La Revue moderne/Année 01/Numéro 01/S’unir pour grandir

Collectif
La Revue modernePremière année, numéro 1 (p. 8-9).

S’UNIR POUR GRANDIR


Notre pays aspire à de hautes destinées.

C’est son droit impérieux. Mais pour atteindre aux sommets convoités, une union s’impose entre les races, les classes, les groupes.

Tous les Canadiens, certes, ont au cœur l’amour et la fierté de la patrie. Leur manière de comprendre ce sentiment a pu jusqu’ici varier, mais l’heure ne saurait plus tarder de l’exprimer par un seul et unique geste.

Ce geste, il faut le préparer.

Tous ceux qui veulent la grandeur et la prospérité de leur pays sentent, devant les exigences du monde nouveau qui s’inaugure, combien nous avons besoin de grouper les énergies et les vaillances pour composer l’élite qui doit orienter nos ambitions nationales. Mais cette élite existe-t-elle ?

Nos hommes instruits et capables de diriger notre éducation nationale, ne sont-ils pas disséminés dans tous les groupes ? Et ces groupes ne sont-ils pas même souvent de simples factions politiques ? Il n’y a pas de centre intellectuel où toutes les classes se joignent, où toutes les idées s’échangent, un centre enfin où l’on apprend à se connaître et à se respecter, en dépit des abîmes qui peuvent nous séparer. L’intérêt national ne devrait-il pas déterminer un effort en commun, où seraient oubliées les haines de race, où seraient abolies les dissensions anciennes, et où l’on apprendrait vraiment à se connaître et à se comprendre. La fondation de ce centre de pensée canadienne s’impose, et la Revue Moderne veut aider à sa création.

Elle ouvre donc largement ses colonnes à tous ceux qui sont appelés, par leur talent et leurs études, à jouer le rôle dans la vie canadienne, de diffuser des idées, de promouvoir des progrès, et d’orienter des mouvements. Elle veut ainsi former une opinion saine et juste qui professera le mépris du préjugé, et répudiera toute propagande de haine et de fanatisme.

Il n’y a pas à se le dissimuler, un esprit nouveau nous anime. Ce n’est pas en vain que la guerre nous a tué nos enfants pour un idéal de justice et de liberté. Cet idéal qui s’empare de nos consciences, nous inculque une mentalité plus généreuse, plus salutaire, plus humaine, parce que plus fraternelle.

Déjà, chez-nous, s’affirme un besoin d’oublier les discussions anciennes, d’abolir les vieilles rancunes, d’effacer les mauvais souvenirs, pour commencer une vie nationale, inspirée uniquement des intérêts canadiens, des progrès canadiens, des demains canadiens.

L’avenir, devant nous, s’ouvre magnifique ; il serait criminel d’oublier que nous habitons un grand pays, et que nous pouvons devenir un grand peuple.

Certes, Latins et Saxons qui se partagent ce pays-ci, ont de légitimes fiertés, et d’imprescriptibles héritages. Ni les uns ni les autres ne peuvent, un moment, songer à l’affaiblissement de l’intégrité de leur race. Tous, au contraire, sont prêts à réclamer avec la dernière énergie, le respect aux origines glorieuses.

Les Canadiens-français ne pourraient pas plus renoncer à leur langue et à leur culte que leurs compatriotes anglo-saxons. D’ailleurs, ce point d’histoire est bien fixé, et l’on sait que rien au monde ne peut déterminer la famille française de ce continent à se départir de droits supérieurs dont le renoncement marquerait un suicide honteux. Et ce n’est certes pas aux lendemains des années glorieuses, où la France a donné les plus merveilleux exemples de force morale et de courage sublime, que l’on pourrait nous croire capables, nous qui sommes nés de son héroïsme et de sa foi, de devenir des ingrats, pis encore, des monstres.

Un mouvement d’ailleurs s’affirme, dans nos centres anglais, en faveur de la langue française. Et ce mouvement, la France l’a inspiré par sa noble valeur. À la regarder si fière sous la douleur, si grande sous l’épreuve, si noble et si généreuse dans la Victoire, l’on a senti combien elle méritait d’être comprise et bénie. De partout dans notre pays, jusqu’ici réfractaire à l’étude de la langue française, s’élève le désir d’apprendre ce langage, le plus génial qui soit. Ce mouvement aidera immensément au rapprochement de tous les Canadiens. Plus nos compatriotes anglais nous connaîtront, plus ils seront curieux de notre littérature, de nos talents, de nos ressources artistiques. Ils comprendraient mal, je crois, que nous, les descendants d’une race de rare et splendide intellectualité, nous nous soyions si peu développés dans ce sens. Ils imagineront vite que nous devons représenter dans ce pays, l’aristocratie de la pensée, et sitôt qu’ils pourront nous comprendre, ils nous demanderont de quoi satisfaire leur passion d’apprendre, et leur besoin d’admirer. Il faut être prêts à leur répondre.

Et pour cela, mettons-nous au travail.

La liste de nos écrivains, de nos penseurs, de nos conteurs, de nos savants est assez longue. Presque tous ont répondu à l’appel de la Revue Moderne. Si tous veulent patriotiquement remplir le rôle qui leur est destiné, nous pourrons représenter dignement et fièrement le Canada français.

Notre Revue sera donc une œuvre de fierté nationale.

Elle attestera brillamment de la valeur de nos poètes, de nos prosateurs, et elle offrira une lecture abondante et salutaire à tous ceux qui la rechercheront. Là ne devra pas s’arrêter son action. Il lui faudra trouver d’autres moyens de développer le goût des arts et de la littérature. Elle multipliera les occasions de mettre en belle valeur nos meilleurs talents. Elle en fera surgir de nouveaux, par des fondations diverses. Elle inaugurera les réunions littéraires, et tiendra “salon” non pour les Précieuses dont riait Molière, mais pour les lettrés de tous les groupes.

Le programme est vaste et splendide. Rien n’en devrait arrêter l’élan, ni en diminuer l’inspiration. Le public fera chaud accueil à la Revue Moderne. Elle devra remplacer, dans les familles, les magazines extravagants qui enseignent le mauvais goût, et déforment trop souvent la mentalité de nos femmes et de nos jeunes filles. Elle apportera partout le meilleur de notre talent et le plus sincère de notre vouloir. Elle deviendra l’inspiratrice et l’amie. Nous l’avons voulue jolie pour qu’elle enchante tous les yeux et attire toutes les admirations. Ainsi son rôle d’éducatrice lui sera plus facile et plus doux.

Nous vous demandons de lui ouvrir vos maisons et vos cœurs. Il faut aimer cette Revue, créée pour vous, pour faire meilleures vos idées, plus justes vos principes, plus meublés vos cerveaux. Elle sera l’œuvre de talents profonds et sincères, de talents de chez-nous, triés dans toutes nos classes, dans tous nos groupes, talents canadiens-anglais, comme canadiens-français, tous conquis au “motto” qui doit dorénavant présider à nos actes : « S’unir pour grandir », afin de donner à la patrie canadienne la pleine mesure de nos énergies et de nos vaillances.

Madeleine.

Notre première page, si artistique de pensée et d’exécution, nous a déjà valu de précieuses adhésions chez les clients où nous l’avons présentée. Elle continuera d’attirer la clientèle qui se laisse tout d’abord prendre par les yeux ; l’esprit suivra, et puis le cœur. Et ce sera alors le succès complet et définitif : celui que nous voulons fermement réaliser.

Tous les mois, la gravure qui orne notre première page sera changée, l’encadrement restera le même. Nos gravures seront toujours choisies parmi les chefs d’œuvre de l’art, de sorte que nos lecteurs réuniront à la fin de l’année, douze “sujets” empruntés aux plus grands artistes.