La Russie et les Russes
Revue des Deux Mondes3e période, tome 30 (p. 842-876).
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L'EMPIRE DES TSARS
ET LES RUSSES

VII.
LA RÉFORME JUDICIAIRE.

II.
LES DEUX MAGISTRATURES. — LES JUGES ÉLUS ET LES JUGES INAMOVIBLES[1]

Le caractère commun de toutes les réformes du règne de l’empereur Alexandre II a été l’abaissement des anciennes barrières élevées entre les diverses classes du peuple par le servage, par les mœurs, par la législation. C’est ainsi que la réforme judiciaire a reconnu l’égalité de tous les sujets russes devant la justice, sans distinction de naissance, de grade ou de condition ; mais le respect des usages et coutumes du peuple des campagnes a conduit le gouvernement à s’écarter en apparence du grand principe qu’il proclamait. En instituant des tribunaux communs à toutes les classes, le réformateur n’a pas aboli toutes les anciennes juridictions spéciales, tous les anciens tribunaux corporatifs. Le paysan et le prêtre ont, tout comme le soldat, conservé pour un grand nombre d’affaires ; des juges particuliers, étrangers à la magistrature ordinaire[2]. Trois, des cinq grandes classes (sosloviia), entre lesquelles se partage officiellement la nation, sont ainsi plus ou moins soustraites à la juridiction des nouveaux tribunaux devant lesquels semblaient devoir s’effacer toutes les différences d’origine et de profession. Le noble et l’habitant des villes sont seuls à relever entièrement des tribunaux communs à toutes les classes ; ces derniers n’en gardent pas moins une compétence fort étendue. Ce sont eux qui connaissent de toutes les affaires civiles ou criminelles d’une certaine importance, et c’est à eux que ressortissent toutes les contestations qui s’élèvent entre des hommes de condition diverse. Ainsi se trouve rétablie, pour les civils et les laïques du moins[3], la règle de l’égalité devant la justice qui semblait indirectement violée par le maintien des tribunaux corporatifs.

Les lois de 1864, nos lecteurs le savent déjà[4], ont institué, avec une double série de tribunaux, deux magistratures isolées et indépendantes l’une de l’autre. En Russie, comme en beaucoup d’autres états, il existe des justices de paix appelées à décider des petites affaires qui doivent se régler plutôt selon l’équité que selon le droit écrit, et des tribunaux d’un ordre plus élevé, connaissant des causes graves où sont en jeu la fortune, l’honneur, la vie des habitans ; mais en Russie, au lieu d’être superposées l’une à l’autre, ces deux justices forment deux séries parallèles, absolument distinctes, possédant chacune en propre ses cours d’appel comme ses tribunaux de première instance, et différant autant par le mode de nomination des juges que par l’étendue de la juridiction. Entre ces deux sections étrangères l’une à l’autre, il n’y a qu’un lien, le sénat dirigeant, qui leur sert à toutes deux de cour de cassation et qui doit maintenir l’unité dans l’interprétation de la loi comme dans la pratique judiciaire. Nous allons examiner aujourd’hui ces deux séries de tribunaux en commençant par la plus humble, celle que son organisation et le mode de nomination des juges rendent pour nous la plus curieuse.


I

Les petites affaires civiles ou correctionnelles qui intéressent les habitans d’une autre classe que les paysans sont dévolues à la justice de paix (mirovoi soud). Pour cette justice, le réformateur a créé un corps de magistrats dont le premier modèle doit être cherché en Angleterre. La copie russe est cependant singulièrement différente de l’original britannique. En Angleterre, les juges de paix (justices of the peace) sont autant des administrateurs que des juges ; c’est à eux de voter les dépenses du comté, à eux de nommer et de contrôler la plupart des fonctionnaires locaux[5]. En Russie il en est tout autrement, les juges de paix sont strictement limités à leurs fonctions judiciaires, le principe de la séparation des pouvoirs emprunté à la France a été rigoureusement appliqué jusqu’en des institutions imitées de la Grande-Bretagne.

L’opinion a été généralement favorable à cette entière séparation de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire. Il y a toutefois des voix dissidentes dont les critiques méritent d’être signalées. J’ai entendu des Russes, et non les moins cultivés, préférer hautement le système anglais qui est demeuré en vigueur aux États-Unis. « Ce principe de la séparation des pouvoirs qui vous est si cher en France, me disaient-ils, n’a rien d’absolu, sans quoi ce prétendu axiome n’est qu’un préjugé théorique. La distinction de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire, bonne et normale dans les villes, devient nuisible ou inefficace dans les campagnes. En dehors des grands centres, surtout dans un pays étendu et faiblement peuplé comme le nôtre, ce partage des pouvoirs et des fonctions n’est souvent qu’un luxe déplacé et dispendieux. Installer aux villages des spécialités administratives et judiciaires, c’est comme si, au lieu d’une boutique à tout vendre, vous y réclamiez la variété et la spécialité des magasins des villes[6]. »

Les partisans du système anglais eussent voulu que la surveillance des administrations locales et le contrôle des communes fussent remis aux juges de paix, dont, assurent-ils, la direction eût bien valu la tutelle de la police. Il serait oiseux de peser ici la valeur de cette opinion. Les hommes qui la professent sont pour la plupart suspects de penchans aristocratiques ou d’admiration surannée pour les mœurs patriarcales. A un titre comme à l’autre, les adversaires de la séparation des pouvoirs ont contre eux le courant des idées modernes aussi bien que les tendances de l’esprit russe contemporain. Leurs objections auraient beau être fondées, elles sauraient difficilement prévaloir contre les doctrines en vogue et les institutions existantes. La séparation de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire semble désormais une règle aussi solidement établie en Russie qu’en France. C’est devenu une maxime fondamentale du nouveau droit public.

Entre les juges de paix de l’Angleterre et ceux de la Russie, il y a une seconde et grave différence qui achève de distinguer les deux institutions. En Angleterre, les justices of the peace sont nommés par le souverain, qui doit les prendre parmi les propriétaires fonciers possédant un certain revenu. En Russie, les juges de paix (mirovyé soudi) doivent bien être pris parmi les propriétaires locaux ; mais, au lieu d’être nommés par la couronne, ils sortent de l’élection tout comme les juges de bailliage des paysans[7]. On ne pouvait obéir plus consciencieusement au nouveau dogme de la séparation des pouvoirs ni prendre plus de précautions pour assurer l’indépendance de la justice rurale vis-à-vis de l’administration. Comme ils doivent juger les différends des hommes de toute condition, les juges de paix sont élus par l’assemblée, où siègent les représentans des diverses classes sociales, par le conseil général ou zemstvo de district[8]. L’état se contente d’exiger des candidats un double cens, un cens d’instruction, un cens de fortune, l’un devant assurer la capacité, l’autre l’indépendance du magistrat.

Qui aurait cru que de tous les grands états européens l’empire autocratique serait le premier à mettre une partie de la magistrature au régime de l’élection. C’est encore là un exemple de ces hardiesses, d’autres diraient de ces témérités, que s’est plus d’une fois permises le gouvernement du tsar. Pour la Russie du reste cette application du système électif à la justice est loin d’être une innovation. Catherine II, nous l’avons dit[9], avait déjà dans les tribunaux de l’empire fait une place aux délégués des divers groupes de la population, mais avec la procédure secrète l’élu ne pouvait être contrôlé par les électeurs, ce mode de désignation n’étant le plus souvent qu’une vaine formalité. Il en est tout autrement des institutions nouvelles ; en remettant aux assemblées locales le soin de désigner les juges de paix, l’empereur Alexandre II a réellement implanté en Russie le système électif, il l’a adapté aux mœurs modernes.

Quels sont les motifs qui ont déterminé le gouvernement à conférer aux représentans des localités une telle prérogative ? Le statut judiciaire nous indique lui-même les deux principaux. Le législateur a considéré que pour leur office de conciliateurs les magistrats de paix avaient par-dessus tout besoin de l’estime et de la confiance publique, et en même temps que ces magistrats étaient trop nombreux et l’empire trop vaste pour que le pouvoir central pût prendre sur lui de désigner ces milliers de juges locaux sans risquer d’en abandonner le choix à l’intrigue et à la faveur[10]. Ce sont là, nul ne le contestera, des scrupules que tous les gouvernemens ne connaissent point et qui font un singulier honneur au pouvoir qui les confesse.

C’est une noble, mais aussi une grave expérience, que la création d’une justice élective, même restreinte à une magistrature spéciale et bornée aux petites affaires civiles ou correctionnelles, car ces menues affaires sont celles qui intéressent le plus la masse du peuple. Certains esprits, en France comme en Russie, regardent la désignation des juges par les justiciables comme étant de droit naturel : à leurs yeux, une magistrature élue est le corollaire nécessaire de tout self-government[11]. Dans les écoles démocratiques, ce point de vue est presque partout aujourd’hui une sorte de lieu commun ; une bonne justice importe trop à la sécurité publique pour qu’en pareille matière on se laisse uniquement guider par des similitudes, des analogies ou des déductions théoriques. Or, en dépit de multiples expériences antiques et modernes, rien n’est encore moins démontré que l’excellence d’une justice issue de l’élection.

On sait quels résultats a donnés ce système en France sous la première révolution. Les États-Unis d’Amérique sont le seul grand état contemporain qui l’ait appliqué sur une large échelle, bien qu’aux États-Unis même ce système ne soit ni d’une pratique universelle, ni d’une application absolue[12], Personne n’ignore que sur ce point l’expérience de l’Union américaine n’est pas faite pour encourager les imitateurs. De l’élection des juges il est sorti une magistrature médiocre et suspecte, asservie et mobile, qui, aux mains de partis turbulens et de politicians corrompus, n’est trop souvent qu’un agent sans scrupule ou un instrument servile. Ces magistrats, dépourvus de toute garantie personnelle contre les fluctuations de l’opinion, n’offrent eux-mêmes que peu de garanties à la société qui les nomme et révoque à son caprice. L’ignorance, la partialité, la vénalité même sont trop souvent le lot de ces juges issus de la faveur populaire ou des calculs des partis. En certains états de l’Union, la justice, qui a pour mission d’assurer le respect de la loi et de maintenir les mœurs publiques, semble s’être changée en agent de corruption publique. Les vices de ce système sont si manifestes qu’en dehors des étrangers plusieurs des plus éminens publicistes de l’Amérique même ont signalé cette magistrature élective comme une des principales causes de la décadence des mœurs privées et des mœurs politiques, comme un danger qui, à la longue, menace de ruine la liberté avec la démocratie[13].

Malgré toutes ses sympathies pour l’Union américaine, ce n’est certes pas un tel modèle qui a séduit la Russie et décidé son gouvernement à livrer aux hasards de l’élection la magistrature la plus nombreuse de l’empire. En adoptant ce mode de désignation, le gouvernement impérial semble s’être préoccupé de mettre les nouveaux tribunaux de paix à l’abri des vices qui, au-delà de l’Atlantique, ont accompagné le système électif. Et d’abord le choix d’un juge n’est pas abandonné aux habitans d’un canton judiciaire, mais bien remis aux représentans d’une circonscription plus vaste, en sorte que pour son élection chaque magistrat ne dépend que dans une faible mesure des hommes qui peuvent se présenter à son tribunal. Ensuite ce n’est ni au suffrage universel, ni au suffrage direct des justiciables que la loi russe a conféré le choix des juges de paix ; c’est à des assemblées composées des délégués élus de la propriété foncière, et ces assemblées de propriétaires le législateur ne les a pas laissées absolument maîtresses de désigner qui bon leur plaît, il a borné leur choix aux familles de propriétaires et imposé à leurs élus certaines conditions de capacité et un cens d’éligibilité. Ces restrictions n’ont pas paru suffisantes, la loi attribue au gouverneur de chaque province le droit de présenter ses observations sur les candidats proposés à l’élection[14] ; elle soumet la liste des juges élus à la ratification du premier département du sénat. Ainsi entendue, ainsi réglementée, l’élection des magistrats doit perdre beaucoup de ses inconvéniens pratiques, si elle perd quelques-uns de ses avantages théoriques.

En dépit de toutes ces précautions, le gouvernement n’a, selon son habitude, introduit que petit à petit la nouvelle magistrature dans l’empire, et il s’est bien gardé d’en faire bénéficier certaines provinces. Pendant plusieurs années, la Russie a pu faire ainsi concurremment l’expérience des juges de paix choisis par les zemstvos et des juges de paix nommés par l’état. Dans un pays si longtemps livré au régime de la faveur et à l’arbitraire de la bureaucratie, la comparaison ne pouvait guère être défavorable aux magistrats issus de l’élection. Aussi le gouvernement a-t-il étendu la nouvelle institution à la plupart des provinces à mesure qu’il étendait les assemblées territoriales dont émanent les juges de paix. Les goubernies, à demi asiatiques et mahométanes, d’Orenbourg et d’Astrakan en ont ainsi été récemment dotées.

Il reste cependant en Europe même une partie considérable de l’empire que le gouvernement n’ose pas mettre à l’épreuve d’une magistrature élective : ce sont les provinces occidentales, les anciennes provinces lithuaniennes ou polonaises[15]. Là ce sont des motifs politiques et des considérations nationales qui ont arrêté le réformateur[16]. En abandonnant la justice de paix aux propriétaires, le gouvernement impérial craindrait d’accroître dans ces régions l’influence de l’élément polonais, qui détient encore une grande partie de la propriété. On ne pourrait du reste y laisser les juges de paix à la désignation des assemblées territoriales, puisque tous ces gouvernemens de l’ouest attendent encore de pareilles assemblées. L’institution des juges de paix y a récemment été introduite, mais avec une modification qui en dénature le caractère. Au lieu d’être élus par les représentans du district, les juges sont nommés par le gouvernement ; au lieu d’appartenir à la population locale, ce sont pour la plupart des étrangers appelés de l’intérieur de l’empire et souvent ignorant les usages et la langue des hommes qui comparaissent à leur tribunal. Dans ces provinces déshéritées même on a voulu maintenir en une certaine mesure la séparation du pouvoir administratif et du pouvoir judiciaire, en rendant les nouveaux juges indépendans des gouverneurs locaux pour ne relever que du ministre de la justice[17]. Ce qui fait l’innocuité de la magistrature élective en Russie, ce ne sont point les précautions prises par le gouvernement : c’est moins le mode d’élection ou le cens d’éligibilité que la situation morale du pays, que le calme ou l’apathie de l’esprit public, en un mot que le manque de vie politique. Sous le régime autocratique, il n’y a guère à craindre que la majorité des électeurs se laisse entraîner par des considérations entièrement étrangères aux qualités personnelles des juges et à l’intérêt d’une bonne justice ; il n’y a pas à redouter que pour une fraction de la population les élus du plus grand nombre deviennent des agens d’oppression. Là où il n’y a point de partis politiques régulièrement enrégimentés, point de combat d’armées ennemies dans les élections, le juge nommé par la majorité ne saurait par cela même être suspect à la minorité. Tant que la Russie restera dépourvue de constitution, de chambres et de luttes politiques, la magistrature élue n’y saurait se dénaturer jusqu’à devenir une arme de guerre et un instrument des partis.

Dans un état où pendant des siècles le pouvoir central est demeuré absolu et arbitraire, où les représentans du pouvoir ont longtemps pu se permettre impunément toutes les fraudes et toutes les tyrannies, une magistrature élective peut être au contraire un agent de moralisation pour la société comme pour le pouvoir. Ce peut être le meilleur moyen de relever la dignité de la justice et d’assurer l’indépendance avec l’intégrité du juge. Aussi, sans crainte de choquer le préjugé vulgaire et au risque de sembler paradoxal, oserai-je confesser que, si la justice élective me paraît quelque part à sa place et quelque part utile, c’est dans un empire absolu, dans un état bureaucratique comme l’empire russe.

Est-ce à dire que grâce à ses mœurs et à la force du pouvoir, grâce à l’infériorité même de son développement politique, la Russie ait échappé à tous les défauts d’une justice issue de l’élection ? Non certes ; si elle y a trouvé de réels et précieux avantages, elle y a rencontré aussi quelques inconvéniens pratiques que nous ne pouvons manquer de signaler. Chez elle aussi l’indépendance du juge élu vis-à-vis du pouvoir s’est parfois changée en dépendance vis-à-vis des électeurs. Chez elle aussi, comme en tout autre pays, beaucoup d’hommes honnêtes et instruits, souvent les plus capables et les plus dignes de remplir ces fonctions de juges, les ont trouvées trop incertaines, trop dépourvues de garanties d’avenir, pour y vouloir consacrer leur temps et leurs forces. Partout un homme, libre de choisir, hésite à se consacrer à un mandat trop précaire pour tenir lieu de profession ou de carrière, et en même temps trop absorbant pour permettre aisément d’autres occupations. On a remarqué qu’un grand nombre de juges de paix n’acceptaient ces fonctions que comme un emploi provisoire, une sorte de pis-aller, que plusieurs n’y voyaient qu’un marchepied pour monter à d’autres postes, que beaucoup cherchaient à s’insinuer de la magistrature élue et révocable dans la magistrature nommée par l’état et inamovible.

À ces défauts qui dérivent du principe même de l’élection, on s’est ingénié à chercher des remèdes qui, le plus souvent, risquent d’altérer les conditions essentielles de l’institution. Pour rendre les juges moins dépendans des électeurs influens et des coteries locales, on a proposé d’en confier la désignation à un corps électoral plus nombreux. Pour donner à ces fonctions plus de stabilité et mettre le magistrat à l’abri des fluctuations de l’opinion, on a parlé de prolonger la durée de son mandat[18]. De pareilles mesures redresseraient-elles les défauts signalés sans en introduire de nouveaux ? Cela semble douteux. Enlever la nomination des juges de paix aux assemblées de district ne serait-ce pas renoncer à l’une des garanties de la loi, à l’un des correctifs du principe de l’élection ? Prolonger la durée des fonctions du juge, la porter par exemple de trois ans à six ans, ou la rendre illimitée, comme l’ont proposé quelques publicistes, ne serait-ce point aller contre l’esprit même de l’institution, et, sous prétexte de mettre les juges à couvert des caprices de l’opinion, laisser le public à la merci de la négligence ou de l’incapacité des juges ? L’élection ne saurait assurer au juge ni pleine indépendance, ni absolue stabilité, car ce qui est précaire, c’est l’élection même.

Si la Russie ne peut se soustraire à tous les inconvéniens du système électif, nous devons reconnaître que chez elle ces inconvéniens sont bien moindres qu’ils ne le seraient dans les états de l’Occident, et cela toujours pour la même raison, parce que l’opinion n’y a ni les mêmes tentations, ni les mêmes entraînemens que dans les pays livrés aux agitations politiques et aux luttes de partis. Par là les fonctions électives perdent en Russie de l’instabilité qui leur est naturelle. Il ne saurait arriver que dans des provinces entières un déplacement de majorité condamne tous les juges en fonctions à une révocation et toute la justice de paix à une soudaine métamorphose. L’on se plaint parfois que les juges non réélus descendent de leur siège au moment où ils étaient en train d’acquérir la pratique de l’audience et l’expérience de leur profession. Ce n’est cependant pas là le cas général. Si aux élections triennales un certain nombre de juges sont mis de côté, la plupart restent en place. Les zemstvos de district, n’étant pas dominés par des passions étrangères à l’intérêt d’une bonne justice, sont d’ordinaire patiens et indulgens vis-à-vis de leurs élus. Ces fonctions, si incertaines, se trouvent en fait beaucoup moins précaires qu’elles ne le semblent, et en réalité bien des juges de paix se sont fait une profession d’un mandat essentiellement temporaire et aléatoire.


II

Voyons de plus près ce que sont ces juges, et quels sont dans un pays comme la Russie les effets pratiques de l’élection appliquée à la magistrature. Il y a deux sortes de juges de paix qui, tout en étant les élus d’une même assemblée, diffèrent par leur position sociale comme par leurs fonctions. Ce sont les juges de paix effectifs (outchastkovye mirovyé soudi) et les juges de paix honoraires (potchetnye mirovyé soudi). Les premiers ont à rendre la justice chacun dans sa circonscription ou canton de paix (outdtastok) ; les derniers, comme leur nom l’indique, n’ont que des fonctions honorifiques ou plus exactement facultatives. Le juge de paix honoraire ne peut siéger au prétoire que sur l’invitation expresse des deux parties en cause, ou bien comme suppléant d’un juge de paix ordinaire, et dans l’un et l’autre cas il ne peut connaître que des affaires civiles. C’est là un rôle bien restreint, mais ces fonctions, qui semblent si modestes, sont d’ordinaire décernées aux hommes les plus importans et les plus en vue de la contrée, aux principaux propriétaires et surtout aux principaux fonctionnaires. Les listes de ces juges de paix honoraires sont sous ce rapport curieuses à parcourir. On y rencontre tout le haut tchinovnisme civil et militaire, officiers et généraux en activité ou en retraite, lieutenans généraux ou généraux majors, généraux d’infanterie, de cavalerie, d’artillerie, mêlés aux conseillers d’état, aux conseillers d’état actuels, aux conseillers privés, etc. Le nombre des juges de paix honoraires n’est pas limité, aussi est-il considérable, d’autant que ces magistrats ne touchent aucun traitement. Les zemstvos confèrent cette qualité à tout ce que le district renferme de plus distingué, de plus influent à la cour ou au service. La plupart des hauts fonctionnaires de l’empire sont ainsi juges de paix honoraires dans les provinces auxquelles les rattachent leurs propriétés ou leur origine.

Cette institution, en apparence assez inutile, semble avoir pour premier objet de relever aux yeux de la population la qualité et le nom de juge de paix. Les hommes décorés de cette magistrature honorifique n’auraient d’ordinaire ni le loisir, ni le goût d’exercer d’aussi modestes fonctions ; ne pouvant les leur faire remplir, on leur en a donné le titre, non pour leur conférer une distinction personnelle, mais afin de rehausser, grâce à leurs noms et à leur rang, le prestige et l’autorité sociale de la magistrature élective. La plupart de ces personnages ne résident que peu de mois ou peu de semaines dans les districts dont ils sont les élus ; bien peu ont jamais siégé en face des plaideurs, mais, quand ils se rendent dans leurs terres, les juges de paix honoraires ont tout comme leurs collègues libre accès et libre voix dans les assemblées de paix qui, ainsi que nous le verrons, servent à cette magistrature de cours d’appel.

Les juges de paix ordinaires sont en général des hommes d’une position ou d’un rang fort inférieur, bien qu’ils soient élus par les mêmes assemblées et dans les mêmes conditions d’éligibilité. Au lieu de posséder un grade élevé dans la hiérarchie bureaucratique, ils n’ont pour la plupart aucun tchine ou en sont restés aux premiers, échelons du tableau des rangs. D’après la loi, les juges de paix peuvent être choisis dans toutes les classes de la société ; mais comme le législateur exige d’eux une propriété immobilière, ce sont, en dehors des villes au moins, des propriétaires fonciers, c’est-à-dire habituellement des nobles (dvoriane). La loi qui impose aux candidats un cens de fortune ne tient point compte de la richesse mobilière, comme si, en faisant de la nouvelle justice locale le privilège des propriétaires, le législateur eût voulu dédommager l’ancien seigneur, le pomêchtchik, des droits dont le dépouillait l’émancipation des serfs. Grâce à ce cens territorial, l’on pourrait dire que dans les provinces la noblesse se trouve indirectement en possession de ce droit de justice, dont quelques-uns de ses membres ont réclamé pour elle le monopole. Les juges de paix sont en effet nommés par des assemblées où d’habitude la noblesse a une incontestable prépondérance, et ils sont forcément presque tous pris dans ses rangs[19].

C’est là un fait digne de remarque et qui, pour une magistrature arbitrale, commune à toutes les classes, peut sembler gros d’inconvéniens[20]. Une justice ainsi élue et recrutée dans une des classes de la nation semble devoir présenter peu de garanties d’impartialité vis-à-vis des autres classes, vis-à-vis des paysans et des anciens serfs. Or dans la pratique ce défaut est peu sensible, on se plaint plutôt du défaut opposé. Si, dans les petits districts, là surtout où les zemstvos sont peu nombreux, les juges de paix se montrent parfois trop dépendans de leurs électeurs, trop dévoués à la grande propriété, dans la plupart des provinces on leur fait le reproche inverse. Le juge de paix laisse-t-il voir quelques préférences, ce n’est point le plus souvent pour la classe des propriétaires, à laquelle il appartient, c’est plutôt pour les petites gens, pour les villageois, pour le moujik.

C’est là une de ces apparentes anomalies qui ne sont pas très rares dans la vie russe. En aucun pays, nous l’avons dit, l’esprit de corps n’a moins de puissance, les préjugés de caste ou de naissance moins de racines[21]. A cet égard comme à bien d’autres, la noblesse russe est fort différente de toutes celles du reste de l’Europe. Le dvorianine moscovite n’a le plus souvent ni les prétentions ni les préventions du hobereau français ou du junker allemand. Beaucoup de juges de paix se plaisent à laisser voir ce qu’en Russie comme en Occident on appelle des idées avancées ; beaucoup ne redoutent point les thèses hardies dont, jusqu’à ces dernières années et jusqu’aux derniers attentats, la témérité même faisait la vogue. Ces élus de la noblesse, ces délégués de la propriété, sont pour la plupart des esprits libéraux et progressistes, admirateurs et amis du peuple ; beaucoup sont démocrates et sont hautement traités par leurs adversaires, quelquefois même par leurs électeurs de radicaux, de niveleurs, de communistes. D’où viennent de tels penchans chez des magistrats, ainsi choisis et triés ? Ils viennent en partie de ce que la plupart des hommes qui, dans les premières années surtout, se sont voués à cette difficile mission étaient d’ardens partisans des réformes, passionnés pour le bien public et jaloux de contribuer pour leur faible part à la réalisation des rêves de leur patriotisme.

Aux tendances libérales de la majorité des juges de paix, il y a toutefois une autre explication, une raison plus générale et plus durable, c’est le milieu d’où sort le plus grand nombre de ces magistrats élus, c’est leur condition sociale, leur position de fortune. La plupart ne sont pas riches, et l’on rencontre parfois chez eux cette sorte de mauvais vouloir pour la richesse, cette espèce de secrète et inconsciente jalousie de l’opulence qui en d’autres pays perce souvent dans les magistratures d’ailleurs les plus conservatrices. La loi exige bien des juges de paix un cens d’éligibilité, une fortune immobilière, mais ce cens, en apparence élevé, est en réalité fort variable et inégal suivant les diverses provinces. La loi a beau fixer un minimum au-dessous duquel il ne peut descendre, le peu de valeur des terres abaisse parfois le cens jusqu’à le rendre presque dérisoire. On demande au juge de paix, à ses parens ou à sa femme, la propriété de 900 à 400 desiatines de terre, selon les provinces[22]. Ce serait beaucoup en France ; dans certaines régions de la Russie, dans les gouvernemens du nord ou de l’est en particulier, c’est souvent peu ou presque rien[23]. A défaut de terres, la loi demande pour les campagnes une propriété bâtie de la valeur de 15,000 roubles. Dans les villes, la loi devient moins exigeante encore ; à Saint-Pétersbourg et à Moscou, elle se contente d’un immeuble de la valeur de 6,000 roubles ; dans les autres villes, le cens s’abaisse jusqu’à 3,000 roubles, soit à peine une dizaine de mille francs, et sept ou huit mille au cours actuel du change. Le législateur n’a pas pris garde que ces terres, ces maisons, ces immeubles, urbains ou ruraux, pouvaient être grevés d’hypothèques et ne rien rapporter à leur propriétaire nominal, en sorte que, dans la pratique, cette garantie du cens se réduit singulièrement, et parfois s’évanouit tout à fait.

Dans quel dessein le législateur avait-il imposé aux juges élus un cens de propriété ? Les considérans de la loi le disent expressément : c’est que le juge de paix doit être en contact avec des hommes de toute sorte et que, s’il se trouvait dans un état voisin du besoin, il aurait plus de peine à résister à certaines influences, ou même à certaines tentations[24]. Si tel est le but de la loi, l’on ne saurait dire qu’il ait été atteint. Un homme qui possède quelques centaines de desiatines, ou même un millier d’hectares de landes en friche dans les solitudes du nord, un homme qui à Pétersbourg, où la vie n’est pas moins chère qu’à Paris, possède une maison, ou mieux, une masure d’une valeur de 6,000 roubles, c’est-à-dire un capital de 16,000, de 20,000 francs au plus, peut-il être regardé comme réellement indépendant, comme élevé par la fortune au-dessus des séductions vulgaires et des tentatives de corruption ? S’ils n’avaient dans le caractère et la conscience de leurs élus d’autres garanties de la moralité du juge, les électeurs seraient à plaindre.

Le cens exigé par la loi est ainsi loin de toujours répondre aux vœux et aux calculs du législateur. L’inefficacité en est parfois manifeste. Nous ne dirons pas pour cela que ce ne soit qu’une formalité inutile, qu’une gênante et fâcheuse entrave à la liberté du choix des zemstvos. Beaucoup de Russes n’hésitent pas à le dire, et plusieurs de leurs publicistes demandent instamment la suppression de toute condition censitaire[25]. Sans doute, lorsque la loi soumet les électeurs à un cens électoral, on peut trouver excessif de réclamer en outre des élus un cens d’éligibilité. D’un autre côté, on comprend qu’un gouvernement n’ait pas dans le principe de la magistrature élective une assez entière confiance pour la laisser dépouiller d’aucune de ses garanties, si vaines et illusoires qu’elles puissent parfois paraître. Aujourd’hui la loi dispense de tout cens les juges élus à l’unanimité des suffrages ; il est vrai que dans la pratique cette unanimité est singulièrement difficile à rencontrer : en fait de précautions, c’en est une qui vaut bien toutes les garanties censitaires.

Pour rendre au cens d’éligibilité toute sa valeur, il faudrait le relever, et cela ne saurait guère se faire. En rehaussant au profit de la fortune le seuil de la magistrature élective, on risquerait de ne plus trouver personne pour y entrer. Non-seulement les choix seraient trop restreints, mais les candidats feraient défaut. Les riches propriétaires, les hommes réellement indépendans par leur fortune, sont pour la plupart peu ambitieux de telles fonctions, qui contraignent à une résidence assidue et à un travail continu. S’ils acceptent d’être élus, c’est d’ordinaire en qualité de juges honoraires. La majorité des candidats au siège de juge de paix sont des gens d’une modique fortune, souvent même de petits propriétaires obérés et besoigneux qui de ce mandat attendent un accroissement de leurs minces revenus. A cet égard, la nouvelle magistrature élective n’est pas sans ressemblance avec l’ancienne magistrature élue[26]. C’est une place, c’est un traitement que cherchent dans leurs fonctions le plus grand nombre des juges de paix.

Il semblerait naturel que l’entretien de la justice de paix incombât au trésor ; mais l’état a profité de ce qu’il laissait le choix des juges aux zemstvos pour rejeter sur eux ce fardeau. C’est là un expédient financier qui n’est pas sans inconvénient pour la justice. Les assemblées qui nomment ces magistrats en fixent les émolumens à leur gré et non toujours sans parcimonie[27]. Cette rétribution varie beaucoup selon les régions et la cherté de l’existence, elle est en général d’environ 2,000 roubles, mais dans certaines provinces elle s’abaisse encore à 1,500 roubles, tandis que dans les capitales elle monte à 4,000 ou 5,000. Les zemstvos laissent aujourd’hui à la charge du juge tous les frais de la justice ; c’est à lui de fournir le local du prétoire, de le meubler, de le chauffer, à lui de se procurer un greffier et de le rémunérer. Ces frais réduisent d’une manière notable les émolumens du magistrat rural. Aussi beaucoup n’ont-ils d’autre salle d’audience qu’une chambre de leur maison ou une pièce de ses dépendances, voire une grange plus ou moins décemment accommodée, parfois à peine close et couverte. De même j’ai vu des juges qui par économie n’avaient pas de greffiers et en faisaient eux-mêmes l’office. Les zemstvos devront tôt ou tard remédier à cet état de choses en installant à leurs frais des salles de justice de paix. Le système actuel n’est pas moins fâcheux pour le public que pour le juge, car le prétoire change de place avec le domicile du magistrat, et comme ce dernier habite parfois à l’extrémité ou même en dehors de son canton judiciaire, les inconvéniens partout inhérens en Russie à la grandeur des distances sont ainsi accrus aux dépens des justiciables.

Le cens d’instruction légalement exigé des juges de paix n’est point aujourd’hui une garantie plus efficace de leur capacité que le cens de propriété ne l’est de leur indépendance. La loi ne réclame du candidat aucunes connaissances spéciales, aucun grade, aucun diplôme universitaire, elle se contente d’un certificat d’études inférieur à notre baccalauréat[28]. Le législateur fonde cette tolérance sur ce que le juge de paix doit plutôt juger en équité qu’en droit, mais ce n’est là ni la seule ni la meilleure raison de cette indulgence en apparence excessive. Pour l’instruction comme pour la fortune, l’état, s’il eût fait le difficile, eût risqué d’éloigner tous les aspirans. Il y a encore si peu de juristes en Russie qu’on en trouve à peine assez pour les tribunaux ordinaires. Aussi ne pouvait-on se montrer bien sévère pour les premières recrues de la nouvelle magistrature ; l’état ou le public pourront l’être davantage pour la seconde ou la troisième génération de juges. Si l’on ne peut élever le cens pécuniaire, l’on pourra certainement un jour rehausser le cens, de capacité. A cet égard, la loi et les mœurs deviendront plus exigeantes avec les progrès mêmes de la culture nationale.

De toutes les professions, de toutes les classes d’hommes propres à la Russie nouvelle, il n’en est pas de plus intéressante que celle des juges de paix. Après ce que nous avons dit de leur origine et de leur instruction, l’on ne saurait s’étonner si ces magistrats improvisés prêtent souvent à la critique et quelquefois au ridicule. Ils ont déjà fourni plus d’un type satirique à une littérature moins curieuse de nouveautés et de tableaux de mœurs que friande d’allusions politiques et de dissertations sociales. C’est ainsi que, dans une des principales revues de Saint-Pétersbourg, un avocat de province, qui prétendait ne donner que des portraits d’après nature, peignait à ses compatriotes deux bizarres figures de juges de paix ruraux[29]. L’un Pyrkine, violent, emporté, toujours l’injure et la menace à la bouche, est l’effroi des plaideurs et des avocats. A la moindre contradiction, il condamne les paysans interdits à des années de détention, voire même à la déportation en Sibérie, ou à d’autres peines excentriques qu’un juge de paix n’a pas le droit d’infliger. Devant l’irritation du juge et les humbles supplications du moujik, le greffier, la plume en main, reste impassible, attendant pour écrire qu’il tombe des lèvres du fougueux magistrat quelque sentence raisonnable. Le second juge ainsi mis en scène, Tchépyrkine, riche et vaniteux propriétaire, est un homme doux et débonnaire qui a la difficile prétention de renvoyer tout le monde satisfait ; il ne peut se résigner à faire des mécontens, et met tout son amour-propre à ce que ses décisions ne soient pas attaquées en appel. Pour s’épargner cette humiliation, il va jusqu’à faire personnellement des sacrifices pécuniaires, et quand il ne parvient point à mettre les parties d’accord, il se désole et, sous prétexte de maladie, ajourne l’audience, au désespoir des plaideurs venus de loin.

Je ne déciderai point si ce sont là des caricatures ou des portraits ; ce que je puis dire c’est que, s’il y a encore des Pyrkine ou des Tchépyrkine, ils sont rares et auront bientôt disparu. J’ai été en relation, dans diverses provinces de l’intérieur, avec plusieurs juges ruraux, je ne leur ai rien trouvé de commun avec ces grotesques personnages. Loin de là, si j’ose en décider par mes rencontres personnelles, je dois avouer que pour le niveau de la culture, si ce n’est pour les qualités professionnelles, cette magistrature élective m’a paru fort supérieure à celle qui chez nous porte le même nom. Si le double cens de fortune et d’instruction n’est pas assez élevé pour mettre les juges de paix à l’abri de toutes les séductions et de toutes les erreurs, le caractère et la moralité de la plupart les mettent au-dessus des tentatives de corruption, et leur esprit d’équité compense leur peu de science juridique. Parmi ces juges élus, la prévarication est un fait presque inouï. Grâce à eux, le règne de la vénalité a pris fin, déjà l’homme du peuple, le paysan qui dans les premières années se prosternait en suppliant aux pieds de son juge, apprend à compter sur son droit et à faire fond sur la justice.


III

Je dirai peu de chose de la compétence du juge de paix ; comme celle des tribunaux de paysans, elle s’étend à des affaires civiles et à des affaires correctionnelles, mais les bornes en sont notablement moins resserrées. Au prétoire du juge de paix sont dévolues toutes les causes civiles dont l’importance n’est pas supérieure à 500 roubles, et toutes les affaires criminelles dont le châtiment légal n’excède point une année d’emprisonnement ou 300 roubles d’amende[30]. Comme son nom l’indique, le juge de paix doit avant tout chercher à concilier les deux parties, il ne peut rendre une sentence qu’après avoir essayé d’amener un compromis. Dans ses décisions, le juge doit plutôt tenir compte de l’équité que du droit strict, et en certains cas il doit se conformer à la coutume aussi bien qu’à la loi[31].

Le premier avantage de cette justice, c’est qu’elle est dégagée des lentes et dispendieuses formalités. Tout homme qui a une plainte à porter au juge de paix s’adresse directement à lui, de vive voix ou par écrit, et le juge fixe sans retard le jour de l’audience. Rien de plus simple que ces audiences, surtout dans les campagnes. La procédure, qui est orale et publique, est parfois empreinte d’une bonhomie un peu patriarcale. On y retrouve à peine plus de formalités et de décorum que dans les tribunaux de volost. Le juge n’a ni robe ni uniforme, il siège, suivant ses goûts, en redingote ou en jaquette, seulement il porte au cou comme insigne une médaille suspendue à une chaîne dorée. Dans les audiences de paix auxquelles j’ai assisté tout se passait néanmoins avec une grande régularité. L’interrogatoire des témoins était conduit avec soin et patience, leurs réponses comme celles des parties, étaient au fur et à mesure résumées par écrit, puis relues aux intéressés pour être certifiées par eux. Cette manière de procéder, qui semble parfois donner un peu de lenteur aux débats, leur imprime une grande netteté et facilite singulièrement la révision des causes dont il y a appel. Pour lire sa sentence toujours écrite et motivée, le juge faisait lever les assistans, et, la lecture faite, les parties qui acceptaient la décision s’inclinaient en signe d’assentiment.

Ce qui m’a le plus frappé dans ces modestes tribunaux, c’est la manière d’y prêter serment. Dans un des coins de la chambre qui servait de prétoire se dressait un pupitre sur lequel étaient placés un évangile et une croix. D’ordinaire, le prêtre est appelé à donner à la justice l’autorité de son ministère en faisant lui-même prêter serment aux témoins. J’ai vu ainsi dans les campagnes le pope lire aux témoins une longue formule liturgique que ceux-ci répétaient phrase par phrase avec maint signe de croix selon la coutume nationale. La cérémonie se terminait par le baisement de la croix et de l’évangile. Je fus surpris de retrouver ainsi vivante au cœur de l’ancienne Moscovie la vieille coutume slave si souvent attestée par les annalistes russes chez lesquels baiser la croix est l’équivalent habituel de jurer. Pour une grande partie du peuple russe, encore imbu des superstitions et des grossières notions du moyen âge, encore moins respectueux de la vérité que des rites extérieurs, la sainteté du serment a toujours besoin d’être relevée par un cérémonial religieux qui en fasse une sorte de sacrement et du parjure une sorte de sacrilège[32].

On discute, on plaide même dans le prétoire du juge de paix. Les parties s’y peuvent faire représenter et défendre par des fondés de pouvoir (povêrennye). Tout homme majeur peut remplir l’office de défenseur et parler en cette qualité pour autrui. Il n’y a guère d’exception que pour les moines, les prêtres et les instituteurs. Parfois les parties font venir de la ville des avocats de profession ; mais le plus souvent les hommes qui se chargent de suivre les affaires du ressort de la justice de paix en font leur spécialité. Ce sont d’ordinaire des gens de peu d’instruction et parfois de peu de moralité, employés en retraite ou en disgrâce, anciens greffiers ou secrétaires sans place, quelquefois même vieux soldats ou sous-officiers libérés du service, en un mot tout individu ayant de la loquacité et quelque teinture de la procédure et de la chicane. Le barreau est aujourd’hui le côté le plus défectueux de la justice de paix et en général de toute la justice russe. Pour accroître leurs honoraires, ces avocats sans diplôme engagent souvent les crédules paysans à ne point se contenter de la sentence du juge et à pousser l’affaire jusqu’en appel, si ce n’est en cassation.

Il n’en est pas des juges de paix comme des tribunaux de volost, dont la sentence est irréformable. Les décisions de la magistrature élue ne sont définitives que pour les affaires civiles dans lesquelles le demandeur réclame une somme inférieure à 30 roubles ou pour les condamnations qui n’excèdent pas trois jours d’arrêt ou 15 roubles d’amende[33]. Dans tous les autres cas, il peut y avoir appel, non comme en d’autres pays auprès des tribunaux ordinaires, mais près de l’assemblée des juges de paix du district. Jusqu’ici nous pouvions nous demander ce que la Russie avait emprunté à la justice de paix anglaise, tant elle en avait altéré le caractère ; ici nous retrouvons un des traits essentiels du modèle britannique. Comme les justices of the peace du comté anglais ont leurs réunions trimestrielles, leurs quarter-sessions, les juges de paix du district russe ont leurs sessions mensuelles, leurs assises de paix (mirovye siezdy). On en appelle du juge de paix isolé aux juges de paix rassemblés, qui jugent en corps d’une manière définitive ce qu’ils avaient individuellement jugé en première instance. Ce système fort simple a permis à la Russie de donner à sa magistrature élective une pleine autonomie. Avec ces assises de paix, la justice issue de l’élection, se contrôlant elle-même, reste entièrement indépendante des tribunaux nommés par l’état[34]. Les assemblées de paix se tiennent chaque mois au chef-lieu de district, elles durent d’ordinaire deux ou trois jours. La loi n’exige pas la présence de tous les juges à chaque session, mais seulement de trois d’entre eux dont l’un est élu président. Le magistrat dont les décisions ou les actes sont attaqués ne peut prendre part au règlement des affaires qui le concernent. Les assises de paix sont publiques, et devant elles peuvent recommencer les débats et les plaidoiries. Près de chacune de ces assemblées est placé un procureur chargé de représenter la loi et la science juridique. Comme dans nos tribunaux, le procureur nommé par le gouvernement présente ses conclurions sur les affaires criminelles et sur certaines affaires civiles. Les assises de paix servent de cour de cassation aussi bien que de cour d’appel, elles peuvent casser les sentences des juges pour incompétence, aussi bien que pour violation des formes et règles prescrites. Dans ce cas, elles renvoient l’affaire devant un autre juge, qu’elles désignent. Quant aux décisions rendues en appel par les assises de paix, on ne peut les attaquer qu’en cassation devant le sénat, et si la cour suprême casse la décision d’une assemblée de paix, l’affaire retourne devant l’assemblée d’un district voisin.

L’on ne pouvait inventer une cour d’appel plus à la portée des particuliers et moins dispendieuse pour l’état. Pourtant, si ingénieux qu’il semble, ce système n’est pas à l’abri de toute critique ; beaucoup de personnes ne croient pas à sa durée. Qu’est-ce, dit-on, que ce mode de contrôle mutuel qui à chaque juge donne pour juges ses collègues du voisinage ? Peut-on compter sur la sévérité ou l’impartialité d’un tribunal dont les membres se trouvent tour à tour mis en cause et passent alternativement du siège du juge sur le banc du prévenu ou du plaideur ? Comment de tels magistrats n’auraient-ils pas une indulgence réciproque, une facilité à se passer mutuellement les affaires et à se ménager eux-mêmes en ménageant leurs collègues ? Une cour d’appel ainsi composée des juges de première instance aura toujours quelque faiblesse pour les décisions du premier juge.

Il est vrai que dans ces assemblées peuvent entrer les juges de paix honoraires qui, n’étant pas d’habitude juges en première instance, ne doivent avoir ni les mêmes appréhensions ni les mêmes complaisances que leurs collègues. L’institution des juges honoraires aurait ainsi une véritable utilité pratique. En fait les hommes revêtus de ce titre usent trop rarement de leur droit de siéger dans les assemblées de paix pour y exercer une grande influence.

Le peu de connaissances juridiques de la plupart des magistrats élus fournit contre les assises de paix une objection d’un autre ordre. N’est-il pas singulier, dit-on, de confier la révision des sentences d’un juge ignorant à ses pareils, de créer une cour d’appel dont tout juriste peut être absent, et cela lorsque la cour ainsi composée doit trancher les difficiles questions de compétence, d’appel et de cassation[35]. Si le manque de légistes contraint à ne pas exiger des juges de paix une instruction technique, convient-il de rendre une magistrature ainsi recrutée entièrement indépendante ? Ne serait-il pas plus sage, au lieu de lui laisser une autonomie dangereuse pour le public et pour elle-même, de la soumettre au contrôle de juges expérimentés, de juristes de profession ? — En attaquant les fonctions actuelles des assises de paix, on en vient à combattre l’autonomie de la magistrature élective, on est conduit à en demander la subordination aux tribunaux ordinaires, et par suite à renverser le dualisme judiciaire et toute l’économie du nouveau système fondé sur la séparation des deux magistratures.

C’est là que tendent certains juristes et publicistes russes. A leurs yeux, le contrôle des assises de paix sur la magistrature élective est illusoire, fictif, le contrôle du sénat, surchargé d’autres soins, est insuffisant. Pour eux, la double série de tribunaux sortis de la réforme judiciaire de 1864 a l’impardonnable défaut de manquer d’unité, le sénat est impuissant à maintenir l’harmonie des deux justices isolées par la loi. Afin de rétablir dans la pratique judiciaire l’unité avec la régularité, il faudrait mettre un terme au divorce actuel entre les deux ordres de tribunaux.

Pour nous, la dualité des organes judiciaires de la Russie est une conséquence naturelle de la différence de leur mode d’institution. Subordonner la magistrature élective à la magistrature directement nommée par l’état, ce serait d’une manière détournée neutraliser, si ce n’est annihiler l’une au profit de l’autre. Une telle mesure de défiance vis-à-vis de la justice locale est-elle aujourd’hui assez impérieusement exigée par les faits pour que le pouvoir se décide à une si grave modification d’institutions si récentes ? Des défauts tant reprochés aux juges et aux assises de paix, les uns me semblent exagérés, les autres transitoires. Si l’esprit de corps expose les assemblées de paix à une excessive indulgence pour le premier juge, à une certaine complaisance pour ses décisions, l’esprit de corps les intéresse non moins à la bonne renommée de la justice de paix et par suite à son intégrité, à son impartialité. Pour un pareil tribunal, la solidarité morale des juges peut ainsi être une force autant qu’une faiblesse, une garantie autant qu’un motif de soupçon. Quant au manque d’instruction, à l’absence de connaissances juridiques, c’est un défaut que le temps peut faire disparaître des assises de paix encore plus vite que du prétoire des simples juges. Sans recourir à l’exemple de l’Angleterre et des États-Unis, où fonctionne depuis des siècles un système plus ou moins analogue, l’exemple des deux capitales et des grandes villes montre qu’en Russie même la justice de paix ainsi constituée peut fonctionner d’une manière satisfaisante. Dans l’intérieur de l’empire, il y a moins lieu de s’étonner des défauts reprochés à l’institution que des services rendus par elle avec un personnel encore aussi insuffisant.

De toutes les parties de la réforme judiciaire, c’est en effet la justice de paix, la plus contestable dans son principe, la plus téméraire dans son application, qui a le mieux réussi. Je n’en veux pas augurer l’avenir. La plupart des inconvéniens actuels de cette justice élective proviennent moins du principe de l’élection que du manque d’instruction. Ces imperfections, ces lacunes signalées chez les juges et dans les assises de paix, le temps et les mœurs les pourront effacer. Le progrès de la culture et de l’esprit public pourra élever, épurer ces institutions judiciaires en en relevant le personnel, mais à l’heure même où elles sembleront sur le point d’être portées au plus haut degré de perfection, surgira pour elles un péril nouveau, le péril provenant du principe même de l’institution. L’éclosion de la vie politique y pourra faire naître peu à peu des germes malsains et des fermens de corruption. L’avenir recèle ainsi, dans ses progrès mêmes, une menace pour cette magistrature qu’il doit temporairement amender. Sous ce rapport, je crains que les Russes qui attendent des libertés politiques l’extension et l’amélioration de la justice élective ne soient dupes d’une noble illusion. A nos yeux, nous devons le répéter en concluant, la liberté politique, qui est indispensable au plein épanouissement du self-government administratif, risque d’être une cause de perversion pour la justice élective, qui de loin apparaît à tant d’esprits prévenus comme le complément naturel du self-government.


IV

Au-dessus ou mieux à côté de la justice de paix s’élève la magistrature ordinaire. Si la première nous offre des traces de l’influence anglaise, dans la seconde tout est imité de la France. Le plan du nouvel édifice judiciaire est si fidèlement calqué sur le plan de notre palais de justice que nous n’avons pas besoin d’en décrire la distribution, c’est celle de nos propres tribunaux depuis la révolution. On y retrouve toute notre organisation judiciaire à triple étage, nos tribunaux de première instance, nos cours d’appel, notre cour de cassation. On y rencontre nos juges et, nos avocats, nos procureurs et notre jury. Ici nous avons moins à étudier les dispositions de l’édifice qu’à regarder ce qui se passe derrière ces murs si pareils aux nôtres, dans ces salles extérieurement si semblables à celles que nous connaissons.

Dans l’architecture même des deux monumens, il y a toutefois une différence qui frappe les yeux et donne à l’imitation russe un véritable avantage sur son modèle français. Les proportions des différentes parties de la copie sont singulièrement plus larges, plus amples que celles de l’original, les fenêtres de la façade sont relativement moins nombreuses et moins petites, les pièces de l’intérieur plus vastes et mieux aérées. En France, l’organisation judiciaire, trop servilement calquée sur l’organisation administrative, présente un nombre exagéré de divisions et de subdivisions, de cours d’appel et de tribunaux de première instance. On s’aperçoit à première vue que toutes ces circonscriptions remontent à une époque encore dépourvue de rapides moyens de communication. En imitant la hiérarchie de nos tribunaux, la Russie s’est gardée d’imiter les étroites limites de nos ressorts judiciaires. Elle a comme nous des tribunaux de cercle ou d’arrondissement (okrougnyie soudy), mais au lieu de se borner comme en France à un seul district ou arrondissement administratif, la juridiction de ces tribunaux de première instance s’étend d’ordinaire à cinq, six, sept districts et souvent à tout un gouvernement plus grand et plus peuplé que nos départemens. La Russie a comme nous des cours ou chambres d’appel (soudebnyia palaty), mais le ressort de chacune de ces cours de justice embrasse toute une région de l’empire. Pour un territoire décuple et une population double, la Russie d’Europe a ainsi moins de tribunaux, moins de cours d’appel, moins de juges de toute sorte que la France[36]. A cet égard, la Russie se rapproche plus de l’Angleterre que de nous. Cette seule différence numérique ne sera pas chez elle sans influence sur la dignité de la magistrature, et par suite sur l’autorité de la justice. La Russie est peut-être cependant tombée dans le défaut opposé au défaut de la France ; si nous avons trop de tribunaux trop peu occupés, elle n’en a peut-être pas assez. Le nombre en pourra croître avec l’accroissement de la population et de la richesse sans ravaler en les prodiguant les fonctions et le titre de juges[37].

La Russie a imité la France dans la composition comme dans la hiérarchie de ses tribunaux. La justice de paix est, comme chez mis, la seule où siège un juge unique. Dans tous les autres tribunaux, la Russie, à l’opposition de l’Angleterre, a préféré le système de la pluralité des juges, en dépit du reproche souvent fait à la justice collégiale d’affaiblir l’attention et la conscience du juge en divisant la responsabilité. D’après la loi russe, dans chaque cause civile ou criminelle doivent siéger trois magistrats dont l’un fait fonction de président. Les tribunaux de cercle ou d’arrondissement jugent au criminel comme au civil, dans ce dernier cas avec le concours du jury et sans appel. Alors même la loi laisse aux cours supérieures une sorte de contrôle sur les tribunaux de cercle, en n’autorisant les poursuites criminelles devant ces derniers que sur l’avis le la cour d’appel (soudebnaya palata).

L’empreinte française est particulièrement marquée dans la cour suprême et dans le mode de cassation. Les Russes nous ont emprunté le mot et la chose. En laissant le sénat dirigeant de Pierre le Grand au sommet de leurs institutions judiciaires, ils en ont ramené les fonctions à celles de notre cour de cassation. Comme cette dernière, le sénat russe se borne à vérifier la régularité de la procédure et la légalité des décisions des tribunaux sans décider lui-même sur le fond des affaires. Je dois dire qu’en Russie la loi qui restreint les fonctions de la cour suprême à ce rôle de révision a été l’objet de plus d’une critique. On reproche à ce système imité du nôtre d’accroître souvent démesurément et sans utilité la durée et les frais des procès. Certains juristes voudraient qu’au lieu de se borner à casser les arrêts des cours inférieures, et à renvoyer la cause devant d’autres juges, le sénat pût en matière civile rendre lui-même, sans nouveaux débats, une sentence définitive.

A la différence de notre haute cour de justice, le sénat russe n’est pas seulement cour de cassation. De ses anciennes fonctions, attestées par son titre illusoire de sénat dirigeant ou administrant[38], il conserve encore des attributions fort diverses, exercées par différentes chambres ou départemens. Le sénat est en même temps cour de cassation, tribunal administratif, cour des comptes, il a un département héraldique, et il servait de haute cour de justice pour les affaires politiques et les crimes contre l’état, jusqu’au récent décret qui vient de transférer une partie de ces affaires aux tribunaux militaires. Au sénat ressortit le contentieux administratif ainsi que tous les différends des représentans du pouvoir central et des organes élus du self-government local, les différends par exemple de nouveaux états provinciaux et des gouverneurs de province[39]. La sphère administrative et la sphère judiciaire, isolées dans les régions inférieures, se touchent ainsi à leur sommet dans la cour suprême. En laissant à un même corps le contrôle des deux principales branches de la vie publique, on se flatte d’avoir mieux assuré l’accord des pouvoirs et l’harmonie de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire. Si dans cette réunion il y a empiétement de l’un sur l’autre, c’est plutôt aujourd’hui au profit des maximes administratives et du tchinovnisme ; un jour ce sera peut-être l’inverse.

Le département de cassation du sénat se subdivise en deux sections, l’une pour les affaires civiles, l’autre pour les affaires criminelles. Près de chacune est placé un procureur général. Au sénat aboutissent tous les pourvois en cassation provenant de la justice de paix aussi bien que de la justice ordinaire. Grâce à cette double série de tribunaux, les chambres civiles et criminelles sont surchargées d’affaires, bien que les frais de la procédure arrêtent nombre de plaideurs[40]. De là des retards de plus en plus longs à mesure que s’accroît le nombre des provinces où sont en vigueur les nouvelles institutions judiciaires. Pour décharger la haute cour et hâter la marche des affaires, il a été question tantôt d’augmenter le nombre des causes que les juges de paix jugent sans appel[41], tantôt d’ériger les tribunaux de cercle en cours de cassation pour la justice de paix, tantôt enfin de créer, dans chaque arrondissement judiciaire des chambres de requêtes spéciales chargées d’étudier les pourvois en cassation formés contre les assises de paix[42]. De tous les projets mis en avant, le plus simple serait d’augmenter le nombre des membres et des chambres de la cour de cassation.

Du sénat dirigeant aux tribunaux d’arrondissement, tous les juges sont nommés par le souverain. Pour la justice ordinaire, civile ou criminelle, le réformateur a renoncé au système électif que beaucoup de Russes voudraient voir appliqué à toute la magistrature. En rejetant l’élection, les rédacteurs des lois judiciaires ont cherché un autre moyen d’assurer l’indépendance du juge en même temps que de soulager le gouvernement de la lourde responsabilité du choix des magistrats dans un empire aussi vaste. Dans ce double dessein, ils ont décidé de recourir à la magistrature elle-même, et ont concédé à chaque tribunal le droit de présenter des candidats aux places vacantes dans son sein[43]. Concurremment avec l’élection des juges, la Russie a donc tenté une autre expérience presque aussi curieuse, mais par malheur conduite avec moins de sincérité ou moins de méthode. Strictement appliqué, un tel droit de présentation aux sièges vacans pouvait être un excellent moyen de maintenir la séparation des pouvoirs, il eût même pu faire de la magistrature ce qu’elle n’est réellement qu’en bien peu d’états, un véritable pouvoir autonome et indépendant. Ce n’est pas là ce que nous voyons en Russie ; pour avoir d’aussi grands effets, le droit de présentation aux tribunaux y est soumis à trop de restrictions par la loi, y est trop peu respecté dans la pratique.

La plus haute cour de justice, celle où un pareil privilège serait le mieux à sa place, le sénat, en est privé. Les tribunaux d’arrondissement et les cours d’appel sont seuls à en jouir, et dans ces tribunaux mêmes le droit de présentation ne s’étend point aux présidens et aux vice-présidens, mais seulement aux simples juges. Cette restriction n’a point paru suffisante, la magistrature assise n’est point libre d’user à son gré du droit de désignation dont elle est investie. Un tribunal ne peut s’arrêter à un choix qu’après que ce choix a été agréé par le procureur, c’est-à-dire par l’agent direct et docile du ministre. Une telle condition semble réduire le droit de présentation à une simple formalité ; mais il y a plus, et, cette désignation ainsi faite avec l’intervention du parquet, le ministre est toujours maître de n’en tenir aucun compte sans en donner aucun motif ; il reste libre de présenter lui-même ses propres candidats à côté des candidats du tribunal. On comprend qu’avec une pareille procédure, avec de telles précautions contre leur propre système, les rédacteurs des règlemens judiciaires ont laissé peu d’efficacité à ce droit de présentation. L’autorité de l’opinion pourrait seule lui rendre une valeur réelle, en amenant le ministre à accepter d’ordinaire le choix des tribunaux ou le souverain à préférer les candidats des magistrats à ceux de son ministre.

Par malheur, le jour où l’opinion publique serait assez puissante pour en faire une vérité au lieu d’une formalité, ce mode de nomination des juges sur la présentation des tribunaux aurait perdu sa principale utilité. Si un tel mode d’investiture des magistrats convient quelque part, c’est en effet dans un pays où le pouvoir est trop fort et la société trop faible pour que le premier soit dirigé par la seconde. Partout ailleurs, ce droit de désignation de la magistrature pourrait offrir presque autant d’inconvéniens que d’avantages. Les défauts en seraient tout différens de ceux de la justice élective, mais peut-être égaux. La magistrature, que l’élection risque de rendre trop dépendante de l’opinion et des partis, risquerait en se renouvelant elle-même de devenir trop indépendante de la société, trop isolée de l’opinion. Dans une magistrature recrutée à la façon d’une académie, comme dans nos anciens parlemens recrutés par la vénalité des charges, l’esprit de corps deviendrait excessif, la routine dangereuse, les prétentions abusives, les erreurs traditionnelles. Dans la plupart des tribunaux de province, les relations de famille ou de voisinage pourraient souvent avoir plus de part aux choix que le mérite des candidats. Si ce droit de présentation offre quelque part des avantages durables, ce serait moins dans les tribunaux inférieurs que dans les cours d’appel, et surtout dans la cour suprême, dans le sénat, qui aujourd’hui en est seul entièrement dépourvu.

L’indépendance du juge vis-à-vis du pouvoir, comme vis-à-vis des partis, est une chose si essentielle à une bonne justice, que, pour l’assurer, les états ne sauraient trop prendre de précautions. De tous les procédés mis en usage pour cela, le plus pratique et le plus simple semble encore l’inamovibilité. C’est celui qui donne le plus de garanties à la conscience du magistrat, tout en respectant le mieux le droit de la société à choisir ses juges, celui qui concilie le mieux le besoin de stabilité du magistrat avec le besoin de rénovation de la magistrature, et la liberté du jugement avec l’intérêt du juge. Les rédacteurs des règlemens de 1864 ont compris que cette garantie n’était pas moins nécessaire sous un gouvernement absolu que sous le gouvernement changeant des majorités parlementaires ou des partis politiques. Les lois de 1864 posent en principe qu’un juge ne peut être révoqué sans avoir été convaincu d’un délit ou crime. Une loi qui reconnaît à des serviteurs de l’état une telle indépendance dans la dépendance générale semble encore dans certaines sphères une atteinte aux droits de la puissance souveraine, un privilège exorbitant du magistrat ainsi revêtu d’une sorte d’inviolabilité.

En Russie comme en France, cette inamovibilité du juge, chez nous aujourd’hui si imprudemment attaquée par l’impatience de certains partis, est loin de dépouiller le gouvernement de tout moyen d’influence vis-à-vis de la magistrature. Le juge est inamovible, mais l’inamovibilité ne s’étend qu’au grade, et non, comme en Belgique, à la résidence. Le gouvernement n’est pas seulement maître de l’avancement des magistrats ; s’il ne peut les révoquer, il peut les déplacer sans consulter personne. L’inamovibilité est donc loin d’être entière, si ce n’est peut-être pour les membres de la cour suprême arrivés au sommet de la carrière. L’inamovibilité consacrée par la loi se trouve indirectement atteinte par cette voie oblique des déplacemens non consentis. Or dans un empire aussi vaste que la Russie, contenant en Europe même tant de régions disgraciées, tant de solitudes glacées ou brûlantes, un changement de résidence peut équivaloir à l’exil ou à la déportation et n’être pour les juges qu’une révocation déguisée ou un châtiment plus redoutable encore. Vis-à-vis de cette magistrature théoriquement inamovible, le pouvoir garde dans sa main une arme à double tranchant ; il peut agir à son gré sur les âmes timides par la menace des déplacemens, sur les esprits ambitieux par les séductions de l’avancement. Dans un état ou le gouvernement est pourvu d’aussi puissans moyens d’action, et où l’opinion n’est pas assez forte pour en tempérer l’usage, l’indépendance de la magistrature ne saurait être assurée que lorsque l’inamovibilité du juge sera confirmée par les mœurs autant que par la loi[44].

A côté de chaque tribunal, le ministère a un agent particulier nommé directement par lui et toujours révocable. C’est le procureur, dont les fonctions sont analogues aux fonctions du même nom chez nous : cette fois cependant, si nous retrouvons encore une imitation de nos institutions, nous n’avons pas affaire à un emprunt récent. Le parquet existait en Russie de longue date avant les dernières réformes ; c’est même un rouage dont, depuis Pierre le Grand, la Russie a fait grand usage, et qui, aujourd’hui comme jadis, peut être regardé comme le principal moteur de tout le mécanisme judiciaire. Dans aucun pays, l’autorité du procureur, représentant direct du ministre, n’est mieux établie et plus redoutée. Comme en France, le parquet forme une administration fortement centralisée et dont les attributions étendues sont peut-être moins du ressort de la justice que du ressort de la police. Le rôle du parquet, légalement restreint par les lois de 1864, s’est depuis élargi de nouveau, grâce à la réaction autoritaire de la seconde moitié du règne d’Alexandre II et aux appréhensions inspirées par les conspirations révolutionnaires des dernières années. D’auxiliaire de la justice, le procureur en semble trop souvent devenu le tuteur, et des fonctions en principe accessoires sont en fait devenues prédominantes[45].

Le parquet est le chemin des plus hautes dignités judiciaires, c’est dans ses rangs que se recrutent fréquemment le haut personnel de la magistrature assise, les présidens des tribunaux et des cours de justice. Les relations directes et constantes des procureurs avec le ministère leur donnent à cet égard un facile avantage. A Saint-Pétersbourg comme à Paris, les ministres oublient trop souvent que pour un juge, voué par profession à l’impartialité, c’est une mauvaise éducation que d’être accoutumé par métier à regarder les prévenus du point de vue de l’accusation. De deux fonctions qui, loin d’être une préparation l’une à l’autre, exigent des habitudes d’esprit et des qualités toutes différentes, pour ne pas dire opposées, on fait ainsi une seule et même carrière au risque, en les confondant, de laisser parfois retrouver le procureur sous le juge.

En Russie, ces nominations de procureurs s’expliquent en partie par la difficulté de trouver des juges instruits et expérimentés. Ici comme partout dans les nouvelles institutions, l’on sent le manque d’hommes spéciaux ; il faut que les réformes créent elles-mêmes peu à peu le personnel qui les doit appliquer. Dans un pays presque entièrement dépourvu de jurisconsultes, il était difficile de trouver des juges. L’on ne saurait donc beaucoup s’étonner si l’on rencontre des magistrats, des présidens même qui n’ont pas fait leur droit. Il y a moins de dix ans, l’on comptait encore dans les tribunaux d’arrondissement et les cours d’appel plus de 20 pour 100 des juges dénués de toute instruction spéciale et de tout diplôme juridique[46]. Ce manque d’hommes a été la cause ou le prétexte des retards longtemps apportés à l’extension des nouveaux tribunaux et de la magistrature inamovible. Au rebours de ce qui se voit en Occident, les carrières dites libérales, pour la plupart toutes récentes en Russie, manquent encore de candidats et de moyens de recrutement.

C’est là du reste un vide tout passager et qui serait peut-être déjà comblé sans les défiances du pouvoir vis-à-vis des étudians des universités et des nouvelles générations. Pour être admis à siéger dans un tribunal, il ne suffit pas de posséder un diplôme et un titre universitaire, il faut avant tout posséder la confiance du gouvernement, et pour cela ne prêter à aucun soupçon de radicalisme ou de mauvais esprit. Plus la loi assure de garanties et d’indépendance au juge, plus le ministre apporte de soins à ne laisser entrer dans la magistrature inamovible que des hommes sûrs et soumis, dont le caractère et les opinions ne fassent redouter ni un excès d’indépendance ni un excès de libéralisme. Beaucoup de jeunes gens que leurs études et- leur intelligence rendraient aptes à cette carrière en sont exclus par leurs tendances politiques réelles ou supposées. La Russie moderne se trouve ainsi emprisonnée dans une sorte de cercle vicieux : des hommes actifs et remuans qui se voient fermer toute carrière à cause de leurs opinions sont, faute de débouchés, violemment rejetés dans les opinions qu’on leur reproche. De là un double mal simultané et en apparence inconciliable, d’un côté le gouvernement et les services publics souffrant du manque d’hommes, de l’autre une multitude de jeunes gens sans place.


V

Si la magistrature ne s’ouvre pas aisément à tous les aspirans, il n’en est pas de même du barreau. Aussi est-ce aujourd’hui une des professions les plus recherchées de la jeunesse et surtout des jeunes gens de talent. Le barreau est en Russie chose toute nouvelle, il date des lois de 1864, qui ont introduit la procédure orale. Naguère il n’existait rien de semblable à un avocat, on ne connaissait que d’ignorans chargés de pouvoirs qui rédigeaient ou présentaient les mémoires des plaideurs et suivaient les procès devant les tribunaux. On les appelait striaptchy[47]. C’étaient, dit Nicolas Tourguenef, d’obscurs et ignobles agens, aussi peu renommés pour leur moralité que pour leurs connaissances, parfois des affranchis, quelquefois même des serfs[48]. Dans tout l’empire, le royaume de Pologne et les trois provinces baltiques étaient seuls à posséder des avocats dignes de ce nom[49].

Le barreau russe a été improvisé par les nouvelles institutions judiciaires. A la différence de la plupart des états d’Europe, le droit de plaider devant les tribunaux n’est pas encore en Russie le privilège spécial d’avocats régulièrement formés dans les écoles de droit. Toute personne d’une certaine moralité ou d’une certaine instruction peut être admise à plaider au civil comme au criminel. Cette disposition était imposée par le défaut d’hommes de loi, le législateur n’étant pas maître de créer soudainement tout un corps d’avocats. Ce ne sera peut être pas là toutefois une mesure transitoire. Il semble que l’on ne songe point à faire du droit de défendre les intérêts d’autrui le monopole d’une corporation. L’état en effet n’a pas les mêmes raisons d’exiger des garanties de capacité de l’avocat que du médecin. On comprend qu’à côté des avocats proprement dits, contrôlés par l’état et pour ainsi dire marqués du poinçon officiel, puissent encore plaider à l’occasion des hommes n’ayant d’autre titre que la confiance de leurs cliens ou la pratique des affaires. C’est ce qui se voit aujourd’hui en Russie ; le droit de défense y est libre, il est seulement soumis à une réglementation qui pratiquement en restreint beaucoup l’exercice et diminue à la fois les inconvéniens et les avantages de cette liberté, car le système en vigueur aboutit à créer au-dessous des avocats réguliers une classe de défenseurs de moindre instruction qui font également du barreau une profession, et ne diffèrent des autres avocats que par l’infériorité des connaissances.

Pour être admis à plaider en justice, il faut être pourvu d’un certificat que les tribunaux délivrent aux personnes qu’ils en jugent dignes[50]. Cette restriction a pour motif le grand nombre de gens de toute sorte et de toute classe qui, lors de l’ouverture des nouveaux tribunaux, se sont improvisés avocats, gens sans profession, employés sans place ou révoqués, anciens officiers ou sous-officiers en retraite, marchands ruinés ou négocians faillis. Le barreau était soudainement devenu le refuge de tout ce qui manquait de moyens d’existence et possédait un larynx et des poumons. Les règlemens n’imposaient du reste à cette profession aucune condition d’instruction, d’âge ou de sexe. Le ministère de la justice avait d’abord enjoint aux tribunaux de ne pas reconnaître le droit de plaider aux femmes, qui en Russie plus qu’ailleurs semblent vouloir se mesurer avec l’homme dans toutes les carrières. Le sénat dirigeant a, sur l’appel des intéressées, annulé l’arrêt du ministre. Les femmes peuvent ainsi se présenter devant les tribunaux en qualité de défenseurs, sans toutefois être autorisées à se faire inscrire dans l’ordre des avocats assermentés (prisiagnye povêrennye).

C’est ainsi qu’on appelle les avocats régulièrement formés dans les écoles de droit, et pourvus d’un diplôme qui leur permet d’exercer dans toute l’étendue de l’empire. Ces avocats ont, comme en France, reçu une organisation corporative ; c’est encore là un emprunt de la Russie. Le barreau de chaque ville élit un conseil qui possède sur les membres de l’ordre un pouvoir disciplinaire avec droit de réprimande, de suspension, d’expulsion. Les débutans sont astreints à un stage de cinq années, et avant de les admettre dans l’ordre, le conseil peut leur faire subir un examen sur la pratique des affaires. Cette constitution a déjà donné au jeune barreau russe, dans les grandes villes au moins, une réelle valeur intellectuelle, elle n’a pu encore lui assurer une égale valeur morale.

Dans les provinces en particulier, la profession d’avocat, assermenté ou non, est loin de jouir de la considération publique. De toutes les carrières ouvertes par les réformes, c’est la plus lucrative comme la plus accessible ; de là le grand nombre de jeunes gens et d’hommes de toute sorte qui s’y sont précipités. Peu d’entre eux ont un sentiment élevé de la dignité de leur vocation et de l’honneur professionnel. La plupart n’ont d’autre souci que de s’enrichir, et sont peu délicats sur les moyens. L’esprit mercantile, qui chez nous-mêmes s’est trop souvent glissé au palais, anime presque seul le barreau russe. L’éloquence et l’habileté de l’avocat sont une marchandise déjà fort recherchée, les membres du barreau ont soin de la vendre le plus cher possible et beaucoup n’ont ni tarif ni prix fixe. D’ordinaire le client et l’avocat débattent d’avance les conditions du marché, et comme dans tout négoce en Russie, l’on ne se fait pas faute de marchander. Quand ils sont d’accord, le plaideur et son conseil rédigent le plus souvent un contrat en règle, bien et dûment signé, précaution qui d’ordinaire n’est pas inutile[51]. L’on traite rarement à forfait, et le taux des honoraires dépend en général du succès de la plaidoirie. L’avocat stipule un salaire beaucoup plus élevé s’il obtient à son client gain de cause. Dans les affaires civiles, il exige souvent du plaideur, en cas de réussite, bien entendu, 5, 10, 20 pour 100, parfois davantage, sur les sommes en jeu. Dans les affaires criminelles, les honoraires de l’avocat montent et s’abaissent suivant que plus légère ou plus lourde est la peine infligée au prévenu. L’avocat, ainsi directement intéressé à la cause qu’il défend, devient en quelque sorte l’associé de son client. Comme en Russie on plaide beaucoup aujourd’hui et qu’il y a fréquemment de grosses affaires, les bénéfices sont parfois considérables. On cite des procès qui ont rapporté aux vainqueurs de la barre des 10,000, 20,000, 40,000 roubles. Aussi depuis les vieilles maisons princières de kniazes jusqu’aux familles de marchands enrichis, depuis les fils d’officiers ou de tchinovniks jusqu’aux fils de prêtres, toutes les classes de la société ont fourni leur contingent à la nouvelle et brillante carrière. Le barreau de Saint-Pétersbourg et de Moscou a, comme celui de Paris ou de Londres, ses grands orateurs devant lesquels le chemin de la réputation et de la fortune est largement ouvert, et le jeune avocat à la mode, envié des hommes et courtisé des femmes, prodiguant en plaisirs l’argent rapidement gagné à l’audience, a fourni à la littérature des dix dernières années un nouveau type national.

Des défauts pour lesquels quelques écrivains étrangers se sont peut-être montrés trop sévères[52] ne doivent pas cacher à nos yeux les qualités et les services du barreau russe, dans les capitales surtout. Qu’il soit intéressé et cupide, que dans ses plaidoiries il manque de méthode et de goût, qu’il soit prolixe et enclin à l’emphase, le jeune barreau de Pétersbourg et de Moscou n’est point dénué de toutes les qualités professionnelles, il a plus d’une fois montré qu’il en possédait au moins une et non la moindre. L’avocat russe n’a point failli à son devoir de défenseur. Durant les dix derrières années, marquées par tant de conspirations ou tant de procès politiques, aucun criminel, aucun prévenu n’est demeuré sans défense. Tout Russe, traduit devant un tribunal a vu se lever à ses côtés un homme qui osait en son nom débattre publiquement avec les représentans de l’autorité les charges de l’accusation. En Russie ce n’était pas là une mince innovation, pour les survivans du règne de l’empereur Nicolas c’était un dangereux scandale.

Dans ce vaste empire dépourvu de chambres et d’assemblées politiques, les avocats ont eu l’honneur d’être les premiers à faire retentir aux oreilles du pouvoir comme du public une parole libre ; dans un pays où le courage militaire est si commun, ils ont été les premiers appelés à donner l’exemple encore inconnu du courage civil. Quelques-uns, il faut bien le dire, ne l’ont point fait impunément. Le temps n’est pas encore loin où le défenseur de Nétchaïef était par ordre de la IIIe section interné dans une petite ville de province[53]. C’était une carrière brisée. Devant ce péril, le barreau n’a point déserté sa mission. Les prévenus politiques n’en ont pas moins continué à trouver des avocats jaloux d’user des droits de la défense. Au printemps dernier encore, lors du procès de Véra Zassoulitch, l’éloquent plaidoyer du défenseur de la jeune illuminée retentissait jusqu’au de la des frontières de l’empire. Depuis lors le gouvernement, effrayé du nombre des attentats révolutionnaires, a enlevé les crimes contre les fonctionnaires aussi bien que tous les procès politiques à la justice ordinaire. Les avocats sont plus que jamais tenus à se renfermer scrupuleusement dans les limites de leur ministère ; mais, même en prenant contre les ennemis de l’ordre établi des précautions qu’il croit indispensables, le gouvernement impérial ne saurait oublier que la première condition d’une bonne justice c’est une libre parole.

Soit défiance de leur moralité, soit antipathie pour les penchans libéraux qu’inspire leur profession, les membres du barreau ne semblent pas en grande estime auprès du ministère de la justice. Les règlemens mettent des obstacles à leur entrée, des obstacles à leur avancement dans la carrière judiciaire. Un avocat ne peut être appelé à s’asseoir sur le siège de juge que dans les tribunaux inférieurs, et cela seulement après dix ans d’exercice. Une telle mesure a pour effet pratique de n’ouvrir les rangs de la magistrature qu’aux avocats sans talent ni clientèle, et de fermer au barreau l’accès de toutes les hautes dignités judiciaires. A cet égard la Russie a pris le contre-pied de l’Angleterre, où, comme on le sait, la haute magistrature se recrute surtout parmi les sommités du barreau.

Ces mesures de défiance contre les avocats ne sauraient arrêter l’essor d’une profession dont la prospérité importe particulièrement à l’empire. En tout pays en effet, le barreau, qui exige à la fois la connaissance des lois et l’habitude de la discussion, a été l’une des meilleures écoles de la liberté légale. Tout se tient et s’enchaîne, nous ne saurions trop le dire, dans la vie des peuples comme dans la vie individuelle. Un état absolu ne saurait doter ses sujets d’une libre justice sans par là même les préparer de loin aux libertés publiques, sans leur en donner peu à peu le goût et le besoin. L’habitude de discuter les affaires privées conduit tôt ou tard à discuter les affaires publiques, qui par tant de côtés confinent et se mêlent aux premières. Si, dans nos démocraties modernes comme dans les démocraties antiques, l’avocat, l’homme qui parle et pérore, usurpe une influence souvent excessive aux dépens de professions plus sérieusement dressées à la direction des affaires de l’état, dans les pays privés de libertés politiques, le barreau est encore ce qui peut le mieux en tenir lieu. C’est à lui que revient à certains jours la meilleure part du beau rôle de la justice, à lui surtout qu’il appartient de maintenir la dignité de la conscience humaine, et la notion du droit en même temps que celle du devoir.

« Nous ne sentons pas assez la noblesse de notre tâche, et, pour la plupart, nous en sommes peu dignes, me disait un des trop rares avocats russes qui ont un sentiment élevé de l’honneur de leur profession ; nous ne comprenons pas encore toute la valeur et l’importance de notre rôle pour l’avenir du pays. Si nous possédons des orateurs et des hommes d’affaires, nous n’avons pas encore de Brougham ou de Berryer regardant le barreau comme une sorte de sacerdoce et faisant de leur métier de défenseur comme une fonction publique et la plus haute de toutes. Les lois, les mœurs ne nous donnent pas encore la même force morale qu’à vos grands avocats de France ou d’Angleterre aux mauvais jours de l’histoire des deux pays. Nous rencontrons dans la législation, dans les défiances du pouvoir, dans l’apathie de l’opinion, des obstacles que vous ignorez depuis longtemps ; mais en dépit de toutes les entraves légales, le progrès des lumières et de l’esprit public nous révèle peu à peu la grandeur de notre mission. Vous verrez un jour que dans l’histoire du développement de la Russie, le barreau tiendra une large place. »

Je ne sais si l’avenir justifiera ce fier langage ; depuis que je l’ai entendu, il est survenu des décrets impériaux et des règlemens restrictifs qui menacent de reculer l’heure où se pourront réaliser de semblables prédictions. L’étude de la justice criminelle et l’examen des récentes lois d’exception, édictées à la suite des derniers procès politiques, nous permettront d’apprécier par quelles difficultés nouvelles doit passer le barreau russe, et quelles épreuves traverse en ce moment cette réforme judiciaire qui, avec l’émancipation des serfs, reste le principal titre de gloire du règne actuel.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.

  1. Voyez la Revue du 1er avril, du 15 mai, du 1er août, du 15 novembre, du 15 décembre 1876, du 1er janvier, du 15 Juin, du 1er août, du 15 décembre 1877, du 15 juillet, du 15 août, du 15 octobre 1878.
  2. Voyez, dans la Revue du 15 octobre, l’Étude sur la justice des paysans et les tribunaux corporatifs.
  3. La Justice militaire et la justice ecclésiastique sont les seules qui, en quelques circonstances, puissent être regardées comme conférant une sorte de privilège ou de protection aux hommes qui relèvent de leur juridiction.
  4. Voyez la Revue du 15 octobre 1878.
  5. Voyez l’Administration locale en France et en Angleterre, de M. Paul Leroy-Beaulieu, p. 51-52.
  6. Des objections de ce genre se rencontrent chez des publicistes de tendances fort diverses, tels que M. Kochelef et M. V. Bezobrazof. Ce dernier a naguère publié à cet égard une brochure intitulée : Myly po povodou soudebnoï vlasti. Le général Fadéief a plus récemment renouvelé toutes ces critiques dans l’ouvrage ayant pour titre : Tchém nam byt ? Conformément à ces idées l’assemblée de la noblesse de Saint-Pétersbourg avait il y a quelques années manifesté le désir de voir conférer aux juges de paix d’importantes attributions administratives. Voyez Samarine et Dmitrief : Revolutsionny Konservatizm, p. 117-122.
  7. Voyez la Revue du 15 octobre.
  8. Dans les grandes villes auxquelles la loi confère les attributions de zemstvo de district, Saint-Pétersbourg, Moscou, Odessa, les juges de paix sont choisis par la douma ou conseil municipal. (Voyez les Revues du 15 juillet et du 15 août 1878.)
  9. Voyez la Revue du 15 octobre.
  10. J’emprunte ces motifs aux considérans qui précèdent le dispositif de la loi.
  11. Profitant de la flexibilité de leur langue, certains Russes ont même à cet égard forgé un pendant au mot self-government, en russe samooupravlénié. Ce terme expressif est samosoud qu’on ne saurait traduire littéralement en français, mais qui en anglais donnerait self-justice.
  12. D’une manière générale le régime de l’investiture populaire prévaut d’autant plus qu’on s’éloigne de l’Atlantique pour aller vers l’ouest et le Pacifique. Dans les états de l’ouest ; le système de l’élection règne exclusivement ; dans ceux de l’Atlantique, le principe électif est demeuré soumis à plus de restrictions.
  13. Parmi les Américains qui ont condamné comme pernicieuse la magistrature élective, l’on peut citer entre autres Eszra Scaman, Kent et Story.
  14. La liste des personnes qualifiées pour occuper les sièges de juge de paix, est dans chaque district dressée trois mois d’avance par le maréchal de la noblesse et le maire du chef-lieu, avec le concours des juges de paix en fonctions.
  15. Les provinces baltiques (Livonie, Esthonie, Courlande) viennent d’être mises en possession des nouveaux juges de paix, en dépit des répugnances de la noblesse d’origine germanique, qui conservait presque intacts ses anciens droits de justice.
  16. Chez leurs congénères d’Orient au contraire, dans la nouvelle Bulgarie et la Roumélie orientale, les Russes ont déjà tenté d’introduire l’élection de certains juges, bien que dans ces pays si divisés par les querelles de race ou de religion une magistrature élective semble peu à sa place.
  17. Quel qu’en soit le mode de recrutement, je crois pouvoir dire que cette nouvelle magistrature a été un progrès sur ce qui existait précédemment. S’ils ne montrent pas toujours vis-à-vis des justiciables polonais une complète impartialité, s’ils sont comme le gouvernement même enclins à favoriser les paysans aux dépens des propriétaires, ces nouveaux juges ont fait preuve d’une instruction et d’une intégrité peu connues de leurs prédécesseurs. Les défauts de cette magistrature ne sauraient donc autoriser de comparaison entre la justice que la Russie offre à ses sujets polonais et celle que la Porte-Ottomane imposait à ses sujets slaves, grecs ou arméniens.
  18. Sur cette question, je dois mentionner entre autres une étude du Vestnik Evropy, juin 1814.
  19. Voyez, dans la Revue du 15 juillet 1878, l’étude ayant pour titre : le Self-government en Russie ; les États provinciaux. Dans les zemstvos peu nombreux, ne comptant par exemple qu’une trentaine de membres, il arrive que douze ou quinze propriétaires choisissent à leur gré tous les juges du district. Ces élections peuvent dans ce cas présenter parfois le singulier phénomène que nous avons signalé dans les élections provinciales et municipales ; il peut y avoir autant et plus de candidats que d’électeurs. Pour remédier à de tels inconvéniens, comme pour assurer aux différentes classes une représentation plus équitable, on pourrait lors des élections judiciaires adjoindre aux membres des zemstvos des assesseurs spécialement désignés par toutes les classes de la population locale.
  20. Il est à noter aussi que les zemstvos étant presque exclusivement les représentans de la propriété foncière, la plupart des hommes voués au petit commerce ou à la petite industrie n’ont point de part au choix des juges devant lesquels leur profession les amène aussi souvent que le propriétaire ou le paysan.
  21. Voyez, dans la Revue du 15 mai 1876, l’étude sur la noblesse et le tchine.
  22. C’est le double du cens exigé des électeurs de droit aux assemblées territoriales, La desiatine, Je le rappellerai, vaut 1 hectare 9 ares.
  23. Dans les riches gouvernemens de la terre-noire, le minimum de 400 desiatines peut au contraire sembler trop élevé. Aussi quelques assemblées de district, dans le gouvernement de Tchernigof par exemple, ont-elles, en raison du renchérissement des terres, demandé que le minimum du cens d’éligibilité fût pour les juges de paix abaissé de 400 à 300 desiatines.
  24. Éciaircissemens sur l’article 19.
  25. Voyez par exemple M. Golovatchef, Deciat lét reform., p. 393-334.
  26. Voyez la Revue du 15 octobre.
  27. Dans les provinces où les juges de paix ne sont pas à l’élection, c’est le gouvernement qui fixe leurs émolumens, mais ceux-ci restent, croyons-nous, à la charge du budget provincial. En Lithuanie et dans les provinces du nord-ouest où les juges sont nommés par l’état, ils reçoivent un traitement plus élevé que dans l’intérieur de l’empire et prélevé sur les contributions dont le gouvernement continue à frapper les propriétaires polonais depuis l’insurrection de 1863.
  28. Certaines fonctions, telles que celles des anciens arbitres de paix créés pour la liquidation du servage, dispensent même les candidats de toute preuve d’instruction. Si faibles que soient à cet égard les exigences de l’état, il s’est encore rencontré, dans l’assemblée de la noblesse de la capitale, des propriétaires pour les trouver exagérées. Voyez M. Dmitrief, Revolutsionny conservatizm, p. 112.
  29. M. Krotkof dans un écrit intitulé : Pyrkine et Tchépyrkine, Otetchestvia Zapisky (Annales de la Patrie), mai 1876.
  30. L’on doit noter qu’en outre les affaires civiles spécialement soumises aux tribunaux de volost (voyez la Revue du 15 octobre) peuvent être portées devant les juges de paix si aucune des deux parties ne s’y oppose. Dans quelques provinces de l’intérieur, les juges de paix ont, dit-on, beaucoup de peine à se débarrasser de ces sortes d’affaires. On cite ce mot d’un moujik ainsi renvoyé devant ses tribunaux corporatifs : « Oh ! ce tribunal de volost ! On n’en obtient rien hormis un bon de vingt coups de verge ! » Allusion aux châtimens corporels encore tolérés dans la justice villageoise.
  31. Le nombre des affaires tranchées par ces modestes tribunaux est considérable, au criminel comme au civil. D’après les statistiques judiciaires, il comparait annuellement devant eux près de 50,000 prévenus. En 1876, la dernière année dont le ministère de la justice ait publié les comptes-rendus, les juges de paix avaient eu à juger 48,912 accusés, dont 43,423 hommes et 6,489 femmes. De ces accusés, 29,771 avaient été acquittés et 19,151 condamnés.
  32. Il va sans dire que les hétérodoxes chrétiens ou non chrétiens et les raskolniks ou schismatiques sont exemptés de tout ce cérémonial ecclésiastique. Dans certains cas cependant, quand on veut faire prêter serment à des juifs, on appelle un rabbin pour faire jurer les témoins Israélites selon les rites de leur culte.
  33. Il a déjà été question d’élever cette limite en matière civile jusqu’à 100 roubles, afin de diminuer le nombre des affaires qui viennent en appel près des assemblées de paix et en cassation devant le sénat.
  34. On a quelquefois conseillé d’appliquer un système analogue aux tribunaux des paysans, aujourd’hui dépourvus de seconde instance, mais les rustiques magistrats de village ont d’ordinaire trop peu de temps a consacrer à leurs fonctions pour siéger aisément dans une pareille cour d’appel.
  35. En fait, les erreurs de compétence, les vices de forme, les interprétations erronées de la loi sont fort nombreuses. Les assises de paix cassent chaque année un grand nombre des décisions des simples juges de paix, et si dans les campagnes le nombre des sentences ainsi annulées n’est pas plus considérable, s’il n’y a pas un plus grand nombre d’appels et de plaintes, cela tient, dit un écrivain russe, moins à la patience du moujik et du peuple, qu’à son ignorance de ses droits et à la cherté des pourvois près du sénat (Golovatchef, Deciat lêt reform., p. 331-332).
  36. La Russie d’Europe, même après la récente introduction des règlemens judiciaires de 1864 dans les provinces de l’ouest, ne compte aujourd’hui qu’un peu plus de soixante tribunaux de première instance, avec neuf cours d’appel, Saint-Pétersbourg, Moscou, Kazan, Saratof, Kharkof, Odessa, Kief, Smolensk, Vilna. Le royaume de Pologne et le Caucase restent comme la Finlande en dehors de ces chiffres.
  37. Il ne faut pas oublier du reste que l’organisation spéciale de la justice de paix et la création des assises de paix comme cour d’appel diminuent sensiblement le nombre des affaires soumises aux tribunaux ordinaires.
  38. Pravitelstvouiouchtchi, traduit d’ordinaire par dirigeant, signifie plutôt, administrant ou gouvernant.
  39. Voyez la Revue du 15 juin 1878.
  40. Tout pourvoi en cassation doit, pour les affaires civiles du moins, être accompagné d’un dépôt ou caution de 10 roubles qui, si le pourvoi est rejeté, n’est pas restitué aux plaideurs.
  41. Dans ce cas, ce sont les assises de paix qui font office de cour de cassation.
  42. D’après les projets naguère prêtés au ministère de la justice, ces chambres de requêtes seraient composées du président et d’un ou deux membres du tribunal de première instance, auxquels s’adjoindraient à tour de rôle trois juges de paix. La chambre ainsi composée examinerait tous les pourvois en cassation contre les sentences des assemblées de paix de son ressort, et les pourvois qui n’auraient pas été rejetés par elle seraient seuls portés devant le sénat. Ce système, qui mettrait en contact les magistrats des deux séries de tribunaux, aurait l’inconvénient de créer une instance de plus, et de compromettre l’unité d’interprétation de la loi par la multiplicité de pareilles chambres.
  43. Les membres des nouveaux tribunaux ont d’abord été tous nommés sur la proposition du ministre ; le droit de présentation ne s’exerce qu’au fur et a mesure des vacances.
  44. En un cas important, pour les juges d’instruction, la loi qui assure l’indépendance du juge est fréquemment éludée. Comme nous le verrons en étudiant la justice criminelle, le ministre de la justice confère l’exercice de ses délicates fonctions à des tchinovniks ou employés révocables auxquels il n’accorde le titre et les droits de juge qu’après plusieurs années d’exercice. D’une fonction inamovible, l’on fait ainsi, d’une manière détournée, un emploi révocable
  45. Pour mettre fin à cette excessive influence du parquet sur la magistrature, un publiciste russe a proposé un moyen radical, ce serait de détacher le parquet du ministère de la justice pour le rattacher avec la police au ministère de l’intérieur. (Golovatchef, Deciat lêt reform.)
  46. Vestnick Evropy, juin 1871.
  47. Striaptchy du verbe striapat, préparer à manger, faire la cuisine et par assimilation brasser un procès.
  48. N. Tourguenef, la Russie et les Russes, t. III.
  49. L’édit de 1876, qui a rendu l’usage de la langue russe obligatoire et exclusif dans tous les tribunaux de l’ancien royaume, a mis fin à l’existence du barreau polonais.
  50. Pour décider de la capacité d’un individu, les tribunaux peuvent lui faire passer un examen. Chaque tribunal de première instance ou d’appel (comme chaque assemblée de paix) désigne les personnes admises à plaider devant lui. Pour le certificat ainsi délivré, il faut payer un droit assez élevé qui équivaut à une patente. Tout homme auquel un tribunal refuse le droit de plaider peut en appeler au tribunal supérieur jusqu’en cassation. Le même droit d’appel appartient au procureur s’il juge un homme autorisé à plaider indigne de cette faveur.
  51. Cette manière de procéder et cette âpreté au gain s’expliquent d’autant mieux qu’en Russie il n’y a pas d’avoués ou d’intermédiaires entre l’avocat et le client. Les fonctions d’avocat et d’avoué sont confondues dans la même personne.
  52. Je citerai par exemple, en Angleterre, M. Mackensie Wallace : Russia, t. II, p. 399, 400, et en Autriche le docteur Célestin : Russland seit Aufhebung der Leibeigenschaft, p. 182-183.
  53. Nétchaïef était le chef d’une de ces sociétés révolutionnaires si souvent découvertes et poursuivies depuis 1870. La IIIe section de la chancellerie impériale est, on le sait, chargée de la haute police. Voyez la Revue du 15 décembre 1877.