Librairie socialiste internationale (p. 21-24).
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Il est une autre catégorie d’êtres nuisibles : c’est celle des boutiquiers stupides qui croient que les révolutionnaires n’ont qu’un rêve : s’évanouir sur les trois sous de leur comptoir.

Mais ne sont-ce pas les agissements de cette engeance qui font que ce monde est une forêt où chacun s’occupe de dépouiller son voisin ?

Qui oserait mettre en doute la réalité des appréciations de cet estimable employé de commerce, le citoyen Gély ?

L’Enrichissez-vous de Guizot, dit-il, est encore la devise qui préside à toutes les opérations du commerçant et de l’Industriel, laquelle vient compléter celle du Jésuitisme : La fin justifie les moyens. Et il faut avouer que les moyens qui sont généralement employés dans le but de s’enrichir, s’ils n’étaient pratiqués sou ; le couvert du commerce ou de l’industrie, conduiraient plus souvent leurs auteurs à la fabrication des chaussons de lisière qu’aux jouissances de la fortune[1].

L’auri sacra fames — exécrable soif de l’or — du poëte latin, domine de plus belle.

L’égoïsme, l’appât effréné du lucre, l’avarice hideuse, sont encore les mobiles du moderne courtaud de boutique.

Mais la variété la plus dangereuse de la gent boutiquière est, sans contredit, celle de marchand de vins-principal : Renard doublé de Vautour, embusqué dans son officine, personne mieux que ce bipède n’excelle en l’art de happer une proie.

Non content de ravir au prolétaire une bonne part de son faible gain, de l’empoisonner par sa piquette à la fuchsine[2] et l’odeur infecte de ses bouges, souvent encore, lorsque ce prolétaire est socialiste, il le signale à la police.

Le nombre est grand de ces rapaces qui, pour se faire pardonner l’exploitation et la mort prématurée de tant de travailleurs, « mouillent de la casserole. »

Parmi les exceptions, il faut citer un brave homme du nom de Pélus, qui restait, il y a quelques années, rue Saint-Jacques, à côté du Val-de-Grâce.

Lorsque nous fûmes poursuivi pour la brochure dont nous avons parlé plus haut — dans laquelle brochure nous stigmatisions les affameurs et proscripteurs du peuple — ce vieillard estimable nous aida à mystifier le commissaire, un Dulac quelconque, et vint même nous voir dans notre cellule.

Des exemples pareils vous consolent des lâchetés e la plupart de ses congénères.

Dans cette clique abjecte, il en est un qui mérite… la palme.

Son nom, que nous ne lui ferons pas ici l’honneur d’afficher d’une autre manière, rappelle un personnage mal famé de Balzac.

Les militants de la capitale le reconnaîtront, car il en a suffisamment injurié lorsqu’ils venaient voir, dans les parages de la rue Soufflot, certain propagandiste investi de leur confiance et qui, pour son malheur, perchait dans l’antre du susdit.

Les socialistes n’ont pas toujours le choix et se logent où ils peuvent.

Dans le nombre des citoyens sur lesquels ce malotru — fort de ses attaches suspectes — éjacula sa bave, nommons MM. de Jouvencel, ex-commandant de francs-tireurs, et Dupré, garçon de bureau.

Il ne serait pas impossible qu’à l’occasion, quelques-uns se souvinssent de sa grossière impertinence.

Mais le plus bel exploit de ce volatile féroce est celui-ci : après avoir « vu des messieurs de la préfecture », comme il l’avoua textuellement dans cette phrase à encadrer, il fit jeter, en plein hiver, dans la rue, à l’aide d’un huissier… complaisant et d’un juge de paix de même farine, notre pauvre propagandiste, l’exposant ainsi à la ruine et entravant pour de longs mois — ce qui intéresse la cause commune — sa mission éducatrice.

Ajoutons que ce prolétaire, lorsqu’il reçut congé, ne lui devait pas un centime.

Les villageois clouent encore le hibou sur l’huis de la ferme : n’est-il pas autrement utile de clouer ce Vautour[3] au pilori de l’opinion publique ?…

Notre publiciste, à qui il était dû des milliers de francs, se trouve donc subitement, à la suite de cette prouesse vautourienne, réduit à errer, sans asile, pendant cinq jours.

Ses meubles, qu’il eut l’art, en déménageant à la « cloche de bois », d’arracher aux serres malpropres de l’oiseau de proie précité, restent, pendant ce temps, dans une cour, exposés à la neige.

Les bons petits frères l’avaient lâché avec ensemble, et sans l’intervention d’hommes de cœur qui ne lui devaient rien : les citoyens Phillip, professeur d’anglais ; Halphen, marchand d’encres d’imprimerie ; Péchon, correcteur, et J.-A. Mancel, publiciste, il en serait peut-être encore à chercher un domicile dans les carrières d’Amérique.

Jusqu’à certain marchand de papier noirci, se disant un de ses coreligionnaires, qui profitait de ce coup de police pour démarquer son titre de propagande !…

Tous les commerçants — et c’est heureux pour l’Humanité — ne ressemblent pas à ces êtres qui ont une pièce de cent sous à la place du cœur.

Voici le citoyen Louis Pierre, un marchand de province, qui, dans un drame communiste intitulé : La Main de Fer, rappelant la Main noire, en Espagne, prononce ces paroles humaines :


… Je compris que le monde,
Courbé sous la misère et le servage immonde,
Par la science, un jour, pourrait être meilleur,
Sans esclave ni maître, et que le travailleur,
Prenant enfin sa place au banquet de la vie,
Saurait jouir en paix du bonheur qu’il envie[4].

  1. Victor Gély, — Parias parmi les parias, p. 20.
  2. Pour faire fortune, bien marier leurs demoiselles et se retirer plus vite avec leur dame dans un château, à la campagne, ces notables chenapans feraient, d’un cœur léger, crever La moitié de Paris. (Gramont, Intransigeant, no 1624.)
  3. Plus voraces peut-être sont ses dignes femelles, la première, une cafarde de cambrouse qui barbouille comme une pie enrhumée ; la seconde, une
  4. Louis Pierre. — La Main de Fer, p. 12.