La Route fraternelleAlphonse Lemerre, éditeur (p. 36-37).


AU SOIR DES CATASTROPHES

À Madame la Vicomtesse F. de Janzé.


I
CONSTELLATION NOUVELLE



Or, ce soir-là, je vis des étoiles nouvelles
Au-dessus de Paris s’allumer dans les cieux ;
Et, gerbe d’or mêlée aux divines javelles,
Pointer, inattendus, leurs épis radieux.

D’un terrestre brasier, aux sphères éternelles
Montait, montait leur vol brûlant et gracieux ;
Et c’étaient des rayons, mais aussi des prunelles,
Car leur chaudes lueurs ressemblaient à des yeux.

Épouses, mères, sœurs, ce florilège d’âmes
Jaillissait dans l’azur sous le baiser des flammes,
Du mystique rosier qu’on nomme Charité.

Dieu, qui métamorphose en gloire la souffrance,
Avait, au riche écrin de ses nuits, ajouté
La constellation de tes femmes, ô France !


4 mai 1897. (Incendie du Bazar de la Charité).




II
LE TOCSIN DES PITIÉS



Le « bazar » fume encor que la vague débonde :
C’est le flot du déluge après le feu d’enfer ;
Et l’ouvrier regarde — ô spectateur amer ! —
Le pain de ses enfants fuyant au fil de l’onde.

La gelée, un matin, rend la vigne inféconde,
Et la tempête, un soir, rend barbare la mer ;
Et les quatre éléments : l’air, l’eau, le feu, le fer,
Livrent bataille à l’homme aux quatre coins du monde.

Mais, en vain, le fléau prend l’usine ou l’esquif,
Il n’aura pas raison de l’homme, être chétif,
Dont le front est sublime et l’âme débonnaire ;

Et quand l’orage éteint la chanson des métiers…
Plus haut que le fracas des eaux et du tonnerre,
Sonne au clocher du cœur le tocsin des pitiés.


Juin, 1897