La Société future/Chapitre 23

XXIII


L’ENFANT DANS LA SOCIÉTÉ NOUVELLE


Une des questions les plus complexes et des plus délicates à traiter est, certainement, la question de l’enfant. Quand on pense à la faiblesse de ces petits êtres, quand on songe que les premières sensations qui viendront impressionner leur cerveau, influeront plus ou moins sur leur développement ultérieur, on se sent pris d’un profond sentiment de sympathie pour eux, d’une très grande tendresse qui voudrait pouvoir s’épancher sur tous les petits déshérités que leur faiblesse rend les premières victimes de notre mauvaise organisation sociale.

C’est parce que l’enfant est faible et qu’il mourrait si on ne lui venait pas en aide que, dans une société anarchiste, où personne n’aura à craindre la misère, tous ne demanderont qu’à épancher leurs sentiments affectifs, tous se rendront utiles et voudront contribuer à leur développement physique, assister à leur éclosion morale, apporter leur quote-part de connaissances à leur développement intellectuel.

Mais, pour bien comprendre cet empressement des individus autour de l’enfance, il est évident qu’il faut s’abstraire de la société actuelle, où la famille est une charge, d’abord, un moyen d’exploitation ensuite ; qu’il faut se faire une idée nette des rapports sociaux, tels que nous les comprenons et que nous venons de les décrire ; se rendre compte de la nouvelle situation qui se sera créée dans les rapports de l’homme et de la femme, où l’enfant viendra apporter une note nouvelle ; un lien de plus chez les individus normalement doués. Faire dans son esprit table rase des préjugés actuels est un des premiers travaux à accomplir pour apprécier sainement les choses de l’avenir.

Étant donné que les anarchistes ne veulent d’aucune autorité ; que leur organisation doit découler des rapports journaliers entre les individus ; rapports directs, sans intermédiaires, naissant sous l’action spontanée des intéressés, d’individu à individu, d’individu à groupe et de groupe à groupe, mais se rompant aussitôt ; une fois le besoin disparu, la société, cela est évident, n’aurait, pour la synthétiser, aucun comité, aucun système représentatif pouvant intervenir, en tant que corps, dans les relations individuelles.

La question de l’enfance se simplifie beaucoup et ne se pose plus comme l’ont comprise jusqu’ici les socialistes autoritaires : « À qui doit appartenir l’enfant ? » — L’enfant n’est pas une propriété, un produit qui puisse « appartenir » plus à ceux qui l’ont procréé, — comme le veulent les uns — qu’à la société — comme le prétendent les autres. La question se transforme donc en celle-ci : « Qui donnera les soins à l’enfant ? »

Nous l’avons vu, en anarchie, il y a bien une association d’individus combinant leurs efforts en vue d’arriver à la plus grande somme de jouissances possible, mais il n’y a pas de société telle qu’on l’entend actuellement, venant se résumer en une série d’institutions qui agissent au nom de tous. Impossible donc d’attribuer l’enfant à une entité qui n’existe pas d’une façon tangible. La question de l’enfant appartenant à la société se trouve donc tout naturellement écartée.

D’un autre côté, il peut arriver que des individus ne veuillent pas se charger de leur progéniture, cela se produit dans la société actuelle, sous l’influence de conditions économiques, mais cela se comprendrait moins lorsque les individus n’auront plus à compter avec cette question, d’autant plus que l’amour des jeunes est un sentiment naturellement répandu chez tous les êtres animés, chez les êtres sexués les plus inférieurs, jusque chez les poissons. Mais enfin cela se peut produire encore, il faut en tenir compte.

D’autre part, l’amour a différentes façons de se manifester, les parents peuvent aimer leur progéniture à leur manière et d’une façon nuisible à l’enfant. Pourquoi celui-ci serait-il pour eux une propriété, et devrait-il subir une autorité qui serait nuisible à son développement intégral ?

En naissant, il apporte son droit à l’existence, sa faiblesse n’infirme en rien ce droit primordial, puisque ce stade d’impuissance est une des phases commune à tous les êtres de l’espèce humaine, et se retrouve chez toutes, ce stade se prolongeant d’autant plus que l’espèce est plus développée. Ce n’est donc pas une raison suffisante pour qu’il devienne la chose de ceux qui l’ont précédé. Ses besoins doivent être consultés avant les préférences de ses éducateurs.

Force de l’avenir qui se développera alors que ses progéniteurs déclineront, ceux-ci ont intérêt à faciliter son développement, à mériter son affection, s’ils veulent, dans leur décrépitude, retrouver l’aide qu’ils lui auront prêtée comme on la leur a prêtée lorsqu’ils ont vu le jour. Alors ici nous commençons à entrevoir une réponse à notre question : « À ceux qui aimeront le plus l’enfant reviendra le soin de l’élever. »


La famille juridique étant abolie, les rapports de l’homme et de la femme n’étant plus entravés par des difficultés ou considérations économiques ou sociales, ces rapports s’établissant par la libre action des affinités, le caractère des individus se modifiera certainement, une plus grande sincérité régnera dans leurs relations, le rôle du père et de la mère se transformera par la façon nouvelle de l’envisager. On n’aura plus aucune raison de craindre un accroissement de famille.

L’être humain trouvant dans la société la possibilité de satisfaire à tous ses besoins, l’entretien et l’éducation des enfants ne seraient plus une charge pour eux. N’ayant plus de capital à débourser ni de privations à s’imposer pour élever leur progéniture, non seulement cela ne sera plus une charge pour eux, mais ils ne seront plus portés à ne voir dans leur descendance qu’un capital de réserve devant produire selon ce qu’il a coûté.

La loi, aujourd’hui, leur assure la propriété de l’enfant, dont ils ont droit d’user et d’abuser au mieux de leurs intérêts. La situation actuelle leur permet, parce qu’ils l’ont procréé et nourri, de lui donner l’impulsion qui leur plaira. Selon le bénéfice qu’ils croiront pouvoir en tirer, l’enfant sera dieu, table ou cuvette ; instruit ou ignorant, mendiant ou travailleur.

Toute autre sera la situation dans la société que nous envisageons. La famille n’étant plus régie par la loi ou par les considérations économiques, c’est l’amour et l’affection qui l’établiront. Au lieu d’être une charge de plus pour ceux qui l’adopteront, un être à façonner au mieux de leurs intérêts, l’enfant sera une petite créature à développer, à instruire, à aimer, à cajoler. N’étant plus talonnés par les soucis de l’existence, nul doute que les individus ne s’acquittent à merveille de leur tâche.


La famille n’étant plus régie par aucune loi, ici comms dans tous les rapports sociaux, c’est la diversité de caractères et de tempéraments, le libre jeu des aptitudes diverses qui aplanira les difficultés de la situation, permettra à chacun de trouver sa vraie place dans l’harmonie sociale sans heurts ni difficultés.

Il y a aujourd’hui des individus qui n’aiment pas les enfants, pour qui c’est un supplice d’avoir de ces petits êtres autour d’eux. La loi actuelle, en forçant ces individus à garder à leur charge leur progéniture, ou en mettant des entraves à leur abandon, est la cause de ces actes d’atrocité, de tortures journalières qui viennent parfois se dénouer devant les tribunaux, sans compter celles qui ne font aucun bruit.

Et, cette opinion du droit de propriété des parents sur l’enfant, est si enracinée que, nos vertueux défenseurs de la propriété, sous la pression de l’opinion publique, frappent bien les tortionnaires d’une pénalité quelconque, mais avec une indulgence des plus grandes, qui leur est inspirée, cela ne fait aucun doute, par l’esprit du code.

Mais, s’il y a des individus qui, de male rage, font payer à ces petites créatures, qui ne peuvent se défendre, les désagréments d’une mauvaise organisation sociale, il y en a d’autres, au contraire, pour qui c’est un bonheur d’avoir des bambins à choyer, à dorloter ; pour qui c’est une suprême jouissance de s’ébattre avec eux, vivre de leur vie, prendre part à leurs jeux, assister à l’éclosion de leur personnalité.

C’est avec une émotion ravie qu’ils les guident dans leurs premiers pas, leur font balbutier leurs premiers mots. Combien en voit-on qui se sont faits pédagogues, — principalement chez la femme, malgré tous les dégoûts que ce métier occasionne actuellement, portés qu’ils sont, en cela, par le seul amour de l’enfance.

Ce sont ceux-là qui savent comprendre l’enfant, et s’en faire écouter ; leur amour de l’enfant les fait les véritables instituteurs, tandis que ceux qui n’y ont vu qu’un métier, un moyen de s’élever, ce sont ceux-ci qui fournissent les gardes-chiourmes et tortionnaires qui mènent leur classe disciplinairement, font entrer, à coups de férule et de pensums, les rudiments de leur enseignement dans la tête des élèves, en même temps que la haine de l’étude. Il n’y a que ceux qui aiment l’enfant qui sachent l’instruire en l’amusant, et puissent l’amener à aimer l’étude.


Combien, par suite de difficultés économiques, qui ne peuvent, dans la société actuelle, donner cours à tous leurs penchants pour l’enfance. Mais dans la société future, ces individus pourront se grouper, s’entendre, en vue de donner leurs soins aux enfants de ceux pour qui ce serait une contrainte de s’en occuper, ou qui, n’étant pas universels, — personne ne l’est — seraient bien forcés de faire appel à ceux qui sauraient pour apprendre à l’enfant, ce qu’ils ne pourraient lui enseigner eux-mêmes.

Seulement, au lieu de salariés, de gens faisant cela par contrainte, parce que la bouchée de pain en dépend, sans goût ni conviction, on aurait des individus prenant leur tâche au sérieux, s’ingéniant à la mener à bien, ayant à cœur de faire comprendre ce qu’ils enseignent ; devenant, pour ainsi dire, les parents intellectuels de leurs disciples. Et nous voilà, farouches destructeurs de la famille, qui en brisons les barrières, c’est vrai, mais pour pouvoir l’étendre à tous les objets de notre affection, à tous les êtres autour de nous, à tous ceux vers qui nous entraîne notre sympathie.

En envisageant ainsi la question, elle se résout d’elle-même, sans difficulté, sans besoin d’avoir recours à aucune intervention sociale pour l’élucider. Chacun se partage la besogne à son gré, et y trouve sa satisfaction personnelle, puisqu’il la choisit au mieux de ses tendances et de ses aptitudes.

Les autoritaires élèvent cette objection : « Si la société n’exerce aucun contrôle sur l’éducation des enfants, si ceux qui les élèveront sont libres de les élever à leur guise, ne court-on pas le risque de laisser à des individus vicieux, au cerveau étroit, la possibilité de fausser les conceptions de ceux dont ils seront les maîtres, de les convertir à loisir, et d’en faire, ainsi, un danger pour la société ? »

« Il pourrait se faire encore, qu’une mère, aveuglée par l’amour maternel, veuille, par exemple, à toute force, élever son enfant, quand il serait démontré que son état de santé ne le lui permet pas » ? Et mille autres détails ayant leur importance, qu’il est impossible de prévoir, mais auraient, soi-disant, chacun leur inconvénient, avec la liberté complète des individus.


Nous allons prendre, une à une, ces diverses objections, et tâcher de démontrer que le simple exercice de la liberté et des affinités naturelles, vaut mieux, pour aplanir toutes les difficultés, que l’exercice de l’autorité qui, elle, n’a jamais su qu’aggraver les situations embarrassées.

Si, se basant sur les lois naturelles, il est un être qui puisse, avec quelque raison, arguer de ses droits sur l’enfant, c’est, assurément, la mère. Plus que la société, plus que le père qui, somme toute, ne peut s’affirmer pour tel, que par un acte de confiance, — plus que qui que ce soit, la mère, seule, peut faire valoir des droits. C’est elle qui, après l’avoir porté de longs mois dans son sein, après avoir subi toutes les incommodités de la grossesse et lui avoir donné le jour, est la plus apte à lui donner les soins nécessaires à maintenir cette frêle existence qu’un souffle semble devoir emporter. C’est elle qui le nourrit pendant longtemps encore de son lait ; pendant de longs mois encore l’enfant a besoin du sein de la mère, c’est par lui qu’il fait corps avec elle pendant les premiers temps de son existence.

La mère a donc tous droits à conserver son enfant avec elle. En anarchie, du reste, il n’y aura pas de gendarmes pour appliquer l’arbitraire. Celles qui aimeront leurs enfants auront toute latitude. « Mais celles qui ne seraient pas capables de les élever ? » nous dit-on.

Dans la société actuelle, malgré toutes les difficultés et les mauvaises conditions d’existence qui entravent les individus, les mères ne font aucune difficulté pour remettre, à une nourrice, l’enfant qu’elles ne peuvent — ou ne veulent — élever : ouvrières pour pouvoir continuer de travailler ; bourgeoises, pour ne pas avoir l’embêtement des soins à donner à un enfant, pour ne pas flétrir une gorge qui, croient-elles, ne serait plus si appétissante à étaler, en un décolletage savant ; pour rester plus libres de ne pas manquer un bal ni une soirée.

Quelle est donc la mère, qui, dans la société future, lorsqu’elle pourrait elle-même se déplacer avec lui, se refuserait à confier son enfant aux soins d’une nourrice volontaire, lorsqu’il lui serait démontré que la santé de l’enfance en dépend ? D’autant plus que l’allaitement de l’enfant par la femme, n’est pas, croyons-nous, une condition sine qua non de santé pour l’enfant, et qu’il suffirait, à la mère, d’opérer un simple déplacement et de s’établir en les conditions climatériques exigées, pour pouvoir continuer de donner, elle-même, les soins dont son enfant aurait besoin.

C’est le rôle physiologique de la mère d’allaiter son enfant. Lorsqu’elle peut le faire sans inconvénient pour elle et son enfant, cela n’en vaut que mieux. Mais certains docteurs ont voulu partir de là pour affirmer que l’allaitement par la mère était un élément indispensable au développement normal de l’enfant. Mais, tous les jours, nous voyons sous nos yeux des enfants se développant dans toute la plénitude de leur force, tout en étant allaités non seulement par une nourrice étrangère, mais aussi par des moyens artificiels, et cela dans des conditions malsaines où les parents pauvres sont forcés de se débattre, et de refuser, par suite, une foule d’améliorations et de perfectionnements que leurs moyens financiers, leur développement intellectuel, ne permet pas d’appliquer.

L’allaitement par la mère n’est donc pas indispensable, et les affirmations en ce sens peuvent être rangées avec nombre d’autres affirmations soi-disant scientifiques dictées par des mobiles d’intérêt de classe. La bourgeoisie voit la haine décoller sa famille, et elle voudrait créer, en dehors des sentiments, une morale qui forçât les mères à garder leurs enfants près d’elles.


Quelles facilités ne trouvera-t-on pas dans la société future, où, en premier lieu les produits ne seront plus sophistiqués par des trafiquants rapaces, où la nourriture des animaux choisis pour l’allaitement de l’enfance serait appropriée à sa destination, où les animaux eux-mêmes seraient placés dans des conditions de bien-être qui en feraient des animaux robustes et sains, au lieu d’être anémiés et phtisiques, comme la plupart des vaches laitières de nos grandes villes.

Ceux pour lesquels un changement de climat serait reconnu nécessaire, n’auraient pas pour cela, à être privés des soins de leur mère. Ce qui fait la difficulté des déplacements aujourd’hui, c’est l’élévation des frais de locomotion, et, qu’ensuite on n’est pas toujours assuré de trouver des moyens d’existence où l’on se transportera. Dans la société future, les individus pourront se déplacer le plus facilement du monde. Les habitants d’une localité, loin de considérer les arrivants comme des concurrents qui viennent leur enlever la place à l’atelier, ne verront en eux, que des compagnons qui leur apportent le concours de leur force et de leurs aptitudes.

Et dans ceux qui s’occuperont des soins à donner à l’enfance, plus de mercenaires rechignant sur le travail. Ceux et celles qui se livreront à l’éducation des enfants, le feront par goût, par affinité. Le sentiment qui les aura portés à s’occuper de l’enfant, sera la meilleure garantie que l’on puisse désirer pour le bien-être du bambino. Ils s’ingénieront à inventer toutes sortes de prévenances et de raffinements pour distraire les enfants livrés à leurs soin et aider à leur développement.


Quant à ceux qui objectent que des parents bornés pourraient rétrécir le cerveau de leur progéniture, vicier ses premières impressions en lui inculquant les préjugés dont ils sont remplis, la crainte n’est pas sérieuse.

Qui n’a pas de préjugés aujourd’hui ? Qui n’a pas dans le cerveau quelque idée faussée par l’éducation ? Et, pourtant, y en a-t-il un seul qui ne se croit pas plus éclairé que ses voisins ? Où est la méthode pour reconnaître positivement que telle conception spéculative vaut mieux que telle autre ? que tel cerveau est moins sujet à erreur ? Chacun juge selon son appréciation et croit être dans le vrai ; et la science elle-même nous démontre que, à part certaines vérités, en bien petit nombre, hélas ! qui sont nettement définies, positivement reconnues immuables, tout autour de nous est sujet à varier, à se transformer. Que ce qui est reconnu vrai aujourd’hui, ne l’est que par suite de l’insuffisance de nos connaissances, une nouvelle découverte peut le controuver demain.

Ce serait vouloir cristalliser les connaissances humaines que de les centraliser en un enseignement unique, où tous seraient forcés de puiser. Nous savons tout le mal que nous a fait l’enseignement officiel, le retard qu’il a apporté au développement des générations passées et actuelles, et que la critique bien restreinte que l’on n’a pu étouffer entièrement, a seule pu contrecarrer un peu. Ne renchérissons donc pas sous prétexte de progrès, en créant des institutions qui feraient passer l’humanité dans un moule unique.

Ce qui retient aujourd’hui les parents de faire donner à leurs enfante une éducation intégrale, ce qui pousse certains à les envoyer à l’atelier plutôt qu’à l’école, c’est toujours sous diverses formes, la question d’argent. Malgré toutes les difficultés existantes de ce genre, malgré toutes les causes d’ignorance retenant les miséreux dans l’abjection la plus crasse, le nombre des illettrés s’amoindrit tous les jours. Comment veut-on que dans la société future, les parents quand ils ne seront plus tenus par cette question hallucinante, qui se pose éternellement à leur pensée : « Comment faire pour trouver à gagner de quoi manger à sa faim ? » veuillent malgré tout, faire des ignorants de leurs enfants, lorsque à l’heure présente les mêmes obscurantistes qui émettent des craintes, se plaignent de l’orgueil des « classes inférieures », de l’envie qui leur fait mépriser leur condition, et aspirer à monter plus haut, et en font remonter le tort à l’éducation obligatoire, regrettant les temps heureux où les individus croyaient au diable, aux sorciers, ne savaient pas lire, et étaient heureux de souffrir dans cette vie pour mériter le paradis dans l’autre.

Lorsque les individus auront toutes les conditions requises pour leur assurer un intégral développement physique et moral, ils ne voudront pas se faire obscurantistes en faisant de leur progéniture des ignorants ; surtout lorsque l’acquisition du savoir leur sera un gage de supériorité dans l’acquisition des conditions de bonheur à se créer.


Centraliser l’enseignement, serait arrêter net le développement intégral de l’enfant. Ce serait l’étouffer inconsciemment que de lui appliquer un régime arbitraire. Il est nécessaire pour le libre développement de l’humanité, que l’éducation enfantine soit laissée à l’initiative individuelle.

Chacun de nous vient au monde avec des aptitudes diverses ; ces aptitudes ne se développent qu’autant que nous trouvons de facilités à les exercer. Ces facilités on ne peut les trouver que sous le régime libertaire le plus complet. Nous ne voulons pas d’un régime qui « indiquerait » aux individus leur voie, nous voulons qu’eux-mêmes soient libres de la choisir. Et quelle que serait la latitude qu’un régime autoritaire prétendrait théoriquement laisser à l’enfant, il n’aboutirait en pratique, qu’à la compression et à dévier leurs aptitudes.

Ceux qui s’adonneront à l’éducation de l’enfance, ne devront pas venir avec un programme établi d’avance. Ils devront étudier le caractère de leurs pupilles, noter les aptitudes qui se feront jour pour en favoriser les tendances, en les mettant à même de les essayer dans cette voie. Leur rôle consistera à provoquer les questions de l’élève, lui expliquer ce qui lui paraîtra obscur, et non à lui bourrer la tête de faits qu’on lui fait réciter sans compréhension aucune.

Ce qui a contribué à fausser le jugement de l’homme, à maintenir dans son cerveau tous les préjugés, toutes les bêtises dont il a tant de mal à se débarrasser, c’est cette éducation centralisée que lui imposaient l’État et l’Église, et que ne pouvait combattre efficacement l’éducation reçue dans la famille, puisque les parents avaient reçu les mêmes préjugés, avaient été bercés des mêmes sornettes, dont ils ne sont pas arrivés à se débarrasser encore.

S, après la suppression des Églises et des États, il venait au cerveau de certains parents, l’idée saugrenue de faire des crétins de leurs enfants, cela leur serait rendu impossible par la force même des choses.

Le besoin de savoir est inné chez l’homme ; dans la société future, des groupes se formeront en vue de faciliter aux contractants l’étude de certaines connaissances spéciales. De plus, par l’idée de prosélytisme qui anime chaque individu bien convaincu de l’excellence de son idée, ces groupes ne se contenteront pas d’étudier eux-mêmes, ils chercheront à propager le fruit de leurs études. Il se formera donc des groupes à l’infini, pour chacune des connaissances humaines ; on voit d’ici le mouvement intellectuel qui se fera jour, et l’échange continu d’idées qui s’opérera.


De plus, encore, les rapports seront autrement larges, autrement empreints de fraternité que dans la société actuelle. L’enfant, par ce qu’il verra se passer sous ses yeux, par ce qu’il entendra journellement autour de lui, échappera certainement à l’influence absolue de ses parents ou de ses instituteurs, pour ne se livrer qu’à ceux qui lui témoigneront une bonté réelle, qui feront envers lui, preuve de véritable amour. Et ceux qui aiment réellement l’enfant, se sacrifient pour lui fournir les moyens de se développer.

Toutes les facilités requises pour que l’enfant puisse acquérir les connaissances que lui refuseraient ses parents, il les aura donc à sa portée par l’entremise de l’entourage de ses parents. Bien plus, s’il se trouvait trop malheureux sous la domination qu’ils voudraient lui imposer, il lui serait facile de les abandonner pour se mettre sous la protection des personnes qui lui seraient plus sympathiques. Les parents ne pourraient mettre des gendarmes à ses trousses, pour ramener sous leur domination, l’esclave que leur accorde la loi actuelle, mais qui dans une socicté autre, pourrait s’émanciper.

On nous objectera, peut-être que, malgré tout, il pourrait se trouver des exceptions qui, profitant de l’absence de toute règle, pourraient déformer le cerveau des enfants qu’ils auraient, ou les pervertir à leur aise.

Nous répondrons que la suppression de l’autorité n’empêchera pas l’exercice de la solidarité, mais le développera certainement. Actuellement, malgré l’autorité, nombreux sont les actes d’injustice qui se commettent, et où souvent l’on est empêché d’intervenir à cause des complications que comporte la procédure judiciaire ; mais, que de fois le poing vous démange, à la vue d’nn de ces actes. Dans la société future, on aura l’avantage de ne plus voir les oppresseurs protégés par l’effet d’une loi rétrograde, et on leur fera sentir que la loi du plus fort est facilement déplaçable.

Nous aurons les coudées franches pour développer notre solidarité de toutes les façons, à nous de combattre par notre propagande d’instruction, les absurdités de quelques parents idiots. Ce n’est pas, parce qu’il plairait à une demi-douzaine d’abrutis d’aller à rebours du sens commun, qu’il faudrait enserrer l’humanité dans le réseau d’une législation qui serait anti-libertaire, anti-progressiste, par le fait seul qu’elle serait la Loi.


D’autres, des malthusiens qui, à l’heure actuelle, démontrent — croient démontrer, serait plus juste — que les vivres ne sont pas en rapport avec la population, et font envisager avec effroi, que s’il n’y a plus aucune convention pour réglementer les rapports sexuels ; si les parents n’ont plus à prendre souci de leur progéniture, les enfants vont pulluler comme des petits lapins, et les hommes trop nombreux sur la terre pour les ressources existantes, seront forcés de se refaire la guerre sous la pression des besoins. Ce sera le retour à la barbarie et à l’anthropophagie, nous crient ces nouveaux Jérémie.

Nous avons vu qu’à l’heure actuelle, il existait autant de terrain inutilisé qu’il pouvait y en avoir en culture ; que, tous les jours on découvrait des méthodes nouvelles pour obtenir sur un moindre espace, une récolte plus grande ; on obtient déjà des résultats, et n’avons-nous pas pour exemple la Chine qui, non seulement nourrit une population plus dense que celle de l’Europe, avec une culture des plus primitives, mais supplée à l’outillage qui lui manque, par un soin de tous les instants, une fumure constante de la terre. Que ne ferait-on pas avec un outillage perfectionné, et une connaissance plus exacte de la nature des terrains, de la chimie des plantes et des engrais ?

On voit que l’humanité a de la marge devant elle, avant de s’encombrer de ses enfants. Du reste, la souffrance de l’enfantement, les incommodités de la grossesse ne seront-elles pas toujours là pour jeter un frein modérateur sur la prolification. Il reste encore à savoir si le développement d’une race, d’une espèce, ne restreint pas son pouvoir prolifique. Que de problèmes encore à résoudre. En tous cas, nous le répétons, l’humanité a le temps de parer à ces inconvénients, s’il était un jour acquis qu’ils fussent réels, c’est aux générations futures que nous devons laisser le soin de parer aux difficultés qu’elles pourront rencontrer, l’avenir leur apportera sans doute la solution avec la difficulté. Nos vues sont trop courtes pour que nous puissions faire les prophètes.