Bibliothèque de l’Action française (p. 229-231).

XXIII


La lettre de Madame d’Autrée n’arriva à Québec qu’un an après et jeta la famille de Tilly dans de mortelles alarmes. Grâce aux soins incessants qui l’entouraient, Jean était rétabli, mais sa profonde tristesse le laissait sans force, sans ressort.

Ni Madame de Tilly, ni aucun des siens n’osèrent lui apprendre la mort de Thérèse. Le docteur Fauvel, non sans grande crainte, se décida, après quelques mots de préparation, à lui remettre simplement la lettre de Madame d’Autrée.

Jean voulut la lire seul, et quand Le Gardeur, inquiet du silence, entra dans la chambre, il le trouva en larmes, mais fort calme :

— Nous étions pour jamais séparés, dit-il, la mort nous rapproche… Elle sait tout maintenant, et, j’en suis sûr, elle m’approuve.


Le temps s’écoula sans amener chez lui de changement.

— Mon Dieu ! s’écria un jour Madame de Tilly, n’aura-t-il plus jamais le goût de vivre ?

— Mais oui, ma mère, répondit Le Gardeur, la jeunesse se reprend toujours à la vie. Laissez faire le temps, la beauté de la terre, le charme de Guillemette.

— Tout mon espoir est en elle.

— Et vous avez raison.

Ils ne se trompaient pas.

Par un beau soir de mai, Jean, qui travaillait au jardin avec Guillemette, s’arrêta tout à coup et lui dit :

— Il faut que le Canada aille en tâtonnant à ses destinées… La terre n’a jamais laissé mourir de faim ceux qui l’aiment… Guillemette, voulez-vous être ma femme ?

— Si je le veux ! s’écria-t-elle, avec une ravissante simplicité.

— Je ne pourrai pas vous faire une vie douce, vous le savez, Guillemette, mais je vous aimerai.

— Vous m’aimerez, Jean ? fit-elle, transportée… Alors, croyez-moi, je porterai toutes les peines de la vie aussi facilement que le cap Tourmente porte les gouttes de rosée.


FIN.