Le Parnasse contemporain/1876/La Source (Delthil)

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]III. 1876 (p. 94-95).




CAMILLE DELTHIL

————

LA SOURCE


Mai.

C’est le gai rendez-vous des bêtes du bon Dieu,
L’endroit frais et charmant, le coin béni, le lieu
Cher aux petits oiseaux, aimé des libellules,
Où dame abeille accourt en quittant ses cellules,
Où le printemps se joue au pied des verts buissons,
Où l’écho ne redit jamais que des chansons.
Là le merle moqueur et la mésange bleue,
Le bouvreuil, le linot, le geai, le hoche-queue,
Le moineau babillard, ce gazetier des bois,
Le rossignol, ténor à l’éclatante voix,
Becquetant, caquetant, voletant sur les branches,
Mirent leurs fins jabots dans les yeux des pervenches.
Les papillons légers vont butinant les fleurs
Et l’on entend passer les frelons, ces voleurs.
Brusquement un lézard, vert comme une émeraude,
Arrive, saute et happe une mouche qui rôde,
Et dans l’ombre un crapaud regarde, le jaloux !
Près des aunes tremblants, sur son lit de cailloux,
La source, de lentisque et de cresson ourlée,
Ouvre son œil profond et de sa voix perlée

Semble dire bonjour à ces hôtes charmants ;
Et nous, ravis, émus comme les vrais amants,
Dans l’herbe haute et drue où notre corps se noie
Nous nous taisons, craignant de troubler tant de joie.





Juillet.

Le martinet luisant de son aile effilée
Fend rapide et criard l’inaltérable azur.
Une perdrix, là-bas, dans un champ de blé mûr,
Rappelle à coups pressés sa nombreuse volée.

Il passe dans le vent des éclats de chansons
Qui se mêlent au bruit des charrettes roulantes,
Et sur les épis d’or aux arêtes brillantes
Courent en bruissant de folâtres frissons.

La plaine chatoyante a des reflets de moire
Tandis qu’en bas du ciel dans le brouillard rosé
Luit, tel qu’un ostensoir sur le monde exposé,
Le soleil de juillet éblouissant de gloire.