La Saga de Gunnlaug Langue de Serpent/Introduction

Anonyme
Traduction par Félix Wagner.
A. Sifer / E. Leroux (p. 11-33).

INTRODUCTION



La saga[1] est un récit en prose ; c’est le nom que l’on donne à l’histoire orale ou écrite d’événements qui ont eu pour théâtre les pays scandinaves et spécialement l’Islande. La quantité prodigieuse et l’étonnante variété des sagas que nous ont transmises les siècles confèrent à la littérature nordique un intérêt et une importance qui, jusqu’à ce jour, sont loin d’être suffisamment appréciés en dehors des limites du monde germanique.

C’est un genre mi-historique, mi-littéraire, qui se retrouve uniquement chez les anciens peuples du Nord. Participant à la fois du caractère de l’histoire et de la légende, la saga revêt un de ces aspects particuliers qui éveillent la curiosité et provoquent la sympathie. Elle se distingue avant tout des pro­ductions historiques et poétiques que le moyen âge a vues éclore dans les autres pays d’Europe, en ce qu’elle ne s’attache pas à présenter le tableau des grands faits, des événements retentissants qui agitent des nations entières. Ses prétentions sont plus modestes. Elle se borne à raconter, d’une manière détaillée, en un langage varié, imagé, pittoresque, mais en même temps simple, quelquefois naïf, souvent énergique, et avec les accents d’une admirable sincérité, les destinées des grandes familles scandinaves qui, pour se soustraire au despotisme de Harald aux beaux cheveux (861-931), quittèrent la Norvège et portèrent leurs pénates sur la lointaine terre d’Islande. Elle offre la peinture fidèle des vieilles mœurs et du vieux paganisme du Nord ; elle présente le tableau varié des occupations journalières, des aspirations morales, bref, de la vie si intense, si mouvementée de ces hardis émigrants qui, dès leur arrivée, se mirent bravement à l’œuvre, colonisèrent l’île, fondèrent un État indépendant ayant son organisation spéciale, ses lois propres et y développèrent en un temps relativement court une civilisation qui éclipsa bientôt celle de la mère patrie. La littérature y fleurit désormais libre de toutes entraves. C’est là que le génie scandinave prit son plus brillant essor ; c’est là aussi que naquirent la plupart des sagas.

Les faits rapportés par les sagas appartiennent pour la plupart à cette période de l’histoire qui s’étend depuis la colonisation d’Ingolf et de ses compagnons (874) jusque vers le XIe siècle : c’est ce qu’on peut appeler l’antiquité islandaise ou l’âge des sagas.

Les manuscrits nous en ont conservé près d’un demi-millier. Un grand nombre sont devenues la proie des flammes lors de l’incendie de la bibliothèque de Copenhague en 1728 ; beaucoup se sont effacées de la mémoire avant que l’on ait songé à les recueillir ; il en est plusieurs dont une indication fortuite ou une simple allusion ne nous a laissé que le nom. On les a classées de diverses façons, tantôt d’après les époques auxquelles on prétend en faire remonter la mise par écrit, tantôt d’après la situation géographique des lieux où se déroulent les scènes. La classification la plus naturelle est évidemment celle qui repose sur le contenu même ou le caractère essentiel de la saga. Elle distingue les sagas historiques, mythologiques ou héroïques, romantiques, poétiques. C’est à cette dernière catégorie que nous pouvons rattacher la saga de Gunnlaug Langue de Serpent. Celle-ci est, parmi le grand nombre d’œuvres analogues, une des plus courtes, mais aussi une des plus exquises à cause du parfum profondément poétique qui s’en dégage. Nous ne savons guère que les sagas d’Egil et de Frithjof qui puissent, sous ce rapport, soutenir la comparaison avec elle. Les récits sont « colorés avec art, revêtus d’images riantes, entremêlés de détails romanesques » (X. M.). Ce n’est pas à dire pourtant que les divers épisodes soient dépourvus de réalité. Si l’auteur a parfois, dans l’exécution des détails, fait appel à son imagination, s’il s’est plu à broder sur les données véridiques recueillies de la bouche de ses contemporains et si la saga constitue, à ce titre et pour cette raison, une véritable œuvre d’art, les faits qu’elle rapporte, les exploits qu’elle glorifie sont, du moins dans les traits fondamentaux, du domaine de l’histoire. C’est ce qu’il importe de mettre en pleine lumière.

Les lieux où les scènes se passent sont des localités géographiquement déterminées ; il est facile de les retrouver aujourd’hui encore et de suivre pour ainsi dire sur la carte les progrès de l’action. L’époque est connue d’une manière précise et les personnages principaux apparaissent assez fréquemment dans diverses œuvres islandaises, toujours sous les mêmes traits et avec les mêmes tendances et dispositions natives, pour que nous soyons autorisés à ne pas douter de leur authenticité. L’absence complète, dans les documents, de toute contradiction et de toute divergence d’appréciation en ce qui concerne les événements, les situations, les aspirations individuelles, constitue même un des témoignages les plus significatifs du caractère foncièrement historique des récits.

Le Skáldatal[2] qui existait incontestablement avant que notre saga fut mise par écrit et dont les énumérations reposent sur des données admises comme véridiques, cite parmi les scaldes qui ont vécu à l’époque du jarl Eirik Hakonarson[3] : Hallfred Vandraedaskald (H. le poète intraitable), Gunnlaug Ormstunga, Hrafn Önundarson, Thord Kolbeinsson. Le même document nous montre Gunnlaug et Hrafn, les deux héros de la saga, à la cour du roi de Suède, Olaf soenski[4], où ils se sont rencontrés pour la première fois et où ils ont semé le germe de leur rivalité fatale. La saga d’Egil[5] fait mention de la querelle qui éclata entre les deux jeunes scaldes à propos de Helga la Belle. La Laxdoela saga (ch. VI) et le Landnamabok[6] (I, ch. 13 ; II, ch. 1-2 ; III, ch. 1) confirment en tous points les indications généalogiques des récits et sont d’accord avec ceux-ci au sujet des relations de parenté de Gunnlaug. Ce dernier ouvrage (V, ch. 8) parle aussi des rapports de Hrafn avec le lögsögumadr Skapti Thoroddsson. Ari le Savant (Livre des Islandais, ch. V) connaît la famille de Thorstein. La Eyrbyggja saga (ch. 17) relate les péripéties de la lutte qu’Illugi, le père de Gunnlaug, eut à soutenir contre le godi Thorgrim Kjallaksson, au thing de Thorsnes. La saga d’Egil (ch. 83 et suiv.) raconte tout au long la querelle de Thorstein avec Steinar Önundarson. Le Heimskringla de Snorri Sturluson (1179-1241) présente le récit des hostilités qui divisaient l’Angleterre et le Danemark sous Svein et Knut et auxquelles il est fait allusion au chapitre IX de la saga. Dans la Hallfredar saga nous retrouvons avec tous les détails plusieurs épisodes que notre histoire ne fait qu’esquisser légèrement ; tels sont notamment la rencontre de Hallfred et de Hrafn à Leiruvag et le retour de Hallfred et de Gunnlaug en Islande. Les deux versions, il est vrai, ne sont pas absolument d’accord en tous points, mais la divergence ne porte guère que sur des faits sans importance. La vague allusion à la mort du jarl Hakon Sigurdarson de Norvège (ch. V) est précisée et l’événement est exposé d’une manière complète dans la Nialssaga et le Heimskringla (ch. 53, 55 et 56)[7].

Il serait inutile de multiplier davantage les citations de l’espèce. Il suffit de constater qu’un certain nombre d’épisodes de la saga de Gunnlaug présentent de brèves indications relatives à des faits qui se trouvent développés dans d’autres sagas, ou de simples allusions à des événements qui forment l’objet de récits détaillés dans d’autres œuvres islandaises. De plus, il existe, d’une façon générale, entre les diverses sources historiques un accord pour ainsi dire parfait quant aux renseignements qu’elles fournissent sur les personnages de notre saga, sur leur situation et leur famille, sur leur caractère et leurs exploits.

De ces particularités une double conclusion se dégage. D’une part, nous y trouvons la preuve que l’intention de l’auteur n’était pas de rédiger une biographie. Il a voulu écrire un livre imprégné d’art et de poésie. Les procédés dont il s’est servi ne laissent aucun doute à cet égard. Dans la quantité de détails relatifs à son héros, il a fait un choix judicieux. Laissant de côté tout ce qui n’avait pas de rapport direct avec son sujet, tout ce qui ne faisait pas partie intégrante de l’histoire à raconter, il a soigneusement limité sa besogne au récit des faits qui rentraient le mieux dans le cadre de son modeste travail, qui lui paraissaient propres à mettre en lumière les traits sympathiques et l’émouvante destinée de ses personnages. Voyez ces phrases où il cherche visiblement à élaguer ce qui lui semble inutile ou encombrant : « Thorstein et Jofrid eurent beaucoup d’enfants, mais peu d’entre eux seront mentionnés dans cette saga. » De même, parmi les fils d’Illugi et d’Ingeborg il n’en cite que deux. Il n’est pas du tout question des querelles de Gunnlaug et de son père avec le godi Snorri (cf. Eyrbyggja saga, ch. CIII).

D’autre part, l’accord de toutes les sources prouve de façon irrécusable que le noyau de l’histoire de Gunnlaug repose sur des faits positifs. Cette histoire était très répandue en Islande ; elle se racontait fréquemment ; le peuple la connaissait fort bien ; cette vogue dont elle jouissait empêchait précisément les narrateurs de s’écarter de la réalité au gré de leur fantaisie. D’ailleurs, cet accord remarquable ne se manifeste pas seulement dans les lignes fondamentales, dans les contours essentiels de la saga, il s’observe en plus d’un point jusque dans des détails d’importance toute secondaire ; et ceci constitue un témoignage de plus en faveur de l’esprit de véracité de l’auteur et de la fidélité avec laquelle il rapporte ce qu’il a vu lui-même ou ce qu’il a entendu raconter.

Si le fond de la saga est historique, si les faits principaux qu’elle relate sont véridiques, nous pouvons admettre également que les tableaux variés qu’elle présente de l’ancienne société scandinave sont bien conformes à la réalité, du moins dans les contours généraux. C’était bien là la façon de penser, de vivre, d’agir de ces Islandais d’il y a dix siècles. L’auteur a peint d’après nature ; on le sent à cette allure franche et sincère qui ne se ralentit pas un seul instant, à ce naturel charmant et cet accent de vérité qui s’observent jusque dans les moindres épisodes.

Cependant la réalité n’exclut pas la poésie. Ces deux sources d’inspiration, également inépuisables, marchent de pair, se prêtent un mutuel et merveilleux appui et impriment aux récits cette teinte indécise qui semble être un reflet des longs crépuscules scandinaves. Ce n’est pas à proprement parler de l’histoire, et ce n’est pas de la légende. Les deux, admirablement combinées, forment une espèce d’histoire poétique. C’est un genre spécial à la littérature du Nord ; on en chercherait vainement les pareils dans l’histoire littéraire du monde. Il présente, il est vrai, quelque analogie, d’un côté, avec la logographie des Grecs, les chansons de geste, et, d’autre part, avec nos romans historiques et ce que nous entendons par mémoires ; on pourrait aussi le comparer, sous certains rapports, à l’autobiographie de Goethe, Vérité et Fiction. Mais ces rapprochements sont plutôt forcés et ne reposent que sur des ressemblances assez confuses et lointaines. C’est peut-être ce double aspect qui imprime à la saga poétique la saveur toute particulière qui la caractérise parmi tant d’autres. Il est peu de ses congénères, en effet, qui laissent dans l’esprit du lecteur, malgré le tragique de certaines situations, une impression aussi douce, réellement faite pour charmer et attendrir.

Ceci est vrai surtout de la saga de Gunnlaug. Elle est une des rares histoires dont l’idée dominante se développe sur des bases autres que l’exposition purement chronologique des faits. L’amour est le ressort de l’action, l’amour profond qu’éprouvent pour Helga la Belle deux jeunes Islandais, entourés du prestige d’une naissance illustre, se distinguant par de grandes qualités morales et physiques et, en outre, doués l’un et l’autre d’un talent poétique remarquable. C’est un spectacle saisissant que d’assister, à travers toute la série variée des épisodes, au développement de cette rivalité qui ne pardonne pas, qui grandit insensiblement pour arriver au point culminant, au chapitre XI de la saga. Ce chapitre marque, en effet, nettement le nœud de ce drame émouvant. Dès lors, on sent approcher avec angoisse, lent mais inévitable, le fatal dénoûment.

Certes, il se rencontre dans les récits plus d’un détail fantaisiste ; il y a des embellissements dus à l’imagination du narrateur ou de l’écrivain. Cette parure, toutefois, a sa raison d’être ; elle est destinée à renforcer le pathétique des situations ; elle a pour but d’ajouter encore à l’impression de la réalité ; elle imprègne l’ensemble d’une saveur poétique qui contribue puissamment à mettre en relief et à faire sentir plus vivement encore ce que l’histoire réelle offre de particulièrement touchant.

Parmi les personnages de la saga, Gunnlaug occupe incontestablement le premier rang. Ce qui frappe d’abord chez lui, c’est la vivacité de son tempérament. Au début de l’action, le narrateur lui reproche son irrésolution, entraînant une certaine inconséquence dans sa façon d’agir. Elle est due à une sensibilité très prononcée et une certaine fougue de jeunesse, alliées cependant à une franchise et une droiture d’intentions qui rachètent amplement ses travers. Dans plusieurs livres islandais il apparaît avec le surnom de « Langue de Serpent ». On peut se demander quelle est l’origine de cette singulière appellation. Lui-même reconnaît (ch. VI, str. 2) l’avoir reçue dans sa jeunesse et non sans raison. L’auteur de la saga prétend qu’il la doit à son habileté à manier l’épigramme (cf. ch. III). Son caractère la justifiait probablement. D’autre part, le Landnamabok (Isl. Sögur I, 44) et le Skaldatal connaissent un autre Gunnlaug Langue de Serpent bisaïeul de notre héros du côté maternel, et il est à présumer qu’il faut voir dans ce surnom un héritage dû à cet ancêtre, qui lui aussi était scalde. Une certaine analogie de caractère, surtout une nature vive et emportée, auront contribué sans nul doute à attacher à son nom cette épithète mordante, car tout jeune il ne semble pas avoir joué un rôle assez marquant pour la mériter. Gunnlaug est connu comme scalde. Cependant, ce qui nous reste de ses productions poétiques se réduit à très peu de chose ; ce sont, en majeure partie, les vísur de la saga et une demi-strophe conservée dans l’Edda de Snorri Sturluson. Toutes celles que la saga lui fait prononcer ne peuvent être de lui. Tel est par exemple son chant du cygne (ch. XII, str. 2). Comment nous aurait-il été transmis ? Par les guides norvégiens auxquels il est adressé ?

À côté de Gunnlaug se dessinent, moins vifs, moins purs et moins sympathiques aussi, les traits de Hrafn Önundarson, son rival. Ses actes sont empreints d’une réelle perfidie amoindrissant considérablement l’estime que pourraient inspirer sa bravoure et une certaine fermeté de résolution. Ses vues étroites et mesquines, son humeur vindicative, son esprit rancunier font ressortir plus vivement encore la générosité et la bonne foi de son compétiteur. Comme Gunnlaug, il est issu d’une des plus influentes familles du pays et apparaît dans divers documents comme un scalde de renom. Souvent même on l’appelle tout simplement Skald-Hrafn. Les deux strophes que la saga met dans sa bouche seraient les seuls vers que le hasard nous ait conservés de lui, s’il était bien démontré qu’il en est l’auteur.

La figure la plus touchante de notre histoire est, sans contredit, celle de Helga la Belle. Sur les tableaux d’une vie toute remplie d’aventures, l’image de Helga jette un reflet calme et gracieux. Ce n’est pas seulement par sa beauté, mais aussi par ses grands et nobles sentiments qu’elle éclipse tout ce monde bruyant qui s’agite autour d’elle. Cette fidélité à toute épreuve, dont elle donne l’exemple au milieu des plus étranges contrariétés, cette délicatesse de caractère, rare même chez les personnes de son sexe en un temps où la violence était dans les mœurs, sollicitent la sympathie et provoquent l’admiration, en même temps que la fatalité inexorable qui s’acharne sur elle répand sur ses traits de jeune fille un voile de tristesse et de mélancolie. Victime d’une malheureuse destinée, elle excite la compassion, et sa simple mais forte résignation est pour le lecteur une source d’émotions douces à la fois et profondes. Helga appartient, comme Gunnlaug et Hrafn, à une des familles les plus considérées de la vieille Islande. Le fameux poète Egil Skallagrimsson était son grand-père. La plupart de ses ancêtres, et son frère lui-même, ont composé d’excellents chants. Elle était apparentée à Olaf pá de Hjardarholt, le héros de la Laxdoela saga. Il régnait au sein de cette famille comme un souffle poétique qui se communiquait à tous ses membres ; il s’y était développé un idéal qui l’élevait au-dessus des vulgarités de la vie habituelle. Faut-il s’étonner alors de la noblesse de sentiments et de la douceur de caractère qui se reflètent dans les actes et les pensées de notre modeste héroïne !

Tout comme les personnages qui entrent en scène, les faits variés qui forment le tissu de l’action appartiennent à l’histoire des anciens pays du Nord. On peut suivre les événements pas à pas, retrouver les lieux où ils se déroulent. Le récit a sa chronologie fixe et précise. Gunnlaug est né vers 983. À l’âge de quinze ans il arrive chez Thorstein Egilsson, à Borg, où il parvient à se fiancer à Helga la Belle. Il quitte l’Islande en 1001 pour entreprendre un voyage en pays étranger, se rend d’abord en Norvège chez le jarl Eirik et, en automne, en Angleterre chez le roi Ethelred. En 1002, il va voir le roi Sigtrygg à Dublin, le jarl Sigurd dans les Orkneyjar et, vers l’automne, gagne le sud de la Suède et passe l’hiver de l’année 1003 en Gothland chez un autre jarl du nom de Sigurd. Au printemps suivant, il se remet en route et arrive à Upsalir, à la cour du roi Olaf le Suédois, où il fait la rencontre de Hrafn. C’est là que prend naissance, entre les deux jeunes Islandais, la querelle qui remplit désormais leur vie. Hrafn retourne en Islande, tandis que Gunnlaug, fidèle à ses engagements envers le roi Ethelred, fait une seconde fois le voyage de Londres et y demeure jusqu’au printemps de 1005. De là il revient chez le jarl Eirik, en Norvège, et s’embarque pour l’Islande, vers la fin de l’automne, en compagnie du poète Hallfred.

Cependant, dès l’été de l’année 1004, Hrafn avait demandé pour la première fois la main de Helga, la promise de Gunnlaug. Poussé autant par la haine qu’il nourrissait contre son rival que par l’amour que lui inspirait la jeune fille, il renouvela sa demande à l’Althing de l’année suivante et la fiancée lui fut accordée pour l’automne, parce que le retour de Gunnlaug, retenu en Angleterre par des préparatifs de guerre contre le Danemark, se faisait trop attendre. Celui-ci, néanmoins, rentre au pays dans le courant de l’hiver ; mais il est trop tard : Helga est devenue la femme de Hrafn. En 1006 a lieu, dans une île de l’Öxara, le premier duel entre les deux rivaux ; l’issue du combat reste indécise. La même année, en vertu d’une décision prise par l’Althing, le duel est strictement interdit dans toute l’étendue du territoire. Les deux adversaires se voient obligés d’aller vider leur différend en Norvège. Gunnlaug s’embarque en 1007, gagne les Orkneyjar où il séjourne jusqu’au commencement de l’été 1008 et retourne pour la troisième fois chez le jarl Eirik, à Hladir. Il y passe l’hiver. Hrafn, de son côté, s’était dirigé sur Thrandheim et était resté à Lifangr pendant 1008. Enfin, l’année suivante, en 1009, ils se rencontrent pour la seconde fois. Le duel a lieu à Dinganes, sur la frontière de la Norvège et de la Suède, et la querelle finit par la mort des deux rivaux. Gunnlaug était âgé de 26 ans.

Tel est le cadre historique dans lequel se meuvent les personnages et se déroulent les événements.

Ici se place une autre question, celle de l’origine de la saga. Quand et comment a-t-elle pris naissance ? La question est vague et complexe. Pour la résoudre, il importe d’en préciser tout d’abord les termes et la portée. Que faut-il entendre par composition de la saga et quand peut-on dire que la saga existe ? Pour éviter toute équivoque, il est nécessaire de distinguer nettement et de considérer à part deux ou même trois phases successives, par lesquelles elle a passé avant de revêtir la forme et l’aspect particuliers que nous lui connaissons. Ces phases sont autant de périodes de formation et d’évolution. La plus reculée remonte à l’époque lointaine où se sont accomplis les événements. Grâce aux savantes investigations de G. Vigfusson[8], la date de la plupart des faits historiques sur lesquels reposent les sagas est établie avec précision et certitude. Or, ces faits constituent le fond véritable, on pourrait dire l’origine de la saga ; car les événements de l’histoire, que l’auteur se plaît parfois à dépeindre sous des couleurs ravissantes empruntées à sa poétique imagination, se racontent dès le lendemain du jour où ils se sont accomplis ; les récits commencent à circuler, s’amplifiant, se chargeant d’épisodes nouveaux, les uns gais et pittoresques, les autres émouvants et terribles, et, au bout d’un temps qui varie selon la grandeur et la réputation des héros et selon l’importance des faits, ils franchissent, en évoluant incessamment, des distances considérables et se répandent dans des contrées parfois très éloignées du pays d’origine.

Ce n’est pas encore la saga, ce n’en est que la matière ; elle est toujours en voie d’élaboration ; elle naît le jour où un individu, mieux doué ou mieux au courant des traditions, s’avise de recueillir et de rattacher les uns aux autres, parfois par les liens de la fiction, les chaînons épars de cette longue et vaste énumération d’exploits retentissants ou de faits d’ordre intime, de coordonner de la façon la plus naturelle toute une série de récits et d’enformer un tout connexe, une histoire complète et achevée.

C’est la phase primitive, la première étape de formation. La saga existe, mais uniquement à l’état de tradition verbale. Bien que les grandes lignes en soient définitivement tracées par la main de l’artiste, elle ne s’arrête pas dans son développement. Reposant désormais et exclusivement sur le sol mouvant des idées, des aspirations, des goûts individuels des narrateurs, elle continue son évolution lente mais irrésistible. Pendant au moins deux siècles encore, sujette à toutes les fluctuations que subissent les tendances morales et intellectuelles chez des nations où l’imagination est toujours en éveil, la saga vit sur les lèvres du peuple, se modifie au gré de ses dispositions, et l’accompagne dans toutes ses migrations. C’est ainsi qu’elle se répand, par voie de tradition orale, dans la plupart des contrées du Nord et se transmet pendant une longue suite de générations.

Enfin arrive le jour où l’œuvre est mise par écrit. Il est des cas où l’histoire orale continue à circuler pendant quelque temps encore ; mais, d’une façon générale, on peut dire que la fixation par l’écriture l’arrête définitivement dans sa transformation et marque le terme de son évolution. C’est la seconde étape et la plus significative. L’écrivain fait son apparition. Cette rédaction des récits, faite plusieurs siècles après l’accomplissement des faits qui en constituent comme le tissu fondamental et immuable, est de la plus haute portée au point de vue historique et littéraire ; elle atteste un progrès important dans la vie intellectuelle des peuples scandinaves : l’usage de l’écriture basée sur l’alphabet latin.

Pour ce qui concerne spécialement la saga de Gunnlaug, toute une série de détails, notamment l’exactitude des indications relatives aux rapports de parenté, font supposer que les exploits des héros et les émouvantes péripéties dont leur vie est remplie, ont été l’objet de récits peu de temps après leur mort. Son origine première remonte donc à l’époque qui marque les confins du paganisme et du christianisme. Pendant deux siècles elle vit à l’état de frásögn, c.-à-d. de tradition orale, exposée à des altérations de toute nature. Ces altérations toutefois ne pouvaient affecter la matière en elle-même ; ce qui se modifie, c’est plutôt l’enveloppe extérieure ; le noyau reste le même et garde au fruit sa saveur originelle. Elle plonge ses racines jusqu’au fond du vieux paganisme scandinave ; mais, composée aux temps où les lueurs de la foi chrétienne commençaient à poindre à l’horizon du monde payen et remplissaient déjà les cœurs d’un émoi particulier, et constamment exposée, elle aussi, aux transformations que la religion nouvelle est venue opérer dans les esprits et les mœurs, la saga ne pouvait rester étrangère à l’influence de l’idéal chrétien. L’essence toutefois, la structure intime reste intacte. Ce n’est guère que la forme qui évolue ; et cette évolution se continue, lente mais facilement appréciable, jusqu’au jour où, grâce à l’emploi d’une écriture plus maniable et plus appropriée que les vieilles runes nordiques, les chefs-d’œuvre de l’ancienne Scandinavie ont pu être consignés dans des livres.

Grâce aux renseignements concluants que nous pouvons tirer du Livre des Islandais d’Ari[9], nous connaissons d’une façon assez approximative l’époque à laquelle il convient de fixer les commencements de la littérature écrite du Nord. K. Maurer, dont l’opinion fait autorité en cette matière, la place dans la seconde moitié du XIIe siècle, entre les années 1170 et 1180, et la plupart des savants se rallient à cette manière de voir. Nous savons de même vers quelle époque cette littérature a atteint l’apogée de son développement et de sa splendeur. G. Vigfusson a essayé de démontrer que ce fut entre les années 1220 et 1260. C’est là ce qu’on peut appeler la période classique, qui vit naître les plus belles et les plus importantes des sagas, celles qui se distinguent par la perfection de la forme autant que par l’élévation des idées, la grandeur des caractères et la noblesse des sentiments : les sagas de Nial, d’Egil Skallagrimsson, de Frithjof le Fort, la Laxdoela saga, l’Eyrbyggja saga et d’autres. C’est à cette époque aussi que fut mise par écrit la saga de Gunnlaug Langue de Serpent.

Vouloir fixer d’une manière exacte la date de la rédaction première, serait une entreprise hasardeuse ; les données scientifiques précises font défaut. À ce sujet nous sommes donc réduits aux conjectures. Du reste, la question perd de son importance du moment que l’on veut bien renoncer à une détermination chronologique minutieuse — dont nous ne voyons pas l’utilité en cette matière — pour considérer les choses dans leur ensemble. Contentons-nous de savoir que la rédaction primitive remonte au milieu du XIIIe siècle. Le développement du dialogue, certains traits fantaisistes, tels que les rêves, l’habileté de l’intrigue, l’animation des scènes, la perfection du langage montrent jusqu’à l’évidence qu’elle appartient à l’époque de l’apogée de la prose islandaise.

Il serait facile de préciser davantage ce point, si l’auteur de cette œuvre était connu. Mais toutes les sagas, ou peu s’en faut, nous ont été transmises sous le voile de l’anonyme. Ceux qui les ont composées comme ceux qui les ont mises par écrit n’ont pas jugé à propos de révéler ni leurs noms ni leurs qualités. C’eut été élever en quelque sorte des prétentions non justifiées à un bien qui, en somme, faisait partie du fonds commun de la nation entière. Certains indices cependant nous autorisent à émettre de vagues conjectures concernant les écrivains qui nous ont conservé, en les fixant sur le parchemin, les traditions de leurs ancêtres. Ce devaient être, du moins dans la plupart des cas, des personnages ayant reçu une instruction variée et assez étendue. Il est à présumer qu’il faut voir en eux de ces Islandais de grande famille qui disposaient des loisirs et des moyens de parcourir dans leur jeunesse les pays de l’Europe occidentale, s’initiant à la culture des lettres latines, recueillant au cours de leurs lointaines pérégrinations une riche moisson de connaissances relatives aux trésors littéraires, aux légendes nationales des peuples qu’ils visitaient, rentrant ensuite dans leur patrie où ils s’appliquaient à répandre l’instruction et à mettre au profit du bien commun les fruits de leur expérience.

La plupart d’entre eux appartenaient vraisemblablement à l’état ecclésiastique. Le fait paraît certain notamment pour l’auteur de la saga de Gunnlaug. En effet, ce n’est guère que chez des hommes formés au contact des civilisations de l’antiquité que pouvait naître l’idée d’arracher à l’oubli, en les fixant par l’écriture, les faits de l’histoire nationale. Presque tous les grands écrivains islandais, dont nous connais­sons les noms, étaient prêtres. Il suffit de citer Ari le Savant, Saemund Sigfusson, les moines Karl Jónsson, Odd Snorrason, Gunnlaug Leifsson. On peut dire qu’à l’origine la littérature écrite, en Islande, repose entre les mains du clergé. C’est lui le déposi­taire des trésors scientifiques et littéraires de la nation ; c’est lui qui s’est attribué la mission grandiose de veiller à l’éducation et à l’instruction du peuple et de l’acheminer dans la voie d’une civilisation nouvelle ; c’est à lui aussi que la postérité est rede­vable pour une grande part de la conservation de ce précieux dépôt national qui fait la gloire de l’Islande.

On a longtemps cru voir dans le prêtre Ari l’auteur de la saga de Gunnlaug. C’est une erreur, reposant sur une assertion injustifiable du manuscrit de Stockholm qui ajoute au titre de la saga ces mots : « ainsi que l’a racontée le prêtre Ari Thorgilsson le Savant, qui a été le plus instruit parmi les Islandais pour ce qui touche l’histoire de la colonisation primitive du pays et les événements des temps passés. » Cette indication erronée est due à un copiste d’une époque postérieure. Il est à peu près certain qu’Ari n’a jamais écrit aucune saga. Les tendances critiques et toutes positives de son esprit d’historien s’y opposaient. Du reste, il existe entre son Livre des Islandais et notre saga une différence fondamentale quant au style. Là, il est bref, analytique, dépourvu d’ornements, sobre dans les descriptions ; ici, c’est une prose simple et coulante, mais non dépourvue de ces embellissements que la rhétorique met entre les mains de ses initiés. Ari, d’autre part, a vécu à une époque antérieure à celle de la rédaction de la saga. Il est mort en 1148, et celle-ci ne paraît pas remonter au delà de la seconde moitié du XIIIe siècle. Enfin, certains indices autorisent à croire qu’elle a été composée dans le pays des « Myrar », aux environs de Borg (cf. ch. IV) ; or, Ari vécut à Helgafell, à Haukadal et finit probablement ses jours à Stad, dans la presqu’île Snaefellsnes.

Quel que soit le nom de l’auteur, maint passage trahit de façon évidente la main de l’écrivain pénétré de la foi et imbu des idées chrétiennes. Nous pouvons toucher du doigt les traces de l’inspiration chrétienne et juger par là de la façon dont l’auteur envisageait la question du christianisme et de ce qu’il pensait des bienfaits de la religion nouvelle. En parlant de la reconnaissance officielle de cette dernière à l’Althing de l’an mille, il déclare que c’est l’événement le plus mémorable qui se soit accompli en Islande (ch. IV). Gunnlaug, sur le point de mourir, reçoit les suprêmes bénédictions de la main d’un prêtre et est enterré près de l’église (fin du ch. XII). Helga, elle aussi, dort son dernier sommeil à côté de l’église (fin du ch. XIII). De plus, on rencontre assez fréquemment, dans les récits, de ces locutions caractéristiques, de ces particularités de style qui ont bien l’air d’être des réminiscences du latin. Telle est notamment cette façon typique de marquer la transition par des phrases comme celles-ci : « Maintenant il faut parler de… », « maintenant il faut en revenir à… » ; de même les formules qui indiquent la fin d’un épisode : « celui-ci est désormais hors de la saga », « et il n’en sera plus question dans cette histoire, » ou la fin de la saga : « Ainsi finit… », « ici finit… ». Tout ce que nous sommes en droit de conclure de ce qui précède, c’est que l’auteur[10] de la saga de Gunnlaug semble être un ecclésiastique jouissant d’une culture intellectuelle remarquable et possédant à un degré éminent l’art de conter et le talent d’écrire[11].

Un grand nombre de sagas présentent, disséminées dans le texte, une série de strophes scaldiques destinées à renforcer l’impression poétique et à rehausser la valeur esthétique de l’œuvre. La saga de Gunnlaug en renferme vingt-trois. Elles offrent, d’un côté, une accumulation de périphrases étranges et obscures, d’autre part, un enchevêtrement arbitraire de mots et d’idées qui, à première vue, paraît tout simplement grotesque. Ces vísur n’ont pas toujours pour auteur le personnage qui est censé les prononcer ; il en est dans le nombre qui ont été composées et intercalées par l’écrivain qui a donné à l’œuvre sa rédaction définitive. Tel est notamment le chant du cygne de Gunnlaug (ch. 12). Il en est de même de la strophe précédente que la Kormakssaga attribue au poète Kormak Ögmundarson (ca. 937-967). Quant aux deux strophes finales dans lesquelles les pères des deux héros communiquent leurs rêves relatifs au sort qui est réservé à Gunnlaug et à Hrafn, il est hors de doute qu’elles appartiennent à une époque postérieure. Ces chants, derniers vestiges de la poésie des scaldes, reposent à la fois sur l’allitération, l’assonance, le nombre de syllabes et la quantité prosodique ; quelquefois ils présentent, en outre, la rime. Ils comprennent généralement huit vers. C’est la forme poétique du dróttkvaedi[12]. Déchiffrer le sens de cet entassement de bizarreries et d’hyperboles est une opération dans laquelle les plus sagaces des interprétateurs ont maintes fois échoué. Ce qui caractérise avant tout cette poésie, ce sont les nombreuses expressions métaphoriques (kenningar) ; elles permettaient aux scaldes de déployer toute la richesse de leur imagination, toute la subtilité de leur esprit, ainsi que leur merveilleux don d’observation et de combinaison. Mais par l’abus qu’ils ont fait de ce style énigmatique, ils ont fini par attirer sur leurs productions le dédain des profanes qui, ne parvenant plus à en pénétrer l’idée, les ont déclarées absurdes. Cependant quand, à force de patientes et minutieuses recherches, on réussit à scruter le mécanisme compliqué de ce langage hétéroclite et à découvrir le sens caché sous cette accumulation de figures tout au moins originales, on constate que la poésie scaldique atteste un art véritable. Il y a du mérite et une certaine grandeur dans cette richesse extraordinaire d’expressions typiques et dans cette étonnante variété de locutions ingénieuses. Si la strophe, par suite de son aspect mystérieux et de son obscurité quasi impénétrable, manque de charme au premier abord, il faut reconnaître toutefois que l’abondance des images et la profusion des termes éminemment poétiques impriment à ces chants un caractère qui n’est rien moins qu’inepte ou ridicule. Des littérateurs comme Vilmar y ont trouvé goût et Herder les a admirés.

La saga de Gunnlaug occupe, à juste titre, tant par la nature du contenu que par la forme de l’exposition, une place éminente parmi les productions littéraires de l’ancienne Islande. De nos jours encore on la lit avec ardeur dans les écoles de Norvège et de Suède. Les nombreuses éditions qui se sont succédé depuis un siècle, les traductions qui en ont été faites, ainsi que les œuvres d’imagination qui traitent le même sujet, attestent la popularité dont elle jouit dans les pays de langue germanique. Elle a été éditée pour la première fois en 1775 à la faveur d’un legs d’Arni Magnusson, le grand protecteur des lettres scandinaves, sous le titre suivant : Sagan af Gunnlaugi Ormstungu ok Skalld-Rafni, sive Gunnlaugi Vermilinguis et Rafnis Poetae vita. Ex Manuscriptis legati Magnaeani cum Interpretatione Latina, notis, Chronologia, tabulis Genealogicis et Indicibus, tam rerum, quam Verborum. Hafniae 1775. — Une seconde édition, due à Jón Sigurdsson, et très importante au point de vue de la critique du texte, est insérée dans la collection des Islendinga sögur II, pp. 187-276. Kjöbenhavn 1847. — Une édition danoise a paru, en 1862, dans la collection « Det norske Oldskriftselskabs Samlingar, nr 3 » sous le titre de Gunnlaugs saga ormstungu. Med forklarende Anmaerkninger og Ordsamling ved O. Rygh. Christiania 1862. — Nous la retrouvons ensuite dans plusieurs recueils et livres de lecture, tels que les Analecta Norroena (Auswahl aus der isländ. und norweg. Litteratur des Mittelalters) de Th. Möbins (Leipzig, 1859 et 1877, pp. 135-166 et 103-135), le Oldnordisk Laesebog med Anmaerkninger og Ordsamling de L. Wimmer. 4. Udgave. Köbenhavn 1889, la Einleitung in das Studium des Altnordischen II, de J.-C. Poestion (Hagen i. W. und Leipzig, 1887, avec riche glossaire). — Citons enfin la petite édition de Jón Thorkelsson, publiée à Reykjavik en 1880, avec une judicieuse interprétation des strophes scaldiques, qui a paru antérieurement sous le titre de Skyringar á vísum í nokkurum islenzkum sögum (Reykjavik, 1868), et celle de E. Mogk : Gunnlaugs saga Ormstungu. Mit Einleitung und Glossar. Halle a/S. 1886.

Il n’est guère de sagas qui aient été traduites avec autant de prédilection que celle de Gunnlaug. Nous possédons deux versions danoises, celle de Petersen, dans les Hist. Fortaell. om Isl. Faerd. II. p. 3-46. Kbh. 1840, et celle de O. Rygh : Sagaen om Gunn­laug Ormstunge og Shalde-Ravn. Oversat fra Gammelnorsk af O. R. Kristiania 1859. — Dès 1869 elle parut en anglais dans la « Fortnightly Review » (ed. by John Marley. Jan. 1869. nr XXV, new series), sous le titre de The Saga of Gunnlaug the wormtongue and Rafn the skald, by Eirikr Magnússon and William Morris ; elle a été rééditée par les mêmes dans l’ouvrage Three northern love stories and other tales. Translated from the Icelandic. London 1875. — Une traduction suédoise a été publiée par P. A. Gödecke en 1872 : Sagan om Gunnlaug Ormstunga och Skald-Ram, pá svenska tolkald af P. A. G. Stockholm 1872. — En Allemagne, il en a paru deux : celle d’Eug. Kölbing : Die Geschichte von Gunnlaug Schlangenzunge, aus dem islandischen Urtexte übertragen. Heilbronn, 1878, et celle d’A. Tille : Die Saga von Gunnlaug Schlan­genzunge, aus dem Altisländischen überzetzt. Leipzig, Ph. Reclam. (Univ. Bibl. 2756).

La faveur toute spéciale dont l’histoire de Gunn­laug a joui en Allemagne se traduit dans les rema­niements, les amplifications et les imitations dont elle a été l’objet. Nous citerons le roman en trois volumes que Fouqué fit paraître en 1826 : Von dem Gunnlaugur, genannt Drachenzunge und Rafn dem Skalden, l’imitation poétique d’Ant. Edzardi : Schön Helga und Gunnlaug. Eine Dichtung frei nach der altnordischen Gunnlaugssaga. Hannover 1875, le poème épique, Gunnlaug Schlangenzunge, publié en 1879 par Karl Bleibtreu, et les tableaux que J.-C. Poestion a tracés de la vie du scalde dans son livre Aus Hellas, Rom und Thule. Cultur und Literaturbilder. Leipzig, 1884 (2e éd.).


  1. de segja, dire, raconter. Il importe de remarquer que ce terme n’a pas du tout le même sens que les Allemands attachent au mot Sage.
  2. Skáldatal, sive poetarum recensus Eddae Upsaliensis, publié à la suite du Catalogus librorum Islandicorum et Norvegicorum aetatis mediae de Th. Möbius. Leipzig, 1856.
  3. Il régna sur la Norvège, conjointement avec son frère Svein, de 1000 à 1015.
  4. Olaf le Suédois (995-1021).
  5. Egils Saga Skallagrimssonar, nebst dert grosseren Gedichten Egils, hrsg. von Finnur Jónsson. (Altnord. Saga-Bibl. III. Halle, 1894).
  6. « Livre de la prise de possession du pays ». C’est une histoire généalogique d’Islande κατ’ έξοχήν, due à la collaboration de plusieurs écrivains islandais.
  7. Cf. E. Mogk : Gunnlaugssaga ormstungu, p. VIII et suiv.
  8. Um timatal i Islendinga sögum dans le Safn til sögu Islands og íslenskra bókmenta ad fornu og nyju. Kaupmannahöfn, 1856-79.
  9. Voy. notre étude sur le Livre des Islandais du prêtre Ari le Savant. Bruxelles, 1898.
  10. Il va sans dire que par auteur nous entendons ici l’écrivain qui a le premier mis la saga par écrit.
  11. Cf. B. Döring : Bemerkungen über Stil und Typus der isländischen Saga. Progr. des Nicolaigymn, in Leipzig, 1877.
  12. de drótt = suite d’un prince, et kveda = dire, réciter, chanter. Le dróttkvaedi ou dróttkvaett fréquemment employé au 9e, 10e et 11e siècle, désigne à l’origine un chant que les gens de la cour composaient en l’honneur ou à l’adresse de leur seigneur.