La Satyre Ménippée/Harangue de Monsieur d'Aubray

Satyre Menippee
Garnier frères (p. 166-300).

HARANGUE DE MONSIEUR D’AUBRAY modifier

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POUR LE TIERS-ESTAT [2]

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Par nostre Dame, Messieurs, vous nous l’avez baillé belle ! Il n’estoit ja besoin que nos curez nous preschassent qu’il falloit nous desbourber et desbourbonner [3]. A ce que je voy par vos discours, les Pari siens en ont dans les bottes bien avant, et sera prou difficile de les desbourber. Il est desormais temps de nous appercevoir que le faux Catholicon d’Espagne est une drogue qui prend les gens par le nez ; et ce n’est pas sans cause que les autres nations nous appellent Caillettes, puisque, comme pauvres cailles coiffées et trop crédules, les Predicateurs et Sorbonistes, par leurs caillets [4] enchanteurs, nous ont faict donner dans les rets des tyrans, et nous ont par aprés mis en cage, renfermez dedans nos murailles pour apprendre à chanter. Il faut confesser que nous sommes pris à ce coup, plus serfs et plus esclaves que les Chrestiens en Turquie, et les Juifs en Avignon. Nous n’avons plus de volonté, ni de voix au chapitre. Nous n’avons plus rien de propre, que nous puissions dire : Cela est mien. Tout est à vous, Messieurs, qui nous tenez le pied sur la gorge, et qui remplissez nos maisons de garnisons. Nos privileges et franchises anciennes sont à vau-l’eau [5] ; nostre Hostel-de-Ville, que j’ay veu estre l’asseuré refuge du secours des Roys en leurs urgentes affaires, est à la boucherie[6] ; nostre Cour de Parlement est nulle ; nostre Sorbonne est au bourdel, et l’Université devenue saulvage. Mais l’extrémité de nos miseres est qu’entre tant de malheurs et de necessitez, il ne nous est pas permis de nous plaindre ni demander secours ; et faut, qu’ayants la mort entre les dents, nous disions que nous nous portons bien, et que nous sommes trop heureux d’estre malheureux pour si bonne cause.

O Paris ! qui n’es plus Paris, mais une spelunque[7] de bestes farouches, une citadelle d’Espagnols, Ouallons et Neapolitains ; un asyle et seure retraite de voleurs, meurtriers et assassinateurs ; ne veux-tu jamais te ressentir de ta dignité, et te souvenir qui tu as esté, au prix de ce que tu es ? Ne veux-tu jamais te guarir de ceste frenesie qui, pour un legitime et gracieux Roy, l’a engendré cinquante Roytelets et cinquante tyrans ? Te voila aux fers ! Te voila en l’Inquisition d’Espagne, plus intolérable mille fois et plus dure à supporter aux esprits nez libres et francs, comme sont les François, que les plus cruelles morts dont les Espagnols se sçauroient adviser ! Tu n’as peu supporter une legere augmentation de tailles et d’offices, et quelques nouveaux edicts qui ne t’importoient nullement, et tu endures qu’on pille tes maisons, qu’on te rançonne jusques au sang, qu’on emprisonne tes Senateurs, qu’on chasse et bannisse tes bons citoyens et conseillers, qu’on pende, qu’on massacre tes principaux magistrats ! Tu le vois, et tu l’endures ! Tu ne l’endures pas seulement, mais tu l’approuves, et le loues, et n’oserois et ne sçaurois faire autrement ! Tu n’as peu supporter ton Roy, si debonnaire, si facile, si familier, qui s’estoit rendu comme concitoyen et bourgeois de ta Ville qu’il a enrichie, qu’il a embellie de somptueux bastiments, accreue de forts et superbes remparts, ornée de previleges et exemptions honorables ! Que dis-je, peu supporter ? c’est bien pis : tu l’as chassé de sa Ville, de sa maison, de son lict ! Quoy chassé ? lu l’as poursuivy ! Quoi poursuivy ? Tu l’as assassiné, canonizé l’assacinateur, et faict des feux de joye de sa mort ! Et tu vois maintenant combien ceste mort t’a prouffité, car elle est cause qu’un autre est monté en sa place, bien plus vigilant, bien plus laborieux, bien plus guerrier, et qui sçaura bien te serrer de plus prés, comme tu as, à ton dam, deja experimenté. Je vous prie, Messieurs, s’il est permis de jetter encore ces derniers abois en liberté, considerons un peu quel bien et quel prouffit nous est venu de ceste detestable mort, que nos Prescheurs nous faisoient croire estre le seul et unique moyen pour nous rendre heureux. Mais je ne puis en discourir qu’avec trop de regret de veoir les choses en l’estat qu’elles sont, au prix qu’elles estoient lors. Chacun avoit encore en ce temps-là du bled en son grenier et du vin en sa cave ; chacun avoit sa vaisselle d’argent, et sa tapisserie, et ses meubles ; les femmes avoient encore leur demiceint[8]. Les reliques estoient entieres ; on n’avoit point touché aux joyaux de la Couronne. Mais maintenant qui se peut vanter d’avoir de quoy vivre pour trois semaines, si ce ne sont les voleurs, qui se sont engraissez de la substance du peuple, et qui ont pillé à toutes mains les meubles des presents et des absents ? Avons-nous pas consommé peu à peu toutes nos provisions, vendu nos meubles, fondu nostre vaisselle, engagé jusques à nos habits, pour vivoter bien chetivement ? Où sont nos sales et nos chambres tant bien garnies, tant diaprées et tapissées ? Où sont nos festins et nos tables friandes ? Nous voila reduits au laict et au frommage blanc, comme les Souysses : nos banquets sont d’un morceau de vache pour tous mets ! Bien heureux qui n’a point mangé de chair de cheval et de chiens, et bien heureux qui a tousjours eu du pain d’avoine, et s’est peu passer de bouillie de son, vendue au coing des rues [9], aux lieux qu’on vendoit jadis les friandises de langues, caillettes et pieds de mouton ! Et n’a pas tenu à Monsieur le Legat et à l’Ambassadeur Mendosse que n’ayons mangé les os de nos peres, comme font les saulvages de la Nouvelle Espagne[10] !

Peult-on se souvenir de toutes ces choses sans larmes et sans horreur ? Et ceux qui, en leur conscience, sçavent bien qu’ils en sont cause peuvent-ils en ouïr parler sans rougir, et sans apprehender la punition que Dieu leur réserve pour tant de maux dont ils sont autheurs ? Mesmement, quand ils se representeront les images de tant de pauvres bourgeois qu’ils ont veuz par les rues tomber tous roides morts de faim ; les petits enfants mourir à la mammelle de leurs meres allangouries, tirants pour neant et ne trouvants que succer ; les meilleurs habi


on s’en trouva mal cl on y renonça. tants et les soldats marcher par la ville appuyez d’un baston, pasles et foibles, plus blancs et plus ternis qu’images de pierre, ressemblants plus des fantosmes que des hommes ; et l’inhumaine response d’aucuns, mesme des Ecclesiastiques, qui les accusoient et menaçoient, au lieu de les secourir ou consoler ! Fut-il jamais barbarie ou cruauté pareille à celle que nous avons veue et endurée ? Fut-il jamais tyrannie et domination pareille à celle que nous voyons et endurons ? Où est l’honneur de nostre Université ? Où sont les colleges ? Où sont les escholiers ? Où sont les leçons publiques, où l’on accou-roit de toutes les parts du monde ? Où sont les religieux estudiants aux couvents ? Ils ont pris les armes ; les voila tous soldats debauchez. Où sont nos châsses ? Où sont nos precieuses reliques ? Les unes sont fondues et mangées ; les autres sont enfouyes en terre, de peur des voleurs et sacrileges. Où est la reverence qu’on portoit aux gens d’Eglise et aux sacrez mysteres ? Chacun maintenant faict une religion à sa guise, et le service divin ne sert plus qu’à tromper le monde par hypocrisie. Les Prestres et les Predicateurs se sont renduz si venaux et si mesprisez par leur vie scandaleuse qu’on ne se soucie plus d’eux ni de leurs sermons, sinon quand on en a affaire pour prescher quelques faulses nouvelles. Où sont les Princes du sang, qui ont toujours esté personnes sacrées, comme les colomnes et appuiz de la Couronne et Monarchie Françoise ? Où sont les Pairs de France, qui devroient estre icy les premiers pour ouvrir et honorer les Estats[11] ? Tous ces noms ne sont plus que noms de faquins[12], dont on faict littiere aux chevaux de messieurs d’Espagne et de Lorraine ! Où est la majesté et gravité du Parlement, jadis tuteur des Roys et mediateur entre le Peuple et le Prince ? Vous l’avez mené en triomphe à la Bastille, et traîné l’authorité et la justice captive, plus insolemment et plus honteusement que n’eussent faict les Turcs ! Vous avez chassé les meilleurs, et n’avez retenu que la racaille passionnée ou de bas courage. Encore, parmy ceux qui ont demouré, vous ne voulez pas souffrir que quatre ou cinq disent ce qu’ils pensent, et les menacez de leur donner ung billet[13], comme à des Heretiques ou Politiques !

Et neantmoins voulez qu’on croye que ce que vous en faictes n’est que pour la conservation de la Religion et de l’Estat ! C’est bien dict. Examinons un peu vos actions et les deportements du Roy d’Espagne envers nous : et, si j’en ments de mot, que jamais Monsieur sainct Denys et Madame saincte Geneviefve, patrons de France, ne me soyent en ayde ! J’ay un peu estudié aux escholes, non pas tant que j’eusse desiré ; mais depuis j’ay veu du pays, et voyagé jusques en Turquie, et par toute la Natolie, Escla-vonie[14], jusques à l’Archipelago, et Mar-Majour, et Tripoli de Syrie, où j’ay appris le dire de Jesus-Christ, nostre Sauveur, estre véritable : A fructïbus eorum cognoscetis eos : on cognoist à la longue quelles sont les intentions des hommes par leurs œuvres et leurs effects. Premièrement je diray, avec preface d’honneur, que le Roy d’Espagne[15] est un grand Prince, sage, cault et advisé, le plus puissant et plus grand terrien de tous les princes Chrestiens, et le seroit encore davantage si toutes ses terres et royaumes se tenoient et estoient joincts à l’approche l’un de l’autre. Mais la France, qui est entre l’Espagne et les Pays-Bas, est cause que ses seigneuries separées lui coustent plus qu’elles ne lui valent ; car sur toutes nations il redoute la Françoise, comme celle qu’il cognoist estre plus genereuse, et avoir plus de valeur, et impatiente du repos et de la domination estrangere. C’est pourquoy, comme prudent, prevoyant et bien conseillé qu’il est, dés lors qu’il fut contrainct de faire ceste miserable paix[16], qui fut scellée et signalée de la mort de nostre bon Roy Henri II, n’osant ouvertement y contrevenir ni recommencer la guerre, pendant que la France estoit florissante, unie, bien d’accord, et de mesme volonté ensemble, il a tasché de semer la division et la discorde parmi nous-mesmes. Et, sitost qu’il a veu nos Princes se mescontenter ou se bigearrer, il s’est secretement jette à la traverse pour encourager l’un des partis, nourrir et fomenter nos divisions, et les rendre immortelles, pour nous amuser à nous quereller, entrebattre et entretuer l’un l’autre, afin d’estre cependant laissé en paix et, tandis que nous nous affoiblirons, croistre et, s’augmenter de nostre perte et diminution.

C’est la procedure qu’il a tenue depuis qu’il veit Messieurs les Princes de Vendosme et de Condé mal contents, qui attirerent avec eux la maison de Montmorency et de Chastillon, pour s’opposer aux avantageux progrez et advancements de vostre pere et de vos oncles, Monsieur le Lieutenant, qui avoient envahi et usurpé toute l’authorité et puissance royale, du temps du petit Roy François, leur nepveu. Je ne dy rien que toute la France, jusques aux plus petits, voire que tout le monde universel ne sçache : car toutes les sanglantes tragédies qui ont depuis esté jouées sur ce pitoyable eschafaut françois sont toutes nées et procedées de ces premieres querelles, et non de la diversité de religion, comme sans raison on a faict jusques icy croire aux simples et idiots. Je suis vieil, et ay veu des affaires du monde autant qu’ung autre : voire j’ay, par la grace de Dieu et de mes amis, esté Eschevin et Prevost des Marchands en ceste ville, du temps qu’on y procedoit par libre election, et qu’on ne forçoit ni violen-toit personne pour les voix et suffrages, comme avez faict, Monsieur le Lieutenant, depuis n’agueres, ayant voulu faire continuer monsieur Boucher à vostre devotion. Mais il me souvient encores de ces vieux temps, comme si ce n’estoit que d’hier ou d’aujourd’huy. J’ay bonne memoire du commencement de la querelle qui vint entre feu monsieur vostre pere et feu monsieur le Connestable, laquelle ne proceda que de jalousie de l’un sur l’autre, estants tous deux grands mignons et favoris du Roy Henry second, leur maistre, comme nous avons veu messieurs de Joyeuse et d’Espernon soubs le Roy Henry troisième, son fils. Leur premiere dispute fut sur l’estat de Grand-Maistre, que le Roy donna à monsieur vostre pere, quand il fit monsieur de Montmorency Connestable, qui estoit Grand-Maistre auparavant, et qui avoit promesse du Roy que ledit estat seroit conservé pour son fils. L’autre cause de leur mauvais mesnage fut le comté de Dampmartin, que tous deux avoyent acheté de diverses façons[17], et, en estants entrez en procez, monsieur le Connestable le gaigna par arrest. Cela les altera tellement que chacun d’eux taschoit de desarçonner son compagnon ; et de là vint le voyage que fit monsieur vostre pere en Italie, où il ne fit pas grand cas, parce que monsieur le Connestable, qui l’y avoit faict envoyer pour posseder le Roy tout seul plus à son aise, empeseha peut estre ou retarda les affaires. Mais il ne demoura gueres sans en estre puny ; car il fut pris à la journée Sainct-Laurent, pendant l’absence de vostre pere, lequel, estant de retour[18], par un heur à la verité fort admirable, reprit les villes de Picardie que nous avions perdues, et Calais davantage. Et, pour se revancher des mauvais offices qu’il avoit sceu qu’on lui avoit faict en son voyage, fit aussi tenir en longueur la prison de monsieur le Connestable1, et n’oublia rien d’artifice pour empescher et dilayer sa delivrance : qui donna occasion à ses neveux, messieurs de Chastillon, d’implorer le secours et se jetter entre les bras du Roy de Navarre, pere de cestuy-cy, et de monsieur le Prince de Condé, son frère, qui avoit espousé leur niepce.

Voylà ces deux grandes maisons en factions et partialitez, qui s’aigrirent encore par la contention née entre monsieur le Prince de Condé et monsieur d’Aumale, vostre oncle, pour l’estat de Colonel de la

cas, présente, dans les éditions postérieures, la variante qui suit : « à cause que son ambition particulière le poussoit à la conqueste de Naples, où il se promettoit avoir quelque droit : et laissa l’occasion de reprendre le duché de Milan en passant, qui luy estoit aysé, n’y ayant pour le garder qu’un pauvre prestre le cardinal de Trente, qui estoit prest de quitter tout, si on l’eust attaqué : mais le destin de la France luy bandoit les yeux, et pendant son voyage où il avoit emmené toute la noblesse, et toutes les plus belles forces de France, pour secourir le Pape à Ostie, nous perdismes Saint Quentin, et la journée de Saint Laurents, où Monsieur le connétable et plusieurs autres furent pris ; puis Monsieur vostre père, à son retour, par un heur. . . . » 1. Anne de Montmorency, blessé et fait prisonnier à la bataille de Saint-Quentin, en 1557. cavalerie legere. Il n’estoit encore lors mention de Religion ny de Huguenots ; à peine sçavoit-on quelle estoit la doctrine de Calvin et de Luther, sinon au. supplice de ceux qu’on voyoit brusler opiniastres : et neantmoins, la matiere des guerres et des inimitiez que nous avons veues se preparoit deslors et a duré jusques à present. Mais la verité est que, quand messieurs de Chastillon, hommes courageux et mal endurants, veirent que la faveur de vostre maison l’emportoit sur la leur, et qu’il n’y avoit moyen de trouver credit auprés du Roy pour les obstacles que les vostres leur donnoient, ils furent conseillez de se retirer de la Cour, et en leur retraicte (fust-ce à bon escient, fust-ce par ruse et prudence) se monstrerent favoriser les nouveaux Lutheriens, qui ne preschoient encore que dans les caves ; et peu à peu se joignirent de faction et d’intelligence avec eux, plus pour se deffendre et garantir de vostre pere et de vostre oncle que pour attenter aucun remuement de nouveauté ; sinon lorsque le Roy, à la suscitation de vostre oncle qui luy en avoit faict escrire par le Pape, prit luy-mesme monsieur d’Andelot à Crecy[19] et l’envoya prisonnier à Melun. Après cet emprisonnement et celuy du Vidame de Chartres

[20] et de quelques Conseillers du Parlement, survint la violente et miraculeuse mort du Roy, qui esleva vostre maison au souverain degré de puissance auprés du petit Roy François, et, par le contraire, recula et abatit presque du tout celle de monsieur le Connestable et de tous ceux qui luy appartenoient. Et ce fut lors que les siens, desesperez de moyens ordinaires, parce que tout bransloit soubs la faveur des vostres, se joignirent de secrettes intelligences avec les Lutheriens, ça et là escartez par divers coings du Royaume. Et, combien qu’ils eussent encore peu de creance avec eux, qui leur estoit gens incongneuz, et n’ayant participé ni à Cene, ni à Synode ou Consistoire, neantmoins, par le moyen de leurs agents bien entenduz és secrets, ils firent ceste memorable entreprise d’Amboise, et assemblerent de tous les quartiers du monde, avec un silence merveilleux, une telle force de gens qu’ils furent prests à jour nommé, de faire un cruelle execution sur tous les vostres, soubs ce pretexte de delivrer le Roy de la captivité où vostre pere et vos oncles le tenoient [21]. Mais les bonnes gens ne se peurent garder des traistres : dont s’ensuyvit la penderie d’Amboisc[22], qui descouvrit les autheurs de la faction ; et de là s’ensuyvit le mandement rigoureux qu’on fit au Roy de Navarre ; et la prison de monsieur le Prince de Condé, aux Estats d’Orléans ; et beaucoup d’autres tristes accidents longs à raconter, lesquels eussent continué beaucoup pires, si la soudaine mort du petit Roy n’en eust destourné le cours et rompu le coup qu’on alloit assener sur ces premiers Princes du sang royal, et sur la famille de monsieur le Connestable et des Chastillons.

Il est aysé à juger combien vostre maison fut esbranlée et fracassée par ceste inopinée mort ; et pouvez croire, Monsieur le Lieutenant, que monsieur vostre pere et messieurs vos oncles jouerent tout un temps à l’esbahy[23], comme vous peustes faire quand on vous porta la nouvelle de la mort de vos freres. Mais, non plus que vous, ils ne perdirent pas courage ; et dés lors eurent de bons advis et consolalions du Roy d’Espagne, duquel nous parlions tantost, auxquels ils voulaient enlever le roi, et qui devait s’exécuter à Blois le 0 mars 1560. qui, durant ces premieres dissensions estoit aux escoutes à qui il offriroit sa faveur, et attisoit le feu d’une part et d’autre pour le faire croistre en la force et grandeur que nous l’avons veu et voyons encore maintenant, ardre et consommer toute la France, qui est le but final de ses pretentions. Sur l’esperance donc du support d’un grand Prince, qui n’espargnoit de promettre argent et hommes, vostre pere, sans s’estonner d’une si lourde cheute, voyant le Roy de Navarre remis en son rang de premier Prince du sang, pour la tutelle du petit Roy Charles, et monsieur le Connestable remis en sa charge, sceut si dextrement jouer son rollet qu’il les pratiqua tous deux et tira à sa cordelle[24], contre leurs propres freres et leurs propres neveux ; repaissant l’un d’une esperance que je n’ose dire[25], et amadouant l’autre par submissions et honneurs qu’il luy deferoit. Si bien que, reprenant encore ses erres delaissées et son ancien advantage aprés que monsieur le Prince de Condé fut eslargy, qui l’avoit failly belle de deux ou trois jours seulement, il alla, avec nombre de gens de guerre et en grosse troupe, se saisir du petit Roy et de la Royne sa mere à Fontainebleau, et les amena à Melun. Et ce fut lors que mondit sieur le Prince et messieurs de Chastillon, ne se sentants assez forts de leur chef ni de leurs maisons, pour resister à si puissants ennemis couverts de l’authorité Royale, se firent Lutheriens tout à faict, et se declarerent chefs et protecteurs des nouveaux Heretiques, lesquels ils appellerent à leur secours ; et, par leur moyen, en guerre ouverte, se saisirent de plusieurs grosses villes de ce Royaume, sans toutesfois faire aucune mention de leur religion, mais seulement pour la deffense du Roy et de sa mere, et pour les oster de la captivité où monsieur vostre pere les detenoit. Et vous sçavez, Monsieur le Lieutenant, que ces gens-là se sont toujours vantez que ce qu’ils en avoyent faict avoit esté à la requestc et au mandement de la Roynemere, de laquelle ils ont publié et faict imprimer les lettres à eux par elle escrites à ceste fin[26]. Vous n’ignorez pas ce qui se passa en ceste guerre, et comme déz lors le Roy d’Espagne envoya à vostre pere du secours, mais tel que j’ay honte d’en parler : tous bisognes[27] ramassez, qui jamais ne voulurent combattre à la bataille de Dreux, et se couvrirent des chariots du bagage. Toutesfois, cela fut une amorce pour allumer le courage des partisans et leur faire esperer qu’ils feroient bien quelque chose davantage une autre fois, s’ils venoient encore à s’entrebattre. Mais, du depuis, les divers changements de nos affaires donnerent bien à l’Espagnol un autre jeu. Car, vostre pere mort, et la paix faicte, connoissant neantmoins ces puissantes familles animées et aheurtées l’une contre l’autre sans espoir de reconciliation, il pratiqua monsieur le Cardinal vostre oncle, qui ne dormoit pas de son costé, pour entretenir les troubles et divisions en ce Royaume, soubs le nom specieux de la Religion, de laquelle auparavant on avoit faict peu ou point d’estat. Monsieur vostre oncle, comme il estoit adroit, ingenieux et complaisant à qui il vouloit, sceut tellement gaigner le cœur de la Royne-mere, et la Royne-mere celuy du Roy son fils, qu’il leur persuada que messieurs les Princes de Bourbon aidez de ceux de Montmorency et de Chastillon, ne demandoient que sa ruine, et n’auroient jamais patience ni cesse qu’ils ne l’eussent chassée du Royaume et renvoyée eu Italie cheuz ses parents.

Dieu fasse pardon à la bonne Dame ! Mais, pour l’apprehension qu’elle en eut, j’ay grand peur qu’elle a esté cause de beaucoup de maux que nous avons veuz de son temps. Car, sur ce sujet, elle les prit en telle haine que jamais elle ne cessa qu’elle ne les eust ruinez, comme elle fit l’un à la bataille de Jarnac, et l’autre à la Sainct-Barthelemy, où, si tous ceux de Montmorency se fussent trouvez, ils n’en eussent pas eu meilleur marché. A quoy monsieur vostre oncle tenoit la main fort dextrement, et poussoit vaillamment à la roue pour mettre le feu en la teste du jeune Roy Charles ; sans la mort duquel, il ne faut douter qu’il n’eust bien eu la raison de l’escorne que monsieur le Mareschal de Montmorency luy avoit faicte en ceste ville, et a monsieur vostre frere, quand il leur fit faire tout en leurs chausses[28], parce qu’ils portoient armes deffendues sans son passeport. Mais il semble que les morts soudaines de ces trois Rois subsequents l’ung aprés l’autre, ayent tousjours rompu et desbauché les beaux desseins de vostre maison, et sauvé ou prolongé la vie à vos principaux ennemis. Venons à ce qui est advenu depuis : car il est temps de parler de vous et de monsieur vostre frere, qui commenciez dès lors à paroistre aux armées et marcher sur les pas et traces de vos predecesseurs. Vous aviez desja faict paroistre vos vaillances au siege de Poictiers, que deffendistes bravement, contre l’advis du premier mary de Madame la Lieutenante, monsieur de Montpezat, vostre devancier, qui vous conseilloit de quitter tout et vous en aller ; puis fustes à la bataille de Montcontour ; puis à la journée do Sainct-Barthelemy, où les compagnons furent pris endormis, et frottez à dire : Dont venez-vous[29] ? Et, encore que monsieur vostre oncle fust à feuilleter son breviaire en Italie, si est-ce que le jeu ne se fit pas sans son entremise[30], pour en avoir l’approbation du Roy d’Espagne et l’absolution du Pape touchant le mariage qui servit de leurre et de trapusse[31] aux Hugenots. Par après, vous continuastes vos coups au siege de la Rochelle, où l’on veit que le Roy de Navarre qui est aujourd’huy, et monsieur vostre frere, n’estoient qu’un cœur et une ame, et engendroient jalousie à tout le monde pour leur grand privautè. Mais il faut venir au poinct. Quand vous veistes le Roy Charles decedé, qui autrement ne vous aymoit pas beaucoup, et qui avoit plusieurs fois repeté le dire du grand Roy François, dont luy-mesme avoit faict ce quatrain, maintenant tout vulgaire :

Le Roy François ne faillit poinct, Quand il predit que ceux de Guyse Mettroient ses enfants en pourpoinct Et tous ses sujets en chemise.

quand vous le vistes, dis-je, decedé sans enfants, et le feu Roy son frere marié aveq vostre cousine[32], brehaigne[33] et stérile, vous commençastes, monsieur vostre frere et vous, à faire des desseins et projets que beaucoup de gens disent estre cause de tous nos malheurs. Je ne suis pas de ceux qui croient que messieurs vostre pere et oncle eussent, dés leurs temps, jetté les fondements de l’édifice que vostre frere et vous avez basti depuis, encore qu’on parle des mémoires de David et de Piles[34], qui ont pronostiqué mieux que Nostradamus tout ce que nous avons veu depuis leur mort ; et qu’on asseure que monsieur vostre oncle avoit dressé ung formulaire de tout l’ordre qu’on y devoit tenir. Mais je ne puis croire que luy, qui avoit de l’entendement ce qu’homme pouvoit avoir, eust peu esperer de faire ses neveux Roys de France, voyant encore trois freres, enfants de la maison Royale en droite ligne, tous puissants et en la fleur de leur aage, prests à se marier ; et ne pouvoit pas deviner qu’ils mourroient sans lignée, comme ils ont faict par aprés. D’ailleurs, il voyoit grand nombre de Princes du sang royal, qui ne s’estoient point frottez à la robe des Heretiques : cela luy devoit couper toute esperance à ces desirs. Je sçay bien que, de son temps, il a esté autheur que l’Archidiacre de Thoul[35] a escrit que ceux de la maison de Lorraine estoient descenduz de Charlesmagne par les masles : sçavoir de Charles, duc de Lorraine, à qui le royaume appartenoit aprés la mort de Loys cinquiesme Roy de France ; et que, l’ayant Hues Capet pris à Laon et mené prisonnier avec sa fe mme à Orleans, il eut un fils masle, duquel il affirmoit les ducs de Lorraine estre descenduz. Cela s’est soubs main jetté parmy le peuple : dont vous n’estiez pas marris, encore que les histoires communes et véritables tesmoignent assez qu’il y a eu interruption des masles en la race de Lorraine par deux femmes, et notamment en la femme de Godefroy de Bouillon, nommée Idain. Aussi en lit ledit Archidiacre l’amende honorable par arrest, et s’en desdict en presence de toute vostre famille, comme lasche et poltron.

Mais enfin il n’y avoit apparence que, de ce temps-là, mondit sieur vostre oncle peust aspirer à la Royauté, ayant tant d’obstacles et de testes, ou à combattre, ou à faire mourir par glaive ou par poison. Bien est vray que, dés son commencement, il fut ambitieux des grandeurs et du gouvernement de l’Estat plus que nul autre de son aage, et ne fay doute qu’il n’ait désiré posseder les Roys, et les tenir, s’il eust peu, en curatelle, comme faisoient anciennement les Maires du Palais, pour disposer de tout à son appetit et avancer ou reculer tous ceux qu’il luy eust pleu ; qui est ce à quoi ordinairement les plus grands aspirent. Cependant y estant à peu prés parvenu, comme il a faict de son vivant, il vous avoit assemblé et preparé les materiaux desquels vous avez basti ce superbe dessein d’empieter la Couronne ; vous ayant laissé en main premierement de grands biens, de grands estats, les premiers offices et charges du Royaume, de grands gouvernemens, force gens de guerre obligez par bienfaicts, force serviteurs, force intelligences avec le Pape et le Roy d’Espagne et autres Princes de vos parens et alliez, et, qui plus est, une grande opinion envers le menu peuple que fussiez bons Catholiques et ennemis jurez des Huguenots. Vous avez sceu faire fort bien vostre proffit de ces preparatoires, et des estoffes qu’avez trouvées, aprés sa mort, toutes prestes à mettre en œuvre. Quand je dy vous, j’entends parler de vos freres et vos cousins. Aprés la mort du Roy Charles, beaucoup de choses vous ont succedé l’une aprés l’autre fort à propos : premierement la sterilité du Roy, ou de vostre cousine sa femme ; puis la retraicte et absence du Roy de Navarre, dont vous fustes en partie cause pour les deffiances où vous le mettiez ; et par aprés, la dissension et division du Roy et de Monsieur le Duc son frere, de laquelle vous seuls fustes les autheurs et promoteurs, aigrissant soubs main les esprits de l’un contre l’autre et leur promettant secrettement de les assister. Une autre chose dont vous vous avez sceu bien ayder fut l’assistance que firent pour un temps messieurs les Princes de Conty et de Soyssons1 au roy de Navarre, leur cousin germain, quand ils veirent que c’estoit directement à toute leur famille que vous en vouliez, et que vous vous vantiez, de supplanter, (car là-dessus vous pristes le sujet que jamais n’avez laissé ny oublié depuis, de faire comprendre par la bulle du pape et par les serments et protestations du Roy d’Espagne, de n’approuver jamais les Princes Heretique, ni fils d’Heretiques, et trouvastes lors ces beaux noms d’Adherents et Fauteurs d’Heretiques).

Vous feistes dés lors vos pratiques avec le Roy d’Espagne plus manifestement, et asseurastes vos conditions, et stipulastes dés lors vos pensions, luy promettant le royaume de Navarre et le Bearn pour sa part, avec les villes qui seroient à sa bienseance en Picardie et Champagne ; et convinstes aveques luy des moyens dont vous useriez pour empieter l’Estat. Et le pretexte qu’y pretendiez estoit le mauvais gouvernement du Roy, les prodigalitez qu’il faisoit à ses deux mignons, desquels vous tirastes 1, François de Bourbon, prince de Conti, et Charles de Bourbon, comte de Soissons, par crainte des desseins du duc de Guise contre leur maison, embrassèrent le parti du roi de Navarre, en 1587. l’un[36] à vostre cordelle, qui ne s’en trouva pas mieux. Vous employastes toute vostre industrie à rendre le pauvre Prince odieux à son peuple, luy conseilliez de surhausser les tailles, d’inventer de nouveaux imposts, créer nouveaux offices, desquels vous-mesmes profitiez : car on maintinst à monsieur vostre frere à Chartres, aprés les Barricades, qu’il avoit receu l’argent du party de trois Edicts bureaux fort pernicieux, dont toutesfois vous rejettiez la hayne sur ce pauvre Roy, lequel vous faisiez amuser à des devotions ridicules, cependant que vous briguiez la bonne grace de son peuple, et contre son gré preniez la charge et conduicte des grandes armées, attirant à vous les chefs et capitaines de guerre, et courtisant jusqu’aux simples soldats pour les gaigner ; pratiquant les villes, achetant les gouvernements, et mettant aux meilleures places des gouverneurs et gens à vostre devotion. Et ce fut lors que vous conceustes tout à faict la Royauté, comme l’appetit vient en mangeant, quand vous veistes le Roy Henry sans esperance de lignée, les premiers Princes tenuz pour Heretiques ou fauteurs d’Hereti ques, le Consistoire de Rome vous hocher la bride, et le Roy d’Espagne vous donner l’esperon. Vous n’aviez plus que feu Monsieur, qui estoit un mauvais songecreux [37] et qui sçavoit bien de quel bois vous vous chauffiez [38]. Il se falloit defaire de luy, et le testament de Salcede [39] nous en a descouvert les moyens ; mais, la force n’ayant succedé, le poison fit la besogne. Tous vos serviteurs predisoient ceste mort plus de trois mois devant qu’elle fust advenue. Alors vous ne fistes plus la petite bouche pour dissimuler vostre intention ; vous n’allastes plus connillant [40] ni à cachette ; vous vous declarastes tout à bon [41]. Et neantmoins, pour avancer vos affaires, vous voulustes faire croire aux bonnes gens que c’estoit pour le bien public et pour la deffense de la Religion Catholique, qui est un pretexte que les seditieux et remueurs de nouvelletez ont tousjours pris. Dedans ce rets insensible vous attirastes le bon homme monsieur le Cardinal de Bourbon, prince sans malice, et le sceutes si dextrement tourner et manier que luy mistes une folle et indiscrette ambition dedans la teste pour faire de luy comme le chat de la souriz : c’est-à-dire, aprés vous en estre joué, de le manger. Vous y attirastes plusieurs seigneurs de ce Royaume, plusieurs gentilshommes et capitaines, plusieurs villes et communautez ; et entre les autres, ceste-cy miserable, qui se laissa engluer partie de hayne des comportements du feu Roy, partie de l’impression que luy donniez que la religion Catholique s’en alloit perdue, si, le Roy mourant sans enfants, la succession du Royaume venoit au Roy de Navarre, qui se disoit premier Prince du sang. Vous forgeastes là-dessus vostre premier manifeste, imprimé à Rheims, qui ne portoit ung seul mot de Religion, mais bien demandiez tous les estats et gouvernements de ce Royaume estre ostez à ceux qui les possedoient qui n’estoient à vostre devotion : ce que vous corrigeastes par vostre second manifeste, du conseil de Rosne[42], qui, pour tout brouiller, dit qu’il ne falloit que mettre la Religion en avant. Et alors vous nous preschates d’ung Synode à Montauban et d’une Diete en Allemagne2, où disiez que tous les Huguenots du monde avoient comploté de se saisir du Royaume de France et en chasser tous les prestres. Aucuns vous crurent ; et quant à moy, qui ne suis pas des plus rusez, j’en eu quelque opinion, et me joigny de ce party pour la crainte que j’ay tousjours eue de perdre ma religion. Beaucoup de bonnes gens ont faict comme moy, qui ne s’en sont pas mieux trouvez. Les autres qui ne demandoient que nouveaux remuements, firent semblant de le croire ; plusieurs saffraniers, endebtez, criminels, contumacez, vous suyvirent comme gens qui avoient besoin de la guerre civile. Ayant ainsi joué vostre partie et receu force doublons d’Espagne, vous vous mistes aux champs3 avec une belle armée. Quelques-uns disent que cela ne se fit pas sans le sceu et consentement de la Royne-mere, qui aymoit les troubles pour se rendre necessaire et estre employée à faire le hola, à quoy elle estoit propre. Mais, toute Italienne et ruzée qu’elle fust, si y fut-elle trompée, car elle ne croyoit pas du commencement, que vos desseins volassent si haut, et ne descouvrit la meche que bien tard, aprés qu’eustes mis le pied si avant qu’il n’y avoit pas moyen de le retenir n’estant pas vray-semblable, encore qu’elle eust du mescontentement de son fils (qui à la vérité, se laissoit plus gouverner à d’autres qu’à elle), qu’elle eust voulu le laisser ruiner et le veoir priver de la Couronne pour y establir vostre frere, de qui elle ne se fioit que de bonne façon.

L’ayde donq que la bonne Dame vous fit n’estoit pas pour perdre son fils, mais pour le ramener à l’humilité et reconnoissance. Ce que pensant avoir faict pour vostre moyen, elle vous fit par aprés dissiper vostre armée, qui ne vous servit de rien, sinon pour vous faire connoistre vos forces et pour extorquer par violence cest Edict de Juillet 1, qui cassoit tous les autres Edicts de pacification auparavant faicts et remettoit encore le feu et le carnage en France contre les Huguenots. Mais vous ne demeurastes pas en si beau chemin, car, ayant recongneu que la pluspart des bonnes villes qui vous avoient promis de •1. L’édit de Réunion, vérifié au Parlement, en présence du roi, le 18 août 1585. s’eslever pour vous quand elles vous verroient aux champs avec une armée, vous avoient manqué, et estoient encore retenues de quelque crainte et reverence du nom des Roys et de la Majesté Royale, vous pratiquastes sans vous desarmer, dedans toutes les villes, ceux des habitants que sçaviez avoir quelque creance et dignité sur le peuple. Vous corrumpistes les uns par argent qui vous venoit en abondance d’Espagne ; les autres par promesses de biens, offices benefices ; et les autres par impunité des crimes dont ils estoient poursuivis en justice. Mais principalement vous dressastes vos machines contre ceste miserable ville où vous n’oubliastes aucun artifice, jusques aux plus abjectes et honteuses submissions, pour rechercher et gagner la simple populace[43]. Vostre frere s’en alla armer en Champagne et Bourgongne pour surprendre les places du Roy, non celles des Huguenots, dont on ne parloit point en ce pays-là, sinon à Sedan, où il fit mal ses besongnes. Vous, Monsieur le Lieutenant, allastes en Guyenne avec une puissante armée, pour attendre l’occasion de jouer vos jeux[44] ; et c’est à mon advis, la raison que n’y fistes pas grand cas, parce que vouliez temporiser en attendant à frapper vostre coup par deça, comme avez dit tantost. Mais les Heretiques de Sainc-tonge ne laisserent de s’en moquer, car, à vostre retour, ils firent une petite rime en leur patois, qui merite que la sachiez, et la voicy :

Haulsez voz voustes[45], grands portaux ! Huys de Paris, tenez-vous hauts ! Si entrera le Duc de Gloire, Qui, pour tuer cent Huguenaux A faict mourir mille Papaux : N’a-t-il pas bien gagné à boyre ?

Le quatrain qui en fut faict par deçà, est commun,

touchant les places que vous pristes :

Oronce est un oyson, et Thevet une cane[46], Qui, en représentant la carte Gallicane, Ont oublié de mettre, ou laissé par mépris, Les villes et chasteaux que ce grand Duc a pris !

Je ne parleray point de la belle prise que vous fistes du chasteau de Fronsac et d’une jeune dame qui estoit dedans, heritière de la maison de Caumont[47] ; cela ne merite pas d’estre recité en ceste bonne Compagnie, encore que le bon homme de la Vauguyon[48] en soit mort de desplaisir, n’ayant peu avoir justice contre vous. Aussi n’estoit-ce rien au prix de ce qu’aviez délibéré faire en ceste ville, à vostre retour, dont vous sçavez que je sçay quelque chose, et non pas tout ; car je n’avois point sceu que dès lors vous eussiez projetté de prendre le Roy au Louvre, et tuer ou emprisonner tous ses meilleurs et plus signalez serviteurs, si le lieutenant[49] du prevost Hardy ne l’eust revelé, qui descouvrit toutes vos assemblées et entreprises, par tenants et aboutissants, et fut cause que le Roy, bien adverty, fit saisir le Grand et petit Chastelet, l’Arsenac et Hostel-de-Ville, et renforça ses gardes pour empescher l’execution de votre dessein Vous confesserez que, s’il eust faict alors ce qu’il devoit et pouvoit, vous et tous vos agents et faciendaires3 estiez perduz, lesquels on connoissoit par noms et par surnoms, tout ainsi qu’ils se sont declarez par aprés. Mais on y proceda trop mollement, par le conseil de


</ref>Ceux qui devaient agir pour lui. ceux qui disoyent et disent encore aujourd’huy qu’il ne faut rien aigrir. Depuis, vous ne cessastes de pratiquer et solliciter tout le monde quasi à descouvert, et principalement les Prescheurs et Curez, à qui vous faisiez quelque petite part de vos doublons. Vous envoiastes une autre armée en Guyenne, dont faisiez estat, et que pensiez qui deust resserrer ou prendre le Roy de Navarre. Mais de belles ! Vous allastes precipiter et faire perdre ce jeune seigneur[50], presumptueux des esperances que luy donniez qu’il seroit Roy de Toulouze. Vostre frere avoit d’autres forces sur pieds, qui luy vinrent bien à propos pour repousser les Reistres venants au secours des Huguenots de Guyenne ; et falut que vous-mesme, Monsieur le Lieutenant, y allassiez en personne. Encore ne sceustes-vous les empescher de passer, et s’il n’y eust eu que vous et les vostres qui vous en fussiez meslez, quelque chose qu’en ayez voulu faire croire, ils fussent venuz boire nostre vin jusques à nos portes et vous eussent mis en merveilleux accessoire. Neantmoins vous voulustes vous donner toute la gloire de leur desroute, et la desrober au Roy et à ses bons serviteurs, qui, en temporisant et s’op posant à leur passage de Loire[51], y avoient apporté les plus grands effects. Cela veritablement vous acquit un grand honneur et faveur envers les Parisiens, dont la pluspart ne sçavoient pas encore à quoy vous tendiez ; mais ceux qui participoient à vos secrets, et qui lors prirent le nom de Catholiques Zelez, faisoient deja ung Dieu de vostre frere, l’invoquoient en leurs afflictions, et avoient recours à luy quand on les menaçoit du Roy et de la justice ; dont il fut rendu si orgueilleux et temeraire qu’il osa venir en ceste ville avec huict chevaux[52], contre les deffenses tres-expresses que le Roy luy en avoit faictes ; encore qu’on sçache bien qu’il avoit assigné cinq ou six cents hommes de cheval, qui se rendirent à mesme jour prés de luy. Le Pape Sixte cinquiesme sceut bien dire quelle peine cela meritoit, quand il en sceut la nouvelle[53] ; et n’eust pas failly de le faire, si telle chose luy fust advenue. Mais la bonne mere et ses bons conseillers[54], faicts de sa main et de son humeur, dont nous n’avons encore que trop de reste, sceurent si dextrement imprimer la crainte en l’esprit foible de ce pauvre Prince qu’il n’osa rien entreprendre, de peur d’irriter les Parisiens, et craignant remettre encore les troubles et les miseres de la guerre en son Royaume. Car, encore qu’il n’aymast pas les Huguenots plus que vous, si est-ce qu’ayant experimenté leur opiniastreté, et que pour neant on taschoit les vaincre et ranger à raison par la violence de la guerre qui ruynoit son peuple, il s’estoit resolu de ne tenter plus les voyes de la force[55] ; mais, par un plus gracieux remede, avoit commencé de les attirer à l’obéissance, et reconnoissance de leurs fautes passées ; les privant de sa Cour et de sa suitte, des honneurs, charges, gouvernements, offices, benefices, dont la plus-part d’eux se faschoient de se veoir excluz ; si bien qu’il faut advouer que leurs forces s’estoient plus alenties[56] par cinq ou six ans de paix que par dix ans de guerre ouverte. Et ne se faisoit plus de nouveaux Huguenots, les vieux se refroidissants et s’ennuyants de la longueur, et la plus-part d’eux permettants que leurs enfants se fissent Catholiques pour participer aux honneurs et aux benefices comme les autres.

Mais vous et les vostres, impatients du repos, et qui aviez peu de soin de la Religion pourveu que parvinssiez à vos attentes, ne peustes souffrir ceste tranquillité, qui ne vous estoit pas saine. Vous aviez appris que la pescherie est meilleure quand l’eau est trouble ; si bien que n’eustes jamais repos que n’eussiez veu naistre celte belle journée des Barricades, qui nous a, vous et nous, ruinez. Encor qu’il soit assez notoire (et vostre frere ne le nieroit pas s’il estoit vivant, et tous ceux qui estoient de l’entreprise qui sont icy presents me le confesseront) que, si le Roy eust voulu user de son pouvoir et de son autorité, nous estions, dés ce jour-là, tous perduz[57], estant bien certain que vous fustes prevenuz et devancez de trois jours, et que le jour de l’exploict qui se devoit faire n’estoit assigné qu’au Dimanche[58]. Si bien que le Roy, qui sçavoit toute l’entreprise, encore que ceux qui approchoient de plus prés de sa personne taschassent luy dissuader et divertir d’adjouster foy aux rapports qu’on luy en faisoit, eut ses Suysses et ses gardes et autres gens de guerre tous prests avant le jour, qui avoient deja pris les places, carrefours et quantons de la ville dés le matin, auparavant que vostre frere ni aucuns des entrepreneurs fust éveillé ; lequel, comme sçavez, ayant sceu à son resveil ce qui se passoit, se trouva si surpris et si esperdu qu’il n’attendoit rien moins sinon qu’on le vinst assieger et prendre ou massacrer en l’Hos-tel de Guyse, où il s’estoit resolu se deffendre seulement avec son espée, n’y ayant faict preparatifs d’aucunes armes, de peur qu’on y allast fouiller, et pour osier tout soupçon de luy. Ile mesme, tous les Seize et les plus mutins de la faction se cacherent dedans les caves et chez leurs amis et voisins, n’attendants rien que la mort. Et n’y eust aucun si hardy qui osast paroistre dedans la rue qu’il ne fust plus de huict ou neuf heures, tellement que le Roy eust peu, sans aucune résistance, se saisir d’eux et de vostre frere, et remettre absolument son auctorité, s’il eust permis que ses gens de guerre eussent joué des mains et chargé les premiers qui s’avancerent à faire barricades et à boucher les passages des rues. Mais sa timidité, ou plustot sa naturelle bonté, avec les impressions que luy donnoient sa mere et ses traistres conseillers, l’empescherent d’user de l’advantage qu’il avoit en main, faisant deffendre à ses gens de guerre de frapper ny offenser personne, et se tenir coy sans rien entreprendre ni faire effort à aucun des habitants. Qui fut cause que les mutins, reprenants cœur sur les erres de leur entreprise projettée, eurent loisir de s’armer, et de renfermer comme entre deux gauffres [59] ceux qu’ils n’osoient auparavant regarder au visage.

Et vostre frere aussy, voyant qu’on tardoit tant à le venir attaquer, et que de toutes parts lui venoient des gens en armes, que ceux du Roy laissoient librement passer parce qu’ils n’avoient point charge de prendre garde à luy, et sçachant que ceux de son party commençoient à se reconnoistre et à faire teste aux quartiers, selon l’ordre qu’on avoit auparavant projetté, de desesperé qu’il estoit, il entra en pleine asseurance et envoya ses gentilshommes destinez, par les rues et quantons, pour assister et encourager les habitants, se saisir des portes et des places ; et de sa part, aprés s’estre renforcé de bon nombre d’hommes armez qui avoient leur rendez-vous à luy, sortit de sa maison sur les dix à unze heures pour se faire veoir par les rues, et par sa presence donner le signal de la revolte generale qui mit incontinent le feu en la teste de tous les conjurateurs, lesquels, comme forcenez et furieux, se ruerent sur les Suysses du Roy, qu’ils taillerent en pieces. Et les autres gens de guerre se voyants renfermez entre deux barricades, devant et derriere, sans s’être osé deffendre à cause que le Roy leur avoit deffendu, se rendirent à la mercy de vostre frere, qui les fit conduire enseureté hors de la ville. Ce qu’il fit non tant par clemence et douceur qui luy fust naturelle que par ruses et cautelle, pour mieux parvenir à son dernier but qui estoit de se saisir du Roy, lequel il voyoit en armes, sur ses gardes en son Louvre, mal aisé à forcer si promptement sans grand massacre. Son artifice donc fut de filer doux et de contrefaire le piteux, disant qu’il avoit un extrême regret de ce qui estoit advenu. Cependant il visitoit les rues pour encourager les habitants, il s’assuroit des places fortes, il se fit maistre de l’Arsenac, où il avoit bonne intelligence avec Selincourt[60], pour avoir le canon, les poudres et les boulets à sa devotion ; il enjola de belles paroles le pauvre chevalier du guet, qui luy rendit la Bastille, par faute de bon appareil [61]. Il ne luy restoit plus que le Louvre ; le Palais estoit à luy : ce n’estoit rien faict s’il ne tenoit le Maistre, lequel avoit une porte de derriere pour se retirer. Ce fut pourquoy, pied à pied, on avança les barricades pour gagner la Porte Neufve et celle de Sainct-llonoré. Mais le pauvre Prince, bien adverty de ce qu’on deliberoit faire et qu’on n’en vouloit qu’à luy, ne s’osant fier en sa mere, ni au gouverneur de Paris[62] qui estoit lors, qui l’entretenoient de parlements et d’accord, prit une resolution courageuse et approuvée de beaucoup de gens de bien, qui fut de s’enfuir et quitter tout. De quoy vostre frere se trouva bien estonné, voyant que la proye qu’il pensoit tenir en ses lacs lui estoit eschappée.

0 feste memorable des Barricades, que tes feries et tes octaves sont longues[63] ! Depuis ce temps-là, qu’avons-nous eu que malheur et pauvreté, qu’angoisses, peurs, tremeurs, alarmes, deffiances, et toutes sortes de miseres ? Ce ne furent plus que ruses, que finesses, dissimulations et feintises, d’une part et d’autre ; pratiques, menées à qui mieux mieux, et à qui tromperoit son compagnon. Vous commençastes à marcher du pair avec vostre Maistre, et, parce que n’aviez peu l’attraper par force ouverte, vous pristes conseil d’y aller par finesse. Vous faisiez les tristes et dolents de ce qui estoit arrivé quand vous envoyez vers luy ; mais envers les Estrangers vous braviez, et vous vantiez d’estre maistres de tout, et qu’il n’avait tenu qu’à vous que vous fussiez Roys, et qu’aviez gagné en ceste journée des Barricades plus que si vous eussiez gagné trois batailles : de quoy vos lettres et celles de vos agents font ample foy[64]. Vous envoyastes plusieurs fois diverses sortes d’ambassadeurs vers le Roy, tant à Rouen qu’à Chartres, pour faire croire que le peuple de Paris estoit plus à sa devotion que jamais, et desiroit le veoir et le cherir en sa bonne Ville : et ne taschiez qu’à l’y attirer pour parfaire la besongne commencée ; mais il n’en voulut rien faire, et fit bien. Enfin aprés plusieurs declarations que vous tirastes de luy dont il ne fut chiche, comment il oublioit et remettoit tout ce qui s’estoit passé, où ne voulustes jamais qu’on usast du mot de pardonner, vous vous allastes enfiler bien lourdement en la promotion des Estats, où vous vous promettiez faire tout passer à vostre fantaisie, par le moyen des brigues que vous fistes à l’election des deputez des Provinces ’. En quoy on ne veit jamais une telle impudence que la vostre, qui envoyez de ville en ville faire eslire des hommes de vostre faction pour venir auxdits Estats, preparez de memoires accommodez à vostre intention, les uns par force, les autres par corruption d’argent, et les autres par crainte et menaces. Entre autres de ceste ville, vous y envoyastes le President de Nully, La Chapelle Marteau, Compan[65], Roland et l’avocat Dorleans, qui estoient notoirement les principaux autheurs de la rebellion et les instruments dont vous vous serviez le plus pour tromper le peuple.

Qu’est-il besoin de rememorer icy ce qui se passa à ces Estats de Blois, et comment Dieu banda les yeux à ceux de vostre famille pour s’aller jetter dedans la fosse qu’ils avoient preparée pour autruy ?

</ref>Marchand de Paris, ligueur, député aux Etats de Blois. Alors que pensiez estre au dessuz du vent, aprés ceste belle loy fondamentale par laquelle vous declariez le feu Cardinal de Bourbon premier Prince du sang, et le Roy de Navarre indigne de jamais succeder à la Couronne, non plus que ses cousins adherents et fauteurs d’Heretiques ’ ; voicy une bourrasque qui enleve ces deux grosses colomnes de la Foy, messieurs vos freres, l’un se disant Lieutenant generai, Grand-Maistre et Connestable de France, et l’autre, Patriarche de l’Eglise gallicane, et les jette en un gouffre de mer si profond qu’on ne les a jamais veuz ni ouys depuis2. Fut-ce pas un grand coup du Ciel et un merveilleux jugement de Dieu, que ceux qui pensoient tenir leur Maistre à la chaisne, et faisoient leur compte de l’amener dedans trois jours, par force ou autrement, dedans ceste ville pour le faire tondre en moyne et le renfermer en un cloistre, se trouverent tout à coup eux-mesme pris et renfermez par celuy qu’ils pensoient prendre ?

Aucuns ont voulu dire que vous, Monsieur le Lieutenant, estant jaloux de la grandeur et haute

[66].. Décision prise aux États de Blois, on 1588. fortune de monsieur vostre frere[67], advertistes le deffunct Roy de l’entreprise qu’on faisoit de l’emmener, et l’admonestiez de se haster d’y prevenir. Si cela est vray, je m’en rapporte à vous. Mais c’est chose toute vulgaire, que madame d’Aumale[68], vostre cousine, fut à Blois exprés pour descouvrir tout le mystere au Boy : où elle ne perdit pas ses peines. Et dit-on que son mary et elle eussent dés lors faict banqueroute à la Ligue, si on luy eust voulu donner le gouvernement de Picardie et de Boulongne, et payer ses debtes. Quant à vous, je ne pense pas qu’ayez eu le cœur si lasche que de trahir vos freres ; et on sçait bien qu’estiez convié à venir et vous trouver aux nopces[69], où l’on vous eust faict de leur livrée4 ; mais, soit que vous vous deffiassiez de l’encloueure, ou que ne voulussiez vous hazarder tous trois ensemble, vous vous tinstes à Lion, aux escoutes, pour attendre l’issue et l’execution de l’en
1. Il y avait entre le duc de Mayenne et son frère, le duc de Guise, une rivalité d’amour, et ils furent même sur le point de se battre. treprise qui fut toute autre que n’esperiez ; et peu s’en fallut que vous-mesmes ne fussiez de la farce, si le seigneur Alphonse Corse[70] n’eust esté devancé. Madame vostre sœur eut la mesme frayeur que vous, qui, sçachant la nouvelle, ne se trouva pas asseurée aux fauxbourgs, et se retira en la ville.  

0 que nous serions maintenant à nos ayses, si ce Prince eust eu le courage de passer outre et continuer ses coups ! Nous ne verrions pas Monsieur de Lion assis prés de vous, et vous servir d’arq-boutant pour faire vos pratiques et les siennes à Rome et en Espagne, et pour empescher, par ses sermons et ses raisons colorées de religion, que n’ayons la paix, dont nous avons tant de besoin. Nous n’eussions pas veu les furieuses administrations de Marteau, Nully[71], Compan et Roland, qui ont mis le peuple au desespoir, si la justice, que la renommée nous avoit apportée jusques icy aprés leur capture, leur eust esté faicte comme elle devoit[72] ; et toutes les autres gran des villes n’eussent pas bruslé du feu de la rebellion, si leurs deputez eussent passé par le mesme Fidelium[73]. Mais la douceur de ce bon Roy, qui n’estoit nullement sanguinaire, se contenta de veoir son principal ennemy et competiteur abattu, et s’arresta lors qu’il devoit plus vivement poursuyvre son chemin. Toutesfois, si le sieur d’Antragues eust faict ce qu’il avoit promis, de la reduction d’Orleans, qu’il pensoit guarir comme il l’avoit gastée[74], et ne se fust point laissé devancer par Sainct-Maurice et Rossieux[75], les choses ne se fussent pas debauchées comme elles firent par faute de donner ordre à ce premier tumulte, où vous vinstes, sur le commencement de leur revolte, et leur donnastes courage aurait dû le faire, le roi les lit relâcher, sous promesse de s’employer à apaiser la sédition Parisienne. Mais ils agirent tout différemment, et se montrèrent ligueurs enragés. de se rebeller et opiniastrer à bon escient ; et, à leur exemple, vous nous en fistes faire autant, Puis, quasy tout à un coup, ce feu embrasa toutes les bonnes villes de ce Royaume, et y en a peu qui se puissent vanter d’en avoir esté exemptes, tant vous aviez sceu dextrement pratiquer hommes de toutes parts. Là dessuz, pour nous rendre irreconciliables avec nostre Maistre, vous nous luy fistes faire son procez [76], vous nous fistes pendre et brusler son effigie, vous deffendistes de parler de luy sinon en qualité de tyran ; vous le fistes excommunier, vous le fistes execrer, detester et maudire par les Curez, par les Prescheurs, par les enfants en leurs prieres[77]. Et se peut-il dire ou alleguer rien de si horrible et espouvantable que ce que vous fistes faire à Bussy-le-Clerc, petit procureur, accoustumé d’estre prosterné à genoux devant la Cour de Parlement, laquelle il eut le cœur et la rage d’aller prendre au siege venerable de la justice souveraine, et la mener captive et prisonniere en triomphe par les rues jusques à son fort et tesniere de la Bastille [78], dont elle n’est sortie que par pieces, avec mille concussions, exactions et vilenies[79], qu’il a exercées sur les gens de bien ? Je laisse les pillages de plusieurs riches maisons, la vente des precieux meubles, les emprisonnements et rançonnements des habitants et gentils-hommes qu’on sçavoit estre pecunieux et garnis d’argent, lesquels on baptizoit du nom de Politiques, ou d’Adherents et Fauteurs d’Heretiques. Et, sur ce propos, fut faicte de ce temps-là une plaisante rime, que j’estime digne d’estre inserée aux registres et cayers de nos Estats : Pour cognoistre les Politiques, Adherents, Fauteurs d’Heretiques, Tant soient-ils cachez et couverts, Il ne faut que lire ces vers. Qui se plaint du temps et des hommes, En ce siecle d’or où nous sommes ; Qui ne veut donner tout le sien A ceste cause, il ne vaut rien. Qui tard l’Union a jurée, Qui a pris sa robe fourrée. Au lieu de prendre son harnois ; Qui ne dit point : te Biarnois, Ains dit : le Roy, et qui le loue ; Qui a laict aux Seize la moue, Les pensant hors de tout credit ; Qui en murmure ou en mesdit ; Qui aux Quarante a faict la figue ; Qui n’a point la barbe à la Ligue ; Qui a veu lettres de delà, Ne vous liez en tout cela. Qui ne va point chez les Princesses, Qui à Pasques n’oit que deux Messes, Qui n’a des chapelets[80] au col, Mérite y avoir un licol. Qui se fasche quand on l’appelle A la porte, à la sentinelle, A la tranchée et au rampart[81], Il n’est point de la bonne part. Qui faict mention de concorde, Il sent le fagot ou la corde ; Qui, confit en devotions, Court à tontes processions, Prieres et pelerinages, S’il entremesle en ses suffrages Un Da pacem[82], en souspirant, C’est pour le moins un Adheran : Combien qu’il fasse bonne mine, Gardez qu’il ne vous enfarine ! Qui n’ayme point ouyr prescher Commolet, Guincestre et Boucher[83] Et qui volontiers ne salue Louchard, La Morlière et La Rue[84], C’est un Maheutre, et ung Frelu*, Pire qu’un Turc, ou Mammelu ! Qui n’honore la seigneurie De Baston, Machault, Acarie, Et qui a dict on quelque endroit Que jamais boiteux n’iroit droit[85] ; Qui demande par la fenestre A ses voisins que ce peut estre, Aux alarmes et toque-saincts ; Qui n’eust point peur à la Toussaincts[86] :



</ref>Allusion à Acharie et au petit Feuillant, tous deux boiteux.

Qui la bonne feste, nommée
Des Barricades, n’a chomée[87] ;
Qui ne parle reveremment
Du cousteau de frere Clement ;
Qui, lors que Bichon ou Nivelle
Ont imprimé quelque nouvelle,
En doute et s’enquiert de l’autheur,
Je gage que c’est un Fauteur !
D’autres encores on remarque
A une plus certaine marque.
Sainct-Cosme[88], Olivier[89], et Bussy[90],
Empougnez-moy ces gallands-cy !
Ils en sont ! Et pourquoy ? Et pource
Qu’ils ont de l’argent en leur bourse !


J’ai retenu ces vers par cœur parce qu’ils sont si vulgaires que les femmes et petits enfants les ont appris, et qu’il ne se peut rien faire de plus naïf pour exprimer nos procedures et les façons dont nous avons usé pour trouver de l’argent. Mais on a oublié d’y mettre l’or de Molan [91] et le thresor du Grand Prieur de Champagne [92], qui vous ayderent bien à faire vostre voyage de Tours, qui ne fut pas long ni de grand effect. Car, aprés avoir mené je ne sçay quelle troupe, ramassée de gens transportez d’erreur et d’amour de nouveauté que leur mettiez en la teste, pour braver vostre Maistre que pensiez prendre à despourveu, ou avec esperance que ceux de Tours feroient quelque tumulte pour le vous livrer ; sitost que veistes qu’on parloit à vous à coups de canon, et que le Roy de Navarre estoit venu assister et secourir son frere, ayant un notable interest qu’il ne tombast entre vos mains, la frayeur vous saisit tellement, au lustre des escharpes blanches, que ce fut à vous de vous retirer en diligence par des chemins esgarez où il n’y avoit point de pierres[93]. Et voulustes colorer vostre fuite sur la priere que nous vous fismes de nous secourir contre les courses de messieurs de Longueville, de La Noue et de Givry, aprés la honteuse levée du siege de Senlis[94]. nation de Champagne. — Les éditions postérieures ajoutent : « Celuy de l’Evesque de Meaux, vostre Chancelier, de l’Evesque d’Auxerre, Âmiot, jadis Grand Aumosnier, et du Prieur de Saint-Nicolas-des-Champs, et autres, qui vous aydèrent bien. . . » Estant icy, vous vous deffiastes [95] bien qu’on ne tarderoit gueres à vous suivre de prés, ayant deux si puissants dogues à la queue, et donnastes quelque ordre pour la deffense de Paris par un antidote pire que le mal n’eust esté si on nous eust pris. Et ce fut lors que les Parisiens commencerent à veoir des hostes vivants à discretion en leurs maisons, contre tous les anciens privileges à eux accordez par les deffuncts Roys ; mais ce ne furent que fleurettes au prix de ce que nous avons souffert depuis. Vous laissastes neantmoins prendre, à vostre nez, Estampes et Pontoyse[96] sans les secourir. Et, voyant qu’on retournoit à vous pour vous attirer à la bataille, ou vous resserrer entre nos murailles, vous veistes bien, au progrez des affaires du Roy, que les vostres s’en alloient ruynées, et qu’il n’y avoit plus moyen de "vous en sauver sans un coup du Ciel 3, qui estoit par la mort de vostre Maistre, vostre Bienfaicteur, vostre Prince, vostre Roy. Je dy vostre Roy, car je trouve emphase4 en ce mot qui emporte battues par Longueville et La Noue, et le duc d’Aumale s’enfuit à franc étrier. •1. Vous vous doutàtes bien.


i. Ce mot est employé ici dans une lionne acception. une personne sacrée, oincte, et cherie de Dieu, comme mitoyenne entre les anges et les hommes. Car comment seroit-il possible qu’ung homme seul, foible, nud, desarmé, peust commander à tant de milliers d’hommes, se faire craindre, suivre, et obeir en toutes ses voluptez[97], s’il n’y avoit quelque divinité et quelque parcelle de la puissance de Dieu meslée, comme on dit que les demons se meslent et entrejectent dedans les nues du tonnerre, où ils font ces estranges et espouvantables feux qui passent de bien loin le feu materiel et elementaire ? Je ne veux pas dire que ce fust vous qui choisistes particulierement ce meschant que l’enfER crEa[98], pour aller faire cet execrable coup que les furies d’Enfer eussent redouté de faire ; mais il est assez notoire qu’auparavant qu’il s’acheminast à ceste maudicte entreprise, vous le veistes et je diroy bien les lieux et endroits[99] si je vouloy, où l’encourageastes[100] ; vous luy promistes abbayes, eveschez, monts et merveilles, et laissastes faire le reste à Madame vostre sœur, aux Jesuites et à son Prieur, qui passoient bien plus oultre et ne lui promettoient rien moins qu’une place en Paradis au dessus des Àpostres, s’il advenoit qu’il y fust martyrisé[101]. 

Qu’ainsy ne soit, et que ne fussiez bien adverty de tout le mystere, vous faisiez prescher le peuple, qui parloit de se rendre, qu’on eust encore patience sept ou huict jours, et qu’avant la fin de la sepmaine on verroit quelque grande chose qui nous mettroit à nostre ayse. Les prescheurs de Rouen, d’Orléans et d’Amiens le prescherent en mesme temps et en mesmes termes. Puis, sitost que votre moyne endiablé fut party, vous fistes arrester et prendre prisonniers en ceste ville plus de deux cents des principaux citoyens et autres[102], que pensiez avoir des biens, des amis, et du credit avec ceux du party du Roy, comme une precaution dont vous vous proposiez servir pour rascheter le meschant Astarot, en cas qu’il eust esté pris avant le faict ou aprés. Car, ayant le gage de tant d’honnestes hommes, vous pensiez qu’on n’eust osé faire mourir cest assassin, sur la menace qu’eussiez faicte de faire mourir, en contreschange, ceux que teniez prisonniers ; lesquels, à la verité, sont bien obligez à ceux qui, par une precipitée colere, tuerent à coups d’espée ce meschant, aprés son coup faict ; et vous-mesme ne les devez pas moins remercier, car, si on l’eust laissé vivre, comme il faloit, et mis entre les mains de justice, nous eussions eu tout le fil de l’entreprise naifvement deduict, et y eussiez esté couché en blancs draps[103], pour une marque ineffaçable de vostre desloyauté et felonie. Mais Dieu ne l’a pas ainsy permis, et ne sçavons encore ce qu’il vous garde, car, si les exemples du temps passé portent quelque consequence pour juger des affaires du temps present, jamais on ne veit vassal et subject, qui eust entrepris de chasser son Prince, mourir en son lict. Je ne veux fortifier ceste maxime par beaucoup d’histoires, ny refuter celles que nos prescheurs alleguent pour deffendre et justifier cest acte horrible. Je n’en dirai que deux : l’une de la Bible, et l’autre des livres Romains. Vous pouvez avoir ouy prescher que ceux qui tuerent Absalon, combien qu’il fust eslevé en armes contre son pere, son Roy et son pays, neantmoins furent punis de mort par le commandement de David, à qui il faisoit la guerre. Si vous avez leu les conflicts qui furent faicts entre Galba, Otho et Vitellius, pour l’empire de Rome, vous aurez trouvé que Vitellius fit mourir plus de six vingts hommes[104] qui se vantoient d’avoir tué Galba, son predecesseur, et avoient presenté requeste pour en avoir recompense ; non, comme dit l’autheur qui sert aujourd’huy d’Evangeliste à plusieurs[105], pour amitié qu’il portast à Galba, ni honneur qu’il luy voulust faire, mais pour enseigner tous les Princes d’asseurer leur vie et leur estat present, et faire connoistre à ceux qui entreprendroient d’attenter à leurs personnes que l’autre Prince, leur successeur, bien qu’ennemy, en quelque façon que ce soit vengera leur mort.

C’est pourquoy, Monsieur le Lieutenant, vous eustes grand tort de faire demonstration de tant d’allegresse, ayant sceu la nouvelle du cruel accident de celuy par la mort duquel vous entriez au chemin de la Royauté. Vous listes des feux de joye[106], au lieu qu’en deviez faire de funebres ; vous pristes l’escharpe verde, en signe de resjouissance, au lieu que deviez redoubler la vostre noire, en signe de deuil[107]. Vous deviez imiter David, qui fit recueillir les oz de Saül et les fit honorablement ensepulturer, combien que par sa mort il demeuroit Roy paisible et perdoit en luy son plus grand ennemy ; ou faire comme Alexandre le Grand, qui fit de si superbes obseques à Darius ; où Jules Cesar, qui pleura à chaudes larmes, sçachant la mort de Pompée, son compétiteur et capital adversaire, et fit mourir ceux qui l’avoient tué. Mais vous, au contraire de ces grands personnages, vous riez, et faictes festins, feux de joye et toutes sortes de resjouissance, quand vous sçavez là cruelle mort de celuy de qui vous teniez tout ce que vous et vos predecesseurs aviez de bien, d’honneur et d’authorité ! Et, non content de ces communes allegresses, qui tesmoignoient assez combien vous approuviez ce malheureux acte, vous fistes faire l’effigie du meurtrier pour la monstrer en public[108], comme d’un sainct canonisé, et allumer des feux de joie dans Paris ; et le soir, le peuple mangea et dansa dans les rues. fistes rechercher sa mère et ses parents pour les enrichir d’aumosnes publiques, afin que cela fust un leurre et une amorce à d’autres qui pourroient entreprendre de faire encore un pareil coup au Roy de Navarre, sur l’asseurance qu’ils prendroient, par l’exemple de ce nouveau martyr, qu’aprés leur mort ils seroient ainsi sanctifiez et leurs parents bien -recompensez !

Or, je ne veux point examiner plus avant vostre conscience, ni vous pronostiquer ce qui vous peut advenir pour ce faict-là ; mais il faudroit que la parole de Dieu fust menteuse (ce qui n’est point), si vous ne recevez bientost le salaire que Dieu promet aux meurtriers et assassinateurs, comme vostre frere a faict pour avoir assassiné le feu Admirai, et le feu Admirai pour avoir faict assassiner vostre pere[109]. Mais je lairray traiter ceste matiere aux Theologiens, pour vous ramentevoir une lourde faute que listes sur cest instant : car, puisque n’aviez point craint de declarer en tant de lieux que vostre but estoit de regner, vous aviez lors, et sur le coup, une belle occasion de vous faire eslire Roy, et y fussiez mieux Jacques Clément, sur un pilier de marbre dans l’église de Notre-Dame. parvenu que ne ferez pas à present que vous briguez de l’estre. Le Cardinal de Bourbon, à qui inconsiderement vous deferastes le tiltre de Roy, estoit prisonnier[110] ; vostre nepveu, en qui se conferoient toutes les recommandations de son pere, l’estoit aussy ; et l’un et l’autre ne vous y pouvoit nuire, comme vostre nepveu faict à present[111]. Vous aviez encore les peuples animez, ardens et courans à la nouveauté, qui avoient une grande opinion de vostre vaillance, dont vous estes fort descheu depuis, et ne fay doute que ne l’eussiez emporté, en haine du legitime successeur qui notoirement estoit Huguenot. Et puis, vous aviez les Prescheurs, qui eussent deduict mille raisons pour persuader le peuple que la Couronne vous appartenoit mieux qu’à luy. L’occasion en estoit belle sur le changement d’une lignée en l’autre ; et combien que ce soit une mesme famille, et d’une mesme tige, neantmoins la distance de plus de dix degrez, où les Docteurs disent cesser tout lien et droit de consanguinité, donnoit beau lustre, encore que le docteur Balde a escrit que ceste regle fallit in familia Borboniorum. Tant y a que vous aviez la force et la faveur du temps en main, de laquelle ne sceustes pas vous servir, ains par une pusillanimité et couardise trop lourde et grossiere, vous voulustes garder quelque modestie et forme de loy civile, donnant le tiltre de Roy à un pauvre Presbtre prisonnier, combien qu’en toutes autres choses vous violiez impudemment toutes les loix du Royaume et tout le droit divin des gens, naturel et civil. Vous oubliastes toutes les maximes des grands maistres en matiere d’entreprise sur les estats d’autruy, mesmement celle de Jules Cesar, qui disoit souvent pour excuse ces vers d’un poete greq 1 :

S’il faut estre meschant, soy-le pour estre Roy ; Mais au reste, soy juste, et vy selon la Loy.

Vous eustes peur de prendre le tiltre de Roy, et ne craigniez pas d’en usurper la puissance, laquelle vous desguisastes d’une qualité toute nouvelle, dont on n’avoit jamais ouy parler en France ; et je ne sçay qui en fut l’autheur, encore qu’on l’attribue au President Brisson2 ou Jeannin : mais quiconque inventa cest expedient faillit aux termes de grammaire et

1. Euripide, dans sa tragédie des Phéniciennes. 2. Le président Barnabé Brisson, qui se vantait d’être le seul inventeur de ce titre nouveau. d’Estat. On vous pouvoit donner le nom de Regent, ou de Lieutenant general du Roy, comme on avoit faict autrefois quand les Roys estoient prisonniers ou absents de leur royaume ; mais Lieutenant de l’Estat et Couronne est ung tiltre inouy et estrange qui a trop longue queue, comme une Chimere contre nature qui faict peur aux petits enfants. Quiconques est Lieutenant est lieu tenant d’ung autre, duquel il tient le lieu, qui ne peut faire sa fonction, à cause de son absence ou autre empeschement ; et Lieutenant est lieu tenant d’ung autre homme. Mais de dire qu’ung homme soit Lieutenant d’une chose inanimée, comme l’Estat ou la Couronne d’un Roy, c’est chose absurde, et qui ne se peut soubstenir ; et eut esté plus tolerable de dire en l’Estat et Couronne de France que Lieutenant de l’Estat. Mais c’est peu de chose de faillir à parler, au prix de faillir à faire.  

Quand vous fustes afflublé de ceste belle qualité, vous curastes si rudement nos bourses qu’eustes moyen de mettre sus une grosse armée, avec laquelle vous promettiez poursuivre, assieger, prendre, et amener prisonnier le nouveau successeur à la Couronne[112], qui ne se disoit pas Lieutenant, mais Roy tout à faict. Vous nous aviez desja faict garder nos places, et louer des boutiques en la rue Sainct-Anthoine pour le veoir passer enchaisné, quand l’ameneriez de Dieppe prisonnier[113]. Que fistes-vous de cette grande armée, grossie de tous vos secours estrangers, d’Italie, d’Espagne et d’Allemagne, sinon faire connoistre vostre foiblesse imprudente et mauvaise conduite ? n’ayant osé, avec trente mille hommes, en attaquer cinq ou six mille, qui vous firent teste à Arques, et enfin vous contraignirent lever le cul honteusement et chercher vous mesme seureté au delà de la rivière de Somme. Nous fusmes bien esbahis, quand au lieu de veoir ce nouveau Roy à la Bastille, nous le veismes dedans nos faux-bourgs avec son armée, comme un foudre de guerre qui devança nos pensées et les vostres. Mais vous vinstes à notre secours lors qu’estions asseurez qu’il ne nous feroit plus de mal ; et faut confesser que, sans la resistance que luy fit, à la porte de Bussy, un qui luy est aujourd’huy serviteur[114], il nous eust pris avant que fussiez arrivé. Depuis ce temps-là vous ne fistes rien de memorable en vostre Lieutenance, que l’establissement de vostre Conseil des Quarante[115] et des Seize, que vous avez depuis revoqué et dissipé tant qu’avez peu. Et cependant que vous vous amusiez à faire l’estat de vostre Maison, et que laissiez tremper en prison vostre Roy imaginaire sans le secourir ni d’argent ni de moyens pour entretenir son estat royal[116], le Roy de Navarre se mit en possession du Dunois, du Vandosmois, du Mayne, du Perche, et de la meilleure partie de Normandie ; tant qu’à la fin, aprés qu’il eut en conquerant faict la ronde du tiers de son Royaume, vous fustes contrainct, moitié de honte moité de desespoir, et par l’importunité qu’on vous fit, luy aller au devant, lorsqu’il assiegeoit Dreux, où il vous fit un tour de vieil guerrier, pour avoir moyen de vous combattre ; car il leva son siege et fit semblant de reculer dedans le Perche pour vous attirer plus avant et vous faire passer les rivieres à le suivre. Mais, sitost qu’il vous vit passé et engagé à la plaine, il tourna visage droit à vous, et vous donna la bataille que perdistes, plus par faute de courage et de conduite que par faute d’hommes, le nombre des vostres passant de beaucoup les siens[117]. Encore en ceste grande affliction, ne pustes-vous vous tenir de nous donner une bourde, comme vous estes coustumier, vous et vostre sœur, de nous paistre de mensonges et fausses nouvelles ; et nous voulustes faire croire, pour nous consoler en ceste perte, que le Biarnois estoit mort[118], duquel vous n’aviez osé attendre la veue ni la rencontre. Mais nous vismes ce mort bientost prés de nos portes ; et vous-mesmes eustes si grand peur de son ombre que ne pristes loisir de vous reposer que ne fussiez passé en Flandres, où vous fistes ce beau marché avec le Duc de Parme, qui depuis nous a couste si cher, et qui vous a tellement ruiné d’honneur et de réputation que je ne voy pas moyen de vous en pouvoir jamais relever : car, au lieu de maistre, vous vous allastes rendre valet et esclave de la nation la plus insolente qui soit soubs le ciel. Vous vous asservistes à l’homme le plus fier et le plus ambitieux qu’eussiez sceu choisir, comme avez depuis experimenté, quand il vous faisoit naqueter[119] aprés luy et attendre à sa porte avant que vous faire une response de peu d’importance. Dequoy les gentils-hommes François qui vous accompagnoient avoient despit et desdain ; et vous seul n’aviez honte de vous rendre vil et abject en deshonorant vostre lignée et vostre nation, tant estiez transporté d’appetit de vangeance et d’ambition.

Or, pendant ces indignitez et deshonnestes submissions que faisiez au préjudice du nom François et de vostre qualité, nostre nouveau Roy ne chommoit pas, car il nous boucha nostre rivière en haut et en bas, par la prise de Mantes, de Poissi, de Corbeil, Melun et Montreau ; puis nous vint oster la plaine de France par la prise de Sainct-Denys. Cela faict, il n’y avoit plus de difficulté que ne fussions assiegez, comme nous le fusmes incontinant aprés. "Que fistes-vous pour nous secourir ? mais plustost que ne fistes-vous point pour nous perdre et rendre miserables ? Je ne veux pas dire ce qu’aucuns ont raporté de vous, que disiez communement que la prise de ceste ville seroit plus prejudiciable à vostre ennemy que proffitable, et que son armée se perdroit et dissiperoit en la prenant. Je ne sçauroy croire que eussiez pris plaisir de veoir tomber vostre femme, vos enfants, vostre frere et vostre sœur à la mercy de vos ennemis. Mais si faut-il dire que le temps que vous mistes à nous venir secourir fut si long qu’il cuida nous mettre plusieurs fois au desespoir ; et croy que si le Roy vous eust demandé un terme pour nous prendre, il n’en eust pas demandé davantage que luy en donnastes.

0 que nous eussions esté heureux, si nous eussions esté pris dés le lendemain que fusmes assiegez ! 0 que nous serions maintenant riches, si nous eussions faict ceste perte ! Mais nous avons bruslé à petit feu, nous avons languy, et si ne sommes pas guaris. Déslors le soldat victorieux eust pillé nos meubles, mais nous avions de l’argent pour les racheter ; et depuis nous avons mangé nos meubles et nostre argent ! Il eust forcé quelques femmes et filles, encore eust-il espargné les plus notables et celles qui eussent peu garantir leur pudicité par respect ou par amis. Mais, depuis, elles se sont mises au bourdeau d’elles- mêmes, et y sont encore par la force de la necessité, qui est plus violente et de plus longue infamie que la force transitoire du soldat, qui se dissimule et ensevelit incontinant ; au lieu que ceste-cy se divulgue, se continue, et se rend à la fin en coustume effrontée, sans retour[120]. Nos reliques seroient entieres, les anciens joyaux de la Couronne de nos Roys ne seroient pas fonduz comme il sont ; nos fauxbourgs seroient en leur estre, et habitez comme ils estoient, au lieu qu’ils sont ruinez, desert et abatuz ; nostre ville seroit riche, opulente et peuplée, comme elle estoit ; nos rentes de l’Hostel-de-Ville nous seroient payées, au lieu que vous en tirez la mouelle et le plus clair denier ! Nos fermes des champs seroient labourées, et en recevrions le revenu, au lieu qu’elles sont abandonnées, desertes et en friche. Nous n’aurions pas veu mourir cent mille personnes de faim, d’ennuy et de pauvreté, qui sont morts en trois mois, par les rues et dans les hospitaux, sans misericorde et sans secours : Nous verrions encore nostre Université florissante et frequentée, au lieu qu’elle est du tout solitaire, ne servant plus qu’aux paysans et aux vaches des villages voisins ; nous verrions nostre Palais remply de gens d’honneur de toutes qualitez, et la Sale et la Galerie des Merciers pleines du peuple à toutes heures, au lieu que ny voyons plus que gens de loisir se pourmener au large, et l’herbe verte qui croist là où les hommes avoient à peine espace de se remuer. Les boutiques de nos rues seroient garnies d’artisans, au lieu qu’elles sont vuides et fermées ; la presse des charettes et des coches seroit sur nos ponts, au lieu qu’en huict jours on n’en veoit passer une seule, que celle du Legat ; nos ports de Greve et d’Escole seroient couverts de batteaux pleins de bleds, de vins, de foin et de bois ; nos haies et nos marchez seroient foulez de presse de marchands et de vivres, au lieu que tout est vuide et vague, et n’avons plus rien qu’à la mercy des soldats de Sainct-Denys, fort de Gournay[121], Chevreuse et Corbeil. Ha ! Monsieur le Lieutenant, permettez-moy que je m’exclame en cest endroit par une petite digression hors du cours de ma harangue, pour deplorer le pitoyable estat de ceste Roine des villes, de ce microcosme et abregé du monde. Ha ! Messieurs les députés de Lion, Tholouze, Rouen, Amiens, Troies et Orleans, regardez à nous et y prenez exemple : que nos miseres vous fassent sages à nos depens. Vous sçavez tous quels nous avons esté, et voyez maintenant quels nous sommes ! Vous sçavez tous en quel goufre et abisme de desolation nous avons esté, par ce long et miserable siege ; et si ne le sçavez, lisez l’Histoire de Josephe, de la guerre des Juifs et du siege de Jérusalem par Titus, qui represente au naïf celuy de nostre ville. Il n’y a rien au monde qui se rapporte tant l’un à l’autre, comme Jérusalem et Paris, excepté l’issue et la fin du siege. Jérusalem estoit la plus grande et la plus riche, et peuplée ville du monde : aussi l’estoit Paris,

Qui eslevoit son chef sur toutes autres villes, Autant que le sapin sur les bruyeres viles.

Jerusalem ne pouvoit endurer les bons Prophetes qui luy remonstroient ses erreurs et idolatries ; et Paris ne peut souffrir ses Pasteurs et Curez, qui blasment et accusent ses superstitions et folles va nitez et l’ambition de ses Princes : nous faisons la guerre aux curez de Sainct-Eustache et de Sainct-Mederic[122] parce qu’ils nous remonstrent nos fautes et nous predisent le malheur qui nous en doit arriver. Jerusalem fit mourir son Boy et son oinct de la race de David, et le fit trahir par un de ses disciples, et de sa nation : Paris a chassé son Prince, son Roy, son oinct naturel, et aprés l’a faict assassiner et trahir par un de ses moynes. Les docteurs de Jérusalem donnoient à entendre au peuple que leur Roy avoit le Diable au corps, au nom duquel il faisoit ses miracles : nos Prescheurs et Docteurs ont-ils pas presché que le feu Roy estoit sorcier et adoroit le Diable, au nom duquel il faisoit toutes ses devotions, et mesme aucuns ont esté si impudents de montrer en chaire publiquement à leurs auditeurs des effigies faictes à plaisir, qu’ils juroient estre l’idole du Diable que le tyran adoroit ; ainsy par-loient-ils de leur Maistre et de leur Roy[123]. Ces mesmes Docteurs de Jérusalem prouvoient par l’Escriture que Jésus-Christ meritoit la mort, et crioient tout haut : Nos legem habemus, et secundum legem debet mori[124] ! Nos Predicateurs et Sorbonnistes ont-ils pas prouvé, et approuvé par leurs textes appliquez à leur fantaisie, qu’il estoit permis, voire louable et meritoire de tuer le Roy ? et l’ont encore presché aprés sa mort. Dedans Jerusalem estoient trois factions qui se faisoient appeller de divers noms ; mais les plus meschants se disoient Zelateurs, assistez des Idumeens estrangers : Paris a esté agité tout de mesme de trois factions de Lorraine, d’Espagne, et des Seize participants de toutes les deux, soubs le mesme nom de Zelateurs, qui ont leurs Eleazars et leurs Zacharies, et Acaries[125], et plus de Jeans qu’il n’y en avoit en Jerusalem. Jerusalem estoit assiegée par Titus, prince de diverse religion, allant aux hazards et dangers comme un simple soldat, et neantmoins si doux et gratieux qu’il acquit le surnom de Delices du genre humain ; Paris a esté assiegé par un prince de religion differente, mais plus humain et debonnaire, plus hazardeux et prompt d’aller aux coups que jamais ne fut Titus. Davantage ce Titus ne vouloit rien innover en la religion des Juifs : aussy ne faict ce prince en la nostre, ains au contraire nous donne esperance de l’embrasser quelque jour, et en peu de temps. Jerusalem souffrit toute l’extremité devant que de se reconnoistre, et se reconnoissant, n’eut plus de pouvoir, et en fut empeschée par les chefs de la faction : combien avons-nous souffert avant que nous connoistre, et, aprés nos souffrances, combien avons-nous desiré de pouvoir nous rendre si n’en eussions esté empeschez par ceux qui nous tenoient soubs le joug ! Jerusalem avoit le fort d’Anthonia, le Temple et le fort de. Sion, qui bridoient le peuple et l’empeschoient de bransler ni de se plaindre : nous avons le fort de Sainct-Anthoine[126], le Temple, et le Louvre, comme un fort de Sion, qui nous servent de camorre[127] et de mords pour nous tenir et ramener à l’appetit des gouverneurs. Josephe, de mesme nation cl. religion que les Juifs, les cxhortoit de prevenir l’ire de Dieu, et leur faisoit entendre qu’eux mesmes ruinoient leurs temples, leurs sacrifices et leur religion, pour laquelle ils disoient combattre ; et neantmoins n’en voulurent rien faire : nous avons eu parmy nous beaucoup de bons citoyens, François et Catholiques comme nous, qui nous ont l’ait pareilles remonstrances, et monstré par bonnes raisons que nostre opiniastreté et nos guerres civiles ruinoient la religion Catholique et l’Eglise, et tout l’ordre ecclesiastique, faisant desbauchcr les presbtres, religieux et religieuses, consommant les benefices et aneantissant le service divin partout le plat pays ; et neantmoins nous persistons comme devant, sans avoir pitié de tant d’ames desolées, egarées et abandonnées de leurs pasteurs, qui languissent sans religion, sans pasture et sans administration d’aucun sacrement. Enfin, puisque nous convenons et nous rapportons, en tant de rencontrés, à la cité de Jérusalem, pouvons-nous attendre autre chose qu’une totale ruine et desolation entiere, comme la sienne, si Dieu, par ung miracle extraordinaire, ne nous redonne nostre bon sens ? Car il est impossible que puissions longuement durer ainsy estant desja si abattus et alangouris de longue maladie que les soupirs que nous tirons ne sont plus que les sanglots de la mort. Nous sommes serrez pressez, envahis, bouclez de toutes parts, et ne prenons air que l’air puant d’entre nos murailles, de nos boues et egouts ; car tout autre air de la liberté des champs nous est deffendu. Apprenez donq, villes libres, apprenez, par nostre dommage, à vous gouverner d’ores en avant d’autre façon ; et ne vous laissez plus enchevestrer, comme avons faict, par les charmes et enchantements des prescheurs corrompus de l’argent et de l’esperance que leur donnent les princes, qui n’aspirent qu’à vous engager et rendre si foibles et si souples qu’ils puissent jouir de vous, et de vos biens, et do vostre liberté, à leur plaisir ! Car ce qu’ils vous font entendre de la religion n’est qu’un masque dont ils amusent les simples, comme les regnards amusent les pies de leurs longues queues, pour les attraper et manger à leur ayse. En vistes-vous jamais d’autres, de ceux qui ont aspiré à la domination tyannique sur le peuple, qui n’ayent tousjours pris quelque tiltre specieux de bien public ou de religion ? Et toutesfois, quand il a esté question de faire quelque accord, tousjours leur interest particulier a marché devant et ont laissé le bien du peuple en arriere, comme chose qui ne les touchoit point ; ou bien, s’ils ont esté victorieux, leur fin a tousjours esté de subjuguer et mastiner le peuple, duquel ils s’estoient aydez à parvenir au dessus de leurs desirs. Et m’esbahy, puisque toutes les histoires, tant anciennes que modernes, sont pleines de tels exemples, comment se trouve encore des hommes si pauvres d’entendement, de s’embattre et s’envoler à ce faux leurre ! L’histoire des guerres civiles et de la revolte qui se fit contre le Roy Loys unzième est encore recente : le Duc de Berry, son frere, et quelques Princes de France, suscitez et encouragez par le Roy d’Angleterre, et encore plus par le Comte de Charolois, ne prindrent autre couleur de lever les armes que pour le bien et soulagement du peuple et du Royaume[128] ; mais enfin, quand il falut venir à composition, on ne traitta que de luy augmenter son appanage, et donner des offices et des appointements à tous ceux qui l’avoient assisté, sans faire mention du public non plus que du Turcq. Si vous prenez plus haut, aux Annales de France, vous verrez les factions de Bourgongne et d’Orleans avoir tousjours esté colorées du soulagement des tailles et du mauvais gouvernement des affaires ; et neantmoins l’intention des principaux chefs n’estoit que d’empieter l’authorité au Royaume, et advantager une maison sur l’autre, comme l’issue a tousjours faict foy : car enfin le Roy d’Angleterre emportoit tousjours quelque lippée pour sa part, et le Duc de Bourgongne ne s’en departoit jamais sans une ville ou une contrée, qu’il retenoit pour son butin. Quiconques voudra prendre loisir de lire ceste histoire y verra nostre miserable siecle naifvement representé : il y verra nos predicateurs boutefeux, qui ne laissoient pas de s’en mesler, comme ils font maintenant, encore qu’il ne fust nullement question de religion ; ils preschoient contre leur Roy, ils le faisoient excommunier, comme ils font maintenant ; ils faisoient des propositions à la Sorbonne contre les bons citoyens, comme ils font maintenant et pour de l’argent comme maintenant. On y veoit des massacres, des tueries de gens innocents et des fureurs populaires, comme les nostres : nostre mignon, le feu Duc de Guyse, y est representé en la personne du Duc de Bourgongne, et nostre bon protecteur, le Roy d’Espagne, en celle du Roy d’Angleterre. Vous y voyez nostre credulité et simplicité, suivies de ruines et desolations, et de saccagements et bruslements de villes et de fauxbourgs, tels qu’avons veu et voyons tous les jours sur nous et sur nos voisins. Le bien public estoit le charme et ensorcellement qui bouchoit l’oreille à nos predecesseurs ; mais l’ambition et la vengeauce de ces deux grandes Maisons en estoit la vraye et primitive cause, comme la fin le descouvrit : aussi vous ay-je deduit que premierement la jalousie et envie de ces deux Maisons de Bourbon et de Lorraine, puis la seule ambition et convoitise de ceux de Guyse, ont esté et sont la seule cause de tous nos maux. Mais la Religion Catholique et Romaine est le breuvage qui nous infatue et endort, comme une opiate bien sucrée, et qui sert de medicament narcotique pour stupefier nos membres, lesquels, pendant que nous dormons, nous ne sentons pas qu’on nous coupe piece à piece, l’un aprés l’autre, et ne restera que le tronc, qui bientost perdra tout le sang, et la chaleur et l’ame, par trop grande evacuation.

En la mesme histoire trouvez-vous pas aussy comme le type de nos beaux Estats icy assemblez ? Ceux qu’on tint à Troyes sont-ils pas tous pareils, auxquels on exhereda le vray et legitime heritier de la Couronne, comme excommunié et réagravé ? Dieu sçait quelles gens il y avoit à ces Estats[129] ! Ne doutez pas qu’il ne fussent tels que vous autres Messieurs : choisis de la lie du peuple, des plus mutins et seditieux, corrompuz par argent, et tous pretendants quelque proffit parculier au change et à la nouveauté, comme vous autres Messieurs. Car je m’asseure qu’il n’y a pas un de vous qui n’ait quelque interest special et qui ne desire que les affaires demeurent en trouble ; il n’y a pas un qui n’occupe le benefice, ou l’office, ou la maison de son voisin, ou qui n’en ait pris les meubles, ou levé le revenu, ou faict quelque volerie et meurtre par vengeance, dont il craint estre recherché si la paix se faisoit. À la fin neantmoins, aprés tant de meurtres et de pauvretez, si fallut-il que tous ces mauvais reconnussent le Roy Charles septiesme, et vinssent à ses pieds demander pardon de leur rebellion, combien qu’ils l’eussent auparavant excommunié et déclaré incapable d’estre leur Roy. Comme de mesme qui ne voit et ne juge aysement, au mauvais train que nous prenons, qu’il nous en faudra faire autant, quoy qu’il larde, et que nous y serons contraincts en peu de temps par la force de la nécessité, qui n’a ni loy, ni respect, ni vergongne. deurs des communes et bonnes villes du royaume. » (Hist. de la ville de Troyes, par T. Boutiot, t. II, p. 422 et suiv. ). Si je voyois icy des Princes du sang de France et des Pairs de la Couronne, qui sont les principaux personnages, sans lesquels on ne peut assembler ni tenir de justes et legitimes Estats ; si j’y voyois un Connestable, un Chancelier, des Mareschaux de France, qui sont les vrais Officiers pour authoriser l’Assemblée ; si j’y voyois les Presidents des Cours souveraines, les Procureurs-generaux du Roy en ses Parlements, et nombre d’hommes de qualité et reputation, connuz des longtemps pour aymer le bien du peuple et leur honneur ; ha ! veritablement j’espererois que ceste congregation nous apporteroit beaucoup de fruict, et me fusse contenté de dire simplement la charge que j’ay du Tiers-Estat, pour presenter l’interest que chacun a d’avoir la paix. Mais je ne vois icy que des Estrangers passionnez, abboyants aprés nous et alterez de nostre sang et de nostre substance ; je n’y vois que des femmes ambitieuses et vindicatives[130], que des prestres corrompuz et desbauchez, et pleins de folles esperances[131] ; je n’y vois noblesse qui vaille, que trois ou quatre qui nous eschappent et qui s’en vont nous abandonner[132]. Tout le reste n’est que ripaille[133] necessiteuse, qui ayme la guerre et le trouble, parcequ’ils vivent du bien du bonhomme, et ne sçauroient vivre du leur ni entretenir leur train en temps de paix : tous les gentilshommes de noble race et de valeur sont de l’autre part, auprés de leur Roy et pour leur pays.

J’aurois honte de porter la parole pour ce qui est icy du Tiers-Estat si je n’estoy bien advoué d’autres gens de bien qui ne veulent se mesler avec ceste canaille, venue pièce à pièce des provinces, comme Cordeliers à un chapitre provincial. Que faict icy Monsieur le Legat ? sinon pour empescher la liberté des suffrages et encourager ceux qui luy ont promis de faire merveilles pour les affaires de Rome et d’Espagne : luy, qui est Italien et vassal d’un Prince estranger ne doit avoir icy ni rang ni séance ; ce sont icy les affaires des François qui les touchent de près, et non celles d’Italie et d’Espagne. D’où luy viendroit ceste curiosité, sinon pour profiter à nostre dommage ? Et vous, Monsieur de Pelvé, vous faict-il pas bon veoir, en ceste Compagnie, plaider la cause du Roy d’Espagne et les droits de Lorraine ? vous, di-je, qui estes François, et que nous connoissons estre né en France, avoir neantmoins renoncé à vostre chresme et vostre nation, pour servir à vos idoles de Lorraine et aux demons meridionaux[134]. Vous deviez encore amener et faire seoir icy sur les fleurs de lys le duc de Feria et Mendoze, et Dom Diego, pour prendre leur advis comment la France se doit gouverner, car ils y ont interest ; et avez tort, Monsieur le Lieutenant, que ne les y avez receuz, comme impudemment ils l’ont demandé[135]. Mais leur presence seroit inutile, puis qu’ils ont icy leurs agents et avocats, qui ont si dignement parlé pour eux ; et puis vous n’oublierez rien à leur communiquer du resultat de nos deliberations. Mais je vous deman deray volontiers, Monsieur le Lieutenant, à quelle fin vous avez assemblé ces gens de bien icy. Sont-ce icy ces Estats Generaux, où vous nous promettiez donner si bon ordre à nos affaires et nous faire tous heureux ? Je ne m’esbahy pas si avez tant reculé à vous y trouver, et tant dilayé[136] et tant faict troter de pauvres hères de deputez aprés vous, car vous vous doubtiez bien qu’il s’y trouveroit quelque estourdy qui vous diroit vos veritez et qui vous grateroit où il ne vous demange pas ! Vous voulez tousjours filer vostre Lieutenance, et continuer ceste puissance souveraine qu’avez usurpée, pour continuer la guerre, sans laquelle vous ne seriez pas si bien traité, ni si bien suivy et obéy que vous estes. Mais nous y voulons mettre fin, et, en ce faisant, mettre fin à nos miseres.

On ne vous avoit conféré ceste belle et bien controuvée qualité de Lieutenant de l’Estat qui sent plus, à la verité, le style d’un clerc de Palais ou d’un pedant que la gravité de la charge, sinon ad tempus, et jusques à ce qu’autrement, par les Estats Generaux, y eut esté pourveu. Tellement qu’il est temps qu’en soyez demis et depossedé et qu’avisions à prendre ung autre gouvernement et ung autre gouverneur : c’est assez vescu en anarchie et desordre. Voulez-vous que, pour vostre plaisir, et pour aggrandir vous et les vostres, contre droit et raison nous demourions à jamais miserables ? Voulez-vous achever de perdre ce peu qui reste ? Jusques à quand serez-vous substanté de nostre sang et de. nos entrailles ? Quand serez-vous saoul de nous manger, et de nous veoir entretuer pour vous faire vivre à vostre aise ? Ne songez-vous point qu’avez affaire aux François ? c’est-à-dire à une nation belliqueuse qui est quelquefois facile à séduire, mais qui bientost retourne à son devoir, et surtout ayme ses Roys naturels et ne s’en peut passer. Vous serez tout estonné que vous vous trouverez abandonné de toutes les bonnes villes qui feront leur appointement sans vous. Vous verrez tantost l’un, tantost l’autre de ceux que pensez vos plus familiers, qui traiteront sans vous, et se retireront au port de sauveté, parce qu’ils vous ont congneu mauvais pilote, qui n’avez sceu gouverner la navire dont aviez pris la charge et l’avez eschouée bien loin du port. Avez-vous donc tant en horreur le nom de paix, que n’y vueillez point du tout entendre ? Ceux qui peuvent vaincre, encore la demandent-ils ? Qu’ont doncq servy tant de voyages, d’allées et de venues, qu’avez faict faire à Monsieur de Villeroy et à d’autres, sous ce pretexte de parler d’accord et d’acheminer les choses à quelque tranquillité ? Vous estes donq ung pipeur et abuseur, qui trompez vos amis et vos ennemis ; et, contre le naturel de vostre nation, vous n’usez plus que d’artifice et de ruses, pour nous tenir tousjours soubs vos pattes à vostre mercy. Vous n’avez jamais voulu faire traitter des affaires publiques par personnes publiques, mais à catimini, par petites gens façonnez de vostre main et dependants de vous, à qui vous disiez le mot en l’oreille, tout resolu de ne rien faire de ce qui seroit accordé. Par ce moyen vous avez perdu la creance et bienveuillance du peuple, qui estoit le principal appuy de vostre authorité, et avez faict calumnier les procedures d’aucuns notables personnages qu’y avez employez par forme d’acquit, et pour octroyer quelque chose à ceux qui vous en supplioient. Vous avez eu crainte d’offenser les Estrangers qui vous assistent, lesquels toutesfois vous en savent peu de gré. Car, si vous sçaviez les langages qu’ils tiennent de vous, et en quels termes le Roy d’Espagne escrit de vos façons de faire, je ne pense pas qu’eussiez le cœur si serf et abject pour le caresser et rechercher comme vous faictes ! On a veu de leurs lettres surprises et dechifrées, par lesquelles ils vous nomment Puerco, et quelquefois Bufalo, et en d’autres Locho profiado[137] ; et generalement leur Roy se mocque de vous, et mande à ses agents de vous entretenir de bayes[138] et belles paroles sans effect, et prendre garde que ne preniez trop de pied et d’authorité.

Les Royaux, vos adversaires, croyent que vous ne demandez la treve que pour attendre vos forces, et mieux dresser vostre partie à Rome et en Espagne ; et nous disons que c’est pour faire durer la guerre[139] et mieux faire vos affaires particulieres. Cela estant, comment esperez-vous, foible comme vous estes, faire croire que vous nous voulez et pouvez sauver ? Cela ne se peut, sinon par une negociation publique et authentique, qui justifie et authorise une droite intention : c’est chose que pourriez faire soubs le bon plaisir du Pape, afin de rendre à sa Saincteté le respect que luy devez. Pourroit-elle trouver mauvais que vous voulussiez entendre à la paix avec vos voisins, avec vostre Roy ? Car, quand ne le voudriez reconnoistre pour tel, encore ne sçauriez-vous nier qu’il ne soit prince du sang de France et Roy de Navarre, qui a tousjours tenu plus grand rang que vous, et tousjours marché par dessus vous et tous vos aisnez. Au contraire, nous voulons croire que le Sainct-Pere, imitant l’exemple de ses predecesseurs, vous inviteroit à ce bon œuvre, s’il vous y voyoit enclin, pour esteindre le feu de la guerre civile qui consomme un si bon fleuron de la Chrestienté, et ruine la plus forte colonne qui appuye l’Eglise Chrestienne et l’authorité du Sainct Siege. Et ne s’arrestera point sur ce mot d’Heretiques, car le pape Jean deuziesme alla bien luy-mesmes trouver l’Empereur de Constantinople pour le prier de faire la paix avec les Ariens, Heretiques pires que ceux-cy, et remettre toute la querelle en la main de Dieu, qui ferait ce que les hommes ne pouvoient faire. Je croy, pour mon regard, Monsieur le Lieutenant, que, quand vous prendrez ce chemin sans fard et sans dissimulation, il ne peut estre que très seur et utile au generai de la France, et à vous, en vostre particulier, tréès honorable et à vostre grande descharge et contentement d’esprit : aussy que ce moyen est seul et unique et ne vous reste aucun autre pour arrester la cheute eminente de tout l’edifice. Je vous parle franchement do ceste façon, sans crainte de billet ni de proscription[140] ; et ne m’espouvante pas des rodomontades Espagnoles, ni des tristes grimaces des Seize, qui ne sont que coquins que je ne daignay jamais saluer, pour le peu de compte que je fais d’eux[141]. Je suis amy de ma patrie, comme bon bourgeois et citoyen de Paris ; je suis jaloux de la conservation de ma religion, et suis en ce que je puis serviteur de vous et de votre maison.

Enfin chascun est laz de la guerre, en laquelle nous voyons bien qu’il n’est plus question de nostre religion, mais de nostre servitude, et auquel d’entre vous les carcasses de nos os demourreront. Ne pensez pas trouver à l’avenir tant de gens, comme avez faict, qui vueillent se perdre de gayeté de cœur, et espouser un desespoir pour le reste de leur vie et pour leur posterité. Nous voyons bien que vous-mesmes estes aux filets du Roy d’Espagne, et n’en sortirez jamais que miserable et perdu. Vous avez faict comme le cheval qui, pour se deffendre du cerf, lequel il sentoit plus viste et plus vigoureux que luy, appela l’homme à son secours[142] ; mais l’homme luy mit un mords en la bouche, le sella et equipa, puis monta dessus avec bons esperons, et le mena à la chasse du cerf, et partout ailleurs où bon luy sembla, sans vouloir descendre de dessus, ni luy oster la bride et la selle ; et, par ce moyen, le rendit souple à la houssine et à l’esperon, pour s’en servir à toute besongne, à la charge et à la charrue, comme le Roy d’Espagne faict de vous. Et ne doutez pas, si par vostre moyen il s’estoit faict maistre du royaume, qu’il ne se deffist bientost de vous par poison, par calomnies, ou autrement : car c’est la façon dont il use, et dont il dict communement qu’il faut recompenser ceux qui trahissent leur Prince et leur pays. Tesmoins ceux qui luy livrerent meschamment le royaume de Portugal, lesquels luy venants demander la recompense qu’il leur avoit promise devant qu’il en fust en possession, il les renvoya à son Conseil, qu’il appelle de la Conscience, où il leur fut respondu que, s’ils avoient remis le Portugal entre les mains du Roy d’Espagne comme luy appartenant, ils n’avoient faict que ce que devoient faire de bons et loyaux subjects, et en auroient leur retribution et salaire au Ciel ; mais, s’ils l’avoient livré, croyants qu’il ne lui appartint point, pour l’oster à leur maistre, ils meritoient d’estre penduz comme traistres. Voilà le salaire qui vous attendroit, aprés que vous nous auriez livrez à de telles gens, ce que ne sommes pas deliberez de souffrir. Nous sçavons trop bien que les Espagnols, et Castillans, et Bourguignons, sont nos anciens et mortels ennemis, qui demandent de deux choses l’une : ou de nous subjuguer et rendre esclaves, s’ils peuvent, pour joindre l’Espagne. la France et les Pays-Bas tout en un tenant ; ou, s’ils ne peuvent, comme, à la vérité, les plus advisez d’entre eux ne s’y attendent pas, pour le moins nous affoiblir et mettre si bas que jamais, ou de longtemps, nous ne puissions nous relever et rebequer[143] contre eux. Car le Roy d’Espagne, qui est un vieil renard, sçait bien le tort qu’il nous tient, usurpant contre toute justice, le Royaume de Naples, et le duché de Milan, et le Comté de Roussillon qui nous appartiennent. Il connoist le naturel du François, qui ne sçauroit long-temps demourer en paix sans attaquer ses voisins : dequoy les Flaments ont faict un proverbe qui dict que, quand le François dort, le Diable le berse. D’ailleurs, il voit ses Estats separez, et quasy tous usurpez par violence, contre le gré des habitants qui luy sont mal affectionnez ; il se voit vieil et caduc, et son fils aisné peu vigoureux et mal sain, et le reste de sa famille estre en deux filles, l’une desquelles il a mariée avec le prince le plus ambitieux et necessiteux de l’Europe[144] ; l’autre, qui cherche party[145] et ne peut faillir d’en trouver un grand. Si, aprés sa mort, qui ne peut plus guère tarder selon le cours de nature, ses Estats se partagent, et que l’un de ses gendres attaque son fils, il sçait que les François ne dormiront pas et resveille-ront leurs vieilles pretensions. Fait-il pas donc en Prince prudent et prevoyant, de nous affoiblir par nous-mesmes et nous mettre si au bas que ne luy puissions nuire, voire après sa mort ? Aussy avez-vous veu comment il s’est comporté aux secours qu’il nous a envoyez, la plus-part en papier et en esperances, dont l’attente nous a causé plus de mal que la venue ne nous a faict de bien ? Ses doublons et ses hommes ne sont venuz, sinon aprés avoir longtemps tiré la langue, et que n’en pouvions plus, combien qu’il eust peu nous secourir beaucoup plus tost. Il ne nous engraisse pas pour nous vendre, comme les bouchers font leurs pourceaux ; mais de peur que nous ne mourions trop tost, nous voulant reserver à plus grande ruine, il prolonge nostre languissante vie d’un peu de panade, qu’il nous donne à leche-doigt, comme les geoliers nourrissent les criminels, pour les reserver à l’execution du supplice. Que sont devenus tant de millions de doublons qu’il se vante avoir despensez [146] pour sauver nostre Estat ? Nous n’en voyons point parmy le peuple : la plus-part sont entre les mains de nos adversaires, ou entre les vostres, Messieurs les Princes, gouverneurs, capitaines et predicateurs, qui les tenez bien enfermez en vos coffres. Il n’a resté au peuple que des doubles rouges [147], auxquels nous avons employez toutes nos chaudieres, chaudrons, coquemarts, poisles, chenets et cuvettes ; et y employerons nostre artillerie et nos cloches si nostre necessité dure encore peu de temps. Les doublons et les quadruples de fin or du Perou sont esvanouis, et ne se voient plus. C’est sur quoy un poëte de nostre temps a faict un quatrain fort gentil :

Par toy, superbe Espagne, et l’or de tes doublons,
Toute la pauvre France, insensez, nous troublons :
Et de tous tes doublons qui causent tant de troubles,
Il ne nous reste rien à la fin que des doubles.

Sur ce mesme sujet, un autre honneste homme n’a pas mal rencontré, quand il a dict :

Les François, simples paravant,
Sont par doublons devenuz doubles ;
Et les doublons tournez en vent,
Ou bien en cuivre et rouges doubles.

De nous persuader meshuy que ce qu’en faict ce bon Prince n’est que pour la conservation de la Religion Catholique, et rien plus, cela ne se peut. Nous sçavons trop quelle est son intention, par ses agents et par ses memoires ; nous sçavons comment il a vescu et traité cy-devant avec les Huguenots des Pays-Bas[148]. Les articles de leurs accords sont imprimez et publiez de son auctorité, par lesquels il leur permet l’exercice de leur religion ; et, s’il ne tenoit qu’à cela, il y a long-temps qu’il en a offert autant au Duc Maurice et à Messieurs les Estats pour avoir la paix avec eux. Il ne voudroit pas faire pis que son pere, que nous avons apris avoir accordé aux Protestants d’Allemagne et aux Luthériens ce qu’ils ont voulu, pourveu qu’ils le reconneussent pour Prince et lui payassent ses droicts. S’il ayme tant la Religion Catholique, et haist ceux qui n’en sont point, comment peut-il endurer les Juifs et les Marranes[149] en ses pays ? Comment se peut-il accorder avec les Turcs et les Mahumetans d’Afrique, desquels il achepte la paix bien cherement ? Il ne faut plus que ses espions, les Jesuites Scopetins[150], nous viennent vendre ces coquilles de Saint-Jacques : le jeu est trop descouvert. Le duc de Feria a fait veoir ses memoires par degrez et piece à piece, comme s’il avoit apporté d’Afrique, fertile en poisons et venins, par le commandement de son maistre, une boite pleine de diverses drogues de diverses qualitez : l’une qui tue tost, l’autre qui tue tard, l’autre plus prompte en esté, l’autre qui faict mieux son operation en hyver, pour s’en servir à nostre endroit selon les occasions et occurences, ayant charge de nous en donner d’une s’il nous trouve disposez en telle humeur, et d’une autre s’il nous trouve autrement.

Devant que nous eussions faict entendre que voulions entretenir la loi Salique[151], loy qui depuis huict cens ans a maintenu le Royaume de France en sa force et virilité, on nous parloit des rares vertus de ceste divine Infante, pour la faire eslire heritiere de la Couronne[152]. Quand ils ont veu qu’on vouloit garder l’ancienne coustume des masles, on nous a offert de la donner à un Prince qu’eslirions Roy ; et la dessuz les brigues estoient pour l’archiduc Arnest, à qui elle est destinée femme[153]. Puis, quand ils se sont apperceus que cest Arnest n’estoit point harnois qui nous fust duisant, ils ont parlé d’un Prince de France à qui on marieroit l’Infante, et les feroit-on Roys de France in solidum. Et pour tout cela se sont trouvez memoires et mandats à propos, signez de la main propre de : Yo el Re[154]. A quoy Monsieur le Légat servoit de couratier[155], pour faire valoir la marchandise, car il n’est icy venu à autre fin, comme n’estant Cardinal que par la faveur du Roy d’Espagne[156], avec protestation de ruiner la France ou la faire tomber en pieces entre les mains de ceux qui l’ont faict ce qu’il est ; et sçavons qu’il a un bref special pour assister à l’election d’un Roy de France 4. Ha ! Monsieur le Legat, vous estes descouvert, le voile est levé ! Il n’y a plus de charmes qui nous empeschent de veoir clair ; nostre necessité nous a osté la taye des yeux, comme vostre am archiduc ; proposition repoussée par les Etats qui déclarèrent que le peuple n’admettrait pas pour souverain un prince étranger ; les Espagnols lui choisirent alors pour époux le jeune duc de Guise.


4. Il paraît établi que le cardinal de Plaisance avait pouvoir du Pape Clément VIII pour procéder à l’élection d’un roi de France. bition la met aux vostres : vous voyez assez clair en nostre ruine, mais vous ne voyez goute en vostre devoir de Pasteur de l’Eglise. Vous venez icy pour tirer la laine d’un troupeau et pour luy oster ses gras pastis et ses herbages. Vostre interest particulier vous aveugle : trouvez bon que nous regardions au nostre. L’interest de vos maistres, qui vous mettent en besongne, comme un journalier à la tasche de la demolition d’une maison, est de s’agrandir de nos pieces et tenir en repos leurs Seigneuries : le nostre est de nous mettre à couvert et d’accorder nos differents, en ostant les folles vanitez que nous avez mises en la teste, et faisant la paix. Nous voulons sortir, à quelque prix que ce soit, de ce mortel labyrinthe[157]. Il n’y a ni paradiz bien tapissez et dorez[158], ni processions, ni confrairies, ni quarantaines, ni predications ordinaires ou extraordinaires, qui nous donnent rien à manger. Les pardons, stations, indulgences, brefs et bulles de Rome, sont toutes viandes creuses qui ne rassasient que les cerveaux eventez. Il n’y a ny rodomontade d’Espagne, ni bravacherie Napolitaine, ni mutinerie Walonne, ni fort d’Anthonio[159], ni du Temple, ou citadelle, dont on nous menace, qui nous puisse empescher de desirer et demander la paix. Nous n’aurons plus peur que nos femmes et nos filles soient violées ou desbauchées par les gens de guerre, et celles que la nécessité a destournées de l’honneur se remettront au droit chemin. Nous n’aurons plus ces sangsues d’exacteurs et maletostiers ; on ostera ces lourds imposts qu’on a inventé à l’Hostel-de-Ville sur les meubles et marchandises libres, et sur les vivres qui entrent aux. bonnes villes, où il se commet mil abuz et concussions, dont le proffit ne revient pas au public, mais à ceux qui manient les deniers et s’en donnent par les joues. Nous n’aurons plus ces chenilles, qui sucent et rongent les belles fleurs des jardins de la France, et s’en paignent de diverses couleurs, et deviennent, en un moment, de petits vernis[160] rampants contre terre, grands papillons volants, painturez d’or et d’azur. On retranchera le nombre effrené des financiers, qui font leur propre des tailles du peuple, s’accommodent du plus net et plus clair denier, et du reste taillent et cousent à leur volonté, pour en distribuer seulement à ceux de qui ils esperent recevoir une pareille, et inventent mille termes elegants pour remonstrer la necessité des affaires et pour refuser de faire courtoisie à un homme d’honneur. Nous n’aurons plus tant de gouverneurs qui font les Roitelets, et se vantent d’estre assez riches quand ils ont une toise de riviere à leur commandement. Nous serons exempts de leurs tyrannies et exactions, et ne serons plus subjets aux gardes et sentinelles[161], où nous perdons la moitié de nostre temps, consommons nostre meilleur aage, et acquerons des catarres et maladies qui ruinent nostre santé. Nous aurons un Roy qui donnera ordre à tout, et retiendra tous ces tyranneaux en crainte et en devoir, qui chastiera les violents, punira les refractaires, exterminera les voleurs et pillards, retranchera les aisles aux ambitieux, fera rendre gorge à ces esponges et larrons des deniers publics, fera contenir un chacun aux limites de sa charge, et conservera tout le monde en repos et tranquillité. 

Enfin, nous voulons ung Roy pour avoir la paix ; mais nous ne voulons pas faire comme les grenouilles, qui, s’ennuyants de leur Roy paisible, es-leurent la cigogne qui les devora toutes. Nous demandons ung Roy et chef naturel, non artificiel ; ung Roy desja faict, et non à faire ; et n’en voulons point prendre le conseil des Espagnols, nos ennemis inveterez, qui veulent estre nos tuteurs par force, et nous apprendre à croire en Dieu et en la foy Chrestienne, en laquelle ils ne sont baptisez, et ne la connoissent que depuis trois jours. Nous ne voulons pour conseillers et medecins ceux de Lorraine, qui de long-temps béent aprés nostre mort ; le Roy que nous demandons est desja faict par la nature, né au vray parterre des fleurs de lis de France, jetton droit et verdoyant du tige de Sainct Loys. Ceux qui parlent d’en faire un autre se trompent, et ne sçauroient en venir à bout. On peut faire des sceptres et des couronnes, mais non pas des Roys pour les porter ; on peut faire une maison, mais non pas un arbre ou un rameau verd : il faut que la nature le produise, par espace de temps, du suc et de la moelle de la terre qui entretient la tige en sa seve et vigueur. On peut faire une jambe de bois, ung bras de fer et ung nez d’argent, mais non pas une teste. Aussy pouvons-nous faire des Mareschaux à la douzaine, des Pairs, des Admiraux, et des Secretaires et Conseillers d’Estat, mais de Roy, point : il faut que celuy seul naisse de luy-mesme, pour avoir vie et valeur. Le borgne Boucher, pedant des plus meschants et scelerez, vous confessera que son œil, esmaillé d’or d’Espagne, ne veoit rien[162] ; aussy un Roy electif et artificiel ne nous sçauroit jamais veoir, et seroit non seulement aveugle en nos affaires, mais sourd, insensible et immobile en nos plaintes.

C’est pourquoy nous ne voulons ouir parler ni d’Infante d’Espagne, que nous laissons à son pere[163] ; ni d’Archiduc Arnest, que nous recommandons aux Turcs et au duc Maurice ; ni du Duc de Lorraine ou de son fils aisné, que nous lairrons manier au Duc de Bouillon et à ceux de Strasbourg[164] ; ni au Duc de Savoye[165], que nous abandonnons au sieur d’Ediguieres, qui ne luy ayde guieres[166] : celuy-là se doit contenter de nous avoir soubstrait le Marquisat de Saluces par fraude et trahison, en danger de le rendre bientost au double, si nous avons un peu de temps pour prendre haleine. Cependant il aura ce plaisir de se dire Roy de Chypre, et tirer son antiquité de Saxe ; mais la France n’est pas un morceau pour sa bouche, quelque bipedale qu’elle soit, non plus que Geneve, Genes, Final, Monaco, et les Figons[167] qui luy ont tousjours faict la figue. Au demourant, il fera bonne bosse[168] avec la dedaigneuse altesse de son Infante[169], qui servira plus à le ruiner de despense et de faste somptueux qu’à l’agrandir. Quant au Duc de Nemours, pour qui le baron de Teneçay a des memoires par lesquels il le veut rendre preferable au Duc de Guyse, nous luy conseillons, pour le bien qu’il nous a faict de nous avoir aguerris, faicts vaillants à bonnes enseignes, s’il est bien là, qu’il s’y tienne, et se garde de la beste[170]. Je ne diray rien du Duc de Guyse : Monsieur le Lieutenant parlera pour luy et le recommandera à sa sœur[171]. Tant y a que tous ces brigands, ou brigueurs de la Royauté, ne sont ni propres, ni suffisants, ni à nostre goust pour nous commander ; aussy que nous voulons observer nos loix et coustumes anciennes. Nous ne voulons point en tout de Roy electif, ni par sort, comme les zelateurs de Jérusalem qui eleurent pour sacrificateur un villageois nommé Phanias, contre les bonnes mœurs et contre l’ancienne loy de Judée. En ung mot, nous voulons que Monsieur le Lieutenant sçache que nous recongnoissons pour nostre vray Roy legitime, naturel, et souverain seigneur, Henry de Bourbon, cy-devant Roy de Navarre. C’est luy seul, par mille bonnes raisons, que nous recongnoissons estre capable de soubstenir l’Estat de France et la grandeur de la réputation des François ; luy seul qui peut nous relever de nostre cheute, qui peut remettre la Couronne en sa première splendeur et nous donner la paix. C’est luy seul, et non autre, qui peut, comme un Hercules naturel, né en Gaule, deffaire ces monstres hideux, qui rendent toute la France horrible et espouvantable à ses propres enfants ; c’est luy seul, et non autre, qui exterminera ces petits demy-Roys de Bretaigne, de Languedoc, de Provence, de Lyonnois, de Bourgongne et de Champagne[172] ; qui dissipera ces Ducs de Normandie, de Berry et Solongne, de Reims et de Soissons : tous ces fantosmes s’esvanouiront au lustre de sa présence, quand il se sera sis au throsne de ses majeurs[173], en son lict de justice qui l’attend en son Palais Royal. Vous n’avez rien, Messieurs, vous n’avez rien à présent, Monsieur le Lieutenant, que lui puissiez objecter. Le pretexte de l’oncle au nepveu vous est osté par la mort de Monsieur le Cardinal, son oncle. Je ne veux parler de luy, ni par flaterie, ni en mesdisance : l’un sent l’esclave, l’autre tient du seditieux ; mais je puis dire avec verité, comme vous-mesmes, et tous ceux qui hantent le monde ne nieront pas, que, de tous les Princes que la France nous monstre marquez à la Fleur de Lyz et qui touchent à la Couronne, voire de ceux qui desirent en approcher, il n’y en a point qui merite tant que luy, ni qui ayt tant de vertus royales, ni tant d’avantages sur le commun des hommes. Je ne veux pas dire les defauts des autres, mais s’ils estoient tous proposez sur le tableau de l’election, il se trouveroit de beaucoup le plus capable et le plus digne d’estre esleu. Une chose luy manque, que je diroy bien à l’oreille de quelqu’un, si je vouloy : je ne veux pas dire la religion differente de la nostre, que luy reprochez tant, car nous sçavons de bonne part que Dieu luy a touché le cœur, et veut estre enseigné, et desja s’accommode à l’instruction ; mesme a fait porter parole au Sainct Pere de sa prochaine conversion ; de quoy je fay estat comme si je l’avois desja veue, tant il s’est monstre tousjours respectueux en ses promesses, et religieux gardien de ses paroles. Mais, quand ainsy seroit qu’il persisterait en son opinion, pour cela le faudroit-il priver de son droit legitime de succession à la Couronne ? Quelles loix, quels chapitres, quel Evangile nous enseigne de deposseder les hommes de leurs biens, et les Roys de leurs Royaumes, pour la diversité de religion ? L’excommunication ne s’estend que sur les ames, et non sur les corps et les fortunes. Innocent troisiesme exaltant le plus superbement[174] qu’il peut sa puissance papale, dit que, comme Dieu a faict deux grands luminaires au ciel sçavoir est le soleil pour le jour, et la lune pour la nuict, ainsy en a-t-il faict deux en l’Église, l’un pour les ames, qui est le Pape, qu’il accompare au soleil, et l’autre pour les corps, qui est le Roy. Ce sont les corps qui jouissent des biens, et non pas les ames. L’excommunication donc ne les peut oster, car elle n’est qu’un médicament pour l’ame, pour la guerir et ramener en santé, et non pas pour la tuer. Elle n’est pas pour damner, mais pour faire peur de damnation. Aucuns disent qu’on n’en auroit point de peur, si on n’ostoit quelque commodité sensible de la vie, comme les biens et la conversation avec les hommes ; mais si cela avoit lieu, il faudroit, en excommuniant un yvrongne, luy deffendre le vin, et aux paillards leur oster leurs femmes, et aux ladres leur deffendre de se galer. Sainct-Paul aux Corinthiens[175] deffend de boire et manger avec les fornicateurs, mesdisants, yvrongnes, larrons ; mais il ne dict pas qu’il leur faille oster leurs biens, pour leur faire peur et les faire retirer de leurs vices. Je demanderoy volontiers, quand on auroit osté le Royaume et la Couronne à ung Roy, pour estre excommunié ou héretique, encore faudroit-il en eslire et en mettre ung autre en sa place, car il ne seroit pas raisonable que le peuple demourast sans Roy, comme vous autres messieurs y voulez dignement pourvoir. Mais, s’il advenoit, peu après, que ce Roy, excommunié et destitué de ses Estats, revinst à resipiscence, se convertist à la vraye foy et obtinst son absolution du mesme Pape, ou d’ung autre subsequent comme ils sont assez coustumiers de revoquer et deffaire ce que leur predecesseur a faict, comment est-ce que ce pauvre Roy depouillé rentreroit en son Royaume ? Ceux qui en seroient saisis, et trienaux possesseurs à juste tiltre, s’en voudroient-ils demettre, et luy quitter les places fortes, et les tresors, et les armées ? Ce sont contes de vieilles : il n’y a ni raison, ni apparence de raison en tout cela. Il y a long-temps que l’axiome est arresté, que les papes n’ont aucun pouvoir de juger des royaumes temporels. Et y a long-temps que Sainct-Bernard a dict : Stetisse quidem judicandos Apostolos lego, sedisse judicantes nunquam lego : les Apostres ont souvent comparu tout debout devant les juges pour estre jugez, mais jamais ne se sont sis en chaire pour juger. Aussy sçavons-nous bien que beaucoup d’Empereurs Arriens, venants à l’Empire par sucession ou par adoption, n’ont pas esté rejettez ni repoussez de leurs peuples et subjects orthodoxes, ains ont été receus et admis en l’auctorïté Imperiale, sans tumulte ne sedition ; et les Chrestiens ont tousjours eu ceste maxime, comme une marque perpetuelle de leur religion, d’obeir aux Roys et Empereurs, tels qu’il plaisoit à Dieu leur donner, fussent-ils Arriens ou Payens ; se formans à l’exemple de Jesus-Christ, qui voulut obeir aux loix de l’Empereur Tibere, imitans Sainct-Paul et Sainct-Pierre, qui obeirent à Neron, et par exprez ont commandé en leurs Epistres d’obeir aux Roys et Princes, parce que toute puissance souveraine est de Dieu et represente l’image de Dieu. C’est bien loing de nos mutins, qui les chassent et les massacrent, et de vous, Monsieur le Légat, qui voulez en faire perdre la race. Vraiement, si nous n’avions plus du sang de ceste noble famille Royale, ou que nous fussions en un Royaume d’election, comme en Polongne ou en Hongrie, je ne dy pas qu’il n’y fallust entendre ; mais ayants de temps immemorial ceste louable loy qui est la premiere et la plus ancienne loy de nature, que le fils succede au pere, et les plus proches parents en degré de consanguinité à leurs plus proches de la mesme ligne et famille, et ayants un si brave et genereux Prince en ce degré, sans controverse ni dispute qu’il ne soit le vray, naturel et legitime heritier, et plus habile à succeder à la Couronne, il n’y a plus lieu d’election, et faut accepter avec joye et allegresse ce grand Roy que Dieu nous envoie, qui n’a que faire de nostre aide pour l’estre, et qui l’est desja sans nous, et le sera encore malgré nous, si nous l’en voulons empescher.

Or, me suis-je destourné de mon propos pour dire quelque chose sur ce qu’on luy objecte de la religion ; mais ce n’est pas ce que je vouloy dire qui luy manque, et qui retarde beaucoup l’avancement de ses affaires : aussi n’est-ce pas ce que les Predicateurs et pédicateurs[176] luy reprochent, de l’amour des femmes. Je m’assure que la plus-part de la Compagnie, et principalement Monsieur le Lieutenant, ne lui sçauroit faire ce reproche sans rougir[177]. Car, à la verité, ce n’est pas imperfection qui puisse empescher les actes de vertu ; mais, au contraire, jamais brave guerrier ne fut qui n’aymast les dames, et qui n’aymast acquerir de l’honneur pour se faire aymer d’elles. C’est pourquoy Platon souhaitoit avoir une armée toute composée de gens amoureux, qui seroient invincibles et feroient mille beaux exploicts d’armes pour plaire à leurs maistresses. Aussy les poetes, bons naturalistes et grands maistres en la science des mœurs, ont toujours faict le dieu Mars amy de Venus. Qu’on considere tous les grands capitaines et monarques du monde, il ne s’en trouvera guere de sobres en ce mestier : l’Empereur Titus, qui est proposé pour le plus vertueux, le plus sage et le plus doux Prince qui ait jamais porté sceptre, n’aimoit-il pas esperdument la Royne Berenice, sans que jamais toutesfois ses amours luy fissent prejudice, ou apportassent retardement à ses affaires ? Il faut conceder aux Princes quelques relasches et recreation d’esprit, aprés qu’ils ont tra vaillé aux affaires serieuses qui importent nostre repos, et aprés qu’ils se sont lassez aux grandes actions des sieges, des batailles, des castrametations[178] et logis de leurs armées. Il n’est possible que l’âme soit tousjours tendue en ces graves et pesantes administrations, sans quelque rafraischissement et diversion à autres pensées plus agréables et plus douces ; c’est pourquoy le Sage mesme a dit : Bonum est pauxillum amare sanè ; insanè non est bonum.

Aymer ung peu sagement, n’est que bien ; Mais trop aymer follement, ne vaut rien.

Il ne fut jamais que les peuples ne fissent d’iniques jugements des actions des Princes, et ne se meslassent tousjours d’interpréter sinistrement leurs mœurs et complexions, ne se souvenants pas qu’il n’y a ung seul de ceux qui en jugent qui ne fasse pis, et qui n’ait beaucoup de plus grandes imperfections. Les Roys, pour estre Roys, ne laissent pas d’estre hommes, sujets aux mesmes passions que leurs subjects : mais il faut confesser que cestuy-cy en a moins de vicieuses qu’aucun de ceux qui ont passé devant luy ; et, s’il a quelque inclination à aymer les choses belles, il n’ayme que les parfaites et les excellentes, comme il est excellent en jugement et à congnoistre le prix et la valeur de toutes choses. Encore ce petit destour, ou passe-temps de plaisir, luy est comme un exercice de vertu, dont il use le plus souvent, au lieu de la chasse et de la venerie, sans laisser, parmy ses esbats, de reconnoistre les advenues de son armée, de remarquer l’assiette des villes et places où il passe, la nature des personnes qu’il rencontre, des lieux et contrées qu’il traverse, et curieusement apprend les passages et guez des riviéres, et retient les distances des villes et bourgades ; marque en quels endroits il seroit commode de camper son armée, quand elle y passeroit, et tousjours s’enquiert et apprend quelque chose du faict de ses ennemis, n’ayant jamais entrepris de tels voyages qu’il n’ait eu en main une ou deux entreprises sur quelques places rebelles. Mais il auroit beau estre continent, sage, tempéré, morne et grave, et retiré, vous y trouveriez tousjours que redire. Quand on s’est mis une fois à haïr un homme, on interprete en mauvais sens tout ce qu’il faict. Il auroit beau s’abstenir de tous plaisirs, et ne faire que prier Dieu et donner l’ausmone, vous diriez que ce seroit feinte ou hypocrisie. S’il est permis de juger ainsy des actions d’autruy, contre la deffense expresse que Dieu en a faict, pourquoy ne me sera il permis de croire que tous ces Marranes[179], qui font tant de signes de croix, et se frappent la poitrine avec tant d’esclat à la messe, sont neantmoins Juifs et Mahumetants, quelque bonne mine qu’ils fassent ? Pourquoy ne diray-je que Monsieur de Lion est Lutherien, comme il a esté autrefois, encore qu’il fasse sa prunelle toute blanche en la tournant aux voultes de l’Eglise, quand il adore, ou feint d’adorer le Crucifix[180] ?

Mais ce n’est pas d’à ceste heure qu’on parle ainsy des Roys, et y a un vieil proverbe qui dict que Jupiter mesme quand il pleut, ne plaist pas à tous les mortels : les uns veulent de la pluye pour leurs choux, et les autres la craignent pour leurs moissons. Or, ce que j’ay differé à dire, qui me semble lui manquer, et ce dequoy vous et moy luy sommes plus tenuz, c’est qu’il nous traitte trop doucement et nous choye trop. La clemence, en laquelle il est superlatif et excessif, est une vertu fort louable et qui porte en fin de grands fruicts et de longue du rée, encor qu’ils soient longs et tardifs à venir. Mais il n’appartient qu’aux victorieux d’en user, et à ceux qui n’ont plus personne qui leur resiste. Aucuns l’attribuent à couardise et timidité plutost qu’à vaillance et generosité ; car il semble que ceux qui épargnent leurs ennemis desirent qu’on leur en fasse autant, et demandent revanche de leur gratieuseté, ou craignent crue, s’ils se monstrent sevères, ils ne puissent avoir raison de leurs autres ennemis qui restent à dompter. Aucuns l’appellent imbecillité de cœur tout à faict, estimants que celuy qui n’ose user de son droict n’est pas encore asseuré de vaincre et craint aucunement d’estre vaincu. Mais les Philosophes qui ont traitté de ceste matiere à plain fond, n’ont pas attribué à vertu, quand ceux qui, entreprenants de troubler un Estat, se sont montrez gracieux et courtois du commencement de leurs executions ; comme la douceur dont usoit Cesar envers les citoyens et gens-d’armes romains, devant qu’il fust victorieux, n’estoit pas clemence, ains flatterie fit courtoisie ambitieuse, par laquelle il vouloit se rendre. agreable au peuple et attirer un chascun à son party. Et c’est ce que dict ce grand maistre d’Estat : Imperium occupantibus utilis est clementiae fama ; à ceux qui envahissent un Royaume contre droict, comme à vous, Monsieur le Lieutenant, la reputation d’estre doux et gracieux ne sert de beaucoup. Mais ce fut clemence quand, aprés avoir vaincu Pompée et deffaict tout ce qui luy pouvoit resister, il vint à Rome sans triomphe et pardonna à tous ses capitaux ennemis, les remettant tous en leurs biens honneurs et dignitez. Dequoy toutefois trés mal luy prit, car ceux à qui il avoit pardonné, et faict plus de gracieuseté, furent ceux qui le trahirent et massacrerent miserablement. Il y a donc difference entre clemence et douceur : la douceur tombe ordinairement aux femmes et aux hommes de petit courage ; mais la clemence n’est qu’en celuy qui est maistre absolu, et qui faict du bien quand il peut faire tout mal. Concluons donq que nostre Roy devoit reserver à user de sa clemence quand il nous auroit tous en sa puissance. C’est inclemence, voire cruauté, dit Ciceron, de pardonner à ceux qui meritent mourir, et jamais les guerres civiles ne prendront fin si nous voulons continuer à estre gracieux où la severité de justice est necessaire. La malice des rebelles s’opiniastre et s’endurcit par la douceur dont on use envers eux, parce qu’ils pensent qu’on n’ose les irriter ni les mettre à pis faire. Je ne fay doute, s’il eust chastié chaudement tous ceux qui sont tombez entre ses mains depuis ces troubles, que ne fussions à present tous soubs son obeissance. Mais puisqu’il a pleu à Dieu luy former le naturel ainsy doux, gracieux et bening, espérons encore mieux de luy quand il nous verra prosternez à ses pieds, luy offrir nos vies et nos biens et luy demander pardon de nos fautes passées, veu que, nous prenants armez pour luy resister et pour l’assaillir, il nous reçoit à mercy et nous laisse la vie et tout ce que luy demandons.

Allons, allons donq, mes amis, tous d’une voix luy demander la paix ! Il n’y a paix si inique qui ne vaille mieux qu’une tres-juste guerre. 0 quam speciosi pedes nuntiantium pacem, nuntiantium bona et salutem ! dit Isaye[181] : 0 que ceux ont les pieds beaux, qui portent la paix et annoncent le salut et sauvetè du peuple ! Que tardons-nous à chasser ces fascheux hostes, maupiteux bourgeois, insolents animaux qui devorent notre substance et nos biens, comme sauterelles ? Ne sommes-nous point las de fournir à la luxure et aux voluptez de ces harpies ? Allons, Monsieur le Légat, retournez à Rome et emmenez avec vous vostre porteur de rogatons, le Cardinal de Pelvé : nous avons plus de besoin de pains benists que de grains benists. Allons, Messieurs les agents et Ambassadeurs d’Espagne, nous sommes las de vous servir de gladiateurs à outrance et nous entretuer pour vous donner du plaisir. Allons, Messieurs de Lorraine, avec vostre hardelle[182]de princes, nous vous tenons pour fantosmes de protection, sangsues du sang des Princes de France, hapelourdes[183], fustes evantées[184]reliques de saincts[185], qui n’avez ne force ne vertu. Et que Monsieur le Lieutenant ne pense pas nous empescher ou retarder par ses menaces ! Nous luy disons haut et clair, et à vous tous ; Messieurs ses cousins et alliez, que nous sommes François, et allons avec les François exposer nostre vie et ce qui nous reste de bien pour assister nostre Roy, nostre bon Roy, nostre vray Roy, qui vous rangera aussy bientost à la mesme reconnoissance par force, ou par un bon conseil que Dieu vous inspirera, si en estes dignes.

Je sçay bien qu’au partir d’icy vous m’envoierez un billet[186], ou peut-estre m’envoierez à la Bastille, ou me ferez asssasiner, comme avez faict Sacremore[187], Sainct-Maigrin[188], et plusieurs autres. Mais je tiendray à partie de grâce, si me faictes promptement mourir plutost que me laisser languir plus long temps en ces angoisseuses miseres ; et, avant que mourir, je conclueray ma trop longue harangue par un epilogue poetique, que je vous adresse tel que je l’ay de long temps composé :

Messieurs les Princes Lorrains, Vous êtes foibles de reins, Pour la Couronne debatre : Vous vous faictes tousjours battre4.

Vous estes vaillants et forts. Mais vains sont tous voz efforts : Nulle force ne s’esgale A la puissance Royale.

•1. Allusion au billet par lequel le duc de Mayenne invita d’Aubray, en 1594, à quitter Paris où son franc parler déplaisait aux Ligueurs, et à se retirer dans ses terres. Aussi n’est-ce pas raison Qu’aux enfants de la maison Les serviteurs menent guerre, Pour les chasser de leur terre.

Grande folie entreprend Qui à son Maistre se prend : Dieu encontre les rebelles Soubstient des Roys les querelles.

Quittez donc au Navarrois La Couronne de noz Roys, A tort par vous prétendue : Aussi bien. l’a-vous fondue.

Si quelque droit y aviez, Fondre vous ne la deviez, Ou bien il faut qu’on vous donne Tiltre de Roys sans Couronne.

Noz Roys du Ciel ordonnez, Naissent tousjours couronnez : Le vray François ne se range A Roy ni à Prince estrange.

Tous vilains, ou la plus-part, Vous ont faict leur chef de part : Ce qui vous suit de Noblesse Est de ceux qui le bast blesse.

Mais le vray Roy des François, Pour sa garde d’Escossois, N’est assisté que de Princes Et de Barons des Provinces.

Allons doncques, mes amis, Allons tous à Sainct-Denis Devotement recognoistre Ce grand Roy pour nostre maistre. Allons tous, dru et espais, Pour luy demander la paix : Nous irons jusqu’à sa table, Tant il est Prince accostable.

Tous les Princes de Bourbon Ont toujours cela de bon, D’estre doux et debonnaires Et courageux aux affaires ;

Mais vous, Princes estrangers, Qui nous mettez aux dangers Et nous paissez de fumée, Tenants la guerre allumée,

Retournez en voz pays : Trop au nostre estes haïs ; Et comptez de Charlemagne Aux lisières d’Allemagne.

Prouvez-y par voz Romans, Que venez des Carlomans[189] : Les bonnes gens aprés boire, Quelque chose en pourront croire.

J’ay dit.

Ceste harangue achevée, qui fut ouye avec un grand silence et attention, beaucoup de gens demeu rerent bien camuz et estonnez, et ne fut, de longtemps aprés, toussy ne craché, ni faict aucun bruit, comme si les auditeurs eussent esté frappez d’un coup du Ciel ou assoupis en un profond endormissement d’esprit, jusques à ce qu’un Espagnol, des Mutinadosl, se leva le premier et dict tout haut : Todos los mattaremos, stos vellachos [190].

Ce disant, partit de sa place, sans faire aucune reverence à personne. Là dessus, chascun se voulut lever pour s’en aller. Mais l’Admirai de Villars, moderne Roy d’Yvetot. [191], supplia les Estats, au nom des Cantons Catholiques et des Ligues des Catillonnois, Lipans, Gaultiers[192], et autres communautez zelées, de ne faire point la paix avec les Heretiques, qu’il ne demeurast du Ponent[193] et du Levant, et ne fust payé de ses frais, avec retention de ses benefices[194] ; aussy

</ref>Tuons tous ces marauds. de ne point eslire de Roy qui ne fust bon compagnon et amy des Cantons. Puis se leverent Ribaut et Roland[195], qui supplierent l’Assemblée de casser et abroger la loy De repetundis[196], pour ce que ceste loy n’estoit ni Catholique, ni fondamentale[197].

Ce faict, chascun se leva avec une merveilleuse taciturnité, et, en sortant, le massier advertissoit à la porte de retourner au Conseil à deux heures de relevée. A quoy, moy qui parle, ne voulus faillir, pour le desir que j’avoy de veoir les choses rares et singulieres, et les ceremonies qui s’y feroient, afin d’en advertir mon Maistre et les Princes d’Italie, qui attendent avec beaucoup de desir quelle sera la procedure et l’issue de ces fameux Estats, tenus contre tout ordre et façon de faire accoustumée en France.

Je revins donq après disner, d’assez bonne heure au Louvre, et, me présentant pour entrer en la Salle haute comme j’avoy faict au matin, l’huissier me refusa parce qu’il vit que je n’estois marqué à L [198] et n’avoy point de mereau[199] comme j’en vy plusieurs qui entrerent beaucoup plus mal en poinct et plus deschirez que moy, dont je receu un peu de déplaisir. Car, entre autres j’y vy recevoir des bouchers, plus de trois ; des taverniers, potiers d’estain, sergents et escorcheurs que je connoissoy, qui devoient avoir voix en l’election. Toutesfois ma curiosité me fit passer mon desdaing, et pour sçavoir si les Princes et Princesses sans queue[200] entreroient en la mesme cerémonie qu’au matin, je voulus attendre leur venue ; et en attendant, me my à regarder des tableaux de plate painture[201] qui estoient estallez sur les degrez de l’escalier. Je ne sçay s’ils y avoient esté mis exprés pour parer le lieu, ou pour les vendre ; mais je puy dire que je pry un merveilleux plaisir à les contempler l’un aprés l’autre, car la main de l’ouvrier en estoit excellente, et la besongne fort nette et naifve, pleine d’enigmes de divers sens qui faisoient tendre tous les esprits à deviner dessus.

Le premier sur lequel je jectay l’œil estoit la figure d’un Géant ayant les deux pieds sur une roue mal graissée, dont les gences [202] estoient toutes tortues ; et au dessuz de sa teste, à un pied et demy ou environ, y avoit une couronne de fin or figuré, sans pierreries, parce que Monsieur de Nemours les avoit mangées, et auprés d’icelle un sceptre royal un peu rongé de souris, et une espée de Justice, rouillée par faute d’estre portée et mise en usage. A quoy ledict Geant tendoit les bras tant qu’il pouvoit, et se haussoit sur les pieds si advantageusement qu’il n’apuyoit sur la roue que du bout des arteils[203], neantmoins n’y pouvoit joindre, parce qu’il y avoit tout plein de villes et de bourgs, bons et gros, entre deux. Et à la main droite[204] y avoit un bras couronné qui, avec une houssine de fer luy donnoit sur les doigts. Soubs ceste roue paroissoit, comme dessoubs celle de Saincte Catherine, un monstre à trois testes feminines, qui avoient leurs noms escrits sortants de leur bouche :

AMBITION, REBELLION, FEINCTE RELIGION.
Je ne sçavoy de prime face que cela pouvoit signifier ; mais, ayant regardé de plus prés le visage dudit Géant, il me sembla qu’il ressembloit à celuy de Monsieur le Lieutenant, et avoit la teste et le ventre aussi gros que luy, avec tous les lineaments des yeux, du nez et de la barbe, lorsqu’il n’avoit point la pelade de Rouen[205] ; et au dessous estoient escrits ces quatre vers, qui me firent entendre tout le mystere :

GEANT, TU AS BEAU TE HAULSER
ET T’ESLEVER SUR CESTE ROUE,
SI DIEU NOUS VOULOIT EXAUCER,
AUX CORBEAUX TU FEROIS LA MOUE.

A la suite de ce tableau, y en avoit ung autre de non moindre artifice et plaisir[206], où estoit painct un petit homme, meslé de blanc et rouge[207], habillé à l’Espagnole, et neantmoins portant la chere[208] Françoise, qui avoit deux noms[209]. A son costé droit avoit une escritoire pendue[210] et au gauche une espée qui tenoit au bout, dont le pommeau estoit couronné d’un chapeau de fleurs, comme les pucelles qu’on enterre. Sa contenance estoit double, et son chapeau doublé, et sa gibeciere quadruplée[211], et dessus sa teste, du costé d’entre le soleil de midy et le couchant, pleuvoit une petite pluie d’or, qui luy faisoit trahir son Maistre ; et avoit en sa main une couronne de papier qu’il présentoit à une jeune dame[212], muette et bazanée, laquelle sembloit l’accepter in solidum avec ung beau petit mary de beurre fondu au soleil[213]. Je ne pouvoy comprendre que vouloit dire la figure, sinon par l’inscription que je vy au dessoubs en ces mots :

Vendidit hic auro patriam, dominumque potentem
Imposuit.

Et au dessus d’iceluy tableau y avoit cest autre vers :

Eheu ! ne tibi sit privata injuria tanti.

Qui me fit douter que c’estoit une des personnes de la Trinité, encore qu’il eust quitté le Sainct Esprit[214].

J’en vy ung autre, de l’autre costé de l’escalier, qui estoit plus grand et large que les premiers, et meslé de plusieurs diverses et plaisantes droleries, qui me fit tourner pour le veoir parce qu’au dessus estoit escrit : description de l’isle de ruach, augmentée de nouveau depuis le temps de rabelais [215]. Au milieu estoit une dame coiffée en veufve de plusieurs maris, morts et vivants[216], qui avoit entre deux selles le cul à terre ; et autour d’elle y avoit force gens d’Eglise, moines, Jacobins et Jesuistes, les uns luy apportants des pacquets scellez et bridez, et aux autres elle en donnoit de mesmes ; les autres, qui estoient habillez comme curez de grosses paroisses, avoient des soufflets d’orgues, dont ils souffloient au cul de plusieurs manants, qui se laissoient emporter au vent. D’autres se tenoient tout debout, la gueule bée et ouverte, et lesdits curez leur souffloient en la bouche, et les nourissoient de vent comme d’une viande celeste propre à guérir les gouteux, graveleurs et cacochimes. On voyoit, au dessoubs de ladite figure, comme une place publique representant les Haies ou la place Maubert de Paris, où au lieu de pain et viande on exposoit en vente des balons, couilles de beliers bien enflées, et grosses vessies de porceau, dont on trafiquoit au marché et se revendoient de main en main à bon compte [217]. Il y avoit aussi une autre viande en papier, dont on faisoit grand cas, et n’en avoit pas qui vouloit, que des revendeurs portoient par les rues, et les crioient : Nouvelles ! nouvelles ! comme on crie la mort aux rats et aux souris. Ladicte dame en fournissoit les contreporteurs[218], car elles luy sortoient de dessous sa cotte en abondance ; et y avoit du plaisir à veoir les diverses grimaces de ceux qui luy fouilloient soubs la queue pour en gouster. Le reste du paysage dudict tableau estoit des moulins-à-vent, tournants à vuide, et de girouettes en l’air, avec plusieurs coqs d’Eglise. Et aux quatre coings y avoit les quatre vents fendus en double[219], dont il sembloit que le Sud-Ouest fust le plus gros et souffloit le plus fort[220], et envoyoit les nues du costé du Nord-Nord-Est. Au dessoubs dudit tableau estoit escript ce petit quatrain :

ICY SONT LES TERRES NOUVELLES,
OU LA ROYNE SE PAIST DE VENT :
QUI VOUDRA SCAVOIR DES NOUVELLES
METTE LE NEZ SOUBZ SON DEVANT.

Pendant que je me ravissois en la contemplation de ce troisiesme tableau, et auparavant que j’eusse jetté la veue sur les autres qui suivoient, les Princes et Princesses susdites passerent, et fallut que je courusse aprés pour entrer à leur suitte. Mais, parce que la presse n’estoit pas grande, l’huissier qui m’avoit desja poussé me remarqua et repoussa plus rudement qu’à la première fois : qui me fit prendre resolution de me retirer, et laisser là les Estats bien cloz et fermez[221]. Cela fut la première Session, où j’entendis, sur le soir, qu’on avoit mis en deliberation de quel bois on se chauferoit le Karesme suyvant, et sur quel pied l’Union marcheroit [222]. J’ay aussy sceu depuis que le resultat du Conseil portoit qu’on feroit plusieurs Karesmes en l’an, avec frequentes indictions de jeusnes doubles, qui se tournoient en continue, comme les double-tierces. On y fit aussy des deffenses de vendre des œufs de couleur aprés Pasques, parce que les enfants s’en jouoient auparavant, qui estoit de mauvais exemple. On deffendit aussy les jeux de Bourgongne[223] et les quilles de M. Jean Rozeau[224]. Pareillement fut aux femmes enjoinct de porter de gros culs[225] et d’enger[226]. en toute seurté soubs iceux, sans craindre le babil des sages femmes. On mur mura aussi que les carosses seroient censurez, et les mulets bannis de Paris. Aussi fut advisé de convertir l’hostel de Bourgongne en un college de Jesuistes, qui avoient besoin de recreation pour la grande quantité de sang dont ils estoient boursouflez, et leur falloit un chirurgien pour les phlebotomizer[227]. Plusieurs autres sainctes et louables ordonnances furent faictes, d’entrée de jeu, dont on promit me donner la liste ; mais, sur toutes choses, on exaltoit le labeur de Monsieur de Lyon qui forgeoit une loy fondamentale, par laquelle seroit porté que quinconque, dedans Paris ou en ville bridée de l’Union, parleroit de paix de vingt ans, ou demanderoit le commerce libre et regretteroit le bon temps passé, seroit envoyé en exil à Soyssons, comme Heretique et Maheutre, ou payeroit à la bourse de l’Union certaine quantité des dales[228], pour l’entretenement des Docteurs. Quelques-uns mirent aussy en avant que, si le Roy de Navarre se faisoit Catholique, il falloit que Monsieur le Lieutenant se fist Huguenot, et que son feu frere l’avoit bien voulu estre si on l’y eust voulu recevoir. Quant à l’élection d’un Roy tout neuf, on dit qu’elle fut mise sur le bureau, mais que ce ne fut sans dispute, parce que les uns proposoient qu’il valoit mieux entrer en republique, comme les anciens Gaulois ; les autres demandoient la democratie anarchique, les autres l’oligarchie Athenienne ; aucuns parlerent d’un Dictateur perpetuel et de Consuls annaux. Qui fut cause que pour la diversité des opinions, on n’en put rien resoudre. Toutesfois il y a quelque apparence qu’ils parlerent d’avoir un Roy : car un nommé Trepelu, vigneron de Suresnes, soustint fort et ferme que le Roy estoit le vray astre et le vray soleil qui avoit depuis si long temps regy et esclairé la France et icelle nourrie, fomentée, substantée de sa chaleur ; et que si quelquefois le soleil, survenant aprés la gelée de la nuict, faisoit geler les vignes, il ne s’ensuivoit pas qu’il fallust cracher contre luy et ne s’en servir plus, ni pour cela laisser de boire chopine, quoyque le vin fust cher.

Voilà à peu prés ce que je pus apprendre et que je puis rapporter de ce qui se passa aux Estats de Paris, desquels toutesfois on s’attend qu’il sortira des éclats espouvantables : car on dict que Roys et Papes s’en mesleront, et que le Primat de Lyon ne dort ni jour ni nuict, pour esclorre un escript qui fera poser les armes à tout le monde et contraindre tous les Mal-heutres de s’enfuir en Angleterre ou par delà. Nous verrons en peu de temps que ce sera. Dieu est sur tout.

Reliqua autem sermonum, et universa quæ facta sunt, nonne hæc scripta sunt in libro sermonum dierum Regum Juda ?

Pendant lesdits Estats, il se fit quelques petits vers françois, qui couroient les rues, dont j’ay faict un recueil pour les faire veoir aux Italiens qui en sont curieux.

  1. Claude d’Aubray, secrétaire du roi. Prévôt des marchands en août 1578, était à Paris le chef des Politiques. Les ligueurs le craignaient autant qu’ils le haïssaient.
  2. La harangue de d’Aubray a été composée par le troyen Pierre Pithou. C’est un superbe morceau d’éloquence, noble et sérieuse, où les desseins des chefs de la Ligue sont dévoilés sans pitié.
  3. Le 12 mai 1593, dans un sermon prêché à Notre-Dame à l’occasion de l’anniversaire de la journée des Barricades, Boucher avait dit : « Que nous estions embourbés il y avoit longtemps, et qu’il estoit temps de se desbourber ; que ce n’estoit à tel boueux que la couronne de France appartenoit, mais à un de
  4. Allusion à Guillaume Caillet, chef de la Jacquerie en 1358.
  5. L'auteur fait allusion aux édits de Blois et de Châtelleraut, en février et mai 1589.
  6. Charles Boucher, frère de Jean Boucher, curé de Saint-Benoît, prédicateur de la Ligue, était alors Prévôt des marchands de Paris
  7. De spelunca, caverne.
  8. Ceinture garnie de plaques de métal, le plus souvent d’argent, et munie de pendants où les femmes suspendaient les petits objets à leur usage, aumônière, étui, ciseaux, etc.
  9. Cela eut lieu en effet pendant le siège de Paris, en août 1590.
  10. Invention de l’ambassadeur d’Espagne, don Bernardin de Mendoce. A son instigation, on fit en effet du pain avec les ossements du cimetière des Innocents, réduits en farine ; mais
  11. x États de la Ligue, le chancelier, les maréchaux, les présidents des cours souveraines légalement investis de leurs charges n’étaient pas présents.
  12. nnequins. On s’en servait dans les manèges pour aguerrir les chevaux.
  13. Un ordre d’arrestation.
  14. dit. a et Mésopotamie. »
  15. passage qui suit est inspiré par l’ Advis à Henri III, 1585, par François de Noailles, évêque d’Acqs.
  16. La paix de Cateau-Cambrésis, conclue en 1559.
  17. Philippe de Boulainvilliers et Odard de Rambures, frères utérins, prétendaient tous deux tenir de leur mère le comté de Dammartin. Le connétable de Montmorency acheta ce comté du premier des deux frères et le duc de Guise du second. Le Parlement n’admit pas la substitution des nouveaux acquéreurs aux prétendus ayant droit, et contraignit ceux-ci à faire valoir leurs prétentions.
  18. Tout le passage qui précède, depuis : où il ne fit pas grand
  19. François de Coligny, seigneur d’Andelot, frère de l’amiral de Châtillon, arrêté à Monceaux en Brie, et non à Crécy, par ordre de Henri II, à la suite de propos hérétiques tenus contre la messe.
  20. François de Vendôme, vidame de Chartres, prince de Chabannais, emprisonné à la Bastille le 27 août 1560.
  21. Entreprise dirigée par les huguenots contre les Guise,
  22. Les Guise, avertis des projets des huguenots, avaient emmené le roi de Blois à Amboise. Là, eurent lieu de nombreuses exécutions, par l’épée et la corde, des protestants conjurés.
  23. Expression proverbiale : c’est-à-dire qu’ils ne s’attendaient pas à ce qui arriva.
  24. A son piège.
  25. D’épouser Marie Stuart, veuve du roi François II.
  26. Il y avait, entre autres, quatre lettres adressées au prince de Condé, écrites et signées par la reine mère, où elle se plaignait que son fils et elle étaient prisonniers des Guise.
  27. Troupes nouvellement enrôlées.
  28. Il fit arrêter, en janvier 1565, le cardinal de Lorraine, le duc d’Aumale et le duc de Guise, rue Saint Denis, près des Innocents, parce que, malgré la défense du roi, ils se présentaient à la tête d’une troupe armée. Le cardinal eut tellement peur qu’il concilia ses chausses.
  29. pression populaire qui exprime la surprise de gens qui ne savent plus où ils en sont.
  30. cardinal de Lorraine était, en effet, au courant de ce qui se tramait contre les huguenots.
  31. Piège, ratière. Allusion à un mot de Charles IX parlant de sa sœur Marguerite.
  32. uise de Lorraine, fille de Nicolas de Lorraine, comte de Vaudemont. Elle épousa en 1575 Henri III, roi de France.
  33. éhaigne qualifiait autrefois la femelle qui n’engendre pas. Louise de Lorraine n’eut pas d’enfant.
  34. Ils dressèrent des mémoires pour la mission que remplit à Rome le cardinal de Pelvé dans l’intérêt de la Ligue.
  35. Variante des éditions postérieures : « l’archidiacre de Verdun et depuis encor celuy de Thoul ont escrit. » Cet archidiacre de Toul était François de Rozières qui écrivit un livre intitulé Stemmata Lotharingiae et Barri Ducum, où il prétendait établir les droits des ducs de Lorraine au trône de France. Ce livre fut lacéré publiquement le 26 avril 1585, et l’auteur, convaincu du crime de lèse-majesté, ne dut la vie qu’à l’influence de la reine Louise,
  36. Anne, duc de Joyeuse, favori de Henri III, portait ombrage aux Guise, qui lui firent donner un commandement dans l’armée du roi pour l’éloigner. Ce commandement tourna mal pour lui, car il fut tué à la bataille de Coutras, en 1587.
  37. D’après Sully, Henri IV aurait eu une fort mauvaise opinion du caractère du duc d’Anjou.
  38. On dit que le duc d’Anjou avait juré de venger sur les Guise la mort de son ami l’amiral de Coligny.
  39. Nicolas de Salcède, accusé d’une conjuration contre la vie du duc d’Alençon, et même du roi, accusa de complicité la maison de Lorraine. Mais il rétracta ses aveux au moment de mourir. Il fut écartelé en Grève, le 26 oct. 1582.
  40. En faisant des détours comme les connils ou lapins.
  41. Addition : « Et me souvient que feu M. le cardinal de Guise vostre frère, allant donner de l’eau béniste au corps de feu Monsieur frère du feu Roy, accompagné de feu M. le cardinal de Bourbon, ne se peut tenir de monstrer tant de réjouissance que chacun s’appercevoit de ses risées, et des mocqueries qu’il faisoit au corps et à la religion, et au bonhomme vivant, qu’il feignoit tant de vouloir servir et honorer ; et luy eschappa ce mot qui fut oüy de plusieurs : En ont-ils, maintenant ? Cette mort donc vous haussa le cœur, et vous fit mettre aux champs à bannières desployées. »
  42. De Rosne était maréchal de France pour la Ligue. 2. L’assemblée de Montauban, en septembre 1584 ; la Diète de Magdebourg, en Saxe, le 15 décembre 1584. 5. Variante : « en campagne. »
  43. Le premier agent que le duc de Guise employa pour former une ligue à Paris fut un nommé Charles Hotman, dit La Rocheblond.
  44. C’est eu 1585 que Le duc de Mayenne alla en Guyenne.
  45. riante : « testes. »
  46. once Finé et Thevet sont tous deux auteurs de cartes géographiques.
  47. L’héritière de la maison de Caumont était protestante. Elle avait douze ans lorsque le duc de Mayenne la fit enlever par force pour la l’aire épouser par un de ses fils ; ce qui n’eut pas lieu, du reste.
  48. est chez M. de la Vauguyon, son tuteur, qu’elle se trouvait lorsqu’elle fut enlevée.
  49. ef>colas Poulain, lieutenant de la Prévôté de l’Isle de France. Il est l’auteur d’un procès-verbal qui contient l’histoire de la Ligue depuis le 2 janvier 1585, jusqu’au 12 mai 1588. (Voir à la suite du journal de Henri III. )
  50. Anne de Joyeuse, envoyé à l’année à l’instigation du duo et tué à la bataille de Coutras.
  51. Variante : « Seine. »
  52. L’entrée du due Henri de Cuise à Paris, le 12 ' mai 1588, jour des Barricades.
  53. Ce pape, en apprenant cette action du due, s’écria : « 0 le grand fou ! de s’être ainsi livré témérairement entre les mains d’un prince irrité ! » Mais quand il sut que Henri III ne l’avait pas fait arrêter, il dit : « Que voilà un grand sot et un grand bénét de prince, qui ayant une si belle occasion d’arrêter un ennemi né pour être son fléau et sa ruine, ne l’a point fait ! »
  54. La reine mère et ses conseillers Villequier, d’O et de Villeroy.
  55. C’est par suite de cette résolution que le roi accorda la paix aux huguenots, à Poitiers, en septembre 1577.
  56. dit. « et diminuées. »
  57. C’est René de Villequier qui persuada au roi de donner ordre aux troupes de ne pas s’opposer aux bourgeois, et de rester dans leurs quartiers. Cette mesure intempestive laissa aux Parisiens le temps de se reconnaître, de s’organiser, et d’élever les barricades.
  58. L’entreprise dite des barricades eut lieu en effet plus tôt que l’on ne l’avait résolu, les ligueurs s’étant aperçus que leurs projets étaient connus.
  59. Ou mieux, comme la gaufre dans le gaufrier.
  60. Gouverneur de l’Arsenal.
  61. après de Thou, ce fut par lâcheté ou trahison que Laurent Testu, gouverneur de la Bastille, rendit cette forteresse au duc de Guise, deux jours après la journée des Barricades.
  62. gouverneur de Paris alors en charge était de Villequier.
  63. Aux États de Blois de 1588, un député du clergé avait qualifié la journée des Barricades « heureuse et sainte journée des Tabernacles. » Jusqu’à l’entrée de Henri IV dans Paris, les ligueurs solennisèrcnt l’anniversaire de cette journée.
  64. Voir : Extrait de lettres écrites par le duc de Guise, dans les Mémoires de la Ligue, t. II, p. 334,
  65. ef>duc de Guise eut grand soin de travailler les provinces, et d’y faire nommer ses créatures ou ses partisans députés pour les États de Blois de 1588. En Languedoc, ses principaux agents furent les moines feuillants.
  66. Les corps du duc Henri de Guise, et de son frère le Cardinal, massacrés pendant les États, par ordre de Henri III (25 et 24 déc. 1588), furent brûlés dans une salle basse du château de Blois.
  67. Il paraît certain que madame d’Aumale vint de Paris à Blois avertir le roi des projets des Guise et des membres de l’Union.
  68. Au massacre de ses frères.
  69. Où on l’eût fait périr comme eux. La coutume était, aux - noces, de porter des rubans à la couleur ou livrée du marié.
  70. phonse d’Ornano fut envoyé on poste à Lyon, où était le duc de Mayenne, pour s’emparer de sa personne par ordre du roi, avant qu’il n’apprit le meurtre de ses frères. Mais il fut prévenu, et se retira dans son gouvernement de Bourgogne.
  71. ienne de Nuilly, fut prévôt des marchands en 1582 et 1584.
  72. La Chapelle-Marteau, Etienne de Nuilly, Jean Compan et Roland furent arrêtés à Blois, après l’assassinat des Guise. Au lieu de les mettre à mort, comme d’Aubray semble dire qu’on
  73. S’ils eussent eu le mémo sort que les Guise. A l’Introït de la messe des morts on dit une oraison qui commence par : Fidelium, Deus. . . , etc.
  74. François d’Entragues, fait gouverneur do l’Orléanais à la suite du traité conclu en 1584, à Joinville, entre les Guise et l’Espagne, tenait le château d’Orléans pour la Ligue, dont il favorisa l’extension dans son gouvernement. Vers 1588 il embrassa le parti du roi ; mais les Orléanais ne voulurent pas le suivre, et après la mort du duc de Guise il dut se réfugier au château d’Orléans, où ils l’assiègèrent.
  75. Royssieux, trésorier de France à Orléans, fut plus tard secrétaire d’Etat pour la Ligue.
  76. rès l’assassinat du duc et du cardinal de Guise, le Parlement de Paris instruisit le procès du roi Henri III. Les pièces en furent recherchées et détruites depuis par Henri IV, et le chancelier chargea de cette recherche Pierre Pithou, l’auteur de la harangue de d’Aubray.
  77. rès la mort des Guise, les images et armoiries du roi furent brisées ou mutilées ; on ne le désignait que sous le nom de tyran ; la Sorbonne rendit, le 7 janvier 1589, un décret qui le déclarait déchu, et relevait ses sujets de leur serment de fidélité ; enfin le légat Morosini le proclamait excommunié ipso facto, et le Pape, Sixte V, prononçait l’excommunication.
  78. Jean Le Clerc, dit Bussy, autrefois procureur et alors gouverneur de la Bastille pour la Ligue, arrêta les membres du Parlement, en pleine audience, le 16 janvier 1589, et les emprisonna à la Bastille. (Journal de Henri III, par P. de l’Estoile. )
  79. Ceux des membres du Parlement qui avaient suivi volontairement leurs collègues arrêtés, furent relâchés le jour même ou les jours suivants. D’autres turent mis en liberté moyennant rançon.
  80. Dés le commencement des troubles les Jésuites instituèrent, dans leur maison de Paris, une congrégation de Notre-Dame, dite congrégation du Chapelet, parce que tous les membres en devaient porter un sur eux. Les Seize étaient affiliés à cette congrégation, ainsi que tous les principaux ligueurs.
  81. Pour faire sentinelle, ou pour être de garde aux portes de la ville, aux remparts et aux tranchées.
  82. e antienne commence par les mots : Da pacem, Domine. Seigneur, donne nous la paix. Par plaisanterie, l’auteur prétend qu’elle était suspecte depuis que le Parlement ligueur avait déclaré digne de mort quiconque parlerait de la paix.
  83. mmelet, jésuite ; Lincestre, curé de Saint-Gervais ; et Bouchcr, curé de Saint-Benoît. Tous trois prédicateurs ardents en faveur de la Ligue.
  84. Louchard et la Morlière, étaient membres du Conseil des Seize ; quant à La Rue, c’était un tailleur, grand ligueur.
  85. ef>s f rélus désignaient en Champagne ceux qu’à Paris on appelait les Politiques.
  86. C’est le jour de la Toussaint 1589 que Henri IV prit les faubourgs de Paris. Deux bourgeois qui avaient parlé favorablement du roi furent pendus par les ligueurs.
  87. L'anniversaire de la journée des Barricades, fête chômée solennellement par les ligueurs.
  88. Hamilton, curé de Saint-Cosme.
  89. Après l’emprisonnement du Parlement, en janvier 1589, il pilla les plus riches maisons de Paris, dont il dénonçait les maîtres comme royalistes.
  90. Bussy Le Clerc, qui emprisonna le Parlement à la Bastille.
  91. Quatre cent mille écus d’or, cachés dans sa maison, qui furent pris par les ligueurs.
  92. Michel de Sèvre, chevalier de Malte, et Grand Prieur de la
  93. Locution populaire cl proverbiale qui, par antiphrase et au figuré, signifie : avec peine et difficulté.
  94. Les troupes du duc d’Aumale, qui assiégeait Senlis, furent
  95. Prises par les troupes royales en 1589.
  96. L’attentat de Jacques Clément, ainsi qualifié par les prédicateurs de la Ligue.
  97. Ce mot se trouve dans l’édition princeps. Dans les suivantes, il a été remplacé, non sans raison, par volontez.
  98. agramme de frère Jacques Clément.
  99. ant de tuer Henri III, l’assassin eut une entrevue avec le duc de Mayenne et Lachapelle-Marteau, les uns disent aux Chartreux, les autres a Saint-Lazare.
  100. riante : « pour l’encourager. »
  101. prétend même que l’on promit à Jacques Clément le chapeau de cardinal. La duchesse de Montpensier, sœur du duc de Mayenne, s’abandonna à ce jeune moine ; quant au Prieur des Jacobins, Edme Bourgoing, il l’encouragea au meurtre, et lui fit en effet la promesse ci-dessus.
  102. s prisonniers étaient des otages qui devaient répondre de la vie de Jacques Clément. Mais l’assassin ayant été massacré à l’instant même du crime, les prisonniers, désormais inutiles, furent relâchés.
  103. Comme on dit : être dans de beaux draps.
  104. ’Six vingt pour six (ois vingt, c’est-à-dire cent vingt.
  105. historien latin, Tacite. Le fou duc Henri de Guise lisait beaucoup cet auteur, tandis qu’Henri III étudiait Machiavel.
  106. En apprenant la mort de Henri III, le duc de Mayenne fit
  107. puis la mort du duc et du cardinal de Guise. Mayenne et ses partisans portaient l’écharpe noire ; il la quittèrent à la mort de Henri III, et prirent la verte en signe de joie.
  108. rtains ligueurs proposèrent d’ériger une statue à
  109. On accusa l’amiral de Coligny d’avoir fait tuer, par Poltrot de Méré, le duc François de Guise.
  110. mourut en prison à Fontenay en Poitou, le 9 mai 1590.
  111. jeune duc de Guise, retenu à Amboise après l’assassinat de son père à Blois, s’en échappa, et devint, pour les ligueurs, un prétendant à la couronne.
  112. Le Béarnais, c’est-à-dire Henri IV.
  113. Le bruit avait couru à Paris qu’Henri IV était acculé en Normandie, et qu’il allait infailliblement être pris. Les chefs de la Ligue répandaient ce bruit à plaisir, et le peuple y ajoutait foi : « Même plusieurs de Paris et des plus simples, qui le croyaient ainsi, avaient arré des chambres et places pour le voir passer quand on l’amènerait lié et garotté, comme il en estoit bruit. » (Mémoires de P. de l’Estoile, sept. 1589. ) La victoire d’Arques fut une grande déception pour ces naïfs.
  114. . Christophe de Bassompierre, père du maréchal, qui depuis embrassa le parti du roi.
  115. Le Conseil des Quarante fut d’abord composé de quarante membres, comme son nom l’indique, puis il fut porté à cinquante-quatre. Il décerna au duc de Mayenne le titre de lieutenant général de l’Etat, le 27 mars 1589, et fut dissous par lui au mois de novembre suivant.
  116. Le cardinal de Bourbon, roi de la Ligue sous le nom de Charles X, était prisonnier à Fontenay-le-Comte. Dénué de tout, il fit parvenir au conseil do la Ligue une demande de secours qui fut rejetée ; il mourut misérablement dans sa prison, le 9 mai 1590.
  117. taille d’Ivry, 14 ' mars 1590.
  118. duc de Mayenne, en fuite après sa défaite d’Ivry, voulant se faire ouvrir les portes de Mantes, criait : Mes amis, sauvez-moi et mes gens ! Tout est perdu, mais le Biarnois est mort.
  119. D’autres éditions portent laqueter, ce qui est une faute. Naqueter signifie proprement claquer des dents, et veut dire ici s e morfondre. On trouve dans Noël du Fail ce passage : « Et pour le froid qu’il avait naquetant des dents. » (V. Propos rustiques et facétieux, c. x. )
  120. Pendant le siège de Paris les femmes vendirent leurs bijoux pour du pain, et plusieurs, tellement la misère était grande, se prostituèrent pour ne pas mourir de faim.
  121. Addition postérieure : « qu’on appelle maintenant bride-badaut ». Le fort de Gournay avait été élevé par Henri IV, dans l’île du même nom sur la Marne, en 1592. Odet de La Noue en était gouverneur.
  122. René Benoît, curé de Saint-Eustache, et Claude Morenne, curé de Saint-Méry, furent chassés de Paris par les ligueurs parce qu’ils prêchaient la soumission au roi.
  123. Lincestre, prêchant le mercredi des Cendres, tira de sa manche un chandelier représentant un satyre, volé dans le trésor de Henry III aux Capucins du bois de Vincennes, et dit que c’était l’image du diable que le tyran adorait.
  124. angile selon saint Jean, c. XIX, v. 7.
  125. arie le boiteux, dont la femme, Barbe Aurillot, mourut en odeur de sainteté, le 18 avril 1618, et est connue sous le nom de la bienheureuse Marie de l’Incarnation.
  126. Bastille Saint-Antoine,
  127. rte de cavesson dentelé.
  128. La guerre dite du Bien public, on 1465.
  129. Le traité de Troyes, conclu le 20 mai 1420, proclamait le roi d’Angleterre héritier de la couronne de Franco au détriment du Dauphin. Les commentateurs de la Satyre. Ménippée ont tous dit qu’il n’y avait pas eu d’Etats-Genéraux à Troyes à cette occasion. Il était cependant difficile d’admettre que le savant troyen, P. Pithou, eût ignoré à ce point l’histoire de sa ville. Il y eut en effet à Troyes, en avril 1420, une réunion chargée de préparer le traité, et qui avait tous les caractères d’une Assemblée d’Etats. Voici ce qu’en dit un historien champenois : « Ce traité aurait été débattu non-seulement par les parties intéressées, mais encore dans une assemblée, qui a tous les caractères de celles des États-Généraux, sauf le nombre ; car cette assemblée, tenue à Troyes, se composait de barons, de nobles, de prélats, de conseillers, procureurs et ambassa-
  130. Les duchesses de Nemours, de Mayenne, de Guise, de Montpensier, la comtesse d’Aumale et nombre de dames de qualité, assistaient à la séance d’ouverture des États-Généraux.
  131. Guillaume Rose, évêque de Senlis, Gilbert : Génébrard, archevêque d’Aix, Jean Coucher, curé de Saint-Benoît, Jacques Cueilly, curé de Saint-Germain, François Péricart, évêque d’Avranches, Jean Dadré, docteur en théologie, Georges Daradon, évêque de Vannes, le cardinal de Pellevé, Jérôme Hennequin, évêque de Soissons, Catherine de Bourbon, abbesse de Notre-Dame de Soissons, Pierre d’Epinac, archevêque de Lyon, Eléazar de Rastel, évêque de Riez, étaient députés aux Etats-Généraux de 1593
  132. uis de l’Hospital, sieur de Vitry, qui avait ouvert la ville de Meaux à Henri IV ; Claude de La Châtre, gouverneur de l’Orléanais et du Berry, qui se soumit au roi ; Charles de Cossé-Brissac, qui déjà se retirait de la Ligue ; etc.
  133. Les éditions postérieures remplacent ce mot par « racaille ».
  134. Les démons méridionaux désignent ici les Espagnols.
  135. Le duc de Feria, dom Diego d’Ibarra et Mendoze furent seulement admis le 2 avril 1593, à présenter aux États les propositions qu’ils avaient à faire de la part du roi d’Espagne.
  136. La première décision relative à la convocation des États-Généraux est du mois de décembre 1589. Le duc de Mayenne n’était pas pressé de les réunir, le but de l’assemblée étant de nommer un roi ; aussi après les dates de 1590 et 1591 successivement fixées, ne se décida-t-il à les convoquer pour l’année 1595 que sous la triple pression du Pape, du roi d’Espagne et des Seize.
  137. Porc, buffle, sot, entêté.
  138. C’est-à-dire de promesses trompeuses.
  139. Dans les lettres qui furent interceptées, le duc de Mayenne écrivait au roi d’Espagne qu’il n’avait tait des propositions de trève ou de paix à Henri IV, que pour l’amuser, et donner à sa Majesté Catholique le temps d’envoyer en France des secours pour la Ligue.
  140. D’Aubray fut expulsé de Paris à titre de politique ou royaliste, au commencement de l’année 1504. Mayenne lui avait écrit un billet où se trouvait celte phrase : « Vous conjurant que vous veuilliez vous accommoder à la prière que je vous fais pour quelque temps d’aller prendre du repos chez vous. » D’Aubray se retira dans sa terre de Brières-le-Château.
  141. En 1592, dans une conférence entre les Seize et les Politiques, dont d’Aubray était considéré comme le chef, il traita les Seize de gens sans aveu et diffamés.
  142. Le duc de Mayenne était lent et pesant, tandis qu’Henri IV était prompt et actif.
  143. Se rebiffer. Le verbe, prominal se rebequer qui implique l’idée d’arrogance, d’insolence, a, en Champagne, un substantif : rebéquat, qui désigne un enfant insoumis et irrespectueux.
  144. Le duc de Savoie.
  145. L’Infante Isabelle.
  146. Sous Charles IX il dépensa quatre millions pour ses intrigues en France, et six autres millions depuis 1585 jusqu’à 1593. Avant sa mort, il avouait à son fils que, depuis 1563, il avait dépensé en France et dans les Pays-Bas, la somme énorme de 594 millions de ducats.
  147. L'ambassadeur d’Espagne, Mendoze, avait fait frapper, pendant le siège de Paris, une grande quantité de demi-sols aux armes de son maître, qu’il jetait par poignées au peuple dans les rues, afin d’entretenir la popularité de Philippe II.
  148. Un édit de Don Juan d’Autriche, gouverneur des Pays-Bas, publié à Bruxelles le 17, et à Anvers le 27 février 1577, ratifiait un traité de 1576 fait entre les provinces de Hollande et de Zélande et les autres Etats des Pays-Bas, par lequel la religion nouvelle continuerait à être librement pratiquée dans les Pays-Bas.
  149. Maures.
  150. De scopetta, escopette, parce que les Jésuites de Trèves étaient soupçonnés d’avoir suscité l’assassin qui tua, en 1584, Guillaume de Nassau, prince d’Orange, d’un coup de pistolet.
  151. arrêt du Parlement, en date du 28 juin 1595, reconnaissait que la loi Salique régissait toujours en France l’ordre de la succession au trône, et déclarait qu’un prince français pouvait seul régner.
  152. Less Espagnols avaient fait des ouvertures tendant à faire reconnaître l’Infante Isabelle reine de France, par droit de succession, à défaut de descendants mâles de Henri II.
  153. nom de l’archiduc Ernest est écrit Arnest, suivant une prononciation vicieuse propre aux Parisiens. Les Espagnols en faisant leur Infante reine de France, voulaient la marier à cet
  154. Moi, le roi.
  155. Entremetteur, courtier. Ce mot a été employé jusqu’au XVIIIe siècle, où il a pris sa forme moderne courtier.
  156. L’évêque de Plaisance fut fait cardinal en 1591, à la recommandation du roi d’Espagne et du duc de Parme.
  157. dition : « Vous ne nous ferez pas précipiter du pinacle du temple. »
  158. posoirs pour les processions. Dans quelques provinces on appelle encore Paradis le Tombeau ou représentation du Sépulcre pendant la semaine Sainte.
  159. La Bastille Saint-Antoine, assimilée à la tour Antonia à Jérusalem.
  160. Variante : « S’en peignent de diverses couleurs, et en un moment, de petits vers rampants contre terre, deviennent grands papillons volans. »
  161. Les bourgeois de Paris, comme ceux des autres villes, fournissaient les hommes pour la garde des portes et des remparts. Pendant la Ligue, chacun des seize quartiers de Paris, devait mettre chaque jour douze cents hommes en armes.
  162. Boucher, curé de Saint-Benoît, était borgne. L’auteur de la Satyre laisse entendre que son bon œil ne voyait rien aux intérêts français à cause de l’or d’Espagne que Bouclier avait reçu ; et qu’un roi de France, choisi par les Espagnols, ne serait pas plus clairvoyant.
  163. Les médisants prétendaient que Philippe II aimait sa fille d’un amour qui n’avait rien de paternel.
  164. Charles, cardinal de Lorraine, fut élu en 1592 évêque de Strasbourg par les catholiques ; mais les protestants nommèrent un autre évêque. Le duc de Lorraine, père du cardinal, soutint les armes à la main les droits de son fils, et de là la guerre à laquelle la Satyre fait allusion.
  165. Charles-Emmanuel Ier, duc de Savoie, s’empara du marquisat de Saluces en 1588, et, profitant des troubles de nos guerres religieuses, essaya en 1590 de s’approprier le comté de Provence.
  166. Jeu de mot sur le nom de Lesdiguières (l’aide y guère).
  167. Surnom injurieux des habitants de Milan. Le peuple de cette ville ayant chassé la femme de l’empereur Fréderic Barberousse, après l’avoir placée sur une mule, le visage tourné vers la croupe de l’animal, l’empereur assiégea la ville. S’en étant rendu maître, il y lit un grand carnage des habitants ; puis enfin laissa la vie à ceux qui restaient, à condition qu’ils tireraient avec les dents et remettraient de même une figue enfoncée dans l’anus de la mule. Quand ils avaient réussi, ils devaient montrer la figue au bourreau en criant : voici la figue. L’expression faire la figue à quelqu’un a été conservé en Italie comme injure.
  168. Le duc de Savoie était contrefait ; c’est pour cela qu’il fera bonne bosse au lieu de faire le gros dos, c’est-à-dire se pavaner, se gonfler d’orgueil.
  169. Catherine-Michelle d’Autriche, fille de Philippe II d’Espagne, et d’Elisabeth de France. Elle croyait déroger n’ayant épousé qu’un duc de Savoie.
  170. Le duc de Nemours avait envoyé le baron de Ténissé au duc de Mayenne pour le sonder sur ses intentions relativement au trône de France, et lui laisser entendre les droits qu’il prétendait lui-même y avoir. Les mémoires dont le baron était chargé lui furent pris, leur contenu divulgué, et les ligueurs furent éclairés sur les secrètes ambitions du duc de Nemours.
  171. Catherine de Lorraine, duchesse douairière de Montpensier, était accusée de porter à son neveu, le jeune duc de Guise, une affection trop tendre.
  172. Les gouverneurs se regardaient comme indépendants dans leurs Provinces, levant les tailles et agissant en souverains.
  173. Ancêtres, du latin majores.
  174. Variante : « hautement ».
  175. Ep. I, cap. V, vers. 11.
  176. Sodomistes, du latin paedicare.
  177. Addit. « Comme un jour monsieur le cardinal de Pelvé luy sceut bien dire ».
  178. La science qui concerne les camps, le choix de leur emplacement, leur disposition, etc.
  179. rme injurieux. C’est par ce nom que les Espagnols désignaient les Maures établis en Espagne ; par extension cette appellation s’est appliquée à tout chrétien d’une orthodoxie douteuse.
  180. dition : a Et il sçait bien ce qu’on luy a dit n’aguères quand il a proposé de l’aire faire les Pasques à cette belle assemblée, su b utraque specie. "
  181. isaïe, c. LII, v. 7.
  182. Hardelle, troupeau d’animaux maigres et en mauvais état. En l’année 1584, il y eut à la fois à Paris treize princes de la maison de Lorraine : c’est la hardelle de la satyre.
  183. Pierres fausses, d’où, au figuré, gens d’apparence, mais sans mérite ni valeur réelle.
  184. Petits navires longs et plats, marchant à rames et à voiles. Une fuste éventée est celle qui est percée et laisse passer l’eau.
  185. Les saints c’étaient le duc et le cardinal de Guise, tués à Blois. Leurs reliques, c’est-à-dire ceux qui leur ont survécu, sont tous ces petits princes de leur maison.
  186. Bâtard de la maison de Bretagne.
  187. Mignon de Henri III, assassiné, en sortant du Louvre, le 21 juillet 1578, par les ordres du duc de Mayenne, parce qu’il passait pour être l’amant de madame de Guise. — Une addition postérieure, nomme après lui « le marquis de Menelay ». Ce marquis était gouverneur de La Fère, en Picardie, pour le duc de Mayenne. Soupçonné de vouloir rendre cette place à Henri IV, ce duc le fit assassiner en 1591.
  188. Tous les princes de la maison de Lorraine subirent des défaites pendant les guerres de la Ligue.
  189. Dans le livre des Stemmata de François de Rosières, archidiacre de Toul, et dans des généalogies dressées par ordre des princes Lorrains, se trouvait mentionnée la prétendue descendance de leur maison de Charlemagne. Ils se disaient dépossédés du trône de France par les Capétiens.
  190. ef>’Molinados, soldats des vieilles troupes espagnoles qui se mutinèrent fréquemment en Flandres faute de paie.
  191. André de Villars-brancas, amiral de France, possédait la terre d’Yvetot. Son nom a été supprimé dans les éditions postérieures de la Satyre, Henri IV l’ayant fait gouverneur de Rouen et de Calais.
  192. dition : « francs museaux.
  193. riante : « Qu’il ne demeurast maistre de la mer du Ponant. »
  194. ilippe des Portes, abbé de Tiron, de Bon-Port et de Josaphat, familier et conseiller de l’amiral de Villars, était privé du revenu de ses bénéfices que les royalistes retenaient.
  195. baut, trésorier du duc de Mayenne, était un de ses principaux agents ; Nicolas Roland était son favori et son conseiller.
  196. baut et Roland s’étaient approprié une grande partie des deniers publics, encaissés chez le Général de la Cause, c’est-à-dire le duc de Mayenne. Ils pouvaient donc craindre d’être poursuivis de ce chef.
  197. riante : « Et abroger les loix du péculat et de repetundis, parce qu’elles n’estoient ny catholiques, ny fondamentales. »
  198. Marqué au chiffre de la Ligue.
  199. Jeton de passe.
  200. Variante : " Aveq leurs queues. »
  201. Cette expression ne désigne pas de mauvaise peinture. Autrefois toutes les sculptures étaient peintes, et il y avait des tableaux ou peintures en bas-relief ; pour désigner un tableau ou peinturé sur une surface unie, on disait : c’est une plate peinture, sans préjuger aucunement son mérite
  202. Jantes, parties de la roue.
  203. Orteils, doigts des pieds, du latin articulus.
  204. A droite du tableau ;
  205. Maladie vénérienne. « Là je vey ung jeune parazon guarir les verollez, je dy de la bien fine ; comme vous diriez de Rouen. » (Rabelais, Pantag. L. V, ch. XXI. )
  206. Ce tableau a été supprimé dans la troisième édition de 1594
  207. Les couleurs de France et d’Espagne.
  208. De l’italien cera ou ciera qui signifie visage.
  209. Nicolas de Neuville, marquis de Villeroy. Il se rallia à Henri IV, après son abjuration. C’est ce qui a fait supprimer ce passage dans les éditions suivantes.
  210. Il avait été secrétaire d’État sous Charles IX et Henri III.
  211. Remplie de quadruples d’Espagne.
  212. L’Infante Isabelle.
  213. L’archiduc Ernest auquel les Espagnols voulaient la marier en la faisant reine de France.
  214. Villeroy avait été chargé, conjointement avec le chancelier de Chiverny, de dresser les statuts de l’ordre du Saint-Esprit. Henri III l’en fit Grand Trésorier, le 30 décembre 1578. Il paraît que du temps où il était ligueur, il avait quitté les insignes de l’ordre.
  215. Rabelais a inventé l’île de Ruach, dont le nom en hébreu signifie vent ou esprit. L’île de Ruach désigne ici Paris, livré aux fureurs des partis.
  216. La Ligue, veuve de ses maris, c’est-à-dire ses partisans, dont les uns étaient morts et les autres l’abandonnaient pour le parti du roi.
  217. C’est une allusion à la famine qui régna à Paris pendant le siège.
  218. Colporteurs.
  219. C’est-à-dire : les vents venant des quatre points cardinaux, subdivisés en vents intermédiaires, comme nord-est, nord-ouest, sud-est, sud-ouest, etc.
  220. Par rapport à la situation de Paris, le vent du sud-ouest est celui qui vient d’Espagne.
  221. L’édition de la Satyre Ménippée comprise dans les Mémoires de la Ligue, compte encore quinze tableaux après ceux-ci.
  222. Variante : « danseroit. »
  223. Les comédies représentées à l’Hôtel de Bourgogne. Au commencement de la lieutenance du duc de Mayenne, les comédiens s’étaient permis de le mettre en scène d’une façon ridicule. Les bâtiments qu’ils occupaient furent destinés à l’installation d’un collège de Jésuites.
  224. Alias : « Maistre Jean Rozeau. » C’était le bourreau de Paris pendant la Ligue. Il avait exécuté le président Brisson et ses collègues, et quoiqu’il n’eût été, en cette occasion, que l’instrument, il paya ce meurtre de sa vie, et fut pendu en Grève l’an 1594.
  225. Des vertugadins
  226. D’après le Diction, de Trévoux, enger signifie remplir, embarrasser, charger.
  227. Saigner.
  228. Monnaie espagnole. On trouve, dans des actes du temps, des Philippe-dales mentionnés comme monnaie.