La Science et la fabrication de la bière

La Science et la fabrication de la bière
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 18 (p. 433-454).
LA SCIENCE
ET LA
FABRICATION DE LA BIÈRE

Études sur la Bière, ses maladies, etc., avec une théorie nouvelle de la fermentation, par M. L. Pasteur, membre de l’Institut, Paris 1876 ; Gauthier-Villars.


I.

En dehors de l’eau et du lait, toutes les boissons avec lesquelles l’homme apaise sa soif sont des produits de son industrie, et la plupart sont des liqueurs qui ont subi la fermentation spiritueuse. L’usage des boissons fermentées apparaît aussitôt que les hommes commencent à se réunir en sociétés, et les voyageurs les ont rencontrées chez les peuples les moins civilisés. On en connaît quelques centaines qui se classent en diverses catégories, suivant la nature des substances d’où elles sont tirées et le mode de préparation plus ou moins compliqué, — depuis la chica que les femmes araucanes préparent, assises en rond, en mâchant du maïs qu’elles crachent dans un vaste pot, jusqu’aux fines liqueurs qui paraissent sur nos tables. Cette universalité des boissons spiritueuses étonne moins lorsqu’on réfléchit à la facilité avec laquelle les matières sucrées du règne végétal entrent en fermentation et se transforment partiellement en alcool. L’action stimulante que ce dernier principe exerce sur l’organisme animal explique la faveur dont jouissent les boissons fermentées, et le rôle important qu’elles jouent dans l’alimentation de tous les peuples.

Le vin et la bière sont, parmi ces boissons, les seules dont l’usage soit devenu général sur toute la terre. Et la bière ne le cède pas au vin sous le rapport de l’antiquité de l’origine. Il existe un papyrus où un père reproche à son fils de passer ses journées dans les cabarets à boire du hag : hag et zehd sont les noms des deux espèces de bière que brassaient les Égyptiens. Loin d’être une invention des peuples du Nord, qui auraient trouvé dans leurs grains un moyen de suppléer à l’absence de la vigne, comme on le croit communément, la bière paraît en effet avoir pris naissance en Égypte, et c’est Osiris qui enseigna à son peuple l’art de la fabriquer. La ville de Peluse, sur les bords du Nil, était renommée pour sa bière, et c’est peut-être de là que cette boisson s’est répandue sur toute l’Europe, chez les Grecs et les Romains, les Ibères et les Celtes, les Germains et les Gaulois. Dans les Gaules, on l’appelait cerevisia, vin de Cérès, d’où le nom de cervoise, encore usité au XVIe siècle.

La bière est une infusion de malt (farine d’orge germée) et de houblon, qu’on a fait fermenter. C’est, aussi bien que le vin, une boisson spiritueuse d’origine végétale, du « vin d’orge, » comme la nommaient aussi les anciens ; mais elle est moins acide et moins alcoolique que le vin, et plus chargée de matières en dissolution, ce qui fait qu’elle est en général beaucoup plus altérable. L’emploi du houblon, qui a pour but d’aromatiser la bière et d’en faciliter la conservation, date de la fin du XIe siècle : on en attribue la première idée à des moines allemands. Pendant plusieurs siècles, la bière houblonnée allemande donna lieu à une forte exportation : Rostock et Lubeck en expédiaient en Angleterre jusqu’à 800,000 barils par an ; mais les Anglais ne tardèrent pas à s’emparer du secret de cette fabrication, et aujourd’hui leur ale et leur porter se fabriquent en quantité suffisante pour faire face à une consommation colossale.

La Grande-Bretagne en effet produit maintenant chaque année environ 40 millions d’hectolitres de bière (plus de 120 litres par tête d’habitant), et à peine 2 pour 100 de cette quantité sortent du pays, car les colonies anglaises elles-mêmes commencent à avoir leurs brasseries. L’Allemagne, qui ne vient qu’en seconde ligne, produisait en 1872 environ 28 millions d’hectolitres de bière (70 litres par tête d’habitant pour le pays entier, mais 40 litres seulement pour l’Allemagne du Nord et 160 pour l’Allemagne du Sud). Enfin l’Autriche, qui commence à figurer parmi les principaux pays producteurs, a fabriqué, la même année, 12 millions d’hectolitres de bière, l’Amérique du Nord 11 millions, la France et la Belgique chacune 7 millions[1]; les autres pays ne comptent pas. On arrive ainsi à un total de plus de 100 millions d’hectolitres par an, — c’est à peu près l’équivalent de la production vinicole du globe entier dans une année moyenne. On voit que la bière et le vin se partagent le monde également.

Pourtant cet art du brasseur, consacré par une pratique tant de fois séculaire, semble entrer aujourd’hui dans une ère nouvelle. Depuis une trentaine d’années, le mode de fermentation usité autrefois a subi une transformation radicale, qui change tout à fait les conditions industrielles du commerce de la bière. C’est la substitution progressive de la fermentation basse à la fermentation haute. En Angleterre, les diverses variétés de bière, qui portent des noms différens suivant le degré de force et de couleur qui les caractérisent, l’ale, le pale-ale, le porter, le stout, le bitter-beer, etc., sont encore toutes des bières de fermentation haute. Sur le continent au contraire, les brasseurs abandonnent de plus en plus l’ancien procédé pour le nouveau, qui est plus compliqué et plus coûteux, mais qui fournit des bières de garde.

Voici en quoi consiste la différence entre les deux modes de fermentation. On sait que le moût de bière, point de départ de la fabrication, est une infusion de malt où l’amidon de l’orge s’est en grande partie converti en sucre, et qu’on a fait cuire pendant quelques heures avec une certaine dose de cônes de houblon. Après refroidissement sur de vastes bacs peu profonds, le moût passe dans une grande cuve découverte (la cuve guilloire), où il commence à fermenter sous l’influence d’une petite quantité de levure qu’on y introduit (1 ou 2 kilogrammes pour 1,000 litres de moût). C’est ici que se séparent les deux procédés de fabrication. La fermentation haute s’accomplit en quelques jours, à une température relativement élevée, qui est de 15 ou 20 degrés au moment de la mise en levain, et se trouve ensuite portée à 20 ou 22 degrés par l’acte même de la fermentation. La levure, qui se multiplie considérablement pendant cette période, monte à la surface, où elle forme une écume abondante qu’on enlève au fur et à mesure, et qu’on dépose dans des baquets, — ou bien, ce qui est une pratique plus répandue, dès que la fermentation commence à s’accuser par une légère mousse blanche, on distribue le moût dans des séries de petits tonneaux; l’écume sort par les trous de bonde et se rassemble dans un caniveau commun placé au-dessous des tonneaux, où on recueille le levain pour les opérations ultérieures. La bière est faite au bout de trois ou quatre jours; elle s’est clarifiée et peut être livrée à la consommation. Les expressions de fermentation haute, bière haute, rappellent que la levure sort par le haut des tonneaux.

La fermentation basse, qui a pris naissance en Bavière, est essentiellement fondée sur l’emploi du froid. Dans ce système, la fermentation est beaucoup plus lente : elle dure de dix à quinze ou vingt jours, et la température ne dépasse pas 6 ou 8 degrés; dans quelques brasseries, on la maintient à 2 degrés. On obtient ce résultat, même en été, par des nageurs en forme de cylindres ou de cônes renversés qui sont remplis de glace. Ici la levure se dépose au fond des cuves ou des tonneaux, où on la recueille après le soutirage de la bière; de là le nom de fermentation basse ou fermentation par bas. La bière basse n’est pas seulement faite, elle est aussi conservée à une basse température. On la fabrique surtout en hiver, et on la garde dans des caves-glacières jusqu’au printemps et à l’été, où la bière est consommée en plus grande quantité. Dans ces caves, la température est maintenue à 6° ou 7°, et même à 2° ou 3°, pendant toute l’année. On a calculé qu’un hectolitre de bonne bière n’exige pas moins de 100 kilogrammes de glace depuis le moment du refroidissement du moût jusqu’à celui de la mise en vente. L’établissement de M. Dreher à Vienne consomme chaque année 45 millions de kilogrammes de glace. Tout cela entraîne des installations dispendieuses, et pour loger les foudres de bière il faut des caves d’une vaste capacité.

Le nouveau procédé de fabrication est plus long, plus compliqué, plus coûteux que l’ancien. Malgré tout, il se généralise rapidement. En Autriche, en Bavière, en Prusse, on voit diminuer de jour en jour le nombre des brasseries qui pratiquent la fermentation haute et s’accroître celui des brasseries de fermentation basse. En Bohême par exemple, on a vu en dix ans le nombre des premières tomber de 280 à 18, et celui des secondes s’élever de 135 à 831; le nombre des brasseries où se fabriquent à la fois les deux espèces de bière est tombé, dans le même temps, de 620 à 119. En France, chaque année voit également s’augmenter la fabrication des bières basses au préjudice des bières à fermentation haute; les bières brunes cèdent le pas aux bières blanches. Si les brasseurs anglais sont restés jusqu’à présent fidèles aux anciennes pratiques, c’est sans doute parce que, dans des villes comme Londres, il n’est pas possible d’augmenter l’étendue actuelle des brasseries autant que le demanderait le nouveau procédé. Quelle est la cause de cette révolution qui s’opère dans l’art du brasseur? Comment se décide-t-on à remplacer un procédé simple et rapide par un autre qui à première vue présente si peu d’avantages et tant d’inconvéniens ? Est-ce dans la meilleure qualité des bières basses qu’il faut chercher la raison de cet engouement général? Il est vrai que les amateurs les déclarent très supérieures aux bières hautes; mais cette préférence accordée aux bières basses, qui est un peu affaire d’habitude, ne suffit pas à expliquer l’abandon graduel de l’ancien mode de fabrication. La vraie raison est dans les facilités commerciales que procure le procédé fondé sur l’emploi du froid.

En effet, la bière basse est moins altérable, ou plutôt, pour parler plus exactement, elle est moins exposée à s’altérer, grâce à la basse température à laquelle elle est faite et conservée. Dès lors on peut en fabriquer des provisions pour l’été, tandis que la bière obtenue par fermentation haute, qui doit être consommée promptement, ne peut être fabriquée qu’au fur et à mesure de la demande, laquelle varie avec les saisons. Or l’industrie s’accommode difficilement de ces fluctuations, elle a besoin de plus de régularité et de stabilité dans la production comme dans l’écoulement de ses marchandises. Voilà pourquoi l’emploi des basses températures, qui l’affranchit de l’influence des saisons, constitue un progrès au point de vue commercial.

Comment le froid empêche-t-il la bière de s’altérer? En paralysant les fermens de maladie. Les fermens ! voilà en effet ce qui domine la question. La bière, comme le vin, naît d’une fermentation; mais dans toutes les phases de leur existence, ces deux « nobles liqueurs » ont à se défendre contre d’invisibles ennemis, contre l’influence occulte de ces germes répandus dans l’atmosphère qui peuvent y développer toute une série de maladies. C’est M. Pasteur qui a mis en lumière le rôle dévolu à ces êtres dans les fermentations. Les recherches de l’illustre chimiste ne sont pas seulement d’une immense portée pour la philosophie de la nature; elles l’ont conduit à des conclusions pratiques d’une incontestable importance pour la fabrication du vin, du vinaigre, de la bière, et en général de toutes les boissons fermentées : enfin elles éclairent d’un jour tout nouveau l’étiologie des maladies épidémiques. Dans le livre qu’il vient de publier sur La Bière, M. Pasteur a exposé en passant l’état de la question et répondu aux attaques qu’avait soulevées sa théorie des fermens. Nous essaierons de donner une idée de cette ingénieuse théorie et des faits sur lesquels elle repose; mais auparavant revenons un moment à la bière.

« Les soins qu’on apporte dans l’élevage du vin, les pratiques ordinaires de la vinification, — ouillage, méchage, soutirages répétés, — l’usage des cuves et des vaisseaux hermétiquement clos, dit M. Pasteur, ont pour principale origine et pour raison d’être la nécessité de combattre ou de prévenir les maladies auxquelles le vin est sujet. On peut en dire autant, et avec plus de vérité encore, de la bière, parce que celle-ci est plus altérable que le vin. La fabrication et le commerce de cette boisson se trouvent constamment aux prises avec les difficultés de sa conservation ou de celle du moût qui sert à la produire. » Ainsi la rapidité avec laquelle doit s’opérer le refroidissement du moût est commandée par le danger que l’on court de voir apparaître des fermentations maladives aux températures comprises entre 25 et 35 degrés. La mise en levain, — qui est inconnue dans l’art de la vinification, — n’a point pour but d’activer la fermentation du moût, car une fermentation rapide nuit plutôt à la qualité de la bière : on n’a recours au levain que pour éviter la production des fermens de maladie, en faisant envahir promptement toute la masse du moût par la fermentation alcoolique. Si on l’abandonnait à la fermentation spontanée, comme on le fait pour la vendange, on ne recueillerait le plus souvent qu’un liquide acide ou putride. Enfin l’emploi du froid dans la fabrication des bières basses n’a d’autre but que d’empêcher l’éclosion des fermens de maladie, qui apparaissent difficilement au-dessous de 10 degrés. Les brasseurs anglais, bien qu’ils n’aient pas encore adopté le nouveau procédé, ont cependant réalisé un progrès dans la conduite de la température de fermentation, qui doit être maintenue entre des limites étroites et rigoureuses sous peine de voir apparaître des fermens nuisibles.

La plupart des pratiques qui sont de tradition dans le commerce de la bière et dans le débit de cette boisson ont été également inspirées par la nécessité d’en prévenir l’altération. C’est pour l’empêcher de se piquer pendant la vidange qu’on la conserve dans des tonneaux très petits qui peuvent être promptement vidés. Veut-on expédier au loin les bières de garde, on les fait voyager dans des wagons entourés de glace. Quant aux bières hautes, elles ne peuvent voyager, à moins de contenir une très forte proportion de houblon, qui agit jusqu’à un certain point comme antiseptique. Aussi l’exportation des bières anglaises n’a-t-elle pu se développer[2]. Elle a entraîné de grandes pertes : on cite une brasserie qui a perdu dans une seule cargaison 1,200,000 francs parce que, à l’arrivée aux Indes, toute la bière expédiée s’est trouvée tournée.

Dans les pays chauds, où cette boisson aurait un si facile débit, les brasseries sont encore rares, car la fabrication y devient très coûteuse par la dépense exagérée de glace. Néanmoins on voit déjà les brasseries se multiplier en Australie, dans l’Inde, au Brésil, etc. Comment faisaient les anciens Égyptiens, qui ont inventé la bière? Sans doute ils la consommaient très vite sans lui laisser le temps de s’altérer.


II.

La bière n’est malade que lorsqu’elle a subi une de ces altérations profondes qui la rendent très désagréable au goût et qui font dire, par exemple, qu’elle est aigre, sûre, tournée, filante, putride. On aurait tort d’appeler maladie une simple modification dans la qualité des bières, résultant de la composition du moût, de l’inhabileté du brasseur, etc. Toute altération véritablement maladive de cette boisson coïncide toujours avec le développement d’organismes microscopiques étrangers à la nature de la levure proprement dite. On peut s’en assurer de la manière la plus simple en gardant plusieurs semaines un certain nombre de bouteilles de bonne bière, après en avoir préalablement chauffé quelques-unes à 55" ou 60°, La bière chauffée restera saine, tandis que la bière non chauffée s’altérera complètement, et en l’examinant sous le microscope on y découvrira, associés aux cellules de la levure alcoolique, les organismes filiformes qui constituent les fermens de maladie.

D’après M. Pasteur, le ferment qui caractérise la bière tournée se compose de bâtonnets de longueur variable, d’une épaisseur d’un millième de millimètre, simples ou articulés et formant chaîne. Le moût et la bière qui ont subi la fermentation lactique contiennent de petits articles légèrement étranglés en leur milieu, plus gros que les bâtonnets de la bière tournée, et le plus souvent isolés. Dans le moût et la bière putrides, on trouve des vibrions mobiles, d’un diamètre supérieur à celui des fermens qui précèdent. La bière filante est caractérisée par des chapelets de grains presque sphériques. Dans la bière piquée, aigre, fourmillent les chapelets d’articles du mycoderma aceti, ferment propre au vinaigre, qu’on peut facilement confondre avec le ferment lactique. Un autre ferment, qui se compose de petits grains réunis par deux ou par quatre, et qui se rencontre seul ou associé au ferment de la bière tournée, produit une acidité particulière qui rappelle celle des fruits verts ; il donne à la bière un goût aigre et une odeur qui la rendent détestable.

Les germes de ces fermens, d’une petitesse infinie, font partie des poussières que l’air charrie ou qui sont déposées à la surface de tous les objets; ils s’introduisent dans le moût et dans la bière pendant les diverses phases de la fabrication. Il arrive souvent que tout le travail soit compromis par la multiplication fortuite des fermens de maladie; quand le mal est assez avancé pour provoquer les plaintes des cliens, le brasseur a recours à l’obligeance d’un confrère pour changer de levain. « Lorsqu’on songe, dit M. Pasteur, que la levure est un être vivant, et que le milieu qui lui sert d’aliment, ou l’eau dans laquelle elle séjourne, est extrêmement propre au développement d’un grand nombre d’autres êtres microscopiques, la pureté relative de la levure, bien plus que son altération, a lieu de surprendre. » Mais le microscope permettrait presque toujours de reconnaître l’existence du mal à temps pour prévenir les pertes qu’il pourrait entraîner. M. Pasteur raconte qu’il y a quelques années il eut l’occasion de visiter une grande brasserie de Londres et d’y faire l’examen microscopique des levures. Celle du porter se trouva remplie de fermens de maladie; les directeurs de l’usine avouèrent que le jour même on avait été obligé de chercher un nouveau levain dans une autre brasserie. La levure du pale-ale en fabrication renfermait aussi les filamens de la bière tournée ; il en était de même du pale-ale déjà collé. M. Pasteur ayant déclaré que toutes ces bières s’altéreraient rapidement si on ne s’empressait pas de les consommer, les assistans, après quelques hésitations, convinrent qu’en effet depuis quelque temps les produits de la brasserie étaient défectueux. « Comprenant sans doute, d’après ce qui venait de se passer, que les confidences faites à un savant n’étaient pas toujours sans utilité pratique pour le fabricant, ils finirent par m’avouer qu’ils avaient en réserve dans leur brasserie une grande quantité de bière qui s’était gâtée en tonneaux quinze jours au plus après la confection. » L’examen microscopique du dépôt amassé au fond des immenses réservoirs qui contenaient cette bière montra qu’il était uniquement formé de filamens de maladie ! — Moins de huit jours après, dans une nouvelle visite qu’il fit à cette même brasserie, M. Pasteur apprit qu’on s’était empressé d’acquérir un microscope et de changer de levain pour toutes les sortes de bières remises en travail depuis sa première visite.

Les preuves de la corrélation étroite qui existe entre les fermens de maladie et les altérations de la bière abondent; M. Pasteur a multiplié les expériences pour la mettre en lumière. L’une des plus frappantes est celle-ci. Dans un ballon à deux tubulures, dont l’une est droite et se ferme par un bouchon de verre, tandis que l’autre est étirée en col de cygne effilé, on fait bouillir du moût de bière, en laissant sortir la vapeur d’abord par le tube droit débouché, puis, celui-ci étant fermé, par le col recourbé. Les parois intérieures du ballon ayant été ainsi nettoyées par la vapeur, on laisse refroidir. Dans ces conditions, le moût se conserve aussi longtemps qu’on veut sans la moindre altération, bien qu’il soit en contact avec l’air extérieur; c’est que les germes qu’il contenait ont été tués par l’ébullition, et que les poussières de l’air ne dépassent pas l’orifice du col recourbé. « L’expérience démontre si bien, dit M. Pasteur, que dans de tels vases en libre communication avec l’air les poussières extérieures ne peuvent pénétrer, qu’après dix et douze années le liquide, s’il est de sa nature limpide, ne se trouve pas le moins du monde sali, ni à sa surface de niveau, ni dans sa masse, tandis qu’extérieurement les parois du vase sont couvertes d’une couche épaisse de poussière. » Le ballon est maintenant disposé pour être ensemencé : c’est un terrain vierge où ne pousseront que les plantes que nous y aurons semées. Débouchons le tube droit, introduisons, avec toutes les précautions nécessaires, une goutte de levure parfaitement pure, et remettons le bouchon après l’avoir passé dans la flamme d’une lampe à alcool. Le liquide entrera en fermentation, et au bout de deux ou trois jours la bière sera achevée. Cette bière peut se conserver indéfiniment dans le ballon sans jamais s’altérer; elle s’évente à la longue, elle vieillit, se vine, mais elle ne devient ni sûre, ni aigre, ni amère, ni putride, malgré le contact de l’air extérieur. Il n’en est pas de même quand la levure renferme des organismes étrangers, des fermens d’une autre nature; dans ce cas, on ne tarde pas à voir apparaître les maladies spéciales qui proviennent de ces fermens.

En résumé, l’absence d’organismes microscopiques étrangers à la levure de bière correspond invariablement à une bière saine et qui reste telle au contact de l’air pur, quelle que soit la température ; d’autre part, la présence de ces organismes dénote toujours une bière malade, dont la maladie répond au caractère spécifique des parasites qui s’y développent, et l’altération est d’autant plus sensible que ces derniers sont plus abondans. Il semble donc qu’il ne puisse rester aucun doute sur la relation constante qui existe entre les maladies de la bière et la présence des fermens parasites.

La conclusion pratique à tirer de ces faits, c’est qu’il importe avant tout de s’assurer de la pureté de la levure dont on veut faire usage, puis de mettre le moût, et plus tard la bière elle-même, autant que possible à l’abri des germes de fermens parasites que l’air ambiant ou les objets qui sont en contact avec ces liquides pourraient y apporter. Mais il est clair que l’efficacité des prescriptions fondées sur ces vues ne saurait être admise que si on accepte les principes mêmes de la doctrine de M. Pasteur, c’est-à-dire la relation de cause à effet par laquelle les fermentations dépendent de la présence de germes vivans et l’autonomie des divers fermens qui naissent de ces germes. Toutes les précautions qu’on prendrait pour isoler la levure seraient vaines, si les matières albuminoïdes avaient le pouvoir de s’organiser spontanément et de donner ainsi naissance aux fermens, ou si les divers fermens pouvaient se transformer les uns dans les autres, comme le prétendent les adversaires de M. Pasteur, — car ces idées, qui étaient déjà nettement formulées par Turpin il y a quarante ans, ont encore de chauds partisans au sein même de l’Académie des Sciences, où elles sont soutenues par des savans de la valeur de M. Fremy et de M. Trécul. On ne pourrait donc assez multiplier les expériences destinées à démontrer qu’aucune fermentation ne se déclare sans l’intervention de germes organisés, et que les divers fermens sont des êtres indépendans les uns des autres, qui se propagent par des germes ou spores.

Nous savons déjà qu’une ébullition de quelques minutes rend le moût de bière inaltérable au contact de l’air pur, c’est-à-dire de l’air privé de germes. Pour tous les liquides organiques, il existe en effet une température à laquelle il suffit de les porter pendant un temps très court pour les rendre inaltérables dans les mêmes conditions : pour le vinaigre, cette température est de 50 degrés ; pour le vin, il faut quelques degrés de plus; le moût de bière non houblonné doit être porté à plus de 90°, le lait à 110°, pour qu’il perde la faculté de s’altérer spontanément, c’est-à-dire sans être ensemencé par les germes qu’il pourrait recevoir du dehors. Une fois chauffés au degré convenable, tous ces liquides peuvent être conservés indéfiniment dans un ballon rempli d’air pur et communiquant avec l’air extérieur par un col effilé où les poussières ne pénètrent pas.

Les liquides organiques qui existent dans l’intérieur des êtres vivans en pleine santé sont également inaltérables au contact de l’air pur. Le sang, l’urine, les liquides de l’œuf, toutes ces substances que nous sommes habitués à considérer comme éminemment putrescibles, on peut les garder intactes aussi longtemps qu’on veut, à la seule condition de les mettre à l’abri des germes de microphytes et de microzoaires qui sont répandus un peu partout. Voici par exemple une expérience que M. Pasteur a instituée, il y a plus de dix ans, avec l’aide de M. Claude Bernard. Après avoir rempli d’air purifié par le feu un ballon de verre muni d’une tubulure, on prend un chien bien portant, on met à nu une veine ou une artère de l’animal, on pratique une incision, on y introduit l’extrémité d’une tube à robinet qui communique avec la tubulure du ballon, puis on ouvre le robinet, et on laisse le ballon se remplir à moitié de sang. On referme ensuite le robinet, et le ballon est abandonné à lui-même. Dans ces conditions, le sang ne se putréfie pas, même par les plus grandes chaleurs de l’été : l’odeur reste celle du sang frais, ou devient une odeur de lessive; les seuls changemens qu’on remarque, c’est d’abord une lente oxydation, puis des cristallisations qui se déposent sur les parois du ballon. Le sang à l’état normal n’éprouve donc pas de fermentation au contact de l’air pur, quelle que soit la durée de l’expérience. M. Gayon a montré, à son tour, que le blanc de l’œuf et le jaune de l’œuf se conservent aussi sans altération au contact de l’air pur, et il a établi ensuite, par des expériences spéciales, que la putréfaction des œufs est toujours le résultat de la multiplication des fermens organisés, contrairement aux conclusions que M. Donné et d’autres expérimentateurs avaient cru pouvoir tirer d’expériences faites dans des conditions qui laissaient prise à la critique.

Tous ces faits sont manifestement contraires non-seulement à la doctrine des générations spontanées, mais encore à la théorie nouvelle que soutient M. Fremy. A côté des principes immédiats bien définis, tels que l’acide oxalique, l’urée, etc., il y a, dit M. Fremy, des substances très complexes, contenant tous les élémens des tissus organisés : du carbone, de l’hydrogène, de l’oxygène, de l’azote, même du phosphore, du soufre, des sels alcalins; tels sont l’albumine, la fibrine, la caséine, la vitelline, etc. Ce sont les corps hémiorganisés : ils peuvent, comme les graines sèches, se maintenir dans l’état d’immobilité organique, mais ils peuvent aussi en sortir lorsque les circonstances deviennent favorables au développement de la vie. En raison de la force vitale dont ils sont doués, ils éprouvent alors des décompositions successives, donnent naissance à des dérivés nouveaux, s’organisent complètement, et engendrent ainsi des fermens, non par voie de génération spontanée, mais par une sorte de réveil de cette force innée qu’ils possédaient déjà, et qui se manifeste alors par des transformations variées. Ainsi, d’après M. Fremy, c’est le suc même du fruit qui donne naissance aux globules de levure par la transformation de la matière albumineuse, tandis que M. Pasteur ne voit dans la levure qu’un végétal qui se développe là où il a été semé.

Pour mettre la théorie de M. Fremy au pied de mur, comme il le dit, M. Pasteur a imaginé l’experimentum crucis qu’on va voir. Il a pris quarante ballons de verre à deux tubulures et les a remplis de moût de raisin filtré, qu’il a fait bouillir. Ensuite il a lavé dans un peu d’eau la surface des grains et le bois d’une grappe de raisin; examinée sous le microscope, cette eau de lavage se montre remplie de corpuscules organisés qui ressemblent à des spores de mucédinées. Les quarante ballons sont ensuite partagés en quatre groupes : dans les dix premiers, on introduit quelques gouttes de l’eau de lavage brute; dans dix autres, quelques gouttes de la même eau qu’on a préalablement fait bouillir. Dans les dix suivans, on fait pénétrer par aspiration une goutte de jus de raisin prise dans l’intérieur d’un grain entier; pour cela, on effile l’une des tubulures en pointe fine que l’on ferme à la lampe, puis on l’enfonce dans le grain posé sur un corps dur, et l’on brise la pointe en appuyant à faux; il suffit de chauffer le ballon dans la main et de le laisser ensuite refroidir pour qu’une goutte du suc soit aspirée par la pointe brisée. On amène cette goutte au contact du moût en inclinant le ballon et le redressant ensuite. Enfin les dix derniers ballons sont gardés comme témoins. Au bout de quelques jours, les dix premiers, qui ont été ensemencés avec l’eau de lavage brute, sont en pleine fermentation, et la surface du liquide y est tapissée de moisissures, tandis qu’on ne remarque aucune altération ni dans les ballons témoins, ni dans ceux qui ont reçu les gouttes d’eau de lavage préalablement bouillies, ni dans ceux où avait été déposée une goutte du suc des raisins. Ni le moût de raisin cuit, ni le suc de raisin, ne peuvent donc déterminer une fermentation; il faut pour cela l’intervention des germes proprement dits.

La preuve, c’est que les liquides les plus altérables restent parfaitement limpides et stériles aussi longtemps qu’ils ne sont en contact qu’avec l’air pur, et qu’il suffit, pour y voir apparaître des moisissures ou des infusoires, de les exposer à l’air libre ou de les introduire dans un vase qui n’a pas été soigneusement purifié. Les belles recherches de M. Tyndall sont venues tout récemment confirmer d’une manière éclatante cette corrélation supposée entre les altérations des liquides et les germes répandus dans l’air.

M. Tyndall en effet a découvert le moyen de rendre visibles à tous les yeux ces poussières fécondes qui sont suspendues dans l’atmosphère : invisibles directement, elles manifestent leur présence par la réflexion des rayons lumineux. L’air dans lequel le passage d’un rayon de soleil ne trace plus de sillon lumineux même pour des yeux rendus sensibles par un séjour dans l’obscurité, a perdu aussi son pouvoir d’engendrer la vie. On peut le rendre optiquement pur par l’action du feu, par la filtration à travers la bourre de coton, ou simplement par le repos prolongé dans un espace hermétiquement clos : ainsi purifié, il ne diffuse plus la lumière, et des infusions qu’on laisse pendant des mois dans cet air confiné demeurent inaltérées, tandis qu’exposées à l’air ordinaire elles fourmillent de microzoaires au bout d’un jour ou deux.

Pour démontrer ces propositions, M. Tyndall a fait construire des caisses de bois, vitrées sur le devant et munies de deux regards, fermés par des glaces, sur les deux faces latérales. Les parois intérieures de ces caisses sont enduites d’une couche de glycérine. Au bout de deux ou trois jours, les poussières flottantes se sont déposées, et un faisceau concentré de lumière que l’on envoie à travers les deux regards opposés reste invisible dans l’intérieur de la chambre vitrée : la traînée lumineuse s’arrête brusquement à l’entrée de la chambre et reparaît à la sortie. Au moyen d’une pipette qui traverse la paroi supérieure, on remplit alors de divers liquides très altérables une rangée d’éprouvettes encastrées dans le fond de la caisse, puis on les porte à l’ébullition dans un bain d’huile, et on les abandonne à l’action de l’air pur. Dans ces conditions, les infusions organiques les plus variées sont restées quatre mois aussi limpides que de l’eau distillée; elles ont commencé à se putréfier aussitôt qu’on a donné accès à l’air ordinaire, chargé de poussières.

Les propriétés optiques de la lumière réfléchie et dispersée par ces poussières flottantes prouvent qu’il y a là des nuages de particules solides excessivement ténues au milieu desquelles les corpuscules plus gros brillent d’un plus vif éclat. C’est parmi ces atomes ultra-microscopiques qu’il faut chercher les germes des bactéries qui élaborent la putréfaction. « Quoique le microscope soit impuissant à révéler la présence de ces particules, étrangères à l’atmosphère tout en flottant dans son sein, on peut affirmer qu’elles existent, dit M. Tyndall, comme si elles étaient tangibles ou visibles à l’œil nu. Or supposons qu’elles augmentent de volume jusqu’à devenir non-seulement saisissables au microscope, mais directement perceptibles à nos sens, et admettons un instant que la connaissance que nous en aurions dans ces conditions hypothétiques reste aussi défectueuse que celle que nous en avons aujourd’hui, — que nous ne sachions point si ce sont des germes, des parcelles de matière organique morte ou des poussières minérales. Supposons encore qu’on remplisse à la main un pot à fleurs avec du terreau, qu’on y sème nos particules inconnues, et qu’au bout de quarante-huit heures nous voyions poindre les germes de quelque plante bien définie ; supposons enfin que l’expérience, répétée à plusieurs reprises, donne invariablement le même résultat; quelle sera notre conclusion? Regarderons-nous ces plantes comme les produits de poussières mortes ou de matières minérales, ou bien comme les rejetons de semences vivantes? La réponse est toute trouvée. Nous verrons dans le fait de l’apparition des herbes la preuve positive que les particules déposées dans la terre du pot à fleurs étaient les semences des plantes qui en sont sorties. » Eh bien ! le même raisonnement s’applique à l’apparition des infusoires sous l’influence de l’air chargé de poussières dont la présence est trahie par la réflexion de la lumière. Les bactéries n’apparaissent que lorsqu’il y a des poussières dans l’air en contact avec les infusions ; donc ces poussières sont la cause de l’apparition des bactéries.

La nature et l’abondance des germes qui se trouvent suspendus dans l’air ou déposés à la surface de tous les objets varient beaucoup selon les lieux et les saisons, car la faune et la flore microscopique ont leurs habitats comme les plantes et les animaux qui frappent nos yeux. Dans l’eau de lavage d’une grappe de raisin, on trouve les germes des levures qui produisent la fermentation alcoolique de la vendange et ceux de la fleur du vin, de la fleur du vinaigre, etc. Dans une macération de poivre, on rencontre des germes exotiques, apportés des pays où le poivrier a vécu, et qui donnent naissance à des végétations d’un aspect insolite. Une macération de foin brut fourmille de kolpodes, tandis qu’on n’en trouve guère dans une infusion de foin qu’on a fait bouillir et qu’on expose à l’air dans un lieu abrité, parce que les kystes de kolpodes sont trop lourds pour rester suspendus dans l’air. Dans la rosée recueillie sur des ballons remplis de glace qui avaient été exposés toute la nuit dans la plaine de Gennevilliers, on a trouvé les germes des algues qui se développent sous l’influence des eaux d’égout de la ville de Paris, et qui ont déjà causé une endémie de fièvres intermittentes. L’air des laboratoires où s’exécutent souvent des expériences sur les fermentations, celui des brasseries, caves, germoirs, etc., est nécessairement très chargé de spores de toute sorte, et les ustensiles conservés dans ces locaux en sont également couverts; il en résulte qu’il y est plus difficile de se débarrasser des causes d’erreur qui peuvent influencer les expériences.

Enfin, parmi les spores qui tombent pêle-mêle dans un liquide fermentescible, les unes y rencontrent des conditions favorables à leur éclosion, d’autres au contraire ne peuvent s’y développer que péniblement ou même y périssent tout de suite. Le moindre changement dans la composition chimique d’un liquide peut modifier les chances de vie qu’il offre à tel organisme microscopique, et par conséquent exercer une influence sur la nature des productions spontanées qui pourront s’y manifester. Ces dernières dépendent surtout des conditions de neutralité, d’alcalinité ou d’acidité du liquide. Une faible acidité favorise le développement des moisissures, tandis qu’elle empêche celui des bactéries et des infusoires; au contraire la neutralité ou une faible alcalinité est favorable à la multiplication de la faune microscopique : bactéries, vibrions, kolpodes, etc. Ces différences dans l’appropriation des liquides à telle ou telle culture sont une source d’erreur contre laquelle les expérimentateurs ne sauraient trop se mettre en garde. Il faut même faire attention à la forme des vases où les liquides sont conservés, car dans une infusion exposée en large surface, sous une faible épaisseur, au contact de l’air, les moisissures se développent très vite et accaparent l’oxygène qui tendrait à se dissoudre dans ce liquide, retardant ainsi, empêchant même l’apparition de la levure.

Pour échapper à toutes ces causes d’erreur et démontrer l’autonomie des divers organismes microscopiques, il faut trouver le moyen de les cultiver, chacun séparément, à l’état de pureté. La difficulté n’est pas mince : on a beau trier les semences, trop souvent l’observateur s’aperçoit un peu tard que les spores d’une « mauvaise herbe » se sont mêlées à ses cultures et ont germé à son insu, troublant ses déductions et déroutant ses calculs. Il arrive même que les parasites, ayant trouvé dans le liquide en expérience un milieu favorable à leur multiplication, se développent seuls, tandis que les germes qu’on a semés directement restent stériles. Déposez sur du vin jeune du mycoderma aceti (fleurs du vinaigre), vous recueillerez du mycoderma vini (fleurs du vin); déposez sur du mycoderma vini du vin vieux, vous recueillerez du mycoderma aceti. Ce sont des faits de ce genre qui ont tant obscurci la théorie des fermentations.

M. Pasteur est arrivé à cultiver divers microphytes, par exemple les moisissures connues sous les noms de penicillium glaucum et d’aspergillus glaucus, à l’état de pureté, en déposant dans un de ses ballons quelques spores de ces végétaux, cueillies avec le bout d’un fil de platine préalablement passé dans la flamme d’une lampe à alcool ; il a vu les moisissures se multiplier à souhait : jamais elles ne se sont transformées en levure, comme prétend l’avoir observé M. Trécul. Le même résultat négatif a été obtenu avec des bactéries, avec le ferment lactique, etc. : on n’a jamais recueilli que ce qu’on avait semé.

En étudiant le développement de l’aspergillus pur dans le moût de bière, M. Pasteur a constaté un fait curieux. Toutes les fois que cette plante est en pleine végétation avec beaucoup d’air à sa disposition, il ne se produit pas d’alcool; mais si l’on vient à la submerger, de façon à la priver de l’oxygène de l’air, elle décompose le sucre à la manière de la levure de bière, en formant de l’acide carbonique et de l’alcool. En même temps, les tubes du mycélium se gonflent et prennent une forme globuleuse qui les fait ressembler à des chapelets de cellules. Des faits du même genre s’observent avec d’autres mucédinées : avec le penicillium, les divers mycodermes, les mucors, etc. On connaît les fleurs du vin, du cidre, de la bière, ces mycodermes qui forment en quelques heures une pellicule blanche à la surface des liquides fermentes qu’on expose à l’air. Ils vivent alors aux dépens du sucre, ils s’en nourrissent, le brûlent par une sorte de respiration, en absorbant l’oxygène de l’air et dégageant de l’acide carbonique : c’est le mode de nutrition des animaux. S’il existe de l’alcool dans le liquide, le mycoderme le brûle également. Qu’arrivera-t-il, si ces voiles vivans sont noyés dans le liquide qu’ils couvraient? Ils ne périront pas, mais ils changeront leur mode de nutrition : on les verra végéter péniblement, en décomposant le sucre et en sécrétant de l’acide carbonique et de l’alcool. Le mycoderme joue donc alors le rôle de ferment, et cependant il ne se transforme pas le moins du monde en levure.

Le genre mucor offre les mêmes phénomènes d’une manière encore plus accentuée. Lorsqu’on sème ce champignon sur des tranches de poire, de citron, etc., on voit les spores germer et pousser des tubes de mycélium grêles, rameux et enchevêtrés, avec des organes de fructification aériens; dans ce cas, la plante respire l’oxygène libre et brûle le sucre du substratum où elle végète. Submergée dans un liquide sucré, où il est privé d’oxygène, le mucor change d’aspect et devient ferment comme les autres moisissures, mais avec cette différence que, pour le mucor, les changemens de structure et l’activité de la nutrition en dehors de l’air sont bien plus prononcés. Les spores grossissent davantage, les tubes qui en sortent sont plus forts que dans la plante normale, et il s’en détache de grosses cellules qui se reproduisent en bourgeonnant. C’est une nouvelle espèce de levure alcoolique, mais tout à fait distincte de la levure de bière ordinaire.

En résumé, l’autonomie de ces divers végétaux est bien démontrée; mais les moisissures, qui d’ordinaire végètent en respirant l’oxygène de l’air, peuvent continuer de vivre, avec plus ou moins d’énergie, en l’absence de ce gaz, et elles montrent alors une grande tendance à devenir ferment alcoolique. Par opposition aux êtres aérobies, qui ne peuvent vivre sans air, il y aurait donc des êtres anaérobies, qui, à la rigueur et pour un temps, peuvent s’en passer : ces derniers seraient les fermens proprement dits.


III.

La levure des boissons fermentées a été de tout temps considérée comme le type des fermens. Elle doit son nom à l’effet vraiment extraordinaire qu’elle produit sur l’eau sucrée, sur le moût de raisin, sur le moût de bière, sur la pâte à faire le pain, en un mot sur les liquides ou matières plastiques qui renferment du sucre : elle les gonfle, les soulève jusqu’à les faire déborder et sortir des vases qui les contiennent. Ce gonflement, qui commence au bout de quelques minutes, est dû à un dégagement de gaz acide carbonique qui résulte de la décomposition du sucre; il n’a pas lieu si tout le sucre a été retiré du liquide dans lequel on a déposé la levure. On sait d’ailleurs que le phénomène de la fermentation des liquides sucrés se produit aussi spontanément lorsqu’on les abandonne à eux-mêmes; seulement l’effet se produit alors moins vite, parce qu’il faut d’abord un certain temps à la levure pour se développer.

La levure appartient au règne végétal. Leuwenhœck, il y a deux siècles, avait déjà constaté qu’elle est formée d’un amas de cellules, Cagniard-Latour et Schwann avaient découvert que ces cellules se multiplient par bourgeonnement. On voit d’abord naître sur la cellule-mère une petite bosse qui grossit, grossit, et s’étrangle au point d’attache en prenant une forme sphérique ou ovale, puis la cellule-fille se sépare et commence une vie indépendante. Cette multiplication a lieu à vue d’œil. « Il m’est arrivé quelquefois, dit M. Pasteur, de voir le fond d’un vase se recouvrir d’un dépôt blanc de cellules de levure dans l’intervalle de cinq à six heures seulement, après qu’on eut semé une quantité de levure si petite qu’elle ne modifiait pour ainsi dire pas du tout la transparence du liquide contenu dans le vase après l’agitation de la masse. Cette rapidité de végétation fait souvenir de ces plantes exotiques dont la taille, dit-on, s’accroît de plusieurs coudées dans l’intervalle de vingt-quatre heures. »

Il existe plusieurs sortes de levures alcooliques. Ainsi les levures que les brasseurs emploient pour la fermentation haute et pour la fermentation basse ne sont point identiques. Le moût de raisin donne lieu à plusieurs levures, dont l’une pousse rapidement et abondamment dans le moût de bière, tandis que la levure de bière ne se développe que péniblement dans le moût de raisin. La fermentation secondaire des vins restés doux fournit une autre levure, fort différente d’aspect des levures de la bière, et qui a reçu le nom de saccharomyces pastorianus : c’est une sorte de tige avec rameaux d’articles de distance en distance, lesquels sont terminés par des cellules sphériques ou ovoïdes qui se détachent facilement.

Maintenant d’où viennent ces levures qu’on voit naître spontanément dans les liquides sucrés exposés au contact de l’air? Si, à l’aide d’un pinceau, on lave dans un peu d’eau la surface d’un grain de raisin, cette eau, examinée au microscope, se montre remplie de corpuscules organisés ; on en trouve encore bien plus dans l’eau de lavage du bois de la grappe. Il est facile de suivre le bourgeonnement et la prolifération rapide de ces plantes celluleuses dans du moût de raisin filtré et bouilli. La preuve que parmi ces microphytes se rencontrent les germes des levures de la vendange, c’est que, submergés dans le moût, ils y déterminent aussitôt une énergique fermentation. Ajoutons que, d’après les observations de M. Pasteur, les germes de levure n’apparaissent sur les différentes parties des ceps que vers l’époque de la maturité du raisin, et qu’ils disparaissent pendant l’hiver pour ne se montrer de nouveau qu’à la fin de l’été[3]. Parmi ces levures naturelles, une des plus curieuses est le saccharomyces pastorianus, déjà cité, qui offre un cas de polymorphisme bien caractérisé. Composé ordinairement de cellules ovales ou sphériques, lorsqu’on le recueille dans les dépôts d’un moût qu’il a fait fermenter, il se transforme, dans certaines conditions faciles à réaliser, en des chaînes de tubes rameux qui se couvrent çà et là de cellules et d’articles, et il semble qu’alors seulement on ait sous les yeux la plante complète. Le saccharomyces pastorianus forme ainsi comme une transition entre le genre levure et certains genres de moisissures vulgaires, notamment le dematium, qui est très abondant sur le bois de la vigne à la fin de l’été, au moment des vendanges. Il est fort possible qu’à cette époque de l’année les dematium émettent des cellules de levure; ce serait la confirmation du soupçon qui est venu à plus d’un observateur, c’est que la levure n’est peut-être qu’un organe détaché d’un végétal plus complexe.

Le ferment ordinaire du vin (saccharomyces ellipsoïdeus) est une levure qui se développe naturellement à la surface des grains du raisin et s’introduit dans le jus sucré quand on écrase les grains, La fermentation du vin est donc spontanée, et il en est de même de celle du cidre, du rhum, de l’hydromel, etc.; l’homme ne la dirige pas, ne se préoccupe nullement de l’agent qui la provoque. Au contraire, le moût de bière n’est presque jamais abandonné à la fermentation spontanée : on le met en levain avec une levure recueillie dans une opération précédente ou qu’on a été chercher dans une brasserie en activité, qui elle-même la tenait d’une brasserie plus ancienne, et ainsi de suite. La levure de la bière est donc un produit industriel qui résulte d’une longue série de cultures répétées. On distingue d’ailleurs la levure haute, qui exige une température d’au moins 16 degrés, et la levure basse, qui ne fonctionne bien qu’à des températures inférieures à 10° ; on n’obtient directement ni l’une ni l’autre par la fermentation spontanée du moût de bière, qui donnerait des levures semblables à celles du vin. Voici les réflexions qu’elles inspirent à M. Pasteur : « D’où proviennent donc les levures haute et basse de l’industrie? Quel a été leur premier germe? Je ne saurais le dire; mais je suis très porté à croire que nous avons ici un exemple nouveau de ces modifications de plantes ou de races d’animaux, devenues héréditaires par une domestication prolongée. On ne connaît pas le blé à l’état sauvage; on ne sait quelle a été sa première graine. On ne connaît pas non plus le ver à soie à l’état sauvage ; on ignore la race qui en a fourni le premier œuf. »

En dehors des deux levures de bière à fermentation haute et à fermentation basse, qui sont, à vrai dire, des produits artificiels, nous connaissons déjà un certain nombre de levures alcooliques naturelles ; telles sont : la levure dite de Pasteur (saccharomyces pastorianus), qui fait partie du ferment du raisin et de celui des fruits domestiques, — puis la levure ordinaire du vin et celle dite apiculée, sans compter le ferment fourni par les moisissures submergées.

Au cours de ses recherches, M. Pasteur a aussi rencontré une nouvelle espèce de levure haute qui s’était développée fortuitement dans une bouteille de moût de bière, tirée d’un brassin qu’on avait fait dans son laboratoire au mois de février 1873. Dans la pensée que cette levure, qui se distinguait par la forme ovale de ses cellules, donnerait une bière encore inconnue, M. Pasteur s’appliqua à la cultiver dans des ballons de moût pur, pendant plusieurs mois. On s’en servit alors comme ferment, et la bière qui fut obtenue ne ressemblait à aucune des bières connues. Cette levure pourrait être introduite dans l’industrie; il se peut qu’elle ne soit pas nouvelle, car elle offre de grandes analogies avec celle qui est fabriquée à Maisons-Alfort pour l’usage de la boulangerie. Enfin M. Pasteur a trouvé encore une autre levure haute, qu’il appelle levure caséeuse, dans le dépôt du pale-ale de Bass et Allsopp, et dans diverses levures commerciales.

Au début de ses recherches sur la fermentation, M. Pasteur était tombé lui-même dans une erreur facile à commettre : il avait cru que les voiles de mycodermes submergés se transformaient en levure proprement dite. L’illusion avait été causée par des germes de levure qui s’étaient accidentellement introduits dans le liquide en expérience; ce qui reste de ces premiers résultats, c’est que les fleurs du vin végètent dans les profondeurs du liquide sucré à la manière des êtres anaérobies; en provoquant une faible fermentation alcoolique. En cherchant s’il était possible réciproquement de transformer une véritable levure en mycoderme, M. Pasteur a découvert un fait curieux : c’est que la levure de dépôt, en apparence épuisée et inerte, se remet quelquefois à bourgeonner et vient former à la surface du liquide fermenté une sorte de voile ou une couronne contre les parois du ballon. On croirait avoir sous les yeux les mycodermes bien connus ; en réalité, ce sont des cellules de levure, qui, si on les sème dans un moût sucré, s’y comportent comme la levure ordinaire. Toutes les levures alcooliques donnent ainsi leur levure aérobie ou levure-moisissure, qui diffère par certains caractères de la levure d’origine : la forme aérobie d’une levure basse se comporte comme une levure haute, monte à la surface, et donne une bière qui a quelque chose de plus parfumé.

Cette étude approfondie des diverses levures et de leur mode d’existence était nécessaire pour arriver à la préparation d’une levure pure de tout mélange de fermens étrangers. Les levures commerciales sont presque toujours impures; aussi se putréfient-elles très vite, si on les abandonne à elles-mêmes après la fermentation. Les germes étrangers qu’elles contiennent ont rarement le temps d’éclore pendant la fermentation du moût, mais ils passent dans la bière et s’y développent en altérant le goût de cette délicate boisson. Les diverses pratiques auxquelles l’expérience a conduit les brasseurs ont pour effet, il est vrai, d’atténuer le danger de ces fermentations maladives, mais il est clair qu’un grand pas en avant serait fait, si l’on ne mettait plus en levain qu’avec des levures purifiées par des cultures répétées à l’abri des poussières de l’air, selon la méthode enseignée par M. Pasteur. Non-seulement on obtiendrait ainsi des bières de bien meilleure garde, mais aussi d’un goût plus franc, en évitant le mélange des diverses espèces de levures.

Un des grands résultats de ces longues et subtiles recherches, c’est une nouvelle théorie physiologique de la fermentation. Pour M. Pasteur, la fermentation est un phénomène très général : c’est la vie sans air, c’est la vie sans gaz oxygène libre, et les fermens proprement dits sont des êtres qui s’accommodent facilement de ce mode de vie; ce sont des êtres anaérobies, qui se développent aux dépens de l’oxygène combiné au sucre. Mais les moisissures, d’ordinaire aérobies, peuvent elles-mêmes devenir ferment, si on les oblige à végéter sans air. Ce n’est pas tout : il suffit de plonger des fruits sucrés dans le gaz acide carbonique pour y provoquer une fermentation alcoolique spontanée, par une sorte de perversion du travail chimique de la nutrition, qui s’accomplit désormais aux dépens de l’oxygène du sucre. La cellule végétale, au lieu d’élaborer du sucre, vit sur celui qui existe dans le fruit et le convertit en alcool. Des raisins, des melons, des oranges, lorsqu’on les confine sous une cloche remplie d’acide carbonique, fermentent donc sans qu’on puisse découvrir trace de cellules de levure dans la pulpe de ces fruits. Tandis que des prunes abandonnées à l’air deviennent très molles et très sucrées, les mêmes prunes, dans le gaz acide carbonique, deviennent fermes, dures, perdent beaucoup de sucre, et, soumises à la distillation, fournissent de l’alcool. Ainsi tout porte à croire que la fermentation n’est autre chose qu’un phénomène de nutrition aux dépens de l’oxygène combiné; mais il faut ajouter que l’oxygène libre est nécessaire pour commencer la fermentation en éveillant l’activité vitale du ferment.

Quelle est maintenant l’application pratique qui se dégage de ces recherches? Les principes établis par M. Pasteur permettront-ils de perfectionner la fabrication de la bière? Sans aucun doute, ne fût-ce qu’en fournissant le moyen d’obtenir une bière d’une conservation facile, une bière à peu près inaltérable, — résultat dont la portée industrielle saute aux yeux.

On sait que les recherches antérieures de l’illustre chimiste sur les maladies des vins l’avaient conduit, il y a dix ans, à un procédé de conservation du vin en fûts ou en bouteilles, qui aujourd’hui a fait ses preuves. Pour rendre le vin en bouteilles inaltérable, il suffit de le porter pendant quelques instans, au bain-marie, à une température de 50 ou 60 degrés. On peut aussi le chauffer dans des appareils spéciaux et le transvaser dans les tonneaux à l’abri de l’air. La chaleur ayant tué les fermens de maladie qu’il contenait, et l’air ne pouvant en introduire d’autres, le vin n’a plus à craindre les altérations qui causent tant de pertes au commerce. L’application des préceptes de M. Pasteur a permis d’exporter des vins qui autrefois ne sortaient guère du pays. On s’est bientôt demandé si ce qui avait réussi pour le vin ne pourrait pas se faire aussi pour la bière, et on a tenté d’appliquer directement le même procédé à la conservation de cette boisson en chauffant les bouteilles à environ 55 degrés : cela s’appelle, en Allemagne, pasteuriser la bière. Malheureusement il paraît que la chaleur, tout en garantissant la bière des diverses maladies qu’elle pourrait contracter, nuit à la finesse du goût, du moins quand la bière a été fabriquée par les procédés aujourd’hui en usage. Il a donc fallu chercher la solution du problème dans une autre voie, et M. Pasteur pense y être parvenu.

En effet, il est désormais démontré que toutes les altérations qui peuvent se produire dans la levure, dans le moût de bière ou dans la bière elle-même sont dues à des fermens parasites dont les germes se trouvent mêlés au levain commercial ou bien sont apportés par l’air, par les ustensiles et les matières premières dont se servent les brasseurs ; mais nous savons que les fermens de maladie périssent dans le moût lorsqu’il est porté à la température de l’ébullition, puisque le même moût peut ensuite rester indéfiniment exposé au contact de l’air pur sans éprouver aucune altération. D’un autre côté, il est possible de préparer la levure, haute ou basse, à l’état de pureté. Dès lors, puisque les germes de maladie sont tués dans la chaudière de cuisson du moût, puisqu’un levain pur ne peut apporter aucun ferment nuisible, on doit pouvoir faire de la bière inaltérable, si le moût, sortant de la chaudière, est refroidi et manipulé à l’abri de l’air ordinaire ou au contact de l’air pur, puis mis en levain pur, et si la bière faite est logée dans des vases soigneusement purgés de tout ferment de maladie.

Guidé par ses vues théoriques, M. Pasteur est arrivé à faire de la bière par un procédé qui réalise toutes ces conditions et qui est susceptible d’être pratiqué en grand. De la chaudière de cuite, le moût est conduit dans une cuve couverte où on le refroidit à l’abri des poussières de l’air, avec lequel il ne communique que par un tube tombant où ces poussières ne peuvent pénétrer. Pour la mise en levain, on se sert d’une levure cultivée à l’état de pureté ; aussi peut-on se contenter d’une dose de levure beaucoup plus faible que celle qui est employée par les brasseurs, qui sont obligés d’en introduire dans le moût une si forte proportion, parce qu’il faut l’entraîner dans la fermentation alcoolique sans laisser aux fermens parasites le temps de se multiplier. On sait en effet qu’une culture assez abondante pour envahir promptement un champ préparé à la recevoir, prend vite le dessus et étouffe les mauvaises herbes.

M. Pasteur indique les diverses manipulations qui permettraient de fabriquer la bière dans des conditions de pureté complète, à l’abri de tous les fermens nuisibles ; mais, comme il est rare qu’une industrie adopte d’emblée des pratiques nouvelles qui l’obligent à changer son outillage, on pourrait se contenter d’appliquer le nouveau procédé à la fabrication du levain et du moût, peut-être même du levain seulement. Le plus simple serait de mettre en levain les grandes cuves de l’entonnerie avec de la bière en fermentation pure, préparée à cet effet dans des cuves fermées. Les essais qui ont été faits du nouveau procédé, tant au laboratoire de l’École normale que dans la grande brasserie des frères Tourtel, à Tantonville, près Nancy, ont montré que les bières qu’il fournit (même appliqué à la mise en levain seulement) possèdent, avec une bien plus grande durée de conservation, une qualité égale et une force supérieure à celle des bières actuelles provenant des mêmes moûts. On a constaté aussi qu’en diminuant l’aération du moût, on donne à la bière plus de cette qualité que les brasseurs appellent bouche, qu’elle conserve davantage l’arôme du houblon, et que la fermentation secondaire est beaucoup plus lente, ce qui est une bonne condition pour une bière qui doit subir de longs transports.

Il faudra sans doute du temps pour faire pénétrer ces idées dans la pratique industrielle, à travers les discussions théoriques qu’elles soulèvent encore, mais elles feront leur chemin, comme l’ont fait les admirables travaux de M. Pasteur sur le vin, sur le vinaigre, sur les vers à soie. Peu d’hommes auront contribué comme lui à transformer les conditions de grandes et florissantes industries, en les faisant sortir des ornières de la routine pour leur imprimer une marche sûre, guidée par des principes simples et clairs.


R. Radau.
  1. D’après un rapport de M. Jacquème, inspecteur des finances, la quantité de bière soumise à l’impôt s’est élevée en 1873 à 7,413,000 hectolitres; mais M. Jacquème ajoute que la bière fabriquée en fraude, non déclarée, représente deux tiers de la fabrication totale. Il est bien difficile d’accepter cette évaluation. — Paris consomme de 2 à 300,000 hectolitres de bière par an, contre 3 ou 4 millions d’hectolitres de vin.
  2. En 1871, la Grande-Bretagne a exporté 790,000 hectolitres de bière, représentant une valeur de 46 millions de francs. Sur cette quantité, l’Inde a reçu 260,000 hectolitres, l’Australie 130,000, etc. Cette exportation ne représente que 2 pour 100 de la production.
  3. Une grappe entière d’un raisin noir nouveau, très mûr, acheté au mois d’avril et qui avait poussé en serre, ne fermenta pas du tout après qu’on l’eut écrasée.