La Spéculation et le Calcul des probabilités/Chapitre II



CHAPITRE II.

OPÉRATIONS DE SPÉCULATION.



22. Pour pouvoir faire usage de nos formules, il est nécessaire de déterminer la fonction d’instabilité ou simplement, si l’on admet l’uniformité, le coefficient d’instabilité .

En toute rigueur, au point de vue pratique, nos formules devraient tenir compte d’un second coefficient. Le cours que le marché considère comme étant le plus probable à l’époque n’est pas exactement le cours actuel ; c’est ce qu’on appelle le cours vrai relatif à l’époque  ; le second coefficient dépend de la différence entre ces deux cours, différence qui est due à ce que, en matière de spéculation, on nomme report.

Nous ne nous occuperons pas de ce second coefficient qui est généralement voisin de zéro sans vouloir insinuer par là que son influence soit toujours négligeable.

Dans mon Ouvrage sur la Théorie de la spéculation il est tenu compte, pour certaines opérations, de ce second coefficient.

Ce même Ouvrage contient une étude sur la comparaison des résultats du calcul avec la réalité de la marche des cours. Cette étude montre qu’il existe une parfaite concordance entre la théorie et l’observation.

On est conduit à la même conclusion par l’examen de statistiques d’un genre très différent dont la méthode est décrite à la page 212 de mon Livre sur le Jeu, la chance et le hasard.


23. Opérations fermes. — Il y a deux principales sortes d’opérations de spéculation : les opérations fermes ; les opérations à prime.

Ces opérations peuvent se combiner à l’infini, d’autant qu’on traite souvent plusieurs sortes de primes.

L’achat ferme est analogue à l’achat au comptant, mais il est effectué dans un but spéculatif.

À terme, on peut vendre sans avoir précédemment acheté, cette opération se nomme vente à découvert.

L’achat et la vente ferme sont donc des opérations inverses mais analogues.

L’acheteur ferme ne limite ni son gain ni sa perte ; il gagne la différence entre le cours d’achat et le cours auquel il termine son opération par une vente. En d’autres termes, il gagne la valeur de l’écart quand cet écart est positif, il perd la valeur de l’écart quand cet écart est négatif.

L’inverse a lieu pour le vendeur ferme.

Les formules que nous avons établies expriment les probabilités relatives à l’acheteur qui veut terminer son opération à l’époque que l’on nomme époque de l’échéance, ce sont les probabilités du premier genre.

L’acheteur, au lieu de se fixer une époque pour réaliser son opération, peut se fixer d’avance un cours  ; la recherche de la probabilité pour qu’il réalise son opération aux différentes époques (probabilité du second genre) constitue le second problème de la théorie de la spéculation.


24. Représentation géométrique. — Une opération de spéculation peut être représentée par une construction géométrique :

On prend en abscisses les différents cours et en ordonnées les bénéfices correspondants.

Les pertes étant des bénéfices négatifs, sont représentées par des négatifs.

Pour l’achat ferme, à un cours correspond un gain , l’opération est donc représentée par la droite .

La vente ferme est de même représentée par la droite .


25. Prime simple. — Les primes permettent de spéculer en courant un risque limité d’avance à une certaine somme qui est le montant ou la valeur ou l’importance de la prime.

La prime simple se traite à l’étranger et, en France, dans la spéculation sur les marchandises.

Le spéculateur A croyant prévoir la hausse pour une certaine époque , et ne voulant pas courir le risque d’une perte illimitée, se rend acquéreur d’une prime à la hausse pour l’échéance .

Il verse d’abord une certaine somme, dite prime simple, à un spéculateur B qui, lui, croit à la baisse.

Moyennant le paiement de cette prime, le spéculateur A acquiert les avantages de l’acheteur ferme, mais sans courir ses risques.

À l’époque de l’échéance , il gagne, comme l’acheteur ferme, s’il y a hausse au-dessus du cours actuel, mais il ne perd rien s’il y a baisse.

Le preneur de prime simple perd au maximum la valeur de la prime, son risque est limité à cette somme ; son gain, par contre, peut être illimité.

On traite de même des primes à la baisse dont la valeur est évidemment égale à celle de la prime à la hausse qui a même échéance.


26. Désignons par la valeur de la prime simple, la représentation géométrique pour l’achat de cette prime à la hausse (cas du spéculateur A) est la suivante :

La droite pour les valeurs négatives de et la droite pour les valeurs positives de .


27. Pour obtenir la valeur de la prime simple, il suffit d’appliquer le principe de l’espérance mathématique : Le marché suit la loi de l’offre et de la demande ; d’autre part, chacun est libre d’acheter ou de vendre des primes, de faire toute opération ou l’opération inverse, les achats ou les ventes de primes ne peuvent donc être a priori ni avantageux ni désavantageux.

L’espérance mathématique de toute spéculation est nulle.

Appliquons ce principe au preneur de prime simple à la hausse ; son espérance positive est celle de l’acheteur ferme (no 11), soit  ; son espérance négative est la valeur de la prime simple que nous désignerons par . Ces deux quantités devant être égales, on a

.

Lorsqu’on connaît la valeur d’une prime (donnée par les cotes) relative à une certaine échéance , on connaît les probabilités relatives à cette même époque.

L’écart moyen (no 16) est le double de la prime simple. L’écart probable est égal à la prime simple multipliée par 1,688.


28. Le preneur de prime simple est en bénéfice quand le cours, au moment de l’échéance, est compris entre et  ; en se reportant au Tableau du paragraphe 15, on voit que :

La probabilité de réussite du preneur de prime simple est indépendante de l’époque de l’échéance : elle a pour valeur 0,345.

Ce résultat est indépendant de toute hypothèse sur la forme de la fonction d’instabilité.


29. Si l’on suppose l’uniformité, on a

.

La valeur de la prime simple doit être proportionnelle à la racine carrée du temps.

Elle permet de calculer le coefficient .

Nous avons vu précédemment que certains résultats sont indépendants de la fonction d’instabilité. Si l’on traitait des primes pour toutes les échéances , on connaîtrait la fonction et par suite les probabilités pour toutes les valeurs de  ; en réalité, on ne traite des primes que pour certaines échéances , de sorte que, si l’on veut calculer les probabilités pour des époques intermédiaires, on doit faire une hypothèse sur la forme de la fonction .

L’hypothèse la plus simple consiste à supposer que est proportionnel à , c’est-à-dire à supposer l’uniformité.

Les résultats que nous obtiendrons dans notre étude seront ainsi de trois sortes :

1o  Ceux qui sont invariables (par exemple, la probabilité de réussite du preneur de prime simple) ;

2o  Ceux qui sont relatifs à une époque , pour laquelle on traite une prime. Dans ce cas les probabilités sont connues sans qu’aucune hypothèse soit nécessaire ; on ne connaît pas , mais on connaît qui entre seul dans l’expression des probabilités.

3o  Ceux qui sont relatifs à une époque pour laquelle on ne traite pas de primes et qui supposent la loi de l’uniformité.


30. Stellage ou double prime. — Un spéculateur A, croyant prévoir un grand mouvement dans un sens ou dans l’autre, et voulant limiter son risque, se rend preneur d’un stellage ou double prime, composé d’une prime à la hausse et d’une prime à la baisse.

La représentation géométrique de l’opération est la suivante : la droite pour les valeurs négatives de et la droite pour les valeurs positives de .

Il est facile de voir que le preneur de stellage est en bénéfice dans les intervalle de cours et . Donc, d’après la table de probabilité (no 15) :

La probabilité de réussite du preneur de stellage est 0,425….


31. Les primes en général. — Dans l’achat ou la vente ferme, acheteurs et vendeurs s’exposent à une perte théoriquement illimitée. Dans le marché à prime, l’acheteur paye le titre plus cher que dans le marché ferme, mais sa perte en baisse est limitée d’avance à une certaine somme qui est le montant de la prime.

Le vendeur de prime a l’avantage de vendre plus cher ; mais il ne peut avoir pour bénéfice que le montant de la prime.

On pourrait également traiter des primes à la baisse qui limiteraient la perte du vendeur ; dans ce cas, l’opération se ferait à un cours inférieur à celui du ferme.

On ne traite pas ces primes dans la spéculation sur les valeurs ; on obtient une prime à la baisse d’un genre un peu différent en vendant ferme et en achetant simultanément une prime à la hausse.


32. Supposons, par exemple, que le cours de la rente 3 pour 100 soit 75fr.

Le spéculateur A prévoyant la hausse pour la fin du mois et ne voulant pas courir le risque d’un achat ferme, achète pour l’échéance de la fin du mois, au cours de 76,20, une prime dont 0,50. (Il est d’usage de dire d’une prime dont au lieu d’une prime de.)

Le cours d’achat est plus élevé que le cours du ferme, mais, quelle que soit la baisse, A ne pourra perdre que 0,50. Tout se passe pour lui comme s’il avait acheté ferme à 76,20, le cours ne pouvant descendre au-dessous de 76,20 − 0,50 = 75,70.

Si, en réalité, le cours est au moment de l’échéance au-dessous de 75,70, A ne perd que 0,50 comme si la baisse n’avait pas dépassé le cours de 75,70.

L’écart de la prime est la différence 76,20 − 75 = 1,20 entre le cours de la prime et le cours du ferme.

Le pied de la prime est le cours 76,20 − 0,50 = 75,70.

À l’instant de l’échéance, on dit que la prime est levée si le cours est supérieur à celui du pied de la prime, soit 75,70 ; elle est abandonnée dans le cas contraire.

Comme nous prenons pour zéro le cours actuel, le cours d’une prime et son écart désignent la même quantité.


33. D’une façon générale, dans une prime il y a trois quantités à considérer : l’importance de la prime, c’est-à-dire la somme maxima que veut risquer l’acheteur ; le cours auquel la prime est négociée que l’on nomme l’écart de la prime ; enfin l’époque de l’échéance.

Il est d’usage de dire qu’un spéculateur a acheté une prime dont pour exprimer qu’il a acheté une prime dont l’importance est .

L’achat d’une prime est assimilable à un achat ferme effectué au cours , le cours ne pouvant baisser au-dessous de .

Quand, en réalité, à l’époque de l’échéance, le cours est inférieur à , la perte de l’acheteur est constante et égale à .

En d’autres termes, dans l’intervalle de cours , la perte est constante et égale à . De à , la perte décroît de à zéro. À partir du cours , l’acheteur gagne proportionnellement à la hausse.

On dit que le cours est le pied de la prime, ce cours est positif si et négatif si .

Quand, à l’échéance, le cours est supérieur à , on dit que la prime est levée, autrement elle est abandonnée.

L’achat à prime se représente géométriquement par la droite pour et par la droite pour .

La prime simple dont nous avons fait l’étude rentre dans la définition générale ; on peut dire que c’est une prime dont l’importance est égale à l’écart.


34. On peut encore définir la prime en disant que le spéculateur qui l’achète verse une somme au vendeur, et que moyennant cet abandon il acquiert les avantages de l’acheteur ferme au cours sans courir les risques de cet acheteur, c’est-à-dire sans pouvoir perdre.

Ce cours serait zéro s’il s’agissait de la prime simple, est donc positif ou négatif suivant que est inférieur ou supérieur à .


35. On traite des primes à tout instant, mais seulement pour des échéances fixées d’avance au milieu et à la fin de chaque mois, avec un maximum de temps qui est ordinairement de trois mois.

Le cours coté au moment de l’échéance se nomme cours de la réponse des primes.

Un achat ferme peut, à tout instant, être annulé par une vente avec réalisation d’un gain ou d’une perte. Au contraire, une opération à prime court nécessairement jusqu’à l’échéance, c’est-à-dire jusqu’à la réponse.

Pour les primes, l’importance est fixe, la variation ne se produit que sur l’écart. Par exemple, sur la rente 3 pour 100, on ne traite d’ordinaire que des primes dont 1fr et des primes dont 0fr,50.


36. L’écart entre le cours d’une prime et celui du ferme dépend d’un grand nombre de facteurs et varie sans cesse.

Au même instant, et pour une même échéance, l’écart est d’autant plus grand que la prime est plus faible, par exemple une prime dont 1fr est évidemment à un cours moindre qu’une prime dont 0fr,50.

L’écart d’une prime décroît plus ou moins régulièrement depuis le moment où elle vient d’être cotée jusqu’à la veille de la réponse, moment où cet écart est très faible.

Mais, suivant les circonstances, il peut se détendre très irrégulièrement et se trouver plus grand quelques jours avant la réponse qu’il ne l’était beaucoup plus tôt.

La tension de l’écart des primes est l’indice de l’instabilité, elle montre que le marché présage de grands mouvements. Ce fait va être précisé d’une façon mathématique.


37. Il est évident que si l’on considère une même échéance, l’écart d’une prime est d’autant plus élevé que l’importance de la prime est plus faible.

Une première question se pose, question que j’ai résolue bien avant que je ne me sois occupé d’études sur le calcul des probabilités : Est-il possible, en admettant uniquement que l’écart d’une prime diminue quand son importance croît, qu’il existe des opérations permettant à un spéculateur de gagner à tous les cours ?

En choisissant convenablement les rapports des écarts de trois primes, on pourrait imaginer une infinité d’opérations permettant de gagner à tous les cours.

Les écarts qu’exigent ces opérations ne sont pas un désaccord avec le bon sens, et, si le marché ne réalise jamais ces écarts et n’en approche même pas, c’est qu’à son insu il obéit à la loi de la probabilité. (Théorie de la spéculation, p. 13.)


38. Loi des écarts des primes. — Pour trouver une relation entre l’importance d’une prime et son écart , nous appliquerons à l’acheteur de prime le principe de l’espérance mathématique

L’espérance mathématique de toute spéculation est nulle.

Soit la probabilité du cours à l’époque de l’échéance . Nous allons évaluer l’espérance :

1o  Pour les cours compris entre et  ;

2o  Pour les cours compris entre et  ;

3o  Pour les cours compris entre et  ;

1o  Pour les cours compris entre et , l’acheteur subit une perte . Son espérance mathématique pour un cours compris dans l’intervalle donné est  ; elle est donc pour tout l’intervalle

 ;

2o  Pour un cours compris entre et , la perte de l’acheteur est  ; l’espérance mathématique correspondante est , et pour tout l’intervalle elle est

 ;

3o  Pour un cours compris entre et , le bénéfice de l’acheteur est  ; l’espérance mathématique correspondante est , et elle est alors pour l’intervalle entier,

.

Le principe de l’espérance totale nous conduit donc à la relation ou, en faisant les réductions,

,

ou, en faisant les réductions,

.

Cette équation aux intégrales définies établit une relation entre l’écart et l’importance d’une prime.


39. Si, dans cette équation, on remplace par sa valeur,

,

et si l’on développe l’intégrale en série, on obtient

.

Cette formule, qui exprime la loi des écarts de prime, fournit une relation entre l’importance de la prime, son écart , et l’importance de la prime simple relative à la même échéance ; elle permet donc de calculer l’une quelconque de ces quantités quand on connaît les autres.

Si, par exemple, et sont connus, la série précédente permet de déterminer .


40. Pratiquement, l’importance de la prime est toujours comprise entre et . Il en résulte que l’on peut, dans la formule précédente, supprimer les termes en et en . On obtient ainsi

.

Avec cette même approximation on aura pour valeur de en fonction de et de

.

Cette dernière formule est très recommandable pour les calculs numériques, mais elle présente deux inconvénients ; elle n’est pas facilement exprimable en langage ordinaire, et elle ne donne pas une idée suffisamment claire des variations de l’écart et de l’importance des primes. Les formules que nous obtiendrons, inférieures à la précédente au point de vue du calcul numérique, ont, par contre, l’avantage d’être très expressives et très simples.


41. On peut introduire dans la formule complète du no 39 la valeur de l’écart de la prime ; la formule devient alors

 ;

elle ne change pas si l’on remplace par et par  ; donc, si l’écart de la prime dont est , l’écart de la prime dont est .

Ce théorème de réciprocité peut se démontrer sans faire appel à aucune formule analytique ; il suffit de supposer qu’un spéculateur achète une prime dont à l’écart et vende ferme simultanément ; on voit sans difficulté que la résultante de cette double opération est une prime à la baisse dont l’importance est et dont l’écart est .

Les deux opérations composantes étant équitables, leur résultante l’est également, ce qui démontre le théorème de réciprocité.

Dans la formule complète du paragraphe 39

(1) ,

on peut remplacer par , on obtient ainsi

(2) .


42. L’écart d’une prime augmentant quand son importance diminue, il est intéressant d’étudier la variation du produit de ces quantités.

Les formules (1) et (2) peuvent s’écrire

,.

Le produit a pour valeur

 ;

sa dérivée relative à

s’annule pour , car, pour cette valeur, est nul ; alors .

Le produit d’une prime par son écart est donc maximum quand les deux facteurs de ce produit sont égaux ; c’est le cas de la prime simple.

En multipliant les séries (1) et (2), on a d’ailleurs

(3) .

On pourrait poser en première approximation

 ;

le produit d’une prime par son écart serait alors constant.

Si l’on donne et , la valeur qu’on obtient pour l’écart par la formule précédente est trop grande.

Si l’on donne et , la valeur qu’on en déduit pour est trop faible.

Si l’on admet la loi précédente et l’uniformité, , et, si l’on considère des primes de même importance , leur écart est proportionnel au temps.


43. La loi précédente n’est pas suffisamment approchée ; on obtient, au contraire, une loi très approchée en procédant de la façon suivante :

Ajoutant les séries (1) et (2), on obtient

.

Multipliant cette série par la série (3), on a

,

ou environ

.

On peut poser en seconde approximation

.

L’erreur est très faible lorsque n’a pas une grande valeur, ce qui est le cas ordinaire. Par exemple, si , l’erreur du second membre est inférieure à 2/100.

La loi de seconde approximation peut s’énoncer en langage ordinaire d’une façon très simple :

On multiplie la prime par son écart. On additionne la prime et son écart.

Le produit des deux nombres est le même pour toutes les primes relatives à la même échéance.


44. Pour donner une idée de l’approximation obtenue par les formules précédentes, plaçons-nous dans les conditions les plus défavorables qu’on puisse rencontrer pratiquement, et supposons qu’il s’agisse de déterminer l’écart d’une très petite prime, .

La formule de première approximation du no 42 donne la valeur beaucoup trop grande .

La formule de seconde approximation du no 43 conduit à la valeur 2,28.

La formule approchée du no 40 donnerait 2,25.

La valeur exacte est 2,23.


45. La formule fondamentale qui fait connaître la probabilité du cours

et celles que l’on en déduit contiennent la quantité qui est précisément la valeur de la prime simple.

On peut donc calculer les probabilités s’il est traité une prime simple (ou un stellage).

On le peut également quand il est traité une prime quelconque en faisant usage de la formule du no 43 dont on déduit .

La connaissance de la quantité entraîne la connaissance de toutes les quantités analogues ; par exemple, l’écart probable est 1,688, l’écart moyen est .


46. Connaissant l’écart d’une prime dont pour une certaine échéance , on peut en déduire l’écart d’une prime dont pour l’échéance .

Il faut évidemment admettre l’uniformité exprimée par la formule .

D’après le résultat du no 43, on a

,

d’où l’on déduit .


47. Pour appliquer les lois des écarts des primes, il faut remarquer que l’écart d’une prime est la différence entre son cours et le cours vrai relatif à l’échéance.

Le cours vrai est égal au cours coté corrigé de l’effet des coupons et des reports. La différence entre les deux cours est généralement négligeable, mais elle est quelquefois très sensible, et dans ces cas, si l’on n’en tient pas compte, on peut être conduit à des erreurs.

Le procédé par lequel on détermine le cours vrai relatif à une certaine époque est décrit dans mon Ouvrage sur la Théorie de la spéculation.


48. Options ou facultés. — On traite sur certains marchés des opérations en quelque sorte intermédiaires entre les opérations fermes et les opérations à primes, ce sont les options ou facultés.

Supposons que 60fr soit le cours d’une marchandise. Au lieu d’acheter une unité au cours de 60fr pour une échéance donnée, nous pouvons acheter une faculté du double pour la même échéance à 62fr, par exemple. Il faut entendre par-là que pour toute différence au-dessous de 62fr nous ne perdons que sur une unité, alors que pour toute différence au-dessus nous gagnons sur deux unités.

Nous aurions pu acheter une faculté du triple à 63fr, par exemple, c’est-à-dire que pour toute différence au-dessous du cours de 63fr nous perdons sur une unité, alors que pour toute différence au-dessus de ce cours nous gagnons sur trois unités. On peut imaginer des facultés du quadruple et plus généralement des facultés d’ordre multiple.

On traite aussi des facultés à la baisse, nécessairement au même écart que les facultés à la hausse du même ordre de multiplicité.


49. Pour obtenir la valeur de l’écart d’une faculté, on a recours au principe de l’espérance mathématique, expression scientifique de la loi de l’offre et de la demande.

Chacun étant libre d’acheter ou de vendre des facultés, l’achat ou la vente de celles-ci ne peut être a priori ni avantageux ni désavantageux ; l’espérance mathématique de l’acheteur de faculté est nulle.

Appliquons ce principe à l’achat d’une faculté d’ordre traitée à l’écart .

La faculté d’ordre peut être considérée comme se composant de deux opérations :

1o  Un achat ferme d’une unité au cours  ;

2o  Un achat ferme de unités au cours , cet achat n’étant à considérer que dans l’intervalle .

La première opération a pour espérance mathématique  ; la seconde a pour espérance

.

On doit donc avoir

,

ou, en remplaçant par sa valeur

,

et en développant en série,

.


50. En ne conservant que les trois premiers termes, on obtient

.

Si , .

L’écart de la faculté du double doit être environ les 2/3 de la valeur de la prime simple.

Si , .

L’écart de la faculté du triple doit être supérieur de 1/10 environ à la valeur de la prime simple.


51. Les formules précédentes montrent que les écarts des options sont proportionnels à la quantité , il en résulte que la probabilité de réussite de ces opérations est indépendante de l’époque de l’échéance.

La probabilité de réussite de la faculté du double est 0,394 ; l’opération produit un gain quatre fois sur dix.

La probabilité de la faculté du triple est 0,33 ; l’opération réussit une fois sur trois.


52. En vendant ferme et en achetant simultanément une option du double on obtient une prime dont l’importance 0,68 et dont l’écart est le double de .

La probabilité de réussite de l’opération est 0,30.

Par analogie avec les opérations à prime, on pourrait appeler option-stellage d’ordre l’opération résultant de deux options d’ordre à la hausse et à la baisse.

L’option-stellage du second ordre est une opération curieuse ; entre les cours la perte est constante et égale à . La perte diminue ensuite progressivement jusqu’aux cours où elle s’annule. Il y a bénéfice en dehors de l’intervalle . La probabilité de réussite est 0,42.

Si l’on compare la représentation géométrique de cette opération avec celle du stellage, on voit que l’écart de l’option du double doit être supérieure aux 2/3 de la prime simple.

En France, sur les valeurs, on ne traite pas d’options, on obtient une opération analogue à l’option du double à la hausse en achetant simultanément ferme et à prime. On obtient de même une opération analogue à la faculté du double à la baisse en achetant à prime et en vendant simultanément ferme en quantité double.


53. Opérations complexes. — Comme on traite du ferme et parfois jusqu’à trois primes pour la même échéance, on pourrait entreprendre en même temps des opérations triples et même quadruples.

Les opérations triples sortent déjà du nombre de celles que l’on peut considérer comme classiques, leur étude est très intéressante, mais trop longue pour pouvoir être exposée ici. Nous nous bornerons donc aux opérations doubles.

On peut les diviser en deux groupes suivant qu’elles contiennent ou non du ferme.

Les opérations contenant du ferme se composent d’un achat ferme et d’une vente à prime, ou inversement.

Les opérations à prime contre prime consistent dans la vente d’une grosse prime et l’achat d’une petite, ou inversement.

La proportion des achats et des ventes peut d’ailleurs varier à l’infini. Pour simplifier la question nous n’étudierons que deux proportions très simples

1o  La seconde opération porte sur le même chiffre que la première ;

2o  Elle porte sur un chiffre double.


54. Achat ferme contre vente à prime. — Il s’agit d’une prime dont à l’écart .

Pour les cours inférieurs au pied de la prime (), celle-ci produit un gain qui s’ajoute au gain (positif ou négatif) de l’achat ferme.

Le gain au cours est donc , au pied de la prime il est .

Au-dessus de ce cours, l’achat et la vente se détruisent et le gain est toujours .

Le gain est limité, le risque illimité.

Représentation géométrique : La droite pour et la droite pour les autres valeurs de .

L’opération donne une perte quand la baisse dépasse le cours , la probabilité de cette éventualité est . Par exemple, si 0,31, la probabilité de perte est 0,25.

Le spéculateur engage cette opération quand il croit à la stagnation des cours avec une légère tendance à la hausse.


55. Vente ferme contre achat à prime. — C’est la contre-partie de l’opération précédente.

En baisse, le gain est illimité, en hausse la perte est limitée à l’écart de la prime.

Cette opération remplace la prime à la baisse qui n’est pas traitée sur les valeurs.

Mais ici l’écart de la prime est et son importance est . Pour cette sorte de prime à la baisse, c’est donc l’écart qui est fixe et l’importance qui est variable, à l’inverse des primes à la hausse.

La probabilité de réussite est .

On engage cette opération dans l’espoir d’une forte baisse.


56. Achat ferme contre vente du double à prime. — Opération analogue à la vente d’un stellage.

Gain limité, risque illimité à la hausse comme à la baisse.

Le gain se produit dans l’intervalle , il est maximum au pied des primes, . Sa valeur est alors

.

L’opération est représentée par la droite quand est inférieur à et par la droite quand est supérieur à .

La probabilité de perte est .

Le spéculateur entreprend cette opération quand il croit à la stagnation des cours.


57. Vente ferme contre achat du double à prime. — Cette opération est analogue au stellage, elle est engagée par le spéculateur qui croit à un grand mouvement, soit en baisse, soit en hausse. C’est l’inverse de la précédente, le risque est limité, le gain illimité.


58. Achat d’une grosse prime contre vente d’une petite prime. — Par exemple, sur la rente 3 pour 100, achat d’une prime dont 1fr à l’écart contre vente d’une prime dont 0fr,50 à l’écart .

Opération à la hausse à bénéfices et à risques limités.

Au-dessous du pied de la grosse prime () les deux primes sont abandonnées, la perte est 0fr,50.

Au-dessus du cours , la perte diminue et elle s’annule au cours .

Pour les cours plus élevés il y a gain jusqu’au pied de la petite prime, le gain est alors .

En hausse, les deux primes étant levées, le gain est toujours .

Représentation géométrique La droite pour les valeurs de inférieures à . La droite pour les valeurs de comprises entre et . La droite pour les valeurs de supérieures à .

L’opération donne un gain si le cours est supérieur à , la probabilité de cette éventualité est si est positif et dans le cas contraire.

Si, par exemple, la prime dont 1fr est à un écart de 0,70, la prime dont 0,50 à l’écart normal de 1fr,30, on a 0,98.

Il y a gain si le cours est supérieur à 0,20 ou 0,204. La probabilité pour qu’il y ait bénéfice est 0,46.


59. Vente d’une grosse prime contre achat d’une petite prime. — Opération à la baisse à bénéfices et à risques limités, contrepartie de la précédente.


60. Achat d’une grosse prime contre vente d’une petite prime en quantité double. — Par exemple, sur la rente 3 pour 100, achat d’une prime dont 1fr à l’écart 0,70 contre vente d’une prime dont 0,30 à l’écart 1,30 en quantité double.

Au-dessous du cours −0,30 les deux primes sont abandonnées et s’équilibrent, l’opération est nulle.

À partir du cours −0,30 la grosse prime est levée et l’opération donne un gain égal à qui est maximum au pied, 0,80 de la petite prime, il est alors 1,10.

Le gain diminue ensuite, il est nul au cours 1,90, au cours la perte est .

Bénéfice limité, perte illimitée. Représentation géométrique : L’axe des jusqu’au pied de la grosse prime. Pour les valeurs de comprises entre et , pied de la petite prime, la droite . Pour les valeurs de supérieures à , la droite .

Il y a perte quand le cours dépasse , la probabilité de cette éventualité est . Pour l’exemple cité, cette probabilité est 0,22.

On entreprend cette opération quand on croit à une légère hausse, craignant l’éventualité de la baisse.


61. Vente d’une grosse prime contre achat d’une petite prime en quantité double. — Opération inverse de la précédente.

Risque nul en baisse sensible, limité à la hausse : gain illimité en très forte hausse.