La Route du bonheur/02/01

Librairie des annales (p. 147-150).


I

Amitié


Ma chère cousine. À l’heure où je vous écris, l’année nouvelle commence, et, dans l’air, monte un bruit de baisers, de vœux et de tendresses.

Tous les êtres qui s’aiment éprouvent l’instinctif besoin de se rapprocher en une étreinte, afin de sentir toujours vivantes ces affections qui les aidèrent à surmonter les étapes difficiles.

Ils atteignent le Jour de l’An comme ces « Haltes de repos » que les voyageurs découvrent au flanc des montagnes, et d’où leurs yeux ravis embrassent le panorama des étapes parcourues.

Ils poussent un profond soupir de satisfaction en mesurant les hauteurs franchies ; ils poussent aussi un soupir de regret en constatant les périls qu’il leur reste à vaincre. Et, doutant de leurs forces épuisées, doutant, de leur courage, ils cherchent les mains amies qui, dans une pression muette, disent :

— Nous sommes là, ne craignez, rien ; appuyez votre faiblesse sur les nôtres, et nous arriverons, sains et saufs, jusqu’à la montée prochaine.

Un premier de l’an sans « amitié » doit être lugubre comme un avenir sans espoir, comme une roche inaccessible, comme une nuit sans étoiles. Il faut sentir, en ce jour troublant, tout près de soi, l’âme de ses chers morts, l’âme affectueuse des amis préférés, et l’âme joyeuse et innocente des enfants, symbole de bonheur… C’est, sans doute, la raison secrète de ces gages d’amitié qu’on distribue à profusion et dont la pensée, lorsqu’elle n’est pas profanée par quelque bas instinct, est aussi délicate que touchante.

Je sais des grincheux qui détestent le Jour de l’An…, et je les plains, car, s’ils connaissaient l’ « amitié », source admirable et féconde de nos énergies, ils éprouveraient cette allégresse particulière faite d’émotion, de gratitude et de doux orgueil qui inonde le cœur à ce moment privilégié où tous ceux qu’on aime sont présents ; ils sentiraient que le meilleur de leur force émane justement du rayonnement de ces amitiés, sans lesquelles la vie ne vaudrait point d’être vécue ; ils comprendraient combien ce jour est, à la fois, solennel et charmant, puisqu’il se dresse — tel une oasis — entre le passé et l’avenir et répand toute la grâce des affectueux souvenirs.

Je ne crois pas qu’il soit possible de terminer une année sans jeter en arrière un coup d’œil rapide, sans passer en revue les peines qui la creusèrent… On s’aperçoit alors qu’il n’est point de chagrin que l’amitié n’ait apaisé, et point d’épreuves qui ne se puissent supporter quand l’amour d’un père, ou d’un mari, la tendresse de beaux enfants, ou d’amis fidèles, en atténuent le choc.

La femme qui, à la date fatidique, faisant le tour de ses affections, les retrouve toutes intactes, doit regarder sans crainte les trois cent soixante-cinq jours qui menacent… Ils apporteront peut-être des tourments, des soucis sans nombre : mais ils laisseront croître, avec éclat, cette fleur vaillante et brave que les tempêtes n’atteignent pas, sur laquelle le temps ajoute une perfection, et qui se nomme Amitié.

Il semble que l’amitié répande autour de celui qui en est l’objet des fluides mystérieux, dont l’action réchauffe, vivifie, épanouit… Et l’être entouré d’affections sincères est heureux entre tous ; il réussit là où d’autres échouent ; il écarte les mauvaises fatalités, il a raison des sorts et des maléfices ; pour tout dire, le soleil éclaire sa destinée.

Tous les témoignages naïfs et tendres ; tous les sentiments doux et profonds ; et ces lettres, et ces présents, et ces vœux, qui illuminent le premier jour de l’année, projettent leur rayonnement sur le nouveau cycle qu’il faudra parcourir et sont autant de lumières qui dissipent les obscurités de la route montante.