Le Parnasse contemporain/1869/La Rose malade

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]II. 1869-1871 (p. 115-116).




LEFÉBURE

———


LA ROSE MALADE


Une fois j’aperçus, au fond d’un pêle-mêle
De ronces, de cailloux & de buissons obscurs,
Une rose pendue au bout d’un rameau frêle,
Qui se mourait, fanée, à l’angle de deux murs.

Elle avait fleuri là sans fraîcheur & sans gloire :
Un peu de rouge à peine égayait sa pâleur,
Et sa forme indécise, à travers l’ombre noire,
Reluisait vaguement comme un spectre de fleur.

Demi-mort, demi-clos, près de la triste rose,
Se penchait un bouton par le vent agité :
Ils semblaient regarder & chercher quelque chose,
Et leurs reflets mouvants tachaient l’obscurité.

Le soleil répandait cette splendeur dernière
Qui, comme un éclair fixe, illumine les bois ;
On sentait s’en aller la vie & la lumière,
Quelques rayons, traînaient à la cime des toits.


Et sous les coups du vent les deux corolles blanches,
Comme des suppliants qui se tordent les bras,
Sans repos, sans espoir, tendaient leurs longues branches
Vers l’astre indifférent qui ne les voyait pas.

Moi je pris en pitié cette chose souffrante,
Ce silence isolé parmi tant d’êtres sourds,
Ce fantôme flétri, cette rose mourante,
Vierge encor d’un soleil qu’elle implorait toujours.

Je lui dis : Je te plains, pauvre fleur solitaire,
Que rien ne peut guérir ou ne vient consoler,
Douleur enracinée au milieu de la terre,
Qui ne peux pas marcher & ne peux pas parler.

O ma sœur en malheur ! nos âmes sont suivies
D’un même désespoir & d’un désir pareil.
Un but jamais atteint domine nos deux vies,
Et je cherche l’amour comme toi le soleil.