La Sécession de la Norvège

La Sécession de la Norvège
Revue des Deux Mondes5e période, tome 28 (p. 850-874).

LA SÉCESSION DE LA NORVÈGE

La Norvège vient de dissoudre, neuf ans avant qu’elle fût séculaire, son union avec la Suède. Elle l’a fait d’une manière non seulement calme, mais digne, noble et quasi religieuse. Le Roi, de son côté, au lieu d’en appeler à la force, s’est contenté de protester de ses bonnes intentions, et d’argumenter comme un vieux professeur de droit. Ainsi le Parlement norvégien, le Storthing, est arrivé d’un coup, dans l’art d’accomplir pacifiquement et poliment une révolution, à ce suprême degré de courtoisie exquise et raffinée qu’avaient fini par atteindre en Espagne les grands classiques du pronunciamiento.

Lorsque le général Pavia eut acquis la conviction que décidément les républicains du style des Pi y Margall et des Zorrilla étaient des bavards anarchistes qui perdraient tout, il envoya à don Nicolas Salmeron, alors président du Congrès, un de ses aides de camp, jeune homme d’une éducation parfaite : « Monsieur, dit l’officier, la casquette à la main, vous me voyez désolé de la mission que je dois remplir auprès de vous. D’ordre de mon chef, je viens vous signifier qu’il pense que la session de la Chambre a assez duré. Il vous prie donc de vouloir bien vous retirer. Croyez qu’il en est aux regrets ainsi que moi-même, et d’autant plus que si, ce qu’à Dieu ne plaise, vous ne vous en alliez pas de bon gré, j’ai là en bas une compagnie prête à assurer par tous les moyens le succès d’une opération que vous sentez nous être, au général et à moi, très pénible. »

« Sire, écrit de même l’Assemblée norvégienne au roi Oscar II, la dissolution de l’union ne comporte pas d’amertume envers la nation suédoise, ni envers la dynastie, et, pour le reconnaître, le Storthing sollicite le concours de Sa Majesté pour qu’un prince de sa maison, en résignant son droit de succession au trône suédois, soit autorisé à accepter l’élection comme roi de Norvège. » À quoi la Chambre s’empresse d’ajouter, selon les formules les plus protocolaires, « l’expression de ses sentimens de respect et de dévouement. » On n’envoie pas plus galamment promener un roi ; on ne dénonce pas plus élégamment un traité. Si l’union de la Suède et de la Norvège a pu être brisée d’une chiquenaude, c’est que depuis longtemps, presque depuis toujours, elle était fêlée, et qu’elle n’avait jamais tenu. L’histoire de la dernière crise, celle des dissentimens qui l’ont précédée, les textes mêmes sur lesquels l’union reposait et les institutions par lesquelles on s’était flatté de la réaliser, méritent au moins une analyse sommaire.

I

C’est le 7 juin 1905, il y a un peu plus de deux mois, qu’avec « l’expression de ses sentimens de respect et de dévouement, » le Storthing fit tenir au Roi une adresse dont les complimens n’étaient que l’enveloppe, mais dont voici, en deux phrases, la substance : « Tous les membres du ministère s’étant aujourd’hui démis de leurs fonctions et le Roi ayant déclaré officiellement qu’il ne peut pas procurer au pays un nouveau gouvernement, le pouvoir royal de la Norvège a cessé de fonctionner… En sa qualité de représentant de la nation, le Storthing vient de charger les ministres démissionnaires d’exercer provisoirement, à titre de gouvernement norvégien, le pouvoir conféré au Roi dans la constitution et dans les lois, avec les modifications rendues nécessaires par la dissolution de l’union avec la Suède, du fait que le Roi a cessé d’exercer ses fonctions de roi norvégien. » En même temps, il lançait une proclamation au peuple, et, comme si sa lettre n’était point assez claire, il sollicitait d’Oscar II une audience pour lui exposer ses raisons. Le Roi, justement irrité, répondit à M. Berner, président du Storthing (dépêche télégraphique) : « Ne reconnaissant pas les mesures révolutionnaires prises par le Storthing en violation de la Constitution et des lois du royaume et en rébellion contre le Roi, je refuse de recevoir la délégation de cette assemblée. » Sur ce, tout aussitôt, sa dignité satisfaite, — tant il est vrai que ces rois du Nord ont, comme les chroniqueurs nous l’assurent, la majesté très paternelle ! — Oscar II, qui ne voulait point recevoir la délégation, n’en permettait pas moins au chambellan Sibbern, secrétaire général de la section norvégienne du Conseil d’État, de recevoir l’adresse. Et puisque le Parlement norvégien, le Storthing, s’était arrogé le droit de décider comment il traiterait la Suède et son roi, le Parlement suédois, le Riksdag, déciderait à son tour comment la Suède traiterait le Storthing et « la révolution norvégienne. » On le convoquait donc à Stockholm pour le 20 juin.

Cependant, en douceur, jour à jour, la « révolution » passait dans le domaine des faits accomplis. À Christiania, le Storthing s’était donné une semaine de congé, après avoir, — comme autrefois Cavour à Charles-Albert, — expédié bourgeoisement par la poste au roi ou à l’ex-roi norvégien Oscar II cette même adresse que le souverain blessé n’avait pas voulu prendre solennellement des mains de la délégation. Les ministres de Suède et Norvège à Copenhague, à Rome et à Madrid, Norvégiens de naissance (ce qui, pour le remarquer en passant, semblerait prouver que tout n’était pas fondé dans les plaintes de la Norvège au sujet du prétendu monopole suédois des affaires étrangères, mais c’est là le grand point et nous y devrons revenir), ces trois ministres offraient leur démission, qui était acceptée. Partout en Norvège, sur terre et sur mer, on remplaçait le drapeau de l’Union par le drapeau norvégien. Et partout « la révolution norvégienne » revêtait ce caractère religieux qui frappe si fort les peuples accoutumés à d’autres procédés révolutionnaires. Chaque fois que, le canon tonnant, s’abaissait l’étendard de l’Union et que les couleurs de la Norvège montaient, séparées et seules, dans le ciel clair : « Dieu protège la patrie ! » disait une voix. Et les voix de la foule acclamaient : « Oui ! oui ! »

Il ne manquait pas même, à la révolution norvégienne, pour être une vraie révolution, de s’étendre en vibrations et en ondulations, d’avoir, au dehors et assez loin, son contre-coup. De Budapest, François Kossuth et le parti national hongrois n’avaient garde de laisser se perdre l’analogie. Invoquant eux aussi, mais peut-être moins gravement, l’Esprit saint, à l’occasion de la Pentecôte, ils le priaient « d’éclairer les puissans et les grands de ce monde sur les vérités récemment démontrées ; » et je ne sais plus quelle était la première de ces vérités, mais la seconde, établie « par les affaires scandinaves, » était, suivant Kossuth, que, « de deux États unis sous la même couronne, le plus nombreux est impuissant à imposer sa volonté à l’autre. »

À cette révolution par persuasion il n’a du reste pas manqué non plus de ne pas persuader le roi déchu, ni de ne pouvoir faire accepter, comme gouvernement régulier, le gouvernement provisoire installé révolutionnairement, bien que composé des mêmes hommes qui, la veille encore, formaient le gouvernement royal. M. Bjœrstjerne-Bjœrnson, à qui, — nul en Europe ne peut l'ignorer, — la littérature ne suffit pas, et à qui la politique de son propre pays n’est pas plus étrangère que celle du nôtre, avait annoncé l’intention qu’aurait la Norvège d’envoyer sans délai aux puissances des missions chargées de leur demander de reconnaître son indépendance. Ces « missions spéciales » se sont-elles mises en route[1] ? Peu importe, mais la Norvège est, à travers la Suède même, le Danemark, et, s’il le faut, jusqu’en Allemagne ou en Angleterre, à la recherche d’un nouveau roi, en attendant que M. Bjœrnstjerne-Bjœrnson l’ait convaincue que le meilleur des princes serait une république, dont il se réserve sans doute de lui indiquer, l’heure venue, le président.

Cela se passait vers le 10 juin. Immédiatement, le roi Oscar saisissait le Storthing norvégien, par l’entremise de M. Berner, d’une longue protestation, ou, pour dire le vrai, d’une longue consultation politico-juridique, plus juridique que politique, docte et mesurée à en rendre jaloux les maîtres les plus réputés des universités d’Upsal ou de Lund. Droit de veto du roi de Norvège, étendue et limite de ce droit ; nécessité ou non, pour la validité constitutionnelle d’un acte royal, du contreseing d’un des ministres d’État ; considérations sur la nature et les conséquences d’une royauté double, et plus que double, « unionnelle » ou commune ; sur chaque article, comparaison et application du point de droit au point de fait : d’une part, refus par le Roi de sanctionner la décision du Storthing établissant un service consulaire séparé pour la Norvège ; d’autre part, refus par le Conseil des ministres norvégien de contresigner cette décision royale ; citations, objections, réfutations d’objections ; telle est en résumé cette lettre d’Oscar II, qui occupe une colonne en petit texte du journal le Temps, et où ce qui fait le plus défaut, ce qui est le plus rare, — à s’exprimer en toute révérence, — ce sont peut-être des paroles de roi. Il n’en apparaît guère qu’à la fin de la lettre, quand le style s’échauffe et s’allume un peu :

« Les lois que j’ai juré de respecter et le bien des royaumes unis m’ont dicté la décision que j’ai prise relativement à la question consulaire, mais le Conseil s’y est opposé non seulement par un refus de la contresigner, mais en offrant sa démission. Lorsque j’ai déclaré que, « ne voyant pas pour le moment la possibilité de former un autre gouvernement, je n’acceptais pas la démission du Conseil, les ministres ont formulé la menace que tout Norvégien qui prêterait son concours à ma décision serait dès ce moment sans patrie. Je fus donc placé dans l’alternative soit de rompre le serment que j’ai prêté au Riksakt (l’Acte d’Union), soit de me trouver sans conseil. Je ne pouvais hésiter sur la décision à prendre.

« Ainsi, après avoir cherché, contrairement aux dispositions de la loi fondamentale, à rendre nulle une décision légalement prise par le souverain, les membres du Conseil, en déposant leurs mandats auprès du Storthing, ont laissé le Roi sans conseillers. Le Storthing a approuvé cet attentat à la Constitution et, par un acte révolutionnaire, il a déclaré que le roi légitime de Norvège avait cessé de régner et que l’union avec la Suède était dissoute.

« Il appartient à la Suède et à moi, comme roi de l’Union, de décider si l’attentat entrepris contre l’Union aura pour suite la dissolution légale de cette Union. »

Encore y a-t-il deux lignes de trop, et qui affaiblissent tout le reste : « Le jugement des contemporains et de l’histoire décidera entre moi et le peuple norvégien. » Dès lors que « le roi légitime de Norvège, » cessant de régner « par un acte révolutionnaire, » s’en remettait au « jugement des contemporains et de l’histoire, » le Storthing norvégien n’avait plus à se gêner ; aussi ne faiblit-il, lui, ni ne mollit-il. Il ne s’aigrit pas davantage, et, dans sa réplique, il dit tranquillement ce qu’il veut, comme il sait qu’il le veut et qu’il le peut vouloir :

« Sire… Ce qui vient maintenant de s’accomplir en Norvège est le résultat nécessaire des événemens politiques unionnels des derniers temps et ne peut être changé ; et, comme aucun des deux peuples ne désire non plus assurément revenir à l’ancien état de choses unionnel, le Storthing ne pense pas devoir examiner les différentes questions relatives à la constitution et au droit public qui sont mentionnées dans la lettre de Votre Majesté…

« Le Storthing a pris une décision qu’il était nécessaire de prendre pour remplir son devoir envers la patrie. En déclarant la dissolution de l’Union entre les Royaumes-Unis, le Storthing n’a pas eu l’intention de briser les liens d'amitié des deux peuples. Ce qui est arrivé et qui devait inévitablement arriver en Norvège n’est que la revendication nécessaire des droits constitutionnels de la Norvège. Le peuple norvégien n’a jamais voulu blesser l’honneur de la Suède. »

C’est un ménage où l’on s’estime mutuellement, mais où faute d’avoir les mêmes goûts, les mêmes intérêts, les mêmes qualités et les mêmes défauts, ou peut-être parce qu’on a les mêmes, la vie commune est insupportable. Divorçons, séparons-nous, afin de demeurer amis : avec quelle insistance, où elle met tout ce qu’il lui fut donné de tendresse et de caresse, la Norvège chante ce couplet à la Suède !

« Le Storthing a déjà antérieurement exprimé l’idée que le peuple norvégien ne ressent ni amertune ni malveillance contre Votre Majesté et le peuple suédois. Des opinions d’une tendance opposée, qui, à de certaines occasions, auraient pu se manifester, ont, dans ce cas, été dues au mécontentement redevable à la situation de la Norvège dans l’Union. Ces motifs d’amertume et de malveillance cessant par suite de la dissolution de l’Union, leurs effets disparaîtront également.

« Une collaboration ayant duré quatre-vingt-dix ans sur le terrain des intérêts matériels et intellectuels a développé chez le peuple norvégien des sentimens d’amitié sincère et de sympathie pour le peuple suédois. La Norvège ne se trouvant plus dans une situation humiliante pour son indépendance, ces sentimens prendront un nouveau développement, affermiront et accroîtront l’entente réciproque entre les deux peuples.

« De son côté, le Storthing est disposé à satisfaire à tout désir juste et raisonnable qui pourrait, à ce propos, être exprimé en vue d’assurer l’indépendance et l’intégrité des royaumes.

« Au point de vue le droit public, les deux peuples seront, à l’avenir, séparés ; mais le Storthing nourrit la pleine assurance que, sous ce régime, il se développera de bonnes et confiantes relations pour la sauvegarde d’intérêts communs.

« La liquidation imminente peut avoir lieu sans préjugés et sans amertume.

« Le Storthing a la conviction que ce qui s’est accompli sera pour le bonheur des peuples du Nord.

« C’est pour la cause du Nord que le Storthing adresse cet appel au peuple suédois, qui, par sa magnanimité, ses sentimens chevaleresques, a conquis une place si grande parmi les nations et avec lequel le peuple norvégien désire de tout son cœur le maintien des bonnes relations. »

Mais la Suède n’entend pas de cette oreille-là. Ou elle entend mal cette musique-là. Ni le Roi, ni le Parlement, ni la presse, ni le peuple suédois, n’y sont pris. On se résigne « à ce qui est arrivé et qui devait inévitablement arriver » en Norvège ; mais que la Norvège ne demande pas plus que de la résignation, et une résignation à la fois attristée et colère.

En arrêtant, au Conseil des ministres, le projet présenté au Riksdag le 21 juin, à l’effet d’être autorisé à entrer en pourparlers avec le Storthing norvégien et de négocier un règlement conditionnel des affaires, en cas de séparation, le Roi n’a pu s’empêcher d’avouer : « C’est un pas pénible que le Conseil d’État m’engage à faire. Ma conscience me dit que j’ai, durant mon long règne, tendu vers le but qu’à mon avènement je me suis proposé, le bien des peuples frères. Il m’est vraiment pénible de contribuer à la dissolution d’une union dans laquelle j’ai cru voir l’indépendance, la sécurité et le bonheur des royaumes unis. Si pourtant je suis prêt à agir ainsi, c’est pour éviter un mal encore pire et dans la conviction qu’une union sans accord mutuel ne procurerait à la Suède aucun avantage réel. » — « Le vieux souverain est profondément blessé, note M. Bjœrnstjerne-Bjœrnson. Il s’est exprimé en termes violens sur ce qui s’est passé. »

Le Parlement, dont le président de la seconde Chambre, M. Swartling, s’est fait l’interprète, n’a pas caché son indignation : « Le peuple suédois a été douloureusement surpris d’apprendre la dissolution de l’union qui faisait naguère le bonheur des deux nations. Cette violation du droit lui a fait au cœur une blessure profonde. La nation saura, aux jours d’épreuve, se grouper autour du roi Oscar, qui a fait, comme roi de l’Union, son devoir jusqu’au bout. »

Quant à la presse, un court extrait du Svenska Dagbladet, de Stockholm, permettra de juger de la vivacité de ses sentimens, — le mot juste serait: de ses ressentimens. « Notre attitude pacifique, dit ce journal, pourrait facilement faire naître dans l’esprit des usurpateurs norvégiens un malentendu au sujet de la faculté que nous avons de réprimer leur excessive présomption. Il faut que la Suède prévienne à temps un pareil malentendu. Une mobilisation dans le sens propre du mot n’est probablement pas nécessaire ; mais, bien que l’on doive éviter tout ce qui impliquerait d’une façon quelconque une menace pour la frontière norvégienne, la situation est telle qu’il ne pourrait pas y avoir de malentendu si l’on convoquait une quantité suffisante de troupes pour des exercices dans le centre et le nord de la Suède et que l’on mît le plus vite possible la flotte suédoise en état d’aller surveiller la côte occidentale de la péninsule. »

Mais peut-être le journal s’abuse-t-il, et peut-être veut-il s’abuser. Peut-être n’y a-t-il, de la part des « usurpateurs norvégiens » aucun malentendu ; mais, au contraire, de la part de la confiante Suède, quelque négligence, quelque aveuglement, « cet esprit d’imprudence et d’erreur, » avant-coureur de ce que l’on sait. Si les « usurpateurs norvégiens » ont fait ce qu’ils ont fait, n’est-ce pas parce qu’ils étaient préparés à le faire ? Et si la Suède, roi, parlement, presse et peuple, doit s’y résigner, n’est-ce pas parce qu’elle ne s’était point préparée à le réprimer ? « La Norvège, écrivaient les Hamburger Nachrichten, au début de l’incident, le 10 juin, la Norvège n’a pas hésité à rompre l’union, parce que son armée est prête à toutes les éventualités ; il n’en est pas de même de la Suède, où l’on ne prévoyait pas une solution brusque et violente du conflit. La Norvège a fortifié également sa situation financière par un récent emprunt qu’on doit considérer comme un trésor de guerre[2]. »

En Suède, on ne prévoyait pas, mais on eût dû prévoir. On a éprouvé « une douloureuse surprise. » La douleur, soit ; mais la surprise est de trop. On n’eût pas dû être surpris. On ne pouvait pas l’être, depuis le 27 mai, jour où le roi Oscar refusa de sanctionner la décision du Storthing relative à la création d’un service consulaire norvégien ; depuis le 25 avril, jour où le gouvernement suédois avait repoussé l’idée d’ouvrir de nouvelles négociations ; depuis l’année dernière, depuis les années dernières ; depuis que sont posées les deux questions de l’organisation diplomatique, de la représentation consulaire, et tant d’autres questions avec elles, c’est-à-dire depuis les premières années, les premiers jours, les premières heures de l’union. La séparation était en germe dans l’union depuis qu’il y a une union, et la Norvège debout contre la Suède depuis qu’il y a une Suède et Norvège.

II

Ces questions sont de vieilles questions et des questions fort embrouillées ; cette histoire est une vieille histoire et une fort ennuyeuse histoire. Je ne voudrais infliger à personne la peine d’en suivre le fastidieux détail. En ce qui concerne la direction des affaires étrangères, dans les commencemens de l’union, le Roi l’exerçait personnellement, tant en Norvège qu’en Suède ; et, la constitution norvégienne portant expressément qu’ « il n’est pas nécessaire que les affaires diplomatiques soient traitées en conseil des ministres, » le Roi pouvant, pour ces affaires, prendre l’avis de qui il veut, en dehors même de ses conseillers norvégiens responsables, il s’est produit en fait, et tout naturellement, — la résidence ordinaire du Roi n’est-elle pas Stockholm ? — que, par la suite, le ministre des Affaires étrangères de Suède s’est vu charger aussi de la direction des Affaires étrangères de Norvège, et que les deux pays, Suède et Norvège, ont été à l’étranger, représentés par des légations communes. Toutefois, ce ministre suédois, qui, en un certain sens et dans une certaine mesure, était encore ministre norvégien, n’était pas constitutionnellement responsable de la gestion des affaires norvégiennes. Les affaires norvégiennes étaient donc aux mains d’un ministre suédois, conseiller irresponsable devant la Norvège, du roi commun de Suède et de Norvège, et c’est de quoi la Norvège était mécontente ; mais enfin, il y avait le Roi, dont les affaires étrangères étaient l’affaire personnelle, et c’était, pour la Norvège, un minimum de garantie.

Plus les affaires étrangères cessaient d’être, en Norvège comme en Suède, l'affaire personnelle du Roi, plus elles devinrent affaires ministérielles, plus elles semblaient devenir du même coup affaires suédoises, et plus ce mécontentement grandit. Vingt ans à peine après la naissance de l’Union, les choses, de ce chef, tournaient déjà à l’aigre. Le décret de 1835, aux termes duquel le ministre d’État norvégien, ou un autre ministre norvégien, devait être présent au conseil ministériel[3] suédois lorsqu’un rapport sur les affaires diplomatiques norvégiennes était soumis au Roi, ce décret détendit heureusement la situation ; et, bien que le Storthing, remerciant le Roi de ce progrès, y voulût voir surtout une disposition préparatoire à des réformes plus complètes, on s’en contenta durant un demi-siècle.

Ce fut la revision de la constitution suédoise, en 1885, qui, selon les meilleurs auteurs norvégiens, vint tout gâter. Cette revision enlevait au roi de Suède la direction personnelle des affaires diplomatiques suédoises pour la confier exclusivement au ministre suédois des Affaires étrangères ; mais comme, dans la pratique, ce ministre suédois était en outre chargé des affaires diplomatiques norvégiennes et des affaires diplomatiques de l’Union, il résultait de la revision constitutionnelle un nouvel avantage pour la Suède, au détriment, — en raisonnant au point de vue étroitement norvégien, — de la Norvège et de l’Union elle-même. La part de l’élément suédois augmentait, et la Norvège estimait qu’on forçait la dose. Elle réclama. On ne peut pas dire que ses récriminations ne furent pas écoutées, mais elles ne furent pas accueillies : il y avait de part et d’autre trop d’acrimonie pour qu’il fût possible d’aboutir à une entente; et, ni en 1885-1886, ni en 1891, ni en 1895, ni en 1898, malgré les grands « comités unionnels » institués à l’imitation de ceux de 1844 et de 1867, on ne réussit à tomber d’accord.

Que revendiquait la Norvège ? Tout simplement l’égalité des deux royaumes dans la direction des affaires étrangères. « Les affaires norvégiennes seraient traitées par le ministre des Affaires étrangères de Norvège, les affaires suédoises par celui de Suède, et les affaires communes des deux pays par les deux ministres réunis. » Auparavant, on avait songé à un ministre des Affaires étrangères commun, responsable devant les Chambres des deux pays. Et que répondait la Suède ? Que le ministre des Affaires étrangères de Suède serait celui de l’Union et celui de la Norvège ; puisque « ni l’acte d’Union, ni aucune autre loi unionnelle ne concède à la Norvège de prendre part à la discussion des affaires « ministérielles, » c’est-à-dire diplomatiques. Peu à peu pourtant, on en venait en Suède à l’idée d’un ministre des Affaires étrangères commun, suédois ou norvégien ; mais le malheur est qu’on y venait après que la Norvège l’avait abandonnée, car non seulement les deux pays ne pensent pas souvent la même chose, mais quand, par miracle, ils pensent de même, ils ne pensent jamais de même en même temps. C’est en 1898 que les divers partis du Parlement suédois se rangeaient à cette solution, recommandée dès 1893 par le ministre des Affaires étrangères, et ils la hérissaient de conditions que la Norvège jugeait inacceptables ; c’est en 1903 que le gouvernement suédois avouait que « l’organisation actuelle ne concorde pas avec la prétention justifiée de la Norvège à une égalité de situation dans l’Union. » En 1905, la Norvège, plus nettement et radicalement, allait faire savoir que l’Union elle-même ne concordait plus avec sa prétention à l’égalité dans la souveraineté ; pour l’y maintenir, soit de son propre gré, soit malgré elle, la Suède alors, — comme on l’a dit, en d’autres circonstances, de l’Autriche, — était en retard d’une idée, d’une année, et peut-être d’une armée.

Pour ce qui est de la question des consulats, la Norvège réclamait un service consulaire spécial, service qu’exigeaient, à l’en croire, les intérêts de son commerce extérieur, distincts des intérêts du commerce suédois, et même, dans certains cas, opposés à ceux-ci. Elle ne voulait ni des consuls suédois, ni même des consuls de l’Union, mais des consuls purement norvégiens ; et, fondant sa réclamation en fait sur ses intérêts et sur ses besoins, elle la fondait en droit sur les dispositions de la constitution votée à Eidsvold, le 17 mai 1814, qui visaient les consuls de Norvège, et que rien n’avait ultérieurement modifiées, lors de l’établissement de l’Union, en vertu de la convention de Moss du mois d’août de la même année. Si donc il était question de consuls de Norvège dans la constitution d’Eidsvold, et si l’acte d’union n’a rien innové sur ce point, quoi qu’on en ait pu dire en Suède, comme « on juge de la validité d’une loi d’après ce qui se trouve écrit, et non pas d’après ce qui aurait pu être écrit, » le droit de la Norvège à avoir des consuls norvégiens apparaît entier et incontestable. Il est vrai qu’ « au début de l’Union, pour des raisons pratiques, la Norvège trouva utilité à se servir, jusqu’à nouvel ordre, comme consuls des mêmes personnes que la Suède, en faisant usage de l’autorisation, accordée par l’article 92 de la constitution, de nommer des étrangers, consuls de Norvège[4] ; » — mais justement, les Suédois étaient des étrangers, et, par conséquent, on pouvait les nommer consuls de Norvège, « pour des raisons pratiques » et, « jusqu’à nouvel ordre, » sans abandonner ni affaiblir en quoi que ce soit le droit, pour la Norvège, quand elle ne trouverait plus utilité à se servir des mêmes personnes que la Suède, d’avoir des consuls bien à elle, des consuls norvégiens qui ne fussent que norvégiens. Ce droit, au contraire, la Norvège l’a toujours affirmé et maintenu énergiquement, par exemple en 1847, dans une controverse à ce sujet avec la Suède. Vainement la Suède, à plusieurs reprises, a tenté de lier l’une à l’autre la question diplomatique et la question consulaire ; sans céder d’ailleurs ni sur l’une ni sur l’autre, la Norvège a toujours répondu que c’étaient deux questions différentes, dont chacune devait être considérée à part et en soi, telle ou telle solution donnée à l’une n’entraînant nullement la même solution pour l’autre, et la direction des affaires étrangères pouvant être commune à la Suède et à la Norvège, quoiqu’il y eût, par hypothèse, des consulats particuliers de Suède et des consulats particuliers de Norvège ; de toute manière, l’argument tiré, pour la diplomatie, de la nécessité d’une direction unique (et aussi de l’indivisibilité de la souveraineté), cet argument ne portait pas, était sans force pour le service consulaire.

Ici encore, je veux dire dans cette querelle, la revision suédoise de 1885, qui plaçait le ministre des Affaires étrangères de Suède, chef depuis 1858 du service consulaire commun, sous le contrôle et dans la dépendance du Parlement suédois, et de ce Parlement seul, une pareille mesure eut une importance capitale. La Norvège répliqua en adoptant, dès 1891, « le principe d’un service consulaire norvégien distinct. » Votes du Storthing en ce sens ; veto du Roi ; et, en 1892, première crise : le ministère s’en va, un nouveau cabinet est formé que le Storthing accueille par un ordre du jour de défiance ; et troisième crise, plus longue et plus aiguë, en 1895. Si l’on faisait un comité, sinon unionnel, au moins composé de membres choisis dans les deux pays, peut-être s’entendrait-on ; on le fait, on discute pendant trois ans, et finalement on ne s’entend pas. On ne pouvait pas s’entendre : les Norvégiens veulent absolument un service consulaire à eux, et tout aussi absolument les Suédois ne veulent pas le leur donner ; comment concilier deux absolus inconciliables ? Quatre autres années pourtant s’écoulèrent assez paisibles, de 1898 à 1902, en attendant que, sur l’initiative de la Suède, grâce surtout à M. Lagerheim, ministre des Affaires étrangères, non plus théoriquement, mais administrativement on se mit à examiner, — encore dans un comité commun, — « la question de la création de services consulaires distincts, sans s’occuper de la question des affaires étrangères, » ce qui était déjà pour la Suède accepter le point de vue norvégien. Les commissaires, M. Ibsen, plus tard ministre d’État, et M. W. Christophersen, consul général à Anvers, pour la Norvège, M. Bildt, maintenant ministre à Londres, et M. Ameen, consul général à Barcelone, pour la Suède, à l’unanimité, formulèrent leurs conclusions en ces termes :

« Il est possible de nommer des consuls norvégiens spéciaux, ressortissant exclusivement à l’autorité norvégienne, et des consuls suédois spéciaux, ressortissant exclusivement à l’autorité suédoise. Toute immixtion de la part du ministre des Affaires étrangères dans la direction du service consulaire norvégien cessera, excepté pour ce qui concerne l’obtention de l’exequatur ; de même son autorité disciplinaire vis-à-vis des consuls norvégiens n’existera plus. Ces fonctions sont transmises à un ministère du gouvernement norvégien, qui forme la direction consulaire norvégienne. »

Conformément à cette résolution, M. Boström, président du Conseil suédois, M. Lagerheim, ministre des Affaires étrangères, M. Blehr, président du Conseil norvégien, et plusieurs autres ministres, signaient, le 24 mars 1903, un accord qui posait pour bases aux futures négociations (mais, si l’on était d’accord, qu’y avait-il tant à négocier ? et cet abus du formalisme n’a-t-il pas été pour beaucoup dans le mauvais ménage et dans la brouille des deux royaumes qui se séparent ?) :

« 1. Il sera créé des services consulaires distincts pour la Suède et pour la Norvège. Les consuls de chacun des royaumes ressortiront à l’autorité qui, dans leurs pays respectifs, aura été désignée à cet effet.

« 2. La situation des consuls distincts vis-à-vis du ministre des Affaires étrangères et des Légations sera réglée par des lois de même teneur, qui ne pourront être modifiées ni abrogées sans l’assentiment des autorités d’État des deux royaumes. »

La Norvège fut ravie, au point que, certains de ses ministres lui paraissant suspects de quelque tiédeur, elle changea, aux élections de l’automne 1903, la majorité de la Chambre et détermina de la sorte la formation, sous la présidence de M. Hagerup, leader du parti conservateur, d’un ministère tout à fait favorable à l’arrangement. La Suède ne fut pas aussi contente, et le montra en ne se hâtant pas d’élaborer les projets de loi, le projet d’organisation et le projet de budget prévus et que la Norvège, pour son compte, put présenter au mois de mai 1904. Les intransigeans firent plus et pis : ils s’y prirent si bien qu’ils forcèrent M. Lagerheim, promoteur suédois de l’entente, à se retirer, au profit du président du Conseil, M. Boström, qui, tout en ayant signé l’accord du 24 mars 1903, ne se décida à présenter à la Chambre suédoise, en novembre 1904, six mois après que le projet norvégien avait été déposé, qu’un projet répondant très peu à l’esprit de cet accord et dont le ministre d’État norvégien, M. Hagerup, pouvait écrire : « Suivant les principes ordinaires du droit public et international, il imprimerait à la Norvège la marque d’un État vassal. » Il était sûr, dès cet instant, que l’entente n’irait pas plus loin, ne dépasserait pas les généralités préliminaires. En décembre, sur l’insistance de M. Boström, elle échouait irrémédiablement. Si les Suédois eurent tous les torts, comme le veulent les Norvégiens, ou si ce furent les Norvégiens, comme le soutiennent les Suédois, ou s’il y en eut plutôt des deux côtés, c’est ce qu’on nous dispensera de rechercher. La Suède eut du moins le tort gros de conséquences pour elle, refusant de donner satisfaction à la Norvège, de ne pas réfléchir où ce refus l’allait conduire, et de ne pas se tenir prête aux événemens qu’elle-même déchaînait.

Comment n’y réfléchit-elle pas dans la fin de 1904 et les premiers mois de 1905 ? Comment, encore une fois, la rupture accomplie le 7 juin a-t-elle pu lui causer « une douloureuse surprise ? » Elle était prévenue ; elle l’était officiellement. M. Hagerup le lui avait déclaré, sans détour, en plein Storthing, dès le 8 février : « La situation est très sérieuse ; l’état unionnel actuel est insoutenable. Maintenant plus que jamais, notre tâche doit donc être de faire établir entièrement les conditions indispensables à la Norvège pour occuper, au point de vue du droit d’État et du droit international, la situation qui lui revient à titre de royaume souverain, et que les Norvégiens ont toujours été unanimes à revendiquer. » La question du service consulaire s’efface, la véritable question se dégage ; et elle est tout autre, et elle est plus haute : il s’agit, au fond, de l’indépendance du royaume de Norvège, de son indépendance, gage et signe de sa souveraineté : « Nous autres Norvégiens, appuie le successeur de M. Hagerup, M. Michelsen, à la séance du Storthing du 15 mars 1905, nous avons certes le droit, que nous accordent l’histoire et la constitution, de vivre notre propre vie nationale, comme nation libre, et nous sommes absolument convaincus que la volonté une et inflexible de notre peuple de faire tous les sacrifices nécessaires à la réalisation de ce droit conformément à la loi fondamentale de la Norvège nous mènera au but. » À ces mots, tous les députés se lèvent, un souffle passe, le président prend la parole ; c’est un serment du Jeu de Paume : « Je crois pouvoir exprimer, au nom de l’Assemblée, l’espoir certain d’une bonne collaboration pleine de confiance entre le gouvernement et le Storthing ; j’exprime aussi la conviction que le Storthing accordera au gouvernement son ferme appui pour la solution de la tâche grande et difficile qui leur incombe à tous deux. »

On s’expliquerait mal que la Suède eût été réellement « surprise, » alors que, le 5 avril, le prince-régent en personne avait proposé la motion suivante :

« J’engage par les présentes les conseils des ministres des Royaumes-Unis, sans maintenir étroitement les points de vue auxquels ils se sont arrêtés antérieurement, à entamer immédiatement, des deux côtés, des négociations libres et amicales, concernant une nouvelle réglementation de toutes les questions unionnelles, et en se fondant sur ce principe essentiel que l’on doit chercher à établir une égalité complète entre les deux pays.

« La voie qui, je le crois, doit être suivie, et par laquelle, à mon avis, en faisant, de part et d’autre, preuve de bonne volonté, on peut arriver à une solution entièrement satisfaisante, est celle-ci :

« Ministre des Affaires étrangères commun, norvégien ou suédois, responsable devant les deux royaumes ou devant une institution commune.

« Service consulaire distinct pour chacun des royaumes, en établissant toutefois que les consuls, pour tout ce qui concerne les rapports avec les puissances étrangères, seront placés sous la direction et le contrôle du ministre des Affaires étrangères.

« Si, au cours des négociations, on pouvait trouver une autre forme pour la réglementation des questions unionnelles, tout en conservant la communauté dans la gestion et l’administration des Affaires étrangères, condition indispensable au maintien de l’union, je me déclare disposé à la prendre, elle aussi, en sérieuse considération. »

La Norvège vit là une espèce de manœuvre dilatoire ; elle tint bon et sur la question des affaires étrangères, et principalement sur la question des consulats, et avant tout sur son droit à régler elle-même et elle seule cette question, « réservée aux autorités d’État norvégiennes, » comme « étant en dehors de la communauté établie entre les deux royaumes par l’acte d’Union[5]. » Plus de négociations, et pas « d’autre forme de réglementation des questions unionnelles. » Une solution, tout de suite, et cette solution : création par la Norvège de consulats norvégiens. Cela fait, on avisera, mais cela sans délai ni atermoiement. « Le département est d’avis de ne pas entamer de nouvelles négociations au sujet des rapports unionnels avant que le service consulaire n’ait été institué. Alors seulement la confiance renaîtra ; c’est une condition indispensable à une discussion amicale et féconde sur des rapports unionnels difficiles et délicats à traiter ; le département pourra alors conseiller que des négociations soient entreprises pour organiser la direction des Affaires étrangères et de la diplomatie, pour examiner l’union existant en vertu de l’acte d’Union et les questions qui s’y rattachent.

« Le cas échéant, ces négociations devraient être conduites sur des bases absolument libres, en reconnaissant entièrement, sans réserves ou délimitation d’aucune sorte, la souveraineté de chacun des royaumes ; elles devront comprendre également, conformément à ce qui se fit en 1898, l’organisation, proposée du côté norvégien, d’une direction des affaires étrangères séparée pour la Norvège et pour la Suède, dans les formes jugées nécessaires pour chacun des royaumes, afin de veiller à ses devoirs et à ses intérêts.

« Conformément à ce qui précède, on devrait en outre être d’accord que, si ces nouvelles négociations, elles aussi, ne devaient aboutir à aucun résultat, on ne reviendrait pas au statu quo et au maintien de l’état de choses insoutenable dans lequel se trouvent actuellement les affaires unionnelles. Il faudrait que l’on fût étroitement lié par une clause établissant que les rapports existant actuellement ne seront pas, pour les royaumes, un empêchement à l’exercice de leur souveraineté, mais qu’ils seront libres, chacun pour soi, de déterminer les formes futures de leur existence nationale. Car ce n’est pas une union fondée sur la contrainte, mais ce sont seulement la confiance réciproque et la sympathie qu’ont l’une pour l’autre deux nations libres et indépendantes, qui peuvent assurer l’avenir des deux peuples, l’indépendance et l’intégrité des deux royaumes[6]. »

Et le gouvernement suédois aurait éprouvé, le 7 juin, « une douloureuse surprise ! » Mais n’avait-il pas dit au mois d’avril : « Le ministère norvégien repoussant maintenant l’idée d’entamer de nouvelles négociations avant qu’un service consulaire séparé pour la Norvège soit créé, et établissant, en vue de nouvelles négociations éventuelles, des conditions incompatibles avec l’union et l’acte d’union, il est clair que des négociations sur les bases indiquées ne peuvent pour le moment être entreprises avec utilité[7] ? » L’ayant dit, ne s'était-il pas entendu répondre, par les ministres norvégiens présens, que « le but de la Norvège n’est pas d’obtenir la dissolution de l’union existant actuellement. D’autre part, on croit devoir maintenir qu’une telle dissolution est autorisée, et que des négociations qui, après que les autorités d’État y ont acquiescé, mettent en avant une éventualité de ce genre, sont conciliables avec l’acte d’union. »

C’est ainsi qu’on parlait en style officiel, de gouvernement à gouvernement et de nation à nation, mais l’opinion publique s’exprimait plus clairement, plus catégoriquement encore. « Que va-t-il se passer ? demandait le champion norvégien, M. Fridtjof Nansen (le champion suédois étant un autre explorateur illustre, M. Sven Hedin). Le Storthing a voté à l’unanimité une loi portant création d’un service consulaire norvégien séparé. Le cours des événemens dépend maintenant en grande partie du pouvoir royal. Il nous est difficile, à nous autres Norvégiens, de nous imaginer que le représentant du pouvoir royal en Norvège puisse refuser sa sanction à une loi réclamée aujourd’hui d’une manière aussi unanime par le peuple norvégien, et qui, depuis 1892, a toujours été victorieuse aux élections avec une puissance de plus en plus grande.

« Si pareille chose arrivait, comme on semble le supposer dans certains milieux, cela ne pourrait être que la conséquence de l’influence suédoise. » Mais l’influence suédoise n’est point constitutionnelle, en Norvège, dans une affaire norvégienne ; et, si pareille chose arrive, « il ne sera pas possible au pouvoir royal de trouver un ministère norvégien voulant prendre la responsabilité d’une telle mesure. Or, sans un gouvernement responsable, le pouvoir royal non responsable ne peut ni gouverner ni prendre de décisions gouvernementales. Si le pouvoir royal continue à maintenir son refus de sanction, il se sera par suite placé lui-même hors de la constitution, pour avoir essayé d’introduire un principe aristocratique personnel sans conseillers responsables, ce qui est en contradiction directe avec les principes et les termes de notre constitution.

« On a dit que, dans ce cas, il y aurait révolution en Norvège ; mais ce ne sera pas le peuple norvégien, ni le Storthing norvégien, ni le gouvernement norvégien, qui aura fait cette révolution ; car le fait que le peuple norvégien réclame un service consulaire distinct n’est pas une révolution ; le fait que le Storthing norvégien prend une résolution dans le même sens n’est pas une révolution ; le fait que le gouvernement norvégien conseille la sanction de cette décision ayant forme de loi n’est pas une révolution. Un gouvernement ne fait pas une révolution en refusant d’agir contrairement aux intérêts de son pays ; le fait que le pouvoir royal ne se trouve pas à même, par la suite, de former un nouveau gouvernement n’est pas non plus une révolution, car, on ne peut pas forcer les citoyens d’un pays à faire partie d’un ministère.

« Mais l’assemblée nationale, élue selon la loi, et siégeant selon la loi, ne peut pas laisser le pays sans gouvernement ; et, le pouvoir royal s’étant placé lui-même hors de fonction, le Storthing doit prier l’ancien ministère de continuer à fonctionner et d’exécuter les actes gouvernementaux, comme si le pouvoir royal était présent. Ceci non plus n’est naturellement pas une révolution, mais simplement ce qu’exige l’état de choses qui est survenu[8]. »

Et pourtant si ! c’était une révolution ; « il y a révolution en Norvège ; » mais il reste quand même vrai de dire qu’ainsi « l’exigeait l’état de choses qui est survenu ; » et ce n’est ni le peuple norvégien, ni le Storthing norvégien qui ont fait cette révolution : elle s’est faite en quelque sorte toute seule, elle s’est levée du fond de l’histoire.

III

Le 14 janvier 1814, à Kiel, « le sieur Gustave, baron de Wetterstedt, chancelier de la cour, commandeur de l'ordre polonais de l’Étoile, chevalier de l’ordre prussien de l’Aigle rouge de première classe, l’un des dix-huit de l’Académie suédoise, » signait en sa qualité de plénipotentiaire de Sa Majesté le roi de Suède, avec le plénipotentiaire de Sa Majesté le roi de Danemark, un traité de paix où il était stipulé :

« Art. IV. — S. M. le roi de Danemarc[9], pour lui et ses successeurs, renonce irrévocablement et à jamais, en faveur de S. M. le roi de Suède et de ses successeurs, à tous les droits et prétentions au royaume de Norvège ; savoir aux évêchés ci-après dénommés, savoir, celui de Christiansand, de Bergenhuus, d’Aggerhuus et Frondhiem[10], avec le Nordland et les marches finoises jusqu’aux frontières de l’Empire russe[11] ; les évêchés et provinces constituant le royaume de Norvège, avec les habitans, villes, forts, forteresses, villages et îles, le long de toutes les côtes de ce royaume, ainsi que leurs dépendances, le Groenland et les îles Ferroë et d’Islande exceptés, de même que toutes les prérogatives, tous les droits et émolumens, appartiendront dorénavant en propriété entière et souveraine à S. M. le roi de Suède, et formeront un royaume uni à celui de Suède. À cette fin, S. M. le roi de Danemarc s’engage et oblige de la manière la plus solennelle, pour elle-même et pour ses successeurs, ainsi que pour tout le royaume, de ne former à l’avenir aucune prétention ni directe, ni indirecte sur le royaume de Norvège, ni ses évêchés, îles ou autre territoire. En vertu de la présente, tous les habitans sont dégagés du serment qu’ils ont prêté au roi et a la couronne de Danemarc.

« Art. V. — S. M. le roi de Suède s’engage par conséquent de la manière la plus formelle de laisser jouir, pour le futur, les habitans du royaume de Norvège et de ses dépendances de toutes les lois, libertés, de tous les droits et privilèges maintenant existans[12]. »

On a longuement épilogué, et l’on pourrait épiloguer longuement encore sur les termes de ce traité. Suédois et Norvégiens les ont regardés à la loupe, coupés au scalpel, comptés au compte-fils, passés au crible et pesés au scrupule, pour y découvrir les uns et les autres quelque chose qui serve leurs prétentions contradictoires. La vérité, pour quiconque a la bonne foi plus facile, étant plus désintéressé, est qu’il y a dans ces deux articles, comme en tout texte qui se respecte, du pour et du contre, et, comme on dit, à boire et à manger. Les Norvégiens soutiennent que la Norvège forme un royaume, qui doit jouir à l’avenir de toutes les libertés, de tous les droits et privilèges dont il est en possession au 14 janvier 1814 ; et le texte leur donne raison. Mais les Suédois soutiennent que ce royaume, qui d’ailleurs était soumis aux mêmes charges que « les autres parties de la monarchie danoise, » est cédé « irrévocablement et à jamais » au roi de Suède et à ses successeurs, pour leur appartenir dorénavant en propriété entière et souveraine, » avec « toutes les prérogatives, tous les droits ou émolumens ; » et le texte, à eux aussi, leur donne raison.

Tout de suite, les Norvégiens ont senti ce qu’il y avait pour eux de subordonné, d’assujetti, dans cette cession, ce qu’il y avait de mauvais et de menaçant pour eux dans cette rédaction. Et, comme le traité prescrivait que les territoires de la Norvège « formeraient un royaume uni à celui de Suède, » tout de suite ils voulurent, premièrement essayer d’éviter l’union, et deuxièmement, s’ils ne le pouvaient pas, éviter au moins que l’union reposât sur le texte de Kiel. La première séparation de la Norvège et de la Suède est donc en quelque sorte antérieure à leur union. Par la constitution d’Eidsvold du 17 mai 1814, par la proclamation comme roi de Christian-Frédéric, prince héritier de Danemark et Norvège, la Norvège tenait, avant de lui être unie, à se séparer de la Suède. Mais le roi de Suède Charles XIII, et derrière lui ou devant lui Charles-Jean Bernadotte, — qui ne voulait pas perdre le fruit de sa trahison et qui n’était pas homme à rejeter les trente deniers, — n’étaient pas disposés à lâcher leur prise. La Norvège se fortifiant, la Suède mobilisa. On se battit un peu, on intrigua beaucoup, et, à ce petit jeu, le Béarnais eut le dessus, comme il l’eût eu probablement du reste, avec plus ou moins de peine, au grand jeu de la guerre. « Tenant compte, dit-il, — car il était bon prince ! — de la situation très tendue de l’Europe, » Charles-Jean consentait, au nom de son roi, à accepter la constitution norvégienne nouvellement votée ; il faisait toutefois certaines réserves « pour les modifications qu’une union avec la Suède rendrait nécessaires, et au sujet desquelles on devrait entamer des négociations directes avec le Storthing norvégien. » En octobre, le Storthing réuni examina ces modifications que l’union rendait nécessaires, et, les ayant adoptées, il reçut, le 4 novembre, l’abdication de Christian-Frédéric, à la place duquel il élut roi de Norvège le roi de Suède Charles XIII. Royalement, Bernadotte, Charles-Jean, à partir de ce jour prince héritier de Suède et de Norvège, déclara devant le Storthing que l’union était faite, et qu’elle avait pour base l’élection « spontanée et unanime » du peuple norvégien, et non les traités conclus antérieurement et auxquels les Norvégiens n’avaient pris aucune part.

C’est ce que répéta constitutionnellement, et presque plus que constitutionnellement, le Rigsakt du 6 août 1815 : Il avait pour objet, disait-on, d’organiser cette union fondée « non par les armes, mais par une libre conviction ; » et c’est aussi ce qu’auraient confirmé, d’après les Norvégiens, et le Roi dans son message aux États de Suède, et les États de Suède eux-mêmes dans leur réponse au message. Au fond, la Suède était peu enthousiaste, et le Rigsakt, tel qu’il restait, ne la comblait pas de joie, si le mot est vrai qu’on prête au vieux roi Charles XIII : « C’est une union à faire pleurer[13] ! » Il semble donc que la Norvège eût du avoir satisfaction : l’amour-propre, l’orgueil national, le point d’honneur étaient saufs. Mais le point d’honneur n’est pas tout, même pour les peuples qui y sont le plus jalousement attentifs : et tout le Rigsakt n’était pas dans cette déclaration de principes ; venaient ensuite les dispositions formelles. « La Norvège est un royaume libre, indépendant, indivisible et inaliénable, uni à la Suède sous un même roi (article 1er). — Si la maison royale vient à s’éteindre, le Storthing norvégien et la Diète suédoise, ou, en cas de dissentiment, un comité composé d’autant de Norvégiens que de Suédois, élisent un successeur aux trônes (art. 3). En cas d’absence, de maladie ou de minorité du roi, le gouvernement intérimaire qui exerce la direction des affaires est composé d’un nombre de membres égal pour chaque royaume. Le roi est couronné séparément dans chaque royaume, et il est tenu de résider chaque année « quelque temps » en Norvège. Il est assisté d’un Conseil d’État suédois et d’un Conseil d’État norvégien ; même à Stockholm, il a toujours à ses côtés un ministre d’État ou un conseiller d’État, c’est-à-dire un ministre norvégien. C’est bien ; et n’était ce « quelque temps » qui la rompt un peu à l’avantage de la Suède, n’était aussi que ce ministre norvégien, dans le conseil ministériel, se trouve seul contre trois, l’égalité entre les deux royaumes paraîtrait au dehors à peu près garantie ; l’inégalité, tout au moins, ne serait pas choquante.

Oui, mais encore le Rigsakt, cette espèce de super-constitution, de plus-que-constitution commune, l’acte d’union des deux royaumes n’est pas tout ; chacun des deux royaumes. Suède et Norvège, a sa constitution particulière, qui lui fait ossature ou substructure ; et ces constitutions particulières diffèrent au plus haut degré l’une de l’autre. « La Suède a un système de deux Chambres bien établi, tandis que le Storthing de Norvège est élu en une fois et forme en réalité une seule Chambre, qui ne se partage que pour les questions de législation pure ou en cas de mise en accusation des ministres… La législation ordinaire, aussi, est particulière à chacun des deux pays. Dans beaucoup de matières elle est en outre fondée sur des principes tout à fait disparates. De même pour l’organisation militaire dans les deux royaumes, chacun d’eux ayant son armée et sa marine séparée, sans autre lien que le roi, en sa qualité de généralissime. Enfin, toutes les autres institutions vitales de l’État, telles surtout que les ministères et les fonctionnaires, les cours de justice, les douanes et les finances, sont séparées. Aussi est-il également impossible à des Norvégiens d’occuper des fonctions de l'État en Suède, et à des Suédois d’en occuper en Norvège. Les marchés particuliers des deux pays sont séparés par des frontières douanières et chaque nation contracte sa propre dette publique dont elle est seule responsable. Chacun des deux royaumes a ses armes et son pavillon de commerce[14]. » À peine si, sur le pavillon de guerre, et en vertu des constitutions séparées, le signe de l’union apparaît dans un coin, près de la hampe. Tout, jusqu’aux symboles, sépare ces royaumes unis. Tout dans les lois, dans l’histoire, dans les mœurs. L’acte qui devait organiser l’union n’organise qu’un perpétuel conflit ; pour résoudre ce grand conflit, la Norvège, à la « douloureuse surprise » de la Suède, a pris le grand moyen : dissoudre l’union.

Mais demain ? De quoi demain sera-t-il fait ? La Norvège, aujourd’hui, demande un roi ; elle le demande à la Suède ou au Danemark — ressouvenirs anciens ! — et plus loin, par delà la Baltique, ou la mer du Nord, peut-être que le Ciel, aidé par les hommes, se prépare à lui envoyer quelque soliveau d’Angleterre ou quelque grue d’Allemagne. Si elle ne trouve pas de roi, fera-t-elle comme d’autres, apprendra-t-elle à s’en passer, et ses tendances démocratiques tourneront-elles subitement à des institutions républicaines ? Et comment se comportera-t-elle envers la Suède ? L’alliance remplacera-t-elle l’union, ou, au contraire, la rivalité s’exaspérera-t-elle en hostilité ? Si c’est l’alliance, se bornera-t-elle à la Norvège et à la Suède seules, ou le Danemark y sera-t-il appelé ou admis en tiers, comme jadis, à diverses reprises et par alternatives, dans les « unions » tentées et plus ou moins manquées depuis 1319 ? Le verrons-nous surgir, au soleil de minuit, ce « Nord » au bonheur duquel la Norvège convie la Suède à travailler ? Le « Nord ; » un petit mot, qui se glisse presque inaperçu : un tout petit mot, une ambition immense. Mais, s’il surgit, que fera-t-il avec ses trois royaumes, peuplés, à eux trois, d’une dizaine de millions d’habitans, et pris comme entre trois banquises, entre trois masses impériales : la masse germanique, 60 millions, la masse russe 125 millions, et la masse britannique, combien de millions d’hommes ? Sous le protectorat de qui tombera-t-il ? Par quel effort lui-même s’en arrachera-t-il, ou d’autres l’en arracheront-ils ? Ses rois seront-ils ou ne seront-ils pas réduits à n’être, eux, en toute vérité et non pas seulement en voyage, pour l’incognito, des comtes du Nord, des Jarls norvégiens, danois ou suédois, sous les Empires et les Empereurs ? Tout cela finira-t-il, comme cela a commencé, pacifiquement ? Ou la « Conciliation internationale » devra-t-elle aller faire ses offres de services dans ces pays dont elle promenait triomphalement les parlemens et où elle se flattait d’avoir recruté tant d’adeptes ?

Nous ne le savons pas, et nul ne le sait. Mais la leçon que le philosophe peut dès à présent tirer de là, — puisque toute chose contient une leçon et qu’il ne faut en perdre aucune, — c’est que, personnelles ou réelles, quelque distinction qu’on y fasse et à quelque « puissance » qu’on les porte, les unions d’États sont bien difficiles à réaliser. Elles vivent dans les larmes, après être nées et souvent avant de mourir dans le sang. — Sans métaphore, elles se forment péniblement, durent peu, ne peuvent rien, ne marchent pas bien, finissent mal. La monarchie austro-hongroise, où l’on a résolu, autrement qu’en Suède et Norvège, le problème de l’union (l’empereur d’Autriche, roi de Hongrie ; un ministre commun des Affaires étrangères, unique pour toute la monarchie, deux ministres communs de la Guerre et des Finances, avec des ministères particuliers pour l’Autriche et pour la Hongrie ; deux délégations, l’une autrichienne, l’autre hongroise, pour traiter des affaires communes), l’union austro-hongroise n’est point dans un état de santé merveilleux. L’union suédo-norvégienne était si malade qu’elle en est morte. Une confédération, soit : la souveraineté y est partagée inégalement entre la confédération et les États particuliers ; un État fédératif, soit : la souveraineté y est partagée plus inégalement encore, et l’État fédératif y tend à absorber, comme dans l’État parfait, celle des États particuliers ; mais une union où la souveraineté soit partagée également, — où les parties soient aussi fortes l’une que l’autre et chacune d’elles aussi grande que le tout, — si la politique est une géométrie, c’en est, pourrait-on dire, « la quadrature du cercle. »

Charles Benoist.
  1. D’après des nouvelles récentes, la Norvège aurait du moins sondé les États-Unis, qui auraient ajourné leur réponse.
  2. Du dénombrement récemment publié des forces respectives de la Suède et de la Norvège, il résulte que les armées des deux États, bien que la population de la Suède atteigne presque le double de celle de la Norvège, sont égales à quelques milliers d’hommes près, quelques unités navales, et quelques dizaines de pièces de canon. Néanmoins le Riksdag suédois a paru dans ces derniers jours pencher vers des résolutions assez énergiques, et il a, en tout cas, mis pour sa part, à la séparation, des conditions assez nettes.
  3. « Dans certains cas, le ministre des Affaires étrangères devait faire un rapport sur les affaires extérieures à un Conseil dit « ministériel, » composé, avec le ministre des Affaires étrangères, d’un seul ministre suédois… En vertu de la revision constitutionnelle de 1885, le premier ministre suédois fut nommé troisième membre permanent du Conseil ministériel dans lequel doivent se discuter les affaires diplomatiques ; et la place de la Suède dans l’Union en fut élargie d’autant. » — Voir Fridtjof Nansen, la Norvège et l’Union avec la Suède ; 1 vol. in-12, 1905, Juven. En Suède, on déclare volontiers « inconstitutionnel et illégal » le décret de 1835 donnant à un ministre norvégien le droit d’assister au « Conseil ministériel » pour les affaires étrangères. Voyez L’Union entre la Suède et la Norvège, extrait du Nya Dagligt Allehanda, de Stockholm ; une brochure in-8o, Per Lamm.
  4. Fridtjof Nansen, la Norvège et l’union avec la Suède, 67. — Voyez aussi l’Union entre la Suède et la Norvège, publication du journal Nya Dagligt Allehanda, de Stockholm ; et le Conflit suédois-norvégien sur la question du ministère des Affaires étrangères et des consulats, par un membre de la Diète suédoise ; ces deux brochures, à Paris, chez Per Lamm.
  5. Réponse du gouvernement norvégien en Conseil des ministres combiné (25 avril 1905). Voyez Nansen, ouvrage cité, p. 91 et suivantes.
  6. Réponse du gouvernement norvégien (25 avril 1905). Voyez Nansen, p. 94-95.
  7. Ibid., p. 95.
  8. Fridtjof Nansen, la Norvège et l’union avec la Suède, p. 96-97.
  9. Je respecte l’orthographe du texte publié par G. F. de Martens, Supplément au recueil des principaux traités, t. V. 1803-1814, avril inclusivement, Gottingue, Dieterich, 1817, p. 666 et suivantes.
  10. Ici il faut lire évidemment Trondhjem. Aggerhus pour Akershus.
  11. Ici Martens n’a mis qu’une virgule. Il faudrait peut-être un point.
  12. L’article vi vise le règlement de la dette. « Comme la totalité de la dette de la monarchie danoise repose aussi bien sur le royaume de Norvège que sur les autres parties du royaume, le Roi de Suède, souverain de la Norvège, s’engage de se charger d’une partie de ces dettes, proportionnée à la population et aux revenus de la Norvège. Par dette publique sont entendues aussi bien celle qui a été contractée par le gouvernement danois à l’étranger, que celle qu’il a contractée dans l’intérieur de ses États. La dernière se compose d’obligations royales et de l'État, de billets de banque et d’autres papiers émis par autorité royale et actuellement circulant dans les deux royaumes. Le montant exact de cette dette, tel qu’il était au 1er janvier 1814, sera fixé par des commissaires qui seront nommés pour cela par les deux gouvernemens, et réparti d’après un calcul exact sur la population et les revenus des royaumes de Danemarc et de Norvège. Ces commissaires s’assembleront à Copenhague dans le mois après la ratification de ce traité, et termineront cette affaire le plus promptement, mais au plus tard dans le courant de cette année. Il est bien entendu que Sa Majesté le roi de Suède, comme souverain du royaume de Norvège, ne se chargera, pour sa part, d’aucune dette contractée par le royaume de Danemarc, si ce n’est la susdite, au payement de laquelle tous les États de ce royaume, jusqu’à cession de la Norvège, sont engagés. »
    Art. xv (§ 5), xvi, xx, xxii, xxiii et xxvi. — Clauses exécutoires.

    Outre le traité entre la Suède et le Danemark, ce même jour, 14 janvier 1814, était signé à Kiel un autre traité de paix entre le Danemark et la Grande-Bretagne, qui portait :

    « Art. x. — Comme Sa Majesté danoise, en vertu du traité de paix conclu ce jour avec le roi de Suède, a cédé la Norvège à sa dite Majesté, moyennant une certaine indemnité convenue. Sa Majesté britannique, qui, par là, a vu ses engagemens avec la Suède remplis, promet, de concert avec le roi de Suède, d’employer ses bons offices auprès des puissances alliées, à la paix générale, à l’effet d’obtenir par le Danemarc une indemnité convenable pour la cession de la Norvège. » (Martens, V, p. 680.)

    Enfin, dans le traité de paix signé à Hanovre, le 8 février suivant, entre le Danemark et la Russie, il était dit :

    « Art. vii. — Les hautes parties contractantes se garantissent mutuellement la possession de leurs États respectifs tels qu’ils se trouveront à la paix générale.
    (Martens, V, p. 682.) — Ces différens traités entre le Danemark, d’une part, la

    Suède, la Grande-Bretagne et la Russie, de l’autre, passés en janvier et février 1814, figurent dans Martens sous le no 78 et les sous-numéros 78 a, 78 b, 78 c, ce qui a parfois pu faire croire à un « système » de traités.

  13. Un des auteurs de la Constitution suédoise, Hans-Järta, n’était pas éloigné de penser de même. Il écrivait en 1827 à Platen : « L’union, telle qu'elle est, ne vaut rien ; il serait plus utile pour la Suède d’en être débarrassée. » Voyez Raoul Pillons, l’Union scandinave, critique historique et politique ; 1899, Larose.
  14. La Norvège, ouvrage officiel publié à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris 1900, 1 vol. gr. in-8o ; Kristiania. Imprimerie centrale, 1900, p. 174 et 175. — Cf. R. et P. Dareste, les Constitutions modernes, t. II. — Voyez aussi la Constitution suédoise et le parlementarisme moderne, par Pontus Fahlbeck, professeur à l’université de Lund ; 1 vol. in-16. Paris, 1905, A. Picard.