La Russie en feu - Journal d’un correspondant de guerre/02

La Russie en feu - Journal d’un correspondant de guerre
Revue des Deux Mondes6e période, tome 48 (p. 88-113).
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LA RUSSIE EN FEU
JOURNAL D'UN CORRESPONDANT DE GUERRE
II [1]


II. UNE VISITE A LA VEUVE DE KALÉDINE


Rostof, le 3/16 février 1918.

On se bat au Nord de Nowo-Tcherkask : il paraît que les Cosaques s’y comportent mieux qu’au Sud : je veux y aller voir. Les généraux Bagaevsky, sous-ataman du Don, et Stepanof, me font le meilleur accueil et me facilitent l’accès à l’État-major de « l’ataman de campagne » du Don. Je me mets donc en route.

La gare de Rostof est gardée par une compagnie d’officiers qui campent dans les salles d’attente. Ce sont partout et toujours les anciens officiers qui s’offrent pour protéger le pays contre les deux fléaux qui le menacent : l’invasion et l’anarchie. Cependant les rues sont pleines de jeunes gars, robustes et bien vêtus, qui continuent à faire la fête, tandis que la patrie est en danger…


Nowo-Tcherkask, le 4/17 février 1918.

J’ai encore sur moi des lettres que j’aurais dû remettre au général Kalédine de la part d’amis communs, le général prince Ë. Bariatinsky et son ancien aide de camp, comte Bobrinsky. C’est pour moi maintenant un triste devoir de les porter à sa veuve.

Je trouve Mme Kalédine dans le palais de l’ataman du Don. Dans les vastes salles de l’immense demeure, son deuil prend une grandeur tragique, un air d’infinie désolation. Avec la mort de cet homme, c’est le rêve de tout un peuple qui s’est évanoui.

Cette malheureuse et vénérable Française, à qui les doux souvenirs de sa patrie semblent plus beaux encore et plus chers dans sa solitude et son deuil, ne veut pas quitter le palais, menacé pourtant par le plus cruel des ennemis.

Je lui raconte la douloureuse stupéfaction, le désespoir qui s’est emparé de l’armée de volontaires, quand la terrible nouvelle y a été connue : dans les yeux de la pauvre veuve, — ces yeux qui savent encore voir et qui ne savent plus pleurer, — passe comme un éclair : l’orgueil d’avoir été associée à l’œuvre du grand patriote.

« Le patriotisme a été pour lui une religion. Sa patrie, c’était son Dieu. »

Ce sera le jugement définitif de l’histoire sur cet homme, qui a pendant quelques mois rempli l’unique grande charge seigneuriale qui nous ait été léguée par le moyen âge. Les uns l’accusent de faiblesse, les autres d’un manque de souplesse. Kalédine est tombé à son poste comme un des derniers soldats qui aient lutté pour la Russie. Comme Alexeief et Kornilof, le dernier ataman du Don a levé l’étendard du patriotisme en face de l’anarchie.

— Mon admirable mari s’est suicidé pour enflammer les Cosaques. Quand il s’est aperçu que sa voix était couverte par les clameurs de l’anarchie, et que sa parole n’était plus écoutée, il a pris le dernier moyen qui lui restât pour pousser les stanitzas à la révolte contre l’ennemi. Sa mort glorieuse a plus fait que tous les actes de sa vie. Tout le Don se lève.

Voilà donc pourquoi le métropolite a revêtu le front de l’auguste mort de la « couronne des vainqueurs ! » Toute une foule, pleurant et désespérée, a défilé devant le cercueil de celui dont la vie, selon la conviction de l’Eglise, se termine en victoire. Hélas ! peut-on croire que sa mort suffise à galvaniser les guerriers du Don, après que les horribles malheurs de leur patrie les ont laissés indifférents ? Mes souvenirs, qui datent d’hier, ne me permettent guère de le croire.


LA FIN D’UN RÊVE

Pour comprendre cette chute si brusque, et sans doute inévitable, il faut remonter aux causes. Il faut se rappeler que, dans la « Donskaia Oblast[2], » les Cosaques proprement dits sont en minorité. On compte 1 700 000 Cosaques et 2 000 000 de non-Cosaques. Ces derniers sont des commerçants, et surtout des paysans, anciens serfs des propriétaires cosaques. Au moment où la révolution a éclaté, les non-Cosaques n’étaient pas représentés dans ce gouvernement exclusivement guerrier.

Cependant les Cosaques du Don, — surtout ceux du Nord, — avaient perdu la plus grande partie des fameuses qualités guerrières qui avaient motivé leurs privilèges. La frontière russe, qu’ils avaient à défendre contre les populations musulmanes du Sud, les Tatares, les Tchetchens, les Tcherkesses, s’était déplacée depuis longtemps. Les Cosaques des stanitzas du Nord, dont les terres touchent à la Grande-Russie, sont depuis longtemps devenus des paysans. Ceux du Sud ont davantage conservé l’esprit militaire.

Chaque Cosaque naissait propriétaire et soldat. Dès que la guerre éclatait, ils devaient accourir, à l’appel du. Tsar, avec leur cheval et leur selle ; le gouvernement leur fournissait la lance, le fusil et l’uniforme. Depuis plusieurs siècles les Cosaques avaient leur chef, l’ataman, élu par les « krougs » qui représentaient les stanitzas. Le gouvernement russe redoutait cette force placée au centre de l’Empire, et qui réunissait dans une seule main plus de cinquante bons régiments de cavalerie ; aussi la désignation de l’ataman appartenait-elle à la Couronne, qui choisissait rarement un Cosaque. Le dernier ataman, sous l’ancien régime, fut le général comte Graabe, d’origine balte.

La révolution russe eut pour principal effet, dans les pays du Don, de ressusciter l’énorme privilège militaire de l’élection d’un commandant en chef, dont le pouvoir échappait au contrôle du gouvernement. Le kroug usa de son droit pour élire le Cosaque le plus populaire au Don, le commandant de la VIIIe armée, le général Kalédine. Pour comprendre l’importance de cette nomination, et l’ampleur des espoirs dont elle emplit les cœurs des Cadets, il faut savoir que l’ataman des Cosaques du Don est « primus inter pares ; » il est de droit le porte-parole des onze tribus de Cosaques de la Russie : ceux du Don, du Kouban, du Terek, de l’Oural, d’Orenbourg, de Sémiriétchie, d’Astrakhan, de Sibérie, du Transbaïkal, de l’Amour, et d’Oussouri. Au congrès de Moscou, le général Kalédine a en effet lu une résolution au nom de tous les Cosaques de Russie.

Après la « rébellion » de Kornilof, Kalédine prit hautement parti pour lui et fut défendu par ses Cosaques contre les émissaires de Kerensky venus pour l’arrêter. Plus tard, il se tourna résolument contre les bolcheviks. Il comptait beaucoup, pour la défense du Don, sur les jeunes Cosaques qu’il avait fait revenir du front. Mais il s’aperçut bientôt que ceux-ci étaient, en grande partie, gagnés par l’esprit maximaliste. Les pères qui s’étaient rangés derrière Kalédine, ne reconnurent plus leurs fils ; aussi bien, ceux-ci avaient moins adopté les idées politiques nouvelles, qu’acclamé l’insubordination dans les régiments.

Un projet de dislocation et de réorganisation des régiments échoua : personne ne voulut se rendre aux endroits désignés. Les frontowyé-cosaques voulaient marchander avec les Bolcheviks, les vieux se battre avec eux, mais personne ne se battait.

Au grand kroug de décembre 1917, les différences éclatèrent. Tous les représentants des stanitzas, à l’exception de celles du Nord, furent cependant pour les mesures que proposa Kalédine.

Craignant que son nom n’attirât sur le Don toutes les haines des Bolcheviks, Kalédine donna sa démission, mais fut réélu par 570 voix contre 100, aux applaudissements frénétiques de l’assemblée où les frontowyés[3] ne comptaient que 200 membres. Ce fut un beau succès pour Kalédine. Malheureusement la réunion prit une résolution qui hâta sa chute.

Un certain Agnéef proposa un projet de loi qui tendait à donner aux non-Cosaques une part du pouvoir, Kalédine, soit diplomatie, soit faiblesse, ne se prononça pas clairement sur cette proposition qui allait subitement déplacer l’équilibre des forces. Le sous-ataman, le général Bagaevsky, flairant le danger, essaya de décider le kroug à n’admettre comme électeurs que les paysans. Mais on passa outre. Les ouvriers et la petite bourgeoisie eurent droit de vote. Le gouvernement du Don, représenté jusque-là par 8 Cosaques, compta au mois de janvier 15 membres, dont 7 socialistes, inclinant au maximalisme ; ceux-ci firent tout le possible pour mettre fin à la guerre, amnistier les Bolcheviks, punis ou exilés, etc.

Depuis le 15/28 janvier, une dizaine de régiments, parmi lesquels deux régiments de Cosaques de la garde, se révoltèrent contre l’ataman, élurent un comité révolutionnaire sous le soldat Podziolkof, et exigèrent la démission intégrale du gouvernement, ataman inclus, et le renvoi immédiat de l’armée de volontaires. Les dix régiments occupèrent Likhaya, Zwierewo, Makéevka et d’autres nœuds de chemin de fer importants. Impuissant à maîtriser ce mouvement, et ne disposant d’aucune force contre les rebelles, le gouvernement promit de convoquer un nouveau kroug.

À ce moment, où l’édifice de l’État semblait près de s’écrouler dans la défection des hauts dignitaires, généraux et députés, un seul homme fit face au danger. Le colonel Tchernetzof, encore jeune et d’une bravoure inouïe, attaqua les Cosaques avec son détachement de 400 jeunes gens, lycéens, étudiants, Cadets, officiers, occupa Zwierewo, Likhaya, chassa les frontowicki de partout, bouscula les dix régiments de Cosaques, et rétablit en deux jours la situation chancelante de l’ataman. Il battait partout, — à raison d’au moins une bataille par jour, — des troupes de métier, dix fois supérieures en nombre, mais moins décidées, et surtout moins bien conduites, et acquit en quatre jours une magique renommée.

Le 25 janvier/7 février, il attaqua avec trente hommes un millier de Bolcheviks, rencontrés au cours d’une reconnaissance, et eût, cette fois encore, remporté une de ses incroyables victoires, s’il n’eût été blessé. Je tiens de ses hommes qu’ils l’ont vu tomber, mais aussitôt se relever, s’élancer sur un cheval, et disparaître. Les Bolcheviks prétendant l’avoir pris et tué, et avoir gardé sa tête pendant deux semaines fixée à une baïonnette dans la salle de réunion du comité révolutionnaire de Millerowo. Mais ses « partisans » assurent qu’il est vivant, et qu’il n’attend que sa complète guérison pour se joindre à ses braves troupes. Au moment où j’écris, ils se refusent à se laisser dissoudre et verser dans un autre détachement. Le colonel Tchernetzof continue à mener ses hommes au combat !

Le jour où le bruit se répandit que Tchernetzof avait disparu, le prestige du gouvernement s’écroula, et cette fois définitivement. Le lieutenant-colonel Goloubef, qu’on avait connu très conservateur avant la révolution, prit le commandement des Cosaques rebelles. Il avait été arrêté par Kalédine, puis relâché après avoir donné sa parole qu’il ne tenterait plus rien contre le gouvernement.

Kornilof, qui espérait encore que les vieux Cosaques écouteraient l’appel de leur chef, envoya un bataillon à Nowo-Tcherkask. Les stanitzas promirent d’envoyer des troupes, mais elles n’en firent rien. L’armée de volontaires n’avait pas été créée pour sauver le Don contre la volonté de ses habitants, mais pour établir un « gouvernement national » en Russie. Elle était maintenant dans une terrible position : sévèrement menacée du côté de Taganrog, et mise en danger par l’inutile attente de renforts cosaques qu’on avait escomptés et qui n’arrivaient pas. Kornilof retira le bataillon de Nowo-Tcherkask, et manifesta l’intention de quitter le Don.

Ce fut le dernier coup porté à Kalédine.

Les rares troupes qui lui étaient restées fidèles tenaient la voie ferrée. La nouvelle que Goloubef approchait de Nowo-Tcherkask.du côté de l’Ouest, le prit au dépourvu. Une panique s’empara des habitants. Kalédine se sentit abandonné. Une orageuse séance du kroug finit de lui enlever toute l’autorité sur l’assemblée. C’est alors qu’il décida de se brûler la cervelle.

Ce que le grand ataman des Cosaques du Don avait été impuissant à faire, revêtu du grand appareil de sa dignité, il faillit le faire, sous le catafalque où il reposait dans la cathédrale de Nowo-Tcherkask, au milieu d’une foule en pleurs, tandis que les vieux chefs de guerre renouvelaient leur serment de sauver le pays de leurs pères.

La légende du Don refleurit encore une fois pour quelques jours ; puis elle s’est évanouie à jamais.


GUERRE DE DÉTACHEMENT


Persianovka, le 5/18 février 1918.

L’ « ataman de campagne, » le général Popof, veut bien me donner une recommandation pour le commandant des troupes opérant au Nord. Le commandant de la gare de Nowo-Tcherkask met aussitôt une locomotive à ma disposition.

La gare de Persianovka, où j’arrive dans la soirée, est occupée par une curieuse collection de militaires de toute espèce. Cosaques, officiers, lycéens, élèves de l’école militaire de Nowo-Tcherkask, en manteaux de fourrure, ou simples « polouschoubki[4], » remplissent les salles d’attente et les abords de la gare. Le colonel Mamontof, qui commande ce front, m’invite à rester chez lui ; mais je préfère aller de l’avant. Les Bolcheviks, abondamment pourvus de matériel de guerre, occupent Kamenolomnia, au Sud d’Alexandre-Grouchevsky. Le détachement de Tchernetzof est envoyé en avant pour protéger la capitale que les Cosaques ne veulent plus défendre. Ma locomotive me transportera chez lui.

Après une course de quelques kilomètres, le mécanicien me dépose en plein paysage de neige, à côté d’un train en marche et retourne à Nowo-Tcherkask. Imaginez un train, compose d’une quinzaine de voitures, roulant tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, à travers les immenses champs blancs où l’ennemi le guette de tous côtés. Je cours, mes deux valises en main, saute dans un wagon d’ambulance, d’où l’on me dirige vers le poste de commandement.


ATTAQUE DE NUIT

Entre Nowo-Tcherkask et Alexandre-Grouchevsky le 6/10 février 1918.

À midi notre train arrive à Cospodski Dwor, à une distance de six kilomètres de Kamenolomnia. Nous avons reçu l’ordre d’attaquer d’abord cette gare et ensuite Alexandre-Grouchevsky, en compagnie de deux autres détachements de Cosaques, ceux du capitaine Kargaïski à droite et du colonel Sémiletof à gauche.

A deux heures, nous quittons nos wagons, et nos 170 hommes se disposent en tirailleurs, sur deux lignes, front vers Kamenolomnia. Il y a deux pieds de neige ; sous un ciel couvert, une brise glacée nous souffle au visage. Un message nous parvient du capitaine Kargaïski : avec ses 150 cavaliers cosaques, il est arrivé à la hauteur de Kamenolomnia. Le colonel Sémiletof, avec ses 200 fantassins et 30 cavaliers, a été arrêté par la rivière l’Atioukla, imparfaitement gelée. Quatre ou cinq hommes seulement ont réussi à passer et à couper la voie entre Alexandre-Grouchevsky et Kamenolomnia.

A quatre heures, nous recevons l’ordre de marcher résolument sur cette dernière gare. J’accompagne la 1re sotnia du capitaine Kornilof, et choisis ma place à côté du lieutenant de vaisseau Diakof, volontaire, commandant la 2e section.

La marche est difficile, et on ne peut reprendre haleine que sur les plateaux d’où la neige a été balayée par le vent. A la traversée des vallées, il faut former des équipes pour traîner nos six mitrailleuses. Pendant cette surprenante marche de sept heures, nous sommes continuellement sous les vues de l’ennemi qui nous envoie des obus de tranchée. A gauche, devant nous, des cavaliers que nous supposons être les Cosaques de Kargaïski.

A neuf heures, nous rejoignons la voie ferrée où nous retrouvons les colonels Cherifkof et Mamontof. La première sotnia se place à gauche, la deuxième à droite de la voie ferrée. Je suis à côté du capitaine de cavalerie Kornilof, qui commande la première. Les commandants de section sont les lieutenants Touloveriof et Poudlovsky en première, et Samochine et Diakof en deuxième ligne.

Devant nous, rien dans la nuit noire que les silhouettes sombres de fermes en groupes compacts, et de bois touffus, d’où commencent à sortir des milliers de coups de fusil tirés au hasard.

Le capitaine Kornilof et moi, debout, dirigeons l’avance de la sotnia. Dans l’obscurité qui nous enveloppe, impossible de distinguer aucun objectif. Kornilof donne l’ordre : « Feu à volonté ! » Nous avançons par bonds d’une cinquantaine de mètres, que Kornilof fait précéder chaque fois de tirs de mitrailleuse. Nous n’avons plus qu’une seule mitrailleuse en état, toutes les autres, ayant été abîmées pendant la route ; nos mitrailleurs, qui ne connaissent pas leurs instruments, ne sont pas capables de les réparer. Mais sans doute l’ennemi ne tiendra pas sous notre choc. Déjà le tir d’artillerie et même la fusillade se ralentissent…

Tout d’un coup, il me semble que je vois l’horizon se mouvoir. A notre droite, noire sur noir, une masse avance silencieusement. C’est un train qui glisse lentement sur les rails. Cinq plates-formes en avant pour le cas où la voie serait minée, des wagons blindés, encore deux plates-formes, et ensuite une interminable série de fourgons, évidemment pleins de soldats. Du premier wagon blindé, on tire sur nous, d’autant plus aisément que, nos silhouettes se détachant sur la neige, nous sommes parfaitement visibles : plusieurs des nôtres sont atteints. A cet instant, l’unique mitrailleuse qui nous reste cesse de fonctionner. J’y cours et vois les trois desservants couchés nonchalamment auprès d’elle.

— Qu’est-ce que vous f… là, N. de D. ?

— Celui-ci est blessé !

— Et toi, tu n’es pas blessé ! Pourquoi est-ce que tu ne tires pas ?

— Impossible d’ouvrir la boite de cartouches.

J’ouvre la boite avec une baïonnette, j’introduis la bande et commence à tirer sur l’ouverture du wagon d’où partent les coups. J’ordonne au mitrailleur de continuer, sachant que, même s’il les manque, à 40 mètres, les soldats maximalistes, par poltronnerie, cesseront le tir, dès que les balles frapperont de trop près la tôle de fer.

Je retourne ensuite auprès du capitaine Kornilof pour conférer avec lui. Nous continuons à perdre du monde. Quel parti prendre ? J’émets l’avis d’attaquer le train à tout prix :

— Le wagon blindé est ouvert par en haut. Nous en aurons raison avec quelques grenades à main et nous prendrons le train par surprise.

— Contre un train blindé, il n’y a rien à faire. C’est la retraite forcée.

— Nous perdrons bien plus de monde en nous retirant qu’en attaquant.

— C’est à peine si nous avons trois ou quatre grenades par section !

Ce dernier argument clôt la discussion. C’est vrai qu’il n’y a rien à faire.- Les nôtres continuent de tomber. Le capitaine Kornilof, frappé d’une balle à la cuisse, vient de passer le commandement au lieutenant Poudlovsky. A son tour. Poudlovsky s’affaisse, une balle dans le ventre. Nous courons à lui. Il ne peut plus marcher et nous crie : « Ne vous embarrassez pas de moi : j’ai mon compte ! » J’ordonne à deux soldats de lui faire un brancard avec leurs fusils entre-croisés.

Le lieutenant Touloveriof, qui a pris le commandement de la sotnia, est bientôt blessé, lui aussi : une balle lui traverse le bras. Le capitaine Kornilof donne le signal de la retraite. Quelques soldats sont pris de panique, à commencer par ceux que j’avais envoyés au secours de Poudlovsky. Je m’agenouille près de l’officier et lui demande s’il peut se lever et s’appuyer sur moi. Il n’y a plus une minute à perdre : les Bolcheviks, enhardis par notre retraite, commencent à sortir des wagons, en poussant des cris de victoire. Je sens Poudlovsky se raidir entre mes bras : il est mort, — du moins je l’espère.

Je me joins à nos hommes et suis la retraite. Pendant quelques pas, j’aide à marcher un blessé que soutient de l’autre côté l’un des nôtres ; le blessé est tué, son compagnon tué : de nouveau je me retrouve seul. On n’avance qu’à grand’peine. Tout à coup j’entends un tumulte derrière moi ; je me retourne et j’assiste à l’une des scènes les plus impressionnantes de ma vie.

Le khorounji Samochine, revolver en main, a rassemblé six soldats. Il fait cette folie : contre-attaquer avec six hommes pour aller au secours des blessés ! Il m’aperçoit et me crie, toujours brandissant son revolver :

— Qui êtes-vous ?

— Je suis le correspondant de guerre.

— Votre place n’est pas ici. Allez à l’arrière !

— Jamais de la vie ! Je reste avec vous.

Deux blessés nous ont rejoints. Partout, dans la nuit sans lune, des groupes lugubres. Un des nôtres dévisage un soldat dont il vient de prendre le fusil. L’autre proteste :

— Laisse-moi donc ! Tu vois bien que je suis ton camarade.

Samochine l’interroge brusquement :

— De quel otriad es-tu ?

— De l’otriad de Moscou.

L’otriad de Moscou est un détachement bolcheviste… Une détonation : la lueur éclaire la face terreuse de l’individu qui s’écroule. Il s’était imaginé, — voyant que nos hommes étaient déjà loin, — que nous étions des Bolcheviks comme lui.

Mais il faut nous hâter. Toujours soutenant les deux blessés, nous rejoignons le reste du détachement, qu’on voit par petits groupes quitter la voie ferrée dans toutes les directions. Derrière nous une clameur confuse, où se mêlent dans un concert sinistre les cris de joie des Bolcheviks et la plainte de nos mourants.

Enfin nous rattrapons la voie ferrée et nous la suivons jusqu’à l’endroit où notre train nous attend. Il est minuit. La manœuvre a manqué. Nous avons perdu 73 hommes, sur les 170 qui composaient notre détachement.


Nowo-Tcherkask, le 8/21 février.

Je cause longuement avec la très vaillante femme du capitaine Kornilof, une ancienne actrice de l’Opéra de Petrograd, qui a voulu suivre partout son mari. Elle aspire à la fin de cette meurtrière et vaine campagne : « Chaque fois l’otriad perd le tiers ou le quart de son effectif. C’est la faute des Cosaques ! Ils lâchent partout. Quand donc en aurons-nous fini de souffrir ! Ah ! me retrouver au calme quelque part avec mon mari !… »

Pour la première fois, le petit kroug a forcé une stanitza de former une « drougina[5]. » Le comité révolutionnaire qui s’était formé à Grouchevskaya, à 15 kilomètres de Nowo-Tcherkask, a été arrêté. On prétend ici que, partout chez les Cosaques, la majorité voudrait se battre : une minorité de « frontoviki », qui suffit à les terroriser, paralyse toutes les bonnes volontés.

Grande nouvelle ! Le 6e régiment de Cosaques du Don est revenu avec ses armes, qu’il a refusé de rendre aux Bolcheviks. C’est trop beau : il doit y avoir quelque chose là-dessous ! Le régiment est reçu par les autorités du Don devant la cathédrale avec un immense déploiement : musique, discours, prises d’armes, etc. On exalte leur courage : on déborde d’enthousiasme. Chaque Cosaque reçoit un cadeau de 400 roubles…


Nowo-Tcherkask, le 9/22 février.

Notre otriad a résolu de quitter l’armée du Don et de se joindre à l’armée volontaire. Au délégué du kroug qui s’informe des motifs de notre décision, le conseil des officiers de l’otriad, réuni, répond que le détachement a été toujours mis aux endroits les plus dangereux, qu’il n’a jamais été soutenu par les Cosaques, qu’il a été sans cesse sacrifié, perdant la moitié de son effectif à chaque engagement. Nous maintenons notre demande d’enrôlement dans l’armée Alexeief-Kornilof, qui a quitté Rostof et marche sur Nakhitchevan. Dans la soirée, le général Popof, ataman de campagne, vient nous trouver à la gare et nous apporte l’autorisation du kroug : nous pouvons nous rendre où nous voudrons. Chaque combattant ayant pris part à la dernière attaque reçoit une médaille de Saint-Georges.


L’ARMÉE DE KORNILOF DANS LES STEPPES

Aksaï, le 11/24 février.

Nous voici à Aksaï. C’est dimanche : dans l’air pur du matin, les cloches sonnent à toutes volées. Le capitaine Kornilof, promu lieutenant-colonel, accompagné de sa femme, passe l’otriad en revue. Le moral est superbe. Quel courage ne faut-il pas, et quelle inextinguible flamme d’espérance à tous ceux qui composent ce détachement volant, pour oser ainsi embrasser librement le sort de l’armée Kornif, cette poignée d’hommes perdue dans un océan d’ennemis !

Nous partons à pied, par deux, sur l’étroit sentier que les traîneaux ont tracé dans ce désert gelé. Nous traversons le Don sur la glace. Derrière nous, les sœurs de charité, montées sur des charrettes. Le brave colonel Kornilof, blessé, est à cheval, ainsi que Touloverof, blessé comme lui. Madame Kornilowa suit en charrette. A côté de vieux briscards, chevronnés et barbus, de vrais gamins, des étudiants, des lycéens. On les exerce, à même la marche : « Un, deux, trois, quatre, gauche… un, deux, trois, quatre, gauche… »

Nous approchons de la stanitza Olguinskaya, point de concentration pour tous les détachements. Du Sud arrivent les troupes de cette extraordinaire armée de volontaires : fantassins, cavaliers, artilleurs, tous ou presque tous officiers portant les insignes de leurs grades, sous les ordres des plus grands généraux russes. D’anciens commandants d’armée commandent des compagnies ; Dénikine, ancien commandant de groupe d’armées, un bataillon. A la tête de cette armée à l’effectif d’un régiment, marchent Alexeief et Kornilof, tous les deux fusil sur l’épaule, sac au dos, suivis par Elsner, Romanovsky, Dénikine, Markof, et tant d’autres.

Peut-être une prudence moins bien avisée eût-elle conseillé, après les amères déceptions de trois mois d’efforts inutiles, de dissoudre cette armée et de remettre à un lointain avenir la réalisation des plus chères espérances. Mais l’amour de sa patrie chez Alexeief et l’indomptable courage chez Kornilof ont été plus clairvoyants. Cette minuscule poignée d’hommes représente une impérissable idée qu’il importe de ne pas abandonner aux hasards d’un obscur avenir. Au milieu de cette folie générale de destruction, où tout semble avoir sombré à la fois, voici une clarté qui subsiste, une pensée lucide, un espoir invincible auquel se rattacher.

L’importance de ce brillant groupe d’hommes ne consiste pas en ceci, que ce sont tous des chefs sachant commander. Ils sont plus que cela, mieux que cela : ce sont des soldats, qui, au milieu de l’anarchie et par protestation contre elle, ont fait vœu d’obéissance. Pour prix de leur bien-être perdu, de leur sécurité compromise, de tant de sacrifices et de tant de dangers, ils se consolent avec la pensée de sauver le trésor cher aux patriotes. Ils emportent au cœur des steppes l’honneur de l’armée russe.


Olguinskaya-Stanitza, le 11/24 février.

Dès notre arrivée, nous nous présentons chez le général Kornilof, à qui le colonel Kornilof présente notre détachement.

Le général nous passe en revue : arrivé devant moi, il me serre la main et me pose quelques questions. Un dernier cri sorti de toutes les poitrines : « Hourra pour le héros Kornilof ! » Puis nous rompons les rangs et nous nous mettons en quête d’un abri. Tous les détachements volants seront dissous et réunis en un seul grand otriad de reconnaissance sous l’ancien sous-ataman du Don, le général Bogaévsky. Seul notre otriad, en récompense de sa belle conduite, conserve sa formation et son nom. Quel plus bel hommage à la mémoire vivante du colonel Tchernetzof ?

Dans les maisons des Cosaques après un an de révolution, partout le portrait du Tsar. La renommée elle-même de Kerensky et la gloire de Kalédine n’ont pu chasser du pusillanime et faible cœur cosaque l’amour pour le souverain légitime !


Olginskaya-Stanitza, le 13/26 février.

Un officier nouvellement arrivé de Nowo-Tcherkask me donne des nouvelles du fameux 6e régiment, revenu au Don avec ses armes, et si bien fêté devant la cathédrale par les autorités du Don. Une fois encaissé le cadeau de 400 roubles par tête, il a reçu l’ordre d’avancer contre les Bolcheviks de Kamenolomnia. Sur l’heure, et sans autres explications, le régiment a fait demi-tour et regagne ses foyers… J’avais raison de me méfier !

Notre odyssée recommence. La division Gherchelman doit aller vers le Nord chercher des chevaux pour l’armée. Je l’accompagne. En attendant le cheval qu’on vient d’acheter pour moi, je passe quelques heures chez deux officiers de cet otriad, le prince Ghiemscheief et le comte Bucholz. Je savoure ce bout de dialogue :

— Faites-moi le plaisir, prince, de me dire quelle heure il est.

— Je crois, baron, qu’il est tout juste quatre heures et demie, répond incontinent Ghiemscheief.

Et ainsi de suite. Cette affectation à conserver les formes de la plus parfaite courtoisie est du plus singulier effet dans ce milieu et quand on songe que ces gentilshommes, qui accentuent les signes extérieurs de la politesse et mettent leur coquetterie à souligner leurs privilèges, sont de toutes parts entourés par une population hostile qui prendrait à les torturer un plaisir féroce.

Dans les villages en apparence les plus calmes, couvent les plus terribles haines. Je croise un traîneau monté par deux hommes :

— Dis-moi, Cosaque, quelle distance y a-t-il d’ici à la stanitza ?

— Je ne suis pas un Cosaque, je suis un paysan. Celui-ci (désignant son compagnon) est Cosaque. Moi, je suis Bolchevik. Comme son compagnon me donne le renseignement demandé, il l’interrompt pour me dire : que je suis à trois verstes de la stanitza. Mais le paysan continue :

— Votre Kornilof… qu’il soit maudit ! (Il crache par terre.) D’ailleurs on lui fera bientôt son affaire, à lui et à ses partisans. On vous tuera tous, jusqu’au dernier.

— Nous verrons bien… Je vous connais, tout étranger que je suis… Vous êtes très braves en paroles ; mais j’ai vu ce que vous savez faire en face des Allemands. Dès que vous les apercevez, vous vous sauvez comme des lapins.

— Les Allemands ? Ils ne nous font pas peur… Nous les chasserons, à coups de bâton… Nous n’avons pas besoin de fusils, nous autres… A coups de bâton !

— Tais-toi, moujik ! Tu as bu, moujik ! Tu bats la campagne.

Et le Cosaque de rire.

Je passe la nuit dans la chambre du colonel Gherchelman, ancien chef du régiment de cuirassiers de la garde, à Varsovie. C’est un esprit raffiné, curieux mélange de douceur slave et de décision occidentale. Il m’explique pourquoi on a dû abandonner Rostof. L’armée de volontaires ne pouvait envoyer en avant que des petits détachements. Ces postes avancés ne comptaient jamais plus de 300 hommes. Aucune attaque frontale n’a jamais pu avoir raison d’eux ; mais ils risquaient d’être enveloppés : la retraite s’imposait.


Chomoutofskaya, le 14/27 février.

Chemin faisant, notre division, cent cavaliers, deux sœurs de charité, dépasse le gros de l’infanterie. Kornilof marche à pied ; Alexeief, trop vieux et fatigué, est en voiture. Nous faisons le salut en passant. Partout des connaissances : voici un ancien membre de la Douma qui est cocher sur une voiture de viande. Il n’est tel de ces menus détails qui n’ajoute encore à la grandeur du spectacle vraiment unique que nous avons sous les yeux.

En déviant vers le Nord, notre division quitte la région des stanitzas et des riches villages, situés autour des grandes voies de communication du Don. Maintenant s’ouvre devant nous une plaine infinie, immense pelouse d’herbes courtes que recouvre une mince couche de neige.

A la tête de notre cavalcade, calme et souriant, le colonel Gherchelman, figure aristocratique, caractère créé pour cette dure guerre. Je chevauche tantôt à côté de lui, tantôt en tête-à-tête avec le général Reznikof. Suivent, deux par deux, une centaine de cavaliers. Nos vêtements sont en déroute, nos armes ne reluisent pas comme aux jours de parade, mais on a rarement vu au monde une semblable collection de bons cavaliers et de guerriers décidés. Tous ont brûlé leurs vaisseaux derrière eux. La plupart, officiers de la garde, gentilshommes et propriétaires, ruinés par la confiscation de leurs biens, se sont éperdument jetés dans l’aventure.

Aussi loin que porte le regard, rien, pas une maison, pas une grange, pas un arbre, rien que ces courtes herbes que les troupeaux broutent, et que, depuis la création du monde, aucun paysan n’a coupées. Nous suivons, tantôt au pas, tantôt au trot, les sillons que les paysans ont tracés au hasard, en tâtonnant dans cette immensité sans points de repère. Parfois se profile, dans le lointain, une verte coupole, un moulin, sur lequel bientôt se referment les lignes veloutées de l’horizon ; d’autres fois, surgissent de petits groupes de cavaliers que les regards d’acier de nos cavaliers ne quittent plus.

… Des traîneaux viennent dans notre direction. Ils ont esquissé un mouvement pour nous éviter, puis ils ont pris le parti de braver le danger. Bientôt nous distinguons des femmes en costumes clairs, des hommes en habits de fête, — quel contraste avec nos guenilles ! — et nous reconnaissons une noce. Sur un signe de la nouvelle mariée, fine diplomate, le mari descend du traîneau, et offre au colonel d’abord, à tous les autres ensuite, un verre de vin du pays. Notre sœur de charité, jeune fille noble, n’est pas oubliée. Le petit vin a fort bon goût : nous buvons tous à la santé et au bonheur futur des nouveaux mariés.

Et tout retombe dans le silence si lourd dans cette solitude et dans cette immensité ! Une sorte d’angoisse dont rien ne peut donner l’idée, nous étreint à voir, pendant des heures et des heures, toujours le même horizon, toujours la même route, où s’effacent à mesure les pas de nos chevaux et ne subsiste nulle trace de notre passage. Vers le soir, dans l’accablement de la fatigue, nous allons comme en rêve. Alors, pour réveiller nos esprits qui s’assoupissent, une voix s’élève, entonne une de ces chansons de route si vives, si gaies, d’un mouvement endiablé. Chacun de nous se redresse sur sa selle : l’espace d’un instant, nous oublions la steppe, son aridité morne et sa lassante monotonie. Le refrain que nous entonnons va se perdre là-bas, loin, très loin. Et c’est une tempête de cris, un ouragan de coups de sifflet… Mais la gaieté détonne dans cette solitude. Peu à peu les visages reprennent leur gravité, les fronts redeviennent mélancoliques. A quoi pensent tous ces jeunes hommes, beaux, fiers, et qui portent à un si haut degré le sentiment de l’honneur militaire et l’esprit de sacrifice ? Chacun a laissé une mère, une fiancée, une maîtresse, qu’il ne reverra peut-être plus jamais, et dont la blanche image se dresse avec une douce insistance sur l’infini de l’horizon.

Une voix chaude entonne la chanson populaire : de Borissof.


Comme une fleur dans les neiges immenses de l’hiver,
Ta beauté a lui sur mon âme,
A travers le brouillard un rayon de soleil
Évoque une amère illusion.


Nous reprenons en chœur :


Le présent s’effacera.
Notre tristesse s’oubliera,
Notre cœur endolori
Connaîtra un nouveau bonheur.


La chanson achevée, tout rentre dans le silence. On n’entend plus que le bruit léger de l’escadron en marche, — si petit, tellement perdu dans ce désert !

A la nuit tombante, nous nous arrêtons dans un misérable « khoutor, » Kontorski, dont les habitants, de pauvres paysans non Cosaques, ou « inogowdony[6] » sont évidemment des Bolcheviks et ne nous reçoivent qu’à contre-cœur.

Deux chambres sont réservées à notre « état-major. » On m’abandonne l’unique lit ; le général Réznikof, les colonels Gherchelman et Ianovsky et l’adjudant couchent à côté sur la paille. Les ordonnances dans l’autre pièce. J’ai pour ordonnance un gentilhomme d’origine balte, bon patriote russe, le baron von Tischenhausen : ce Jounker de l’école militaire de Nowo-Tcherkask, avant de se mettre à table avec nous, éponge mon cheval, et soigne mes effets. Nous vivons ici sous l’ancienne discipline russe.


Kontorski, le 15/28 février.

De six heures à neuf, le canon se fait entendre dans la direction de Bataïski. Est-ce le général Erdeli, qui revient avec des renforts de Cosaques du Kouban ? Ou bien Allemands et Bolcheviks, — comme le prétendent des cavaliers arrivés ce matin, — sont-ils en train de s’entre-déchirer ?

Nos chevaux, insuffisamment nourris, n’en peuvent plus. Après une étape d’une vingtaine de verstes, nous nous arrêtons au khoutor Kouznetsovka, village sans Cosaques, ou le pope nous offre l’hospitalité la plus cordiale.

Il nous apprend que notre arrivée a été l’occasion d’une délibération orageuse au comité révolutionnaire. Le comité, réuni d’urgence, avait d’abord décidé de tirer sur nous ; mais il s’est ravisé : « les Cadets brûleraient le village ! » Cela nous intéresse médiocrement. Aquila non capit muscas. D’ailleurs le président et le secrétaire se sont enfuis, et les paysans ont fermé le bâtiment du soviet.

Une députation vient nous demander la permission de poser au colonel les questions suivantes : « Quelle est la situation sur le Don ? Lesquels ont le plus de chances, les Bolcheviks ou les korniloftzi ? » L’adjudant est envoyé pour renseigner sommairement ces… idéalistes.

Quelques anecdotes que nous conte le pope achèvent de nous édifier. L’éducation politique des paysans est faite par les soldats qui reviennent du front. Ils assistent encore aux services, mais se mettent à fumer et à cracher dans l’église. Quand le pope leur fait lire les affiches recommandant d’avoir une bonne tenue dans la maison de Dieu, ils sourient d’un air de supériorité : « Vous ne savez donc pas ? Maintenant, on est libre ! »


Karelkowe, le 16/29 février.

Nous arrivons à midi au zimovnik[7] Karelkowe, dont le propriétaire est un certain Goudovsky.

Ce propriétaire ne témoigne pas une excessive envie de nous vendre ses chevaux. Ceux qu’il nous offre sont maigres et laids : nos officiers les refusent. Alors, il nous promet ses bons offices auprès des Kalmouks, chargés de la garde des troupeaux ; mais nous le soupçonnons de leur donner en secret des instructions toutes contraires. Douze cents chevaux errent en liberté sur un espace de près de dix milles où il est impossible de les attraper sans l’aide de ces Kalmouks, qui eux-mêmes défient quiconque voudrait les atteindre à la course. Cavaliers infatigables, ils gardent jour et nuit leurs fiers troupeaux, par groupes de trois : l’un se repose tandis que les deux autres sont en selle. On me montre l’un de ces Kalmouks qui, naguère, deux fois par semaine, sur le même cheval, allait prendre le courrier pour son maître, à cinquante kilomètres de là, faisant ainsi près de cent dix kilomètres dans les vingt-quatre heures.

Le colonel cherche à convaincre Goudovsky qu’il faut lui vendre des chevaux : autrement les Bolcheviks les prendront. Mais cet honnête homme ne veut rien entendre. Nous n’aurons pas les chevaux ; les Bolcheviks ne les auront pas non plus : à quoi bon les vendre, quand l’argent diminue tous les jours de valeur ?


LE CHATIMENT D’UN VILLAGE


Karelkowe, le 18 février /3 mars

Le village de Krasnovka a mis les doctrines maximalistes en pratique. Après une résolution unanime du soviet de village, la population en armes, accompagnée d’un grand nombre de « frontowikis, » s’est rendue avec des charrettes à un zimownik voisin, l’a mis à sac, s’est enivrée dans les caves, puis est repartie, emportant le vin qui restait, emmenant les chevaux et le bétail. Le propriétaire qu’ils avaient enfermé et menacé de mort, a réussi à s’échapper. C’est lui qui nous fait le tableau de l’ignoble et odieuse scène. À ce récit, les nôtres voient surgir derrière l’image du zimownik détruit, celle de tous les biens pillés et incendiés, de tous les malheureux maltraités et massacrés dans la Russie en feu. En conséquence, le colonel Gherchelman ordonne au capitaine Somof, commandant de wzwod[8], de se rendre avec 30 de nos hommes et 10 Tchèques au village, situé à une distance de 12 verstes, d’y ouvrir une instruction, et de faire un exemple. Je me joins à l’expédition.

A onze heures du matin, notre petit groupe quitte la ferme où il est installé, contourne un bois où les loups se cachent pendant le jour, et s’engage dans la steppe. Nous suivons, sous un ciel bas, l’unique sentier, tracé par le passage de milliers de traîneaux, et cheminons au pas. Tous sont des officiers ou Jounkers, ayant appartenu à l’ancienne cavalerie russe. Somof, en raison de sa réputation de bravoure et de décision, a reçu pleins pouvoirs du colonel Gherchelman. Pas un chant : on n’entend que le bruit des pas assourdi par la neige, et les hennissements des chevaux. Mon ordonnance, le baron de T. qui n’a pas encore vu le feu, me donne l’adresse de ses parents, pour les prévenir en cas d’accident.

A une demi-verste du village, cinq cavaliers piquent à gauche, cinq autres à droite, pour le cerner et empêcher les coupables de se sauver. Deux d’entre eux qui essayent de passer sont cueillis à l’instant. Puis, sur l’ordre de Somof, nous nous élançons en « lawa »[9], fusil en main, au grand galop, vers la principale entrée du village.

Nous ne rencontrons aucune résistance. Des observateurs montés sur des meules de foin ont donné l’éveil. Pas un homme : seulement des femmes qui feignent de ne rien comprendre à notre subite arrivée, font mine de continuer leur travail dans les champs, sans lever les yeux.

Cependant voici un paysan. Somof le fait arrêter :

— Où se cache le président du Comité révolutionnaire ?

Le paysan balbutie, jure sur ses grands Dieux qu’il n’en sait rien.

Alors, Somof, lui mettant le revolver entre les yeux :

— Si tu ne nous l’amènes pas, tu es un homme mort.

L’effet est magique. Trois minutes ne se sont pas écoulées, le paysan revient traînant à sa suite ce fameux président, nabot à la mine bestiale, aux yeux fous de brute apeurée. Les coups de cravache et de nagaïka[10] pleuvent sur lui : les Tchèques s’en emparent : bientôt une salve nous apprend qu’il a payé de sa vie, sa complicité avec les Bolcheviks.

Quant au secrétaire du Comité, il demeure introuvable. Un paysan, sommé de nous indiquer où il se cache, répond sottement :

— Je ne sais pas, camarade !

— Comment, tu oses dire : camarade ? Les coups tombent sur ses épaules.

— Dis tout de suite : Votre Noblesse, Monsieur l’officier ! Le paysan porte la main à son bonnet :

— Je vous demande pardon, Votre Noblesse ! Abasourdi par le brusque retour de l’ancienne étiquette, tête nue et l’échine courbée, le drôle prend nos ordres. On le charge de faire le tour des quarante-deux misérables habitations qui composent le village et d’annoncer :

— Dans un quart d’heure, toutes les armes, le vin et les chevaux volés devront être livrés. A l’expiration de ce terme, quiconque détiendra encore une seule arme, un seul cheval du zimownik, sera impitoyablement fusillé.

Nous nous faisons ensuite conduire à la maison du secrétaire. Sa femme restée au logis, avec un enfant dans les bras et trois autres pendus à ses jupes, ne peut nous dire qu’une chose : les papiers ont disparu avec son mari. Il ne reste que le cachet du comité, que Somof saisit à l’effet de s’en servir pour fabriquer de faux passeports.

Nos cavaliers ont fait le tour de Krasnovka. Les femmes continuent de travailler, affectant toujours le plus grand calme. On a évidemment, à notre approche, soigneusement dissimulé toutes les traces du vol. Les horribles haridelles des indigènes de l’endroit, deux bouteilles de vodka, des fusils de chasse, de vieux pistolets, des sabres rouillés, c’est tout ce que nous trouvons.

Cependant, on nous amène un soldat qui a « rencontré quelque part » un cheval pur-sang, et deux autres, qui se cachaient derrière le foin dans une écurie, et sur lesquels on a trouvé des cartouches. Hier, sans doute, c’étaient des paysans inoffensifs : le nouveau régime en a fait des bandits : sur leurs faces d’ivrognes je lis une peur atroce, la peur de cette mort qui leur a fait quitter le front, et qu’ils risquent fort de trouver ici.

Les officiers les interpellent comme si l’ancien régime durait encore en Russie :

— Pourquoi n’as-tu pas la cocarde réglementaire sur ta casquette ?

Ils balbutient de vagues excuses.

— De quel régiment es-tu ? Pourquoi as-tu ôté tes pattes d’épaule ?

Nouveau bredouillement.

— C’est bien, montez tous les trois dans la voiture !

Le capitaine Somof compte ses hommes. Un ordre bref, et nous quittons le village, suivis cette fois par les regards angoissés des habitants qui ont cessé de faire semblant de travailler et n’ont plus du tout leur air insouciant de tout à l’heure.

Le soir descend sur la vaste plaine blanche. La silhouette du misérable village avec ses meules et ses cabanes accroupies dans la neige, commence à se perdre dans la brume où tout s’efface…

Quand nous rentrons au zimovnik, la nuit est entièrement tombée : on entend les loups qui rôdent autour de la ferme. Après avoir reçu le rapport de Somof, le colonel Gherchelman procède à l’interrogatoire du prisonnier qu’une escorte de trois Tchèques vient d’amener. Je demande :

— Où sont les deux autres prisonniers ?

— Il parait qu’ils ont essayé de se sauver en route…

Tremblant de peur, le Bolchevik nous fait ses offres de service contre les camarades. Le colonel le remet aux Tchèques :

— Que va-t-on en faire ?

Le colonel me fixe un instant du regard :

— Je crains beaucoup, dit-il, qu’il ne cherche à s’évader cette nuit.


Karelkowe, le 19 février/4 mars.

Le village de Gherewcowa est occupé par 240 Bolcheviks avec 2 canons et 4 mitrailleuses. Ce serait amusant de capturer ces canons, avec notre unique mitrailleuse ; mais ils ne feraient que nous encombrer.

Le capitaine Aprelef est allé prendre les ordres de Kornilof. Nous rejoindrons l’armée de volontaires demain à Lezgeanka, à l’entrée du gouvernement de Stavropol. Les vingt chevaux que nous avons pu nous procurer seront conduits par deux Kalmouks, que Gherchelman a décidés à se déclarer pour nous, non sans lâcher la forte somme. Hauts en selle, droits sur les étriers, ils font décrire de grands cercles à leurs fouets. Les chevaux nous suivent librement en « taboun[11]. »


LES CADETS DE GASCOGNE


Zimovnik Kouznietsovka.

Partout de petits groupes de cavaliers en reconnaissance. Je rencontre un détachement de l’otriad de Tchernetzof, qui a, quelque part dans une stanitza, trouvé des lances. Nous cherchons des yeux des partis de Bolcheviks, prêts à foncer sur eux ; mais ils ne se montreront pas. Gardes rouges et soldats révolutionnaires ont bien su massacrer les officiers à l’armée en les frappant dans le dos, ou dans les maisons de Kief, Sewastopol, Taganrog, en les attaquant isolément et par surprise : mais ils n’oseront pas les affronter quand ils les savent en état de se défendre.

Le soir, nous couchons dans un zimovnik abandonné, ou les Tchèques nous rejoignent. Nous sommes sept dans une petite chambre, Reznikof, Gherchelman, Ianovsky, Aprelef, Kritzky, Fermor et moi. Nos vêtements sont en loques. Le comte Fermor a sa culotte déchirée et sa tunique percée aux coudes. Nous mangeons à la pointe du couteau, ou tout bonnement avec les doigts, à même dans la casserole, des nourritures fort sommaires. Mais on conserve, tout déguenillé qu’on est, les formules et les gestes de la plus exquise politesse. Nous en rions nous-mêmes. Cette guerre d’un contre cent ressemble si peu à une expédition raisonnable, elle vous a tellement l’air d’être le résultat d’une folle gageure ou d’une insolente fanfaronnade ! Le comte Fermor trouve que nous lui rappelons Cyrano et se met à déclamer :


Ce sont les cadets de Gascogne,
De Carbon de Castel-Jaloux.
Bretteurs et menteurs sans vergogne,
Qui font cocus tous les jaloux…


Voilà qui est de circonstance !… On rit… et puis soudain on retombe dans un profond silence… On rêve, on se rappelle les jours où l’on parcourait les rues de Varsovie, brillant essaim de fringants officiers de la Garde, à la tête des beaux régiments de Leurs Majestés impériales.

Une question me brûle les lèvres : je m’enhardis à la poser au colonel Gherchelman :

— Le bruit court que Kerensky est dans le voisinage. Que feriez-vous, s’il se présentait à vous et réclamait votre protection ?

— Je lui donnerais une escorte pour le conduire à l’état-major. Mais je doute fort qu’il y arrivât.

— Pourquoi, chez vous tous, cette haine contre lui ?

— Pourquoi ? Savez-vous ce que c’est que d’avoir formé un beau régiment, de lui avoir pendant vingt ans consacré toute sa pensée, toute son activité, tous ses soins, d’en avoir rehaussé l’éclat et la renommée, d’y avoir créé un magnifique esprit de corps, d’en avoir fait un instrument docile et terrible ? Et puis imaginez après cela qu’en trois mois, par une série de décrets, par une continuité d’action malfaisante, par la ruine de toute discipline, les régiments retombent à l’état de bandes de lâches et de pillards, fuyant devant l’ennemi, et massacrant leurs concitoyens ? Regardez alors qui a signé les décrets : un nom, toujours le même. Demandez-vous d’où est venue la propagande révolutionnaire et défaitiste dans les rangs : un homme, un même homme auquel remonte toute la responsabilité. Comprenez-vous maintenant pourquoi nous haïssons l’auteur responsable de cette œuvre néfaste ?


LA BATAILLE DE LEZGEANKA


Zimovnik Kouznietsovka, le 20 février/5 mars.

Depuis le matin le canon tonne devant nous. Les troupes de Kornilof sont engagées contre les Bolcheviks. Nous passons sans incident le chemin de fer Torgowaya-Rostof. Partout des paysans en fuite, des Cosaques, les uns à pied, d’autres à trois ou quatre sur la croupe d’un cheval. Nous ne doutons pas un seul instant que la victoire ne soit de notre côté. Mais la voie est barrée par un encombrement de voitures et de chevaux. Nous ne pouvons entrer au village qu’à sept heures, en pleine obscurité. Nos chevaux trébuchent sur les cadavres, surtout aux abords du pont et autour de l’église, endroits où s’est concentré l’effort de la résistance. Enfin, nous pouvons nous installer dans une maison qu’occupaient les Bolcheviks. Nous y trouvons tout servi un repas que ces messieurs n’ont pas eu le temps de déguster. Nous nous l’adjugeons sans remords.

L’ennemi avait l’avantage de la position, les nôtres étant obligés de descendre jusqu’au pont pour remonter ensuite vers le village. Les Bolcheviks, au nombre de 600 soldats, 400 gardes rouges, aidés par les paysans, avaient creusé deux lignes de tranchées. Huit canons de 3 pouces ouvrirent le feu sur nos troupes, qui disposaient pour toute artillerie de 6 pièces de campagne.

Après le duel d’artillerie, Kornilof et Alexeief donnèrent le signal de l’assaut. Ce fut un spectacle magnifique. Alexeief et Kornilof, celui-ci avec son escorte de Khans des Tékintsi, chargèrent, fusil en mains. La première ligne fut tout de suite enlevée : on n’y trouva que quelques cadavres. Le régiment de Kornilof arrivé devant la deuxième ligne, à l’entrée du village, l’emporta a la baïonnette. Une demi-heure après le déclenchement de l’attaque, l’ennemi était en pleine retraite emmenant son artillerie : un canon et onze mitrailleuses restèrent entre nos mains. En fouillant les caves, on y trouva un grand nombre de Bolcheviks : 200 furent passés par les armes.


DERNIÈRE CONVERSATION AVEC KORNILOF.

Au lendemain de ces événements, j’ai pu m’entretenir longuement avec Kornilof. Les déclarations qu’il a bien voulu me faire, peuvent se résumer ainsi :

« J’ai dû faire un exemple. Une armée comme la nôtre est tenue de se faire craindre : sans quoi, elle est perdue. Vous savez quelle est la bravoure de nos hommes et aussi quels dangers nous courons. Telle est la minceur de nos lignes que tous, — jusqu’aux sœurs de charité et aux médecins, — se trouvent toujours en première ligne. Chacun de mes deux officiers d’ordonnance a tué cinq ennemis de sa main, sous mes yeux. Notre tactique n’est pas de nous battre à tout prix, mais d’intimider l’ennemi, pour pouvoir, dès que les circonstances seront favorables, faire un nouveau bond en avant.

« La prise de Lezgeanka a été si subite que les Bolcheviks n’ont pas même eu le temps de couper les communications avec leur état-major. Un de mes officiers, qui s’est mis à l’appareil, a pu causer avec le commandant en chef. Nous savons exactement le nombre des troupes bolchevistes à Tikhoretskaya, Torgowaya et Bieloglina.

« J’ai confiance dans l’avenir. Le général Popof viendra bientôt me rejoindre avec 2 000 hommes. Dès demain, nous entrons sur le territoire de Yésky-otdièl, où se trouvent deux régiments, jadis rattachés au mien, quand nous opérions dans les Carpathes : j’ai reçu aujourd’hui leurs délégués. Au Kouban, le général Erdeli m’amènera deux bons bataillons de Cosaques et deux autres bataillons de montagnards.

« Quant aux troupes caucasiennes, j’ai, au mois de décembre dernier, signé une convention avec le Conseil de l’Alliance des Montagnards, stipulant qu’il mettra le corps de cavaliers indigènes du Caucase sous mes ordres.

« Vous savez quelle déception les Cosaques m’ont causée. Partout où j’ai pu, dans les stanitzas, leur adresser la parole, je leur ai affirmé qu’ils me reviendraient, quand ils auraient fait connaissance avec le système des Bolcheviks.

« Je suis un Cosaque, c’est-à-dire un républicain-né. Dès le commencement de la révolution, j’ai embrassé la cause de la liberté, et rassemblé les bons éléments autour de moi. Malheureusement j’ai vu que mon pauvre pays n’est pas encore mûr pour cette forme supérieure de gouvernement qu’est le régime républicain. C’est pourquoi je dis à tous : « Si le retour à la « monarchie est réclamé par le libre vœu du peuple russe, nous « l’accepterons ; jamais nous ne l’accepterons sous la pression « allemande. Nous n’accepterons aucun régime quel qu’il soit, « qui nous sera imposé par l’Allemagne. »

« Dites partout, et en particulier au général X… (un général français), si vous le voyez, que nous représentons l’armée russe, que les nobles traditions militaires russes, son esprit de corps, son sentiment de l’honneur continuent de vivre en nous. Un jour viendra, où tous les patriotes accourront à nous, et où la malheureuse Russie comprendra qu’elle a été trahie et vendue. Jusque-là, nous avons pour mission de tenir. Nous tiendrons ! »


L. GRONDIJS.

  1. Voyez la Revue du 15 octobre.
  2. Le gouvernement militaire du Don.
  3. Frontowik, soldat revenu du front.
  4. Veste doublée de fourrure.
  5. Bataillon de l’armée territoriale…
  6. Étrangers, venus d’une autre ville.
  7. Endroit protégé contre les vents froids et qui sert de pâturage pour les chevaux en hiver.
  8. Section
  9. Charge de cavalerie dons un ordre spécial aux Cosaques.
  10. Fouet à manche court, employé par les Cosaques.
  11. Troupeau.