leçons. Autrefois les cours de facultés étaient annuels, c’est-à-dire de huit à neuf mois, et les leçons étaient au nombre de trois et quatre par semaine. Les professeurs étaient même tenus de faire subir des interrogations aux élèves et de leur corriger des devoirs. Bref les cours de nos facultés des sciences et des lettres étaient comme le complément des études du lycée (décret du 16 février 1810). Ils avaient si bien ce caractère que le statut général du 9 avril 1825, commun à toute l’Université, disposait que les élèves inscrits et des auditeurs bénévoles munis de cartes seraient seuls admis dans les amphithéâtres. Aujourd’hui la durée des cours s’abaisse fréquemment à quatre ou cinq mois au plus, grâce aux congés et aux sessions d’examen pendant lesquels ils vaquent ; le nombre des leçons a été réduit à deux par semaine, en vertu d’une ordonnance de 1841 ; les auditoires de nos facultés, au lieu d’être exclusivement composés d’élèves inscrits et d’auditeurs bénévoles munis de cartes, forment une véritable macédoine ; enfin l’usage des interrogations et des corrections de copies s’est complètement perdu. Nous parlons, bien entendu, des seules facultés des sciences et des lettres, car dans les facultés de droit et de médecine et dans les écoles supérieures de pharmacie, la pratique des trois leçons n’a jamais été abandonnée. Convient-il de laisser les choses en l’état ? Vaut-il mieux revenir à l’ancien régime ou tout au moins s’en rapprocher ? Dans la pensée de l’administration, dans celle de beaucoup d’hommes compétens, il n’est pas douteux que le nombre des leçons et la durée des cours soient devenus complètement insuffisans. Ce n’est pas avec trente ou quarante leçons par an qu’un professeur de littérature ou d’histoire peut donner aux sujets qu’embrassent généralement nos cours d’enseignement supérieur tout le développement qu’ils comportent. Sans doute un habile homme n’a pas besoin d’un plus long temps pour tracer à grands traits le tableau d’une époque ou d’un genre. M. Guizot n’a pas mis plus de cinquante séances à parcourir les étapes successives de l’histoire de la civilisation en France, et M. Villemain a su faire tenir toute la littérature du XVIIIe siècle en soixante-deux leçons. Mais outre que les Guizot et les Villemain sont rares, les progrès de la critique historique et littéraire ont complètement modifié le caractère et les procédés d’enseignement. Il ne serait plus permis aujourd’hui, même aux plus grands talens, de parcourir de si vastes espaces et de s’en tenir à ces généralités qui ont eu tant de succès il y a quarante ans ; nous sommes devenus plus exigeans. Le champ de la rhétorique s’est un peu rétréci, grâce à Dieu ; celui de l’érudition et de l’analyse s’est au contraire singulièrement élargi. Et ce n’est pas seulement dans l’ordre des lettres que cette transformation s’est opérée ; l’enseignement scientifique lui-même en a ressenti les bienfaisans effets ; il est devenu plus sévère. Jadis, à l’exemple et sur les traces d’hommes éminens dont le souvenir est encore dans tous les esprits, il avait une tendance aux lieux communs oratoires ; la rhétorique l’avait gagné, lui aussi. Cette association contre nature a cessé et l’on peut dire à la louange des professeurs de nos facultés des sciences qu’ils ont complètement abandonné ces dangereux erremens. Quoi qu’il en soit, et pour en revenir au point de départ de cette digression, la durée des cours et le nombre des leçons n’est plus en rapport avec les exigences de notre enseignement supérieur. Et ce n’est certes pas une des causes les moins actives de la pauvreté de nos auditoires de facultés que cette dérogation aux anciens usages. On se plaint justement de l’indifférence et de la rareté des étudians. Que penser du zèle de maîtres qui sont payés à raison de 8 et 10,000 francs et qui se croient quittes envers l’état lorsqu’ils ont fait trente-cinq ou quarante heures de leçons par an ?

On objecte, il est vrai, que nos professeurs, à la différence de ceux des universités allemandes, sont accablés d’examens[6] qui leur prennent une bonne part de leur temps et de leurs forces, et que leurs leçons exigent une préparation beaucoup plus longue. Ces objections ne sont pas sans valeur et nous les avons trouvées présentées avec beaucoup de force et de verve par M. Lavisse dans le volume d’études récemment publié par la Société de l’enseignement supérieur[7]. En supposant que l’on parvînt à créer pour nos professeurs des lettres et des sciences un public d’élèves comme ceux que les professeurs allemands, réunissent au pied de leurs chaires, on n’aurait pas encore le droit, pense M. Lavisse, « d’exiger d’eux le même nombre d’heures de leçons que donnent les universitaires d’Allemagne. » Et, à l’appui de cette opinion, M. Lavisse cite le compte vrai, quoique invraisemblable, de la somme de temps employée aux examens par un éminent professeur de la faculté des lettres de Paris, du 1er novembre 1877 au 1er novembre 1878.

Baccalauréat, session de novembre, 14 séries aux lettres, 3 aux sciences, 3 surveillances. Chaque série implique : 1° la correction de 20 copies ; 2° un examen oral ; c’est donc une journée entière. La surveillance est de huit heures à midi et de deux heures à quatre heures et demie ; c’est encore une journée enlevée à tout travail sérieux ; total pour la session de novembre : 20 journées.

Session d’avril : 8 séries aux lettres, 2 aux sciences, 3 surveillances ; total : 13 journées.

Session de juillet-août : 17 séries aux lettres, 4 aux sciences, 4 surveillances ; total : 25 journées.

Doctorat : 1° examen de 5 thèses en manuscrit pour en faire un rapport au doyen : ensemble, 31 journées. 2° Lecture des mêmes thèses imprimées en vue de la soutenance ; lecture de 9 autres thèses également imprimées, total 14 thèses, à 2 jours chacune au bas mot, cela fait 28 journées, 3° Séances de soutenance, 14 journées.


Total pour le doctorat 31 + 28 + 14 = 73 journées.
Total pour le baccalauréat 20 + 13 + 25 = 58 —
131 journées

Ces chiffres sont évidemment excessifs ; mais il faut dire aussi qu’ils sont exceptionnels et qu’il n’y a que Paris et deux ou trois villes de province où les professeurs de facultés soient écrasés de cette sorte. Partout ailleurs, le nombre de journées absorbées par les examens est assez raisonnable. À Besançon et à Dijon, par exemple, les professeurs de la faculté des lettres ne consacrent pas plus de 60 journées aux examens du baccalauréat et de la licence. Quant au doctorat, c’est pour mémoire seulement que nous le comptons. Il n’est donc pas exact de prétendre que la grande majorité des professeurs de facultés ne pourrait pas supporter un surcroît d’heures de leçons, et, si nous admettons volontiers qu’à la Sorbonne les examens constituent une charge excessive, il faut reconnaître qu’en province le corps enseignant n’en est pas, en général, accablé.

La seconde objection présentée par la Société d’enseignement supérieur semble plus fondée. Les cours des professeurs allemands ne ressemblent en rien à ceux de nos professeurs. D’abord, ils ne durent que trois quarts d’heure, ensuite, ils consistent en lectures qui n’exigent aucun effort d’improvisation. Chaque professeur a ses cahiers qu’il récite ou qu’il lit, sans se mettre autrement en frais d’éloquence. On comprend qu’un même maître puisse ainsi faire jusqu’à cinq leçons par semaine ; une fois son cours écrit, il n’a plus qu’à le tenir au courant de la science. Or combien cette tâche n’est-elle pas plus aisée que la création annuelle d’un cours ? La remarque est des plus justes, mais nous ne croyons pas qu’elle enlève à mes critiques quoi que ce soit de leur valeur. Il ne s’agit pas, en effet, d’exiger de nos professeurs de facultés quatre et cinq heures de leçons par semaine. On voudrait simplement les rappeler à l’observation de la vieille règle des trois leçons ou conférences et surtout à celle des cours annuels. On voudrait réveiller chez certains d’entre eux un sentiment qui s’est malheureusement affaibli dans l’Université depuis une vingtaine d’années ; nous voulons parler du sentiment du devoir professionnel et de la solidarité qui devrait exister entre le maître et l’élève. Nos professeurs ne sont pas assez pédagogues au sens élevé du mot. Ils se considèrent le plus souvent comme de simples fonctionnaires tenus à tant d’heures de cours ou de classes par semaine, et bornent là toute leur tâche. Ils ne cherchent pas assez à nouer avec leur auditoire ou leurs élèves ces relations intimes qui sont dans les traditions des universités allemandes et sans lesquelles il n’y a pas d’enseignement vraiment fécond. Ce n’est pas ainsi qu’en usent les établissemens rivaux de l’Université ; si l’enseignement proprement dit n’y a pas toujours la même solidité que chez nous, l’action du maître, son influence, j’allais dire son empreinte, s’y font bien autrement sentir et y laissent de plus durables traces. C’est pourquoi tant de pères de famille hésitent aujourd’hui à mettre leurs enfans au collège, et c’est pourquoi, si l’on n’y prend garde, les universités catholiques finiront par enlever à nos facultés une notable partie de leur population. On l’a chercher bien loin les raisons de la prospérité des établissemens dirigés par les jésuites. Si l’on voulait être sincère, on reconnaîtrait qu’ils justifient la faveur des familles par le soin qu’ils mettent à s’emparer de la confiance des jeunes gens, à stimuler leur zèle, à les encourager, en un mot à les diriger, en même temps qu’ils les instruisent. L’Université trouverait de ce côté plus d’un bon exemple à suivre. Malheureusement l’administration n’ai rien à voir en pareille matière ; c’est affaire au corps enseignant lui-même, ce serait à lui de rompre avec des habitudes invétérées qui le font accuser d’insouciance.

Il en irait tout autrement de certaines innovations qui sont indiquées dans la statistique de 1878, ou qui l’avaient été dans la précédente, telles que la création d’écoles normales secondaires, l’augmentation du nombre des bourses, la réforme de la licence, l’obligation pour les étudians en droit de suivre effectivement les cours des facultés des lettres, enfin une plus sérieuse organisation du service des bibliothèques. Il suffirait là d’un peu de vigilance et de fermeté pour réaliser de notables progrès.

Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il est question de créer, au chef-lieu de chacune de nos facultés des lettres et des sciences, des écoles normales secondaires destinées à former une pépinière d’élèves-maîtres comme ceux de l’École normale de Paris et, comme eux, tenus de suivre les cours d’enseignement supérieur. Déjà, en 1821, la restauration en avait décrété l’organisation… sur le papier, il est vrai. En 1845, un ministre dont le nom est resté cher à l’Université, M. de Salvandy, reprit l’idée, mais sans lui donner un corps. Plus récemment, en 1868, intervint un décret de l’empereur Napoléon qui créait au chef-lieu de chaque académie une école normale secondaire « pour la préparation à la licence et à l’agrégation. » Malheureusement ce décret ne reçut qu’un commencement d’exécution[8] ; les successeurs immédiats du ministre d’alors le laissèrent tomber en désuétude, et la république n’a pas encore pensé qu’elle dût le reprendre. On a préféré créer des bourses de licence et de doctorat au nombre de trois cents ; ce qui donne une moyenne de sept élèves pour chacune de nos trente-neuf facultés ou écoles supérieures. Peut-être l’administration de l’instruction publique eût-elle été mieux inspirée en poursuivant l’application du décret de 1868. Ce n’est pas à l’aide d’un contingent de sept ou huit élèves par établissement qu’on peut espérer a transformer le caractère de nos auditoires. » La statistique elle-même en fait l’aveu. D’autre part, il semble difficile que l’état augmente indéfiniment le nombre de ses boursiers. Il s’impose déjà de grands sacrifices pour ceux de l’enseignement secondaire ; on ne saurait exiger qu’il ajoute à toutes ses autres charges celles qui résulteraient de ce chef.

Ce ne serait pas d’ailleurs l’unique avantage des écoles normales secondaires que de procurer à nos facultés des lettres et des sciences les élèves qui leur manquent ; de telles écoles contribueraient certainement à relever le niveau de l’enseignement secondaire, en formant pour cet ordre d’études des sujets plus instruits et plus capables. Sur 1,707 maîtres, nos collèges comptent encore, à l’heure actuelle, plus de 700 simples bacheliers. L’École normale supérieure met bien chaque année dans la circulation une trentaine de licenciés et d’agrégés ; mais il en faudrait deux ou trois fois autant pour les besoins du service, et tant qu’on n’en reviendra pas à la pensée de l’auteur du décret de 1868, ces besoins ne seront pas assurés. L’administration le sait à merveille ; aussi ne conçoit-on pas qu’elle ait si facilement abandonné l’application de ce décret. L’enseignement supérieur et l’enseignement secondaire y étaient également intéressés ; l’un et l’autre en auraient été fortifiés, et l’état, par suite, y eût trouvé double profit.

Conviendrait-il en même temps d’emprunter à l’Allemagne une pratique qui semble avoir donné d’excellens résultats chez nos voisins et que nous trouvons recommandée dans le travail déjà cité de M. Lavisse ? « Ce ne sont point, lisons-nous dans ce travail, les boursiers allemands qui peuplent les auditoires des facultés des sciences et des lettres. Tous les professeurs de l’enseignement secondaire, sans exception, ont passé par les universités, où ils ont demeuré l’espace d’un triennium. Tous ont reçu la permission d’enseigner après avoir subi un examen que l’on donne comme l’équivalent de notre licence. Est-il donc impossible d’établir la même règle en France ?… On dira que le personnel universitaire ne sort point des classes riches, que l’obligation du séjour auprès d’une faculté écartera les jeunes gens d’une carrière où ils ne se portent pas en foule ; mais les futurs Lehrer allemands sont-ils donc si riches ? Combien d’entre eux mènent une vie très rude, apprentissage qui n’est point inutile d’un métier où il ne faut apporter ni égoïsme ni paresse. Nos étudians en sciences et en lettres vivraient modestement, péniblement, si l’on veut, comme font ceux d’Allemagne, où la vie à bon marché ne se rencontre pas plus aisément aujourd’hui que chez nous. On doit croire qu’un bon nombre pourraient être, pendant ces études, soutenus par leur famille, quand on songe que les élèves-maîtres des écoles normales primaires ne sont pas boursiers, et que la plupart des familles de ces jeunes gens paient pension pendant deux ans. L’espérance de conquérir le grade de licencié, qui assure dès aujourd’hui une rémunération supérieure, soutiendra peut-être élèves et familles… On ne se dissimule assurément aucune des difficultés de la mesure qu’on propose ; mais elle mérite d’être examinée sérieusement. Songeons d’abord aux effets qu’on en peut attendre. L’enseignement secondaire de l’état et des villes, menacé, atteint même par la concurrence de l’enseignement libre, serait fortifié, relevé ; l’enseignement supérieur des sciences et des lettres aurait des élèves véritablement en assez grand nombre pour se consacrer à eux tout entiers. La méthode d’enseignement serait transformée ; chaque maître aurait son cours ou ses cours de biennium ou de triennium, et réserverait une partie de l’énorme quantité de temps que lui prend la « grande leçon » destinée au « grand public » à ses travaux personnels auxquels il pourrait faire concourir ses élèves en faisant leur éducation scientifique.

« Si l’on rejette absolument cette difficile réforme, il faut renoncer à l’idée d’obliger les facultés à se contenter de trois cents boursiers parmi lesquels les lettres et les sciences en ont une soixantaine auxquels s’ajoute peut-être, pour toute la France, une centaine d’étudians. »

L’idée nous parait excellente, et nous nous joignons bien volontiers à MM. Lavisse et Monod[9] pour en conseiller l’étude à l’auteur de la statistique de 1878. Le principe du triennium ou du biennium une fois admis, il ne semble pas qu’il doive être si difficile d’introduire cette réforme dans nos mœurs universitaires. On exige bien des élèves instituteurs le brevet de capacité ; pourquoi n’exigerait-on pas des futurs professeurs de nos collèges un stage de deux ou trois ans dans une université, et, à défaut de la licence, un brevet d’aptitude à l’enseignement secondaire ? Nous ne voyons là rien qui ne soit parfaitement légitime et logique. Et certes, si l’administration se décidait à combiner cette réforme avec l’institution des écoles normales secondaires, elle aurait beaucoup fait pour les deux premiers ordres d’enseignement.

Elle serait également bien inspirée en établissant une corrélation, partout où cela serait possible, entre l’enseignement de la faculté des lettres et celui de la faculté de droit. Les étudians en droit devraient former, avec les futurs Lehrer, l’auditoire naturel de nos facultés des lettres. Cela est si vrai que les règlemens universitaires exigent encore d’eux qu’ils soient inscrits sur les registres de la faculté des lettres, et qu’ils paient de ce chef une certaine contribution. Malheureusement, lisons-nous dans la statistique, « les doléances insérées dans des discours, les circulaires et même les règlemens ne peuvent rien contre la loi organique qui a fait de chaque faculté un corps séparé, ayant sa mission distincte et crée de la sorte, un chacun chez soi dont plus tard les professeurs ne voulurent point se départir.

«… Tout récemment encore une interpellation portée à, la tribune de la chambre des députés mettait en évidence l’irrégularité d’une perception à laquelle ne correspondait aucun service rendu. Le ministre, comme il s’y était engagé, a consulté ses conseils, et, à cette heure encore, on n’entrevoit pas Le moyen d’associer, en vue d’un devoir commun, les facultés de droit et des lettres ; on persiste à affirmer qu’à Paris le nombre des auditeurs des facultés des lettres fait obstacle à tout contrôle, que toute mesure de coercition est illusoire ; on affirme qu’en tout lieu les études de droit sont déjà trop chargées pour qu’il soit possible d’y ajouter de nouvelles exigences. »

On affirme ; mais est-on bien sûr qu’on ne se trompe pas ? L’argument tiré du nombre des auditeurs se comprend à la rigueur pour Paris ; mais Nancy, mais Rennes, mais Grenoble ? Ge n’est assurément pas la foule qui fait obstacle à tout contrôle dans ces villes-là. Qui donc a pu, jusqu’à ce jour, empêcher de l’établir ? Quant à l’impossibilité « d’ajouter de nouvelles exigences aux études de droit, » on se demande où l’administration a puisé cette conviction. La seconde année de droit est chargée sans doute ; mais la première ? Qui ne sait qu’en trois mois de préparation, à coups de manuels et de répétitions, un étudiant d’intelligence moyenne peut être mis en état de passer avec succès son premier examen de droit. On ne voit pas dès lors quel inconvénient il pourrait y avoir à introduire un élément littéraire dans cet examen. S’il en était ainsi, les étudians en droit seraient bien forcés de suivre les cours de la faculté des lettres, au lieu de payer à l’état, comme il arrive aujourd’hui, la rançon de cette obligation. Cela serait plus digne pour tout le monde, et tout le monde y gagnerait : les facultés de droit aussi bien que celles des lettres, et l’état aussi bien que les étudians.

Une autre réforme, indiquée d’un trait seulement par la statistique, semble aussi devoir s’imposer : celle de la licence es lettres. Si l’on veut encourager les vocations littéraires, il faudra bien que l’administration se décide à fractionner cet examen en deux épreuves : l’une réservée aux seuls candidats à l’enseignement et portant exclusivement sur les matières d’enseignement ; l’autre, moins spéciale, moins professionnelle, et faisant une plus large part aux aptitudes personnelles de chaque candidat. C’est un fait reconnu que beaucoup de jeunes gens ayant fait de fort bonnes études de lettres et d’histoire hésitent à concourir pour la licence à cause du caractère beaucoup trop scolaire de l’examen actuel. N’a pas qui veut le goût du thème grec et des vers latins. De très bons esprits n’ont jamais pu réussir en ce genre d’exercices ; ils rebutent les uns autant qu’ils plaisent à d’autres, et tel qui serait en état de passer fort convenablement un examen d’où seraient bannies ces deux matières n’ose affronter ces terribles épreuves. Certes on ne prétend pas qu’il faille les supprimer absolument. Tant que le thème grec et le vers latin figureront dans les programmes de l’enseignement secondaire, il sera nécessaire de les maintenir dans les programmes de la licence. Mais, encore une fois, on pourrait instituer deux épreuves au lieu de l’épreuve unique actuelle. Nos facultés des lettres recruteraient ainsi toute une catégorie d’élèves qui désertent aujourd’hui leurs amphithéâtres.

Telles sont, avec une meilleure organisation des bibliothèques de facultés, les principales réformes que semble comporter actuellement notre enseignement supérieur. Au résumé, ces réformes ne sont ni bien nombreuses ni bien compliquées, et l’on ne voit pas trop ce qui a pu jusqu’ici les faire ajourner. Ce n’est pas en effet d’aujourd’hui que la plupart d’entre elles sont à l’étude. On le rappelait au début de ce travail, il y a près de dix ans qu’un ministre sorti des rangs universitaires en saisissait l’opinion publique et les traduisait en projets de loi dont les chambres allaient aborder la discussion quand la guerre éclata. Depuis sont intervenus vingt travaux, livres, brochures ou articles qui ont avancé la question en la précisant et qui l’ont portée à son plus haut point de maturité. Tout ce qui n’était qu’illusion ou expédient, nouveautés dangereuses et généralités est à l’heure actuelle abandonné. On a étudié des faits, constaté des résultats, établi des comparaisons, examiné tous les systèmes et tous les régimes en vigueur dans les autres pays : une grande quantité d’observations ont été notées ; les enquêtes officielles et privées sur la France et l’étranger abondent. Bref tous les matériaux de construction ont été réunis ; il ne reste plus qu’à les mettre en œuvre, dans un rapport harmonique et proportionnel à notre vieil édifice universitaire. Que les pouvoirs publics se hâtent donc. Ce n’est pas assez de proclamer que la république est entrée dans sa période organique ; il lui importe de montrer qu’elle est capable d’organiser ; ce ne sont pas des formules plus ou moins scientifiques qu’on lui demande, ce sont des actes. Qu’elle prouve le mouvement en marchant, cela vaudra mieux que de s’épuiser à tourner sur elle-même dans le cercle vicieux d’une agitation sans fin.

Sans doute, on ne se flatte pas que ces réformes puissent, du jour au lendemain, communiquer à tous nos établissemens une activité et une vie nouvelles. C’est insensiblement que le bienfait s’en ferait sentir. Mais plus la cure doit être longue, plus elle demande de patience et d’efforts continus, plus tôt il importe de l’entreprendre et d’y persévérer. Car ce qui a le plus manqué depuis dix ans à l’Université, c’est la suite et l’unité de direction. Ballottée d’un extrême à l’autre, tantôt poussée en avant, tantôt ramenée en arrière, jamais en repos, jamais assurée du lendemain, suivant toutes les fluctuations et servant d’enjeu dans toutes les combinaisons de la politique, elle a passé par toutes les épreuves et par toutes les mains. Il est temps qu’elle retrouve à la fin son équilibre. La réforme de l’enseignement supérieur est à ce prix. Ce n’est pas un ministre éphémère et politique qui la réalisera jamais ; il y faudrait une indépendance et une application qui sont incompatibles avec le régime parlementaire. Mais qui donc alors y pourvoira ? Peut-être le nouveau conseil dont la création semble décidée et dont il a été question plus haut. Dans l’état actuel des choses, on ne peut qu’applaudir à l’idée de cette création. Tout le reste est bien fragile aujourd’hui. Les ministres passent, les sous-secrétaires d’état passent ; le conseil de l’Université restera pour la défendre contre les empiriques et contre elle-même, contre ceux qui voudraient en faire l’instrument de leurs passions et contre l’esprit de routine. Seulement il faudra beaucoup de tact et de libéralisme dans le choix de ceux qui seront appelés à composer cet aréopage. Si l’on veut qu’il ait de l’autorité, qu’il impose à la fois au gouvernement et à l’Université, qu’il supplée sérieusement des ministres étrangers aux choses scolaires, en un mot qu’il ait une part de direction et d’initiative, on devra s’efforcer de n’y admettre que des hommes d’une compétence et d’un mérite éprouvés, et laisser la politique à la porte. Ce n’est certes pas le corps enseignant qui s’en plaindra ; et si le gouvernement y perd quelques maigres avantages, le service public n’en ira que mieux.

Toutefois on se tromperait étrangement si l’on pensait que ces diverses améliorations constituent à elles seules toute la réforme universitaire. On a déjà pris soin de le marquer ; elles n’en sont qu’une partie, la moins importante peut-être. Tout ne sera pas dit, comme on le croit trop volontiers aujourd’hui, quand on aura construit de splendides édifices pour nos écoles, groupé nos facultés isolées et trouvé le moyen de leur donner des élèves. On fait bien des choses avec de l’argent, de bonnes lois et une administration vigilante ; on ne refait pas l’esprit d’un corps, on ne modifie pas sa nature et son tempérament ; tout au plus peut-on les redresser. C’est aux corps eux-mêmes à se corriger de leurs défauts, quand ils en ont à se préserver de la décadence quand ils en sont menacés. Il n’y a de remèdes à cette sorte de mal que ceux qu’on s’ordonne à soi-même, avec le ferme propos de lutter et de guérir. C’est ainsi que les nations qui ne veulent pas mourir n’ont pas seulement besoin de canons et de forteresses pour se défendre ; il leur faut, à peine de déchoir, se retremper aux sources fécondes du patriotisme et de l’honneur. L’Université de France ne saurait échapper à cette loi nécessaire et générale. Sans doute, on ne peut dire qu’elle soit en décadence. Même, à ne consulter que les apparences, elle n’a jamais été plus vivante et plus forte ; elle brille d’un incontestable éclat, et quand on compare ses travaux à ceux de ses concurrens, on est frappé de leur solidité. Cependant il s’en faut qu’elle exerce encore aujourd’hui la même prépondérance qu’il y a trente ou quarante ans, et la supériorité de son enseignement ne l’a pas empêché de faire de sensibles pertes qu’elle aurait pu, ce semble, éviter en se réformant elle-même. Ses adversaires lui reprochent, non sans quelque raison, d’avoir une tendance à négliger le côté moral de l’éducation de la jeunesse. Ils vont plus loin : ils l’accusent de professer des principes révolutionnaires et antireligieux, il faut faire la part de l’exagération et du dénigrement dans ces critiques ; mais il faut aussi faire la part de la vérité. Or la vérité, c’est que l’Université n’est plus, au même degré qu’autrefois, une grande école de discipline et de respect, c’est qu’elle s’est trop écartée de l’esprit de sa fondation. Napoléon Ier avait fait d’elle une espèce de congrégation laïque, soumise à des règlemens inflexibles, ayant à sa tête un grand-maître investi d’une autorité souveraine, comme le général des jésuites, et chargée, seule, au nom de l’état, « de l’entreprise de toutes les institutions publiques. » Il espérait ainsi « réaliser dans un état de quarante millions d’individus ce qu’avaient fait Sparte et Athènes, ce que les ordres religieux avaient tenté de nos jours et n’avaient qu’imparfaitement réalisé, parce qu’ils n’étaient pas un. » Il voulait « un corps qui soit à l’abri des petites fièvres de la mode, qui marche toujours quand le gouvernement sommeille, dont l’administration et les statuts deviennent tellement nationaux qu’on ne puisse jamais se déterminer légèrement à y porter la main. » Il pensait trouver dans ce corps « une garantie contre les doctrines pernicieuses et subversives de l’ordre social. » — « Il y a toujours eu, disait-il, dans les états bien organisés un corps destiné à régler les principes de la morale et de la politique : telle fut l’Université de Paris et ensuite la Sorbonne ; telles sont en Italie les universités de Pavie, de Pise et de Padoue ; en Allemagne, celles de Göttingue et d’Iéna ; en Espagne, celle de Salamanque ; en Angleterre, celle d’Oxford ; chez les Turcs, le corps des ulémas[10]. » Cette conception puissante d’un corps unique, seul régulateur des principes de la morale et de la politique, seul chargé de l’éducation de la jeunesse, paraît bizarre aujourd’hui ; elle choque notre libéralisme et les idées que nous nous faisons du rôle de l’état en matière d’éducation.

Pourtant, sans aller jusqu’aux ulémas, sans regretter le temps où l’Université formait une sorte de caste ayant dans l’état une fonction plus morale que scientifique, n’est-il pas permis de penser qu’elle gagnerait à reprendre dans une certaine mesure le rôle que lui destinait son fondateur ? L’Université impériale n’était peut-être pas assez dans le siècle ; la nôtre y est trop engagée. C’est l’excès contraire ; elle vit un peu trop de notre vie, de nos agitations ; elle ne se tient pas assez à l’écart de nos luttes et, quand elle y intervient, ce n’est pas, comme les Sabines, pour séparer les combattans, c’est pour combattre elle-même. Au lieu de fuir ces chocs, elle s’y jette parfois avec une animation qui ne sied pas à son caractère. Ce n’est pas d’hier qu’elle a ces tendances. Déjà, sous la monarchie de juillet, le Collège de France et la Sorbonne retentissaient de paroles ardentes qui transformaient leurs amphithéâtres en autant d’arènes, et nous nous souvenons encore d’avoir entendu dans notre jeunesse un brillant académicien, professeur d’éloquence à la faculté des lettres, traiter la question de « la Pologne martyre » à propos de Crébillon. Aujourd’hui, grâces à Dieu, nos maîtres sont plus sérieux ; l’esprit de la jeunesse est aussi plus réfléchi. La Pologne martyre n’aurait plus beaucoup de succès auprès d’un auditoire de Sorbonne. Le temps des fines épigrammes et des leçons à allusion est également passé : on ne vise plus tant au trait. Néanmoins l’esprit du corps enseignant est resté polémique, et c’est précisément cette tournure d’esprit qui a fait à l’Université tant d’ennemis, en la provoquant à prendre dans nos conflits d’opinion une attitude trop peu désintéressée. Sans doute, on ne saurait exiger d’elle une absolue neutralité ; mais on pourrait peut-être lui demander, surtout dans les questions religieuses, une plus complète tolérance et une plus large impartialité. Certes l’Université subit là des entraînemens bien naturels. Dépouillée de son monopole, menacée dans sa clientèle, décriée dans son enseignement, il était presque inévitable qu’elle fût amenée, pour se défendre, à prendre elle-même l’offensive. Mais combien n’eût-elle pas été plus forte et plus respectée si, renfermée dans sa fonction, étrangère à nos discordes, supérieure aux partis, les dominant de toute la hauteur de sa modération et de son indifférence, elle sût borné son ambition à diriger l’éducation de la jeunesse dans le sens des grands devoirs et des éternelles vérités. Quelle plus belle tâche que celle-là ? Pacifier les esprits, préparer la réconciliation des jeunes générations, opposer un enseignement exclusivement scientifique et national à l’enseignement congréganiste, prêcher la discipline, le respect, la tolérance ! Sur ce terrain, à égale distance des exagérations du cléricalisme et des excès de la libre pensée, l’Université serait invincible. Elle ne verrait pas ce qu’on appelait autrefois les classes dirigeantes s’éloigner d’elle ; elle ne risquerait pas, enfin, et pour tout dire en un mot, de perdre le gouvernement intellectuel de ce pays.


ALBERT DURUY

  1. M. Bardoux.
  2. Pourquoi, par exemple, maintenir à la Sorbonne l’administration académique et l’appartement du recteur, qui prennent une place considérable, et qui seraient tout aussi bien placés ailleurs ?
  3. Voir l’étude de M. Michel Bréal dans la Revue du 15 décembre 1878.
  4. Depuis que ces lignes ont été écrites, M. Jules Ferry a bien déposé deux projeta de loi sur le conseil supérieur de l’instruction publique et sur la liberté d’enseignement ; main ces deux projets laissent complètement en dehors la question même de la réforme de notre enseignement public.
  5. Nous avions prévu dès 1870 cette conséquence de la liberté de l’enseignement supérieur. Voyez, dans la Revue du 1er février 1870, la Liberté de l’enseignement supérieur en France. Les nouveaux projets de M. Jules Ferry suppriment complètement la représentation de la magistrature et du clergé dans le conseil supérieur de l’instruction publique et dans les conseils académiques.
  6. Cette question des examens est une de celles qui s’imposeront à l’attention du futur conseil de l’Université. Elle est trop importante et trop délicate pour qu’on l’aborde incidemment. Tout ce qu’on en veut dire, c’est qu’il serait à souhaiter que nos professeurs de facultés fussent déchargés de cette ingrate besogne, à Paris surtout et dans les deux ou trois villes de province où elle est véritablement insupportable. On pourrait tout au moins leur enlever le baccalauréat et ne leur laisser que la licence et le doctorat. On a jusqu’ici reculé devant cette réforme à cause de la difficulté de constituer des jurys d’une compétence et d’une autorité assez incontestées. C’est une difficulté sans doute, mais ce n’est assurément pas une impossibilité, témoin les commissions d’examen pour Saint-Cyr et l’École polytechnique.
  7. Société pour l’étude des questions d’enseignement supérieur. (Études pour l’année 1878. Universités de Bonn, Gœttingue, Heidelberg. Universités autrichiennes, belges et hollandaises ; universités d’Oxford et de Cambridge ; enseignement supérieur en France ; Paris, 45, rue des Saints-Pères.) Fondée l’an dernier seulement, cette société compte déjà de nombreux adhérons parmi les membres de l’Institut et du corps enseignant ; un certain nombre de notabilités de la politique et de la littérature ont également tenu à honneur d’en faire partie.
  8. Notamment à Douai et à Nancy, où il avait donné d’excellens résultats.
  9. Voir le travail de M. Monod sur la Réforme de l’enseignement supérieur, où se trouve indiquée cette même idée.
  10. Note de Napoléon Ier relative à l’organisation de l’Université impériale. (Paris, le 21 mars 1808.)