La Satyre Ménippée/Harangue de Monsieur le Légat

Satyre Menippee
Garnier frères (p. 75-85).

HARANGUE

DE MONSIEUR LE LEGAT

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In nomime Patris, †. Io mi rallegro, e son quasi fuora di me stesso (ò Signori e Popoli piu Catholici che i medesimi Romani) di vedervi qui collegati per un sogetto tanto grande e Catholico. Ma, d’altra parte, mi truovo molto sbigottito di sentir tante opinione balorde fra voi altri Ligouri Catholici, e mi pare che quella antiqua fattione di Neri et Blanchi rinasce : percio che l’uni domandano bianco, e


Traduction :

In nomine Patris, †. Je me réjouis et suis presque hors de moi (ô Seigneurs et Bourgeois, plus Catholiques que les Romains eux-mêmes) de vous voir ici rassemblés pour un sujet si grand et si Catholique. Mais, d’autre part, je me trouve grandement abasourdi d’entendre tant d’opinions balourdes s’élever parmi vous autres Ligueurs catholiques, et il me semble voir renaître cette antique faction des Noirs et des Blancs : car les uns deman gli altri il nero. Ma una sola cosa mi pare necessaria à la salute delle anime vostre : cio è, di non parlar mai di pace, e manco procurar la che prima tutti gli Francezi non siano morti, à guiza di Macabei, e uccisi varolosamente, come fu Sansone, fracassati e sotterrati trà le ruine di questo cattivo paradiso terrestre di Francia, per goder piu presto la quiete immortale del Paradiso Celeste. Guerra donque ! guerra, o valenti e magnifici Francezi ! perche mi pare, quando si ragiona della pace e si parla di trega con questi forfanti heretici manigoldi, che mi sia dato un servitiale d’inchiostro. Considerando che molto meglio è, per la quiete d’Italia e la securità de la santa Sede Apostolica, che i Francezi e Spagnuoli guerreggiano tra loro in Francia, o veramente in

dent blanc et les autres noir. Mais une seule chose me paraît nécessaire au salut de vos âmes : c’est de ne parler jamais de paix, bien moins encore d’y travailler, que tous les Français n’aient auparavant succombé à la façon des Macchabées, et ne se soient fait vaillamment occir comme Sanson, écrasés et enterrés au milieu des ruines de ce méchant paradis terrestre de France pour jouir plus vite du repos éternel du Paradis céleste. La guerre, donc ! la guerre ! ô vaillants et magnifiques Français ! Car, toutes les fois qu’il est question de paix et qu’on parle de trêve avec ces sycophantes pendards d’Hérétiques, il me semble qu’on me donne un clystère à l’encre. Sans compter qu’il vaut beaucoup mieux, pour la tranquillité de l’Italie et la sécurité du Saint-Siége Apostolique, que les Français et les Espagnols guerroient entre eux en France, ou véritablement en Flandria, per la religione o la corona, che in Italia per Napoli o Milano. Perche, per vi dir il vero, non se ne cura il Santissimo Padre di tutti fatti vostri, se non à tanto che gli tocca di non esser spogliato d’annate e commende, e altre espeditioni che si fanno in Roma con oro e argento vestro. Date quanto volete le anime vostre al Demonio inferno : poco gli è, proveduto che gli sia che le provende di Bretagna et la riverentia antica, debita à sua Santità, non gli mancano. Tanto piu grande e riverita sarà sua Santità quanto voi altri homuncioni sarete piccoli e piccolini. E non parlate piu di tanti beni e tanti favori ch’i predecessori vostri hanno fatte à la santa Sede Apostolica, anco meno delle richezze e paezi che gli Pape hanno del beneficio di Carlo Magne e di suoi

Flandre, pour la religion ou la couronne, qu’en Italie pour Naples ou Milan. C’est pourquoi, à vous dire le vrai, le Très-Saint Père n’est guère en peine de tous vos agissements ; et tout ce qui le touche, c’est de n’être point privé des annates et commendes et autres expéditions qui se payent à Rome avec votre or et votre argent. Donnez tant que vous voudrez vos âmes au Diable d’Enfer, peu lui importe, pourvu que les provendes de Bretagne et l’antique révérence due à Sa Sainteté ne lui manquent point. D’autant plus grande et révérée sera Sa Sainteté que vous autres pygmées, serez petits et tout petits. Et ne parlez plus de tant de biens et de tant d’honneurs que vos prédécesseurs ont faits au Saint-Siége Apostolique, encore moins des richesses et des pays que les Papes tiennent des bienfaits de Charlemagne et des rois de France ses successeurs ! successori Regi di Francia. Questo è cosa fatta. Le pardonanze che havete ricevute da pochi anni in qua, con le gratuite Indulgenze e Jubilei, sono di molto piu pregio ; basta che le corone e gli scettri del mondo sono à dispositione di sua Santità, et si possono cambiare, trastullare, e torre e porre, à suo modo. Scriptum est enim : Hæc omnia tibi dabo.

Atque, ut pergam latina lingua vobis loqui, ne forte aliquis non satis intelligat Italianam, dicam vobis summam legationis mæ quæ sumpta est ex Matthæi 10° cap : Nolite arbitrari quia pacem venerim mittere in hanc terram : non veni pacem mittere, sed gladium. Nihil enim habeo magis in mandatis et instructione secreta quam ut vos perpetuo exhortem ad bellum et prælium, atque totis viribus impediam

Tout cela est chose faite. Les Pardons que vous avez reçus depuis peu d’années en ça, les Indulgences gratuites et les Jubilés sont d’un bien autre prix ! Suffit d’ailleurs que toutes les couronnes et tous les sceptres du monde sont à la disposition de Sa Sainteté, et se peuvent changer, transférer, ôter et rétablir, à sa guise. Car il est écrit : Je te donnerai toutes ces choses.

Et, pour continuer à vous haranguer en langue latine, de peur que quelqu’un de vous ne comprenne pas bien l’italienne, je vous dirai le fin mot de mon ambassade, que je tire du 10e chapitre de Matthieu : Ne croyez pas que je sois venu apporter ici la paix ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Rien, en effet, ne m’est plus recommandé, en mes ordres et instructions secrètes, que de vous exhorter sans cesse à la guerre et aux combats, et de vous empêcher de toutes mes ne tractetis ullo modo de reconciliatione et pace inter vos. Quod sane magnum esset crimen et indignum Christianis et Catholicis hominibus. Alterum vero punctum, quod habeo vobiscum agendum, est de electione cujusdam Principis, boni Catholici, in Regem vestrum, repudiata prorsus ista familia Borboniorum, quæ tota est Hæretica, aut Hæreticorum fautrix. Ego vero scio gratissimam rem vos facturos Domino nostro Papæ et sanctæ Sedi Apostolicæ, nec non benefactori meo, Christianissimo et Catholicissimo Hispaniarum et tot regnorum Regi, si Britanniæ Armoricæ Ducatum conservetis illustrissimæ filiæ ejus, Infanti : regnum vero conferatis alicui Principi ex ejus familia, quem illa maritum eligere voluerit, et dotali corona Franciæ dignabitur in soli

forces, de jamais vous entretenir de réconciliation et de paix entre vous ; car ce serait là un grand forfait, et indigne de Chrétiens et de Catholiques. Un autre point dont j’ai à traiter avec vous, c’est l’élection d’un certain Prince, bon Catholique, pour en faire votre Roi, à l’exclusion totale de cette abominable famille des Bourbons, qui est toute Hérétique, ou fautrice d’Hérétiques. Je sais que vous ferez une chose très-agréable à notre Saint Père le Pape et au Saint-Siége Apostolique, ainsi qu’à mon bienfaiteur le Très-Chrétien et Très-Catholique roi des Espagnes et de tant d’autres Royaumes, si vous réservez le duché de Bretagne à l’Infante, sa très-illustre fille, et si vous conférez la couronne à tel Prince de sa famille qu’il lui plaira choisir pour époux. Et ainsi la couronne de France serait dotale et attribuée solidairement à tous deux. Mais sur cela le Révéren dum utrique competenti. Sed de hoc plura Reveren dissimus Cardinalis de Pelve vobis disseret, et pro reliquo supplebit. Cognoscit enim melius quam me vestra negotia, quæ, per vigenti annos, tam Lotharingicè quam Hispanicè, tractavit Romæ, adeo subtiliter et fideliter ut reduxerit res vestras ad punctum ad quod illas nunc reductas videtis. Idcirco, cum crederet pius iste Præsul et civis Franciam, matrem suam, esse in agone mortis et trahere ultima suspiria, venit nuper ad visitandam eam, tanquam bonus et devotus confessorius et optimus compatriota, ad vos juvandum in pompa funebri et exequiis ejus. Sed, si velletis eligere aliquem in Regem ex suis benefactoribus Lotharingiæ et Guisiæ, sane vos feceritis ei secundum cor suum : et ille alacriter ungeret et sacraret eum ex oleo sanctæ Ampullæ quod

dissime Cardinal de Pelvé vous en dira plus long, et il suppléera ce que j’omets. Car il connaît mieux que moi vos affaires, qu’il a traitées à Rome durant vingt années, tant au goût des Lorrains que de l’Espagnol, et si adroitement et fidèlement qu’il a amené vos affaires au point où vous les voyez réduites maintenant. C’est pourquoi ce pieux Prélat, ce bon citoyen, pensant que la France, sa mère, était à toute extrémité et rendait son dernier soupir, vint naguère la visiter, comme un bon et dévot confesseur et un excellent compatriote, afin de vous aider à faire sa pompe funèbre et ses obsèques. Mais, si vous voulez élire pour Roi quelqu’un de ses bienfaiteurs Lorrains ou Guisards, vous ferez sans contredit selon son cœur, et il s’empressera de l’oindre et le sacrer avec l’huile de la Sainte habet Remis expresse reservatum, et bene servatum sub custodia Sancti Pauli Campaniæ et Rotliæ ducis. Vos videritis. Ego de expresso mandato Domini nostri, si quid in hoc feceritis contra leges et mores hujus Regni, vel contra Concilia Ecclesiæ, vel etiam contra Evangelium et Decalogum, saltem secundum impressionem Hæreticorum, vobis promitto plenam absolutionem et indulgentiam, idque gratis, in sæcula sæculorum. AMEN.

Oi me ! non mi ricordiva di vi far intendere una molto buona nuova, ch’ho ricevuta in fretta di Roma per mezo di Zametto : cio è che la sua Santità scommunica, agrava, anathematiza tutti i Cardinali, Archivescovi, Vescovi, Abati, Preti e Monachi, chi sono Reali Politici, quanto i Catholici siano. E, per

Ampoule, conservée tout exprès à Reims, et tenue précieusement sous la garde de Saint-Paul, gouverneur de Champagne et du Rethelois. Vous y aviserez. Quant à moi, par ordre exprès de mon Maître, si vous faites en cela quelque chose contre les lois et mœurs de ce Royaume, ou contre les conciles de l’Église, ou encore contre l’Évangile et le Décalogue, ou seulement selon l’impression des Hérétiques, je vous promets absolution et indulgence plénière, et cela pour rien, dans les siècles des siècles. Amen.

Malheureux que je suis ! J’oubliais de vous faire part d’une excellente nouvelle que j’ai reçue de Rome, en toute hâte, par l’entremise de Zamet. C’est que Sa Sainteté excommunie, maudit, anathématise tous les Cardinaux, Archevêques, Évêques, Abbés, Prêtres et Moines, qui sont Royaux Politiques, tant torre ogni diferenza e gelosia tra gli Spagnuoli e Francezi, farà il Santissimo Padre che i Francezi haranno le scrofole, come i Spagnuoli, e diventaranno anco bravadori e bugeroni come essi. Oltre fa pieno Indolgenze à tutti quanti buoni Catholici Loreni, o Hispani Francesi, i quali amazzeranno padri, fratelli, cugini, vicini, podestate, principi reali, politici heretici, in questa christianissima guerra, fine à trecenta mille anni di vero perdono. E non dubitate ch’ il Spiritu Santo vi manca, perche il sacro Consistorio lo fa descendere, dalle braccia di Dio padre, a sua posta : come sapete ch’ ha designato, dopo molti anni, di creare alcuno Papa che non fosse Italiano, o Hispano. In finé, fatte un Rè, di gratia, per amor mio. E non me ne curo che si sie,

Catholiques soient-ils. Et, pour ne laisser plus aucune différence ni jalousie entre Espagnols et Français, le Très-Saint Père s’arrangera de façon que les Français aient les écrouëlles tout comme les Espagnols, et deviennent aussi bravaches et menteurs comme eux. En outre, il accorde indulgences plénières à tous bons Catholiques-Lorrains, ou Français Espagnolisés, qui tueront pères, frères, cousins, voisins, Magistrats, Princes du sang, Politiques Hérétiques, en cette guerre très-Chrétienne, jusqu’à concurrence de trois cent mille ans de vrai pardon. Et ne craignez pas que le Saint-Esprit vous manque, car le sacré Consistoire le fait descendre à volonté des bras de Dieu le Père, comme vous savez qu’il a pris soin, depuis bien des années, de ne faire aucun Pape qui ne fût ou Italien ou Espagnol. Enfin de grâce, faites un Roi pour l’amour de moi ! fosse el Diavolo, modo che sia sérvitore e feudatario de la sua Santità, e del Ré Catholico, per mezzo del qual son stato fatto Cardinale, merce al buon Duca di Parma. Ben vi dirò ch’il mio voto sarebbe volentieri per la Infanta di Spagna, perche ella è valente donna, e amata molto di suo padre. Neantedimeno, farete quel che piacera al Signor Duca di Feria, e à Monsour lo Loutenant. Ma guardatevi mentre d’aprir la bocca per ragionar di pace o trega : altramente, il sacro Collegio rinegarà Christo. Ego me vobis commendo iterum. Valete.

Ces mots finiz, le petit Launay, cy-devant Ministre passé en l’Université de Geneve[1] et à présent boute

Point ne me chaut qui vous prendrez, fût-ce le Diable, pourvu qu’il soit serviteur et feudataire de Sa Sainteté et du Roi Catholique, par le moyen de qui je fus fait Cardinal, grâce à ce bon Duc de Parme. Je vous dirai bien que volontiers je donnerais ma voix à l’Infante d’Espagne, parce que c’est une noble Dame et que son père aime fort. Néanmoins vous ferez ce qui plaira à Monseigneur le Duc de Feria et à Monsour lo Loutenant. Mais, sur toutes choses, gardez-vous d’ouvrir la bouche pour parler de paix ou de trêve. Autrement le sacré Collége en renierait Christ ! Je me recommande encore une fois à vous. Salut. cul[2] de Sorbonne, après avoir mangé les grands Breviaires[3] et Heures du feu Roy à faire festins à Monsieur le Lieutenant, se mit à genoux avec Garinus[4], Cordelier et Apostre apostat, et, assistez de Cuilly[5], curé de Sainct-Germain-l’Auxerrois, et d’Aubry, curé de Sainct-André-des-Arcs, revenant de confesser Pierre Barriere[6], entonnerent à haute voix, devant la croix de M. le Legat :

0 crux, ave, spes unica,
Hoc passionis tempore !

Quelques-uns de l’Assemblée le trouverent mauvais. Toutesfois chacun les suivit en chantant de mesme, et, le bransle finy, le sort tomba à Monsieur le Cardinal de Pelvé de parler. Lequel, se levant sur ses deux pieds, comme une oye, aprés avoir fait une tres-profonde reverence devant le siege de Monsieur le Lieutenant, son chapeau rouge avalé[7] en capuchon par derriere, puis une autre semblable devant Monsieur le Legat, et une autre bassissime devant les Dames ; puis s’estant rassis, et toussy trois bonnes fois, non sans excréation phlegmatique qui excita aussi un chacun à faire de mesme, il commença de dire ainsi, adressant sa parole à Monsieur le Lieutenant, qui luy dit par trois fois : Couvrez vous, mon maistre.

  1. Launay, tour à tour prêtre, huguenot, ministre et marié, redevint catholique et fut membre du conseil des Quarante et chanoine de Soissons.
  2. Terme de mépris par lequel le populaire désignait les oblats et moines convers qui pouvaient rentrer dans le monde.
  3. Henri III avait réuni au bois de Vincennes, auprès de l’église des Minimes, une riche collection de tableaux, d’ornements et d’ustensiles d’église, enfin d’Heures et de Missels précieux. Le tout fut pillé par les ligueurs en 1589, et il parait que Launay avait eu sa part du butin, qu’il vendit.
  4. Cordelier, originaire de Savoie ; se fit remarquer entre tous les prédicateurs qui excitèrent le peuple à la révolte.
  5. Jacques Cueilly, docteur en Sorbonne, Député aux États de la Ligue.
  6. En apprenant la conversion de Henri IV, Pierre Barrière venu de Lyon dans l’intention de l’assassiner, fut pris de scrupule, et consulta à ce sujet le curé Aubry, qui lui persuada que cette conversion était sans valeur, et que la mort seule du Béarnais pouvait assurer le triomphe de la religion catholique.
  7. Descendu. Il avait rejeté son chapeau sur ses épaules, en manière de capuchon.