La Rhétorique des putains/Texte entier

Aux dépens du Saint-Père (p. i-124).

La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre

Avant-Propos


Cette imitation della Rettorica delle puttane, est fort rare aujourd’hui, quoique ayant eu quatre éditions : la première publiée sous la rubrique de Rome, 1771 ; la deuxième, en 1794 ; la troisième, Rome, in-12 de 369 pages ; et enfin la quatrième, en 1836, tirée à 50 exemplaires.

La Rhétorique des putains, version française, n’a de rapport avec le texte italien que dans quelques passages insignifiants ; le reste de l’ouvrage diffère entièrement de la Rettorica.

Notre livre est écrit en dialogue, dans un esprit français qui ne peut avoir de points de comparaison avec l’ouvrage italien, que dans les sujets qui sont également fort érotiques.

Les huit figures qui ornent l’édition de 1794, et que nous reproduisons dans la nôtre, n’ont aucun rapport à l’ouvrage ; mais leur grande originalité nous a déterminé à les reproduire exactement.

Elles appartiennent à un autre livre, non moins libre, et dont on ne connaît qu’un seul exemplaire, lequel fut mis en vente, il y a quelques années, au prix de quinze cents francs. Il a pour titre : l’Arétin de la Révolution.



La Rhétorique des putains, vignette fin de chapitre
La Rhétorique des putains, vignette fin de chapitre

La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre

MESDAMES,     




La Rhétorique des putains, Lettrines ’il est vrai « que chaque corps tend à son centre, » c’est à vous, et à vous seules, mes très chères dames, que l’on doit dédier ce petit ouvrage. C’est le registre de vos triomphes, puisqu’il contient et propose théoriquement ce que vous exécutez parfaitement dans la pratique.

Vous vous rendez fameuses sur toutes les autres femmes par les artifices merveilleux de votre profession ; il est donc bien juste que votre nom, mis à la tête de mon livre, lui donne de l’éclat. Ce sera comme un tableau placé avantageusement à son jour : car ceux qui se donneront la peine de le lire, vous y reconnaîtront d’abord en perspective.

Je ne présume pas assez de moi, pour m’imaginer que mon ouvrage soit digne de vous, pour vous le consacrer ; mon intention est plutôt de le soumettre à votre examen rigoureux, afin que vous daigniez, par vos principes, corriger les fautes dont il est rempli. Je me déclare incapable d’écrire tout ce que vous êtes capables de faire ; et de rapporter en détail toutes les dissimulations, et toutes les fourberies insignes, qui sont votre partage. Vous y ajouterez donc, par des talents supérieurs, ce que, par la petitesse de mon génie, je n’y ai su tracer.

Souvenez-vous, au moins, que celui qui vous offre ce livre, vous sacrifia jadis son cœur ; agréez donc cet ouvrage, comme le présent le plus affectueux de celui qui vous aime. Voulez-vous m’accorder quelque récompense ? Je ne vous demande qu’un billet « gratis » qui me fasse « entrer » quelquefois, sans frais, « dans votre petite maison de plaisance. » Dispensez-moi de l’impôt rigoureux que doivent payer tous ceux qui veulent goûter un seul morceau de vos mets délicieux…

Délicieux ! Ah ! mesdames, ils ne le sont pas toujours : souvent cela sent mauvais, souvent cela dégoûte ; cependant le prix en est toujours exorbitant.

Si vous êtes raisonnables avec moi, je suivrai le proverbe qui dit : « À cheval donné on ne regarde pas la bouche ; » je ne regarderai pas non plus si les mets que vous me présentez sont bien ou mal assaisonnés, et à condition qu’ils ne me coûteront rien, je les avalerai de bon appétit.

Répondez donc à mes tendres affections par vos douceurs amoureuses ; tout ce qui est en vous et qui vient de vous sera beau, sera bon, pourvu que vous me permettiez de « me reposer sur vous. »


V. T. H. S.
CELUI QUE VOUS SAVEZ BIEN.


La Rhétorique des putains, vignette fin de chapitre
La Rhétorique des putains, vignette fin de chapitre


La Rhétorique des putains, vignette fin de chapitre
La Rhétorique des putains, vignette fin de chapitre

Madame la Nature se moque des Lois, et va toujours son train ordinaire.
Éloge de l’Enfer.
  Part. II, p. 40.

La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre


L’AUTEUR AU LECTEUR




La Rhétorique des putains, Lettrines hercher la perfection dans tout ce que l’on fait de bien, est un des préceptes que nous ont donnés tous les sages. En le suivant, lorsque même nous faisons le mal, j’ose le dire, nous nous rendons dignes de louanges, non pas parce que nous faisons le mal, mais parce que nous cherchons à faire une mauvaise action de la manière la plus excellente, la plus parfaite. Tout le monde sait que la vertu se trouve toujours dans le Milieu. Cela veut dire qu’il est vraiment vertueux celui qui, s’éloignant indifféremment des deux extrémités du bien et du mal, poursuit l’un ou l’autre d’une manière conforme à ses desseins. On ne doit point douter de la vérité de cette proposition, si l’on sait qu’il ne faut pas arrêter la vraie vertu dans son chemin.

Les Moralistes et les Théologiens soutiennent, d’accord, que c’est reculer que de ne pas avancer dans sa route ; tant il est vrai qu’il n’est point permis à l’homme d’arrêter ses pas dans sa course.

Lisons la Sainte Écriture, et nous verrons, en mille endroits, qu’on y blâme hautement la tiédeur de ceux qui ne sont ni bons ni méchants, et que Dieu lui-même préfère, à une dévotion tiède, une malice consommée. Écoutons particulièrement ce qu’on nous dit dans l’Apocalypse : « J’aimerais mieux que tu fusses tout à fait chaud, ou tout à fait froid ; mais parce que tu es tombé dans la tiédeur, je vais te vomir. »

Il paraît donc que c’est un homme de grand sens celui qui fait le mal, mais qui travaille à consommer sa mauvaise action d’une manière extraordinaire et parfaite. C’est la volonté humaine qu’il faut accuser, si son penchant naturel pour le mal l’entraîne et la trompe, lui faisant choisir ce que, suivant la raison, ou les préjugés établis, elle devrait rejeter.

Nous donnons bien des louanges à ces peintres qui réussissent parfaitement à tracer sur la toile des objets supérieurement lascifs ou difformes : la lubricité ou la laideur ne sont pas la faute du portrait, mais de l’original. C’est ainsi qu’une action parfaitement exécutée ne perd point de son prix, quoiqu’elle soit mauvaise en elle-même, et par conséquent blâmable. Quelle faute y a-t-il à suivre l’agréable et l’utile ? On peut donc trouver louable toute action qui nous apporte de l’utilité ou du plaisir.

Cela supposé, je cherche, mon cher lecteur, à faire cesser ton étonnement de me voir, par une extravagance inouïe, établir les dogmes d’une profession jugée infâme. C’est une œuvre de charité que d’enseigner les ignorants ; et comme l’ignorance, généralement parlant, est le partage du sexe, on doit trouver bon que je prenne soin d’instruire les femmes sur tout ce qu’elles doivent savoir pour bien exercer la profession qui leur est si commune. Heureux, si je puis obtenir qu’en suivant mes préceptes, elles ne méprisent point le métier de Putain.

Ce terme de Putain blesse peut-être tes oreilles délicates ; c’est cependant le mot propre, nécessaire même, dont on doit se servir dans un ouvrage instructif, afin que tout le monde puisse comprendre d’abord de quoi il s’agit : car les termes de Prostituée, de Concubine pourraient le rendre obscur. On parle ici à toutes sortes de femmes, à celles mêmes qui sont du plus petit entendement. On doit donc préférer à tout autre le mot de Putain, puisqu’il n’y a personne qui en ignore la force et la vraie signification.

Je désire surtout que les femmes ne dédaignent point professer un art qui a été heureusement inventé pour le soulagement de l’humanité ; un art qui plaît à ceux-ci, qui ne déplaît pas à ceux-là, un art qui est utile même aux gens les plus distingués.

Il est inutile d’en faire de longs éloges, fondés sur l’autorité des Anciens et sur les raisons pour lesquelles on en permet l’exercice dans les villes les plus policées et les plus catholiques. Si quelqu’un a envie de s’instruire du mérite de cette profession, et d’en pénétrer tous les mystères, il n’a qu’à lire La Place universelle.

C’est étonnant ! On établit des dogmes pour des exercices infiniment dangereux pour l’homme ! On donne publiquement des instructions sur la guerre, sur l’invention toujours fertile des instruments belliqueux, uniquement destinés à massacrer, à détruire l’espèce humaine ! On ne blâme pas celui qui écrit sur le point d’honneur et sur les duels, que les lois, dictées par l’humanité, ne cessent de défendre ! Et l’on osera censurer un auteur qui voudra bien indiquer aux femmes le vrai chemin par où se perfectionner dans le métier le plus utile, le plus nécessaire à la conservation de notre espèce !

On donne d’abord à ce livre le titre de Rhétorique, parce que tout est art chez les femmes, et particulièrement chez les Putains ; tout est artifice chez elles pour persuader et pour tromper les hommes ; et, par ce qu’il renferme, il désigne, il met au jour les finesses les plus cachées, les ruses les plus subtiles qu’imaginent et emploient les Courtisanes pour aller à leurs fins.

N’en sois point scandalisé, mon cher lecteur ; mon but, il est vrai, est d’instruire les femmes sur ce qu’elles doivent faire pour être de bonnes Putains ; mais, en même temps, si tu me lis, tu verras la nécessité où tu es de bien ouvrir les yeux pour ne pas donner dans le Putanisme. Mes leçons t’apprendront, en t’amusant, que ces femmes-là ne cherchent que ta perte ; tu apercevras les pièges qu’elles te tendront de tous côtés pour te rendre leur proie ; en reconnaissant leurs artifices trompeurs, tu sauras les éviter. Si tu n’es plus simple que les oiseaux, plus insensé que les poissons, tu ne te laisseras pas prendre aux filets dont ces traîtresses t’enlaceront pour t’y faire tomber.

Si tu étais tenté de donner à mes écrits une mauvaise interprétation, et de te persuader que je me suis proposé une fin malhonnête et répréhensible, tu me condamnerais à tort, ne connaissant pas la droiture de mon intention. On n’expose pas devant les yeux de ses semblables un objet hideux et méprisable pour le leur faire chérir. Lis donc, non pas pour louer, mais pour désapprouver ce qui ne mérite que des reproches ; et je suis sûr que tu détesteras une profession dont tu verras en plein jour la difformité.

Je t’assure enfin que plus tu avanceras dans la lecture de cet ouvrage, et plus tu te trouveras curieux, agréable, intéressant. Sur quelque matière que l’on écrive, l’on cherche toujours à faire éclater son esprit, et à se rendre utile à la société. Je ne me propose jamais de faire briller mon esprit dans mes ouvrages ; je n’ai jamais pensé qu’au bonheur de l’humanité ; et, j’ose m’en flatter, sous quelque forme que ce soit, j’ai atteint mon but.

Nous vivons dans un siècle corrompu… que dis je ? nom vivons dans un siècle bien vertueux, où l’on ne parle que du Milieu ; l’on ne cherche que le Milieu où se trouve la vertu. Nous devons donc écrire sur le Milieu, parler du Milieu, si nous voulons qu’on nom lise et qu’on nous écoute.

Mon cher lecteur, nom savons que la prudence est un grand manteau qui couvre bien des choses : fais donc comme tant d’autres, blâme-moi en public, je le mérite peut-être ; mais lis-moi, fais-moi lire en secret, je le mérite sans doute, et je serai satisfait.


La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre
La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre

La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre

INTRODUCTION




La Rhétorique des putains, Lettrines l est vrai que la pauvreté peut s’allier avec toutes les vertus ; mais il est vrai aussi que l’homme pressé par l’aiguillon de l’indigence, ose souvent immoler la vertu à ses besoins les plus pressants. Dans une ville de la France, vivait une fille[1]… Vivait ! Qu’ai-je dit ? Elle y végétait, elle y était ensevelie presque vivante, puisque, à l’âge de seize ans, elle n’avait pas encore goûté le plaisir d’entrer dans le monde, et passait ses jours malheureux renfermée toujours dans la maison lugubre de son père. Encore si le goût d’une vie tranquille et innocente l’eût retenue dans ce lieu ! Mais une nécessité affreuse l’y contraignait. Cependant elle était née dans un rang distingué, et sa plus tendre enfance s’était écoulée dans la joie et dans le bonheur. Mais son père… Dieu ! quel père !… après la mort de sa femme, qui était la sagesse même, se plongea dans la débauche, et la débauche épuisa bientôt toutes ses richesses. Sourd à la voix de la nature et du sang, il ne pensait plus qu’il avait trois fils, qu’il avait une fille ; il dissipa tout son bien, et précipita avec lui ses enfants dans le gouffre de la misère : tel est l’aveuglement dont nous frappent nos passions qui nous font négliger, oublier même nos devoirs les plus sacrés.

La nécessité la plus pressante poussa bientôt les trois garçons à chercher ailleurs leur subsistance par leur travail et leur industrie ; mais la pauvre fille, abandonnée presque entièrement de son père, se levait, se couchait avec la faim, et le peu de pain qu’elle mangeait n’était assaisonné que de ses larmes ; elle travaillait, à la vérité, sans se rebuter ; mais l’ouvrage de ses mains suffisait à peine à gagner de quoi couvrir sa nudité. C’est pourquoi, non seulement elle n’osait pas sortir, mais elle ne pouvait non plus se mettre aux fenêtres, parce que son père, dans le dessein de cacher sa honte, les avait fait fermer par des treillis de bois, au travers desquels elle pouvait bien voir les passants, mais sans être vue.

Il arriva un jour que, par une occasion extraordinaire, il se faisait dans la ville une réjouissance publique et solennelle. Elle était toute seule à la maison, et pour tout soulagement, elle regardait au travers de la jalousie le monde qui passait. Mais était-ce un vrai soulagement pour elle ? Non ; c’était le plus cruel tourment. Voir toute la ville dans la joie ; voir les gens, même les plus abjects, bien parés, très contents, et elle prisonnière, affamée, elle presque nue… au beau printemps de son âge… Dieu ! dans un état si affreux, qu’il est difficile de ne pas renoncer à la vertu !

Elle distingue parmi la foule une vieille, couverte de haillons, qui marche les yeux baissés, un chapelet à la main, un crucifix devant sa poitrine, et qui à chaque pas soupire vers le ciel ; elle voit que cette femme s’arrête devant sa porte, frappe, et d’une voix plaintive demande un verre d’eau au nom du Sauveur.

Angélique — c’est le nom de cette fille — émue de pitié, descend, lui ouvre et veut partager avec elle le seul morceau de pain qu’elle gardait pour son souper.

Marthe — c’est le nom de la vieille — l’en remercie vivement, ferme la porte, l’embrasse avec la plus grande tendresse, l’arrose de larmes qui ne lui coûtent rien, et la prie de la manière la plus affectueuse de vouloir l’écouter.

Angélique, douce et sensible, l’introduit dans sa chambre et voici leur entretien :

MARTHE

Oh ! ma chère Angélique, que votre état est cruel ! que je vous plains de tout mon cœur ; et mes soupirs et mes larmes vous témoignent assez combien je suis touchée de la peine où je vous vois.

ANGÉLIQUE

La pitié que vous avez de moi pénètre mon âme ; mais comment me connaissez-vous ma bonne ?

MARTHE

Ah ! mademoiselle, je vous connais plus que vous ne croyez ; je prends à votre affliction plus d’intérêt que vous ne pensez. Il y a quelques années que je rendis à votre maman trois ou quatre visites ; vous me vîtes bien, mais vous ne vous en souvenez pas, vous ne me reconnaissez pas peut-être. Ah ! la bonne dame. Si elle eût voulu m’entendre, elle ne serait pas au tombeau.

ANGÉLIQUE

J’en ai quelques idées ; mais que votre discours me surprend ! que voulez-vous dire avec cela ?

MARTHE[2]

Je dis et je soutiens que si votre maman avait voulu suivre mes conseils, elle vivrait encore, et vous ne gémiriez pas dans un état si pitoyable. Elle était trop sage, et quand on l’est trop, on ne l’est point. Elle savait bien que votre père aimait ailleurs, et elle faisait semblant de ne pas s’en apercevoir. Un jeune militaire qui fréquentait votre maison, avait su trouver le chemin de son cœur ; elle ne put pas s’empêcher de l’aimer, il en était digne ; mais des scrupules peu de saison l’agitaient sans cesse ; elle ne voulut jamais m’écouter, elle voulut étouffer dans son sein sa passion inquiète et violente ; et c’est cette passion, beaucoup plus que les chagrins que votre père lui causait, qui a avancé son âge, qui a miné son corps, qui l’a plongée dans le tombeau.

ANGÉLIQUE

Tout ce que vous me dites là, ma bonne, me met hors de moi-même. Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est que, lorsque je m’attendais à avoir avec vous un entretien spirituel, je vois que vous n’êtes, à dire le vrai, qu’une entremetteuse, c’est-à-dire que vous vous mêlez de commerces illicites.

MARTHE

Bon Dieu ! que vous êtes innocente, mademoiselle. Je me plais bien à m’entremettre de beaucoup de choses, mais jamais de choses illicites. Qu’est-ce que vous appelez illicite ?

ANGÉLIQUE

Tout ce qui est défendu par les lois divines et humaines.

MARTHE

Très bien, mademoiselle. Mais je ne suis point capable de vous proposer une chose défendue par les lois ; je ne veux vous parler que des choses que la nature conseille, même qu’elle ordonne. Sachez d’abord que ce que vous appelez lois ne sont que des préjugés funestes et injustes qui ne font que répandre l’amertume sur nos jours malheureux… Si je vous donnais le conseil de vous rendre religieuse, de devenir l’épouse du Très-Haut, trouveriez-vous mon conseil excellent ? auriez-vous alors bonne opinion de moi ?

ANGÉLIQUE

Que voulez-vous que je vous dise, ma bonne ? Il faudrait deux choses pour exécuter votre conseil : de la vocation et de l’argent. Aucune voix ne m’y appelle, je ne ferais que changer de prison ; je sens bien que le cloître serait pour moi une prison plus commode, mais un repentir forcé pourrait m’y attendre. Et puis quand je pense que l’avidité ecclésiastique fait acheter si cher une longue captivité, j’en frémis d’horreur.

MARTHE

Dieu soit loué ! Votre discours est plein de raison. Par bonheur, si l’on doit se régler sur la rumeur publique, on va bientôt démolir ces prisons infernales. Mais si, pour vous tirer de la misère qui vous accable, je vous proposais d’ouvrir votre cœur à de tendres sentiments, d’écouter la voix de la nature, de mettre au jour vos charmes invincibles, d’étaler vos appas, de rendre heureux quelques jeunes amants, en vous rendant vous-même et riche et heureuse, qu’en diriez-vous ?

ANGÉLIQUE

Oh ! vous allez bon train, ma bonne. Vous ne me parlez point de mariage, je vous le pardonne, puisque je suis pauvre et que je sais bien qu’il n’y a point de maris où il n’y a point d’argent ; mais vous me parlez d’amants !… je sais un peu de grammaire ; je sais distinguer le singulier d’avec le pluriel. Si vous me disiez de rendre heureux un jeune amant, cette proposition blesserait ma pudeur, mais elle ne me révolterait pas tout à fait. Je me connais un peu, j’ai un cœur sensible ; je ne me crois pas indigne ni incapable d’inspirer de l’amour ; le désir ardent de m’arracher à la misère pourrait… Dieu ! je m’égare… je me rendrai criminelle !

MARTHE

Quel gros mot vous venez de prononcer ! Vous criminelle ? Il est vrai que mon idée n’est pas de vous parler de mariage, sachant, même par mon expérience, que le mariage est une chaîne accablante, et le tombeau de l’amour. Mon idée n’est pas non plus de faire une coquette révoltante qui agace tout le monde et qui cherche à faire un grand nombre de captifs à la fois. Que la raison ne vous abandonne pas, mademoiselle, et vous verrez que c’est plutôt un crime que de vous refuser aux vœux de la nature. Ce jeune chevalier qui aimait tant votre mère a tourné tous ses désirs vers vous ; il vous mettra dans l’aisance, vous le rendrez heureux. S’il est inconstant, — car les hommes ne le sont que trop, — vous n’en mourrez pas pour cela : après lui un autre, et votre vie s’écoulera dans les plaisirs, dans le bonheur. Dites ce que vous voulez, vous êtes livrée aux horreurs de la misère et vous ne trouverez pas d’autre moyen d’en sortir.

ANGÉLIQUE

Mais ne serait-ce pas vivre dans le crime ?

MARTHE

Dans le crime ! Voilà ce préjugé trompeur, dont tant de filles se laissent malheureusement gouverner… Voyez-vous ce livre ?

ANGÉLIQUE

C’est un livre de prières, je crois.

MARTHE

Il en a au moins toute l’apparence ; mais c’est un recueil de maximes morales qu’un abbé, mon confesseur, me donna dans ma jeunesse ; et je vous assure qu’en le lisant, les préjugés dont on avait nourri mon enfance, disparurent bientôt.

ANGÉLIQUE

Mais pourra-t-il me persuader que ce n’est pas un crime de se prostituer ?

MARTHE

Se prostituer ? Quel terme barbare ! Lisez seulement, et vous aurez le pouvoir de mépriser l’injustice de l’opinion.

ANGÉLIQUE

Je veux vous croire ; mais il me reste une difficulté. Vous avez, sans doute, goûté les plaisirs ; mais avez-vous été heureuse ? Vous me dites que ce chemin est celui des richesses et du bonheur, et vous voilà aussi pauvre que moi.

MARTHE

Ah ! mademoiselle, c’est ma faute ; c’est précisément de mon état que vous devez tirer l’argument le plus fort, le plus puissant, pour vous convaincre de la vérité de mon discours. Mes jours s’écoulaient dans les plaisirs et dans la prospérité, j’étais la maîtresse d’un bien considérable. Me voyant dans la maturité de l’âge, voyant que mes adorateurs s’éloignaient peu à peu, je fis la sottise de m’attacher à un seul homme qui me parla de mariage ; il se lia à mon sort beaucoup plus qu’à moi-même ; en peu de temps il dissipa tout mon bien et mourut, après m’avoir précipitée du sein de l’opulence dans une affreuse misère. Apprenez de cela, mademoiselle, à ne jamais penser à l’hymen, ou à y penser fort tard ; ou à ne vous lier à aucun homme sans assurer le bien que vous pourrez posséder.

ANGÉLIQUE

Eh bien ! ma bonne, ce livre me tiendra compagnie ; c’est dommage qu’il faille que je travaille… je n’aurai pas tout le temps que je voudrais…

MARTHE

Vous pourrez le lire tout à votre aise… Vous me pardonnerez bien une grande bêtise que j’allais faire ; j’oubliais de vous laisser une bourse, où il y a quelques louis que ce jeune militaire m’a chargée de vous remettre.

ANGÉLIQUE

Dieu ! la honte me couvre le front.

MARTHE

C’est une honte bien déplacée. Refuser de l’argent dans la plus grande nécessité ! Cette vertu ne se trouve plus que dans les romans.

ANGÉLIQUE

Vos manières sont bien obligeantes ; je l’accepte, puisque vous le voulez bien.

MARTHE

Êtes-vous donc disposée à apprendre ma rhétorique ?

ANGÉLIQUE

Rhétorique ? je ne comprends rien à ce mot.

MARTHE

À prêter l’oreille à mes leçons pour vous rendre savante et vertueuse.

ANGÉLIQUE

Vertueuse ? Vous me faites rire, ma bonne.

MARTHE

Je ne badine point. Vous devez savoir, sans doute, que la vertu se trouve dans le milieu ; donc…

ANGÉLIQUE

Ah ! ah ! je vous comprends à présent. Eh bien ! revenez demain, et je prendrai avec plaisir ma première leçon.


La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre
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La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
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LEÇON PREMIÈRE


Marthe ne manqua pas d’aller le lendemain donner sa première leçon. En approchant de la maison d’Angélique, elle fut étonnée de la voir à la fenêtre, les jalousies étant ôtées. Angélique descendit vite pour lui ouvrir.

— Venez, ma bonne, lui dit-elle d’un air enjoué, je vous attendais avec la dernière impatience ; j’ai bien des choses à vous dire.

MARTHE

Mademoiselle, la joie qui éclate sur votre visage ranime mes esprits. Mais votre père est-il au logis ?

ANGÉLIQUE

Je l’ignore ; mais qu’il soit sorti ou non, cela ne nous fait rien… entrez… asseyez-vous.

MARTHE

Si votre père nous surprend ensemble, vous croyez donc…

ANGÉLIQUE

Il sait déjà que vous êtes venue ici et il n’en est point fâché… Ah ! vous froncez le sourcil d’étonnement ? Écoutez-moi, s’il vous plaît. Vous ne fûtes pas plutôt sortie de chez moi, qu’adieu le travail ; je pris votre livre, et je le parcourais rapidement. J’étais attachée avec tant d’avidité à la lecture de ce nouveau traité de morale, que je n’entendis point mon père lorsqu’il entra. Il était même dans mon cabinet, à côté de moi, et je continuais à lire sans l’apercevoir…

— Bon ! bon ! s’écria-t-il…

À ces mots, je tressaillis de peur, le livre me tomba des mains, une pâleur mortelle couvrit mes joues, je me jetai à ses pieds toute tremblante, et je m’attendais au moins aux reproches les plus sévères.

— Lève-toi, me dit-il d’une voix tranquille, tu ne connais pas bien mon cœur : j’aime à voir que tu te prêtes enfin à la lecture de cette sorte d’auteurs. Voici les livres qui dégourdissent l’esprit, qui le forment, qui le cultivent, qui le perfectionnent ; tu commenceras, sans doute, à te façonner, à te polir pour le commerce du monde.

— Ah ! mon père, accablez-moi plutôt des reproches les plus durs ; punissez-moi, si je vous déplais ; car vos louanges renferment une ironie trop sanglante.

— Point du tout, ma fille, — et, en disant cela, il me serra dans ses bras avec la plus grande tendresse, — l’exemple que ta mère te donna ne saurait jamais diriger tes pas dans le monde ; toutes ses vues, et tu n’ignores pas que j’en témoigne de temps en temps mon indignation, toutes ses vues, dis-je, ne tendaient qu’à te rendre ennemie de la société, qu’à t’inspirer le désir insensé d’être toute ta vie emprisonnée dans un couvent. Que dirait-elle, si elle vivait encore, en voyant que nous allons abolir ces retraites de la fainéantise et du désespoir ? Elle s’écrierait, sans doute : « Voilà comme l’on défend la religion en France ! » Pour moi, je me réjouis de pouvoir donner une bonne citoyenne à l’État ; il n’y a que ces livres qui puissent dissiper les préjugés impérieux et effacer les dangereuses impressions d’une mauvaise éducation. L’homme est fait pour vivre heureux, la femme est faite pour le rendre tel, voilà l’ordre de la nature : une fausse dévotion nourrie par la lecture des livres qui ne sentent que le monachisme, ne sert, sous le masque de la vertu, qu’à nous rendre bourrus, chagrins, misanthropes, malheureux… Je ne dis pas que tu passes d’une extrémité à l’autre ; tu as assez d’esprit pour éviter les excès et pour ne t’attacher qu’au milieu. Ah ! si j’avais de l’argent, je ne tarderais pas un instant à te procurer un ajustement de goût et avantageux à ta beauté… Oui, tu es assez bien faite, et d’une figure distinguée ; mais on ne regarde aujourd’hui qu’aux habillements. Quoique pauvre de biens, si tu étais parée… quelqu’un pourrait se présenter… tes traits, tes manières pourraient fixer son cœur… il saurait nous tirer de l’état affreux qui nous accable.

Encouragée par ce discours, je m’écriai :

— Ah ! mon père, je vois que la providence qui dirige tous les événements de ce monde, nous a ménagé une ressource et va seconder vos désirs. Hier, pendant que vous étiez dehors, au moment où je venais d’achever une neuvaine que j’avais faite à la Sainte-Vierge, une bonne femme, — et je lui traçai votre portrait — me porta cette bourse, où il y a bien des louis ; mon cœur et ma main refusèrent constamment ce don suspect ; mais elle eut la ruse de la laisser sur la chaise, comme par mégarde, en sortant.

Voilà, ma bonne, le premier mensonge qui a souillé ma bouche ; il était certainement écrit sur mon visage que je sentis tout en feu ; mais mon père n’y fit pas attention, ou fit semblant de ne pas s’en apercevoir.

— Cette bonne vieille, continuai-je, m’assura que c’était un jeune militaire qui, dans une bonne vue, nous faisait ce présent ; que ce jeune homme avait jadis fréquenté notre maison, et que nous ayant connus dans l’opulence, vus ensuite dans la misère, il avait fait vœu, à la dernière guerre, de nous prêter des secours, s’il en revenait victorieux. Elle me laissa enfin ce livre, en disant : « On croit que vous pensez à vous cloîtrer, mais lisez ce livre, et vous changerez d’avis. » Je commençais à le parcourir avec distraction, lorsque vous êtes rentré ; mais si vous jugez sérieusement que la lecture en soit dangereuse, je le rendrai, ou je le jetterai au feu.

Vous voyez, ma bonne, que ce n’est que le premier pas qui coûte, et que la langue une fois déliée pour la fausseté, n’a plus aucune peine à mentir.

Mon père ne fit que parcourir la table du livre, puis il le remit entre mes mains en souriant : il prit d’un air satisfait la bourse et l’argent ; il sortit, et une heure après, il revint avec une marchande de modes et une tailleuse. Ah ! ma bonne, quel plaisir pour moi de pouvoir, après plusieurs années, recommencer ma toilette, paraître dans le monde, voir, être vue, plaire… Dieu ! que mon cœur ne peut contenir la joie dont je me sens transportée !

MARTHE

Je prévoyais bien qu’un heureux succès couronnerait mes soins. Il y a des pères qui prétendent faire aimer la vertu à leurs enfants, quand ils ne la pratiquent pas eux-mêmes ; et l’on sait bien que, si l’exemple que l’on donne est en contradiction avec les préceptes, ceux-ci ne sont jamais sacrés, ni indélébiles. Mais puisque votre père, après sa mauvaise conduite, ouvre votre cœur aux sentiments délicieux de la liberté et de l’amour, cela doit faire taire bien des scrupules…

Voulez-vous donc prendre votre première leçon ?

ANGÉLIQUE

Oui, ma bonne, mais qu’elle ne soit pas longue, parce que j’attends la tailleuse.

MARTHE

Je dépêcherai ; écoutez-moi très attentivement. Je vais donc vous prouver évidemment que vous êtes maîtresse absolue de votre petite affaire, que vous êtes en pleine possession de votre corps, et que vous pouvez, sans scrupule, en faire toujours ce que bon vous semble. Ma proposition vous paraît étrange ; vous direz peut-être qu’elle choque horriblement le bon sens, la bienséance et l’honneur. Mais je saurai bien la confirmer et la mettre en évidence par des exemples, par des autorités, et par la raison même qui, bien éclairée, doit être le guide fidèle de nos actions.

ANGÉLIQUE

Eh ! bon Dieu ! Vous allez me faire un sermon divisé en trois points. N’oubliez pas, je vous prie…

MARTHE

Que vous attendez la tailleuse. Que cela ne vous empêche pas d’avoir attention à ce que je vais vous dire. Je commencerai d’abord à vous prouver ce que j’avance, par des exemples incontestables, et ma première leçon finira quand il vous plaira.

L’homme est né libre, et la nature prévoyante et industrieuse lui a donné un penchant insurmontable au plaisir… Vous savez bien, mademoiselle, que lorsqu’on dit homme, on dit l’un et l’autre sexe.

ANGÉLIQUE

Ah ! ma bonne, cette proposition me fait bien rire. Elle me rappelle une jolie historiette que me fit une de mes amies, quand j’étais pensionnaire dans le couvent, mais que j’ai presque entièrement oubliée… Un certain prêtre… le jour des Cendres… était bien embarrassé, ne sachant ce qu’il devait dire aux femmes… De grâce, si vous savez cela ne me privez pas du plaisir de l’entendre.

MARTHE

Mais, mademoiselle, pourquoi voulez-vous m’interrompre, et m’obliger à sortir du sujet de notre entretien ?

ANGÉLIQUE

Ayez, je vous prie, cette complaisance pour moi, et vous me verrez toujours la plus grande docilité à vos instructions. Vous venez de me dire que l’homme est né libre ; pourquoi ne voulez-vous pas que je sois libre de vous interrompre et de vous faire des questions ? Tout servira à m’instruire, ma bonne.

MARTHE

Je vois bien qu’il n’y a pas moyen de reculer. Il y eut un prêtre, en Italie, qui avait fait si bien ses études, qu’à peine savait-il lire le noir sur le blanc. Il venait d’être consacré, lorsque le mercredi des Cendres, s’étant levé de très bonne heure, il se rendit chez son oncle qui était curé, et lui dit :

« — Je dois, ce matin, pour la première fois donner les cendres ; je sais bien qu’il faut en marquer le front des fidèles en forme de croix, mais on ne m’a appris qu’une formule que je trouve bien imparfaite : « Ô homme, souviens-toi que tu es poudre, et que tu retourneras en poudre ». Cela va bien pour les hommes, mais pour les femmes, que devrai-je leur dire ? »

Le bon curé rit d’abord aux éclats, puis il répondit :

« — Ta tête est celle d’une bête : homme et femme ne doivent faire qu’un. »

Le neveu le remercia et sortit, bien persuadé que les mots que son oncle venait de prononcer étaient la formule dont il devait se servir en donnant les cendres aux femmes. Il écrivit ces paroles sur un morceau de papier, les étudia longtemps pour les apprendre par cœur ; mais sa mémoire était si heureuse, que quand il fut à l’autel, il ne s’en souvenait plus que confusément. On vous dira peut-être qu’il avait mis le morceau de papier dans le gousset de sa culotte ; cela est très vrai.

Pour se tirer d’affaire, que fit-il, que dit-il ? Lorsqu’un homme se présentait, il lui disait bien : « Ô homme, souviens-toi, etc. » ; mais quand une femme se mettait à genoux devant lui, il lui disait : « Mon intention est de vous faire la cérémonie, selon ce que j’ai dans ma culotte.» Certainement, il prononçait ces mots sans malice ; mais une vieille baveuse fut tellement scandalisée de cette cérémonie, qu’en sortant de l’église, elle alla le dénoncer charitablement devant le tribunal de l’odieuse Inquisition ; et le pauvre prêtre tomba bientôt entre les griffes de ce monstre horrible, qui est bien terrassé, frappé, mais qui malheureusement respire encore.

ANGÉLIQUE

En vous remerciant, ma bonne, continuez à présent votre leçon.

MARTHE

L’homme est né libre, et un penchant invincible attire un sexe vers l’autre. La nature qui a donné à presque tous les corps une vertu attractive, n’a pas manqué de la donner surabondamment à son chef-d’œuvre, à l’homme et à la femme. Mais cette qualité, cette vertu qui, dans les autres corps s’appelle attraction, dans l’homme et la femme doit s’appeler plus proprement : con-vit-traction. L’homme et la femme font donc un grand tort à la nature toutes les fois qu’ils ont la témérité ou la folie de contrarier cette liberté, de résister à cette irrésistible convittraction.

Tel a été le sentiment de l’antiquité la plus reculée. Dans ces temps heureux, où il n’y avait pas tant de livres barbouillés par la main des hommes qui se disaient inspirés d’en haut, nos vieux pères n’écoutant d’autre voix que celle de la nature, ne pensaient qu’à se convittriser, qu’à croître, qu’à multiplier. La libre union des deux sexes, loin d’être considérée comme une action criminelle ou blâmable, était au contraire regardée comme un acte solennel d’obéissance à la loi de notre mère commune ; et tous ceux qui se distinguaient le plus dans ce grand œuvre d’humanité, entendaient partout sonner leurs louanges ; ils étaient comblés d’honneurs pendant leur vie, et, après leur mort, ils obtenaient des temples et des autels.

Cela est si vrai que, même après leur apothéose, ces héros déifiés, selon le témoignage de leurs prêtres, quittaient souvent leurs demeures célestes pour venir ici-bas baiser des filles et des femmes.

Vous direz sans doute que le témoignage de ces prêtres est faux ; j’en demeure d’accord : mais croirez-vous mieux au témoignage de nos pontifes et de nos moines, lorsqu’ils ont fabriqué tant de prodiges pour déifier leurs confrères ? Il a toujours fallu des miracles pour le peuple qui n’aime que le merveilleux. Or les faux miracles de l’antiquité servaient au moins à établir des vérités innées et conformes au vœu le plus ardent de la nature ; au contraire, les miracles inventés par nos ecclésiastiques ne servent qu’à établir des dogmes incroyables et des maximes absurdes contre nature. D’où vient que ces prodiges ont cessé ; que nos pontifes mêmes ont supprimé ces impostures dans des temps plus éclairés ? Il n’y a plus que quelques-uns du bas peuple qui se laissent encore éblouir par le récit de nos vieux miracles. Au contraire, la Mythologie grecque, quoique embellie par des faits surnaturels, même inventés, méritera toujours l’admiration de la postérité la plus éloignée. Mais remettons-nous en chemin, et commençons par Jupiter, le premier dieu des payens.

Il fut d’abord épris d’amour pour sa sœur, et comme il aimait souvent à se métamorphoser, il se déguisa en coucou pour s’amuser avec elle. Il vola dans ses mains, puis sur son sein, puis plus bas, et cherchait à donner des coups de bec dans son nid. Junon s’aperçut du stratagème, et consentit bien à prendre l’oiseau dans la cage, mais à condition qu’elle deviendrait sa femme, et cela fut fait.

ANGÉLIQUE

Frère et sœur ? Mon Dieu !… mais pourquoi se métamorphoser en coucou ?

MARTHE

Ah ! mademoiselle, sachez que la Mythologie grecque, outre les vérités naturelles qu’elle renferme, est pleine d’allégories les plus ingénieuses. Jupiter prévoyait bien que sa sœur voudrait devenir son épouse : il se déguisa en coucou, parce que cet oiseau est le symbole du mariage, de même que la colombe est le symbole de la simplicité ; le renard, de la ruse ; le lion, de la valeur ; le chien, de la fidélité, etc… Car qui dit coucou, dit cocu ; et l’on sait bien que cocuage et mariage sont presque synonymes.

Il vit après la belle Europe, fille d’Agénor, roi de Phénicie, et l’enleva sous la figure d’un taureau, la tenant bien serrée avec sa queue.

ANGÉLIQUE

Sous la figure d’un taureau ? Quelle allégorie y trouvez-vous, ma bonne ?

MARTHE

Cela signifie que lorsque les hommes ont tenté inutilement tout autre moyen, ils emploient, pour réussir, la force et la violence, dont le taureau est le symbole. Il aima encore la belle Antiope, et la surprit sous la figure d’un satyre.

ANGÉLIQUE

Donnez-m’en, je vous prie, l’explication allégorique ?

MARTHE

On sait qu’un satyre est moitié homme, moitié bouc ; et comme le bouc a plusieurs chèvres qui lui sont soumises, il se métamorphosa de la sorte, pour faire voir qu’on n’est pas obligé de boire toujours dans le même verre. Il baisa aussi Léda, fille de Pindare, sous la figure d’un cygne ; cet oiseau est le symbole de la poésie : cela signifie donc que composer et chanter des chansons amoureuses à la louange de sa maîtresse, est le moyen le plus propre pour gagner son cœur. Il se glissa dans la tour de Danaé, métamorphosé en pluie d’or ; cela prouve évidemment que pour ouvrir la porte du Paradis, le moyen le plus assuré est d’avoir une clef d’or.

ANGÉLIQUE

Permettez-moi de vous dire ouvertement ce que je pense. Cette métamorphose me plaît beaucoup plus que toutes les autres, et… mais on frappe à la porte… C’est la tailleuse… À demain, ma bonne.


La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre

LEÇON II


ANGÉLIQUE

Venez, venez, ma bonne. Ah ! si vous saviez quel songe j’ai eu cette nuit ! Je vous attendais avec la dernière impatience pour vous en parler. Vous en rirez peut-être, et j’en ai ri moi-même, étant éveillée. Par malheur, les songes ne sont que mensonges.

MARTHE

Ne dites pas cela, mademoiselle. Cela est vrai quelquefois, mais pas toujours ; autrement nous devrions regarder avec mépris tant de mystères incompréhensibles qu’on nous propose à croire, qui cependant ne sont fondés que sur des songes. Qu’avez-vous rêvé, mademoiselle ?

ANGÉLIQUE

Mon Dieu ! j’ai rêvé que j’étais métamorphosée en serrure ; qu’un petit dieu s’est présenté pour m’ouvrir, et qu’il m’a ouverte avec la plus grande facilité, parce qu’il avait empoigné une grosse clef qui me paraissait d’or massif… le trou petit, la clef grosse, mais d’or… j’y vois du mystère ; mais, hélas ! on m’a dit mille fois que c’est en sens contraire qu’un songe s’interprète.

MARTHE

Pas toujours, mademoiselle. En général les songes sont le tableau de notre vie. Il est très naturel que nos idées, particulièrement lorsqu’elles deviennent familières et vives, se retracent pendant le sommeil. Ce songe doit donc vous rappeler notre entretien : hier nous avons parlé de Jupiter, de la tour de Danaé, de la pluie d’or ; vous avez fait tout de suite une bonne réflexion, et vous avez dit que vous trouviez cette métamorphose beaucoup plus agréable que toutes les autres. Je veux croire que vous languissez d’être pleinement convaincue que l’on peut, sans scrupule, et ouvrir et se laisser ouvrir ; peut-être que dans cette douce idée vous vous êtes endormie ; y a-t-il rien de plus naturel que d’avoir songé à la petite serrure et à la grosse clef ? Cette clef était d’or ; vous devez donc en tirer d’heureux présages, et prévoir le sort agréable qui vous attend.

ANGÉLIQUE

Dieu veuille que ces pressentiments ne me trompent point. Mais, continuez, s’il vous plaît, à m’instruire.

MARTHE

Je ne vous entretiendrai plus sur les artifices et les déguisements dont Jupiter se servait pour s’unir aux belles mortelles. Il suffit de vous dire que, malgré toutes ces convittractions, que nos dévots appelleraient des énormités, les sages payens en firent leur premier dieu, lui donnèrent un trône éclatant et plus élevé que celui des autres immortels, et lui attribuèrent ces sublimes prérogatives qui ne conviennent qu’au maître absolu de la nature.

ANGÉLIQUE

Parlez-moi donc des autres dieux. J’imagine bien que si le premier dieu était si vaillant, les autres n’auront pas prêché le célibat, ni la chasteté.

MARTHE

Il n’était réservé qu’à nos vieux pontifes de prêcher une doctrine si dénaturée.

Apollon aima à monter à cheval aussi bien que Jupiter, son père.

Neptune épousa bien Amphitrite, mais la belle Scylla lui fit changer de monture.

Le dieu Pan savait parfaitement bien jouer de la flûte, et les Nymphes qui fuyaient ses poursuites étaient sur-le-champ métamorphosées en roseaux, en pierres, etc. Vous voyez que la pruderie ne plaît point aux dieux.

Encore deux mots sur Priape, qu’on peut, avec justice, appeler le dieu de la convittraction. Comme dans nos temples on voit suspendre des yeux, des oreilles, des bras et des jambes, en témoignage de guérisons qu’on croit opérées par les prières de nos saints, de même on voyait les temples de Priape couverts partout de Cons et de Vits, en témoignage des courses victorieuses qu’on avait faites dans les Pays-Bas.

ANGÉLIQUE

Mais vous ne m’avez parlé que des dieux. Je m’étonne que vous ne me disiez rien des déesses, et de Vénus en particulier.

MARTHE

Cette déesse est si connue de tout le monde, que je croyais inutile de vous en parler. Y a-t-il quelqu’un qui ignore ses galanteries ? On sait que son plaisir était de couronner hautement le pauvre Vulcain, son époux, et qu’elle s’attachait tour à tour à Mercure, à Mars, à Bacchus, à Anchise, à Adonis. Enfin, pour conclure, je vous dirai qu’il n’y avait point de pays, où quelque dieu ne descendît de temps en temps du ciel pour coucher avec des femmes. Parlons, maintenant, des exemples que…

ANGÉLIQUE

Ma bonne, je veux vous faire auparavant, si vous me le permettez bien, une petite objection. On me parlait, dans le couvent, de deux déesses, Diane et Faune. Pour m’engager au célibat, on me disait que, parmi les payens, on respectait Diane, parce qu’elle avait gardé une virginité perpétuelle, et qu’elle voulait que ses nymphes fissent avec elle ce vœu singulier ; qu’elle chassa de sa compagnie la nymphe Calisto, parce qu’elle s’était laissé surprendre par Jupiter ; et qu’elle changea en cerf le pauvre Actéon, et le fit dévorer par ses propres chiens, parce qu’il avait eu la curiosité de la regarder dans le bain.

En cas de mariage, on me proposait l’exemple de Faune, en me disant que cette femme fut mise au nombre des immortelles, parce qu’elle se contenta toujours d’un seul homme ; et qu’aussitôt que son mari fut mort, elle lui garda une fidélité si exacte, qu’elle ne sortit pas de sa chambre le reste de sa vie, et qu’elle ne parla depuis à aucun homme. Qu’avez-vous à répondre à tout cela, ma bonne ?

MARTHE

Ah ! ah ! mon rire est ma première réponse. Ne savez-vous pas, mademoiselle, que Diane est le vrai modèle de nos dévotes hypocrites ? On appelle Diane la déesse triforme, parce que, ayant à faire trois fonctions différentes, elle avait aussi trois noms, et soutenait trois caractères bien différents. Dans le ciel, on l’appelait la Lune, et alors elle était changeante, capricieuse, et se plaisait fort bien à faire les cornes. Dans les enfers, on la nommait Hécate, et elle était alors cruelle et impitoyable. Ce n’était que sur la terre et dans les forêts qu’elle était, ou paraissait au moins, chaste et d’une délicatesse extrême sur l’honneur. Peut-on être chaste et aimer excessivement les sociétés et les festins ? Diane les aimait tellement que le roi de Calydon ayant régalé tous les dieux, à la réserve de Diane, parce qu’il croyait offenser sa pudeur en l’y invitant, cette déesse irritée s’en vengea en envoyant sur les terres de ce prince un énorme sanglier qui y fit d’affreux ravages.

Enfin, on sut bien découvrir ses amours avec Endymion, berger de la Carie. Voilà votre Diane, et son beau vœu de virginité perpétuelle. Vous pouvez voir si j’ai eu raison de vous dire que cette déesse est le plus parfait modèle de nos dévotes hypocrites, ou pour mieux dire de nos dévotes triformes : car dans les rues et dans les églises elles sont des anges ; dans leur maison elles sont des diables ; mais dans certaines sociétés, pendant certains tête-à-tête, elles savent bien s’amuser avec leurs Endymions.

L’exemple de Faune me fait bien rire davantage. Une femme qui perd son mari lorsqu’elle a passé l’âge mûr, qui décline à la vieillesse, dont le visage est décrépi, et le sein tombe en ruine, fait prudemment, si elle méprise le monde qui la fuit déjà, puisque l’on n’allume plus de chandelles devant les vieux saints. De même qu’une vieille marchande de modes qui, n’ayant plus chez elle que de vieux chiffons, et se voyant par malheur dans l’impossibilité de rajeunir son étoffe, se met à prêcher contre le luxe, et ferme sa boutique, en disant qu’elle déteste un si vilain métier.

ANGÉLIQUE

Je vois bien, ma bonne, que vous voulez avoir toujours raison.

MARTHE

Parlons maintenant des exemples que nous donnent les différents peuples qui fourmillent sur cette petite boule qui roule sous nos pieds, et vous verrez que leurs usages établis, consacrés même par leur religion, confirment de plus en plus ma proposition, c’est-à-dire que nous sommes en pleine possession de notre corps, et que nous pouvons, sans scrupule, en faire toujours ce que bon nous semble.

Voyons d’abord ce que pensent bien des peuples sur cette œuvre d’humanité qu’on appelle chez nous le péché de fornication.

Tout le monde sait que l’empereur de la Chine, le roi de Pégu, le Grand Turc, et tant d’autres monarques, ont des couvents, c’est-à-dire des sérails, où ils gardent plusieurs milliers de filles pour leurs menus plaisirs, et leur religion se garde bien de les condamner pour

cela.
La Rhétorique des putains, figures
La Rhétorique des putains, figures
ANGÉLIQUE

N’est-ce pas à ces filles que nous donnons le nom odieux de con…cu…bines ?

MARTHE

Précisément.

ANGÉLIQUE

Savez-vous, ma bonne, que, ayant entendu plusieurs fois parler de David et de Salomon, je disais en moi-même : « Si ces hommes faits selon le cœur de Dieu avaient tant de filles soumises à leur sceptre et à leurs volontés, comment se peut-il que la fornication soit un péché ? »

MARTHE

Savez-vous, mademoiselle, que vous raisonnez fort bien. Il est vrai que ces œuvres d’humanité, selon nos préjugés, ne devraient pas, à la rigueur, porter le nom de fornication, mais plutôt celui d’adultère ; car ces monarques dont je vous ai parlé, sont mariés, comme l’étaient les deux rois que vous venez de nommer. Mais comme il s’agit de convittraction entre hommes et filles, le nom de fornication n’y sied pas mal. Continuons.

Dans le royaume de Pégu, les pères et les mères louent aisément leurs filles. Les étrangers peuvent s’en servir autant qu’ils le veulent ; et après leur départ, les filles rentrent dans la famille et sont les bienvenues.

Les Siamois, lorsqu’ils portent en procession leurs idoles, c’est-à-dire leurs saints, dansent autour de leurs statues avec des filles ; cela est un acte de religion pour eux, et ces danses sont si légères, si voluptueuses, si pleines de grâces et d’expression, qu’enfin, à force de sauter, ils tombent les uns sur les autres, et font publiquement la danse de la laitière.

Dans le Mogol, à l’occasion que les bramines — les prêtres — doivent porter leur dieu en procession, il leur faut choisir une jeune et belle fille indienne pour être l’épouse du dieu. Vous voyez bien qu’il leur est nécessaire d’en sonder plusieurs avant que d’en trouver une qui mérite de plaire à la divinité. Heureuse la choisie ! Elle est menée en triomphe et en procession à côté du dieu, et elle passe la nuit dans le temple entre les bras de ce dieu, qui change de figure autant de fois qu’il y a de prêtres.

ANGÉLIQUE

Mais est-ce que cette fille croit vraiment jouir de son dieu ?

MARTHE

Les prêtres ont toujours eu, et auront toujours, si on les laisse faire, le pouvoir magique de faire croire ce qu’ils veulent aux peuples crédules, puisqu’ils sont parvenus à nous faire croire que nous avons le bonheur de manger notre Dieu. N’est-il pas vrai que nos moines et nos prêtres ont dernièrement fait croire au peuple brabançon, que les Saints et la Vierge Marie ont quitté le ciel pour venir combattre avec lui, et favoriser la rébellion ? Mais cette fille dont nous parlons, pouvait bien faire la simple, et sachant que son dieu n’était qu’une statue, s’accommoder de bonne grâce avec ses ministres, et s’en trouver mieux.

Dans le royaume de Golconde, les filles qui ouvrent boutique à tout acheteur, forment la cinquième tribu ; car on en compte quelquefois plus de vingt mille. Mais cette profession n’a rien de déshonorant pour elles.

Dans la Guinée, aussi bien que dans le Pégu et dans le Brésil, les pères et les mères offrent de bon cœur leurs filles et sœurs aux étrangers, et ils regarderaient comme une insulte marquée, si on les refusait.

ANGÉLIQUE

Je pense qu’elles essuyeront rarement un refus.

MARTHE

Elles ne l’essuyeraient jamais si elles étaient aussi jeunes et aussi belles que vous l’êtes.

ANGÉLIQUE

Flattez-moi moins, et instruisez-moi mieux.

MARTHE

Parmi les nègres de la Côte d’Or, on ne reproche jamais aux filles les effets ou les suites du commerce naturel ; même on les estime davantage pour leur qualité de se rendre communicables ou communicatives.

Dans le royaume de Kakongo et d’Angoy, lorsque quelqu’un meurt, leur religion leur impose de sacrifier quelques poules, pour marquer, sans doute, que le mort avait été un bon coq. On se met à table ; après le repas il y a un grand bal dans l’obscurité de la nuit. On y invite tout le monde au son du tambour, pour marquer qu’on va battre la caisse. En effet, les garçons et les filles, les hommes et les femmes se mêlent, et dansent jusqu’à ce qu’ils se trouvent tous trempés de sueur et hors d’haleine. La veuve même ne peut pas refuser ses faveurs à quiconque les lui demande, sous la condition de ne point parler pendant que l’on est en fonction avec elle. Vous savez bien, mademoiselle, qu’il est toujours pénible à une fille et à une femme de ne point parler ; mais dans certaines occasions, quand une bouche travaille, l’autre peut bien se taire.

ANGÉLIQUE

En vérité, je crois que cet usage était aussi établi parmi les Juifs ; car je me souviens, quoique confusément, d’avoir lu qu’un sage de cette nation disait que c’était une bonne chose que d’aller dans une maison de deuil.

MARTHE

Ah ! que cette réflexion est charmante ! Je ne désespère point de faire de vous une bonne élève.

Dans l’île de Madère, on voit des mariages avantageux refusés par les parents de la fille, parce qu’ils ont appris que le prétendu n’a jamais fréquenté les filles publiques et n’a gagné aucune maladie convitterienne. « Un jeune homme si retenu, disent-ils, doit être d’une condition bien faible, et ne convient pas du tout à notre fille. »

Enfin, parmi nous, chrétiens, plusieurs savants, et particulièrement les Basiliens et les Carpocratiens ont soutenu que nous naissons dans l’état de nature innocente, et que nous devrions, par conséquent, imiter Adam dans sa nudité. Pour cela ils entraient tout nus dans leurs assemblées, où chaque fille ou femme était commune, persuadés de ne commettre ni fornication, ni adultère, fondés sur ce précepte respectable de l’Écriture : Croissez et multipliez. Tauchelin renouvela cette doctrine dans le xiie siècle, prêchant ouvertement que la fornication et l’adultère étaient des actions méritoires ; et les plus fameux de ces sectaires étaient appelés Turlupins en Savoie.

Ces exemples m’amènent, comme vous le voyez bien, à parler de l’adultère, et vous verrez quelle idée s’en forment plusieurs nations…

ANGÉLIQUE

Ma bonne, on frappe… Je crois bien que c’est assez pour aujourd’hui… C’est la marchande de modes.

MARTHE

Mais, mademoiselle ! voilà la seconde fois que vous me coupez la parole au plus beau de la leçon… Mes instructions, peut-être…

ANGÉLIQUE

Que voulez-vous dire, ma bonne ? Vos instructions me charment ; mais voici la marchande. À un autre jour.


La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre
La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre

La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre

LEÇON III


ANGÉLIQUE

Eh bien ! ma bonne, j’ai aussi rêvé, cette nuit, aux assemblées des Turlupins ; et il me paraissait que j’étais comme une couronne, devant laquelle plusieurs sceptres venaient s’incliner pour lui rendre leurs hommages. S’il arrive, avec le temps, que je me marie, je pourrais bien, après vos instructions, devenir une bonne Turlupine.

MARTHE

Il n’y aurait point de mal à cela, mademoiselle. Ceux de notre nation qui se laissent gouverner par les préjugés impérieux et trompeurs, regardent l’adultère comme le fléau le plus terrible de la société ; voyons si les autres peuples en pensent de même.

Dans le royaume de Pégu, s’il arrive qu’une fille ait un amant hors du pays et qu’en attendant elle se marie, cet amant, à son retour, a le droit d’entrer chez elle, de la redemander ; et le mari la lui cède pendant son séjour, et ne fait point difficulté de reprendre la vache et le veau à son nouveau départ.

ANGÉLIQUE

Que cela est plaisant et commode ! Mais dites-moi, je vous prie, d’où vient que vous êtes si instruite ? Est-ce dès votre jeunesse ?

MARTHE

Oui, mademoiselle, dès ma première jeunesse.

ANGÉLIQUE

Bon Dieu ! il faut qu’on ait donné bien des soins à votre éducation, tandis que nos jeunes gens en sortant du collège et nous pauvres filles en sortant du couvent, nous savons à peine que la France est en Europe, que la Seine coule à Paris, et le Tibre à Rome. Pour moi, je sais bien peu de choses, et le peu que je sais, je l’ai appris par moi-même, après la mort de ma mère, en parcourant quelques livres que mon père m’a prêtés, mais que la nécessité de travailler et mes chagrins ne m’ont pas permis de lire avec attention.

MARTHE

Si mes parents eussent eu assez de bien pour m’entretenir en pension dans un couvent, qu’est-ce que j’y aurais appris ? À faire des poupées, à chanter du latin inintelligible et à manier l’aiguille. Par bonheur, mon père n’était pas bien riche, mais ma mère était jolie, humaine ; et quoique d’un âge mûr, elle était encore fraîche comme dans son printemps. Un nouveau Tartufe, c’est-à-dire un jeune et joli abbé venait presque tous les jours cueillir la rose dans son jardin : il s’offrit à mon père pour présider gratis à mon éducation. Mon père me dit :

— Que tu es heureuse, ma fille, de trouver un si excellent guide pour diriger tes premiers pas dans le monde ; il veut te cultiver, sois lui bien soumise, et n’étouffe pas les germes précieux qu’il sèmera dans ton cœur.

Ma mère fut toujours présente à mes premières leçons ; mon maître bouda, cessa de venir, et je ne comprenais pas pourquoi ; enfin le voilà de retour, nous voilà tête à tête à nos leçons. Il m’enseigna d’abord la géographie, et il m’écrivait lui-même les plus belles réflexions physiques et morales sur les différents usages et les religions de chaque pays, dont nous parlions de jour en jour. Ces réflexions si touchantes me pénétraient tellement, qu’en peu de temps je fus l’écolière la plus soumise qu’on puisse imaginer.

Ces réflexions me sont restées, je les ai apprises par cœur, je les ai répétées mille fois et toujours avec succès ; voilà d’où vient que je parais fort instruite et savante.

ANGÉLIQUE

Et vous espérez d’avoir à les répéter encore, n’est-ce pas ?

MARTHE

Autant que je le pourrai, mademoiselle ; et je m’applaudis en moi-même de l’emploi que j’exerce, de donner aux jeunes filles des talents agréables pour se rendre utiles à la société. Mais continuons notre leçon.

Dans l’île de Ceylan, une femme a souvent deux maris qui sont les deux frères. Les maris accordent souvent leurs femmes aux amis, ou aux grands seigneurs, et elles en sont plus glorieuses.

Dans l’île de Java, une des îles de la Sonde, si une servante a envie de coucher avec son maître, elle en demande la permission à sa femme, qui ne peut la lui refuser sans se couvrir de honte.

À Alger, on croit que c’est un honneur pour les maris, lorsque leurs marabouts — leurs prêtres — veulent bien leur aider à pétrir des enfants.

Cet article de foi chez les Algériens me rappelle une jolie histoire que je veux bien vous raconter.

Dans une paroisse de campagne près de Milan, une jeune et jolie paysanne venait de se marier avec un de ces hommes, dont la profession est d’aller aux foires qui se tiennent çà et là, pour y vendre leurs petites marchandises ; ce qui fait que ces gens-là sont absents à peu près la moitié de l’année. Deux mois après le mariage, l’époux s’en va, et sa femme reste seule chez elle. Elle se met souvent sur la porte de sa maison pour prendre l’air, elle file ou tricote ; le curé passe, la salue, s’arrête.

« — Bonsoir, ma chère brebis, vous voilà donc veuve pour quelques mois ; quel dommage ! À peine avez-vous goûté de bons morceaux, qu’il vous faut jeûner… Mais que vois-je !… Il me paraît que vous avez arrondi votre champ… Est-il bien vrai ? Vous êtes enceinte…

« — Enceinte ? Mon cher curé, qu’est-ce que cela veut dire ? Je ne vous comprends pas…

« — Vous êtes déjà grosse.

« — À ce que mon mari m’a dit, je crois qu’oui.

« — Dieu ! quel cœur a votre mari ? Il vous a remplie et a pu vous quitter ? Voilà l’ouvrage imparfait, et vous ne ferez qu’un monstre.

« — Un monstre ! Ah ! l’idée en est affreuse ! Mon sang frissonne, mes genoux tremblent, je me sens mal.

« — Entrons, ma chère ; moi aussi je suis un peu enrhumé ; l’air peut vous faire du mal… Jetez-vous sur votre lit, et calmez-vous ; il y a du remède à tout cela.

« — Pouvez-vous empêcher que je fasse un monstre ?

« — Oui bien, mon cœur ! Vous savez qu’il faut au moins neuf mois pour perfectionner l’enfant que vous portez ; à peine est-il commencé ; il n’est pas peut-être encore animé. Vous ne portez donc qu’un morceau de chair ; comment voulez-vous que tous les membres se forment et que l’esprit y entre pour les vivifier ? Sachez qu’un mari, après avoir rendu grosse sa femme, doit continuer à la voir, au moins autant de fois qu’il y a de membres qui constituent notre corps ; car aujourd’hui on y met une oreille, demain un œil, après-demain un bras, un autre jour une jambe, etc., etc. Il faut donc permettre qu’un membre forme à peu près tous les membres de votre enfant, ou vous résoudre à faire un monstre. »

Vous imaginez bien, mademoiselle, que la bonne paysanne ne balança point ; elle pria même le saint prêtre de terminer l’ouvrage, et elle ne fit pas un monstre.

ANGÉLIQUE

Oh ! je n’oublierai jamais une histoire si plaisante.

MARTHE

Dans la Guinée, où les femmes sont bien faites et extrêmement portées aux travaux de l’aiguille, si les étrangers, en passant, jettent sur elles un regard de complaisance et de tendresse, s’ils leur marquent quelque témoignage d’affection, les bons maris sont les premiers à leur ouvrir la porte, à les faire entrer, à partager enfin avec eux et leur table et leur lit.

Dans l’île de Socstova, les maris peuvent changer mutuellement de femme avec les autres ; et comme le changement de viande donne plus d’appétit, on y aime à varier les mets au moins sept fois par semaine. Y a-t-il rien de plus commode et de plus satisfaisant ? La musique peut être charmante, harmonieuse ; mais si on bat toujours la même mesure, si le chant est monotone, bientôt on s’ennuie.

Les Nasamones, nation fort nombreuse de la Lybie, ont ordinairement plusieurs femmes, et quand l’envie leur prend de planter des hommes, ils le font devant tout le monde, presque de la même façon que les Messagètes, après avoir fiché devant eux un bâton dans la terre. Croyez-vous, mademoiselle, qu’on établira jamais une telle liberté en France ? C’est cependant une des lois de l’homme.

Quand les Nasamones se marient, chacun de ceux qui ont assisté au festin fait un présent à la mariée, mais elle n’est point ingrate, et du consentement de son mari, elle leur laisse frayer le chemin, et leur permet de se désaltérer tous à sa fontaine.

Les nègres du royaume de Bennin laissent toute la liberté à leurs femmes, — et ils en ont plusieurs — pour les Européens. L’aîné des fils hérite de son père, son bien et ses femmes. Il doit assigner une subsistance honnête à sa mère, si elle est encore vivante ; les autres femmes de son père lui appartiennent, et il peut s’en servir, sans scrupule, en qualité d’épouses ou de concubines.

ANGÉLIQUE

Mais jouir de tant de femmes de son père, ne sont-ce pas là des horreurs ?

MARTHE

Oui, selon les préceptes de nos docteurs ; mais vous voyez bien que les autres peuples, guidés par les lois simples de la nature, n’en pensent pas de même ; vous voyez qu’ils ne regardent pas avec horreur, comme nous, l’adultère, l’inceste et la polygamie.

Pour ce qui regarde la polygamie, sans parler de nouveau de David et de Salomon, l’exemple du monarque d’Yémen, dans l’Arabie heureuse, est d’un grand poids : car il est en même temps roi et pontife ; cependant il entretient un sérail, où il a au moins six à sept cents femmes.

Dans le royaume de Congo les hommes prennent plusieurs femmes, mais à l’essai ; les femmes aussi prennent des maris à l’épreuve ; et cela arrive, parce que les pères se font un scrupule religieux de contraindre les goûts de leurs enfants. Ce qu’il y a de plus plaisant dans ce pays-là, c’est que les femmes y fument, et si une femme laisse prendre sa pipe à un homme, elle lui donne le droit d’avoir ses faveurs, et est obligée à d’emboucher la pipe de l’homme.

Pour ce qui regarde l’inceste, on trouve, à quelques lieues de Cyrène, des forêts d’une grande étendue, dans lesquelles vivent plusieurs peuples qui ne font que suivre les mouvements de la nature. Parmi eux les enfants jouissent de leurs mères, les pères de leurs filles, et les frères de leurs sœurs.

Mais ce qui va vous étonner le plus, c’est que dans la Syrie, les Druses qui sont chrétiens, épousent indifféremment leurs mères ou leurs filles, ou leurs sœurs, et ils disent qu’ils ont engendré des enfants pour eux, et non pour les autres, et que personne n’a aucun droit de leur défendre l’usage d’un bien qui leur appartient.

À une certaine fête solennelle, après le service divin, ils font de grandes sociétés, ils y assistent à un festin, puis hommes et femmes se mêlent ensemble au hasard, ils croissent et multiplient. N’oubliez pas, mademoiselle, que les Druses professent le christianisme.

ANGÉLIQUE

Que cela m’étonne ! Mais je suis persuadée que vous conviendrez avec moi, que là où les lois ecclésiastiques ou civiles défendent la fornication, l’adultère, la polygamie et l’inceste, il faut leur obéir, et que c’est un crime que de les violer.

MARTHE

Sans doute, mais ce n’est que lorsque la violation de ces lois renverse ou trouble l’ordre de la société, pour laquelle ces lois sont émanées des puissances respectives. Mais quand ces actions humaines ne sont que domestiques et particulières, et qu’elles ne troublent nullement l’ordre public, les lois se taisent, et pourquoi ? Parce que ces actions ne deviennent criminelles et par conséquent punissables que lorsqu’elles blessent ouvertement les conventions faites entre les peuples et ceux qui les gouvernent.


La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre
La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre

La Rhétorique des putains, figures
La Rhétorique des putains, figures
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre

LEÇON IV


MARTHE

Après vous avoir prouvé ma proposition par des exemples, il faut vous la confirmer aujourd’hui par des autorités. Sachez que mon instituteur, mon Tartufe, mon abbé, lorsqu’il me donnait ses leçons de géographie, me dicta, un jour, un chapitre qui me parut d’abord une digression mal placée ; mais je m’aperçus bientôt après que son discours, quoique en apparence hors de notre sujet principal, nous y amenait indirectement.

— Écrivez, me dit-il, et vous allez voir, par les autorités les plus incontestables de nos moralistes, les plus classiques, les plus accrédités, les plus catholiques, les mieux suivis, que vous pouvez, sans en faire conscience, me laisser entrer dans votre petit jardin.

Après chaque autorité, il mettait, de sa main, à la marge des mots latins que je ne comprenais pas, mais qui étaient, à ce qu’il me disait, les citations des passages, pour me faire voir qu’il n’y avait rien d’inventé, et pour mieux m’en convaincre par la confrontation.

ANGÉLIQUE

Mais vous venez de me dire que vous ne comprenez pas le latin. Vous auriez donc dû communiquer ces écrits à quelqu’un pour vérifier les passages en les confrontant les uns avec les autres. Est-ce que monsieur l’abbé ne vous recommandait pas le secret ?

MARTHE

Il me disait bien que la prudence et le secret étaient nécessaires pour sauver la bienséance ; mais c’est qu’il se proposait de m’enseigner lui-même le latin. Par malheur, un mois après, l’archevêque lui conféra une très bonne cure dans un gros village fort éloigné ; il s’en alla donc ouvrir le chemin du salut à ses paroissiennes, et nous en pleurâmes bien, ma mère et moi.

J’écrivis donc ce que j’ai appris par cœur, et que je vais vous réciter. Sachez d’abord que c’est une chose très indifférente en elle-même que de prêter l’oreille, avec plaisir, à des discours libres et lascifs, et qu’on peut bien, sans faire de grimaces, entendre parler de Cons, de Vits, et de F…[3]

Il est aussi permis à qui que ce soit, pourvu qu’on ait des yeux, de lire tous les livres qui, de la manière la plus sensible, traitent du livre qui n’a que deux feuilles[4].

Vous pouvez, en toute liberté, promener et arrêter vos regards sur les différents membres de votre corps, et les examiner avec complaisance. Lorsque la saison est favorable, vous pouvez vous mettre toute nue devant un miroir, attirer votre âme toute dans vos yeux pour contempler vos charmes, quoique vous prévoyiez que tout cela puisse vous donner de fortes démangeaisons au bas ventre qui vous excitent à vous gratter[5]… Ah ! ah ! laissez-moi rire un instant.

ANGÉLIQUE

Il vaut mieux rire que pleurer, ma bonne ; je serai bien aise de rire, moi aussi, avec vous.

MARTHE

C’est qu’il se retrace, en ce moment, à mon souvenir, une très jolie histoire dont j’aimerais bien à vous faire part, si cela ne m’écartait pas de mon sujet.

ANGÉLIQUE

De grâce, donnez-moi le plaisir de l’entendre. Quelque objet de curiosité détourne souvent un voyageur de son chemin ; mais il s’y remet bientôt après, et son voyage en devient plus agréable.

MARTHE

Une jeune comtesse, dont le mari un peu âgé, n’était pas trop habile au travail nocturne, avait un perroquet auquel en secret et dans un bon dessein, sans doute, elle avait appris à répéter souvent ce mot : Laquais ! laquais !

Elle avait en effet à son service un jeune laquais très bien fait. Elle voulait bien s’abaisser devant lui et agir philosophiquement ; mais elle cherchait à accorder la bienséance et ce qu’on appelle honneur avec sa passion. Que fit-elle donc ? Un jour que monsieur le comte était à la campagne, elle se mit dans l’état de simple nature, elle se tenait devant un grand miroir, et s’y regardait, puis elle dit tout bas :

« — Laquais ! laquais ! »

Le perroquet ingénieux et docile, qui imitait parfaitement la voix de sa maîtresse, s’écria :

« — Laquais ! laquais ! »

Le jeune homme qui était tout seul dans l’antichambre, accourut promptement. Il fut étonné de voir la comtesse toute nue, il voulait reculer. La comtesse fit l’effrayée en disant :

« — Ce n’est pas moi, c’est le perroquet. »

Elle n’en dit pas davantage, et faisant semblant de s’évanouir, elle se laissa tomber à la renverse sur un sopha qui était là bien à propos.

Le laquais cherche d’abord des eaux spiritueuses pour la faire revenir, croyant tout de bon qu’elle eût perdu connaissance ; mais voyant que ces eaux n’avaient aucune efficacité, et sentant fort bien que l’aimant attirait l’acier, il se mit à raisonner en philosophe chrétien. Il se dit à lui-même :

« La charité ordonne de couvrir la nudité de son prochain ; je vois, je sens qu’au lieu d’être glacée, elle est tout en feu et n’a rien de fermé que les yeux ; elle n’a peut-être besoin que d’être bien arrosée pour faire cesser l’ardeur qui est aux parties de son corps excessivement échauffées. »

Il lui donna, en effet, un lavement rafraîchissant ; après quoi elle ouvrit les yeux et cria avec un mouvement de colère ; mais cette colère fut bientôt apaisée, et le laquais sortit avec la permission de rentrer toutes les fois que le charmant perroquet le demanderait.

ANGÉLIQUE

En vérité, j’aime à raisonner, et je dis que la jeune comtesse n’était point blâmable. Car quand on a un mari faible et oisif, il ne doit pas se plaindre si on cherche quelqu’un qui prenne sa place ; puisque, je le crois, l’on n’aime pas à laisser longtemps sa terre en friche. D’autant plus que la bonne dame ne donna aucune marque de provocation ou de consentement au grand ouvrage.

MARTHE

Mademoiselle Angélique vous parlez vraiment comme un ange. C’est ce que disent aussi nos moralistes ; et je me souviens que mon abbé me prouva un jour qu’une femme, dans certains cas, agit très prudemment, très louablement, si elle se tient d’une manière passive et reçoit tranquillement l’impulsion de l’agent physique ; et que cela devient même un devoir, si quelque brutal, emporté par une passion violente, éclate en menaces. Il m’allégua, à ce propos, l’exemple de la chaste Suzanne, et il me persuada qu’elle fut une sotte de crier et de s’opposer aux désirs des deux saints vieillards qui voulaient se baigner avec elle.

Lorsqu’elle vit que les deux dépositaires de la loi mosaïque étaient disposés à la noircir et à la traîner devant les juges, elle devait d’abord dire en elle-même :

« Que la pudeur et la chasteté s’en aillent au diable, pourvu qu’on sauve la réputation et la vie. » Elle devait ensuite les supporter en silence[6].

ANGÉLIQUE

Mon père m’a dit, bien des fois, qu’il y avait moins à craindre à voir se déchaîner contre nous tous les diables de l’enfer que quelques gens d’église.

MARTHE

Et il a raison ; mais continuons. Il est donc permis de fixer avec complaisance, non seulement nos propres membres, mais aussi ceux d’autrui, soit dans un bain, soit dans une rivière. L’auteur qui soutient cela ajoute : « Pourvu que, par bonne contenance, on ait une ceinture au milieu[7] ». Mais un de ses confrères se moque de lui, et réplique que dans la spéculation il n’y a pas de mal à fixer les personnes toutes nues, lors même que deux n’en font qu’une[8].

ANGÉLIQUE

Mais, ma bonne, cette autorité n’est pas d’un grand poids ; car j’ai entendu dire que ce qui est bon dans la spéculation ne l’est pas dans la pratique.

MARTHE

On vous a trompée, mademoiselle ; car le même auteur continue, qu’on peut, en sûreté de conscience, suivre dans la pratique les opinions probables dans la spéculation[9].

ANGÉLIQUE

J’ai une autre objection à vous faire. Je veux bien vous accorder que les personnes qui regardent, ne fassent point de mal ; mais celles qui s’exposent toutes nues aux regards avides des autres, ah !…

MARTHE

Vous me faites rire, mademoiselle. Si les spectateurs ne font aucun péché, en faisant un libre usage de leurs yeux, pourquoi voudrait-on captiver la liberté que la nature nous a donnée de couvrir ou non ce que bon nous semble ? « Non, nous dit le très révérend père Lesseau, non, les filles et les femmes ne pêchent point lorsque la nécessité, l’utilité ou le plaisir les portent à faire voir aux jeunes hommes ce qu’elles ont de plus beau et de plus attrayant ; quoiqu’elles prévoient que tout cela leur fera lever bien haut la tête[10]. »

En continuant mon chemin pas à pas, je vous dis encore que si une fille et un garçon tout nus s’embrassent, se touchent, et, pour faire cesser un certain chatouillement fréquent, s’ils se grattent mutuellement là où il leur démange, ils ne font que des choses indifférentes en elles-mêmes[11].

Je touche enfin au dernier degré, et je conclus que les garçons ne font point de péché quand ils vont aux filles, puisque tant de villes bien policées et très chrétiennes établissent et entretiennent publiquement le putanisme[12] ; je dis que la fille est en possession de sa virginité, aussi bien que de son corps, et qu’elle en peut disposer à son gré[13].

ANGÉLIQUE

J’en suis persuadée, ma bonne, mais pas bien convaincue. Les autorités que vous m’avez alléguées ne sont que des autorités humaines ; les hommes peuvent se tromper, et il y aura bien d’autres auteurs qui soutiendront le contraire.

MARTHE

Cette objection est forte, mais elle n’est pas sans réplique, et se détruit bien facilement. Il vous faut, je le vois bien, des autorités sacrées, tirées du livre qu’on respecte le plus parmi nous, et qu’on nous donne pour règle infaillible de notre foi et de nos mœurs. Est-ce que de pareilles autorités vous seront suspectes ? Eh bien ! lisez le chapitre XIX de la Genèse…

ANGÉLIQUE

Mais on me dit que tout cela est en latin : je ne comprends pas cette langue.

MARTHE

Oui, mademoiselle ; et vous qui commencez à raisonner comme il faut, vous pouvez voir qu’elle est grande la politique de nos pontifes, de ne nous pas permettre de pouvoir lire ce livre dans la langue du pays. Tant que la Bible est en latin, c’est un livre sacré, céleste ; si on veut la traduire dans notre langue maternelle, elle devient, à l’instant, un livre très dangereux, presque diabolique ; comme si là vérité des maximes et des faits qu’elle contient, dépendait plutôt d’une langue que d’une autre. Mais ces messieurs savent bien qu’un livre en latin est une chandelle éteinte pour les peuples, qui ne pourra jamais les éclairer ; et leur intérêt exige qu’ils croupissent dans les ténèbres de l’ignorance et de l’erreur. Mais vous pouvez bien vous fier à moi ; je vous jure, sur mon honneur, que je vous citerai, dans notre langue, ces autorités, sans aucune altération de sens, ni de mots, telles que mon abbé me les a rapportées.

ANGÉLIQUE

Je ne vous en demande que deux ou trois ; mais je vous prie de me dire d’avance d’où vous voulez les tirer.

MARTHE

Du chapitre XIX de la Genèse, du premier chapitre d’Osée, et du second livre de Samuel, au chapitre XIII.

ANGÉLIQUE

Eh bien ! ma bonne, ayez la bonté, je vous prie, de remettre tout cela à demain.


La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre
La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre

La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre

LEÇON V


ANGÉLIQUE

Allons, ma bonne, parlez-moi de Loth et de ses filles, du prophète Osée, d’Amnon et de Tamar, sa sœur : je languis de vous entendre, et soyez sûre que je souscris d’avance à toutes les autorités que vous allez m’apporter.

MARTHE

Votre discours m’étonne, mademoiselle. Vous me prévenez d’une manière surprenante sur ce que j’étais prête à vous exposer. Mais puisque vous m’en paraissez déjà instruite, je puis m’épargner la peine de vous en parler.

ANGÉLIQUE

Ne vous fâchez pas, je vous en prie. Sachez, ma bonne, qu’hier au soir, en causant à table avec mon père, je fis tomber notre conversation sur le vieux Testament, et je lui demandai des nouvelles de ces endroits que vous m’avez allégués. Ce ne fut pas l’effet de méfiance, je vous le jure, ce fut l’effet d’une curiosité, dont je ne fus pas maîtresse. Mon père me répondit en souriant :

— Dans ces chapitres que tu me nommes, l’on parle de Loth et de ses deux filles, du prophète Osée qui alla aux putains, et d’Amnon qui coucha avec Tamar, sa sœur.

Et il ne m’en dit pas davantage. De grâce, ma bonne, racontez-m’en jusqu’aux moindres circonstances… regardez-moi de bon œil… parlez.

MARTHE

Pourvu que vous ne me soupçonniez pas capable de vous en imposer, et pourvu que personne ne m’usurpe la gloire de vous élever dans mes principes, je continuerai, avec plaisir, de vous donner mes leçons.

Je vous dirai donc que les Sodomites, ou si vous voulez un mot plus propre, les Jésuites du vieux Testament, n’aimaient pas à marcher dans le bon chemin que Dieu même a tracé ; mais, par un goût fort dépravé, ils préféraient d’entrer chez les hommes par la porte de derrière. Or voyez si le bon Dieu peut supporter que les hommes laissent de côté notre sexe, le chef-d’œuvre de sa création ! Ce sont ces actions brutales qu’on doit vraiment appeler péchés. En effet, le cri de ces péchés s’étant élevé devant l’Éternel, il prit la résolution de détruire leur ville. (Genèse XIX, v. 13.)

Mais son cœur paternel ne lui permettant pas d’exécuter lui-même son décret, il y envoya, pour cet effet, deux de ses domestiques, ou ministres, qu’on nomme anges. Ces deux anges n’étant qu’esprit, pour se rendre visibles aux mortels, empruntèrent, chemin faisant, un corps humain ; tout cela est facile à comprendre. Ce fut sur le soir qu’ils arrivèrent à Sodome. Loth qui était assis à la porte de la ville, les ayant vus, se leva pour aller au-devant d’eux, et se prosterna le visage à terre (v. 1.), et il leur dit :

« — Voici, je vous prie, seigneurs, retirez-vous dans la maison de votre très humble serviteur, et logez-y cette nuit ; lavez aussi vos pieds, pour les nettoyer et pour vous rafraîchir ; car vous venez de bien loin, ce me semble ; et vous vous lèverez au nouveau jour pour continuer votre chemin.

« — Non, dirent-ils, nous passerons cette nuit dans la rue (v. 2.).

« — Ah ! mes frères, répliqua Loth, ne faites point cette bêtise, vous ne connaissez pas bien le pays ; si vous restez à la rue, les habitants de cette ville qui vous lorgnent déjà, et qui aiment passionnément les beaux garçons, tels que vous êtes, vous bouz…ront sans doute. »

Et il les pressa tant, qu’ils se retirèrent chez lui ; il leur fit un festin, et ils mangèrent (v. 3.).

ANGÉLIQUE

Mais, est-ce que les anges ont besoin de manger ?

MARTHE

Non pas quand ils ne sont qu’esprit ; mais lorsqu’ils empruntent un corps, qu’ils ont une bouche et un ventre, il faut bien que cela arrive, puisque le texte dit clairement, à n’en pouvoir douter, qu’ils mangèrent.

Mais, avant qu’ils allassent se coucher, les hommes de la ville environnèrent la maison de Loth, et l’appelant, ils lui dirent :

« — Où sont ces hommes qui sont venus cette nuit chez toi ? Fais-les sortir, parce que nous voulons les connaître » (v. 4, 5.).

Loth leur dit :

« — Je vous prie, ne leur faites pas un grand affront. Voici, j’ai deux filles, qui n’ont point encore connu d’homme, je vous les amènerai, et vous les traiterez comme il vous plaira » (v. 7, 8.).

Vous voyez donc, mademoiselle, qu’un père ne se fait pas scrupule d’offrir lui-même ses filles vierges, à ce qu’il dit, et il faut bien le croire puisque le témoignage d’un père ne doit pas être suspect ; les offre, dis-je, à des hommes libertins, pour les dépuceler et les foutre à leur gré.

ANGÉLIQUE

Et cela arriva-t-il ?

MARTHE

Non, mademoiselle, parce que ces gens-là ne se souciaient point d’entrer par la porte du devant.

ANGÉLIQUE

Est-ce là toute l’histoire ?

MARTHE

Ah ! ah ! je vais vous rapporter ce qu’il y a de plus beau et de plus exemplaire. Le lendemain, de bonne heure, Loth, sa femme et ses deux filles, pressés par les deux anges, sortirent de la ville et se sauvèrent à la montagne, avec ordre exprès de ne jamais regarder derrière eux.

Alors l’Éternel fit pleuvoir, des cieux sur Sodome, du soufre et du feu, et il détruisit toute la ville, toute la plaine, tous les habitants et le germe de la terre (v. 24, 25.).

La femme de Loth, par une curiosité mal placée, voulut regarder derrière elle, et elle devint une statue de sel, cela aussi est très facile à comprendre (v. 26.).

ANGÉLIQUE

Voilà donc le pauvre Loth devenu veuf.

MARTHE

Il ne le fut pas longtemps, car il trouva bientôt deux femmes, à la place d’une. Le soir venu, l’aînée de ses deux filles dit à la plus jeune :

« — Raisonnons un peu, ma sœur ; nous allions être mariées ; mais nos époux n’ont pas voulu ajouter foi aux prédictions de notre père : les voilà écrasés et en cendre, (v. 14.) Nous venons de la petite ville de Tsohar qui a été sauvée ; mais tu as vu que nous n’y avons pas été reçues favorablement, et que pas un garçon ne nous a lorgnées avec des yeux de tendresse. Nous voici sur cette montagne, dans cette caverne, sans savoir ce que nous deviendrons : nous risquons donc de rester pucelles toute notre vie. Dieu ! quel malheur !… Notre père est vieux, mais il est encore en état de faire bien des voyages. Par bonheur nous n’avons pas, dans ce désastre, perdu tout à fait la tête ; nous n’avons pas oublié de porter de bon vin avec nous : donnons-lui-en, égayons-le, couchons avec lui pour conserver sa race. » (v. 32.)

En effet, le bon et prudent vieillard fit semblant, la nuit, de rêver à sa femme, et de travailler avec elle ; mais il ne laissa pas échapper l’occasion qui lui était offerte de perpétuer sa race. Ainsi les deux filles de Loth conçurent de leur père. (v. 36.)

ANGÉLIQUE

Je ne puis pas revenir de ma surprise. Mais est-ce que le saint livre ne condamne pas cette action ?

MARTHE

Point du tout ; il n’y a pas un mot ni de blâme, ni de punition. On y voit même que l’Éternel bénit les deux enfants qui en naquirent, et leur postérité, (v. 37, 38.)

Oh ! mademoiselle, si nous savions combien d’artistes se plaisent, en secret, à contempler et à manier les ouvrages de leurs mains ! Si nous savions combien de laboureurs aiment à goûter des fruits de l’arbre qu’ils ont planté ! Il n’y a pas bien des années qu’un triomphe de l’amour, de telle nature, éclata dans la Prusse. Un père sensible aima très intimement sa fille, parce qu’elle était très aimable ; mais comme il ne la caressait pas dans une caverne de montagne, il y eut des yeux perçants qui découvrirent le mystère, et ce furent des yeux de prêtres : il n’en fallut pas davantage. On demanda sa mort au nom du Très-Haut. Mais ces ministres évangéliques ne pouvaient, par bonheur, satisfaire leur zèle sanguinaire sans le consentement du roi.

Le grand et immortel Frédéric qui, d’un bout à l’autre, savait par cœur sa Bible, dit aux ministres de charité :

« — Messieurs, il vous faut premièrement me prouver d’une manière évidente que cet homme que vous poursuivez pharisaïquement est le père de la fille ; quand vous m’aurez prouvé cela, à n’en pouvoir douter, je lui imposerai le même châtiment que votre Dieu infligea à Loth et à ses filles. En attendant, sachez, messieurs, que j’accorde à mes sujets une pleine liberté de croître et de foutre.

ANGÉLIQUE

Quel malheur que la nature ne produise que fort rarement des Frédérics ! Mais parlez-moi un peu du prophète Osée.

MARTHE

Voici, à peu près, ce qu’on lit à son premier chapitre :

« Lorsque l’Éternel commença à parler à Osée, il lui dit :

« — Tu vois bien, mon serviteur fidèle, que tout mon peuple va aux putains ; c’est la grande mode ; veux-tu te rendre singulier ? On dira que tu es un sauvage, un misanthrope. Pour captiver le peuple, il faut savoir s’accommoder à ses usages. Je t’ordonne donc de te choisir pour maîtresse une fille de joie qui soit de ton goût ; aies-en des enfants, et je les bénirai. »

Osée ne se fit pas dire cela deux fois ; il s’empressa même d’obéir, et voilà le putanisme approuvé par Dieu lui-même !

ANGÉLIQUE

Mais il y a là, peut-être, quelque allégorie.

MARTHE

Ah ! mademoiselle, si l’on veut avoir recours à un sens allégorique, il faudra composer une autre Bible, ou l’on finira par ne croire rien.

ANGÉLIQUE

N’oubliez pas qu’il vous reste à me parler d’Amnon et de Tamar.

MARTHE

Je vais vous satisfaire. Tamar était belle et Amnon, son frère, l’aima. (II, Samuel, 13. 1.) Cette passion le tourmenta si fort, qu’il en tomba malade ; car Tamar était vierge, et il semblait trop difficile à Amnon de lui faire quelque chose contre l’honnêteté. Remarquez, en passant, qu’on ne parle pas ici de faire quelque chose contre sa conscience, ou contre la loi divine, mais uniquement contre l’honneur, c’est-à-dire contre l’opinion des hommes.

Jonadab, son oncle, le voyant accablé de tristesse lui dit :

« — Pourquoi deviens-tu ainsi de jour en jour plus exténué ? Ne me le déclareras-tu pas ? »

Amnon lui dit :

« — J’aime Tamar, ma sœur. »

Mademoiselle, vous vous attendez peut-être à voir Jonadab fâché contre son neveu ; vous croyez, sans doute, qu’il va se répandre en reproches contre lui, ou employer au moins la douceur pour le ramener de son égarement. Point du tout, Jonadab ne voyait rien de criminel dans le projet d’Amnon ; pour cela il lui dit :

« — Couche-toi dans ton lit, fais le malade, et quand ton père viendra te voir, tu lui diras : « Que ma sœur Tamar vienne, je te prie, afin qu’elle me fasse manger, en apprêtant devant moi quelque viande, et que voyant ce qu’elle aura apprêté, je le mange de sa main… » (v. 5.)

Le bon oncle !

Amnon se coucha donc, fit le malade, et lorsque le roi vint le voir, il lui dit :

« — Je te prie que ma sœur Tamar vienne et fasse deux beignets devant moi, que je les mange de sa main. » (v. 6.)

David qui avait un bon cœur, un cœur de père, un cœur fait selon celui de son Dieu ; David qui se connaissait si bien en amour, qui pouvait, qui devait même craindre et prévoir les suites naturelles d’une demande si extraordinaire, David ne fit point de difficulté de mander la belle Tamar, lui ordonnant de se rendre chez son frère Amnon, et de lui apprêter quelque chose à manger, (v. 7.)

Tamar obéit donc ; elle trouva son frère qui était couché et dans une posture qui marquait bien l’appétit violent qu’il cherchait à satisfaire ; mais elle n’y fit pas d’abord attention : elle prit de la pâte, la pétrit, en fit des beignets, et les cuisit devant lui. (v. 8.)

Le feu était certainement bien allumé, et lorsque les beignets furent cuits, Amnon refusa d’en manger. Il voulait lui-même pétrir une autre pâte, et de la bonne manière. Il fit retirer tous ceux qui étaient auprès de lui, et chacun se retira, (v. 9.)

Alors Amnon se saisit de Tamar, et lui dit :

« — Viens, couche avec moi, ma sœur, c’est ton joli beignet que je veux manger. » (v. 11.)

Elle lui répondit :

« — Non, mon frère, ne me fais pas violence ; car cela ne se fait point en Israël ; ne commets point cette action infâme. Que deviendrais-je avec mon opprobre ? Et pour toi, tu passerais pour un insensé en Israël. » (v. 12, 13.)

ANGÉLIQUE

Ah ! ma bonne, vous voilà tombée vous-même dans un filet dont vous aurez bien de la peine à vous débarrasser. Ne réfléchissez-vous pas à la résistance de Tamar ? Elle s’opposait donc de tout son pouvoir aux désirs de son frère, parce qu’elle ne voulait pas commettre un crime.

MARTHE

Ne vous trompez pas, mademoiselle, en changeant les termes. Vous donnez le nom de crime, ou de péché, à une action que Tamar n’appelle que honteuse et insensée. Suivez, mot par mot, le discours de Tamar, et vous sentirez la force de son raisonnement. Elle ne dit pas : « Mon frère, ne commets point ce péché, ce crime qui nous rendra coupables devant Dieu. » Elle dit uniquement : « Mon frère, tu sais que cette coutume n’existe pas parmi les Israélites ; tu sais que notre peuple attache à cette action l’opprobre et l’infamie ; tu as fait retirer ton monde, cela donne lieu à des soupçons, et si l’on pénètre ton dessein, nous serons regardés, toi, comme un jeune homme insensé, et moi, comme une fille déshonorée. »

En effet, elle ne se refusait pas tout à fait aux vœux de son frère, puisque le texte sacré nous assure qu’elle dit à Amnon :

« — Maintenant, parles-en au roi, je te prie ; il n’empêchera point que tu m’aies pour femme. » (v. 13.)

Réfléchissez, en passant, que, quoique frère et sœur, ils auraient pu se marier, et que c’était au roi, et non pas au pontife, à en donner la permission.

ANGÉLIQUE

Est-ce qu’il en parla au roi ?

MARTHE

Il n’en eut pas le temps, il était trop pressé, il avait trop faim, et il avait la pâte entre ses mains pour la pétrir. Elle ne le voulait pas, mais son frère fut plus fort qu’elle, elle eut le dessous, et Amnon coucha sur le champ de bataille, (v. 14.)

ANGÉLIQUE

Voilà une amitié fraternelle, bien étroite, bien cimentée !

MARTHE

Que les jugements humains sont trompeurs ! Qui le croirait ? Amnon ne trouva pas, peut-être, le mets de son goût ; il s’aperçut, peut-être, que d’autres en avaient tâté ; peut-être ne découvrit-il que du hideux là où il s’attendait à trouver des charmes secrets. Amnon, après cela, eut pour la malheureuse Tamar une très grande haine, et la haine qu’il lui portait était plus grande que l’amour qu’il avait eu pour elle. (v. 15.)

ANGÉLIQUE

Ah ! le coquin ! Ah ! l’indigne ! Ah ! l’ingrat !… Voilà les garçons ! Et vous voulez… Ah ! si je prévoyais…

MARTHE

Gardez-vous bien, mademoiselle, de faire des réflexions trop précipitées. Je saurai bien, dans la suite, vous donner de tels conseils, qu’en les suivant, vous serez en état de vous mettre à l’abri de pareilles aventures. La pauvre Tamar fut donc chassée sans pitié ; elle se retira toute désolée dans la maison d’Absalon, son frère, qui, au lieu de déchirer davantage son cœur par des reproches injustes, y porta la consolation la plus touchante en lui disant (mademoiselle pesez bien ces mots) :

« — Ma sœur, tais-toi, il est ton frère, ne prends point ceci à cœur. »

C’est comme s’il lui eût dit : « Tu dois renfermer cette aventure dans un silence éternel ; Amnon, ton frère, se gardera bien d’en parler ; mets-toi donc dans l’esprit que cela n’a été qu’un badinage. »


La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre
La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre

La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre

LEÇON VI


MARTHE

Ah ! mademoiselle, permettez-moi d’avoir l’honneur d’être votre très humble servante.

ANGÉLIQUE

Que dites-vous là, ma bonne ? Rêvez-vous ? Pourquoi ces termes respectueux ? Pourquoi cette profonde révérence ?

MARTHE

Mademoiselle, je vous ai vue, en entrant, à votre toilette, prendre soin de votre parure ; mon abord vous devient importun, peut-être ; je pense que vous n’êtes pas disposée à prendre leçon ; c’est pourquoi…

ANGÉLIQUE

Vous vous moquez de moi. Ma toilette n’est point recherchée, et elle est bientôt finie. Je me suis parée, il est vrai, mais avec modestie, et je crois avoir mis assez de décence dans mon ajustement… Mais asseyez-vous, ma bonne, pourquoi ces façons ?

MARTHE

Vous badinez, mademoiselle, peut-on trouver mauvais que vous cherchiez à relever votre beauté naturelle par les puissantes séductions de la parure ? Sans l’art, la nature est peu de chose. Je suis très ravie de vous voir dans cet état ; mais pourquoi tant de modestie et de décence ? On dirait que vous avez très peu de marchandise à étaler, puisque vous fermez si bien tous les rideaux.

ANGÉLIQUE

Finissez donc et asseyez-vous ; je veux prendre ma leçon.

MARTHE

Mais laissez-moi avoir le plaisir de vous contempler un instant… Ah ! mon ange, voyez que de larmes de joie s’échappent de mes yeux. Ah ! que vous êtes mise à peindre ! Cette robe n’est pas tant brillante, mais elle est d’un goût ravissant ; cette parure est simple, mais elle relève vos charmes d’une manière piquante… Il faut vous mettre à la fenêtre… Il faut sortir… Que de gens, en vous voyant, aspireront à l’honneur de faire votre conquête.

ANGÉLIQUE

Je vous passe cette flatterie.

MARTHE

Mais consultez votre miroir, il vous dira que je ne suis pas une flatteuse.

ANGÉLIQUE

Mon miroir, ou mon amour-propre pourrait bien me tromper.

MARTHE

À vous dire vrai, hier en sortant de chez vous, je vis votre tailleuse et la marchande de modes avec qui elle entrait ; l’envie me prit de remonter après elles pour avoir le doux plaisir d’assister à cet agréable changement de décoration ; j’eus cependant la force de résister à ce désir impérieux, mais imprudent, dans l’espérance qu’aujourd’hui il serait accompli. J’allai donner quelques autres leçons, et en me rendant chez moi, sur le soir, je passai par ici ; je vous vis à la fenêtre ; il me sembla voir toute votre âme dans vos yeux ; vos yeux suivaient un jeune officier qui allait, qui venait, dont les regards enflammés annonçaient une passion naissante dans son cœur ; il disparut, mais, quelques moments après, je vis son domestique entrer chez vous : tout cela produisit la plus grande satisfaction à ma curiosité… Mais, pardon, mademoiselle, cette curiosité vous offense peut-être, et je vous prie…

ANGÉLIQUE

Ah ! ma bonne, je ne veux rien avoir de caché pour vous, et je veux moi-même vous faire confidence de tout ce qui s’est passé. Je regardais d’un œil avide le monde qui se promenait, et je démêlai bientôt ce jeune officier qui levait les yeux sur moi d’un air tendre et touchant. J’imaginai d’abord que c’était ce jeune militaire dont vous m’avez parlé, et qui a été, lui le premier, mon cher bienfaiteur. Le souvenir de sa générosité, le sentiment de la reconnaissance, son air enchanteur, tout remua mes sens, et m’inspira pour lui le plus vif attachement. J’avoue que je cherchai, par quelques regards de complaisance, à porter l’espoir dans son cœur… Ai-je mal fait, ma bonne ?… Mais je n’étais, dans ce moment, la maîtresse ni de mon cœur, ni de mes yeux. Un quart d’heure après un domestique entre, me remet ce billet : lisez-le, s’il vous plaît.

MARTHE

Non, non, mademoiselle, il me faudrait des lunettes, et je ne les ai pas sur moi. Dites-m’en seulement le contenu, si vous voulez bien avoir tant de complaisance pour moi.

ANGÉLIQUE

Écoutez donc.

« Au moment où un soleil se couche, un autre soleil infiniment plus brillant se lève sur un nouvel horizon. J’aime la religion de ces peuples qui adorent le soleil, image éclatante du dieu qui vivifie la nature. C’est donc à vous seule, mon soleil, que je rendrai à jamais mes plus profondes adorations. Permettez seulement, pour mieux vous contempler, que je puisse vous attirer plus près avec ma lunette d’approche.

« Agréez mon premier hommage, et croyez-moi très parfaitement, etc… »

MARTHE

Ce billet est vraiment original. Mais oserais-je vous demander quel était son premier hommage ?

ANGÉLIQUE

C’était un cœur tout en or, percé au milieu par une flèche, toute en argent ; et de petites pierreries entouraient l’endroit de la blessure.

MARTHE

Cet hommage est vraiment allégorique ! Que je serais curieuse de le voir !

ANGÉLIQUE

Je n’ai pas voulu le garder, je ne saurais dire pourquoi ; mais mon cœur palpitait ; je soupçonnais que ce n’était pas mon cher libérateur ; je croyais lui faire un grand tort ; enfin je le remis au domestique avec ordre de le rendre à son maître.

MARTHE

D’un côté, vous avez bien fait ; mais vous deviez au moins adoucir ce refus par un billet tendre et flatteur.

ANGÉLIQUE

C’est ce que j’ai fait, et voici ma réponse :

« Monsieur,

« Vous êtes un adorateur redoutable. Une flèche qui perce un cœur, m’annonce des plaies sanglantes… Votre lunette d’approche m’effraye… C’est vous plutôt qui êtes un soleil à mes yeux ; heureuse si je suis la lune qui emprunte de vous sa lumière. »

MARTHE

Ah ! ah ! vous profitez au delà de mes espérances.

ANGÉLIQUE

Mais tirez-moi de peine : vous qui l’avez remarqué, dites-moi, n’était-ce pas le chevalier qui vous a envoyée chez moi ?

MARTHE

Non certainement. Mais qu’est-ce que cela fait ?

ANGÉLIQUE

Dieu ! quel tremblement subit s’empare de mes membres ! Si ce jeune homme est un de ses amis…

MARTHE

Ah ! ah ! on voit bien que vous êtes encore novice.

ANGÉLIQUE

Vous avez beau dire, je ne veux m’attacher qu’à mon bienfaiteur, à lui seul…

MARTHE

Bon ! on verra cela. Mais, dites-moi, avez-vous signé ?

ANGÉLIQUE

Non.

MARTHE

Très prudent ! Savez-vous, mademoiselle, que vous surpassez de beaucoup mon attente ?

ANGÉLIQUE

J’ai une question à vous faire, à laquelle je vous prie de répondre, le cœur sur les lèvres. Ce domestique malicieux, en me présentant le billet et l’hommage de son maître, me fixait avec des yeux fripons ; il faisait un sourire malin ; il voulut me baiser la main, me dit beaucoup de bien de son maître, en m’encourageant à seconder ses vœux, en m’assurant que je goûterais avec lui tout le bonheur imaginable. Mais voici une pensée dont je me suis occupée et qui me frappe encore dans ce moment : Est-ce qu’un domestique peut, sans scrupule, pour contenter son maître, mener des intrigues galantes ?

MARTHE

Mais, mademoiselle, je ne vous reconnais pas. Tantôt vous remplissez mon âme de la joie la plus vive, lorsque vous vous montrez décidément disposée à suivre mes principes ; tantôt vous me plongez dans une profonde tristesse, en adoptant toujours des préjugés si peu raisonnables.

S’il est permis d’arriver à un but, les moyens pour y parvenir seront-ils défendus ? Écoutez les révérends pères Gaspar, Hurtado, Diana, Sanchez, et tant d’autres moralistes célèbres, et ils vous diront qu’un domestique peut, par ordre de son maître, aller chercher une fille de joie, l’accompagner à la maison, ouvrir la porte, lui le premier, préparer le lit et tout ce qu’il faut pour la vie unitive. Ils vous diront qu’un fils en peut faire autant pour contenter son père, qu’un ami peut prêter, ou louer une chambre à son ami, pour y donner des leçons de grammaire, et y accorder le genre masculin avec le féminin[14].

ANGÉLIQUE

Ma bonne, je vois qu’en me donnant vos leçons, vous avez la coutume de prononcer des phrases à double sens ; cela m’amuse, mais cela m’embarrasse aussi parfois. Vous venez de me dire qu’un domestique peut ouvrir la porte, lui le premier ; vous avez proféré ces mots en souriant ; je gagerais que cette expression donne beaucoup de prise à l’équivoque.

MARTHE

Il n’y a pas là à deviner. Oui, mademoiselle, quand vous aurez un peu plus d’expérience du monde, vous verrez que ces coquins ont la hardiesse, l’audace, l’effronterie de prétendre jouer au même jeu que leurs maîtres, et en avoir la primauté. Mais gardez-vous-en bien. Ces francs vauriens font accroire à des cœurs faibles et crédules qu’il dépend absolument d’eux de rallumer ou d’éteindre la passion naissante de leurs maîtres ; en un mot, que le bonheur des filles qu’on recherche est entre leurs mains ; et si quelque fille imbécile se laisse aller à cette amorce dangereuse, ces cochons qui se roulent dans tout bourbier ne font que souiller le chemin que leurs maîtres veulent prendre ; et la pauvre fille abusée, au lieu de faire son bonheur, ne se rend qu’un objet digne de mépris et de haine.

ANGÉLIQUE

Ah ! ma bonne, vous me gagnez tout à fait par ce discours. Je vois à présent que vous ne me conseillez pas de m’abaisser à des actions avilissantes, et qui me dégraderaient à mes propres yeux. Eh bien ! voyez si ma confiance en vous est entière. Ce domestique, dont je vous ai parlé, me fit certaines propositions, point équivoques, qui décelaient son âme de boue ; mais je ne lui répondis que par un soufflet bien appliqué sur son visage boursouflé.

MARTHE

Bien fait, mademoiselle, très bien fait ! Vous auriez dû, après cela, ajouter une ligne à votre billet de réponse, pour avertir son maître que ce gueux voulait monter sa lunette d’approche pour vous mirer le premier… Mais non ! ces êtres dangereux ont assez la coutume de décacheter fort adroitement les billets doux dont ils sont porteurs, soit pour contenter cette curiosité insatiable qui les porte sans cesse à vouloir pénétrer dans les secrets de leurs maîtres, soit pour en tirer parti aux occasions qui se présentent.

Je veux vous raconter une aventure fâcheuse arrivée il y a peu de temps à Parme. En cas que vous vous mariiez, je vous prie de repasser souvent dans votre esprit cet événement, qui peut bien vous servir de leçon.

La comtesse N*** s’était unie par des vœux éternels au sort du marquis P***. La première année de son mariage elle n’eut avec lui qu’une âme, qu’une vie ; et ils offraient à tout le monde étonné le tableau le plus parfait de l’union conjugale. Mais, comme tout ici-bas est sujet au changement, leurs sentiments mutuels s’affaiblirent dans la suite. Le marquis fut le premier à changer de mets. Son épouse s’en aperçut, elle fit tout ce qu’elle put pour le guérir de sa nouvelle passion ; mais quand elle le vit insensible à ses plaintes et à ses pleurs, elle prit la résolution que la nature elle-même dicte en pareil cas, c’est-à-dire, payer de la même monnaie.

Parmi les jeunes chevaliers qui fréquentaient la maison, elle en distingua un qui était vraiment un objet digne de ses affections. Les yeux furent les premiers interprètes des sentiments de son cœur ; il ne fut pas sourd à leur langage éloquent, et on n’attendait que l’occasion favorable pour redoubler leur attachement mutuel. Cette occasion ne tarda pas à se présenter, et la jeune épouse, sans expérience, et par conséquent imprudente, écrivit quelques lignes à son amant, appela un de ses domestiques et lui dit :

« — Je te prie de te charger de ce billet, et voilà deux louis pour ta peine. »

Ce coquin lui promet d’agir avec discrétion, et sort : mais quelques minutes après il rentre, et prenant le ton d’un déclamateur, il parle :

« — Madame, je vous félicite de ce que vous voulez, comme tant d’autres, arborer l’étendard de la philosophie, à savoir, celui de l’humanité. Ah ! que c’était bien dommage que l’hymen, ce lien si triste et si horrible, eût attaché vos charmes et vos sentiments à un seul objet ! Aimer un homme jusqu’à la mort, et n’aimer que lui seul ? Quelle absurdité ! Mais je vois bien, pour cette fois, que l’amour n’est point aveugle ; l’objet que vous avez choisi pour être le suffragant de mon maître, a les qualités les plus distinguées pour être digne d’occuper sa place ; il est juste que monsieur le marquis souffre la peine du talion… Ambassadeur d’amour, je vais donc apporter l’heureuse nouvelle à votre Adonis. Mais, puisque j’ai la clef dans mes mains, — en disant cela il montre le billet qu’elle a tracé — vous me permettrez bien, madame, d’avoir le bonheur d’ouvrir, moi le premier, le temple de Cupidon ; de me prosterner devant son autel, et d’y allumer mon cierge ; autrement je cours auprès de votre époux qui est à son château, et, en domestique fidèle, je lui remets votre billet. »

Il m’est impossible de vous peindre la situation de madame. Tantôt pâle, tantôt toute en feu, confuse, éperdue, elle l’accabla d’abord des reproches les plus durs ; bientôt après, elle joignit à ses larmes les supplications les plus touchantes pour fléchir son cœur ; il tint ferme, et la malheureuse dut succomber sous le poids de l’oppresseur. Mais comme cet indigne avait bu à des sources empoisonnées, il communiqua sa maladie à madame, et celle-ci en fit un don au jeune comte.

Le mystère ne put pas rester longtemps voilé. Le comte tua de ses propres mains ce domestique, et s’expatria ; et la marquise se détermina elle-même à finir ses jours dans un couvent.

ANGÉLIQUE

Dieu ! quelle leçon pour moi ! Mais savez-vous bien, ma bonne, que la crainte de recevoir des offrandes impures et souillées peut seule me retenir d’ouvrir mon temple à personne ? Cette maladie honteuse et humiliante, dont j’ai entendu parler quelquefois, me fait horreur.

MARTHE

Ne craignez rien, mademoiselle ; nous en parlerons un autre jour, et nous aviserons aux moyens de l’éviter. Mais puisque nous sommes sur l’article des domestiques, je veux vous parler de quelques autres tours qu’ils savent jouer pour venir à bout de leurs desseins.

Quelquefois ils ont l’adresse d’emprunter secrètement les plus beaux habits de leurs maîtres ; élégamment parés, ils se présentent chez quelque fille ou femme, dont la conduite est, ou paraît favorable pour satisfaire leurs désirs ; ils affectent un air noble, un raisonnement étudié ; et pour avoir une libre entrée, ils savent être généreux en offrant des effets de valeur qu’ils ont volés ou gagnés industrieusement à leurs maîtres. Après quoi la fille, ou la femme qui leur a bonnement accordé des faveurs, devient l’objet de leurs moqueries les plus outrageantes.

ANGÉLIQUE

Vous ne manquerez pas de m’enseigner à éviter des aventures si affligeantes.

MARTHE

N’en doutez pas… D’autres fois, un homme à livrée se présente ; il donne un faux billet ; il invite la femme chez son maître, qui attend, dit-il, dans la dernière impatience. Des titres magnifiques, des offres généreuses ; le chemin ouvert au bonheur ; il n’y a point de temps à perdre ; car le carrosse est à la porte. La femme se laisse éblouir, se laisse gagner, tombe dans le piège, et le carrosse emprunté la guide, par des chemins inconnus, dans un endroit écarté où, bon gré mal gré elle doit être le jouet du cocher et de ses camarades. Après quoi on la ramène en triomphe, blessée, presque à la mort.

ANGÉLIQUE

Dieu ! vous me faites frémir ; mais la police ne saurait-elle punir ces assassins ?

MARTHE

La malheureuse oserait-elle en parler ?… Encore deux traits sur les ruses et les artifices que ces perfides savent employer pour aller à leurs fins.

Un domestique voulait absolument manger au même plat que son maître. Ne pouvant autrement atteindre le but qu’il s’était proposé, un jour que son maître était allé dehors pour ne revenir que le lendemain, il entra d’un air triste chez la jeune favorite et lui dit :

« — Mademoiselle, je viens de la part de mon maître vous prier de vous rendre chez lui ; il est un peu indisposé, il garde le lit ; mais vous avez un remède efficace qui lui procurera une évacuation salutaire, et il sera guéri. Venez ce soir, incognito, deux heures après que le soleil sera couché, et je vous introduirai dans son appartement. Si vous manquez, s’il vous délaisse, ce ne sera pas ma faute. »

La sotte se laisse tromper ; et l’introducteur s’introduisit bientôt lui-même ; et après de longs voyages, il eut la bonté d’âme de se montrer, de la remercier d’un air moqueur, de la laisser sortir du palais, toute honteuse, avant que le monde fût levé.

ANGÉLIQUE

Était-il cochon ce domestique !

MARTHE

Non, mademoiselle. Il y en a de bons et de méchants dans toutes les classes. Elle ne s’était pas mal trouvée au change, elle n’avait pas passé une mauvaise nuit ; c’est pourquoi elle rentra chez elle un peu honteuse, mais non pas chagrine.

ANGÉLIQUE

Vous êtes toujours badine. Mais il vous reste, ce me semble, un autre trait historique à me rapporter.

MARTHE

Oui, mademoiselle, mais mon ton badin doit se changer en sérieux.

Monsieur le baron R*** dégoûté de sa femme, trouve le moyen de se rendre aimable, ou pour mieux dire, de faire aimer son argent à une jeune demoiselle qui était belle comme on nous peint Vénus. Il sut longtemps dérober sa passion à tous les yeux, soit parce qu’il allait, déguisé avec précaution, offrir ses sacrifices nocturnes à la déesse, soit parce que cette déesse se métamorphosant en toutes sortes de figures, daignait parfois descendre jusqu’à lui. Un des domestiques du baron était seul dans le secret, lorsqu’il fallait introduire cette divinité dans son appartement. Mais, hélas ! ce domestique voulait entrer dans la même carrière, et notre nouvelle Vénus fut assez imprudente, ou assez fière, pour vouloir se tenir toujours avec son Adonis. On regarda ses refus comme des marques d’orgueil et d’ingratitude ; on pensa à la vengeance ; l’on avertit la baronne : celle-ci se mit aux aguets ; et un beau soir, à peine cet heureux couple s’était amoureusement entrelacé, qu’elle entra toute furieuse avec un commissaire qu’elle avait mandé à propos. Elle vomit contre son époux les mots les plus outrageants, épuisa toutes les épithètes les plus insultantes contre la malheureuse, et la fit passer, du lit de son mari, dans une maison de correction.

ANGÉLIQUE

Oh ! ma bonne, ces tristes aventures me dégoûtent entièrement, m’effrayent, me…

MARTHE

Vous êtes bien timide, mademoiselle, bannissez vos craintes chimériques. Par tout chemin on trouve des pierres, mais on a des yeux pour ne pas les rencontrer.

Si je vous avertis des dangers auxquels vous pouvez être exposée, ce n’est que pour vous apprendre à les éviter. En général, vous ne devez jamais vous fier aux messages des domestiques d’autrui. En supposant que votre grand cœur s’ouvre un jour à plusieurs amants, et qu’on vous apporte des billets doux, recevez-les, mais ne faites jamais de réponse par écrit. De cette manière, ni les domestiques ne pourront satisfaire leur curiosité ou tirer parti de vos réponses, ni vos amants eux-mêmes, dans des moments d’inconstance ou d’infidélité, n’auront aucune de vos lettres à montrer pour vous rendre ridicule ou méprisable.

S’il vous faut absolument entretenir correspondance de lettres avec quelqu’un, n’écrivez point, mais que des aiguillées de fil, ou de petits traits de pinceau, suppléent à votre écriture. D’intelligence avec votre bien-aimé, le fil blanc marquera que vous accordez la grâce qu’on vous demande ; le fil vert, que vous ne l’accordez pas encore, mais que vous en donnez de bonnes espérances ; le rouge, que le champ de bataille est ensanglanté, et que ce n’est pas bien fait de s’y coucher ; le jaune, que vous êtes malade ou indisposée ; le noir, que quelque chagrin cuisant, ou quelque malheur imprévu vous rend invisible : plusieurs fils de différentes couleurs, étroitement enlacés, feront comprendre qu’il est survenu de forts obstacles, et qu’il faut les surmonter pour contenter ses désirs ; un fil rompu et mis en plusieurs morceaux marquera que, pour de fortes raisons, vous êtes contrainte de rompre avec lui ; etc…

Voulez-vous vous servir plutôt du pinceau ? Dessinez, par exemple, une petite maison. Si la porte est ouverte, cela signifie qu’on l’attend, et qu’il peut entrer ; vous mettez au bas un chiffre arabe, ou romain, un 8, un 9, etc. ; c’est l’heure que vous indiquez pour venir… Tracez une maison fermée partout ; laissez seulement une fenêtre ouverte du côté que vous trouverez le plus à propos ; que la lune soit peinte au-dessus de la maison ; et il comprendra qu’il doit profiter du silence de la nuit, et entrer par là dans le sanctuaire de l’amour… Dessinez une allée d’arbres touffus ; mettez en chiffre le nom de l’endroit, et il comprendra que c’est dans un bosquet que vous lui donnez rendez-vous, etc., etc…

De telles lettres, quoique interceptées par hasard ou par malice, ne pourront jamais répandre sur vous, ni le ridicule, ni le mépris.

ANGÉLIQUE

J’aime infiniment cette nouvelle manière d’écrire.

MARTHE

Si quelque domestique habillé en maître, ou qui que ce soit, de basse extraction, déguisé en grand seigneur, cherche à vous en imposer, en vérité, mademoiselle, je n’ai d’autre conseil à vous donner, si ce n’est que, dans ce cas, vous écoutiez votre cœur, et que vous en suiviez le mouvement. Pour moi, je vous l’avoue, cela m’est arrivé bien des fois dans ma jeunesse. Le premier entretien était toujours sans conséquence ; à la seconde entrevue, si la pluie de Jupiter tombait, je me disais à moi-même, en philosophant : « Ne sommes-nous pas tous enfants d’Adam ? » Et je leur donnais à goûter du fruit placé au milieu du jardin.

ANGÉLIQUE

Vous n’étiez pas trop difficile, ma bonne.

MARTHE

J’ai toujours aimé à soulager l’humanité souffrante… Si quelque domestique vient vous prendre pour vous voiturer, ne vous y fiez pas ; et s’il vous faut absolument bouger, marchez à pied ; cela est bon pour la santé, le mouvement donne de l’appétit ; allez au rendez-vous, mais habillée en garçon ; et exigez que la chambre où vous coucherez soit bien fermée en dedans, et éclairée ; regardez bien partout avant de vous coucher. En un mot, si la prudence vous accompagne, elle vous empêchera toujours de parler ou d’agir mal à propos, et elle vous sauvera de tout danger.


La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre
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La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
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LEÇON VII


MARTHE

Je n’oublie pas, mademoiselle, qu’il me faut enfin peser mes maximes, devant vous et avec vous, à la balance de la raison. Ce n’est donc pas à ma voix, c’est à celle de la raison que vous devez aujourd’hui prêter l’oreille.

Qu’est-ce que la raison ?

C’est une lumière divine qui brille dans nos âmes, qui nous fait discerner le bien du mal, le vrai d’avec le faux.

On nous dit souvent, et on veut nous le faire croire, que la raison est une puissance de notre âme qui nous distingue des bêtes ; comme si les bêtes ne savaient pas raisonner !

Dieu et la nature n’ont fait de l’homme qu’un animal, plus parfait que les autres, à la vérité, mais toujours un animal ; les hommes, par orgueil, n’ont jamais voulu se rendre justice, et ils ont eu la présomption de se croire autant de dieux sur la terre. Mais leurs grandes sottises, leurs erreurs, leurs crimes, en s’éloignant de leur nature, doivent bien leur faire comprendre que plus on prétend s’élever, et plus on est prêt de faire des chutes fort humiliantes.

L’homme a reçu en partage une portion plus abondante de cette lumière céleste, j’en demeure d’accord ; mais les bêtes mêmes n’en sont point dépourvues, et il serait à souhaiter, pour le bonheur de l’humanité, que les hommes fissent toujours un aussi bon usage de leur raison, que le font les bêtes de ce qu’on appelle leur instinct.

On dit que la nature n’a donné aux animaux qu’un certain sentiment qui leur fait connaître et chercher ce qui leur est bon et éviter ce qui leur est mauvais. Mais ce sentiment, commun à l’homme et aux bêtes, serait un bien petit présent de la nature, s’il n’était pas accompagné de la faculté de raisonner !

À proprement parler, on doit prendre l’instinct pour un premier mouvement sans réflexion. Lorsque l’homme et les autres animaux agissent sans réflexion, voilà l’instinct ; quand ils réfléchissent avant d’agir, voilà le raisonnement.

ANGÉLIQUE

Et vous pouvez soutenir que les animaux ont des idées, qu’ils font des réflexions, qu’ils raisonnent ?

MARTHE

Sans doute, mademoiselle. Qui peut, par exemple, penser à l’industrie la plus charmante, au génie, au talent, aux mœurs, au caractère singulier des abeilles, sans leur accorder un raisonnement ? Pouvons-nous présenter à notre esprit une fourmilière, observer la paix, l’union, la bonne intelligence, l’activité, les secours mutuels de cette petite république si bien disciplinée, sans accorder aux fourmis la puissance de raisonner ? Peut-on penser à la vie républicaine, à l’adresse, à l’intelligence, à tant de qualités sociales des castors, sans avouer que ces animaux réfléchissent et raisonnent ?

Observons le lièvre, cet animal naturellement peureux, et qui doit souvent son salut à son caractère inquiet et défiant, à la finesse de l’organe de l’ouïe, et à la rapidité de sa course. Supposons qu’il veuille ou qu’il doive, en hiver, traverser une petite rivière glacée depuis peu : s’il se met à la passer sans précaution, — ce qu’il ne fait jamais — si la glace n’est pas assez solide, si elle se rompt, s’il s’enfonce dans l’eau, c’est sa faute, il n’a agi que par instinct. Mais s’il applique premièrement son oreille très fine, pour voir s’il entend, ou non, le bruit de l’eau qui court sous la glace, — ce qu’il fait toujours — il agit avec raisonnement.

Mettez un petit chien sur une table, jetez sur le plancher, devant ses yeux, quelque morceau friand ; l’avidité de l’attraper le pousse à se jeter en bas, il se fait du mal en sautant, voilà l’instinct : mais cela arrive fort rarement. Placez une chaise tout près de la table, vous verrez que le petit animal fera premièrement quelques tours, comme pour mesurer des yeux si le saut est proportionné à ses forces ; il aperçoit la chaise, il saute d’abord sur la chaise, puis sur le plancher ; voilà le raisonnement.

ANGÉLIQUE

En vérité, ma bonne, vous allez me faire un traité sur les bêtes ; mais quelle est votre intention, s’il vous plaît ?

MARTHE

De marcher à mon but par le bon chemin. Vous devez savoir que tous les animaux, jusqu’aux plus petits insectes, cherchent continuellement, et avec la plus grande liberté, à s’unir mâle et femelle, soit pour conserver leur espèce, soit pour s’amuser. Il faut donc croire qu’ils font cela, non par instinct, mais par raisonnement. Car si la nature… Que dis-je ? si Dieu lui-même a accordé à tous les animaux, à l’homme même, une liberté illimitée de croître et de multiplier, pourquoi les autres animaux continueront-ils à jouir de ce beau privilège, et ne sera-t-il interdit qu’à l’homme ?

ANGÉLIQUE

Mais ne serait-ce pas nous mettre au niveau des brutes, que de vouloir nous amuser, comme elles, sans aucun frein, sans aucune modération ?

MARTHE

Mais ne serait-ce pas rendre l’homme infiniment inférieur aux animaux, que de vouloir le dépouiller d’un privilège dont ils jouissent en pleine liberté ? Si vous voyiez, dans une grande monarchie, tous les sujets livrés, sans contrainte, aux divertissements les plus charmants, aux plaisirs les plus doux, et leur roi, presque prisonnier dans son palais, ne goûter que quelques amusements insipides, jamais variés ; quel jugement porteriez-vous sur cette nation ? Vous diriez sans doute que la raison ne règne point dans ce pays-là, que le roi est un imbécile, ou que les sujets sont infiniment plus heureux que leur maître. L’homme est le chef-d’œuvre de la création, le roi des animaux ; ceux-ci sont ses sujets : faites-en l’application, elle est très juste.

ANGÉLIQUE

Mais j’ai entendu dire quelquefois que plus on fait de raisonnements, plus on affaiblit l’usage de la raison ; que notre raison est fort bornée, que sa lumière est souvent incertaine, que nous devons plutôt écouter la voix de la conscience, de ce tribunal irréprochable, de ce juge intègre, de ce conseiller infaillible, qui nous reproche et nous condamne d’avance lorsque nous faisons le mal.

MARTHE

Vous me récitez là une grande capucinade. Vous ne savez pas encore que conscience et éducation sont synonymes ? Ce que l’on appelle conscience, n’est que l’effet des maximes qu’on nous a fait sucer, pour ainsi dire, avec le lait.

Il n’y a qu’un Dieu, il n’y a qu’une nature, il ne doit donc y avoir qu’une seule lumière universelle, pour éclairer également toutes les créatures. Les nations jugent si différemment les unes des autres sur les mêmes objets ! Ce qui est péché dans un pays, est une action digne de louange dans un autre ; ce qui est défendu parmi ceux-ci, est permis, ordonné même parmi ceux-là. Ce n’est donc pas la conscience, ce n’est donc pas la voix de nos pédants qui doit nous guider ; c’est l’examen impartial, fait par nous-mêmes, des principes incontestables et universels établis par la nature ; c’est ce flambeau divin qui éclaire également tous les cœurs, qui doit nous aider à mettre au jour les impostures de nos docteurs, qui dans le dessein infernal de dominer sur nos esprits et de les tyranniser, cherchent à nous rendre les esclaves les plus vils qui puissent ramper sur la terre.

ANGÉLIQUE

Voilà bien du sérieux ! Je vous prie, ma bonne, de prendre un ton plus doux, badin même, si vous voulez que je vous écoute à mon aise.

MARTHE

Je veux vous obéir. Pourquoi avons-nous des yeux ? Pour voir… Pourquoi des oreilles ? Pour entendre… Pourquoi une bouche ? Pour parler et manger… Et pourquoi donc l’autre bouche ? si ce n’est pour la convittraction ?… L’envie nous prend de promener çà et là nos regards, et de contenter notre curiosité, et nous le faisons ; et il n’y a que les aveugles qui, par malheur, sont privés de ce plaisir… L’occasion se présente d’entendre les doux accords de quelques instruments, ou les accents variés d’une voix mélodieuse et tendre, nous y prêtons l’oreille, et nous en sommes ravis ; il n’y a que les sourds qui ne peuvent pas jouir de ce charme… On nous invite à faire une jolie promenade dans des lieux enchantés, on s’y rend ; il n’y a que les boiteux et les estropiés qui doivent garder le foyer… On a besoin de se moucher, on se mouche… de cracher, on crache… de pisser, on pisse… etc… On a besoin de foutre, et on voudra nous le défendre ! Y a-t-il là de la raison ?

ANGÉLIQUE

Mais on ne défend pas le mariage.

MARTHE

Parlez de mariage autant qu’il vous plaira ; mais, en attendant, le besoin peut presser ; et la pauvre fille est-elle obligée de passer un long carême et de jeûner avant d’aller à la communion ? On a des outils pour travailler, doit-on les tenir oisifs, lorsqu’on est porté au travail ? Cela est-il raisonnable ?

Il arriva du temps de Benoît XIV, de ce pontife célèbre qui sut se rendre respectable aux ennemis mêmes du papisme, il arriva, dis-je, qu’un fameux peintre florentin, se trouvant à Rome, fut invité à embellir, par diverses représentations de saintes images, l’église intérieure d’un monastère de filles. Mais son pinceau fit trois miracles, puisqu’il produisit trois figures vivantes, ayant engrossé trois jeunes religieuses.

La vieille supérieure s’aperçut du prodige, et en parla au vieux cardinal qui était leur directeur. Celui-ci se présenta tout de suite devant le pape, et poussant des soupirs affectés, et regardant les cieux d’un œil pharisaïque, il lui dit :

« — Oh ! très saint Père, quelle nouvelle accablante dois-je vous annoncer ! Je sens le coup que je vais porter à votre cœur si sensible.

« — Qu’y a-t-il de nouveau ? Quelque écrivain, peut-être, quelque nouveau philosophe, sous prétexte d’éclairer l’humanité, répand dans son ouvrage des principes et des maximes répréhensible, odieuses ?…

« — Non, très saint Père.

« — Quelque roi, peut-être, ouvre enfin les yeux, et reconnaît son pouvoir aux dépens du nôtre ?

« — Non très saint Père,

« — Finissez donc ; quoique suprême pontife, je ne suis ni prophète, ni sorcier pour deviner.

« — Ah ! saint Père, il y a trois jeunes religieuses, auxquelles un diable de peintre a fait avaler sa queue empoisonneuse ; elles sont déjà hydropiques, mais de cette hydropisie qui ne dure que neuf mois.

« — Cazzo[15] ! il n’y a que cela ? Et vous ne savez m’apprendre que d’une manière énigmatique une chose qui est dans l’ordre de la nature ? N’est-ce pas beaucoup que ces pauvres filles passent toute leur vie dans une cruelle prison ? Quand un bon pinceau trouve de bonnes couleurs, qu’y a-t-il de plus raisonnable que de peindre d’après nature ? Qu’on ne fasse point de mal à ce pauvre peintre, car c’est le premier Florentin qui ait su se tenir dans le droit chemin. »

Le lendemain, ayant mandé ce peintre il lui dit :

« — Cazzo ! tu sais bien manier ton pinceau ! » Il dit cela d’un ton si joyeux, que mon homme ne perdit point courage, et avoua le fait sans détours. Pressé par le pape de lui faire un détail exact de ses exploits, il répondit :

« — Ah ! saint Père, vous savez mieux que personne que l’occasion fait le larron : l’on sait aussi, et je ne dis pas cela pour m’en vanter, que c’est plutôt la nature que mon art qui se montre dans mes ouvrages de peinture. J’exerçais mon métier dans le couvent ***, comme on vous l’a rapporté ; j’avais peint à fresque çà et là, sur les murailles du chœur, de petits anges, tels qu’on les représente à notre imagination, c’est-à-dire de petits poupons tout nus et ailés ; je n’y avais peint que des anges mâles, car mon catéchisme ne m’a jamais enseigné qu’il y eût des anges femelles. Or, trois sœurs… que dis-je, trois Grâces sous l’habit de religieuses, venaient tous les jours voir et regarder mes peintures. À leur approche, je l’avoue, un pinceau me tombait des mains, un autre aurait voulu se mettre à l’ouvrage. Elles aimaient à me faire des questions, entre autres elles en hasardèrent une à laquelle je ne m’attendais pas.

« — Comment appelez-vous, me dirent-elles, cette jolie machine qu’on voit entre les cuisses de vos charmants poupons ?

« — Ce sont des anges, mes révérendes mères, et non pas des poupons…

« — Bon ! nous ne savons pas encore ce que c’est qu’être mères ; mais nous savons bien que les anges ne sont que de purs esprits.

« — Vous êtes plus savantes que moi ; mais comme mon pinceau n’a point la faculté de peindre des esprits, je leur donne un corps tel que le nôtre…

« — Tel que le nôtre, fi donc ! nous n’avons point de ces machines-là. Mais, encore une fois, comment la nommez-vous ?

« — On l’appelle : Vertu créative.

« — Ah ! ah ! ah ! Cette vertu créative est bien faible, tant qu’ils sont petits ; il faut attendre qu’ils aient fait tout leur cru, comme vous ; cette vertu aura alors toute son efficacité… »

« — Ah ! saint Père, dispensez-moi de continuer ; vous savez que de simple peintre, je suis devenu créateur de trois enfants.

« — Ah ! coquin ! dit le pape, quel châtiment ne mérites-tu pas ? Tu as donc fait les cornes à Jésus-Christ, puisque tu as souillé trois de ses épouses !

« — Que l’on me pende sur-le-champ, répliqua le peintre, si je les ai trouvées pucelles ; ce n’est certainement pas leur époux, ni moi, qui les avons dépucelées. Mais si Jésus-Christ m’a pardonné, car je m’en suis confessé, ne me pardonnerez-vous pas, vous qui êtes son vicaire ? »

Le pape fit un éclat de rire, et se contenta de le renvoyer à Florence, avec ordre de ne plus peindre dans ses États.

Le jour après, il envoya aux trois religieuses l’ordre exprès de languir dans les agitations d’une fièvre violente, c’est-à-dire de faire les malades ; les médecins ordonnèrent aussi, par ses conseils, qu’il fallait leur faire prendre l’air de la campagne. On les amena, de la manière la plus secrète, chacune chez ses parents ; et après leur guérison, elles rentrèrent, sans bruit et sans scandale, dans leur monastère.

ANGÉLIQUE

Ce pontife était bien bon, bien raisonnable. Mais, j’ai une objection à vous faire. Moi, par exemple, je ne me sens point du tout portée à ces badinages. J’ai parcouru plusieurs fois ce livre que vous me donnâtes à notre première entrevue ; cette lecture m’a fait plaisir, il est vrai, mais la nature est encore muette pour moi, mes sens demeurent presque toujours tranquilles. La raison veut donc, ce me semble, que je m’en abstienne, puisque nulle inclination bien forte ne m’y entraîne.

MARTHE

Je ne prends, mademoiselle, ce que vous me dites là que pour une pure supposition. Mon livre, mes leçons n’ont donc fait jusqu’ici que quelque impression sur votre esprit, et point du tout sur vos sens ? Depuis que je vous parle de ces badinages, vous avez fait quelques rêves ; ces songes agréables vous ont charmée. Si vous avez rêvé que vous jouissiez des caresses et des embrassements de votre amant, ou d’un homme quelconque, si cela vous a causé, pendant le sommeil, quelque volupté, c’est une disposition naturelle à vous y livrer.

ANGÉLIQUE

Me croyez-vous si sotte que je me plaise à courir après des fantômes ? Je sais bien que, aussitôt éveillée, le prestige de l’illusion cesse, et tout s’évanouit.

MARTHE

Je ne vous nie pas cela ; mais aussi, vous devez m’accorder que les rêves de ce genre deviennent souvent des réalités.

Mais je veux être tout à fait raisonnable, puisque l’on parle de raison. J’avoue qu’on ne doit jamais forcer son tempérament ; que l’on ne peut forcer l’âge où les tempéraments se développent, et qu’il faut toujours agir selon noire complexion. Les uns à treize ans auront déjà un penchant insurmontable à la bagatelle, tandis que d’autres à vingt ans seront insensibles aux traits de l’amour. Mais tôt ou tard l’amour veut que ses droits soient respectés. Nous avons un proverbe qui dit : « Tout cheval, jeune ou vieux, doit casser sa bride. » Que ceux qui n’ont point de tempérament soient tranquilles et chastes, à la bonne heure ; mais que ceux qui en ont, à quelque âge que ce soit, cèdent à sa force ; c’est la voix de la raison, c’est l’ordre de la nature… Écoutez, s’il vous plaît, une jolie historiette.

Un père avait quatre filles ; il leur avait donné une éducation vraiment philosophique. Il leur tint un jour ce discours :

« — Il se présente un bon parti pour une de vous quatre. Le prétendu prendra de ma main celle qu’il me plaira le plus de lui accorder. Courage, mes filles, vous me connaissez, il faut être sincères avec moi. Celle qui fera la réponse la plus exacte et la plus satisfaisante à la question que je vais hasarder, sera l’épouse. Vous avez chacune deux bouches, vous le savez bien ; dites-moi donc nettement laquelle des deux est la plus vieille, celle d’en haut, ou celle d’en bas ? »

Les quatre filles rougirent un peu, se regardèrent en souriant les unes les autres ; mais pressées par leur bon père de répondre, l’aînée prit la parole et dit :

« — Je pense que c’est celle d’en haut, parce que ma bonne maman, en m’expliquant le mystère de ma naissance, me dit que j’étais née la tête la première. »

La deuxième fille ajouta :

« — Et moi je pense le contraire, parce que celle d’en bas a déjà la barbe, et que celle d’en haut n’a pas encore un seul poil. »

La troisième parla à son tour et dit :

« — Je soutiens que c’est la bouche d’en haut qui est la plus vieille, parce qu’elle a pris toutes ses dents, et l’autre n’en a pas encore une. »

La plus jeune dit enfin son sentiment :

« — Ah ! mon père, je crois que la bouche d’en haut est la plus vieille, parce qu’elle a déjà pris son lait et que l’autre en demande. »

De ces quatre filles, à laquelle croyez-vous, mademoiselle, que le père donna la préférence ?

ANGÉLIQUE

Je gage que ce fut à la dernière, la plus jeune, ah ! ah ! ah !

MARTHE

Vous avez deviné juste. Concluons donc que, lorsque la bouche demande du lait, il faut qu’un mari ou un amant lui en donne.


La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre
La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre

La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre

LEÇON VIII


ANGÉLIQUE

Venez, ma bonne, me voici prête à vous écouter, mais prête aussi à vous faire une objection imprévue peut-être et insoluble. D’où vient que tous nos ecclésiastiques, qui sont les ministres du Très-Haut, prêchent, enseignent et soutiennent que la chasteté, la virginité, le célibat en un mot, est un état de perfection pour l’homme ?

MARTHE

Ah ! ah ! cette objection vous paraît insoluble ? Elle se rétorque par une autre objection bien plus forte. En vous accordant, pour un instant, votre proposition, je vous demande : L’homme peut-il être parfait sur cette terre ? Avons-nous une idée distincte de la vraie perfection ?

Dieu a dit lui-même, dès la formation du monde : « Ce n’est pas bon que l’homme soit seul, il lui faut une femme. » Il ordonna à tous deux de croître et de multiplier. Nos ecclésiastiques nous disent : « Ne croissez pas, ne multipliez point. » À qui faut-il obéir ? Il vaut infiniment mieux obéir à Dieu qu’aux hommes.

Ne savez-vous pas que dans les premiers siècles de l’Église, le célibat était en horreur, et que les évêques eux-mêmes avaient au moins une femme ? Ne savez-vous pas que le système du célibat est le chef-d’œuvre de la politique romaine ? Tant de prêtres et de moines, dévoués aveuglément au Saint-Siège, n’ayant ni femme ni enfants à eux, qui les attachent solidement à leur patrie, sont toujours prêts à écouter les oracles du Vatican, à se révolter contre leurs souverains légitimes, et à soutenir, les armes à la main, les prétendus droits du pontife ! Voyez-en, mademoiselle, un exemple tout récent dans la révolution des Pays-Bas.

Ces messieurs prêchent que le célibat est un état de perfection, mais c’est dans le dessein d’en imposer au peuple, de faire toujours de nouvelles recrues pour le pape, de peupler et d’enrichir les monastères. Ils disent, mais ils ne croyent pas ; ils ne font pas ce qu’ils disent. Ce sont comme les cloches qui appellent le monde à l’église, mais qui ne quittent jamais le clocher. Ce sont comme des généraux qui commandent l’exercice aux pauvres soldats, mais eux ne le font jamais. Ce sont comme ces parasites qui n’ont point de cendre chaude sur leurs foyers, parce qu’ils trouvent toujours à manger chez leurs voisins et amis. Vous voyez donc que leurs conseils, leurs instructions sur le célibat ne sont que des impostures, que des folies, puisqu’ils ne peuvent tenir eux-mêmes contre l’impulsion constante de la nature qui, malgré leur vœu imprudent et téméraire, les ramène tôt ou tard sous sa loi.

Grâce au ciel, notre Assemblée Nationale, éclairée par le flambeau de la raison, vient de défendre les vœux solennels des moines et des religieuses ; mais elle devrait aussi permettre, ordonner même le mariage à nos prêtres, qui ne font que donner des fruits bâtards à la société.

En supposant que nos ecclésiastiques soient tels qu’ils devraient être, je dis que le vœu de célibat, non seulement n’est point une vertu, mais que c’est un outrage sanglant qu’on fait à l’humanité.

« Comme il n’est permis à personne de se rendre aveugle ou sourd, il semble qu’il ne devrait pas l’être davantage de se réduire à une impuissance volontaire ; d’autant plus que par les premières privations on ne punit au moins que soi-même ; tandis que celle-ci retombe presque tout entière sur la société. N’est-ce pas encore la raison qui nous persuade qu’il ne peut y avoir de contradiction dans les dons du créateur ? Qu’il serait absurde de penser qu’il nous eût donné des sens, sans nous en accorder l’usage, et des penchants qui ne seraient, à ses yeux que des tentations pour le mal[16] ? »

Mais que direz-vous, mademoiselle, si je soutiens que vous devez plutôt vous faire conscience de ne pas satisfaire vos penchants, lorsqu’ils sont violents, que de ne pas contenter les désirs enflammées dont peut être tourmenté sans cesse quelqu’un de vos amants ?

Si vous vous sentiez consumer d’une faim dévorante, ne seriez-vous pas coupable, si vous ne cherchiez point à satisfaire ce besoin impérieux ?… Si quelqu’un, brûlant de soif, vous demandait un verre de vin ou d’eau pour l’étancher, n’auriez-vous pas un cœur de tigre, si vous osiez le lui refuser !… Une chaleur imprévue vous saisit, anime toutes les parties de votre corps, vous brûlez ; quelqu’un se présente pour jeter de l’eau dans le feu, et vous ne laisserez pas éteindre l’incendie ?… Une affreuse langueur menace les jours d’un jeune homme qui vous adore ; vous avez la médecine pour le guérir, et vous ne le ferez pas ?… Un jeune, berger était parvenu…

ANGÉLIQUE

Est-ce quelque jolie histoire que vous allez me raconter ?

MARTHE

Oui, mademoiselle, si cela vous fait plaisir.

ANGÉLIQUE

Vous êtes bien sage, ma bonne ; je vais vous écouter avec l’attention la plus sérieuse.

MARTHE

Un jeune berger était parvenu à cet âge où la nature parle chez nous d’une voix très forte, et où il est impossible de lui imposer silence. Habillé toujours avec propreté, quoique sans aucune élégance, à sa démarche, à sa beauté, il aurait trompé Vénus même, qui l’aurait pris pour Adonis. Il avait toujours vécu dans la plus grande simplicité d’esprit et de cœur ; c’est pourquoi la première fois qu’il aperçut son membre enflé, tendu, raide comme une barre de fer, il prit cela pour une maladie dangereuse, et courut tout de suite chez le docteur du village, pour y apporter du remède.

Le savant médecin en rit au fond de son cœur ; mais dans la bonne intention de gagner toujours quelque chose, il lui donne, dans une petite bouteille, de l’eau pure d’une fontaine, lui faisant accroire que c’était une liqueur fort rare, qu’il avait fait venir de loin à grands frais. Il lui raconta des merveilles de cette eau, et lui ordonna d’en arroser sa machine ; et cette eau froide en amollit bientôt la raideur.

Le jeune homme cria au miracle ! et il promit de lui porter du beurre, de la crème et du fromage, pour avoir de cette liqueur prodigieuse. Mon médecin fit la bêtise d’en parler à sa femme qui, par pruderie, fit bien des grimaces en l’écoutant ; mais le lendemain quand elle vit venir le beau garçon, elle voulut satisfaire sa curiosité ; elle regarda par le trou de la serrure, la nouvelle expérience que faisait son mari dans son cabinet d’étude ; elle lorgna le jeune berger, elle aperçut la flèche de l’amour ; elle brûlait déjà d’en être blessée.

Le surlendemain ce jeune homme attaqué de nouveau de sa maladie, courut chez le médecin ; mais il était sorti pour faire ses visites. La bonne docteuse le reçut avec toutes ses grâces ; le pauvre garçon en rougit ; la rougeur donna plus d’éclat à sa beauté et enflamma davantage les parties malades.

« — Où est monsieur le médecin ?

« — Il n’y est pas.

« — Dieu ! quel malheur pour moi.

« — Dites plutôt quel bonheur !

« — Ah ! madame, je me sens mal.

« — J’ai une bonne médecine pour vous guérir.

« — Vous a-t-il laissé ordre de me donner de cette eau qui m’a si bien guéri hier et avant-hier ?

« — Non, mais je connais un remède bien plus efficace. Mon mari ne se connaît pas bien à votre état, laissez-moi faire. Il faut commencer par s’embrasser et se baiser.

« — Vous me faites trop d’honneur, madame.

« — Allons, courage, mon ami, je veux voir où vous avez mal.

« — Ayez pitié de moi, ma chère dame !… Voyez comme il est envenimé !… Mais vos touchements, loin de le guérir, l’enflamment davantage… Dieu ! quelle chaleur ! quel feu !… Voyez comme il découle de l’ordure !

« — Bien, mon enfant, voici un lit de repos, voici la médecine qui te convient, voici le vase où tu dois tremper ; courage, un plaisir inexprimable va accompagner ta guérison.

« — Ah ! madame ! où suis-je !… de quelle liqueur vous me mouillez !… je suis en paradis !… Faut-il en sortir ?… Ah ! par pitié, soyez toujours mon médecin… Que d’obligations je vous ai ! car je vois bien que votre liqueur, non seulement a amolli la raideur de mon membre, mais elle en a fait sortir toute la pourriture. Oh ! je veux dire à monsieur le docteur que…

« — Que dis-tu là, mon petit sot, prends bien garde de lui en parler ; il m’empêcherait, par jalousie, de te soigner.

« — Que je meure à vos pieds, si je lui en fais le moindre mot.

« — Ni à lui, ni à personne.

« — Je vous le jure, madame. Mais s’il me demande pourquoi je ne reviens plus prendre de son eau ?

« — Tu lui diras que tu t’es aperçu que ce n’était que de l’eau de fontaine.

« — Ce n’était que cela ?

« — Eh ! quoi donc, mon petit imbécile ?

« — Mais si j’essuie de nouveau cette maladie ?

« — Reviens me voir, et je te guérirai.

« — Mais si monsieur est au logis ? il ne me guérira jamais aussi bien que vous !

« — À quelque distance de la maison, joue de ta flûte, ou chante quelque chanson ; j’irai t’ouvrir par la porte du jardin, laisse-moi faire.

« — Mais, madame, qu’avez-vous ?… Deux nouvelles roses couvrent vos joues… Vous me fixez sans mot dire… Je sens que vos mains tremblent en serrant les miennes ; avez-vous mal ?

« — Oui, mon petit médecin, rends-moi la réciproque, viens, viens me guérir.

« — Très volontiers, ma chère dame. »

Que dites-vous, mademoiselle, de ces guérisons prodigieuses ? Blâmerez-vous cette dame d’avoir eu pitié de ce pauvre garçon ? Reprocherez-vous à ce jeune berger d’avoir été reconnaissant envers sa bienfaitrice ?

ANGÉLIQUE

En vérité, je n’ai pas le cœur de les blâmer ; et je vous avoue sincèrement qu’à ce récit j’ai commencé à ressentir un petit chatouillement et une certaine démangeaison… qui me donne du plaisir et des tourments.

MARTHE

Voilà le langage de la nature, il faut l’écouter. Profitez des avantages de votre brillante jeunesse, avant que le temps vienne, temps de regrets et de chagrins, où personne ne veut plus de nous.

ANGÉLIQUE

Mais j’ai encore trois objections à vous faire, auxquelles je vous prie de répondre, de manière à me rendre tranquille. Si je perds mon honneur, si je deviens grosse… Si je gagne quelque maladie honteuse, que deviendrai-je ? Vous savez, sans doute, que les attraits de l’honneur sont les plus forts pour les âmes bien nées ; que l’honneur une fois perdu ne peut plus se recouvrer ; que l’honneur doit être toujours la règle invariable de notre conduite ; que l’honneur doit l’emporter sur les sens ; et qu’enfin les sentiments de l’honneur doivent nous retenir dans le devoir. Qu’avez-vous à répondre à cela ?

MARTHE

Je réponds que l’honneur n’est qu’un mot, qu’une chimère ; et je veux qu’on m’écrase si l’on me peut définir et expliquer ce que c’est que l’honneur.

On dit qu’il faut rendre honneur à Dieu, cela est juste ; mais comment ? Par des actes de religion ; mais ces actes varient dans tous les pays du monde. Nous trouvons bizarre, ridicule, absurde, le culte que rendent à Dieu tant de peuples divers ; les autres peuples trouvent bizarre, ridicule, absurde, le nôtre. Les hommes se sont déchirés, se déchirent encore les uns les autres pour défendre la religion ; et les uns et les autres croyent rendre honneur à Dieu, en égorgeant leurs frères. Quel honneur !

On appelle honneurs funèbres les cérémonies éclatantes et fastueuses qui accompagnent les cadavres au tombeau, et qui ne servent qu’à satisfaire l’orgueil des parents et l’avarice des prêtres. Quels honneurs !

On appelle les honneurs du Louvre le droit de ne pas devoir marcher avec ses jambes, mais de se faire traîner en carrosse ou à cheval, au risque de se casser les bras et le cou, dans la cour des maisons où le roi est logé. Quel honneur !

On appelle les honneurs de l’Église les prééminences, les titres, les droits, qui ne sont que des usurpations, l’orgueil, en un mot, des gens d’église, pendant que leur chef, Jésus-Christ, plaçait l’honneur dans l’humilité la plus profonde, et dans la plus parfaite égalité. Quel contraste d’honneur !

On dit : « Faire les honneurs d’une maison », lorsque quelqu’un reçoit chez lui, selon les règles de politesse établies, des personnes qu’il déteste souvent du fond de son cœur… On dit : « Faire honneur à un repas », quand on y mange bien, qu’on y boit mieux, et qu’on témoigne, par conséquent, qu’on est bon gourmand et excellent buveur. On dit : « Faire honneur à une lettre de change », pour dire qu’à son échéance on fait son devoir en la payant.

Voyez comme les actions les plus indifférentes, les plus communes sont honorables chez nous ! Si l’on rencontre quelqu’un de connaissance, on s’écrie aussitôt : « Oh ! quel honneur pour moi de vous voir !… Faites-moi l’honneur de me dire si vous vous portez bien… Quand aurai-je l’honneur de m’entretenir avec vous ?… Quand me ferez-vous l’honneur de prendre une tasse de café chez moi ?… J’ai lu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire — et dont j’ai fait tant de petits mouchoirs pour me torcher… »

On appelle marques d’honneur, les conditions favorables qu’on accorde à une garnison qui se rend par capitulation. Il y a donc de l’honneur, même à être vaincu !

On appelle Dames d’honneur, Filles d’honneur, des faiseuses de lit, des videuses de pots de chambre, des entremetteuses, des tribades.

On appelle Conseillers d’honneur, des gens qui ne font souvent que flatter, que surprendre, que tromper leurs princes.

On dit, par manière de serment : « Sur mon honneur… Je vous en réponds sur mon honneur. » Ma foi, nous autres femmes, puisque l’on place notre honneur entre nos cuisses, nous devrions mettre la main sur notre con, lorsque nous assurons quelque chose sur notre honneur.

On dit souvent : « Je vous promets cela, je vous en donne ma parole d’honneur ». Cependant, quelques jours après, on trouve mille prétextes pour ne pas la tenir, et cela ne déshonore point.

S’il s’élève quelque dispute entre frères, entre amis, adieu la parenté, adieu l’amitié : l’honneur veut qu’on se batte, et celui qui tue son frère, est le plus honoré. Dieu ! quel honneur !

Une fille ou une femme se laisse embrasser, se laisse donner un baiser, serrer la main, manier les tétons ; l’honneur lui reste encore. Elle se laisse toucher l’endroit le plus sale de son corps, et l’honneur s’en va. Quelle folie !

Messieurs les maris veulent toujours avoir leur passe-partout, et entrer où bon leur semble, sans se déshonorer ; et ils ont attaché l’honneur à la porte de leurs femmes, pour qu’elle ne soit ouverte qu’à eux. Quelle fourberie !

Une pauvre fille laisse entrer quelqu’un dans son jardin, et elle est vouée à l’infamie. Et celui qui a ouvert, qui a dépouillé le parterre, peut s’en aller tête levée, et chanter victoire. Quelle injustice !

On nous enseigne à faire honneur à notre siècle, à notre pays. Le siècle de l’humanité va paraître ; notre pays va jouir d’une parfaite liberté. Si cela arrive, qu’on déclare donc que ce n’est plus faire une tache à l’honneur que de servir l’humanité, que de suivre les lois de la nature. En tant de pays, comme je l’ai déjà dit, on se fait même gloire de ces actions humaines ; et ces actions ne seront déshonorantes que chez nous, que pour notre sexe ?

Méprisez, mademoiselle, l’opinion du vulgaire. Quelques faux dévots, quelques hypocrites pourront censurer votre conduite ; mais le beau monde, les beaux esprits, les gens du bon ton vous accableront par le tribut de leurs adorations et de leurs éloges. Vous voyez donc, mademoiselle, que l’honneur n’est qu’un mot, qu’une chimère, qu’un funeste préjugé qu’il faut secouer.

ANGÉLIQUE

Tout cela va bien tant que ces amusements ne laissent après eux aucune trace : mais si j’en porte des marques, mais si je deviens enceinte ? Dieu ! cette idée me fait frémir ; un pareil événement me réduirait au désespoir. Dans ce cas-là, mon honneur ne serait-il pas perdu ?

MARTHE

Voilà encore un préjugé, voilà un joug, dont on tient toujours la raison captive. On raisonne toujours ; on s’écrie partout : « Liberté, liberté ». Cependant la raison demeure toujours esclave, et cette liberté marche à pas bien lents !

Doit-on couper et jeter au feu un jeune arbre s’il produit quelque bon fruit ? Ce fatal préjugé rappelle dans ma mémoire une loi salutaire et en même temps absurde qui existe dans l’île de Formose. Cette loi, je l’appelle salutaire, en ce qu’elle ordonne que les filles se marient aussitôt qu’elles sont nubiles ; et plût à Dieu que cette loi devînt universelle ! Je l’appelle absurde et barbare, en ce qu’elle ne leur permet de devenir enceintes qu’à l’âge de trente-six ans. Elles tombent très rarement en faute ; mais si cela leur arrive, elles font venir leurs religieuses, qu’on nomme Juibas, qui ne se font point scrupule, qui croyent même faire une œuvre de charité, en foulant le ventre à ces femmes, d’une certaine manière qui procure l’avortement.

ANGÉLIQUE

Est-ce qu’il est défendu à ces femmes de badiner avec leurs maris jusqu’à l’âge de trente-six ans ?

MARTHE

Point du tout. L’état de mariage serait pour elles un véritable enfer. Comment ! avoir toujours du saucisson près de la bouche, et ne pas pouvoir en manger ! Mais comme le gouvernement politique, dans ce pays-là, n’aime pas tant la multiplication des êtres, il ordonne au peuple de semer de bonne heure ; et par une contradiction inconcevable, il ne lui permet de produire du fruit que fort tard.

ANGÉLIQUE

Mais que font-elles, s’il vous plaît, pour ne pas violer la loi ?

MARTHE

Ah ! ah ! vous êtes un peu trop curieuse… Mais il faut vous satisfaire.

Aussitôt que le laboureur a planté ou semé, la maîtresse du jardin remue soigneusement la terre, y seringue de l’eau fraîche, ou quelque liqueur spiritueuse, fait découler sa fontaine autant qu’elle peut y jeter d’eau, afin que tout sorte. De cette manière, tout ce qu’on a planté ou semé ne prend point racine. Si la maîtresse s’oublie quelquefois, si le fruit paraît, c’est sa faute ; et sans le secours des Juibas, elle serait sévèrement punie.

ANGÉLIQUE

Savez-vous que je n’oublierai jamais cette leçon, et que j’aurai bien soin de remuer, de seringuer !

MARTHE

Tant que vous êtes fille, à la bonne heure, vous agirez prudemment ; vous ne ferez aucun tort à personne ; même tout cela contribuera à la propreté de votre corps et à votre santé. Mais si vous vous mariez, gardez-vous-en bien, vous vous rendriez criminelle de lèse-nation ; car une femme doit des enfants à l’État, et c’est une épouse dénaturée celle qui ne se procure pas le doux, l’aimable titre de mère.

ANGÉLIQUE

Mais si, étant encore fille, je m’oublie quelquefois, nous n’avons pas de ces Juibas si charitables ?

MARTHE

Dites plutôt impies, ou du moins fanatiques ; car c’est toujours avoir un cœur dénaturé que de faire périr ces innocentes productions de la nature.

ANGÉLIQUE

Vous me charmez, ma bonne, parce que je vois bien que vous ne me prêchez pas une morale corrompue. Mais que devrais-je faire en pareil cas ?

MARTHE

Presser le laboureur d’acheter le jardin et le fruit avec. En supposant qu’il y ait eu plus d’un laboureur, vous devrez toujours presser celui dont vous pourrez attendre un plus haut prix ; c’est la ruse ordinaire de nos filles.

ANGÉLIQUE

Mais s’il ne voulait point conclure le marché ?

MARTHE

Ce serait bonne marque ; vous ne seriez point heureuse avec lui ; vous lui donnerez son fruit, vous garderez votre jardin. On en parlera deux ou trois jours ; c’est une faiblesse commune au sexe ; le silence, l’oubli succèdent, et vous êtes maîtresse de vous-même.

ANGÉLIQUE

Mais si l’état de mon laboureur était tel qu’il ne pût se procurer la possession légitime de mon jardin ? Par exemple, si c’était un laboureur ecclésiastique ?

MARTHE

Bon Dieu ! vous avez un fonds inépuisable d’objections. Dans ce cas-là, pour ne pas le perdre de réputation, on feint une maladie ; le changement d’air peut rendre la santé ; on fait un petit voyage ; on dépose le fardeau ; et l’on revient toute guérie.

ANGÉLIQUE

À merveille ! Mais si je gagne quelque maladie honteuse ?

MARTHE

Prenez vos précautions, et cela ne vous arrivera jamais.

1° Avant que de laisser faire au laboureur, cherchez, en badinant, à voir et à manier son outil ; si vous remarquez quelque tache à sa bêche, trouvez, sur-le-champ, quelque prétexte pour ne pas le laisser sillonner.

2° Après l’ouvrage, n’oubliez pas de remuer, d’arroser, de seringuer.

3° Si votre cœur est abattu par la crainte, hâtez-vous d’appeler quelque médecin, ou apothicaire ; point de honte quand il s’agit de la santé.

Ces messieurs seront bien aises de vous faire voir les prodiges de leur art : ils introduiront leur sonde dans la plaie, pour vous assurer que vous devez calmer votre esprit ; et ils seront assez généreux pour faire opération gratis.


FIN DU TOME PREMIER.

La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre

LEÇON IX


MARTHE



La Rhétorique des putains, Lettrines u’avez-vous, mademoiselle ? Que veut-elle dire cette émotion qui est peinte sur votre visage, et qui vous change si fort, que vous paraissez malade ? Suis-je assez malheureuse pour n’en pouvoir pénétrer la cause ?

ANGÉLIQUE

Ah ! ma bonne, j’éprouve dans mon âme et dans mes sens l’agitation la plus violente. Tantôt une chaleur excessive brûle mon sang dans mes veines, et me met toute en feu ; tantôt un froid mortel me glace, et l’affreuse pâleur me défigure. J’aime, je souhaite, je crains, j’espère, je chante, j’attends… Dieu ! mille diverses affections combattent tour à tour mon pauvre cœur.

MARTHE

De grâce, mademoiselle, efforcez-vous de reprendre votre air accoutumé. Je vous annonce une bonne nouvelle : c’est aujourd’hui que vous allez goûter tout le bonheur imaginable. Votre jeune militaire va venir ; voulez-vous qu’il vous trouve dans une situation si pitoyable ?

ANGÉLIQUE

Ah ! c’est lui, c’est lui-même qui me met dans cet état.

MARTHE

Expliquez-vous, je vous prie, j’ai de la peine à vous comprendre.

ANGÉLIQUE

Cette nuit, à peine le sommeil s’était-il emparé de mes sens, qu’un songe agréable m’a placée près de mon bienfaiteur. Je rêve qu’il frappe à ma porte, et qu’au lieu de lui dire : Entrez, je lui réponds : Ouvrez-moi. Il m’ouvre, en effet. Il me semble que j’ai un peu à endurer, mais qu’à cette peine succèdent aussitôt des douceurs inexprimables. Tous mes sens agités m’ont réveillée, et mon réveil a dissipé cette image charmante… Je crains que ce songe enchanteur ne se réalise… Si l’illusion est si belle, que sera la réalité ? Je vous avoue qu’enivrée du plaisir que l’amour me prépare, je suis toute disposée à m’y livrer…

Qu’il vienne, et s’il m’aime, je le rendrai heureux, je serai heureuse.

MARTHE

Doucement, mademoiselle, j’aime bien à vous voir les dispositions les plus favorables, les plus décidées pour ce monsieur ; mais il ne faut pas aller si vite en besogne. Il faut beaucoup d’art, beaucoup de prudence, beaucoup de dissimulation avec les hommes. Ces messieurs ont tant de ruses pour nous abuser, qu’il nous faut aussi les artifices les plus adroits pour les attraper.

ANGÉLIQUE

Comment ! ma bonne, vous voulez m’apprendre à mettre dans ma conduite une fausseté révoltante ? Je n’ai jamais su déguiser les sentiments de mon cœur ; tout ce que je nourris dans mon âme, passe d’abord sur mes lèvres ; et si quelquefois, par des efforts pénibles, j’ai cherché à ne pas être sincère, tous ces efforts ont été au-dessus de moi et mon visage m’a toujours trahi. Croyez-moi, au moment où mon bienfaiteur paraîtra, j’aurai trop de peine à cacher au dehors ce qui se passera au dedans de moi-même ; il verra dans mes yeux tous les mouvements de mon cœur.

MARTHE

Cette leçon ne doit pas vous servir pour ce qui regarde votre premier amant, mais pour régler votre conduite envers d’autres messieurs, si la nature vous parle le même langage en leur faveur.

Oui, mademoiselle, sans la ruse, sans la dissimulation, on ne peut jamais aller à ses fins, on ne peut triompher. Il faut absolument que la fille ou la femme sache, avec art, persuader ses amants :

Qu’elle les aime d’une amitié toute pure, et point pour le plaisir ;

Que son amitié est tout à fait désintéressée ;

Il faut qu’elle parvienne à persuader chacun d’eux qu’elle n’aime que lui seul.

ANGÉLIQUE

Cela m’est impossible. Par bonheur que je suis fermement résolue de n’aimer que mon bienfaiteur.

MARTHE

À la bonne heure ; je ne désapprouve pas vos sentiments ; mais vous me permettrez bien de ne pas laisser mon ouvrage imparfait, et de vous instruire sur tout ce qui peut arriver. Nous ne pouvons pas disposer de l’avenir ; nous ne sommes pas les maîtresses de notre cœur ; et s’il arrive que l’amour vous parle en faveur de quelqu’un autre, oui, je le répète, il vous faut, avant toutes choses, vous couvrir du manteau de la vertu.

Ou il faut, toute la vie, renoncer aux hommes, ou il faut les attraper par ces artifices ; voilà en quoi consiste notre rhétorique. Car, ceux au moins qui pensent et qui raisonnent, s’ils s’aperçoivent que nous ne les aimons que pour notre plaisir, que pour notre intérêt, et que nous louons notre petit cabinet à tout venant, ils changent tout à coup l’amour en mépris et en haine.

À l’égard du jeune militaire, c’est moi qui ai fait, à votre insu, ce que vous auriez dû faire. Il s’est rendu presque tous les jours chez moi pour apprendre de vos nouvelles. Je le voyais dans la plus grande impatience de gagner la place, et d’y entrer victorieux ; mais je lui ai parlé toujours de la sorte :

— Monsieur, vous êtes assez sage pour ne pas prétendre l’emporter d’assaut. C’est une forteresse Presque inattaquable. Il m’a fallu imaginer et employer les ruses les plus fines pour lui faire prendre votre argent. Toutes les fois que je lui parle d’intrigues amoureuses, elle pâlit, elle tremble, elle pleure et ne parle que de mariage ; à cette seule condition, il me paraît qu’elle a quelques dispositions à se rendre ; encore n’oserai-je pas vous en assurer. Je lui ai donné plusieurs leçons ; mais au lieu de m’écouter, elle ne fait que me presser d’une infinité d’objections que j’ai toutes les peines du monde à résoudre. Je vous assure, monsieur, que je sors toujours de chez elle mon front tout trempé de sueur et hors d’haleine.

Hier, je lui tins ce discours :

— Ah ! monsieur, que d’obligations vous allez m’avoir ! Je viens de faire à mademoiselle Angélique, le tableau le plus animé de votre situation. Je lui ai dit qu’une langueur affreuse vous dévore ; qu’une triste mélancolie est peinte sur vos traits ; que vous êtes mal ; que si vous ne pouvez posséder son cœur, rien ne vous attache plus à la vie ; que vous êtes au désespoir, et que la mort sera votre recours. À ces mots, j’ai vu mademoiselle s’attendrir, soupirer, jeter quelques larmes, enfin s’écrier :

« — Qu’il vienne, je tâcherai de faire son bonheur, pourvu qu’il me rende heureuse ! »

ANGÉLIQUE

Vous possédez, au plus haut degré, l’art de mentir impunément.

MARTHE

Dites plutôt, l’art de persuader évidemment… À cette nouvelle, le jeune comte fut transporté d’une douce joie que son cœur ne pouvait contenir. Il m’accabla de caresses…

ANGÉLIQUE

Et de présents aussi ; car il me paraît fort généreux.

MARTHE

Non pas, mademoiselle ; il arrive rarement qu’on anticipe avec moi les récompenses. Il est fort rare aussi que je sois l’objet déplorable de l’ingratitude humaine ; c’est pourquoi je demeure tranquille.

ANGÉLIQUE

Ah ! ma bonne, on m’a toujours peint l’ingratitude comme le vice le plus honteux ; pour cela de mon côté…

MARTHE

Ne parlons point de cela, mademoiselle… Vous voyez donc que je vous ai peinte comme un ange, telle que vous devez paraître devant les autres, si l’occasion s’en présente. Pour monsieur le comte, vous le recevrez d’un air virginal ; vous ne céderez pas d’abord à ses tendres sollicitations ; mais aussi vous ne le ferez pas languir longtemps après votre possession. Il cherchera premièrement vos mains ; livrez-les modestement à toute l’ardeur de ses baisers : sa bouche muette cherchera à parler clairement sur la vôtre ; ne vous y refusez pas. Il glissera sa main dans votre sein pour vous serrer tendrement les tétons, vous lui direz d’un ton plaintif :

Finissez donc !

Il voudra aller à la chasse des puces sous vos jupes ; et vous direz encore :

Finissez donc !

Il vous serrera dans ses bras, et vous jettera sur le lit ; que la nonchalance accompagne votre chute, et répétez :

Finissez donc !

Il vous lèvera les jupes et la chemise, il vous ouvrira les cuisses ; ne les écartez pas, ne les remuez point ; dites toujours :

Finissez donc !

Et il finira. Mais vous devez paraître, au moins la première fois, presque insensible au plaisir ; vous ne répondrez point à ses secousses ; même vous tâcherez de répandre quelques larmes, qui savent si bien venir à nos yeux lorsque nous le voulons…

Ah ! mes enfants que vous allez être heureux ! Cette idée me fait verser des larmes amères sur ma vieillesse.

ANGÉLIQUE

Je désire, très ardemment, que mon comte fasse mon bonheur, et qu’il ne décline jamais.

MARTHE

Parlons des autres. Dans quelque quartier de la ville que vous puissiez demeurer, présentez-vous toujours aux yeux de vos voisins sous des dehors vertueux ; affectez avec eux un grand air de probité ; et si quelqu’un du voisinage vous inspire quelque passion, maîtrisez-la dès sa naissance, enchaînez-la, domptez-la ; elle vous serait trop dangereuse.

S’ils vous rendent quelques visites, ayez pour eux seuls, une chambre particulière pour les recevoir, expressément meublée de manière que tout y respire l’honnêteté et la dévotion. Des tableaux religieux les plus édifiants, des livres de morale la plus austère, des entretiens pieux ; en un mot, que tout oblige vos voisins à vous accorder leur estime et leur admiration. Si tout le quartier ne peut dire que du bien de vous, les visites des autres ne donneront aucun ombrage ; on ne pourra point vous soupçonner ; un voile épais couvrira vos amusements, et votre conduite sera également irréprochable. Au contraire, si vous ne savez leur cacher les sentiments de votre cœur, toutes les visites qu’on vous rendra, toutes les sorties que vous ferez, seront, à leurs yeux, autant de rendez-vous pour le libertinage.

ANGÉLIQUE

Dieu ! que votre rhétorique me surprend et me persuade !

MARTHE

Si quelqu’un vous flatte et vous dit que votre beauté vous rend digne des plus tendres caresses, qu’elle seule peut enflammer les cœurs les plus froids ; vous leur répondrez que la beauté n’est qu’une fleur qui s’épanouit, qui éclate le matin, mais qui se flétrit et qu’on écrase le soir.

Si quelqu’un vous fait une proposition hardie, vous devez d’abord répondre :

— Que dites-vous, monsieur ! votre discours me glace d’horreur ; respectez-moi, monsieur, respectez-vous, vous-même… Vous me dites que vous ferez ma félicité ! Ce sont de belles paroles qui frappent l’air et qui s’évanouissent en le frappant… Malheureuse ! que deviendrais-je, si je consentais à vous écouter, si je me livrais à vos transports !… Votre goût n’est peut-être que passager : aujourd’hui, je veux le croire, je suis l’objet de vos désirs, mais demain je le serai de votre indifférence ; après-demain, de vos mépris… vos visites me seront toujours agréables… j’aime bien à vous voir… Votre absence me jetterait dans le chagrin…

ANGÉLIQUE

Ah ! voilà de la ruse, de la rhétorique, n’est-ce pas, ma bonne ? Je commence à voir clair.

MARTHE

Bon !…

— Votre absence me jetterait dans le chagrin… je ferais peut-être la bêtise de vous mander… Mais aussi, je ne vous permettrai jamais la moindre chose qui puisse me déshonorer. Si le roi même l’exigeait de moi, je le refuserais.

Si c’est quelqu’un d’église, à qui vous donniez de l’appétit, vous devez lui dire d’abord d’un ton ferme :

— Comment, monsieur ! la sainteté de votre état ne vous retient donc pas de former des attentats contre la vertu ? Votre vœu solennel n’est pas un frein suffisant à vous brider ?

Mais on vous dira peut-être :

— Eh bien ! mademoiselle, puisque vous ne voulez parler que vertu, on vous la laisse pratiquer en paix ; c’est la dernière fois qu’on a l’honneur de vous voir.

Alors, d’un ton doucereux, vous devez dire :

— Monsieur, vous êtes trop exigeant ; contentez-vous au moins de ce que je puis accorder sans perdre mon honneur… Satisfaites vos yeux… vos mains encore, si vous le voulez… regardez et maniez mon col et mon sein, je ne le refuse pas ; mais si vous prétendez passer plus avant, je m’y opposerai sans doute.

On cherche à vous baiser, tournez la tête… On cherche à vous embrasser, fuyez, mais à pas lents, et du côté du lit… On veut vous y faire tomber, dites que vous allez crier, mais ne criez pas… On vous y jette, dites, d’une voix mourante :

Finissez donc !

Enfin, imitez la dame du perroquet, et tout ira à merveille.

Je finis ma leçon par une petite histoire aussi amusante que véritable ; et je vais vous en faire le récit avec d’autant plus de plaisir, qu’il s’agit d’une de mes élèves qui me fait bien honneur.

Une jeune orpheline, presque aussi belle que vous, après la mort de son père et de sa mère, ne trouva point de parents, parce que, contrainte à partager un bien fort médiocre entre deux frères et elle, sa portion était réduite presque à rien. J’eus occasion de la connaître ; sa figure, son caractère, m’intéressèrent à elle. Je réussis à l’initier aux mystères de Cythère ; je la plaçai chez une dame où elle était comme une des Grâces auprès de cette nouvelle Vénus.

Elle répondit parfaitement à mon attente ; mais ayant oublié, un instant, mes préceptes, elle se trouve enceinte. Que faire ? Celui qui avait fait la blessure, ne pouvait pas y apporter de remède, puisque le vœu qu’il avait prononcé l’obligeait à ne pouvoir former des nœuds légitimes. Je fis tous mes efforts pour lui trouver un bon benêt, car on en trouve toujours quelqu’un, même dans un siècle aussi éclairé que le nôtre : j’y réussis.

Voilà mon homme prêt à se marier. Je lui dis que la fille n’a pas beaucoup de bien, mais qu’elle porte toujours une belle et bonne dot avec elle : il est content, il l’épouse. On me prie d’être de ses noces ; j’y assiste.

Après le souper ils se mettent au lit, et moi, je me couche dans une chambre à côté. Le mari veut jouir de ses droits ; elle saute en bas du lit, et s’écrie :

« — Cochon que vous êtes, que prétendez-vous ? Est-ce que vous m’avez épousée pour me faire de ces infamies ? Il n’y a que les bêtes qui font cela ; me prenez-vous pour une chienne ?

« — Mais, ma bonne amie, cela est permis, ordonné même entre mari et femme.

« — Vous en avez menti, car ma bonne maman me disait bien souvent : « Garde-toi bien, ma fille, des attouchements des hommes, ils sont empoisonneurs. »

« — Mais sans cela tu ne serais pas venue au monde.

« — Tout ce que vous me dites est faux ; car ma bonne maman disait que quand elle voulait faire un enfant, elle formait, avec de la pâte, un petit poupon, qu’elle le mangeait, que ce poupon grossissait peu à peu dans son ventre, et que neuf mois après elle le mettait au jour. »

On m’appelle : le mari me prie de faire entendre raison à sa femme. Celle-ci me prie d’accabler son mari de reproches. Je fais semblant de persuader ma belle élève de se rendre aux désirs de son époux, et il faut que je dévore mille injures. Je lui dis, à la fin, qu’il lui convient de remettre l’affaire entre les mains de monsieur le curé, qui l’instruira profondément de ses devoirs. À cette proposition elle s’apaise, mais elle ne veut pas se recoucher auprès de son mari ; elle veut venir dans mon lit. Nous pensons étouffer de rire de l’imbécillité de notre niais.

Le matin venu, je l’emmène chez le curé, avec qui elle joue on ne peut mieux le rôle de prude et d’innocente. Cependant le bon pasteur trouve de la docilité dans sa brebis, et tant de docilité que…

ANGÉLIQUE

Ah ! ah ! je vous comprends ; qu’elle retourna chez elle tout à fait convertie.

MARTHE

Oui, certainement, et mon grand nigaud se trouva assez heureux d’avoir gagné le droit de bâtir sur les fondements d’autrui.

ANGÉLIQUE

Vous vous levez pour vous en aller ? Il me paraît que votre leçon a été bien courte aujourd’hui.

MARTHE

C’est qu’il me presse de vous rendre heureuse. Je sais que le jeune officier se promène ici près ; il n’attend que le moment de me voir sortir, pour entrer. M’entendez-vous bien, mademoiselle ? Pour entrer.

Soyez heureuse, et demain vous aurez la complaisance de me faire un fidèle récit de votre entretien.


La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre
La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre

La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre

LEÇON X


ANGÉLIQUE

D’où vient, ma bonne, que je vous trouve l’air si triste ? Pourquoi m’apportez-vous ce visage sombre ?… Mais vous marchez d’un pas fort lent !… Approchez… asseyez-vous… vous ne me dites rien ?… Pourquoi ce silence morne et profond ?… Ah ! peut-être éprouvons-nous toutes deux les mêmes tourments !… Je vous attendais avec impatience pour soulager mon cœur du poids des remords ; et il se peut que vous-même vous sentiez de pareils remords s’élever dans votre âme… Hélas ! j’ai perdu ma vertu, mais vous en êtes la cause. De tristes réflexions me font payer bien cher des moments d’ivresse que j’ai pris pour le bonheur !

MARTHE

Ah ! mademoiselle, si vous êtes sensible, si vous devez éprouver quelques remords, c’est de m’avoir trompée.

ANGÉLIQUE

Ciel ! Qu’entend-je ? Moi, vous tromper ! Votre discours me déchire bien plus que mon pucelage perdu. Que la foudre m’écrase, si j’ai eu, si j’aurais jamais la moindre idée de vous duper… Mais expliquez-vous, je vous prie, je ne puis revenir de ma surprise.

MARTHE

Vous avez perdu votre pucelage, mademoiselle ?

ANGÉLIQUE

Hélas ! osez-vous me le demander, et d’un air si moqueur ?

MARTHE

Si j’ose ?… On ne peut perdre ce qu’on n’a pas… Vous m’avez toujours dit que vous vous montrez telle que vous êtes ; que votre belle bouche n’est pas faite pour déguiser, pour trahir les sentiments de votre cœur ; que la sincérité a toujours dirigé vos discours et vos actions ; que vous avez la fausseté et la dissimulation en horreur. Voilà, mademoiselle, en quoi vous m’avez trompée.

La Rhétorique des putains, figures
La Rhétorique des putains, figures
ANGÉLIQUE

Mais je ne vous comprends pas encore. Non, je ne me suis jamais permis aucun déguisement ; si j’ai marqué quelque penchant à feindre avec les hommes, c’est le fruit de vos leçons ; mais mon cœur a été et sera toujours ouvert devant vous, comme devant Dieu.

MARTHE

Il est vrai que j’ai manqué de précaution, ne vous ayant pas questionnée là-dessus ; mais j’étais trop persuadée de votre intégrité, pour vous demander si vous étiez vraiment pucelle.

ANGÉLIQUE

Mais votre discours me jette dans le plus profond étonnement. Que je meure à vos pieds, dans cet instant même, si j’avais jamais connu d’homme, si jamais homme m’avait touchée du bout de ses doigts.

MARTHE

Je sais bien qu’on peut jouer de plusieurs manières au trou-madame. Soyez sincère, je vous en prie. Vous seriez-vous amusée, avec des amies, à agrandir les trous en les bouchant ? Cet amusement est fort à la mode… La rougeur qui se répand tout à coup sur vos joues, me dit que oui. Mais après la mort de votre maman, on vous avait enfermée dans un couvent ; vous ne faisiez que d’en sortir…

ANGÉLIQUE

Ah ! c’est précisément dans le couvent que j’ai appris ce jeu qu’on appelle Tribaderie. Mes compagnes de pension m’initièrent à ces mystères en me disant que ces amusements délicieux répandaient le vrai, l’unique agrément sur la vie pénible de nos prisonnières sacrées. Mais est-ce que l’on perd le pucelage à ces agréments ?

MARTHE

Pas tout à fait, et quelquefois pas du tout, si l’on n’emploie à ce jeu que le doigt.

ANGÉLIQUE

Voyez, ma bonne, si je suis toujours avec vous de la plus grande sincérité ! Un jour nous sentîmes une curiosité invincible de remuer le lit de notre mère institutrice, pendant qu’elle était ailleurs, dans l’idée d’y trouver quelque instrument de pénitence ; car elle était fort dévote et ne faisait que soupirer vers le ciel. Quel fut mon étonnement de découvrir un certain instrument rond, en ivoire, d’un pied de longueur, avec deux petites boules attachées en bas !

Frappée de ce que je voyais, je demandai ce que c’était : il s’éleva une risée générale, à ma confusion ; après quoi, la plus âgée ôta de mes mains ce colifichet, se renversa tout de son long sur un banc, leva ses jupes et sa chemise, et se perça de mille coups sans relâche ; le feu était à son visage, tout son corps était en mouvement, et elle s’écriait de temps en temps :

« — Quel plaisir ! Quel plaisir ! »

Après elle, une autre ; après celle-ci, une troisième ; toutes enfin, moi la dernière, nous répétâmes le même jeu. À peine avais-je commencé, que la révérende mère entra. Elle voulait en venir aux reproches et aux menaces : mais la plus âgée d’entre nous la menaça, à son tour, de tout divulguer. Elle nous traita alors avec des manières modestes et polies, et, pour nous engager au silence, elle nous promit de nous prêter le joli instrument au moins une fois par semaine, pour nous amuser.

MARTHE

Pourquoi, bon Dieu ! n’ai-je pas su tout cela ? Sachez, mademoiselle, que votre jeune officier, en sortant de chez vous, vint me voir ; il entra brusquement en disant :

— Je t’ai demandé une pucelle, et tu ne m’as donné qu’une putain.

Il n’est point d’opprobres dont il ne m’ait accablé ; je lui laissai épuiser les invectives les plus grossières et les injures les plus atroces ; mais quand je vis qu’il osait lever sa canne pour me frapper, toute vieille que je suis, j’eus l’adresse et la force de saisir une chaise de noyer qui était sous mes mains, je la lui jetai contre ; mais ce héros martial évita le coup par une retraite précipitée.

ANGÉLIQUE

Ah ! l’injuste ! l’ingrat ! le barbare !… Je comprends à présent pourquoi ses premiers baisers, ses premiers embrassements étaient accompagnés des plus vifs transports, et des témoignages les plus purs de joie et de tendresse, et pourquoi, après mes faveurs accordées, il ne fut plus le même. Un air de froideur, un rire forcé, un engagement prétexté de se rendre chez son colonel, un prompt départ, tout devait me faire voir les soupçons qu’il avait formés sur mon compte. Ah ! le perfide ! Jamais aucun homme…

MARTHE

Jamais aucun homme ne fossoyera plus dans votre vigne, n’est-ce pas ? Vous voulez parler en enfant, je crois. Ne savez-vous pas notre proverbe : « Que le trône du roi n’est jamais vacant ? » C’est parce qu’à peine un roi est-il mort, que son successeur est bientôt proclamé.

Notre petite affaire est le trône de l’humanité : il lui faut toujours un sceptre. Si par hasard quelque bon mets vous a fait vomir, est-ce que vous n’en mangerez plus de votre vie ?

ANGÉLIQUE

Vous avez beau me parler d’un ton badin ; mais j’ai le cœur trop serré, trop navré.

MARTHE

Cela passera… Me sauriez-vous dire, mademoiselle, quelle heure il est ?

ANGÉLIQUE

Pourquoi me demandez-vous cela ? Est-ce que vous voulez vous en aller si tôt ?

MARTHE

J’ai mes raisons pour vous le demander. N’avez-vous pas une montre ?

ANGÉLIQUE

Vous vous moquez de moi, ce me semble. J’en avais bien une jolie ; mais dans un pressant besoin, il m’a fallu la donner à mon père : j’en ai fait le sacrifice, mais je la regrette bien.

MARTHE

Vous avez raison. C’est un grand plaisir que d’avoir une montre, et de savoir à tout moment, et de pouvoir dire quelle heure il est… Voyez un peu, mademoiselle… Que dites-vous de cette montre à répétition ?

ANGÉLIQUE

Qu’elle est belle ! Elle est en or, et garnie de brillants ! Permettez-moi de la faire sonner… Que cela est charmant ! Vous êtes bien heureuse de posséder un aussi joli bijou ! Je gage que vous n’avez que les apparences de la pauvreté.

MARTHE

Cela peut être, mademoiselle ; mais ne me croyez pas la maîtresse de cette belle montre ; je n’en suis que la dépositaire. Je la tiens d’un jeune marchand qui m’a ordonné de l’offrir à une jolie demoiselle, une de mes élèves, dont il espère obtenir quelques faveurs.

ANGÉLIQUE

Ah !

MARTHE

Vous soupirez ? Seriez-vous bien aise que cette montre vous appartînt ?

ANGÉLIQUE

Ah !… Vraiment oui… mais…

MARTHE

Mais il ne tient qu’à vous d’avoir la préférence.

ANGÉLIQUE

Mais est-ce vraiment à moi que l’on offre un si beau présent ?

MARTHE

Sans doute ; mais si vous le refusez, je vous assure, en parole d’honneur, que l’on suspendra ailleurs ce vœu, où l’on obtiendra la grâce[17].

ANGÉLIQUE

Mais… il ne me trouvera pas pucelle, et tout finira par une autre catastrophe.

MARTHE

Ne craignez rien ; il vous trouvera aussi vierge que vous l’étiez, à ce que je veux croire, à l’âge de sept ans. Je possède l’art qu’il faut pour opérer ce prodige.

ANGÉLIQUE

Êtes-vous sorcière ? Combien je me repens de ne pas vous avoir, dès le commencement, ouvert mon âme tout entière !

MARTHE

Il n’y a point de sorcellerie à cela : un peu de physique suffit… Prenez cette bouteille d’eau astringente ; frottez-en bien le dehors et le dedans de l’allée, et vous verrez le miracle. Prenez ensuite un de ces petits boyaux que j’ai rempli de sang d’agneau : quelques instants avant qu’on vienne au combat, fourrez-le dans le trou aimanté ; il attire l’épée, elle frappe, perce, sort ensanglantée, et l’on se persuade que la forteresse était vierge[18] et que l’on a été le premier à l’emporter.

ANGÉLIQUE

Mais pouvez-vous me persuader qu’on puisse s’attacher, au moins avec plaisir, tantôt à l’un, tantôt à l’autre ?

MARTHE

Je vous prouverai, mademoiselle, que, non seulement vous le pouvez, mais que vous devez le faire, si votre santé, si votre intérêt vous sont chers.

Vous auriez certainement un cœur bien petit, si un homme seul vous suffisait pour l’occuper. Observez la nature, notre mère et notre législatrice. Elle se plaît à varier continuellement les temps, les saisons, ses productions. D’après ses lois, tout est sujet au changement ; un penchant irrésistible nous entraîne donc à changer, de temps en temps, d’avis, d’affections, de sentiments.

Malheur à la femme qui compte sur l’homme ; faites attention, mademoiselle, que je ne dis pas sur les hommes. Vous devez considérer l’homme comme une girouette, que le moindre vent fait mouvoir à son gré. Vous devez savoir que les plus belles choses deviennent insipides à ceux qui les ont continuellement sous les yeux. L’homme, en toutes choses, aime à faire une fin : il poursuit, il aime, et quelques années… que dis-je ? quelques mois, quelques jours après, la satiété survient.

Un jeune homme languit de vous posséder ; il y attache d’abord tant de prix ; cela lui paraît ensuite si peu de chose ; il commence à se fatiguer de vos caresses, la variété peut seule assaisonner ses plaisirs ; plus il fait de conquêtes, plus il remporte de victoires, et plus son amour-propre en est satisfait. L’homme ne veut point avoir de chaînes au pied : la femme serait bien folle de s’enchaîner elle-même !

Aimez un seul homme ; vous avez un cœur tendre, un cœur sensible ; vous liez bientôt avec lui une amitié si étroite, que vous la croyez inséparable ; vous vous faites tous les jours de nouvelles protestations d’amour ; vous jurez de ne vous séparer l’un de l’autre qu’à la mort. Ces protestations sont sincères de votre côté, mais vous n’êtes pas payée de retour : votre attachement pour lui est sans bornes, son attachement pour vous est de courte durée ; souvent, après des témoignages apparents d’une affection inviolable, le perfide, en sortant de chez vous, passe entre les bras d’une autre. Le dégoût, la satiété s’empare de lui ; l’objet nouveau est d’un meilleur aliment à sa lubricité ; il vous quitte, il vous oublie ; que deviendrez-vous ? Délaissée, méprisée, vous versez des torrents de larmes, vous êtes plongée dans l’amertume ; l’empreinte de la douleur se répand sur toute votre personne ; vous languissez, vous tombez malade, les chagrins dévorants avancent votre âge et vous ouvrent les portes du tombeau.

Aimez un seul homme ; il vous faut donc renoncer au projet de vous former un état brillant. Supposons qu’il vous affectionne pour quelque temps, qu’il soit riche, généreux ; lorsqu’il s’aperçoit que votre entretien épuise ses richesses, qu’il voit sa fortune fort bornée, ses désirs le deviennent aussi ; il commence à moraliser et à se dire à lui-même : « L’homme est bien fou de jeter son argent dans un trou qui ne se remplit jamais ! On appelle plaisir ce qui n’est qu’un étourdissement de l’âme ; on appelle volupté ce qui n’est qu’une insatiable fureur. » Cette morale du moment l’oblige à vous quitter ; vous n’aviez que cette source, la voilà tarie ; que deviendrez-vous ?

Au contraire, si plusieurs fontaines arrosent votre jardin, vous aurez toujours un parterre magnifique, et vous ne périrez jamais de soif.

ANGÉLIQUE

Ce que vous me dites est très sérieux. Mais si j’ai plusieurs amants, et que quelqu’un d’entre eux s’aperçoive qu’il a un rival ?

MARTHE

Pour éviter tout inconvénient, demain je vous amènerai une petite servante ; elle se contentera d’un petit gage, puisque chez vous elle peut s’attendre à bien des avantages. Elle est toute prête ; je lui ai déjà donné quelques leçons de conséquence. Elle a reçu de la nature un caractère doux et joyeux ; elle est passablement jolie, en un mot, elle est ce qu’il faut pour être une petite Nymphe au service de Vénus.

ANGÉLIQUE

J’aurai une servante ! Mais comment l’entretenir ?

MARTHE

Fiez-vous à moi ; si vous suivez mes conseils, il viendra bientôt un temps où vous pourriez avoir à vos ordres un nombreux domestique.

ANGÉLIQUE

Mais mon père, que dira-t-il ? Nous nous faisons nourrir fort chétivement par un traiteur qui demeure ici près… Je pourrai donc tenir ménage, commander, me faire accompagner ?… Dieu ! quel bonheur !

MARTHE

Votre père en sera bien aise ; vous n’avez qu’à lui faire bonne chère, qu’à lui donner de temps à autre quelques pièces d’or ou d’argent, pour qu’il s’amuse à son gré ; il vous laissera tranquille et se croira heureux.

ANGÉLIQUE

Mais cette fille est-elle suffisamment habillée ?

MARTHE

Vous la verrez dans une parure simple et modeste, mais pleine de grâces.

ANGÉLIQUE

Mais si quelqu’un, en me rendant ses visites, la trouvait plus jolie que moi, ou plus à son goût ?

MARTHE

Vous me faites rire, mademoiselle ; je vous crois une âme noble ; est-ce que la basse jalousie peut se glisser dans votre cœur ? Dans le genre de vie auquel vous vous dévouez, une jeune servante vous est si utile, si nécessaire, que vous devez plutôt la considérer comme une autre vous-même.

D’accord avec vous, elle ne laissera entrer personne sans l’annoncer. Si vous avez quelqu’un à vos côtés, si vous êtes en ouvrage, elle vous donnera le temps de vous relever, de reprendre votre assiette, de cacher votre amant dans un cabinet, en lui faisant accroire que c’est un de vos oncles, de vos cousins, de vos neveux qui vient vous voir.

Elle peut même vous donner tout le temps de faire sortir votre Adonis par une autre porte, sous prétexte que vous êtes encore à votre toilette, ou occupée de quelque affaire sérieuse, et, en attendant, retenir le nouveau venu dans sa chambre, l’amuser, s’amuser

ANGÉLIQUE

Et puis moi, avoir les restes de ma servante ? Cela me paraît trop dur.

MARTHE

Cela n’est pas si dur à digérer que vous le croyez. De cette manière la servante trouve son service fort agréable, et son propre intérêt l’oblige au secret. Et si le nouveau venu vous découvre, par hasard, infidèle, vous pourrez lui dire d’un ton ferme :

— Quoi ! monsieur, vous êtes traité chez moi à double portée, et vous voudriez me réduire à un seul plat ?

Ce discours lui fera voir que vous vous êtes aperçu de ses badinages avec la servante, sans vouloir lui en faire aucun reproche ; il sera contraint de se taire et de vous aimer.

ANGÉLIQUE

En vérité, il y a du comique à tout cela.

MARTHE

Notre vie n’est qu’une comédie : heureuses, si nous savons y jouer les rôles les plus agréables ; bien folles, si, par nos préjugés, nous la changeons en tragédie !

N’en doutez pas ; je viendrai moi-même, de temps en temps, vous amener quelque jeune monsieur, quelqu’un de ceux qui aiment à apprendre la profession de jardinier ; et si la place est prise, ou si quelque autre prétendant survient, je dirai que c’est une personne de ma connaissance qui vient parler de mariage ; enfin je serai toujours fertile en expédients pour ne pas vous compromettre.

ANGÉLIQUE

Eh bien ! je laisse aller ma petite barque à voiles et à rames, et vous en serez le pilote.

MARTHE

Si vous vous fiez à moi, votre navigation sera heureuse, et vous arriverez à bon port.

Voulez-vous apprendre des nouvelles d’une jolie fille que je ne nommerai pas, mais qui vit encore, dans cette ville même, qui fait consister son bonheur dans un heureux changement, et qui est, en vérité, une Protée femelle ?

ANGÉLIQUE

Avec plaisir, ma bonne. J’imagine que c’est une de vos élèves.

MARTHE

Si vous le voulez, mademoiselle. Notre ville est assez grande. Cette fille a fait courir le bruit qu’elle a une sœur et deux cousines, mais que trouvant leur caractère fort opposé au sien, il ne lui est pas possible de vivre avec elles. Elle a à sa disposition quatre petits appartements aux quatre coins de la ville. Sous différents prétextes, elle s’éclipse souvent et passe d’un quartier à l’autre ; elle change de nom, de coiffure, d’habillement, de voix, et a l’art surprenant, à l’aide d’une toilette bien étudiée, de changer de figure. Elle a mille pratiques, elle gagne et ramasse immensément.

Quelques-uns qui ont joui d’elle dans un quartier, — voyez si les hommes sont constants — et qui en jouissent dans un autre, croient la reconnaître : mais elle, pour se moquer d’eux au fond de son cœur, sait si bien varier de manières, qu’ils avouent leur erreur, et se persuadent avoir eu affaire avec sa sœur, ou avec une de ses cousines.

Excédée de la continuité de ses pratiques journalières, l’idée d’autres plaisirs s’offre à son esprit : elle se rend à l’église, elle s’humilie devant un jeune prêtre, pleure, ou fait semblant de pleurer, se déclare la plus grande pécheresse du monde, et le prie de l’honorer de quelques visites, pour la remettre peu à peu dans le bon chemin ; elle lui indique l’une ou l’autre de ses demeures ; le médecin spirituel ne manque pas de s’y rendre, dans l’intention vraie ou apparente de ramener une brebis égarée au bercail du Seigneur. Mais il arrive qu’au lieu de fermer la plaie, ce bon médecin la rouvre ; et elle en rit de tout son cœur en voyant que les gens d’église sont si aisément attaqués de la même maladie dont ils prétendent guérir les autres.

Quelquefois elle déguise son sexe, et habillée en voyageur, elle entre, sur le soir, dans un couvent de religieux qui n’ont point de barbe au menton, et qui, par une oisiveté bien nourrie, sont des athlètes robustes et puissants en tous combats. Elle se jette aux pieds du père prieur, fait un roman, et met en jeu diverses aventures d’amour ou de guerre ; elle dit que dégoûtée du monde et de ses maximes, elle sent l’excès de ses fautes et veut les expier ; qu’elle veut, en un mot, se fixer pour le reste de ses jours dans un asile monastique pour être dans la voie du salut. Ses accents sont entrecoupés de soupirs, de larmes, de sanglots, il semble qu’elle en étouffe ; pour se soulager, ses deux mains ouvrent sa veste, et le père observateur entrevoit les marques non équivoques et les plus séduisantes de son sexe : il en est d’abord scandalisé, puis tout ému, puis attendri, puis tout enflammé… Il veut s’assurer par ses yeux, par ses mains, s’il ne se trompe pas dans cette découverte… Il devient la victime de cet enchantement, et finit par l’exercer aux lois de la clôture.

ANGÉLIQUE

Elle ne pourra plus, à l’avenir, jouer ces rôles, puisqu’il n’y aura plus de couvents parmi nous.

MARTHE

Béni en soit Dieu ! et vive notre Assemblée Nationale ! Voilà tant de misanthropes redevenus hommes et rendus à la Société. Je suis cependant persuadée qu’il y en aura toujours quelques-uns, même beaucoup qui, si l’Assemblée les laisse faire, préféreront rester toute leur vie dans leur cage, et pourquoi ? Parce que les murailles monastiques cachent trop bien leurs sottises… Mais à propos, mademoiselle, vous ne refusez pas cette montre ?

ANGÉLIQUE

Mais vous m’avez dit qu’il faut persuader son amant qu’on ne l’aime pas par intérêt.

MARTHE

Et je vous le répéterai encore ; mais prenez toujours ; nous nous expliquerons mieux là-dessus une autre fois. N’en parlez point à celui même qui vous en fait présent… Un peu de pruderie, mais pas trop… Soyez heureuse, je viendrai demain vous en féliciter.


La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre
La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre

La Rhétorique des putains, figures
La Rhétorique des putains, figures
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre

LEÇON XI


MARTHE

Votre servante, mademoiselle.

ANGÉLIQUE

Dites-moi : « Bonjour Angélique ; » à la fin ce nom de mademoiselle, dans votre bouche, m’écorche les oreilles : appelez-moi votre amie, car je veux l’être… Mais qui est cette fille que vous avez amenée avec vous ?

MARTHE

Celle que j’ai envie de placer auprès de vous. Voyez-la ; son air ne vous frappera pas, peut-être, au premier coup d’œil ; mais croyez-moi, elle vous plaira ensuite par ses manières. Elle a été trois ans au service d’une dame qui vient de partir pour l’étranger. Marguerite — c’est son nom — n’a pas voulu quitter le pays, parce qu’elle a ici un petit cousin qu’elle aime à la folie. Cette dame, avant son départ, me l’a recommandée si vivement, et m’en a donné de si bons témoignages, que j’ose vous promettre que vous vous trouverez bien avec elle.

ANGÉLIQUE

Eh bien ! qu’elle reste ; l’inclination que je sens déjà pour elle m’anime bien mieux à la garder que tous les témoignages et toutes les recommandations dont vous pourriez me parler. Mais vous me permettrez bien de lui faire quelques questions ?

MARTHE

Tant que vous voudrez ; je sais que vous êtes une grande questionneuse ; mais, que cela ne vous déplaise, vous verrez qu’elle saura vous répondre.

ANGÉLIQUE

Vous êtes au fait du ménage, ma fille ?

MARGUERITE

Oui, madame.

ANGÉLIQUE

Je ne suis pas madame.

MARGUERITE

C’est que l’on m’a appris qu’aujourd’hui, en bon français, on dit madame, même aux filles, crainte de mentir en leur disant mademoiselle.

ANGÉLIQUE

Vous me paraissez bien rusée et un peu méchante.

MARGUERITE

Pardon, madame, vous me trouverez plutôt sincère et franche, que rusée et méchante.

ANGÉLIQUE

Il est inutile de vous demander si vous êtes fidèle.

MARGUERITE

Je n’ai jamais donné de promesses que je ne les ai tenues ; mais pour ne pas manquer à la fidélité, j’aime mieux promettre peu, et tenir beaucoup.

ANGÉLIQUE

Je veux dire, si vous pouvez vous vanter de servir vos maîtres avec fidélité.

MARGUERITE

Oui, madame, je puis m’en vanter, sauf un peu d’industrie.

ANGÉLIQUE

Savez-vous bien faire les lits, comme il faut ?

MARGUERITE

Je sais les faire, et mieux les défaire.

ANGÉLIQUE

Savez-vous un peu d’arithmétique ?

MARGUERITE

Je sais que, deux font un et quelquefois trois.

ANGÉLIQUE

Oh ! oh ! vous êtes savante !

MARGUERITE

C’est que madame Marthe a daigné me donner quelques leçons.

ANGÉLIQUE

Êtes-vous bien discrète ?

MARGUERITE

Oh ! pour cela, madame, vous me faites tort de me le demander. Je suis fille, mais je sais parler et me taire à propos ; j’ai une langue, mais je sais la régler comme l’aiguille d’une horloge ; je l’avance, je la recule, je la fais sonner l’heure que je veux. J’ai des yeux, mais, au besoin, je ne vois point ; j’ai des oreilles, mais quand il le faut, je n’entends point.

ANGÉLIQUE

Ne vous fâchez pas, ma fille ; je suis vive parfois.

MARGUERITE

Parfois, et pas toujours ? Je n’ai pas prétendu venir servir une morte. Un temps toujours calme m’ennuie à la fin ; j’aime à voir des nuages ; j’aime à entendre le tonnerre, pourvu que la foudre ne tombe pas ; après le mauvais temps, la sérénité a plus de charmes.

ANGÉLIQUE

Ma fille, je crois que vous me deviendrez bien chère.

MARGUERITE

Bien chère ? Est-ce que vous pensez que je vous coûterai beaucoup ?

ANGÉLIQUE

Ah ! la petite malicieuse ! Je veux dire que je vous aimerai et vous garderai plutôt comme une compagne que comme une servante.

MARGUERITE

Je ferai tout mon possible pour me rendre toujours digne de vos bontés. Je ne vous promets pas plus de beurre que de pain, mais je vaudrai bien le pain que je mangerai, j’ose m’en flatter.

ANGÉLIQUE

À propos, que dois-je vous donner par an, pour paiement de vos services ?

MARGUERITE

Ne parlons pas de cela, madame.

ANGÉLIQUE

Mais, encore une fois, ne me dites pas madame.

MARGUERITE

Mais pourquoi, s’il vous plaît ? C’est un si joli nom ! Mon cousin me dit souvent : madame ; et j’aime tant à être dame damée !

ANGÉLIQUE

On voit que vous n’êtes pas novice ! Mais voulez-vous bien me dire ce que vous prendrez de gages ?

MARGUERITE

N’en parlons pas, vous dis-je, madame. À la fin de l’année vous me donnerez ce que vous voudrez, et je suis persuadée que vous surpasserez même mon attente… Mais est-ce que je serai toute seule à vous servir ? Je sais parfaitement coiffer, aider de toutes façons à la toilette… Voyez mes mains, elles ne me semblent pas faites pour manier les marmites… Mon petit cousin peut faire cela : faites-moi la grâce qu’il vienne, lui aussi vous servir, habillé en fille ; un seul lit nous suffira, à lui et à moi. Vous êtes raisonnable, madame. Pendant que l’on vous apprêtera tous les plats que vous voudrez, je n’aime pas rester à jeun, moi… Vous le verrez, ce petit cousin ; la nature l’a pétri avec soin, et l’amour l’a embelli avec empressement ; il vous plaira, je n’en serai point jalouse ; il ne me gêne point, je le laisse libre aussi, Voilà comment l’on vit heureux… Dans un temps de disette, tout pain est bon.

ANGÉLIQUE

Mais pourquoi en habit de fille ?

MARGUERITE

Madame Marthe vous expliquera le mystère… Je vais donc prendre mon cousin, qui passera pour être ma sœur… À l’honneur de vous revoir, madame.

ANGÉLIQUE

Que cette fille est charmante !

MARTHE

C’est la fille qu’il vous faut ; je vous assure que vous n’en trouveriez pas une dans tout l’univers qui pût vous convenir mieux que celle-ci.

ANGÉLIQUE

Mais est-ce tout de bon que je dois prendre aussi son cousin avec elle ?

MARTHE

Je ne vous l’ordonne pas, je ne puis que vous le conseiller.

ANGÉLIQUE

Mais je me mets un pesant fardeau sur les épaules ; comment pourrai-je le porter avec honneur ?

MARTHE

Oh ! vous aurez d’autres fardeaux à porter ! Mais vous vous en acquitterez très bien et avec honneur ; n’en soyez pas en peine.

ANGÉLIQUE

Mais ce jeune homme, à qui Marguerite est inséparablement attachée, est-il vraiment son cousin ? Une amitié si étroite, entre parents, m’étonnerait à la vérité.

MARTHE

À vous dire vrai, je ne me suis pas souciée de voir son arbre généalogique. D’ailleurs, je me rappelle avoir vu un tableau, où l’Amour était peint au pied d’un escalier que montait et descendait bien du monde. On voyait que ce dieu capricieux, à chaque instant, bandait son arc, décochait ses flèches, et blessait toujours quelqu’un à chaque degré.

ANGÉLIQUE

Mais pourquoi doit-il me servir habillé en fille ?

MARTHE

Je vous en dirai la raison… Mais moi aussi je suis curieuse de nouvelles : parlez-moi un peu premièrement de votre dernière conquête.

ANGÉLIQUE

Dispensez-moi, je vous prie, de vous en faire un long récit ; il me serait impossible de trouver les réflexions convenables pour vous peindre l’amour qu’il m’a inspiré, et les plaisirs qu’il m’a donnés. C’est le dieu même de la volupté, déguisé en simple mortel, qui a couché avec moi, et qui m’a fait passer la nuit la plus délicieuse.

MARTHE

Vous ne vous repentez donc pas d’avoir changé de mets ?

ANGÉLIQUE

Ah ! je n’en changerai plus, je trouve celui-ci trop à mon goût.

MARTHE

Comment ! vous n’en changerez plus ! Ayez la bonté de regarder ceci.

ANGÉLIQUE

C’est un billet de change pour cinq cents louis.

MARTHE

J’ai un autre billet, pour mon compte, de vingt louis : voulez-vous me les faire perdre, vous qui m’avez juré une reconnaissance éternelle ?

ANGÉLIQUE

Non, ma bonne, mais expliquez-moi ce mystère.

MARTHE

C’est un vieux Crésus, c’est-à-dire un vieux fermier qui, quoique penché sur sa tombe, a la folie de vouloir goûter des fruits printaniers. Il vous a vue hier à la fenêtre ; il m’a aussitôt mandée, et comme à une personne qui connaît toutes les filles de la ville, il m’a demandé de vos nouvelles.

Je lui ai fait de vous un éloge simple et sans art, mais de manière que j’ai attisé le feu dont il brûlait déjà… Si vous avez le courage, pour peu de temps, d’avaler ce vieux morceau, votre fortune est faite. Je dis pour peu de temps, parce que n’ayant plus de force pour combattre dans le camp de Vénus, après quelques petites escarmouches, il sera contraint de succomber, et vous lui procurerez un repos éternel.

ANGÉLIQUE

Vous exigez de moi un cruel sacrifice !

MARTHE

N’en sentez-vous pas le prix ? Pouvez-vous balancer dans le choix ? Cinq cents louis pour premier gage !… Il n’a ni femme ni enfants ; il a des parents, mais qu’il ne veut pas reconnaître ; parce qu’ils ne sont que des roturiers, comme il l’était lui-même, il y a quelques années. Il vous prodiguera les richesses que l’oppression et la fraude lui ont amenées ; il peut vous faire son héritière ; la fortune se plaît à mettre à vos pieds tous ses trésors, et vous ne voudriez pas assurer votre bonheur ?

ANGÉLIQUE

Vous m’offrez donc du pain sec et moisi ? À la bonne heure. Mais cela m’empêchera-t-il de goûter mon mets délicieux ? Mon jeune marchand, que j’attends encore ce soir…

MARTHE

Ce soir ! Dieu ! cela gâte toutes mes mesures. Mais, ce soir même, ce fermier doit venir pour passer la nuit avec vous !… Jamais, mademoiselle, jamais vous ne devez donner parole à vos amants de les voir deux jours de suite. Vous devez avoir mille prétextes toujours prêts à alléguer pour remettre à d’autres temps vos entretiens. Pourquoi vous laisseriez-vous obséder par quelqu’un pour que d’autres ne puissent vous approcher ? Est-ce là le fruit de mes leçons ?… Vous pleurez, mademoiselle ? Vous me faites pitié, je veux vous soulager. Avez-vous remarqué que Marguerite est à peu près de la même taille et du même âge que vous, et que, étant bien parée, elle pourrait bien vous valoir !

ANGÉLIQUE

J’y réfléchis dans ce moment, et j’en demeure d’accord ; mais que voulez-vous dire avec cela ?

MARTHE

Voulez-vous bien écrire tout de suite un billet, pour donner avis à votre jeune marchand de remettre sa visite à un autre soir, sous prétexte que votre père s’est aperçu de quelque chose, et que vous devez prendre toutes les précautions possibles pour éviter d’être surprise… Les larmes vous viennent aux yeux ; je me sens attendrie, je partage votre douleur.

Eh bien ! laissez arriver votre jeune marchand, vous coucherez avec lui, mais, à l’avenir, soyez plus prudente.

ANGÉLIQUE

Mais le vieux fermier ?

MARTHE

Vous ordonnerez à Marguerite de se mettre, pour ce soir, à votre place. Ce sera pour elle un amusement singulier. Elle a déjà le secret de se rendre ou de paraître pucelle à son gré ; et elle est plus robuste que vous.

Le pauvre vieillard se trouvera plongé dans une si longue guerre, qu’après deux ou trois combats, il sera contraint d’avouer qu’il se trouve battu, abattu, défait ; il demandera, lui le premier, une trêve d’un mois au moins, pour réparer ses forces.

On l’obligera poliment de sortir en silence, avant qu’il soit jour ; il s’en ira persuadé d’avoir été admis à la première table, et il n’aura mangé qu’à la seconde : mais cela ne fait rien à la chose.

En cas que votre jeune marchand vous manque, vous pourrez vous procurer un amusement fort agréable, en couchant avec la sœur de Marguerite : quel plaisir de la trouver dans les draps, métamorphosée en un beau garçon, frais et vigoureux !

ANGÉLIQUE

Vous me faites rire, ma bonne ; mais je n’ai que deux lits à ma disposition ; où couchera-t-il le petit cousin ?

MARTHE

Ce sera l’affaire de Marguerite d’arranger tout cela.

ANGÉLIQUE

Mais ce vétéran de Cythere prétendra peut-être revenir pendant le jour.

MARTHE

Je vais vous parler en prophétesse. Il reviendra le surlendemain, au plus tard, pour voir et examiner de près sa chère conquête. Il marchera vers vous avec ses deux jambes cagneuses, et la troisième fresque impuissante ; vous devrez le recevoir avec transport, lui faire mille honnêtetés, lui donner les plus grandes marques d’affection, l’appeler tendrement votre bon papa. Vos grâces, vos manières gagneront son cœur et son argent.

ANGÉLIQUE

Mais ma voix peut me trahir, et s’il s’aperçoit que ce n’est pas moi avec qui il a couché, que deviendrai-je ?

MARTHE

Questionneuse éternelle ! n’êtes-vous donc née que pour vous tourmenter mal à propos ? Vous ne connaissez pas encore les qualités de Marguerite, ni dans quelle perfection elle sait mener les intrigues les plus galantes ; elle lui parlera fort peu, et toujours à voix basse ; outre cela, elle vous a entendu parler quelques instants ; cela suffit pour qu’elle sache, au besoin, imiter si bien votre voix, que l’homme le plus attentif pourrait s’y méprendre.

Mais laissez-moi vous parler de ce vieux fermier. Il vous trouvera parfaitement à son goût, j’en suis sûre ; il cherchera peut-être à vous oppresser inutilement du poids de son corps ; prenez patience ; ayez même le courage de manier sa vieille rosse, de la chatouiller, de l’exciter à lever la tête et à marcher. Si elle ne peut faire que quelques pas, faites au moins qu’il ait le plaisir de contempler, à son aise, toutes les beautés secrètes que la nature vous a données en partage, ne manquez pas de baiser souvent, quoique à regret, ce bon papa. Après vous avoir promis de faire votre bonheur, il poussera le ridicule jusqu’à vouloir que vous lui soyez fidèle ; vous devez le lui promettre, dans l’intention, sans doute, de ne pas tenir votre parole.

Après cela, il vous faudra quitter, le même jour, cet appartement, et passer dans un hôtel superbe qu’il prendra pour vous ; vous vous trouverez la maîtresse d’une maison montée sur le plus grand ton, et vous nagerez dans les délices. Mais, prenez garde ! L’œil de la défiance sera ouvert sur toutes vos actions. Plusieurs de ses domestiques qui sont à sa discrétion, auront aussi toujours les yeux sur vous ; s’il pouvait prendre le moindre ombrage sur vous, tout serait perdu.

ANGÉLIQUE

Je vais donc devenir une prisonnière, une esclave chargée de chaînes dorées ? Cette idée me fait frémir !

MARTHE

Vous ne serez accablée de ces chaînes que très peu de temps. Croyez-moi, vous vous affranchirez bientôt du joug d’une courte servitude. D’ailleurs votre esclavage sera bien doux, et le petit cousin saura bien vous dédommager de l’ennui que vous donnera ce vieillard importun.

Vous devez accepter ses offres généreuses, mais à condition que vous garderez auprès de vous vos deux servantes. Un jeune garçon habillé artistement en fille, ne pourra faire entrer dans son cœur aucun soupçon : vous voyez à présent que ce petit cousin vous est très utile, même nécessaire.

Toutes les fois que vous le pourrez, vous lui donnerez le change, et Marguerite, qui est plus forte et plus expérimentée que vous, le fera tellement nager dans une mer de délices, qu’il y sera bientôt noyé. L’usage immodéré des plaisirs fait déjà vieillir avant l’âge ; à plus forte raison, un vieillard qui veut encore creuser, creuse en même temps son tombeau.

Jetez d’avance les yeux sur le dénouement de cette aventure. Après quelques mois de retraite, la liberté la plus brillante vous attend. La fortune vous regarde d’un œil favorable, elle vous promet un avenir des plus agréables : voudriez-vous refuser ses faveurs ?

ANGÉLIQUE

Mais, mon jeune marchand ?

MARTHE

Votre jeune marchand ? On voit bien que c’est balai tout neuf pour vous. Ne savez-vous pas qu’il est impossible de passer sa vie sans faire des sacrifices et sans exiger ? Pour arriver au sommet du bonheur, il faut souvent monter par des chemins escarpés et épineux. Si le courage nous manque, si la fortune qui nous sourit s’échappe, si nous demeurons dans une honteuse pauvreté, tant pis pour nous. C’est notre faute.

Vous le verrez ce soir, votre jeune marchand, la nuit est assez longue ; vous aurez le temps de savourer à plusieurs reprises le plaisir et la volupté. Vous lui direz, enfin, que votre père vient de recevoir une lettre de son frère aîné qui demeure à trente lieues d’ici, et qui, attaqué d’une cruelle maladie, se trouve dans l’état le plus alarmant ; qu’il souhaite très ardemment de passer les derniers moments de sa carrière entre ses bras et les vôtres, et que, par conséquent, vous ne pouvez pas vous dispenser d’être du voyage.

Ajoutez à tout cela que votre oncle a toujours nagé dans l’opulence ; qu’il jouit d’une fortune immense, et qu’en recueillant sa succession, vous allez posséder un bien fort considérable.

Ce joli conte sera pour lui une histoire véritable. Engagez-vous par un serment réciproque de vous être fidèles l’un à l’autre : ce serment téméraire et insensé, et qui par conséquent n’oblige à rien, deviendra néanmoins le garant de votre tendresse. Dites-lui que trois mois d’absence seront pour vous trois siècles ; qu’éloignée de lui, vous l’aurez toujours présent à votre esprit ; que vous vous répéterez mille fois les assurances qu’il vous a données de son amitié ; que vous y réfléchirez toujours avec un plaisir extrême et que tout cela vous soulagera du chagrin de ne pas le voir ; pleurez, vos larmes précieuses couleront toutes dans le cœur de votre amant, et bien loin d’éteindre son feu, elles le rendront inextinguible.

ANGÉLIQUE

Pourrai-je lui dire qu’il m’écrive au moins ?

MARTHE

Vous extravaguez, mademoiselle. Mais quelle adresse pourriez-vous lui donner ?

ANGÉLIQUE

Pardon, ma bonne, j’ai la tête un peu confuse… Mais s’il me demande le nom de l’endroit où je fais semblant d’aller, dans le dessein de faire quelque escapade ?

MARTHE

Répondez-lui que vous l’avez oublié ; que s’il a à cœur votre bonheur, il ne doit penser ni à vous voir, ni à vous écrire ; car ses allées, ses venues, ses lettres, ses échappées, tout pourrait vous perdre.

De grâce, mademoiselle, conduisez-vous toujours avec une grande prudence ; ne vous écartez point de mes conseils ; si vous ne voulez pas gâter les mesures que je prends pour vous mettre au comble de la félicité.


La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre
La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre

La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre

LEÇON XII


ANGÉLIQUE

Ah ! ma chère Marguerite, viens que je t’embrasse de tout mon cœur ; tu m’as rendu un grand service ; quelle reconnaissance pourra jamais m’acquitter envers toi ? Je conserverai, toute ma vie, le souvenir d’un bienfait si signalé. Je n’ai point un cœur ingrat, je sens l’étendue de ta complaisance, et je ne souhaite d’être riche et heureuse, que pour avoir le moyen et la joie de pouvoir satisfaire aux obligations que je t’ai.

MARGUERITE

Que de compliments avec votre très humble servante ! Lorsque je ne fais que mon devoir, quels droits puis-je avoir à votre reconnaissance ?

ANGÉLIQUE

Tu n’as fait que ton devoir ! Mais qui aurait pu exiger de toi de coucher à ma place, avec un vieillard dégoûtant ? Qui pouvait t’obliger à me céder ton cher cousin, pour que je goûtasse avec lui des plaisirs inexprimables ?

MARGUERITE

Votre mérite, mademoiselle, mon attachement pour vous, mon état de domestique, tout m’obligeait à cela.

ANGÉLIQUE

Ah ! ah ! tu ne sais pas mal tourner la flatterie ; je te passe celle-ci ; mais souviens-toi que je hais les éloges et que je m’en défie.

MARGUERITE

Eh bien ! permettez-moi donc de chercher toujours à vous plaire, mais jamais aux dépens de la vérité.

ANGÉLIQUE

C’est ce que je veux de toi ; j’exige que tu te gardes bien de me corrompre par des louanges exagérées et ridicules, mais que plutôt tu désapprouves librement en moi tout ce que tu y trouveras de blâmable.

MARGUERITE

Cela ne sied pas mal à une femme de chambre.

ANGÉLIQUE

Cela ne sied pas mal à une compagne chérie… Sais-tu bien que plus j’y réfléchis, plus je me persuade que tu n’es pas née pour servir ; que ton cousin n’est pas tel qu’il cherche à paraître ; que votre caractère, vos manières, votre langage même cachent quelque mystère ?

MARGUERITE

Cela pourrait être, mademoiselle, on sait que la nature est parfois fort capricieuse dans ses ouvrages. Il est des gens qui pourraient bien se passer de se rendre sujets des autres, mais qui se plaisent à préférer une douce servitude à une liberté brillante, mais ruineuse. D’autant plus que lorsqu’on est avec une maîtresse aussi digne, aussi aimable que vous… Vous direz que je vous flatte, et je ne veux pas vous déplaire.

ANGÉLIQUE

Mais dis-moi sincèrement, petite rusée, es-tu bien persuadée qu’il n’y a point de crime à faire de ces choses avec les hommes ?

MARGUERITE

Quelles choses ? Avez-vous peur de dire à foutre ? S’il y a crime ? Vous me faites rire ; est-ce là le fruit de vos leçons ?

ANGÉLIQUE

Il me semble que ton aveu simple et sans art aura plus de force sur mon esprit et sur mon âme que toutes les leçons de madame Marthe.

MARGUERITE

Me croyez-vous capable de faire une chose, quand je serais persuadée de commettre un crime en la faisant ? Croyez-moi, mademoiselle, quelques leçons de pratique persuadent beaucoup plus que plusieurs leçons de théorie.

ANGÉLIQUE

Je n’ai donc point fait de péché.

MARGUERITE

Votre discours me rappelle une question que fit un Juif à un Chrétien.

Ce Juif venait de manger du saucisson dans une auberge où il s’était arrêté pour se rafraîchir. Après qu’il l’eut mangé, il demanda au Chrétien qui était son compagnon de voyage :

« — Croyez-vous, mon ami, que j’aie commis un péché en mangeant du saucisson avec vous ? »

La première réponse du Chrétien fut un grand éclat de rire, ensuite il lui dit :

« — Ai-je fait un péché, moi ?

« — Non, mon ami, parce que votre loi vous le permet.

« — Et pourquoi votre loi vous le défend-elle ?

« — Je ne sais ; mais elle me le défend.

« — Votre loi est bien vieille !

« — Elle vient toujours de Dieu.

« — Et la mienne aussi. Or, y a-t-il de la contradiction en Dieu ?

« — Cela ne peut être.

« — Pourquoi donc permettra-t-il aux uns ce qu’il défend aux autres ? Quand vous avez mangé avez-vous cru faire un péché ?

« — Non, parce que j’ai un peu raisonné, et je me suis dit à moi-même : « Les pontifes romains parlent aux chrétiens de la part de Dieu, et ils leur permettent de manger du saucisson ; nos rabbins nous parlent de la part de Dieu, et ils nous le défendent ; ce n’est donc pas Dieu qui a parlé ; ce ne sont que les hommes. Pourquoi ferais-je un péché en mangeant du saucisson ? Tant de braves en mangent bien, et l’idée que nous avons d’un Dieu infiniment bon, comme il l’est en effet, car sans cela il ne serait point Dieu, est absolument impossible, avec l’idée d’un feu éternel prêt à dévorer un pauvre malheureux pour avoir avalé un morceau de saucisson… qui est si bon ! »

« — Vous êtes le meilleur philosophe du monde. »

Faites-en l’application, mademoiselle, et dites souvent en vous-même : « Peut-il y avoir du péché à manger du saucisson, qui est si bon ? »

ANGÉLIQUE

Cela est charmant ! Mais c’est moi qui en ai mangé du bon cette nuit ; quant à toi ma pauvre Marguerite, je crois bien que tu t’es levée avec la faim.

MARGUERITE

Pas tout à fait, mademoiselle. Ne savez-vous pas que, quelquefois, le plaisir de donner du plaisir est un grand plaisir ? Que dites-vous, mademoiselle, de ce joli jeu de mots ?

ANGÉLIQUE

Je comprends qu’il y a de la noblesse dans tes sentiments.

MARGUERITE

J’ai eu grand pitié de ce vieil invalide. C’est bien lui qui peut dire avec raison, que l’esprit est prompt, mais que la chair est faible.

À peine fut-il entré dans la chambre que je saisis une de ses mains, sur laquelle j’imprimai avec tendresse quelques baisers : mais je fis semblant d’être tout à coup agitée d’un tremblement universel et presque convulsif ; je poussai avec art un soupir affecté, et je jouai le rôle d’une personne dont le cœur est tout ému, et dont les pleurs sont prêts à couler. Nous n’avions point de lumière, mais la lune donnait en ce moment sur la fenêtre, et éclairait la chambre de manière qu’il pouvait voir ma taille, ma figure, mais non pas en distinguer les traits. En approchant du lit, je me laissai tomber sur une chaise ; il crut que j’allais perdre toute connaissance ; il approcha son visage du mien, et me dit tendrement :

— Rassure-toi, ma petite poule.

— Hélas ! dis-je en moi-même, hélas ! à bonne poule mauvais coq !

— On voit bien, ajouta-t-il, que tu es une terre neuve ?

— Qu’entendez-vous, monsieur, répondis-je d’une voix basse et plaintive, qu’entendez-vous par terre neuve ?

Une terre qui n’a point encore été défrichée.

— Je ne comprends pas ce mot défrichée.

— Tant mieux, ma chère.

— Parlez doucement, monsieur, je vous en prie, car mon père dort ici à côté, et nos chambres ne sont séparées que par une cloison de bois.

— Mets-toi au lit, mon amie.

— J’en ai bien besoin.

— Et moi aussi.

— Mais voudriez-vous coucher avec moi ?

— Et pourquoi non ? Je pourrais être ton grand papa.

— Oh ! pour cela oui ; cependant je n’ai jamais couché avec mon père.

— Mais je suis venu pour cela ; auras-tu le courage de me refuser ?

— Vous tiendrez-vous tranquille ? Votre âge m’en assure presque ; mais l’occasion fait souvent le larron, monsieur… Je vous assure qu’au premier attentat je pousse un cri et j’appelle mon père.

— Mais pourquoi m’as-tu permis d’entrer et à cette heure ?

— Madame Marthe m’a dit que vous vouliez m’entretenir, à l’insu de mon père, sur le dessein que vous avez formé de faire mon bonheur, et elle ne m’a rien dit davantage.

— Eh bien ! c’est tout dire, mon amie ; oui, je ferai ton bonheur, pourvu que tu fasses le mien.

— Dites ce que je dois faire pour vous rendre heureux, et s’il dépend de moi, je le ferai avec plaisir.

— Tu te contredis ouvertement, mon petit bijou ; tu aimes à me rendre heureux, et tu ne veux pas me donner ton pucelage ?

— Et il vous faut cela pour votre bonheur ? Mais si je perds ma vertu, je serai malheureuse toute ma vie ; que mes soupirs et mes larmes vous touchent, mon bon papa !

— Tu fais bien de m’appeler ton papa ; car tu seras ma fille ; je le jure, par tout ce qu’il y a de plus sacré sur la terre et dans les cieux !

Enfin, je me laissai gagner ; nous nous déshabillâmes, nous nous mîmes au lit. Je me prêtai d’abord fort nonchalamment à ses désirs ; je poussai ensuite quelques petits cris ; à la fin, comme par obéissance, je me soumis avec adresse à ses volontés.

Après un voyage court et pénible, il se coucha de tout son long, essoufflé, épuisé, presque mourant.

— Qu’avez-vous, cher papa, lui dis-je d’un ton doucereux, en essuyant son front trempé d’une sueur froide, vous trouvez-vous mal ?

— Non, ma chère, me répondit-il, d’une voix presque éteinte ; mais j’ai eu trop de peine à m’ouvrir le chemin du bonheur.

— Vous m’avez bien fait souffrir aussi ; répliquai-je ; je me sens toute inondée de sang ; vous m’avez blessée à mort, et vous dites que vous m’aimez !

— Oui, je t’aime, ajouta-t-il ; ne crains rien : ta blessure se guérira à force de la rouvrir.

Feignant d’avoir l’âme pénétrée de son état de langueur, je lui fis prendre quelques diablotins, de ceux faits avec art, où l’on mêle des mouches qu’on appelle cantharides ; j’en ai toujours une bonne provision pour m’amuser dans le besoin.

Il les avala avec avidité ; il crut se trouver mieux, peu de temps après, se sentant tout en feu.

— Oh ! ma chère, me dit-il, ta chaleur virginale m’enflamme, me donne de nouvelles forces, me rajeunit.

Il saute en selle, et fait un second voyage un peu plus agréable. Il se repose, il promène ses mains défaillantes, et manie tous mes membres ; il s’endort.

Moi, je ne ferme point l’œil : à peine l’aurore blanchit l’horizon, que je le réveille et je le prie de me quitter. Il veut tenter une troisième course, mais la source de sa passion est tarie ; il s’arrête en disant qu’il a pitié de moi et ne veut pas m’épuiser. Il renouvelle ses protestations, ses serments ; il se lève, s’habille ; j’ai le courage d’imprimer plusieurs baisers sur son visage décrépit ; je l’accompagne en chemise jusqu’à la porte de la chambre ; nous nous jetons au cou l’un de l’autre…

— Adieu, mon bon papa !

— Adieu, ma très chère fille !…

ANGÉLIQUE

Que tu as su bien jouer ton rôle ! Mais qu’est-ce que ces diablotins ?

MARGUERITE

Je vous en ferai voir. Ce sont de petites pâtes de chocolat, couvertes de petites dragées de non-pareille, où l’on mêle des cantharides : ces pâtes allument le feu dans le corps le plus glacé, et mettent la vieille rosse au trot, tête levée.

ANGÉLIQUE

Mais, es-tu bien sûre, ma chère Marguerite, qu’il ne te reconnaîtra pas en te revoyant, et qu’il ne s’apercevra point de sa méprise ?

MARGUERITE

Ne vous permettez aucun doute là-dessus. Vous devez vous parer tout de suite de ce joli bijou, le porter continuellement à votre cou, et il sera persuadé que c’est avec vous qu’il a eu affaire, comme c’est à vous qu’il a prétendu en faire présent.

ANGÉLIQUE

Dieu ! qu’il est beau ! C’est son portrait, sans doute, garni de diamants. Mais s’il est ressemblant, sais-tu que ce n’est pas une figure désagréable.

MARGUERITE

Les peintres ont assez la coutume de flatter leurs modèles ; mais cela ne fait rien… Mais ce portrait n’est pas le tout. En faisant le lit, j’ai trouvé, sous le chevet, cette tabatière en or qui renfermait ce portrait, et cent louis avec que j’ai eu la curiosité de compter. Prenez, mademoiselle, tout cela vous appartient.

ANGÉLIQUE

Mais comment veux-tu, ma chère, que j’aie le courage d’accepter et de retenir ce que personne n’a mérité que toi ? Pour le portrait, je ne m’y oppose pas, puisque c’est moi qui dois le porter ; pour la tabatière, à la bonne heure, puisqu’il pourrait me demander quelques prises de tabac, et je dois lui témoigner que ses présents me sont agréables : mais pour l’argent, je veux absolument que tu le gardes pour toi.

MARGUERITE

Non, mademoiselle, le plaisir de vous obliger me tient lieu de toute récompense.

ANGÉLIQUE

Et tu veux me couvrir de honte par ta générosité ? Si tu n’acceptes au moins la moitié de cet argent, en vérité, tu me mettras de mauvaise humeur.

MARGUERITE

Eh bien ! pour vous faire voir que je ne suis point opiniâtre, je l’accepte, et je vais tout de suite le partager avec mon cousin… Lui dirai-je que vous êtes contente de lui et de son saucisson ?

ANGÉLIQUE

Dis-lui que je l’aime, que vous m’êtes chers, et que je me trouve heureuse avec vous.

MARGUERITE

Voici madame Marthe qui va entrer, je vous laisse avec elle ; mais permettez-moi de vous prier d’être prudente, et de ne pas tout lui redire ; on ne doit jamais mépriser les bons conseils, par quelque bouche qu’ils puissent passer.

MARTHE

Bonjour, mademoiselle. Je viens vous apporter une nouvelle qui doit certainement vous combler de joie. Notre vieux fermier est tout à vous ; il vous affectionne, il vous aime éperdument ; vous avez su gagner son cœur et son bien.

ANGÉLIQUE

Hélas ! ce n’est pas moi, c’est la Marguerite ; c’est elle à qui j’aurai tant d’obligations.

MARTHE

Cela ne fait rien ; c’est vous qui êtes l’objet de ses vœux et de son amour. Dans la journée un notaire doit se rendre chez vous pour vous instituer son unique héritière ; il vient de me le dire. Il va bientôt vous envoyer deux de ses domestiques qui dépendront de vos ordres : un en qualité de cuisinier, et l’autre en qualité de valet de chambre. Celui-ci sera en même temps votre gardien, mais n’importe ; vous en êtes déjà prévenue ; un peu de patience, et votre fortune est faite. Vous voyez bien que mes prophéties commencent à se vérifier.

ANGÉLIQUE

Mais, ma chère Marguerite et son cousin ?

MARTHE

Ne soyez point en peine, je lui en ai parlé : il est très content que Marguerite soit votre femme de chambre, et que son cousin soit au service de votre père… Oserai-je vous demander des nouvelles de votre jeune marchand ?

ANGÉLIQUE

Il entra hier au soir, les larmes aux yeux ; il me dit que son père s’étant aperçu de son échappée, l’avait menacé de le faire enfermer dans un château, s’il découchait encore une fois. Moi-même j’eus la prudence de lui conseiller de se rendre de bonne heure au logis ; je lui parlai de mon oncle et de mon prétendu voyage ; il parut s’intéresser à mon sort ; nous fûmes heureux quelques instants, et nous nous quittâmes dans l’espérance de nous revoir à meilleure occasion.

MARTHE

Vous avez donc été veuve cette nuit ?

ANGÉLIQUE

Oh ! non, en vérité. Le petit cousin sut me faire des agaceries si piquantes, si gracieuses, si délicates, que je ne pus lui refuser de partager mon lit avec lui… Dieu ! quelle nuit délicieuse !

Tout ce que vous m’avez dit des domestiques me revenait à l’esprit, et j’avoue que, par moments, je sentais quelque répugnance à me livrer à ses embrassements ; mais il était si propre, si mignon, si jeune, si attrayant !

MARTHE

Ah ! mademoiselle, ma leçon sur les domestiques ne regarde que ceux d’autrui. Vous ne devez regarder ni Marguerite, ni son cousin comme des domestiques, ils n’en ont que l’apparence ; il y a là un mystère que vous découvrirez avec le temps. Mais dites-moi sans détour, n’est-il pas vrai que l’on trouve bien de l’agrément à changer d’objets et de plaisirs ?

ANGÉLIQUE

Je ne puis pas le nier, et ce qui me surprend le plus, c’est que je me sens un cœur capable de les aimer également l’un et l’autre.

MARTHE

Il vous arrivera, sans doute, que plusieurs objets vous seront également chers ; vous sentirez au fond de votre cœur une ardeur égale pour chacun d’eux ; cependant vous devez par prudence, persuader chacun d’eux en particulier, que vous n’aimez que lui seul. Car, pour ce qui regarde le petit cousin, c’est un original unique au monde ; plus il verra qu’on vous aime, et plus il vous croira aimable… Plus il verra d’adorateurs à vos pieds, et plus il se dira à lui-même : « Ma chère Angélique est vraiment adorable. »

Mais pour les autres hommes, ils sont en général trop jaloux, ils ont trop d’amour-propre ; ils ne souffrent point d’avoir des rivaux, avec qui disputer la possession d’un objet qu’ils aiment. Vous devez dire à chacun :

— Je vous jure que de tous les hommes je n’en puis pas aimer un plus tendrement que vous ; vous m’êtes uniquement cher, et c’est de vous seul que j’attends mon plaisir et ma félicité.

La Rhétorique des putains, figures
La Rhétorique des putains, figures

Écoutez cette historiette.

Une femme qui ne se contentait pas de son mari, jouissait en particulier de trois beaux moines : d’un jacobin, d’un bénédictin et d’un cordelier. Ces trois cénobites, par un étrange phénomène, étaient liés entre eux d’une amitié intime ; tous les trois, sans le savoir, buvaient à la même source de volupté.

« — Ah ! si vous saviez, disait le jacobin, quelle maîtresse j’ai le bonheur de posséder ! Elle m’aime plus que son mari, et, son mari excepté, elle n’aime personne que moi…

« — Oh ! pour la mienne, répliquait le bénédictin, je jure sur mon habit sacré, qu’elle n’a un cœur que pour moi, et qu’elle se souvient à peine d’avoir un mari…

« — Je jouis du même bonheur que vous, ajouta le cordelier.

« — Eh bien ! dit alors le jacobin, faites-moi le plaisir de venir demain matin, à neuf heures, prendre une tasse de chocolat avec moi. Vous aurez occasion de voir dans ma chambre ma belle conquête. Elle s’y rendra en habit de jeune voyageur, comme si elle venait m’apporter des nouvelles de mes parents. C’est un pari que j’ai fait avec un de mes confrères et je suis sûr de le gagner.

« Pour l’engager à venir me voir, je lui ai fait un petit conte ; je lui ai dit que notre prieur, ayant soupçonné ma conduite, m’a condamné à garder ma chambre, comme un prisonnier. Elle a pleuré et m’a protesté qu’elle ne pourra jamais rester un seul jour sans me voir. Je vous attends donc pour partager ma joie, mais non pas mon butin. »

Le lendemain, ils ne manquèrent pas d’aller prendre le chocolat ; mais quelle fut leur surprise, quel fut leur étonnement, de trouver dans le jeune voyageur, la même femme, la même monture dont ils se servaient dans leurs voyages apostoliques !

Cette femme adroite prit sur-le-champ son parti, sans se déconcerter, elle les embrassa tendrement tous les trois, l’un après l’autre, et dit :

« — Mes révérends pères, vous savez que la Sainte Écriture soutient ouvertement que la vulve ne dit jamais : C’est assez. Vous devez donc me tenir pour une femme bien vertueuse si, après mon mari qui me fait souvent jeûner, je me contente de vous trois. Oui, je vous aime de tout mon cœur tous trois, et chacun de vous en particulier ; et j’espère que vous continuerez, tous trois, à me donner des marques sensibles et réitérées de votre amour. Souhaitez-vous que je vous explique mes intrigues à votre égard ? Mon mari est presque toujours dehors, et je vous faisais accroire qu’il était presque toujours au logis. Chacun de vous avait ordre de ne point entrer chez moi, avant de voir un signal sur ma fenêtre. Ce signal était un vase de fleurs ; mais chacun de vous avait sa fleur, différente de celle des autres… »

Elle voulait continuer, mais les saints frères l’interrompirent par des éclats de rire immodérés… Ils déjeunèrent en paix, et toujours en riant de cette étrange aventure ; après quoi, pour resserrer les nœuds de leur amitié, ils versèrent et burent tour à tour d’une même liqueur dans le même verre.


La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre
La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre

La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre

LEÇON XIII


MARTHE

Il ne me reste que trois leçons à vous donner, mademoiselle, et je vous prie de vouloir bien les prendre toutes trois dans cette journée, puisque je n’aurai l’honneur ni le plaisir de vous revoir, au moins pour quelque temps.

ANGÉLIQUE

Quelle nouvelle accablante venez-vous m’annoncer ?

MARTHE

Vous êtes bien honnête, mademoiselle : tant que vous serez sous le pouvoir du fermier, la prudence m’empêchera de vous rendre des visites. C’est la prudence qui m’enseigne à ne pas agir mal à propos, et à ne faire jamais de démarches qui puissent nuire ou déplaire. Mes visites pourraient jeter des soupçons dans l’âme jalouse du vieux Crésus. Il pourrait me croire capable de former quelque intrigue pour lui ôter sa proie.

En passant devant son palais, je l’ai vu à la fenêtre d’une maison contiguë : il m’a fait entrer et il m’a dit :

— Voici où mademoiselle couchera ce soir.

J’en ai parcouru les appartements, j’en ai admiré les meubles nouveaux qui sont de la plus grande magnificence et du goût le plus exquis. Il m’a donné quelques louis en me disant :

— Je vous remercie de tous les soins que vous avez mis à faire réussir mon dessein ; je n’ai plus besoin de vous.

Vous entendez bien ce langage, mademoiselle ! Nous, pauvres ambassadrices de Cupidon, nous sommes comme une barque dont on a besoin pour quelque traversée. Aussitôt qu’on aborde, en sautant sur le rivage, on donne un coup de pied à la barque, et on l’oublie.

ANGÉLIQUE

Ah ! ne me croyez pas capable de vous oublier, ma bonne.

MARTHE

Quand cela arriverait, je ne vous en aimerais pas moins, mademoiselle… En faisant des heureux, on trouve toujours la récompense en soi-même.

ANGÉLIQUE

Vous me faites un outrage sanglant, si…

MARTHE

Ne parlons plus de cela. Dites-moi, s’il vous plaît, le notaire est-il venu ? l’acte est-il passé, signé ?

ANGÉLIQUE

Ah ! oui, ma bonne, et au lieu de m’en féliciter moi-même, j’en ai rougi mille fois. Mon père même a eu le courage de se rendre chez notre bienfaiteur, et de lui en faire les remerciements les plus humbles et les plus sincères.

MARTHE

Cela est bon.

ANGÉLIQUE

Mais pourquoi me parlez-vous aujourd’hui d’une voix si basse ? Êtes-vous enrhumée.

MARTHE

Non, mademoiselle, mais votre valet de chambre, votre geôlier peut se tenir aux écoutes : il ne faut jamais manquer de précautions… Voulez-vous bien m’apprendre comment vous avez passé la nuit ?

ANGÉLIQUE

Très délicieusement. Ma chère Marguerite a su tellement me gagner, qu’elle m’a fait coucher entre elle et son cousin. J’avais bien chaud, je brûlais ; mais on a bien su me donner toutes sortes de rafraîchissements.

MARTHE

Avec ce joli garçon déguisé, votre prison vous paraîtra bien douce. Mais écoutez mes conseils ; il faut bien savoir profiter des occasions favorables lorsqu’elles se présentent ; si on les laisse échapper, elles ne reviennent plus, et on les regrette en vain.

Vous devez faire semblant, les premiers jours, que vous vous ennuyez cruellement ; peut-être l’ennui s’emparera-t-il réellement de votre âme : alors par des caresses, par des manières obligeantes, vous gagnerez votre protecteur, afin qu’il vous donne des maîtres de dessin, de musique, de géographie, etc., pour trouver toutes vos journées remplies et les passer sans ennui, mais principalement pour acquérir un bon fonds de connaissances utiles et agréables.

Il ne rebutera pas vos prières ; il vous donnera peut-être de vieux maîtres ; mais fussent-ils dans leur première jeunesse, il vous faudra également brider vos désirs, parce qu’on vous observera de près.

Tout ce que vous pouvez faire, ce sera de tâcher d’avoir de l’argent entre vos mains, pour les payer vous-même, et de ne les payer jamais. Vous les recevrez toujours d’un air séduisant, vous les assurerez d’une digne récompense quand ils auront fait de vous une bonne élève. En attendant, le bon vieillard peut changer de monde ; vous briserez vos chaînes, vous enchaînerez vos maîtres et vous serez devenue savante gratis.

ANGÉLIQUE

Votre idée n’est pas mauvaise. J’aurais bien du plaisir à apprendre le dessin, la musique et quelques langues étrangères ; mais pour la géographie, ce serait plutôt un tourment pour moi ; car l’étude de cette science me donnerait trop d’envie devoir le pays dont j’entendrais faire la description.

MARTHE

J’ai déjà découvert en vous ce penchant, quand je vous ai parlé des différents usages de tant de peuples, qui pensent bien autrement que nous. Vos regards, vos gestes, vos mouvements se faisaient bien entendre ; je m’apercevais bien que vous auriez voulu voir de vos yeux ces heureuses contrées. Eh bien ! vous allez arracher mon secret. Une fois maîtresse de vos actions, vous pourrez contenter vos désirs et voyager gratis partout où vous voudrez. J’ai pour cela introduit chez vous le petit cousin déguisé en fille. Il brûle, plus que vous, de pouvoir voyager ; il vous sera utile tant que vous serez prisonnière chez le fermier. Après son heureux décès, il vous sera nécessaire.

Il redeviendra tout à fait garçon ; vous passerez pour sa femme, et Marguerite pour sa sœur. Il a quelques talents, et particulièrement celui d’en imposer. Vous voyagerez tous trois de compagnie ; en cas que vous ayez appris quelques langues étrangères, vous servirez d’interprète ; sans quoi, votre langue est devenue, par bonheur, la langue universelle.

Vous pourrez commencer par la Suisse, et vous arrêter d’abord dans ces villes où il y a beaucoup d’étrangers, fort riches. Votre petit mari aura la prudence de se rendre invisible dans le logis ; vous verrez ces oiseaux gros et gras voltiger, à l’envi, autour de vous, autour de Marguerite. Vous les prendrez très aisément à la glu, et ils vous laisseront leurs plumes : leurs guinées, pour parler sans figure, paieront surabondamment votre équipage, vos courses, vos repas, vos amusements, vos plaisirs.

ANGÉLIQUE

Que cette idée est charmante ! Ah ! que mon esclavage me paraîtra donc long et pénible !

MARTHE

Pas tant, mademoiselle. Vous devez savoir qu’il faut, en toutes choses, un noviciat avant de faire profession du genre de vie auquel on veut se dévouer.

ANGÉLIQUE

Mais vous m’avez dit qu’il faut persuader les hommes que ce n’est pas l’intérêt qui nous guide, cependant…

MARTHE

Eh ! toujours des objections ! toujours des questions ! L’intérêt doit être la mesure de vos actions. Ne croyez jamais être assez riche ; si vous aviez tout l’or du Pérou, vous devriez en désirer et en accumuler encore : cette passion de l’or, si vous ne perdez pas le bon sens, deviendra, avec le temps, votre passion chérie ; elle doit vous animer sans cesse ; il suffit qu’elle ne paraisse pas au dehors ; et voilà en quoi consiste notre art, notre rhétorique : à persuader les hommes qu’on les aime pour eux-mêmes, quand on ne les aime que pour notre intérêt particulier.

Vous ne devez jamais mettre un prix à vos caresses, à vos soumissions. Si l’on vous offre de l’argent ou quelque présent, refuser d’abord, c’est une politique ; adoucir ensuite son refus par des manières honnêtes, c’est une politesse ; persister dans ses refus, c’est une folie.

Faites semblant d’avoir perdu un pendant d’oreilles, une bague, une boucle, etc. ; votre amant sera sensible à cette perte et vous en dédommagera.

Demandez à emprunter de l’argent, sous promesse de le rendre avec intérêts ; on n’osera jamais vous redemander ni les intérêts ni l’argent.

D’accord avec Marguerite, prenez parfois un air fort triste : votre amant vous en demandera la cause ; vous ne donnerez que des réponses vagues. Lorsqu’il sortira de votre chambre, Marguerite pourra l’arrêter poliment et lui dire d’un ton plaintif :

— Eh bien ! monsieur, avez-vous tiré ma chère maîtresse de sa sombre mélancolie ? Elle vous a peut-être fait un secret de son chagrin. Ah ! je la connais, elle mourrait plutôt que de parler, de peur qu’on la soupçonnât d’aimer par intérêt ; mais moi qui crains beaucoup pour sa santé, je ne puis me taire. Sachez, monsieur, que mademoiselle Angélique vient de perdre un gros pari qu’elle a fait avec une dame du voisinage ; elle ne se trouve pas en état de payer, et elle vendra plutôt quelqu’un de ses bijoux que de vous prier de lui prêter de l’argent.

Il est à croire qu’il demandera de combien est le pari, et qu’il vous apportera de quoi le payer.

Mais surtout, lorsqu’on vous donne de l’argent, ayez l’art de n’en prendre que la moitié, et obligez votre amant, sur sa parole d’honneur, à employer l’autre moitié en œuvres de charité. Ouvrez vous-même votre cœur, naturellement bon, aux sentiments de bienfaisance et d’humanité. En vous promenant, en vous rendant à l’église, ou aux spectacles, ne renvoyez jamais les mendiants nécessiteux que vous rencontrerez sur votre chemin, sans leur donner quelque secours ; adoucissez, de temps en temps, les misères de quelques pauvres familles ; bientôt la renommée remplira la ville de vos bienfaits ; votre âme sera satisfaite en faisant un peu de bien ; le public tirera le rideau sur votre conduite équivoque et vous accordera son estime ; vos amants eux-mêmes ne plaindront pas l’argent, en voyant que vous en faites un si bon usage.

ANGÉLIQUE

Mais si mon Crésus me laisse assez riche, aurai-je besoin d’avoir recours à des artifices pour amasser toujours de l’argent ?

MARTHE

Ne déraisonnez pas, je vous en prie. Mais si ses parents vous engagent dans un procès ruineux ; s’il arrive un incendie destructeur ; si l’on vous vole ; si vous tombez dans une longue maladie qui ruine votre santé, et qui absorbe votre bien, que deviendrez-vous ! Si vous ne vous mettez pas en état de pouvoir couler votre vieillesse dans la prospérité, lorsque vos adorateurs, qui n’aiment pas à faire carême, vous laisseront en paix, que vous serez à plaindre !

ANGÉLIQUE

Votre discours me jette dans de grandes réflexions. Je sais bien que ma beauté, ma fraîcheur, mes plaisirs, mes amants, tout me quittera à cet âge qui est le plus grand de nos ennemis, et qu’il n’y aura que l’argent que j’aurai pu amasser, qui sera mon compagnon fidèle et mon unique soutien. Je vois que je serai malheureuse si je ne suis pas vos conseils.

MARTHE

Eh bien ! parlons à présent des moyens qui sont les plus propres, et que vous devrez employer pour captiver les hommes et les tenir longtemps enchaînés à votre char.

Je vous recommande, avant toutes choses, la plus grande propreté de la maison, des chambres, des lits, des meubles, des habillements, en sorte qu’en entrant chez vous, on soit surpris et charmé de l’air d’arrangement et de netteté que tout y respire. Tenez surtout extrêmement propre votre petit cabinet ; il faut avoir toujours prêt un bâton de pommade de jasmin, en graisser toute l’entrée, en frotter le dedans ; l’odeur exquise dont il sera parfumé engagera vos pratiques à le louer plus souvent.

Il est vrai que ce pauvre cabinet ne peut pas toujours être exempt de saleté et d’ordure. Dans les circonstances sanglantes, il n’y a que les étrangers passagers à qui vous pourrez le louer. Pressés de décharger leur menu bagage, ils n’examinent pas de si près l’endroit où ils veulent se rafraîchir. Ce sont comme des oiseaux qui volent autour des filets ; il faut bientôt les prendre de quelque manière que ce soit. Ils arrivent, ils passent, ils s’en vont : bon voyage !

Mais pendant ce temps-là gardez-vous bien d’y laisser entrer quelqu’un du pays ; on pourrait en sortir avec bien des désagréments : autant la propreté du corps contribue à la santé, autant la saleté donne du malaise ; on décrierait votre logement, et l’on n’y reviendrait plus.

Puisque la nature vous a accordé une voix singulièrement tendre et flexible, vous pourrez chanter devant vos amants quelques chansons équivoques ; votre voix touchante charmera leurs oreilles et pénétrera leur cœur ; leur âme suivra vos modulations, et ils s’offriront avec transport à battre la mesure.

Vous pourrez tenir sur une table une belle Vénus tracée par vos mains, mais pas tout à fait achevée : qu’elle soit peinte dans l’état de nature, couchée sur un lit de roses, le visage riant, les yeux enflammés, tout le reste du corps dans la posture la plus séduisante. Ces sortes de peintures donnent de l’amour à l’homme le plus froid ; faites semblant de vouloir y mettre la dernière main, devant leurs yeux ; vous verrez qu’ils brûleront, eux aussi, de manier leur pinceau, et de s’accorder avec vous pour le mélange et la fonte des couleurs les plus vivifiantes.

Si c’est un ecclésiastique qui vous fréquente, vous n’avez qu’à le prier chaque fois de vous expliquer quelques textes du Cantique des Cantiques. C’est une source inépuisable de réflexions amoureuses, fort attrayantes. Il s’y prêtera avec plaisir, et loin d’y chercher le sens allégorique et moral, il ne s’en tiendra qu’au sens physique et réel.

En général, soyez d’accord avec Marguerite, afin qu’elle vous donne un signal lorsque quelqu’un veut entrer. Faites qu’on vous surprenne, comme au hasard, dans le déshabillé le plus galant, dans une attitude capable de réchauffer le cœur le plus glacé… le sein, les jambes, les cuisses découverts ; que tout offre le tableau d’une volupté souveraine. Ces positions artificieuses sont bien éloquentes et disent : Voici la porte, entrez.

Mais pour entretenir longtemps votre liaison avec vos amants, l’usage des équivoques est le chef-d’œuvre de l’art. De petites phrases, certains mots à double sens, amusent, charment l’esprit, et mettent en mouvement les membres les plus engourdis.

— Monsieur, vaut-il mieux mettre l’épée dans son fourreau y ou l’en tirer ? pourrez-vous demander à un militaire…

ANGÉLIQUE

Ne me parlez plus des gens de guerre, je vous en prie ; j’ai pour eux une aversion décidée, mortelle.

MARTHE

Il y a bien d’autres hommes qui portent l’épée ; vous pourrez leur faire la même question.

Si vous avez quelque ouvrage de broderie à la main, vous direz avec art :

— Voyez, monsieur, cette aiguille a le trou trop petit, le fil est un peu trop gros, voulez-vous bien m’aider à l’enfiler ?

Demandez-lui s’il aime à monter à cheval, et combien de courses il peut faire sans débrider.

Dites-lui :

— Monsieur, si je tombais malade, ou dans quelque danger, exposeriez-vous votre vi…e pour me sauver !

ANGÉLIQUE

Que ces équivoques sont plaisantes ! Je suis bien persuadée qu’on leur donnera l’interprétation qui convient le mieux à notre affaire.

MARTHE

Vous devez surtout avoir sur une table un dictionnaire de l’Académie, et, en le feuilletant, jeter les yeux, comme par hasard, sur l’un ou sur l’autre des mots que je vais vous exposer par alphabet. Vous en demanderez l’explication, ou vous serez préparée à répondre, si l’on vous en demande le développement.

Combattant. C’est un homme de guerre, marchant en campagne sous les ordres d’un général ; c’est aussi un des soutenants ou des assaillants d’un tournoi… Prononcez con – battant ; et cela peut signifier que le con est comme une cloche ; qu’il lui faut un battant pour la mettre en branle et la faire sonner.

Combattu. Sentiment combattu ; un homme combattu en lui-même… Prononcez con – battu ; c’est un con fort fréquenté, ou meurtri par de grands coups réitérés.

Compacte. C’est un terme didactique ; ce qui est condense, dont les parties sont fort serrées… Con – pacte ; cela signifie que le con est le pacte solennel que la nature elle-même a fait avec l’homme, pour la conservation et la propagation de son espèce.

Compassion. C’est un mouvement de l’âme qui compâtit aux maux d’autrui… Con – passion ; cela veut dire que le con doit être la passion par excellence du genre humain.

Compatriote. C’est celui ou celle qui est de même patrie, de même pays… Con – patriote ; c’est un con qui ne demeure point oisif, mais qui se rend actif et utile à sa patrie.

Complaisant. Qui a de la complaisance ; qui a un esprit doux, une humeur complaisante pour les autres… Con – plaisant ; c’est un con agréable, qui plaît. Pour le rendre tel, souvenez-vous de ce que je vous ai dit en parlant de la propreté et du bâton de pommade.

Comporte. C’est un verbe qui signifie permettre, souffrir : par exemple, votre état comporte ou ne comporte pas que vous fassiez cela, etc… Con – porte ; cela veut dire que le con est la porte du paradis terrestre ; ou que le con est destiné à porter. De là vient que con, dans notre langue, est du genre masculin, ce qui étonne bien des étrangers ; mais leur étonnement cessera, en réfléchissant que le con a une vigueur mâle pour porter bien des fardeaux lourds et pesants.

Comprend. Qui renferme en soi, qui fait mention, qui conçoit et entend… Con – prend ; cela veut dire que le con prend et avale bien des morceaux, sans en être jamais rassasié.

Compresse. C’est un linge en plusieurs doubles, que les chirurgiens mettent sur l’ouverture de la veine, ou sur quelque partie blessée ou malade… Con – presse ; cela signifie que le con étreint avec force ce qu’il tient et le presse pour en faire sortir le jus, ou la liqueur. Cela veut dire aussi que le con a souvent faim, a soif, est malade, et qu’il presse ; qu’il demande avec empressement quelque nourriture, quelque rafraîchissement, quelque secours. Vous pouvez faire le même jeu sur le mot : Confins… Con – faim.

ANGÉLIQUE

Ah ! vous me faites bien rire avec ces équivoques. Mais prenez un peu de relâche. Nous déjeunerons ensemble, et vous me donnerez, après cela, une autre leçon.


La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre
La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre

La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre

LEÇON XIV


ANGÉLIQUE

À présent que nous avons déjeuné, ayez la bonté de continuer à m’apprendre de jolis mots à double entente, et je vous écouterai avec plaisir.

MARTHE

Concierge. Celui ou celle qui a la garde d’un hôtel, d’un château, d’un palais ou d’une prison… Con – cierge ; c’est un con qui demande un cierge ; et certainement le con est l’autel devant lequel on allume le plus de cierges.

Concentre. C’est un mot qui se fait du verbe concentrer ; c’est un terme didactique, qui signifie : il réunit au centre ; par exemple, le grand froid concentre la chaleur naturelle… Con – centre ; c’est le con qui est le centre de tous les désirs, de toutes les affections des hommes ; c’est ce milieu qui les attire, où ils tendent naturellement, comme au lieu de leur repos.

Concitoyen. Citoyen de la même ville qu’un autre… Con – citoyen ; c’est presque la même chose que con – patriote. Comme à présent, après notre étonnante révolution, les titres de prince, de duc, de marquis, de comte, ne sont que de vains titres, et que le titre le plus glorieux, le seul digne d’un Français, est celui d’être citoyen de Paris ; de même chaque fille, chaque femme doit avoir un con vraiment citoyen ; c’est-à-dire zélé, enflammé, porté à soutenir les droits des hommes, et particulièrement de ceux de sa patrie.

Concoction. C’est un terme didactique, il se dit de la digestion des aliments… Con – coction ; signifie que le con est l’endroit le plus bouillant et le plus propre à la coction de certaines humeurs.

Concouru. C’est le participe du verbe concourir, qui signifie : coopérer, produire un effet conjointement avec quelque cause, avec quelque agent ; par exemple, tous nos représentants ont concouru directement ou indirectement, du fond de leur cœur, par politique, ou par force, au bien public… Con – couru ; c’est un con rare, qui est couru, fort recherché.

Condense. C’est rendre plus dense, plus serré ; par exemple, le chaud raréfie les corps, et le froid les condense… Con – danse ; c’est quand, par une conjonction copulative, le con et le vit sautent et dansent.

Condor. C’est un oiseau du Pérou, le plus grand des volatiles ; car il a jusqu’à vingt-cinq pieds d’envergure… Con – d’or ; c’est une fille ou femme fort serviable, d’un commerce aisé et agréable ; on peut dire d’elle que c’est un con qui vaut son pesant d’or. Cela peut signifier aussi, que votre con sera pour vous la plus abondante minière d’or.

Confesse. C’est aller ou être à confesse, pour faire la sottise de dire ses affaires à un prêtre, à un homme comme les autres… Con – fesses ; c’est que le con donne et ressent plus de plaisir lorsque, en même temps qu’on est à l’ouvrage, on laisse manier, et l’on remue alternativement les fesses.

Conformé. Signifie rendu conforme aux volontés, aux inclinations, aux façons de vivre des autres… Con – formé ; c’est quand une fille a sa taille, sa gorge, et par conséquent son con assez formé pour commencer ses études de physique.

Confort. Secours, assistance, aide… Con – fort ; c’est un con robuste, vigoureux qui résiste au travail, à la fatigue ; un con qui ne peut être que de genre masculin.

Confraternité. C’est la relation, le rapport qu’il y a entre des personnes qui sont d’une même compagnie, — d’un même corps… Con – fraternité ; c’est que votre con doit être animé d’une charité fraternelle, et avoir une liaison étroite avec les hommes, les considérant tous comme vos frères. Faites à peu près la même application du mot confrère.

Congelé. C’est le participe du verbe congeler, qui se dit de l’action par laquelle le froid durcit les liqueurs… Con – gelé ; ah ! c’est le mien, mademoiselle !

ANGÉLIQUE

Chacun son tour, ma bonne !

MARTHE

Conjoint, conjouir, conjouissance. Il est trop aisé de tourner ces mots ; c’est pourquoi je ne m’y arrête pas.

Conquête. C’est l’action de conquérir et la chose conquise ; et en termes de galanterie, ce mot signifie la conquête des cœurs… Con – quête ; c’est un con qui est à jeun, et cherche un bon restaurant ; il est vide et cherche à être rempli ; il brûle et cherche à être rafraîchi.

Consacré. Un endroit particulier, dédié à Dieu, avec certaines cérémonies, où l’on prétend qu’il réside d’une manière singulière, comme si l’on pouvoit restreindre la présence et la puissance du Très-Haut entre quatre murailles… Un homme consacré à Dieu et au service de ses autels, et en même temps rendu inutile, dangereux même à sa patrie, à toute l’humanité… Un mot consacré par l’église pour faire croire des mystères inintelligibles, quelquefois absurdes, comme consubstantialité, transsubstantiation, etc… Un mot consacré par l’usage, quoiqu’il soit contre les règles de la langue, comme lettres royaux… Con – sacré ; c’est le temple universel, où l’humanité entière offre ses hommages et ses adorations.

Consanguin. En termes de jurisprudence, c’est un parent du côté paternel ou un frère de père… Con – sanguin ; c’est la petite affaire, lorsqu’elle a ses purgations mensuelles.

Consent. Un qui acquiesce, qui adhère à la volonté de quelqu’un ; qui trouve bon, qui veut bien ce que veulent les autres… Con – sent ; c’est lorsqu’il sent une démangeaison inquiétante, une chaleur insupportable, un rafraîchissement agréable, un plaisir excessif : c’est lorsqu’il exhale et répand une odeur suave, qu’il sent bon, étant graissé, frotté avec la pommade de jasmin.

Consolide. Qui rend ferme et solide ; qui affermit une union, ou un traité… Con – solide ; qui a une fermeté capable de résister aux coups réitérés des assaillants.

Consultant. Celui qui donne avis et conseil… Con – sultan ; c’est un con rare, et digne de faire l’ornement le plus beau du sérail d’un sultan.

Contemple. Un qui considère attentivement, soit avec les yeux du corps, soit avec ceux de l’esprit… Con – temple ; c’est comme je vous ai dit au mot consacré, que le con est le temple universel où les hommes, les uns tête levée, les autres tête baissée, quelques-uns même se tramant le mieux qu’ils peuvent, tous vont rendre leur culte, et y faire leurs ablutions.

Contenant. C’est un terme didactique qui signifie : ce qui contient… Con – tenant ; c’est un con vigoureux, comme cet homme qui, dans un tournoi, entreprenait de tenir contre toute sorte d’assaillants, et qu’on appelait Tenant.

Controuvé. C’est un fait qu’on a inventé pour en imposer, pour tromper… Con – trouvé ; c’est lorsque, après bien des recherches, l’on trouve un con à son goût, et l’on s’y fixe. Et si l’on affecte de ne pas bien prononcer ce mot, et que l’on dise : Con – troué, cela signifie un con percé, foutu…

Convaincu. Un homme réduit par le raisonnement, ou par des preuves sensibles et évidentes à demeurer d’accord d’une vérité qu’il ne comprenait pas, ou d’un fait qu’il niait… Con – vaincu ; une dévote ou une prude qui, au moindre mot, au plus petit mouvement lubrique, rougit jusqu’aux yeux, et recule d’horreur, affecte longtemps un air sage, réglé et circonspect dans ses mœurs, dans ses paroles, dans sa conduite ; s’il arrive, — ce qui doit arriver — qu’après plusieurs attaques elle se rende, c’est un con – vaincu.

Converse. Un qui converse avec ses semblables, ou avec les morts, c’est-à-dire avec les livres… Con – verse ; c’est-à-dire la petite affaire, lorsqu’elle verse avec plaisir de la liqueur épaisse et visqueuse, ou qu’elle verse, avec chagrin, le fluide menstruel.

Convive. Celui qui se trouve à un même repas avec d’autres, qui mange à une même table avec d’autres dans un festin… Con – vive. De toutes les nations de l’univers, la nation française est celle qui a paru la plus dévouée à notre sexe. J’aimerais donc qu’aux acclamations de contentement dont toute la France retentit à présent : Vive la Nation, vive la Loi, on ajoutât : Vive le Con. Ce cri de joie marquerait, au moins, que l’on cherche, tout de bon, à rétablir la liberté naturelle et tous les droits de l’homme.

Convie. Un qui invite à un festin, aux noces, au bal, à une assemblée… Con – vie ; c’est le con qui donne, qui soutient, qui ranime la vie des mortels.

Convoi. C’est l’assemblée qui accompagne un corps mort qu’on porte à la sépulture avec les cérémonies funèbres… Con – voie ; c’est que le con est la voie la plus sûre qui conduit au bonheur.

ANGÉLIQUE

Permettez-moi, ma bonne, de vous dire que toutes ces équivoques marquent plus de malice que d’esprit ; néanmoins elles peuvent amuser et rallumer de temps en temps le feu amorti, ou prêt à s’éteindre. Je vous prie de me les donner par écrit, afin que je puisse les apprendre par cœur, pour en faire usage, dans l’occasion.

MARTHE

Vous me donnerez ce qu’il faut pour cela, et je vous satisferai avant de vous quitter. Il faudrait maintenant vous parler des différentes manières dont les hommes peuvent prendre et donner du plaisir en badinant avec les femmes.

Il serait nécessaire de vous instruire sur cela, pour que vous fussiez toujours disposée à les contenter, de quelque manière que ce soit. Un seul mets, toujours le même, mais assaisonné de différentes façons, se multiplie, en quelque sorte, il donne plus d’appétit, et le tient toujours ouvert. Mais vous pourriez m’épargner cette peine, si vous vouliez vous donner celle de lire, à votre aise, monsieur Aretino.

ANGÉLIQUE

Ah ! ma bonne, ne me refusez pas le plaisir de les entendre de votre bouche : elles auront plus de grâce, j’en suis sûre ; vous leur donnerez un air de nouveauté, et cela restera plus gravé dans mon esprit.

MARTHE

I. — Lorsque l’homme trouve que la femme est de la même taille que lui, pour faire voir son habileté en ce jeu-là, il la fait tenir debout ; il lui lève la jupe et la chemise, l’embrasse étroitement, la prie d’écarter un peu les cuisses, et, se tenant, lui aussi, sur ses pieds, il fait l’ouvrage. On appelle cela : Passer la rivière à pied sec.

II. — Si la femme est de petite taille, l’homme vaillant la prie de se jeter à son cou, et de croiser ses jambes derrière lui ; il l’élève au niveau, et la tenant dans ses bras, la serre et en est serré. On appelle cela : La Ligne horizontale.

III. — Si la femme a les reins faibles, elle s’appuie contre une muraille ; l’homme adroit lui lève une jambe, et soutient la cuisse sur un de ses bras, tandis qu’avec l’autre main, il lui manie les fesses et travaille. On nomme ce badinage : La Grue en sentinelle.

IV. — L’homme s’amuse quelquefois à tenir la femme appuyée contre quelque chose de solide, à lui lever les deux jambes, et en soutenir les cuisses sur ses bras, tandis qu’avec les deux mains il lui manie les fesses de manière à les pousser et repousser alternativement, à mesure qu’il s’avance ou qu’il recule. On nomme cela : Le Flux et le Reflux.

V. — L’homme prie la femme de lui tourner le dos, d’appuyer ses mains et ses coudes sur une table ou sur une chaise, de se plier, et de lui ouvrir les deux portes, celle de devant et celle de derrière. Si l’homme fait son entrée par la porte de devant, cela s’appelle : La Danse allemande.

VI. — Si l’homme entre d’abord par la porte de derrière et s’y amuse quelques instants, mais que revenant de son égarement, il rebrousse chemin, et pousse par la porte de devant, on appelle cela : Le Passe-Partout.

VII. — Si, sous prétexte de tenir le chemin le plus étroit, il ne veut entrer que par la porte de derrière, on appelle cela : La Danse florentine.

VIII. — Lorsqu’il n’y a rien sur quoi, ou contre quoi s’appuyer, l’homme supplie la femme de se plier de manière à soutenir son corps sur ses mains et sur ses pieds. C’est : Le Saut du bélier.

IX. — L’homme se donne quelquefois un plaisir infini à faire marcher la femme à quatre pattes, à manier et serrer ses tétons, et à marcher avec elle, sur elle, et dans elle. C’est : Le Monstre à six pieds.

X. — L’homme s’assied sur une chaise, sur un banc, sur une escabelle, etc., il met la femme à cheval sur ses cuisses, il l’embrasse, la baise et travaille. C’est : Asseoir la statue sur son piédestal.

XI. — La femme s’assied sur l’homme, qui est assis, mais de manière que l’homme l’embrasse et la serre d’une main, et de l’autre lui lève et soutient les deux jambes. On fait l’ouvrage, et c’est : Bercer l’enfant sur ses genoux.

XII. — L’homme est assis, la femme lui tourne le dos, s’assied sur ses cuisses, et tient les pieds à terre. On s’amuse, et on appelle cela : Asseoir son jugement.

XIII. — La femme s’assied ; elle écarte ses jambes et ses cuisses ; l’homme entre et fait son devoir. C’est : La Chaise à porteurs.

XIV. — La femme reste dans cette posture, et l’homme varie son amusement ; à chaque coup qu’il porte, il fait bouger la chaise, et avant que l’ouvrage soit fini, on a fait le tour de la chambre. On appelle cela : La Chaise roulante.

XV. — On met la chaise à quelque distance de la muraille ; la femme s’y assied ; l’homme lui prend les jambes et les élève sur ses bras : la chaise branle et le dossier va tomber contre la paroi. C’est : La Voiture renversée.

XVI. — L’homme se tient debout ; il jette la femme sur un lit, mais de manière qu’elle a les jambes à terre ; il tire doucement contre lui, avec ses deux mains, les deux lèvres de la bouche d’en bas ; il les manie, il les chatouille pendant qu’il travaille. C’est : Se chauffer à la nouvelle mode.

XVII. — Dans cette posture, la femme lève ses jambes et ses cuisses, et soutient avec les mains ses deux pieds contre ses fesses élargies, tandis que l’homme, éloigné de deux pas, vise avec attention l’endroit où il veut porter le coup ; il court et frappe ; puis il se retire ; il mire encore son but et s’approche de nouveau pour frapper. C’est un fort joli amusement, et on l’appelle : Les Flèches de l’amour.

XVIII. — Je me rappelle que, lorsque j’étais dans mon printemps, un jeune abbé me mettait souvent dans l’une ou dans l’autre de ces deux postures dont je viens de vous parler. Tantôt, d’une vitesse étonnante, il me frottait avec son membre l’orifice du vagin, ce qui me donnait un chatouillement délicieux ; et quand il se sentait tout prêt à décharger, il faisait tomber sur mon ventre sa liqueur. Il nommait cela : L’Arrosoir.

XIX. — Tantôt, il entrait tout à fait, et y restait dans un mouvement continuel, jusqu’à ce que je lui dise : « C’est assez ». Alors il sortait ; je branlais avec promptitude et vitesse son membre, en le serrant tendrement : il m’assurait, sul petto sacro, que j’avais une main très heureuse, et qu’il ressentait plus de plaisir à cette manière, que lorsqu’il faisait l’ouvrage tout entier avec quelque femme mariée. Il appelait cela : Le Jet d’eau.

XX. — D’autres fois ce tendre amant, cet amant unique, me plaçait sur une petite chaise ; il découvrait mon sein, il me serrait tendrement les deux tétons, entre lesquels il mettait son membre. Il ne faisait cela que dans des circonstances critiques. Il disait que quand la rivière inonde la plaine, il est beau de se promener sur les collines. Quelques instants après, une liqueur chaude, épaisse et visqueuse arrosait agréablement ma poitrine. Il nommait cela : La Cascade de Saint-Cloud.

XXI. — Et afin que je ne demeurasse point à jeun, il me prenait sur ses genoux, il mettait le plus gros de ses doigts dans ma petite affaire, et la frottant en haut, en bas, et de tous les côtés, il me donnait un plaisir inexprimable, tandis qu’il me suçait alternativement les deux tétons. C’était, selon sa façon de penser : Manger les pommes d’Adam.

ANGÉLIQUE

Mais qu’avez-vous, ma bonne, vous paraissez tout émue ?

MARTHE

Ah ! mademoiselle, toutes les fois que ce doux souvenir s’offre à ma pensée, mon âme éprouve la plus violente agitation. Voilà l’homme, me dis-je en moi-même, voilà l’homme par excellence ! C’est lui, et lui seul qui m’a toujours aimée de bonne amitié, et qui n’aimait que ma personne. J’étais encore fille ; il se moquait d’un vœu que son cœur n’avait pas prononcé, et que Dieu n’avait point reçu. Mais il respectait, jusqu’à un certain degré, les préjugés des hommes fous qui font consister l’honneur dans une chose qui contrarie le premier vœu de la nature. Il était constamment maître de sa passion et de lui-même, et savait toujours prendre et donner un plaisir pur et raisonné. Voilà le seul homme que j’aime et que j’aimerai autant que je vivrai.

ANGÉLIQUE

Je l’admire et je l’estime ; vous serez heureuse avec lui.

MARTHE

Ah ! mademoiselle, je puis compter sur ses sentiments à mon égard, mais il n’est plus ici. C’est lui qui, par son esprit éclairé et par ses écrits populaires, a posé, le premier, les fondements de cette nouvelle révolution qui fait souvenir au clergé que son règne n’est point de ce monde. Par conséquent, persécuté par ses confrères, ministres de charité, il a été contraint de chercher ailleurs un asile où terminer en paix et en liberté sa carrière.

ANGÉLIQUE

Vous allez pleurer, ma bonne. Je vous prie de vous donner un peu de relâche. Après dîner, vous me donnerez la dernière leçon.

MARTHE

Je m’en vais donc, mademoiselle, et je viendrai cette après-midi.

ANGÉLIQUE

Non, non, ma bonne. Je suis encore maîtresse de moi ; je veux que nous dînions ensemble.

MARTHE

Bon dieu ! que vos manières sont obligeantes ! Je ne refuse pas votre offre, d’autant plus que ce sera peut-être la dernière fois que j’aurai un tel honneur.

ANGÉLIQUE

Vous m’offensez, si vous doutez de mes sentiments et de mon affection pour vous.

MARTHE

En attendant, j’irai donc vous écrire ces mots à double sens, que je vous ai promis.


La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre
La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre

La Rhétorique des putains, figures
La Rhétorique des putains, figures
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre

LEÇON XV


MARTHE

Continuons donc à parler des différentes postures où l’on plonge et l’on est plongé dans la plus douce ivresse.

XXII. — La femme, toute nue, se couche sur son lit ; l’homme s’étend de tout son long sur elle : on s’embrasse, on travaille, et, en travaillant, chaque bouche a alternativement deux langues. C’est : L’Union fraternelle.

XXIII. — La femme est couchée, l’homme se soutient sur ses genoux et sur ses mains ; il n’opprime pas, il ne gêne point sa maîtresse, et la frappe à coups lents pour prolonger leur plaisir mutuel. C’est : Aller au petit trot.

XXIV. — L’homme embrasse étroitement la femme, il unit sa bouche à la sienne ; il entre chez elle, et y demeure presque sans bouger, en attendant que la chaleur naturelle mette en mouvement les esprits génératifs, et que l’ablution s’ensuive. C’est : L’Épée dans son fourreau, ou Boire au biberon.

XXV. — L’homme et la femme se tiennent sur l’un de leur côté, visage contre visage, et les jambes entrelacées. Ils s’unissent fraternellement. C’est : La Sonde.

XXVI. — Chacun se tient sur un côté, mais la femme tourne son dos à l’homme. C’est : Le Clystère bienfaisant.

XXVII. — La femme se tourne, se soutient sur ses genoux et ses coudes ; elle lève son derrière ; l’homme en élargit les fesses et entre. C’est : La Mappemonde.

XXVIII. — L’homme s’étend sur les reins : la femme monte. On dit, et il est certain, que nous avons beaucoup de plaisir à cette manière, par l’idée flatteuse de voir l’homme se soumettre au lieu de lui être soumises. On appelle cela : La Seringue.

XXIX. — L’homme se tient assis sur le lit, les jambes étendues ; la femme s’assied sur les cuisses de l’homme, ses jambes croisées derrière lui. Ce sont : Les Honneurs du sopha.

XXX. — L’homme enfin fait son chef-d’œuvre lorsqu’en même temps qu’il travaille avec son membre, il lance amoureusement sa langue entre nos lèvres ; d’une main il pince tendrement les boutonnets de nos tétons ; de l’autre il manie et chatouille, à l’entour, l’orifice du vagin. C’est la manière la plus excellente de nous donner du plaisir ; et on appelle cela : Le Carillon.

On pourrait multiplier de beaucoup ces amusements, en changeant, tant soit peu, la situation où peuvent se tenir le corps, la tête, les bras, les jambes, etc. ; mais cela me paraîtrait inutile et ridicule, puisque l’action principale en serait toujours la même.

C’est pourquoi je vais finir mes leçons par vous instruire sur les moyens qu’il vous faudra employer, lorsque vous voudrez vous débarrasser tout à fait de quelqu’un de vos amants qui vous sera trop à charge.

Si quelqu’un vous promet de vous être fidèle, et ne tient pas son engagement, aussitôt que vous pouvez avoir des preuves non équivoques de son inconstance, de son infidélité, ce sera un prétexte plausible pour lui donner son congé. Vous lui direz, sans art :

— Monsieur, vous cherchez en vain à me cacher, à me déguiser votre changement ; vous aimez ailleurs, et vous en êtes le maître. Mais après m’avoir fait bonne chère, si vous prétendez ne me donner que la desserte, vous vous trompez : Tout ou rien.

ANGÉLIQUE

Mais cela me semble bien dur, même injuste. Nous prenons bien la liberté de changer d’objets et d’amusements ; pourquoi donc prétendrions-nous tenir un jeune amant attaché toujours à la même chaîne ?

MARTHE

Je vous ai dit que ce sera un prétexte plausible, si vous voulez vous en servir pour vous débarrasser de lui. D’ailleurs, si votre amant tombe dans un bourbier, et vient ensuite se nettoyer à vous ?

ANGÉLIQUE

Ah ! ma bonne, j’ai tort et vous avez raison.

MARTHE

Si quelqu’un vous excède de ses visites, si ses assiduités vous déplaisent, ou si elles sont de nature à compromettre votre honneur, eu égard aux préjugés établis et que l’on ne peut ou que l’on ne veut pas encore déraciner, vous lui direz poliment :

— Monsieur, je suis très sensible à l’honneur que vous me faites de venir si souvent me voir ; mais vous savez que le monde est aujourd’hui plus méchant que jamais ; on donne de malignes interprétations à notre procédé. Je sais bien que c’est l’envie qui fait de puissants efforts pour rompre les nœuds qui nous lient ; mais elle voudra en même temps porter quelques coups terribles contre moi, et comment les parer ? Elle peut me peindre, sans ménagements, sous les couleurs les plus odieuses ; en un mot, elle peut me noircir et me perdre. Je n’ai pas assez de courage pour me mettre au-dessus des discours du public. Vous qui avez une âme noble et généreuse, vous pouvez seul me sauver, en ne dénigrant pas, quoique involontairement, ma réputation. J’attends de vous ce sacrifice, et la reconnaissance la plus vive m’attachera à vous pour jamais.

ANGÉLIQUE

Mais si ce monsieur s’aperçoit que je n’ai pas les mêmes craintes sur les visites des autres ?

MARTHE

Vous ne manquerez jamais de le persuader que les visites des autres vous sont indifférentes, et que la médisance n’a encore rien prononcé sur leur compte.

Si quelqu’un vous prodigue les plus belles promesses, et est ensuite infidèle à sa parole ; s’il est comme un orage en été, qui promet bien de la pluie et ne donne, après, que quelques gouttes d’eau ; en un mot, s’il aime à prendre beaucoup de plaisir, et à ne donner que très peu d’argent, vous voyez bien qu’il vous faut prendre quelque prétexte pour l’obliger à s’abstenir de se présenter chez vous.

Toujours d’accord avec Marguerite, vous n’avez qu’à lui parler de l’objet que vous voulez congédier. À son arrivée chez vous, elle ne manquera pas d’entrer en même temps que lui dans votre chambre, sous prétexte d’avoir à travailler avec vous à quelque ouvrage qui presse et qu’il faut finir dans le courant de la journée : de cette manière, ne vous quittant point, le tête-à-tête et ses conséquences n’auront point lieu ; et si ce monsieur n’est pas une bête, il comprendra bien que vous ne vous souciez pas d’être seule avec lui. Ou bien, sans le laisser entrer, Marguerite lui dira que vous êtes sortie, ou que vous êtes fort occupée, fort indisposée ou que vous avez une des trois cent soixante-cinq petites incommodités, dont nous autres femmes nous savons si bien tirer parti dans les occasions.

Marguerite vous offrira aussi, si vous le voulez, l’occasion la plus plaisante de le congédier avec honneur. Quoique fille de chambre, vous savez qu’elle est faite de manière à inspirer de l’amour à l’homme le moins sensible. Par ses agaceries, elle saura s’attirer l’attention de ce monsieur, elle parviendra à l’enflammer, à le mettre dans l’une ou l’autre des trente postures. Au même moment elle vous donnera le signal ; vous le surprendrez en flagrant délit, vous l’accablerez de reproches ; il sortira tout confus, et n’osera plus rentrer.

Si, par hasard, ce monsieur, qui vous déplaît, ne trouve aucun obstacle qui le retienne dans l’antichambre, ou ailleurs, et s’il entre chez vous, vous pourrez lui tenir l’un ou l’autre de ces propos :

— Ah ! monsieur, dans quel mauvais moment vous êtes venu me voir ! Je me sens aujourd’hui une migraine affreuse, je n’ai point la tête à moi… Parlez doucement, je vous prie, vous augmentez mon tourment… De grâce, laissez-moi, vos paroles sont autant de coups dans ma tête… Ce sont des souffrances inouies… J’ai mal au cœur, je sens que je vais avoir un vomissement violent… Je veux me mettre au lit, et j’espère que le repos me raccommodera.

— Ah ! monsieur, vous me pardonnerez si je ne puis vous tenir bonne compagnie ; j’ai fort mal à une dent ; je n’ai pas fermé l’œil de toute la nuit… Dieu ! ma douleur va bientôt éclater par mes cris et par mes larmes… On me parle de la faire arracher, mais l’idée seule trouble et égare mon esprit… Pardon, je ne puis pas vous répondre, tant la douleur m’oppresse.

— Ah ! monsieur, si vous avez l’âme noble et généreuse, ne vous arrêtez pas un instant chez moi. Dans un quart d’heure je dois recevoir la visite d’une dame qui vient me parler de mariage avec son fils aîné. Auriez-vous le cœur assez barbare pour empêcher mon bonheur ? En vous trouvant ici, ma conduite pourrait lui paraître irrégulière et suspecte ; et si ce mariage manquait, vous me mettriez au désespoir. Depuis quelque temps, un engagement légitime et sacré est l’unique objet de tous mes vœux ; l’occasion favorable vient se présenter, je veux la saisir… Comment, monsieur ! vous osez espérer qu’après l’hymen votre image viendra s’offrir à ma pensée ? Bannissez cette idée indigne et cruelle. Je ne songe plus qu’au nouvel objet qui m’occupe ; si l’hymen va m’unir avec lui, je veux le rendre heureux et je ferai tous mes efforts pour offrir à tout le monde le tableau le plus parfait de l’union conjugale… Vous aussi, vous pouvez me parler de mariage ? Ah ! monsieur, vous ne voudriez pas me repaître de vaines promesses ; après mes égarements vous ne pouvez m’accorder votre estime ; comment pourriez-vous m’aimer jusqu’à lier votre sort au mien ?

— Ah ! monsieur, — en cas que vous soyez mariée — si vous saviez de quels traits cruels j’ai le cœur déchiré ! Que mon bonheur avec vous a été de courte durée ! Il faut que quelque méchante langue ait cherché à vous perdre dans l’esprit de mon mari. La funeste jalousie s’est déjà glissée dans son âme. Il aura assez de force et de prudence pour vous cacher ses inquiétudes et ses soupçons ; il continuera peut-être à vous traiter avec politesse, mais ne vous y fiez pas. Son naturel était si doux ; mais depuis quelques jours, l’emportement y mêle bien des nuages. C’est contre moi seule qu’il armera sa colère, c’est moi seule qui en serai la victime. Il n’y a plus de paix dans ma maison, elle y rentrera si vous vous éloignez, votre absence me conduira au tombeau ; mais mon mari me rendra son cœur, et je mourrai digne de son estime et de son amitié.

— Ah ! monsieur, si vous étiez venu un quart d’heure plus tard, j’aurais été invisible pour vous. J’attends à tout moment un saint religieux, avec qui je veux tenir une conférence sérieuse sur l’état de mon âme. Depuis quelques jours je suis très inquiète ; la nuit, je ne puis trouver le sommeil ; la honte et les remords commencent à me tourmenter… Vous riez, monsieur, mais cela ne m’empêche pas de vous dire que mon raisonnement n’est pas toujours philosophique… Je sens toute l’étendue de mes égarements, j’aurai de la peine à combattre mes vices, mais j’espère que je viendrai à bout de les vaincre.

— Ah ! monsieur, j’ai été à confesse, j’ai avoué mes fautes. Dieu ! quels reproches, quelles menaces, si je continue à vous voir ! Après bien des promesses, on m’a donné l’absolution ; mais à présent que je me suis lavée, je ne veux plus me souiller.

— Ah ! monsieur, éloignez-vous de moi, votre présence me glace d’horreur… Oui, c’est vous, vous que j’ai vu cette nuit, armé d’un poignard contre moi. J’ai rêvé que j’étais sur le bord d’un précipice affreux ; vous m’avez jetée dans un gouffre de feu, où mille spectres effrayants m’ont plongée dans des tourments cruels… Vous vous moquez de moi ? Vous me faites des reproches sur la faiblesse de mon esprit ? Ah ! mes terreurs ne sont point paniques. Je me suis réveillée, la première fois dans la plus vive agitation, et j’ai cherché à dissiper ces idées funestes ; je me suis rendormie ; les mêmes images se sont retracées dans mon esprit, et avec plus de violence. J’ai ouvert les yeux, plus agitée que jamais ; cependant j’ai fait tous mes efforts pour calmer mon imagination : mais ces spectres n’ont point cessé de m’alarmer. Mon effroi m’a causé un trouble dont je me sens encore tout émue… Je crois les voir encore et les entendre… Éloignez-vous de moi, je veux faire mon salut.

ANGÉLIQUE

Savez-vous, ma bonne, que votre discours me fait réellement peur ?

MARTHE

Ah ! ah ! serait-il possible ? Avez-vous peur de rêver après les diables ?

Si cela vous arrive, riez-en le matin de tout votre cœur.

ANGÉLIQUE

Mais ne devons-nous pas les craindre ces êtres malins ?

MARTHE

Ces êtres malins ? Il faut premièrement prouver qu’ils existent, avant de les craindre. De nos jours, grâce au ciel, les gens sensés ne croient plus aux sorciers, ni aux enchantements, ni aux diables.

Les bons chrétiens qui ont une foi éclairée, disent et soutiennent, avec raison, que c’est un blasphème terrible, de croire, de s’imaginer seulement que le diable, en supposant qu’il existe, ait plus de pouvoir que Dieu même.

Dieu nous a créés pour lui ; Dieu veut que nous soyons heureux et sauvés. Son fils a déchiré, par sa mort, le décret de notre condamnation ; il a enchaîné cette bête cornue ; tout cela est de foi. C’est donc une manifeste contradiction, indigne de Dieu, et uniquement digne de nos prêtres intéressés à cela, de prêcher en même temps que le diable n’a plus aucun pouvoir, et qu’il est si puissant.

Il faut qu’il y ait des péchés à commettre et des diables pour les punir, plutôt qu’un Dieu tout bon, prêt à les pardonner ; autrement les ministres des autels feraient maigre chère. Gardons-nous bien d’être victimes de la méchanceté des hommes, voilà le diable que nous avons à craindre.

ANGÉLIQUE

Mais dites-moi, je vous prie, et c’est la dernière question que je vous fais ; ne devrai-je pas une fois ou l’autre me confesser ? Vous m’avez persuadé, il est vrai, que tous ces amusements, dont nous avons parlé, ne sont point des péchés ; mais quelques scrupules pourraient, avec le temps, venir troubler mon esprit…

MARTHE

Voilà le fruit de mes leçons tout perdu ! Y a-t-il de la raison à se confesser d’une chose que vous avez faite dans la persuasion que vous ne faisiez point de péché ?

Supposons encore que les scrupules parlent, et que vous n’ayez pas le courage de les faire taire ; est-ce à un homme que vous devez avouer vos faiblesses ?

Je m’étonne, et tout le monde raisonnable s’étonnera avec moi, de voir que l’on ne parle, dans ce siècle, que de réformer l’Église et les États ; que l’on cherche à rendre heureux les peuples, et à remettre le clergé dans son assiette évangélique ; qu’on laisse au clergé la faculté de dominer sur les consciences et de guider les peuples, encore aveugles, par la confession auriculaire.

Non, et mille fois non ; tant que ce tribunal despotique subsistera, le clergé ne perdra point son pouvoir, les États ne seront point tranquilles, et les peuples ne seront pas toujours fidèles à leurs souverains légitimes. Sans parler d’autres histoires, jetons un coup d’œil sur la révolution actuelle des Pays-Bas ; c’est une vérité incontestable que, par le moyen de la confession auriculaire, le clergé belge a excité la rébellion dans le pays, pour s’en rendre, au nom du Dieu de paix, le maître despote et tyrannique.

À quoi sert la confession auriculaire ?

À affermir dans leurs vices ceux qui se confessent et cela est hors de doute.

Car, malgré tant de confessions faites aux prêtres, nos mœurs ne deviennent point meilleures ; même l’expérience fait voir que là où existe l’obligation de se confesser, les mœurs y sont plus corrompues.

Sur un prêtre sévère, les pécheurs en trouvent dix d’indulgents ; ils raisonnent et concluent que la morale est une science qui vaut autant qu’on la fait valoir.

Ce ne fut qu’au xiiie siècle, c’est-à-dire en 1215, que fut introduite dans l’Église, par le pape Innocent III, cette coutume de se confesser.

Écoutons saint Jean-Chrysostome qui excite les pécheurs à la pénitence :

« Je ne te dis pas d’accuser tes péchés à quelqu’un de tes semblables, mais de croire au prophète qui dit : « Découvre ton cœur à Dieu. » Confesse donc tes péchés à Dieu, confesse-les à lui seul qui en est le juge, et si tu ne le peux de bouche, fais-le, au moins du fond de ton cœur, et prie-le de te pardonner[19]. »

« Je vous exhorte et je vous conjure, mes très chers frères, de vous confesser constamment à Dieu ; je ne prétends pas vous produire aux yeux du monde, aux yeux de quelqu’un de vos semblables ; je ne vous oblige point de confesser vos péchés aux hommes. Dévoilez votre conscience à Dieu, montrez-lui vos blessures, demandez-lui un remède ; ne les montrez pas à celui qui gronde et qui menace, mais à celui qui peut seul les guérir[20]. »

« Dis-moi, pourquoi as-tu honte de découvrir tes fautes ? Tu ne les dis pas à un homme qui pourrait t’accabler de reproches ; tu ne les confesses pas à un de tes semblables qui pourrait les divulguer. Tu les découvres à ton maître, à ton gardien, à ton vrai médecin[21]. »

Écoutons saint Augustin.

« À quoi bon, dit-il, que les hommes entendent ma confession, comme s’ils pouvaient me guérir de mes maux[22] ? »

Je ne finirais jamais, mademoiselle, si je voulais vous prouver, par d’autres autorités incontestables, que le plus grand des abus est de laisser au clergé ce pouvoir despotique de dominer sur les consciences des pauvres humains. Si j’avais l’honneur d’être un des députés à notre Assemblée Nationale, je n’y dirais que ces mots :

« — Vous voulez réformer le clergé ? Abolissez la confession auriculaire ; le clergé perdra son pouvoir, il rentrera dans ses devoirs et votre nation sera fidèle et heureuse. »

ANGÉLIQUE

Vous parlez mieux que nos docteurs de Sorbonne, et je vous proteste qu’après ce raisonnement, je me sens tout à fait tranquille.

MARTHE

Puis-je donc espérer que mes leçons resteront gravées dans votre esprit, et qu’elles ne seront point infructueuses ?

ANGÉLIQUE

Oui, ma bonne. Je jure que je n’oublierai jamais ces leçons, ni celle qui me les a données.


FIN.


Madame la Nature
se moque des Lois, et va toujours
son train ordinaire.


 ÉLoge De l’Enfer.

La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre
La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre

  1. Elle vit encore.
  2. On prie le lecteur de se souvenir toujours que c’est une maquerelle qui parle, une femme qui fait métier de débaucher et de prostituer des filles.
  3. Quæres de auditione rerum turpium ? Respondeo : Ex se esse rem indifferentem. P. Filliutius. tom. 2. c. 10. n. 212.
  4. Idem dicendum est de legentibus libros turpes et tractantes ex professo de obscænis amoribus. Idem. ibid. n. 213.
  5. Partes quæcumque corporis propriæ vel alienæ… ut brachia, pectus, crura, absque peccato ullo, aspici possunt. Id. tom. 2. c. 10. n. 7.
  6. Potuisset Suzanna in tanto metu infamiæ, mortisque, negative se habere, ac permittere se in eorum libidinem : quia majus bonum est vita et fama quam pudicitia ; unde hanc pro illa exponere licet Itaque non tenebatur ipsa exclamare, sed poterat dicere : « Patiar et tacebo, ne me infametis, et indigatis ad mortem. « P. Cornelius à Lapide, in cap. 13. Daniel, v. 22, 23.
  7. Totum corpus, coopertis pudendis, il balneo, vel flumine, si necessitas vel utilitas aliqua, vel etiam commoditas, vel delectatio intercedat, absque ullo peccato aspici potest. P. Filliutius, tom. 2. c. 10. n. 7.
  8. Enim vero, si esset aspectus partium, quas pudor velat, vel ipsius concubitus, speculative quidem non damnerem. Escobar, t. 1. examen. 8. c. 1. n. 4. p. 135.
  9. Escobar, in præloq. c. 3. n. 15.
  10. Non peccant mulieres, quæs e præbent conspiciendas adolescentibus, a quibus se credunt turpiter concupiscendas, si hoc faciant aliqua necessitate, vel utilitate, aut ne se privent sua libertate. P. Lesseau, dans ses cahiers dictés à Amiens sur le Décal. art. 4.
  11. An amplexus nudi cum nudo… possit etiam esse inter tactus causa benevolentiæ ? Respondeo : « Si spéculative loquamur, etiam id est indifferens. «. P. Filliutius. tr. 30. c. 9, p. 174.
  12. Non esse peccatum ad eas accedere, quod etiam in civitatibus alioquin bene institutis in fide et religione locum habet. P. Filliutius. Quest. men. tom. 2, tr. 30. c. 2.
  13. V. P. Bauny. Somme des péchés, p. 148.
  14. Famulus potest jussu heri concubinam ad domum heri comitari, et januam aperire et eis lectum sternere… Et eadem omnia potest filius ad mandatum patris, præsertim si ex omissione indignationem patris timeat… Et eadem omnia quæ sunt famulus et filius, etiam potest quilibet alius, titulo alicujus considerabilis utilitatis, et multo melius titulo vitandi aliquod grave incommodum… Deducitur licere alicui dare mutuo nummos alteri, aut cubiculum accommodare petenti ad fornicandum.

    Gaspar Hurtado, apud Dianam, part. 5. p. 435.

    Sanchez, op. mor. lib. P. c. 7. n. 31.

  15. Cazzo ! C’était son juron. Ce mot signifie : le vit.
  16. Les Inconvénients du Célibat. Chap. IV. p. 22.
  17. En parlant ainsi, Marthe fait allusion aux expressions ingénieuses et badines dont usait Benoit XIV en pareil cas. Il se promenait un jour dans son carrosse avec un cardinal : il aperçut une très jolie montre devant une dame ; il la reconnut…

    « — Dites-moi, mon frère, n’est-ce pas là votre montre ?

    « — Oui, mon saint Père, je lui en ai fait un présent.

    « — Vous avez bien fait de suspendre votre vœu où vous avez obtenu la grâce. »

  18. On dit, en italien, que Venise est une ville vierge, parce que jusqu’à, présent, aucune puissance n’a pu l’emporter.
  19. Hom. 13, in Hébr.
  20. St. Jean-Chrys. Hom. de pœnit. tom. v.
  21. Id. Hom. de Lazaro, tom. v, p. 81.
  22. Confess. lib. 10, c. 3.