La Science pratique des filles du monde/00-3

s. n. (p. 15-23).

ÉPÎTRE

DE MONSIEUR FENDLAIR
À
MADAME EUSTACHE.

Séparateur


Échantillon à l’aide duquel on peut juger
de la pièce.

Sur le maudit chancre qui me ronge la crête, je crois que vous vous foutez de moi, madame Eustache ; est-ce que si j’ai foutu dans votre bordel, je ne vous ai pas bien payée ? Vous m’allez dire que je n’ai fait que ce que je devais ; d’accord, mais si vous avez fait le rôle de maquerelle en me fournissant des filles, moi j’ai fait celui d’honnête fouteur en vous payant, donc nous sommes quitte. Que diable demandez-vous encore ? Et de quel droit, s’il vous plaît ; me tourmentez-vous pour obtenir de moi la Science Pratique des filles du monde que j’ai eu la sottise de vous laisser voir une fois !

Savez-vous ce qu’il m’en a coûté pour rédiger cet ouvrage dans l’état où il est, je n’y suis parvenu qu’à force de recevoir des leçons de celles qui furent autrefois ce que d’autres sont aujourd’hui, et ce que vous n’êtes certainement, ni ne serez jamais, je veux dire fouteuse renommée. Pardon du compliment, mais il doit vous souvenir qu’un jour sur une envie qui me prit de vous le mettre, non en vérité, que l’on puisse être friand de votre carcasse, mais uniquement parce que je m’imaginais qu’ayant si longtemps servi de plastron, vous pourriez m’apprendre quelque chose de nouveau, vous m’avez dit que si vous vous prêtiez à ce que je désirais, c’était par complaisance, que vous ne foutiez plus vous même et que vous vous borniez à faire foutre les autres.

Après une déclaration aussi précise, il est évident que mon recueil vous est inutile. À quel usage puis-je donc croire que vous le destinez ? Attendez… mais non… cependant… s’il était possible de vous supposer du zèle pour les amusemens de vos concitoyens, et de penser que vous n’êtes dans l’intention de vous en servir que pour répandre dans le monde le goût des plaisirs, il me semble, qu’aussi surpris qu’enchanté d’un motif si rare et si beau, je n’hésiterai plus. Vous me l’assurez ; eh bien, je consens à vous le livrer, mais sous la condition que celles à qui vous allez le transmettre me donneront, entre vos mains, leur parole de fouteuse de suivre avec la plus scrupuleuse exactitude les principes qui y sont contenus ; de mon côté, je croirai, par ce don, reconnaître les obligations que je puis leur avoir. J’y trouverai même une double satisfaction en ce que, m’acquittant envers elles, je rendrai en même temps service au public joyeux, qui, en savourant le plaisir de la nouveauté en quarante manières, satisfera son inconstance naturelle et son penchant à changer de filles autant de fois que l’envie de foutre lui prendra, sans toutefois être obligé de courir et d’en changer réellement. Vous devez, madame Eustache, apercevoir du premier coup-d’œil, tout l’avantage que vous pouvez tirer de cet arrangement-là.

Il n’est pas douteux que, ne fût-ce que pour la curiosité de savoir qui d’entre celles qu’ils auront successivement foutues le fait le mieux dans chaque façon, vos chalands voudront les faire essayer toutes à chacune de vos gueuses, et, conséquemment vous les fixerez chez vous, du moins pour quelque temps, parce que vous savez comme moi, que foutre est un métier qui lasse. Quoiqu’il en soit, en supposant que votre galetas soit meublé de six garces, pour qu’un ribaud fasse sur chacune l’épreuve des quarante manières, il faut de toute nécessité, et, par une multiplication très-simple qu’il fasse le tracas deux cent quarante fois. Je vous laisse le soin de déterminer le temps qu’il sera forcé d’y mettre ; à mon égard j’avoue très-sincèrement que mes lumières ne vont pas jusqu’à faire ce dernier calcul, qui ne me paraît pas à beaucoup près aussi facile que l’autre.

Me voilà donc absolument décidé à vous abandonner ma Science Pratique des filles, mais, afin que mon objet soit rempli, j’exige de vous, madame Eustache, d’abord que vous vous obligiez par serment, ensuite que vous vous engagiez, tant par le même lien que par la respectable cérémonie de l’imposition de l’index de la main gauche sur la motte, toutes les filles que vous produirez sur le vaste théâtre du monde, que vous les engagiez, dis-je, à ne jamais foutre deux coups de suite de la même façon avec la même personne, de sorte que toutes les fois qu’un miché ira chez vous pour se débarrasser du superflu de son humide radical (en langage familier cela s’appelle foutre) vous lui fournissiez fille nouvelle, ou que, si vous ne pouvez vous dispenser de lui en représenter une qu’il n’a déjà foutue, vous recommandiez à celle-ci de procurer plaisir nouveau à son champion, en lui laissant le droit de choisir dans ces quarante façons, celle qui lui paraîtra la plus agréable pour son goût.

Ce n’est donc, et je vous le répète, que sous cette clause expresse que je vous livre sans restriction ni réserve ma Science-Pratique. Au surplus, vous ne devez pas la trouver gênante, si vous considérez toute futilité qui peut vous en revenir, et vous ne tarderez pas effectivement à l’apercevoir, si vous avez attention de glisser à propos à l’oreille de vos pratiques que vous leur donnerez chaque fois ou fouteuse nouvelle ou nouveau genre de plaisir. Soyez sûre que par là vous piquerez leur curiosité, que vous les fixerez chez vous d’autant plus long-temps qu’ils banderont avec plus de difficulté ; en un mot, que vous procurerez à vos filles une continuité de plaisirs et de profits qui ne finira point.

Reste encore néanmoins une petite condition, mais à laquelle je me flatte que vous ne vous ferez pas tirer l’oreille pour souscrire, c’est qu’en reconnaissance de mes peines vous recommandiez aux vénérables sœurs de votre sacré Tripot de se prêter de bonne grâce, toutes fois et quante j’irai chez vous avec une pièce de vingt sous à la main, à recorder tantôt l’une, tantôt l’autre des danses contenues dans mon Recueil. Vous aurez peut-être l’injustice de trouver que c’est bon marché, mais ayez, madame Eustache, la complaisance de réfléchir que je vous donne mon Traité pour rien, et que… Au reste, ne réfléchissez pas tant ; car il ne serait point impossible que, si vous tardiez trop à vous déterminer, je ne fusse bientôt hors d’état de profiter de la faveur que je désire : le temps rabat tous les jours de mes feux, et je suis encore d’assez bonne foi pour convenir qu’il est des instans où ce qui serait une récréation pour moi pourrait, sans miracle, devenir une fatigue pour un autre.

J’ai l’honneur d’être, etc.