La Responsabilité atténuée

La Responsabilité atténuée
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 3 (p. 903-928).
LA
RESPONSABILITÉ ATTÉNUÉE

Au mois d’août dernier, au Congrès international de médecine légale de Bruxelles, la question de la responsabilité atténuée a été très soigneusement discutée ; des rapports très documentés ont montré l’importance sociale de cette question, ont conclu à l’existence des criminels à demi-responsabilité et ont indiqué les efforts faits dans les différens pays pour faire entrer dans le Code pénal cette notion, scientifiquement indiscutable.

Cette étude des législations comparées a montré clairement aussi que tout reste à faire en France sur ce sujet ; les mots de responsabilité et d’irresponsabilité ne sont prononcés nulle part dans notre Code pénal. La nouvelle loi sur les aliénés, votée par la Chambre en janvier 1907 et non encore votée par le Sénat, parle de responsabilité et d’irresponsabilité, prévoit et ordonne un verdict de responsabilité ou d’irresponsabilité et règle le sort des criminels déclarés irresponsables. Mais nulle part il n’est question des criminels à responsabilité atténuée.

Le moment semble donc opportun, en France, pour bien mettre au point les termes du problème discuté. Car ce projet de loi doit être maintenant discuté par le Sénat, et si, comme je le crois, il est nécessaire d’introduire la notion de demi-responsabilité dans le Code, c’est certainement à ce moment-là qu’il faudra essayer un grand effort dans ce sens.

Il est donc utile d’indiquer rapidement où en est, au point de vue scientifique et au point de vue social, cette grave question de la responsabilité atténuée, qui a été si longuement discutée de divers côtés et sur laquelle j’estime cependant qu’il serait facile de s’entendre.


Je crois d’abord que l’existence de la responsabilité atténuée ne peut pas être médicalement niée ni contestée : entre les criminels bien portans à responsabilité totale et les criminels fous à irresponsabilité avérée, il y a tout un groupe, très considérable, de criminels dont la responsabilité est atténuée, ceux que, pour abréger, j’appelle des demi-fous demi-responsables[1].

Il va sans dire que je ne veux rouvrir aucune discussion philosophique sur le sens du mot « responsabilité. » Le mot est peut-être mauvais ; mais, tant qu’on n’en a pas fait accepter un meilleur, il faut s’en servir dans le sens que lui donnent les magistrats quand ils chargent un médecin expert d’examiner un inculpé et de dire s’il est ou non responsable de l’acte pour lequel il est poursuivi.

L’emploi du mot responsabilité n’implique aucun acte de foi dans l’existence du libre arbitre, ni de la part des magistrats, ni de la part des médecins.

Qu’on admette ou non l’existence d’une âme spirituelle et libre, il est indiscutable que, dans la vie actuelle telle que nous l’observons, l’homme ne peut sentir, penser et vouloir normalement que si son corps matériel est intact et normal ; plus spécialement encore, si, dans le cerveau, les cellules ou neurones, que nous appelons psychiques, sont intacts et normaux.

Dans certaines maladies, dont la lésion est bien connue et bien localisée dans le cerveau (et dans l’écorce du cerveau), comme la paralysie générale, la pensée du sujet est troublée par des idées de grandeur ou de persécution, sa sensibilité est abolie ou pervertie, sa volonté est faussée par des impulsions et des hallucinations ; il est évident que, dans ces conditions, sa responsabilité est abolie ou tout au moins profondément modifiée.

D’une manière générale, la folie, qui est une maladie du cerveau (ou plutôt la tête de chapitre d’un grand nombre de maladies du cerveau), la folie trouble la responsabilité.

Donc, quelle que soit la doctrine philosophique que l’on professe sur la responsabilité morale, on est bien obligé d’admettre qu’il y a des facteurs organiques, corporels, médicaux de la responsabilité sociale.

C’est dans ce sens médical que je prendrai toujours le mot « responsabilité ; » je ne parlerai jamais que d’une responsabilité dont l’appréciation et la mensuration appartiennent au seul médecin ; c’est la responsabilité dont on peut dire sans offusquer ni heurter personne qu’elle est fonction de la normalité des neurones psychiques.

Cette formule synthétique veut dire que, pour qu’un sujet soit entièrement responsable de ses actes, il faut que ses neurones psychiques soient tout à fait normaux.

On comprend dès lors que, quand les mêmes cellules cérébrales sont tout à fait malades, le sujet n’est pas responsable du tout ; c’est ce qui arrive par exemple dans le cas cité plus haut de paralysie générale. Mais on comprend aussi que ces neurones peuvent être partiellement et plus ou moins profondément atteints, que, dans ces cas, leur fonction-responsabilité, sans être abolie, est altérée : le sujet n’est pas alors irresponsable, mais il n’est pas normalement responsable : il a une responsabilité atténuée.


Ceci bien compris, il paraît facile de montrer qu’en fait, la responsabilité atténuée existe : il y a des criminels dont la responsabilité n’est ni normale, ni abolie ; il y a des criminels demi-fous.

Comme exemple et démonstration, je citerai tous les débiles mentaux, qui apparaissent d’abord inéducables, puis insociables, souvent antisociaux, amoraux, qui passent leur jeunesse à faire le malheur de leur famille, qui désertent le régiment et oscillent, toute leur vie, entre la prison, l’hôpital, l’asile et les pires sociétés.

Ces débiles mentaux sont en général des héréditaires, mais des causes multiples, la plupart évitables, en font des criminels.

Naturellement, ils sont paresseux, inattentifs, ont de mauvais instincts, « chapardent » volontiers, se font renvoyer de toutes les écoles, sont rebelles à toute éducation et à toute discipline. Mais ils sont très suggestibles et se laissent facilement influencer par les bons ou les mauvais conseillers.

Si alors la famille ne donne pas de bons exemples et ne fait pas donner de bons principes, si le père est un ivrogne et un paresseux, si la mère se conduit mal, si le ménage est divorcé ou se querelle, l’enfant débile, livré aux promiscuités les plus malsaines, à l’âge où les passions s’éveillent et se manifestent brutalement, ne trouve dans son esprit aucun contrepoids, dans son cœur aucun frein : pour satisfaire ses passions obsédantes, il vole et, si la victime est récalcitrante, il assassine.

S’il franchit les premiers âges avec de simples peccadilles, il va à l’armée, ne comprend ni le drapeau, ni la patrie, échappe à toute discipline, manque de respect à ses chefs ou vole ses camarades, déserte ou passe en conseil de guerre et va finir dans les compagnies de discipline.

D’autres, dans le monde, prennent la passion du jeu, — où ils trichent, — ou du poison, avec lequel ils s’enivrent : ils boivent de l’alcool, de l’absinthe, toute la gamme des apéritifs : dans une catégorie sociale plus élevée, ils se piquent à la morphine ou fument de l’opium ; ou ils respirent de l’éther et arrivent à le boire, à plein verre, tous les jours… Pour se procurer leur poison coûteux, ils se privent de tout, et, comme cela ne suffit pas, ils aboutissent encore au vol et à l’assassinat.

D’autres vivent plus longtemps dans le monde régulier et peuvent ne pas laisser soupçonner à d’autres qu’à leurs familiers les lacunes de leur organisation mentale et morale ; ils parviennent à se marier et font le malheur de la femme qui les épouse sans les connaître. Ils fondent une famille de dégénérés qu’ils torturent et qu’ils ruinent par leur inconduite, leurs débauches ou seulement par leur défaut de bon sens, la mauvaise administration de leurs affaires, souvent aussi une série d’inventions saugrenues, qui auraient dû révolutionner le monde, mais qui, en réalité, acculent leur auteur au crime pour réparer la ruine de sa fortune.

Tous ces sujets ne sont certes pas irresponsables ; ce ne sont pas des aliénés ; il est impossible de les faire admettre et soigner dans un asile de fous. Quand ils commettent un crime, ce crime est bien combiné : ils attirent la victime dans un guet-apens, à un moment où ils savent qu’elle portera une sacoche bien garnie ; ou bien ils vont voler et assassiner une vieille femme, qu’ils savent seule dans une maison écartée et sans secours. Ils n’assassinent même que si leur intérêt immédiat et leur sécurité ultérieure le conseillent. Il est donc impossible de les assimiler au paralytique général dont je parlais plus haut ou à l’épileptique qui tue dans une crise de fureur inconsciente.

Ils ne sont pas irresponsables.

Mais ils ne sont pas non plus responsables comme tout le monde ; ils n’ont pas leurs neurones psychiques normaux. L’hérédité, les poisons, la mauvaise éducation, les maladies antérieures ont altéré leurs cellules cérébrales : leur responsabilité est atténuée.


Quels sont, au fond, les élémens constitutifs de ce lamentable état psychique ?

D’un mot, ces sujets sont, comme je l’ai dit, des débiles mentaux ; leur psychisme est débile sous toutes ses formes : intelligence, sensibilité et volonté.

D’abord, leur intelligence est bornée : même quand ils ont fait des inventions ou combiné un crime, ils montrent une intelligence remplie de lacunes, sans équilibre et surtout dépourvue de bon sens : les illogismes et les contradictions fourmillent dans leurs actes. Ils désertent bêtement pour un but futile ou sans but, sachant qu’ils encourent la prison et le conseil de guerre ; ils vont dépenser l’argent du vol dans la maison publique la plus voisine où la police les attend comme dans une souricière, ou s’affichent sans même se grimer dans les music halls les plus étroitement surveillés. Quand ils font des raisonnemens logiques, ce sont des raisonnemens d’enfant. Ils présentent toute leur vie ce que Duprat a appelé « l’infantilisme pervers ; » ils restent puérils à tout âge, mentent niaisement et le plus souvent, s’ils savent lire et écrire, ils n’ont réussi à recevoir qu’une instruction des plus élémentaires, sauf parfois sur un tout petit point pour lequel ils sont extraordinairement précoces et brillans.

Leur débilité sensitive et effective est encore plus marquée : très égoïstes, ils ont des sentimens familiaux tout à fait rudiment aires, abandonnent facilement la maison paternelle, font de longues fugues sans donner de leurs nouvelles et sans souffrir de n’en point recevoir. Ils n’ont de pitié ni pour les gens ni pour les bêtes, ou bien ils ont une sensibilité pervertie qui les fera plus souffrir devant un chien écrasé que devant une femme qui agonise. Certains éprouvent même de la jouissance à voir souffrir les autres.

Absurdement fanfarons, ils n’ont pas peur de ce qui les menace réellement et ont des phobies ridicules de choses insignifiantes. Ils ont des manies, des tics psychiques. Négateurs de toute religion, ils ont souvent mille superstitions, reçoivent volontiers les conseils des esprits par l’intermédiaire d’un pied de table, ou font une prière avant d’aller commettre un crime.

La débilité de la volonté est ce qui domine le plus leur existence. Ceci éclate dans tous leurs actes.

Dans la vie normale, nos décisions sont ordinairement le résultat d’un jugement, plus ou moins rapidement porté par l’esprit, après examen comparatif et raisonné des divers motifs et mobiles ; dans cette décision apparaît la force de volonté du sujet.

Chez nos demi-fous, cette force de volonté est nulle ou très faible ; ce qui ne les empêche pas d’être têtus. Ils ne savent pas ce qu’ils veulent, mais ils le veulent bien ; ou plutôt, ils veulent avec obstination ce que leur a suggéré la plus récente et la plus insignifiante impression, ce que le dernier conseil leur a inspiré, ce que l’instinct ou le besoin actuel les incite à faire. Personnellement, ils ne discutent pas, n’essaient pas de contre-balancer les tentations et les insinuations du mal par une force personnelle de volonté.

D’ailleurs, non seulement ils n’ont aucun principe religieux élevé et réel ; mais ils n’ont même aucun principe de morale naturelle : ce sont des amoraux ou, comme on l’a dit, des « invalides moraux. »

Ils hésitent avant de voler ou de tuer parce qu’ils ont peur d’être découverts et mis en prison ; ils délibèrent sur les précautions à prendre pour éviter le gendarme et le bagne ou la guillotine. Mais l’idée du préjudice causé à autrui ou du mal en soi n’a aucune prise sur eux : un crime, resté caché et impuni, n’est pas un crime à leurs yeux. Et comme, au moment de commettre un crime, on espère toujours avoir assez bien arrangé les choses pour échapper à la justice humaine, il n’y a plus, chez les demi-fous, aucun motif de ne pas le commettre.

J’insiste sur ce point, — sur lequel je reviendrai dans la seconde partie de cet article, — que les sujets comprennent le gendarme et la prison. Ils savent si, au moment présent, on guillotine ou si on gracie les assassins ; ils savent qu’on est bien logé à la prison de Fresnes et qu’on peut se marier à la Guyane… Ils se distinguent ainsi complètement du fou irresponsable qui, lui, ignore toutes ces choses, né doit pas être mis en prison et na besoin que des soins médicaux immédiats dans un asile d’aliénés.

Nos criminels à responsabilité atténuée doivent donc être jugés et condamnés et aller en prison, puisqu’ils comprennent toutes ces choses. La société a le droit et le devoir d’employer, vis-à-vis d’eux, ses moyens de coercition et d’intimidation, puisque ce sont des moyens d’agir sur leur cerveau et, dans une certaine mesure, de les empêcher de recommencer.

Mais, en les punissant comme les bien portans, la société remplit-elle et épuise-t-elle tous ses devoirs vis-à-vis d’eux ? Faut-il traiter ces malades comme s’ils ne l’étaient pas ? La société ne doit-elle considérer que le crime commis et le préjudice causé sans se préoccuper de savoir si l’auteur de ce préjudice était malade ou sain d’esprit, avait ou non ses neurones psychiques normaux ?


Beaucoup de très bons esprits répondent à cette question par l’affirmative et pensent qu’on ne doit faire aucune différence entre les deux catégories de criminels.

« Quant à aller rechercher, dit M. Emile Faguet, des demi-responsabilités, des responsabilités plus ou moins atténuées, c’est une pure chinoiserie. » Il ne faut parler ni de responsabilité, ni même de culpabilité ; on n’a à rechercher que la nocivité de l’accusé. Quel péril cet homme, coupable ou fou, fait-il courir à ses semblables par sa manière d’être ? Voilà la seule question à poser. — Mais, alors il faut se défendre contre les fous et les criminels de la même manière ? — « Absolument de la même manière, » conclut M. Faguet.

Dans un autre article plus récent, mon éminent et toujours très aimable contradicteur rapporte (ou suppose) la conversation, suivante entre un médecin et le chef du jury qui condamna Menesclou.

« Quelques jours après l’exécution, le médecin vint trouver son ami, le chef du jury, et tout pâle, il lui dit : « Vous savez, Menesclou ? — Eh bien ? — Eh bien ! vous l’avez tué ! — Oui. Eh bien ? — Eh bien, on l’a autopsié, c’était un fou ! ! ! — Ah ! répondit le chef du jury, vous m’ôtez un poids. — Hein ? — Oui, vous m’ôtez un poids. Je suis soulagé. Je craignais qu’il ne fût pas fou. Du moment que c’était un fou dont la folie était d’assassiner, il est excellent de l’avoir supprimé. »

« Vous frémissez, âmes sensibles, continue M. Émile Faguet ; mais ce chef de jury a pourtant raison. Quand il s’agit de malades, de pauvres malades, bien dignes de pitié, certes, mais dont la maladie consiste à égorger leurs semblables, je ne vois pas du tout pourquoi on ne s’appliquerait qu’à prolonger leur existence. »

M. Pierre Baudin soutient, de même, que la thèse de la responsabilité atténuée « ne saurait avoir aucune conséquence au point de vue pénal ; » il serait même tenté d’ouvrir les asiles, non aux aliénés criminels, mais aux aliénistes qui soutiennent ces doctrines subversives. « Nous avons, dit-il encore, un meilleur emploi à faire de notre argent et de notre philosophie médicale que d’immuniser et d’hospitaliser des détraqués coupables. »

C’est l’idée exprimée par un journal lors d’une affaire célèbre : « Pourquoi dépenser l’argent des contribuables à nourrir des monstres pareils ? Quand un chien est enragé, on le tue. »

À propos du même criminel (d’ailleurs peu intéressant et déclaré responsable par les experts), le docteur Maurice de Fleury voulait bien qu’il fût soumis à l’examen des médecins légistes, pourvu que, quel que fût le diagnostic, les décisions du jury n’en fussent pas influencées. D’après le même auteur, la santé psychique des criminels peut les rendre plus ou moins « sympathiques » ou « antipathiques, » rien de plus. Et il ajoute : « On a certainement eu tort d’écarteler Damien, fou notoire, qui voulut poignarder Louis XV ; mais, en supprimant la torture, nous avons fait l’essentiel et tout en moi ne se révolte pas à la pensée qu’on pourrait éliminer, par un procédé très rapide et point trop hideux, si possible, un aliéné très dangereux. »

Dans la constatation, par le médecin, chez le criminel, d’une santé psychique plus ou moins altérée, M. Remy de Gourmont ne veut, lui aussi, voir qu’un fait sans application légale ou sociale, comme dans la chute d’un arbre plus ou moins bien protégé par un rideau de pins. « C’est un fait, et l’on en tiendra compte dans l’estimation des arbres comme dans celle des hommes. C’est un fait et voilà tout… Quand nous aurons bien disputé… quand nous aurons épuisé tous les argumens pour ou contre toutes les nuances de la responsabilité que l’on peut découvrir dans un homme sain ou malade, nous nous trouverons d’accord avec les bûcherons sociaux, avec les magistrats, sur la nécessité d’enlever l’homme et d’en débarrasser à jamais la société… Ne parlons même pas de crime, parlons de danger… L’idée de crime est une idée métaphysique ; l’idée de danger est une idée sociale. Les opinions de MM. Baudin. Faguet, de Fleury, qui effraient M. Grasset, sont en principe fort acceptables… Il y a d’un côté les assassins et de l’autre les assassinés. Que m’importe que celui qui me cassera la tête soit un apache ou un fou furieux ? Ce qui m’importe, c’est de vivre. J’ai grand-pitié des malades, mais je prie qu’on enferme soigneusement ceux qui sont en état de fièvre chaude. »


Je n’ai pas cherché à dissimuler la manière de voir opposée à la mienne, ni à amoindrir la valeur des hommes qui la défendent. Mais je me permets de maintenir, contre de telles autorités, l’opinion du médecin pitoyable qui ne peut pas se désintéresser et qui ne comprend pas que la société puisse se désintéresser du malade, même quand celui-ci est nuisible, dangereux, même quand sa maladie est d’assassiner.

Je ne referai pas d’ailleurs, ici, le plaidoyer que j’ai fait si souvent déjà, et si vainement d’ailleurs. Mais je peux bien répéter que si l’un de mes lecteurs était, un jour, blessé par un criminel, je suis sûr qu’il ne resterait pas indifférent, et que, si cela arrivait à M. Remy de Gourmont, l’éminent psychologue ne resterait pas indifférent à la question de savoir si son assassin était un apache ou un fou et ne demanderait pas la même peine dans les deux cas. Je suis certain que tous demanderaient la guillotine pour l’apache et l’asile pour le fou.

Je suis également certain que mes lecteurs ne pensent pas comme mon spirituel confrère, M. Maurice de Fleury, et qu’au contraire tout en eux se révolte à la pensée que la société pourrait faire disparaître un fou dangereux, alors même que le procédé d’exécution serait rapide et élégant.

Qui voudrait sérieusement admettre la comparaison du criminel avec le chien enragé ? Oui ; quand un chien est enragé, on le tue ; tandis que, quand un homme est enragé, on le soigne, même s’il a déjà mordu et au risque de se faire mordre soi-même.

La société a le devoir de soigner ses malades : on peut bien dire que cette vieille formule de nos ancêtres s’impose, de plus en plus victorieuse, à toutes nos sociétés contemporaines. Ce devoir est aussi strict vis-à-vis des malades du psychisme que vis-à-vis des victimes des accidens du travail ou des tuberculeux ; et le devoir ne disparaît pas par ce que le malade psychique aura commis un crime ou un délit.

Il est inadmissible qu’un homme de cœur et de bon sens veuille assimiler un malade nocif à un animal nuisible.

Si l’on ne prenait en considération que la nocivité ou l’utilité sociales des hommes, pourquoi ne pas revenir aux usages des sauvages et des barbares ? Pourquoi ne pas sacrifier tous les vieillards devenus des bouches inutiles et ne pas jeter à l’Eurotas tous les en fan s souffreteux qui ne seront qu’une charge pour la société ? Pourquoi soigner les lépreux et les tuberculeux qui sont un danger social par la contagion ? Pourquoi ne pas supprimer toutes ces traditions médiévales des époques théocratiques ?

Quand le crime est patent et que l’auteur a été pris en flagrant délit, pourquoi faire des instructions et des enquêtes ? Il est bien plus simple et plus expéditif de livrer le criminel à la foule qui le lynchera, après l’avoir convenablement torturé (c’est la plus efficace et la plus radicale des peines corporelles qui doivent sauver la société), sans nommer des experts pour savoir s’il était fou ou non.

Tout cela n’est pas défendable dans une société régulièrement organisée, comprenant ses devoirs.


D’ailleurs, quoique très critiquée de divers côtés, la notion de responsabilité atténuée s’impose de plus en plus à tous comme un fait scientifique, indiscutable et définitivement démontré.

Après avoir énergiquement combattu toute ma conception des demi-fous et des demi-responsables dans son livre sur Le Régime des aliénés, le docteur Dubief (auteur et rapporteur d’un projet de loi sur cette question) dit : « Si certains aliénés, du fait de la maladie dont ils sont atteints, sont toujours irresponsables, d’autres peuvent, au moment de l’action, être demeurés responsables, et, de même que les conditions de l’acte incriminé peuvent justifier le bénéfice des circonstances atténuantes, de même, au point de vue criminel, peut-on trouver dans son état psychique des atténuations à sa responsabilité. »

Devant la faculté de droit de Lyon, M. Michelon a fait toute une thèse de doctorat contre « les demi-fous et la responsabilité dite atténuée. » Mais son argumentation est fondée sur les conséquences légales que cette notion entraîne dans la pratique judiciaire. Il admet très bien, comme fait, l’existence des demi-fous qui sont en même temps des demi-criminels et étudie avec grand soin le sort qui leur est réservé dans la législation actuelle.

Devant la faculté de droit de Toulouse, M. Eydoux soutient aussi une thèse de doctorat, également consacrée aux demi-fous et à la responsabilité atténuée, et conclut : « En l’état actuel de la psychologie et de la psychiatrie, les demi-fous doivent avoir leur place entre les irresponsables et les hommes sains d’esprit jouissant de leur libre arbitre. »

Après les juristes, voici l’opinion de quelques aliénistes.

Le docteur Charles Vallon, médecin en chef des asiles de la Seine, écrit : « Entre l’intégrité des facultés intellectuelles et l’aliénation mentale complète, il y a des degrés presque infinis ; il est donc de toute logique d’admettre également des degrés entre la responsabilité complète et l’irresponsabilité. Cette manière d’apprécier la responsabilité légale » est « tout à fait conforme aux données de la science… Il est des inculpés qui, tout en n’étant pas aliénés et par suite irresponsables, présentent un état mental particulier dont il est juste de tenir compte dans l’appréciation de leur responsabilité… En dehors de leur aliénation mentale qui supprime toute responsabilité, nombreux sont les troubles de la santé cérébrale, les insuffisances intellectuelles de nature à constituer une excuse, une circonstance atténuante, en d’autres termes à atténuer la responsabilité d’un délinquant ou d’un criminel… Il n’est pas possible d’indiquer mathématiquement la mesure de l’atténuation ; mais on peut employer des expressions de ce genre : atténuer sa responsabilité dans une certaine mesure, dans une large mesure, dans une très large mesure, dans une mesure qu’il appartient aux magistrats de fixer, dans une mesure dont les magistrats, dans leur sagesse, sauront fixer l’étendue. »

Le professeur de clinique mentale de la Faculté de Paris, Gilbert Ballet, avec qui nous avons amicalement bataillé bien souvent sur toutes ces questions, cite l’exemple de l’épileptique commettant un crime en dehors de ses crises et ajoute : « Je considère que, dans une telle situation, on est en droit de dire que sa responsabilité est atténuée, ce qui veut dire : le malade que vous me présentez est un malade qui a commis un crime ou un délit, non pas sous l’influence d’un mobile pathologique mais sous l’influence d’un mobile ordinaire. Seulement, en vertu de son état pathologique, il présente une puissance de résistance moindre. Voilà une situation qui me paraît particulière, très différente de la situation des criminels que j’appelais tout à l’heure irresponsables, bien différente aussi de celle des responsables. A côté de l’épileptique, je pourrais placer l’alcoolique agissant, non pas sous l’influence de l’hallucination, mais recevant par exemple une injure de son voisin et ripostant avec plus de véhémence et de vivacité, précisément par ce que les habitudes alcooliques ont engendré chez lui une certaine irritabilité… Voilà des cas qu’il faut placer dans une catégorie intermédiaire entre ce que nous qualifions de pleine responsabilité et d’irresponsabilité. »

De même, le professeur de clinique mentale de la faculté de Bordeaux, Régis, écrit : « Les partisans les plus convaincus de l’irresponsabilité absolue des aliénés ont admis eux-mêmes, en termes formels, la responsabilité simplement atténuée des demi-aliénés et J. Falret a dit à cet égard : Ce sont là des états mixtes, intermédiaires entre la raison et la folie, dans lesquels il est permis de discuter le degré de responsabilité, d’admettre la responsabilité entière ou la responsabilité atténuée selon les cas et où il n’y a pas lieu d’appliquer le critérium de l’irresponsabilité absolue… Il nous semble difficile de ne pas se rallier à l’opinion si juste de Falret. » Et M. Régis continue : « L’humanité, disais-je aux jurés dans un procès récent, ne se divise malheureusement pas, psychologiquement, en deux catégories tout à fait distinctes : d’un côté, les sains d’esprit entièrement responsables ; de l’autre, les aliénés entièrement irresponsables. Entre les deux, existe une vaste province, dite zone frontière ou mitoyenne, peuplée d’individualités tarées à divers degrés et comportant, par suite, des responsabilités très différentes. Bien qu’on ne puisse pas mesurer le degré de responsabilité de ces intermédiaires au millimètre, on peut cependant établir pour eux, à ce point de vue, comme une échelle proportionnelle, en se servant d’une notation assez précise pour marquer trois degrés progressifs dans l’atténuation : atténuation légère, atténuation assez large, très large-atténuation. Ce sont, en effet, les trois termes dont on se sert habituellement. Cette connaissance de la responsabilité atténuée et de son mode d’application en pratique a d’autant plus d’importance pour le médecin expert que, dans un grand nombre de cas soumis à son examen, dans le plus grand nombre pourrait-on dire, il s’agit d’états pathologiques incomplets, intermédiaires, comportant, non une irresponsabilité absolue, mais une responsabilité atténuée. »

De même encore, M. Mairet, professeur de clinique mentale à la faculté de Montpellier, écrit : « Le temps n’est plus où l’on pouvait diviser les hommes en deux groupes au point de vue de la responsabilité : les responsables et les irresponsables ; la science a progressé. Elle montre qu’il est des individus dont le fonctionnement psychique se fait mal ; or, quoique ces individus ne soient pas des aliénés, le fonctionnement de leur activité est cependant troublé, rendu anormal et par suite leur responsabilité est plus ou moins diminuée, atténuée. C’est là un fait aujourd’hui communément admis. »

Et, dans le livre plus récent du docteur Euzière sur les Invalides moraux, le même auteur cite une série de types cliniques qui entraînent, non l’irresponsabilité, mais la responsabilité atténuée.

Enfin, au mois d’août dernier, au Congrès international de médecine légale à Bruxelles dont je parle en tête de cette étude, la question de l’existence ou de la non-existence de la responsabilité atténuée, très nettement posée par les rapporteurs, a été résolue par l’affirmative.

« Il y a évidemment, dit le docteur de Bœck, non seulement des malades psychiques, mais des demi-malades de cette catégorie, dont la situation correspond à une demi-invalidité cérébrale, que nous traduisons par l’expression de responsabilité atténuée… En tout cas, j’estime que, comme médecins légistes, nous avons à envisager la responsabilité dans tous ses degrés : complète, atténuée, nulle. »

Et, dans un autre rapport très étudié (auquel nous emprunterons plusieurs documens utiles), le docteur Mathé dit : « Il y a des sujets que leur état psychique oblige à considérer comme irresponsables et d’autres qui présentent des troubles empêchant d’en faire des responsables, mais ne suffisant pas pour permettre de les considérer comme irresponsables… La responsabilité atténuée est une altération de la santé cérébrale ; c’est l’état d’un individu qui présente un affaiblissement, une diminution de l’intégrité de ses fonctions psychiques. Celui dont la responsabilité est atténuée est un débile psychique. »


Au point de vue de la doctrine médicale, la cause paraît donc définitivement entendue : les demi-fous existent ; parmi les criminels il y en a dont la responsabilité est médicalement atténuée.

Nous sommes donc scientifiquement loin de l’époque où l’on considérait la notion de responsabilité atténuée comme « une façon commode de déguiser notre ignorance » (docteur Legrain), comme un moyen pour les experts d’atténuer leur propre responsabilité (professeur Garraud), comme « un simple expédient pratique n’ayant aucune valeur scientifique » (docteur Michelon)…

Nous n’avons plus à nous occuper des plaisanteries faciles sur les mots « demi-responsables » et « demi-fous, » qui s’inspirent toutes de la boutade de M. Anatole France (dans l’Histoire comique) « sur les médecins qui distinguent des moitiés de responsabilité, des tiers de responsabilité et des quarts de responsabilité et qui coupent la responsabilité par tranches comme la galette du Gymnase, discutant cependant entre eux quelquefois pour savoir s’il faut attribuer à un tel un douzième de responsabilité ou un dixième, comme on attribue un douzième de part ou seulement un demi-douzième aux sociétaires de la Comédie-Française. » Et les journalistes d’ajouter : « Dans quelle balance pèsera-t-on ces questions de responsabilité, ces culpabilités fragmentaires ? Et décidera-t-on, quand il s’agira de l’application de la peine, que le condamné sera guillotiné par moitié seulement ? »

Plus dangereuse (à cause de son origine) est l’argumentation, encore ironique, du professeur Gilbert Ballet quand il dit : « Si je ne m’abuse, la tendance des cliniciens est aujourd’hui d’éliminer du vocabulaire psychiatrique ce terme des premiers âges de la médecine mentale : Fou ! Et voilà qu’on nous apporte maintenant des demi-fous, en attendant les quarts et les tiers de fou. Qu’est-ce qu’un fou ? Personnellement je ne saurais le dire. M. Grasset, non plus, je pense… » Et les journalistes de proclamer « la faillite de la justice scientifique : les médecins avouent qu’ils ignorent si les criminels sont ou non responsables. »

Voilà le danger qu’il y a à jouer sur les mots ou avec les mots.

Il est certain que les mots « demi-fous » et « demi-responsables » n’ont nullement le sens d’une fraction 1/2 ; de même, le mot « fou » n’a pas une valeur scientifique. Mais il n’en est pas moins vrai que : 1° les médecins savent reconnaître les sujets qui ont toute leur raison et par suite sont responsables en justice, et ceux qui ont une maladie des fonctions psychiques qui les rend irresponsables en justice ; pour abréger, j’appelle (avec beaucoup de gens) ces derniers des fous ; 2° les médecins savent reconnaître, entre les bien portans et les fous, des sujets dont les neurones psychiques sont assez malades pour que leur responsabilité ne soit pas entière et ne sont pas assez malades pour entraîner leur irresponsabilité ; chez ces sujets la responsabilité est atténuée. C’est à ces malades que, encore pour abréger, je donne le nom de demi-fous et de demi-responsables.

Je pense qu’après ces explications sur les mots et l’exposé ci-dessus sur le fond de la question, je peux dire qu’aujourd’hui tous les psychiatres (M. Gilbert Ballet compris) admettent l’existence des sujets à responsabilité atténuée, c’est-à-dire des sujets que j’appelle demi-fous et demi-responsables.

De plus, après des précisions, il me paraît indiscutable que, seul, le médecin est qualifié pour apprécier et mesurer la responsabilité d’un criminel.

Le problème de l’appréciation d’une responsabilité revient au problème de l’appréciation de la normalité ou de la non-normalité de ses neurones psychiques. Ce n’est pas un problème de métaphysique comme on l’a dit ; c’est un problème de médecine.

Il est impossible d’accepter cette idée de M. Remy de Gourmont : « Depuis quelque temps, on ne demande plus aux jurés leur opinion sur la matérialité d’un fait, on les interroge sur le programme de l’agrégation de philosophie. C’est ridicule. » Il serait en effet profondément ridicule de poser aux jurés des problèmes de philosophie. Mais, pour résoudre les problèmes de responsabilité ou d’irresponsabilité, c’est le programme de l’agrégation de médecine qu’il faut connaître, plutôt que celui de philosophie. Il faut donc que les magistrats s’éclairent dans chaque cas, auprès des médecins, sur le degré de responsabilité de l’inculpé. Ceci n’est nullement ridicule et laisse au contraire chacun dans son rôle naturel.


Donc, c’est un fait scientifiquement acquis : il existe des criminels dont la responsabilité est médicalement atténuée. Ce sont des malades vis-à-vis desquels la société garde le droit de se préserver et de se défendre, mais qu’elle a en même temps le devoir de soigner.

Par conséquent, la société n’a pas le droit de se désintéresser de la question de la responsabilité atténuée. Comment peut-elle résoudre cette question en pratique ?

Ceci est hérissé de difficultés.

Pour les bien portans responsables et pour les fous irresponsables, la chose est très simple : aux premiers (criminels ordinaires) on applique la loi, on les emprisonne ou on les guillotine ; aux seconds, on applique l’article 64 du code pénal qui est ainsi conçu : « Il n’y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister. » On étend ce mot de démence à tous les cas de folie avec irresponsabilité et on envoie ces criminels à l’asile, d’aliénés où ils sont soignés.

Mais pour les criminels à responsabilité atténuée, la question est actuellement insoluble. Les magistrats admettent leur existence et il n’y a rien dans la loi qui leur soit applicable.

Le 12 décembre 1905, M. Chaumié, ministre de la Justice, a adressé aux procureurs généraux une circulaire où on lit : « A côté des aliénés proprement dits, on rencontre des dégénérés, des individus sujets à des impulsions morbides momentanées ou atteints d’anomalies mentales… Il importe que l’expert soit mis en demeure d’indiquer avec la plus grande netteté possible dans quelle mesure l’inculpé était, au moment de l’infraction, responsable de l’acte qui lui est imputé. Pour atteindre ce résultat, j’estime que la Commission rogatoire devra toujours contenir et poser d’office, en toute matière, les deux questions suivantes : 1° dire si l’inculpé était en état de démence au moment de l’acte, dans le sens de l’article 64 du code pénal ; 2° dire si l’examen psychiatrique et biologique ne révèle point chez lui des anomalies mentales ou psychiques de nature à atténuer, dans une certaine mesure, sa responsabilité. »

La question de la responsabilité atténuée nous est donc posée, en fait, dans toutes les expertises, devant les tribunaux criminels et devant les Conseils de guerre. Mais, quand nous avons répondu par l’affirmative à celle seconde question, l’embarras des magistrats est extrême pour tenir pratiquement compte de cette conclusion du rapport médico-légal. Comme je l’ai dit dès le début de ce travail, il n’y a aucun article du code pénal qui soit applicable aux demi-fous demi-responsables.

Alors, en présence d’un criminel dont la responsabilité a été déclarée atténuée, les magistrats, n’ayant aucun texte de loi à lui appliquer, adoptent l’une ou l’autre des solutions suivantes (s’ils veulent tenir compte des conclusions du rapport médico-légal qu’ils ont provoqué) : ou déclarer le criminel irresponsable et le faire placer dans un asile d’aliénés, ou lui appliquer l’article 463 sur les circonstances atténuantes.

Il est facile de montrer que ces solutions sont, l’une et l’autre, détestables.


D’abord la première solution est illégale

On ne peut en effet faire interner un criminel demi-fou qu’en lui appliquant l’article 64 et en le comprenant dans la catégorie des « démens » ou des « contraints. » Or, la Cour de Cassation a décidé que l’on ne peut pas appliquer l’article 64 à un criminel dont la responsabilité a été déclarée seulement atténuée.

Pour une dame S…, les médecins experts (Bernheim, Parisot et Aimé) avaient déclaré qu’elle appartenait à la catégorie des délinquans impulsifs qui ne sauraient être internés dans un asile d’aliénés, et ne devraient pas être davantage enfermés dans une prison, leur responsabilité étant atténuée. La Cour de Nancy crut pouvoir appliquer l’article 64 à cette inculpée, en étendant le sens du mot « contrainte. » Mais, par arrêt du 11 avril 1908, la Cour de Cassation a cassé l’arrêt de Nancy et déclaré que l’article 64 ne peut pas être appliqué aux demi-fous à responsabilité atténuée, dont l’arrêt d’ailleurs reconnaît et consacre l’existence, sans indiquer d’autre article qui leur soit applicable.

Si on passe outre à cette illégalité et si on applique l’article 64 au demi-fou criminel, on rend une ordonnance de non-lieu et on enferme l’inculpé dans un asile. Mais, comme les médecins n’ont le droit de garder dans les asiles que les aliénés, ils font bientôt sortir le demi-fou qui reprend la vie libre dans la société et y recommence la série de ses méfaits et de ses crimes.

Au mois de juin 1907, à Béziers, un individu est arrêté pour avoir donné des coups de couteau à deux personnes dans la rue : après expertise médicale, on rend une ordonnance de non-lieu et le criminel est interné à l’asile d’aliénés de Montpellier. Quinze jours après, il est déclaré guéri par le médecin en chef et remis en liberté. Au mois d’avril suivant, c’est à coups de revolver qu’il blesse gravement un individu. Que pouvions-nous conclure de pratique dans la nouvelle expertise dont nous avons été chargé, quand nous eûmes reconnu que c’était un demi-fou à responsabilité atténuée, sinon que sa crise aiguë de folie était guérie, mais que la demi-folie chronique ne l’était pas quand on l’avait fait sortir de l’asile et rendu à la liberté sociale ?

La question se pose ainsi, angoissante, pour les fous intermittens, qui restent demi-fous dans l’intervalle de leurs accès (tel a été probablement le cas de l’ogresse Jeanne Weber), pour les épileptiques, qui sont irresponsables dans l’attaque, mais restent seulement demi-responsables en dehors et dans l’intervalle de leurs attaques.

Un alcoolique, après quelques méfaits, est examiné par un médecin, qui ne peut pas le faire interner parce qu’il est seulement demi-fou. Peu de temps après, il donne des coups de couteau à une jeune fille. On l’interne. Actuellement, il est guéri de sa crise, et la famille de la victime est terrorisée à la pensée qu’il va être rendu à la liberté.

L’internement du demi-fou criminel est donc irréalisable, illégal, inefficace. C’est une solution qui ne protège ni le malade ni la société.


On a alors voulu considérer la responsabilité atténuée comme une circonstance atténuante et appliquer à ces criminels demi-fous l’article 463 du code pénal.

Ceci n’est pas illégal.

Il faut lire dans le beau livre de M. Saleilles l’histoire de la naissance et du développement progressif de l’idée d’individualisation de la peine.

Primitivement et longtemps, le droit pénal était, resté purement objectif : on ne tenait compte que du fait réalisé, on ignorait la personnalité de l’agent qui restait indifférente ; comme le père ignorant qui ne tient compte pour la punition de l’enfant que de la valeur de l’objet brisé, « on ne s’attachait qu’au résultat. »

L’apparition de l’article 64, due aux progrès de la neurobiologie à la fin du XVIIIe siècle (époque que synthétise et personnifie le nom de Pinel), marque en 1810 un progrès, en consacrant l’inégalité des accusés au point de vue pathologique ou médical.

C’est ensuite le principe des « peines variables à limites fixes, c’est-à-dire variables entre deux limites fixées par la loi ; » c’est « l’élasticité » des peines avec « un maximum et un minimum entre lesquels le juge peut se mouvoir. »

Enfin le mot de « circonstances atténuantes » est prononcé dans l’article 463. Le droit de les appliquer, donné aux seuls tribunaux en 1810, est étendu aux jurys, « en 1824, d’une façon partielle, puis en 1832 d’une façon générale. »

Et alors s’est développée la pensée que l’atténuation de la peine pouvait aussi bien être conditionnée par la santé psychique du criminel que par les circonstances du crime. On a admis, pour l’atténuation de la peine, les circonstances intérieures au sujet, endogènes (l’état de ses neurones psychiques, par exemple), aussi bien que les circonstances extérieures ou exogènes.

En France, on a pris l’habitude d’atténuer la peine dans les cas de responsabilité atténuée, sans que cela fût inscrit dans la loi ; et dans les pays qui ont inscrit la responsabilité atténuée dans leur code, c’est toujours à une atténuation de la peine, à une peine plus courte, que, dans ces cas, aboutit cette disposition de la loi.

Ainsi[2], le Code danois dit, dès 1847 : une peine amoindrie sera appliquée aux personnes n’ayant pas complètement conscience de leurs actes ; le Code suédois prévoit un adoucissement de la peine dans ces cas ; le Code italien de 1889 diminue la peine ; de même, le Code japonais, qui est le plus récent des codes en vigueur.

Cette seconde solution du problème légal de la responsabilité atténuée par les peines courtes ou raccourcies est aussi mauvais que celle de l’internement, soit pour la société qu’elle ne défend pas, soit pour le demi-fou qu’elle ne traite pas.

Il semble démontré, en effet, que le régime des courtes peines n’arrive qu’à « aggraver, sans profit pour la société, le cas du malheureux auquel il serait appliqué, au lieu d’améliorer ses conditions de vie et de conduite. » On attribue à l’abus des courtes peines le déplorable accroissement des récidives : on y voit « la plaie de notre système judiciaire. »

Au fond, c’est là le grand cheval de bataille des adversaires irréductibles de la responsabilité atténuée : la notion de responsabilité atténuée ne peut, dit-on, aboutir qu’à une atténuation de la peine ; ce résultat est déplorable ; donc, il faut abandonner cette notion dangereuse de la responsabilité atténuée. Ainsi raisonnent M. Michelon dans sa thèse, citée plus haut, et M. Maxwell, dans son récent livre Le Crime et la Société.

« La conséquence forcée de la notion psychiatrique de la responsabilité atténuée, dit ce dernier auteur (magistrat et docteur en médecine), aboutit à celle de l’atténuation de la punition ; cette conséquence est irréprochable au point de vue théorique ; elle est funeste dans la pratique ; » et alors, la « théorie de la responsabilité atténuée comme cause de l’atténuation de la peine » devient « une des plus graves erreurs de ‘a pratique contemporaine. »

On arrive ainsi à repousser complètement la doctrine de la responsabilité atténuée, qui n’a que des inconvéniens, qui est un fléau pour la société, qui est la cause de cette déplorable marche croissante de la criminalité, dont on ne peut contester la réalité et la gravité.

C’est en s’appuyant sur cet argument des déplorables conséquences sociales de la responsabilité atténuée que M. Gilbert Ballet a énergiquement combattu, à la Société générale des prisons et au Congrès de Genève de 1907, cette notion de la responsabilité atténuée, dont nous l’avons vu proclamer l’existence médicale et scientifique dans un passage cité plus haut.

Je n’ai naturellement pas l’intention de contester ce fait qui semble ressortir nettement de l’expérience judiciaire, que les peines raccourcies sont un déplorable système pour traiter le demi-fou et pour garantir la société contre les méfaits de ce demi-responsable. J’accepte cette conclusion comme j’ai accepté cette autre que l’internement du demi-fou par application de l’article 64 étendu constitue également une solution déplorable pour la société et pour le demi-fou.

Que conclure de cela ? uniquement ceci : que, dans l’état actuel de notre législation, la notion de responsabilité atténuée ne peut pas être appliquée d’une manière utile et efficace pour la société et pour le demi-fou. Mais il serait illogique et antiscientifique de condamner la notion même de responsabilité atténuée, pour le seul motif que la loi actuelle ne permet pas de l’appliquer utilement. Pour rester dans la logique, il faut conclure, non que la responsabilité atténuée n’existe pas, mais que la loi est mauvaise ou incomplète et doit être modifiée ou complétée.

Alors même, il faut bien le reconnaître, que la notion de responsabilité atténuée ne pourrait conduire qu’à l’une des deux solutions également fâcheuses dont j’ai parlé : court internement ou peine courte, cela ne suffirait pas à faire disparaître les devoirs de la société vis-à-vis de ces demi-fous. Nous devons assister nos malades, même quand cette assistance est préjudiciable à nos intérêts.


De tout ce qui précède on peut seulement conclure que : 1° il y a des criminels dont la responsabilité est atténuée ; 2° la société a le devoir de soigner ces demi-fous, en même temps qu’elle a le droit de se défendre contre leurs méfaits ; 3° l’internement dans un asile par application de l’article 64 ou l’atténuation de la peine par application de l’article 463 sont des solutions inacceptables, puisqu’il n’y a, dans ces solutions, ni garantie pour la société, ni traitement pour le malade.

Que faut-il donc organiser, quelle modification faut-il apporter au Code pénal pour que la société ne laisse pas ces malheureux hors la loi et puisse simultanément remplir ses devoirs à leur sujet et user de ses droits ?

1° Puisque le fait de la responsabilité atténuée est scientifiquement démontré, la loi doit le reconnaître.

La loi votée par la Chambre en janvier 1907 prévoit et ordonne (dans ses articles 36 et 37) un verdict de responsabilité ou d’irresponsabilité et règle le sort des criminels irresponsables.

Il faut organiser une campagne pour que le Sénat vote ces articles et ajoute à cette loi un article visant le verdict de responsabilité atténuée.

2o  Cela fait, et pour régler le sort de ces demi-fous, le jugement doit décider qu’ils seront punis et traités : punis comme les bien portans psychiquement puisqu’ils comprennent, eux aussi, le gendarme et la prison ; traités comme les malades de l’esprit, puisqu’ils ont besoin du médecin et de l’infirmier.

Il faut donc créer des asiles-prisons dans lesquels seront enfermés, traités et légalement retenus ces criminels demi-fous.

3o  La loi devra rendre obligatoire cet internement du demi-responsable dans un asile spécial, dès son premier méfait social, et permettre de l’y retenir en traitement, non jusqu’à l’expiration d’une peine, plus ou moins raccourcie, mais jusqu’à la guérison ; et jusqu’à la guérison, non de la crise aiguë, mais de la maladie psychique elle-même.

Il est urgent qu’on s’occupe en France de cette question des criminels à responsabilité atténuée. Car dans tous les autres pays, elle est déjà à l’ordre du jour.

En ouvrant le Congrès d’Amsterdam, M. van Raalte, ministre de la Justice de Hollande, disait (1907) : « En ce qui concerne le traitement par le législateur national des criminels adultes, les débats de ce Congrès seront d’une grande actualité. Je pense à la procédure à l’égard des personnes de responsabilité atténuée qu’un auteur français, dans un ouvrage récent, comprend sous le terme général de demi-fous demi-responsables, sujet qui récemment entre les jurisconsultes néerlandais a donné lieu à d’intéressantes discussions. Et ce n’est pas un secret que le ministre de la Justice s’occupe en ce moment des études préparatoires nécessaires pour que la législation, en se conformant aux idées modernes sur le traitement des aliénés dangereux, reconnaisse, dans l’intérêt de la société, que pour les malheureux la solution du problème doit être cherchée dans l’assistance plutôt que dans la peine. »

L’effort dans le même sens s’est concrété déjà dans certains pays, notamment en Allemagne et en Suisse.

Dans le projet de loi en étude en Allemagne, on prévoit la responsabilité atténuée et l’application, à ces criminels, d’une peine d’abord, d’un traitement ensuite. Le projet de loi suisse admet les mêmes principes, mais en renversant l’ordre d’application : l’exécution de la peine est suspendue jusqu’au moment de la guérison du demi-fou (le temps du traitement étant compté comme peine).

Voilà la double notion à introduire dans le code pénal français : 1° la notion légale de la responsabilité atténuée ; 2° la nécessité d’appliquer obligatoirement à ces demi-responsables une peine plus ou moins raccourcie et un traitement plus ou moins prolongé, dans un asile spécial, jusqu’à guérison de leur demi-folie.

Si on accepte cette solution, il n’est plus possible de faire à la notion de responsabilité atténuée les objections formulées tout à l’heure, qui font la base de l’opposition de MM. Michelon et Maxwell et de la plupart des orateurs de la Société générale des prisons : en traitant ainsi les criminels demi-fous par l’asile-prison, nous ne désarmons pas la société, nous n’énervons pas son action de défense et de protection. Au contraire, nous prévenons beaucoup de crimes, puisque, dès son premier méfait, nous enfermons le demi-responsable, le traitons obligatoirement et l’empêchons de commettre de nouveaux méfaits. Nous ne lui rendons la liberté que quand il est jugé guéri, c’est-à-dire responsable, et justiciable par suite, pour l’avenir, des lois ordinaires.

En même temps, avec cette solution, la société, non seulement exerce pleinement et efficacement son droit de défense, mais encore remplit complètement son devoir de traitement vis-à-vis de ces criminels malades.


Y a-t-il donc un traitement possible de ces malades ? C’est la dernière question à résoudre, et elle est grave entre toutes ; car, s’il n’y a pas de traitement des demi-fous, tout ce qui précède est presque inutile, ou tout au moins très peu utile et peu pratique.

En réalité, il y a un traitement possible de ces malades, ce qui justifie tous les développemens qui précèdent et aussi, d’avance, la campagne que je voudrais voir faire devant le Sénat : il y a un traitement utile, soit prophylactique, soit curatif, de beaucoup de cas de demi-folie : on peut rendre à la société un certain nombre de ces demi-responsables, devenus inoffensifs et pouvant même encore, dans certains cas, rendre service à leurs semblables.

Un exemple démontrera immédiatement l’exactitude de cette thèse : c’est l’exemple de l’alcoolique.

L’alcoolique est très souvent le type de ces demi-fous qui commettent un crime dans un accès d’inconscience ou de demi-conscience, sont internés, guérissent rapidement, sortent de l’asile et recommencent. Si, dans l’asile spécial, dont je demande la création, on leur applique un traitement psychique convenable, on peut les guérir, non plus seulement de leur accès de délirium, mais de leur dipsomanie, de leur manie de boire ; comme on guérit un morphinomane ou un éthéromane.

C’est ainsi que, commentant la loi suisse dont je parlais plus haut, M. Stoos écrit : « Je suis convaincu qu’il vaut mieux traiter les buveurs que les punir… C’est pourquoi le projet suisse réserve l’internement dans un asile pour les buveurs qui ont commis un délit, exigeant comme tels une peine d’une durée restreinte. »

On remarquera qu’en traitant ainsi un alcoolique, non seulement on traite sa demi-folie, mais on agit préventivement sur la demi-folie de ses enfans. Car l’hérédité alcoolique est une des causes certainement les plus puissantes de ces dégénérescences qui entraînent la responsabilité atténuée.

Donc, le traitement, que la société doit à ses demi-fous criminels, existe ; il est possible.

Ce n’est pas le lieu de développer les élémens médicaux de ce traitement, qui doit surtout être psychique. Je dois seulement indiquer, en terminant, le rôle considérable que l’éducation et la rééducation morales doivent y jouer pour qu’il soit vraiment efficace.

Le demi-fou est un débile égoïste, réduit pour étayer ses décisions aux impressions corporelles du moment ; il n’a, par lui-même, ni l’intelligence, ni la sensibilité, ni la volonté suffisantes pour connaître spontanément ses devoirs envers ses semblables, pour comprendre, sans qu’on le lui apprenne, que la liberté des autres doit souvent limiter la sienne ; il ne sait pas les lois de la vie en société, il ignore la plupart des lois morales qui sont indispensables au développement et à la vie d’une société.

Mais cette débilité, qui le livre sans défense aux suggestions de ses sensations et de ses passions, le livre aussi sans résistance aux conseils et aux leçons de ceux qui l’entourent. Si ces conseils sont mauvais, sa maladie s’aggravera rapidement, deviendra incurable et il n’y aura plus rien à espérer. Si ces leçons sont bonnes, bien adaptées à son état d’esprit, au degré de son intelligence et à la force de ses facultés, il pourra, au moins dans beaucoup de cas, montrer que, s’il est insocial, il n’est pas irréductiblement antisocial ni définitivement insociable ; s’il est inéduqué, il n’est pas inéducable ; s’il est amoral, il n’est pas nécessairement immoral et peut encore être moralisé.

Mais, pour obtenir ce résultat, il ne faut pas seulement entourer le demi-fou ou le candidat à la demi-folie d’une atmosphère de très haute moralité ; il ne suffit pas de lui enseigner la morale élevée sans obligation ni sanction qui suffit à faire vivre honnêtement les hommes à l’esprit élevé et fort pénétrés de l’importance et de la valeur de l’idée du bien en soi.

A nos pauvres malades débiles du psychisme, il faut enseigner des règles et des lois de morale extrêmement précises. Il faut surtout leur en montrer et leur en faire comprendre le caractère hautement obligatoire, en dehors de toute sanction judiciaire. Il faut leur donner l’idée de devoir.

Il ne suffit pas de leur enseigner ce qui leur est utile, ce qu’ils doivent faire dans leur propre intérêt bien compris, dans l’intérêt de leur famille ou de leur pays ou même dans l’intérêt de l’espèce. Ces considérations, comme les règles d’une saine hygiène, ne seront pas suffisantes pour entraîner et déterminer les actes d’un demi-fou.

À ce débile, que la passion sollicite avec fureur, qu’importe l’intérêt de la patrie ou de l’humanité ? Pourquoi aurait-il le respect du drapeau ou de la vie humaine ? Il désertera ou assassinera, plutôt que de se priver d’une jouissance immédiate s’il se croit assuré d’échapper à la répression.

À ces malheureux il faut enseigner des lois morales qui apportent avec elles les idées d’obligation et de sanction, autres que l’obligation par le gendarme et la sanction par la prison (alors même que celle-ci serait agrémentée de peines corporelles).

À ces malades, si on veut les guérir, il faut donner une haute idée de la dignité humaine, du respect qui est dû à la vie humaine chez eux et chez tous les hommes et à la propriété et aux biens de chacun ; il faut leur montrer qu’ils doivent protéger leur famille et défendre leur patrie ; qu’ils doivent d’abord ne jamais faire à autrui ce qu’ils ne voudraient pas qu’on leur fit à eux-mêmes ; que cela ne suffit pas ; qu’ils doivent faire à leur prochain ce qu’ils voudraient que le prochain leur fît ; qu’ils doivent aimer les autres hommes, les secourir, les aider, se dévouer et se sacrifier pour eux…

D’un mot, il faut, de ces malades égoïstes, faire des altruistes bien portans.

J’ai dépassé les limites fixées à cet article et suis sorti de ma compétence par ces derniers développemens qui appartiennent plus au moraliste et à l’instituteur qu’au médecin. Mais le corps et l’esprit sont si inextricablement liés que l’enseignement ou l’éducation et la médecine collaborent intimement au point de souvent se confondre dans la formation d’une société bien organisée.

Une saine et sage médecine est indispensable au plein développement de l’âme humaine et un enseignement moral élevé est la condition d’une bonne et solide santé, comme nous la souhaitons à tous les enfans de France !


Dr GRASSET.

  1. Voyez la Revue du 15 février 1906.
  2. Tous nos renseignemens sur les législations étrangères sont empruntés au rapport du docteur Mathé.