D. Morgand & C. Fatout (p. 135-176).
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Dentelle du dix-septième siècle.
Dentelle du dix-septième siècle.
Dentelle du dix-septième siècle.


IX


Les reliures royales qui datent des premières années du règne de Louis XIII ne diffèrent pas de celles de Henri IV ; elles sont généralement aux armes avec un semis de fleurs de lis en fond, ou des semis composés, pour le Roi, de L couronné alternant avec la fleur de lis ; pour la Reine, du double A renversé couronné et de la fleur de lis. Souvent les plats ont un cadre de branchages et de palmettes, comme au règne précédent. Bientôt des artisans intelligents vont emprunter successivement à l’industrie de la dentelle, si florissante à cette époque, un grand nombre de dessins et, les appropriant à la reliure, en transformer la décoration. Quelques années encore, et de leurs rangs va surgir un ouvrier artiste qui, par sa valeur et l’extrême fertilité de son talent, peut être comparé aux maîtres du seizième siècle.

Les premières reliures à filets, soit droits, soit droits et courbes, si employées par la suite, appartiennent à cette période. Les doreurs du dernier des Ève, famille dont trois membres furent tour à tour relieurs, cherchèrent à utiliser ces nouveaux motifs d’ornementation ; ils produisirent les premiers ces dorures à filets droits et courbes dont nous venons de parler, les ornèrent de milieux qui furent le point de départ des reliures rayonnantes de le Gascon. Ils se servirent même d’un petit nombre des nouveaux fers dans leurs plus riches volumes, en conservant les entrelacs des Fanfares. Quelques-uns de ces spécimens sont d’une exécution excellente. Les poëtes Horace, Perse, Juvénal (1612, 1614, 1616), réunis en un seul volume au monogramme de de Thou, J. A. G., Jacques, Auguste, Gasparde, ont été revêtus d’une reliure de ce genre, qui est un petit chef-d’œuvre. (Bibliothèque nationale.)

Malgré tout l’intérêt qu’ils présentent, ces essais pouvaient, tellement ils sont timides, demeurer sans résultat, si dans la seconde partie du règne de Louis XIII ne venait se révéler le dernier des grands doreurs anciens, le Gascon ! Quand un artiste de cette valeur apparaît, il résume en un instant les efforts précédemment tentés, et l’on pourrait croire, en voyant son œuvre à deux siècles et demi de distance, qu’elle est sortie tout entière de sa seule imagination. Après avoir révolutionné son art et brillé du plus vif éclat, il a laissé une voie nouvelle et une immense moisson à recueillir.

Ce qui fit la véritable force de le Gascon, c’est qu’il ne fut pas seulement un novateur heureux, mais qu’il était, par son éducation première, un artiste de science et de tradition. Ayant vu dans sa jeunesse toutes les reliures de la bibliothèque de de Thou, étant peut-être même l’élève des relieurs qui les exécutaient (il nous semble, en effet, difficile que l’on puisse avoir des qualités aussi semblables, des procédés aussi identiques sans avoir vécu côte à côte), le Gascon ne dégagea que progressivement sa personnalité.

Dix-septième siècle. Fers de l’époque de Louis XIII.
Dix-septième siècle. Fers de l’époque de Louis XIII.

Homme de tradition, il se servira pendant toute la durée de sa carrière du canevas si mobile que lui fournissaient les entrelacs géométriques des Fanfares, et les emploiera toujours quand il aura à faire une dorure hors ligne. Novateur prudent, il n’usera d’abord que d’un petit nombre de fers pointillés, les mélangeant avec les petits branchages de Henri IV et les fers qui restèrent connus sous le nom de fers du dix-septième siècle. Voyez quel parti il tirera des premières reliures qu’on exécute pour Louis XIII et Anne d’Autriche ; on y trouve réunis sur un même plat les petits branchages, les fers du dix-septième siècle, que l’on vient d’emprunter aux dessinateurs de broderies, et seulement un fer pointillé dans les angles. Pour la formation des milieux, ce sont ces fers que l’on rencontre le plus souvent. Copiés directement sur les dessins de broderies, comme les pointillés auxquels ils survécurent, ils fixèrent le style d’ornementation du dix-septième siècle en reliure ; car les motifs que l’on considère comme les plus purs de cette époque, fleurons de dos, fers d’angle aux doubles filets des plats, ne sont en quelque sorte que des variantes sur ces données premières.

La reliure qui enveloppe le Jean Talpin de la bibliothèque de M. le baron James de Rothschild est un exemple très-complet de cette première manière. L’exécution de cette dorure laisse évidemment à désirer ; mais si nous avons choisi de préférence ce volume, c’est qu’il montre bien, par les différents fers employés, cette période de transition et de recherches, imparfaite ébauche d’un genre qui allait changer la décoration des livres. (Pl. IX.)

Le succès obtenu par les reliures royales l’enhardit, et il crée alors ces dorures à filets droits et courbes, aux coins pointillés, avec des milieux simples, trèfles ou étoiles, d’où s’élancent des gerbes de fers pointillés. Mais pour se donner un frein et rentrer dans ce qui était pour lui le classique, il exécute, à la même époque, ces volumes à l’aspect magistral où les entrelacs sont accompagnés seulement de quelques fers dix-septième siècle ; dans certains même, comme le Roman de la Rose, in-folio aux armes de Séguier (Bibliothèque nationale), il emploie encore, non-seulement les petits branchages, mais des fleurettes de Fanfares. Peu de temps après, il remplaça tous ces fers par des motifs de pointillés dans les compartiments et dans les fonds, sans toutefois les remplir. Nous en avons sous les yeux un exemple dans un in-quarto, les Charactères des Passions, Paris, 1640. Ce volume faisait partie de la collection Didot[1].

Arrivé à l’âge mûr, en pleine possession de son talent, il donne alors toute sa mesure ; les compartiments et les fonds sont entièrement couverts de pointillé ; les entrelacs apparaissent rouges, se détachant avec une étonnante vigueur sur ce fond d’étincelles : l’effet est merveilleux !

C’est à cette troisième manière qu’appartiennent l’Officium

Beatæ Mariæ Virginis, de la Bibliothèque Mazarine ;
PLANCHE IX.


Jean Talpin, Institvtion D’vn Prince Chrestien.


Reliure aux chiffres de Louis XIII et d’Anne d’Autriche.


Collection de M. le baron James de Rothschild.


PLANCHE X.


Joannis Cassiani Eremttæ.


Reliure faite pour le chevalier Digby.


Bibliothèque Mazarine.




PLANCHE XI.


La Chambre (de) : Traité De la connaissance des animaux.


Reliure aux armes de Condé.


Bibliothèque nationale.



PLANCHE XII.


Hortuis (J. M.) : Paradisus animæ christianæ


Cologne, 1644.


Reliure au chiffre des frères du Puy, un double delta.


Bibliothèque nationale.





PLANCHE XIII.


La Vie du cardinal de Bérulle, par Germain Habert,


abbé de Cérisy.


Paris 1646.


Reliure aux armes et au chiffre de Séguier.


Collection de M. le baron James de Rothschild.
Dix-septième siècle. Fers de le Gascon.
Dix-septième siècle. Fers de le Gascon.


le Missel latin à l’usage de Meaux, aux armes de Séguier, qui était évêque de cette ville (Bibliothèque nationale) ; malheureusement ces volumes ont été fatigués et restaurés. Le magnifique exemplaire de la Vie du cardinal de Bérulle, un des joyaux de la collection du baron James de Rothschild, est ainsi décoré et, chose rare, est resté vierge de toutes réparations profanes. Ce volume est rouge ; il porte les armes et les chiffres de Séguier. L’intérieur est doublé de maroquin vert, orné d’une décoration rayonnante, mais exécutée avec des fers du dix-septième siècle. (Pl. XIII.)

Son œuvre tout entière repose sur ces trois manières de faire, et les bibliothèques de Mazarin, de Gaston d’Orléans, de Fouquet, de Condé (pl. XI), des Séguier, de Montausier, des du Puy (pl. XII), etc., en offrent de nombreux exemples.

Les renseignements biographiques précis manquent absolument sur le Gascon ; hormis son nom, qui n’est peut-être qu’un surnom, tout est inconnu ou vague. Voici le moyen très-simple qui nous a permis d’être aussi affirmatifs à son égard, et d’en parler comme si son existence nous avait été bien connue. La tradition, de même que la vraisemblance, lui reconnaissent la paternité de certaines dorures faites sous Louis XIII et pendant les premières années du règne de Louis XIV, où son talent se montre dans toute sa splendeur ; Gaston d’Orléans l’avait, dit-on, logé dans son palais ; en effet, on ne trouve pas de traces de lui dans le groupe des maîtres relieurs de cette époque dont les noms sont venus jusqu’à nous. Nous avons donc procédé comme pour le grand doreur inconnu de la Renaissance. Lorsque nous avons eu groupé quelques-unes de ces œuvres capitales, que nous avons eu reconnu le même procédé, la même main, nous avons pu alors suivre et reconstituer l’œuvre presque entière et porter un jugement sur elle. Que nous importait de savoir qu’il avait épousé la fille de X… et avait eu d’elle tant d’enfants ou point ? (Le moindre petit pointillé faisait bien mieux notre affaire.) Nous n’avons pas attaché d’importance à l’absence ou à la présence, sur les plats, de la tête que l’on croit avoir été son portrait (?). Ce fer aurait pu être copié comme les autres. Nous la considérons comme une figure décorative, vu sa répétition fréquente, et non comme une marque. La bouche, le sommet de la tête, lui servaient souvent de point de départ pour des motifs de pointillés. On ne la retrouve pas sur les plats de l’Adonis, du La Fontaine manuscrit, exécuté par Jarry en 1658 pour le surintendant Fouquet. (Pl. XIV ; collection de M. Eug. Dutuit.)

Pour satisfaire à tous ces amateurs passionnés de belles reliures, sa longue existence n’aurait pas suffi, il eut certainement des élèves qui travaillèrent sous ses ordres : c’est par eux que furent faits les quatre volumes de théologie de saint Thomas d’Aquin, qui sont à la Bibliothèque Mazarine. Ce sont bien là les fers et les dessins du maître, mais non pas sa main ; tandis que le Joannis Cassiani Eremitæ, qui repose dans la même vitrine, a été doré par lui pour le chevalier Digby, ce réfugié anglais, fanatique de son talent, dont les livres sont heureusement demeurés

en France. Nous en donnons la reproduction (pl. X).
PLANCHE XIV.


Adonis, poëme par La Fontaine.


Paris 1646.


Manuscrit de Jarry, exécuté en 1658 pour le surintendant


Fouquet.


Collection de M. Eugène Dutuit.


La plupart des dorures de le Gascon sont exécutées sur des maroquins rouges, d’un rouge spécial qui n’avait jusqu’alors été employé qu’à faire des chaussures, particularité qui a servi à accréditer l’opinion qu’il avait été doreur de bottes et d’écrins avant de s’occuper de reliure ; cela est possible, mais d’un médiocre intérêt. Le ton du rouge est, disons-nous, particulier, et les bottes de nos cheiks arabes, que nous avons pu voir à l’Exposition de 1878, sont encore de cette couleur ; mais des essais de reliures faites avec des maroquins du Maroc, rapportés il y a une dizaine d’années par un amateur, ont montré que si la teinture avait les mêmes qualités, il n’en était pas ainsi des peaux, qui étaient creuses et d’un fort mauvais usage.

Le Gascon eut un grand nombre d’imitateurs ; ses rivaux s’empressèrent de faire graver ses fers ; mais il ne suffit pas de posséder les outils d’un maître pour faire comme lui des chefs-d’œuvre : les mains inhabiles qui les manièrent et l’abus qu’en firent les doreurs de son temps amenèrent plus tard une réaction en faveur des fers du dix-septième siècle avec les relieurs de la seconde moitié du règne de Louis XIV.

Ces fers, procédant des mêmes principes, sont empruntés aux mêmes sources que les siens ; ils en sont seulement une expression différente. Une courbe dans un fer pointillé est rendue par une succession de perles ou points ; dans les fers du dix-septième siècle, par un trait. Leur complète analogie de forme permit de les mélanger quelquefois avec succès, et il ne faut pas rejeter comme des œuvres de décadence les livres où ils se trouvent réunis, à la condition que l’emploi en ait été rationnel, que les plus lourds, ceux qui montrent le plus d’or, servent de point de départ et de support aux autres. Ces mélanges furent tellement employés qu’il n’est pas rare de les trouver dans la gravure même du fer, qui est traitée alternativement en pointillé et au trait.

Fers du dix-septième siècle. Les mêmes mélangés de pointillés.
Fers du dix-septième siècle. Les mêmes mélangés de pointillés.
Fers du dix-septième siècle.       Les mêmes mélangés de pointillés.</ref>.


Quelques relieurs de ce temps nous ont aussi laissé de beaux spécimens ; mais, en général, ils abusèrent trop des roulettes, dont le Gascon n’usa, lui, qu’avec une réserve extrême. Sentant bien qu’ils n’étaient pas de taille à lutter avec le maître, ils essayaient de rendre par ce procédé rapide et facile leurs dorures aussi riches que les siennes. Les collections que nous avons déjà citées, de Mazarin, de Colbert, de Condé, celles de madame de Longueville et de Louis XIV, contiennent beaucoup de reliures dont les plats portent deux ou trois cadres de roulettes.


Roulette du dix-septième siècle.
Roulette du dix-septième siècle.
Roulette du dix-septième siècle.
Roulette du dix-septième siècle sur un volume de la reine Anne d’Autriche.
Roulette du dix-septième siècle sur un volume de la reine Anne d’Autriche.
Roulette du dix-septième siècle sur un volume de la reine Anne d’Autriche.

Si quelques-unes de ces reliures sont encore d’un bel effet, à quel pitoyable résultat arrivèrent ceux qui voulurent le copier servilement !

Roulette du dix-septième siècle sur un volume du cardinal Mazarin.
Roulette du dix-septième siècle sur un volume du cardinal Mazarin.
Roulette du dix-septième siècle sur un volume du cardinal Mazarin.
Roulette du dix-septième siècle sur un volume de la duchesse de Longueville.
Roulette du dix-septième siècle sur un volume de la duchesse de Longueville.
Roulette du dix-septième siècle sur un volume de la duchesse de Longueville[2].


On peut s’en faire une idée en allant à la Bibliothèque nationale voir l’Imitation de Jésus- Christ de l’Imprimerie royale ; Paris, 1640; in-folio. Certes nous voici en présence d’un imitateur. La reliure, d’une grande complication, est en maroquin rouge avec incrustations de mosaïques jaunes et vertes, comme celles de le Gascon. L’intérieur est doublé de maroquin citron, avec des dispositions qui essayent de ressembler à celles du maître. Mais dans l’exécution, quelle différence ! La dorure, pâteuse, lourde, est d’une irrégularité qui dépasse toutes les bornes permises, même pour cette époque. Aussi prétentieux qu’inhabile, l’auteur a signé ce volume « Florimond Badier, inv. et fecit », et cela en lettres énormes. Fecit, malheureusement ; invenit, jamais !

Ce n’est donc pas par le dessin des fers, leur gravure (le Gascon augmenta successivement sa collection), que l’on peut décider que tel ou tel volume est sorti de ses mains habiles, mais par l’examen de la manière dont les filets des entrelacs ont été poussés.

Les entrelacs des le Gascon présentent, comme ceux des grandes dorures de la Renaissance, de sérieuses difficultés d’exécution. Nous voyons avec regret, chez des relieurs renommés qui devraient tenir à honneur de conserver les traditions des grands artistes qui ont honoré notre profession, s’accentuer chaque jour cette tendance à se servir de motifs tout gravés pour faire ces entrelacs. De là à employer des plaques, il n’y a qu’un pas. Ces doreurs donnent pour excuse qu’ils les reprennent ensuite à petits fers ; qu’importe ! non-seulement, en supprimant la difficulté, ils auront supprimé l’art ; mais en produisant sans efforts, ils resteront médiocres et amèneront fatalement la décadence. Si ces considérations élevées ne les touchent pas, ne voient-ils pas qu’ils abusent de la confiance des amateurs, à qui ils laissent vanter et payer comme une œuvre artistique une production mécanique ? Que dirait-on du marchand qui vendrait pour une miniature une photographie coloriée avec art, sous le prétexte que le client ne peut juger de la différence ?

Il faut laisser ces procédés à la reliure courante, qui, par la modicité de ses prix et le nombre des exemplaires qu’elle tire d’un même dessin, ne trompe personne. Les entrelacs doivent être exécutés à filets, les fers ne doivent servir que pour les remplissages.

Le Gascon fit pour Habert de Montmort[3] toute une série de ravissants petits in-douze ; ils ont presque tous des filets droits et courbes, et le milieu que nous donnons ci-dessous. Les fleurons des angles varient ; ils appartiennent à trois types bien distincts : les petits vases, les fers du dix-septième siècle et les pointillés. Comme reliure, ces petits volumes sont, en général, supérieurs aux livres de grand format dorés par maître le Gascon.



Tout le monde fit à cette époque des « le Gascon ». Comme lui, on doubla les livres de maroquin, usage qu’il aida plus que tout autre à répandre, sa fertile imagination ne trouvant jamais de champs trop vastes pour en déployer toutes les richesses ; mais aucun de ses contemporains ne parvint à l’égaler.

On peut dire que depuis la mort de ce grand artiste jusqu’à nos jours, on ne fit plus de reliures aussi importantes. Quelques années encore, et la personnalité orgueilleuse de Louis XIV aura tout absorbé ; il faudra à sa vanité les emblèmes de la royauté sous toutes les formes, ses fleurs de lis, son chiffre, sa couronne, son soleil ! Tout cela est en apparence très-riche, mais ne laisse pas beaucoup de place à la variété et à l’imagination.

Les grands suivirent avec ardeur le mauvais exemple du maître, et leurs armes prirent sur les plats une importance ridicule.

Le véritable bon goût se réfugia chez les amateurs, et les reliures que l’on attribue à tort à l’abbé de Seuil sont, quoique très-simples d’ornementation, d’excellents modèles à suivre. L’exagération du rôle joué dans la reliure par l’abbé de Seuil est une des plus jolies fantaisies écloses dans la poétique imagination de Ch. Nodier ; ces reliures dites à la de Seuil, le nom leur est resté, elles avaient été faites mille fois pour les volumes simples des bibliothèques de Mazarin, de Colbert, de Kinelm Digby, etc. ! Il est possible qu’un abbé de Seuil ait à ses moments perdus relié des livres ; mais le relieur de ce nom fut Augustin du Seuil ou Duseuil[4], qui appartient au dix-huitième siècle. Il épousa une fille de Philippe Padeloup[5] ; il ne peut donc pas être l’auteur de cette décoration, qui consiste en un double trois-filets sur les plats et un fleuron aux angles. Ajoutons que ce fleuron est toujours du dix-septième siècle. Ce fut également

sous le règne de Louis XIV que s’exécutèrent ces
Exemple de Dentelle.
Dix-septième siècle.
dentelles si élégantes, mais dont on a fait un tel abus,

qu’elles ne semblent plus intéressantes. Formées de fers du dix-septième siècle tirés des dessins de broderies, avec les modifications qu’en nécessitait l’application à la reliure, ces fers ont depuis fourni à la décoration des livres une mine inépuisable. La plus grande partie des outils des doreurs modernes ne sont que des copies ou des arrangements de ceux de cette époque.


Motifs de l’ornement d’un dos au dix-septième siècle.


La réforme des mœurs que les jansénistes venaient de tenter eut en Reliure son expression, et ils ont laissé leur nom à un genre de reliure particulier qui se reconnaît à l’absence de toute décoration. Les protestants du seizième siècle n’avaient pas été si sévères, et beaucoup d’entre eux avaient eu des livres très-richement ornés ; il est vrai que s’il était difficile de résister au désir de posséder quelques-uns des chefs-d’œuvre des reliures du seizième siècle, il y avait, à notre avis, peu de mérite pour des gens de goût à ne pas vouloir copier sur leurs livres les reliures du Roi. Il eût été cependant facile de trouver dans les portefeuilles des maîtres du temps, dans l’œuvre de Berain surtout, une foule de motifs applicables à la décoration du livre. Mais où sont les doreurs de la Renaissance ? On arriva à les encadrer de roulettes de plusieurs pouces de largeur, lourdes de dessin et d’exécution, et l’on tira au milieu les grandes armes dans une énorme couronne de chêne.

Ce sont des copies de ces lourdes couronnes de chêne, de laurier ou de fleurs dont Lebrun abuse dans les galeries de Versailles pour entourer l’image du soleil, le chiffre couronné et la devise « Nec Pluribus Impar » ; aux angles, nous revoyons le double L, à la fois énorme et maniéré, s’appuyant sur des palmes monstrueuses empruntées, comme le chiffre, aux dessins de ce peintre dont la personnalité hautaine et jalouse absorba toute une pléiade de décorateurs qui, livrés à eux-mêmes, avaient plus de mesure, étant moins bons courtisans, et plus de goût, parce qu’ils avaient moins de prétentions. Ces reliures visaient à la richesse, à la pompe ; mais ces masses d’or, en attirant le regard, ne faisaient que montrer davantage le vide, la nullité de la composition. Aussi la réaction fut-elle violente, et pendant les dernières années du dix-septième siècle on ne fit plus de riches dorures. Ne pouvant plus faire d’art, on allait faire des choses simples, et, à défaut de belles reliures, des livres bien reliés. Ce que l’on doit admirer dans les volumes de la fin du dix-septième siècle, surtout dans ceux de Boyet, c’est l’extrême solidité du corps d’ouvrage.

Il fallait remplacer l’ornementation absente par des qualités plus grandes de soin dans l’exécution de la reliure proprement dite ; aussi les efforts se portèrent vers ce but, et les progrès furent considérables. Les plus riches volumes de cette époque sont doublés de maroquin avec des roulettes basses, et les livres sortis, dit-on, de l’atelier du premier des Boyet, qui appartient au dix-septième et au dix-huitième siècle, sont souvent faits de cette manière et bien exécutés. Fléchier, grand amateur de belles reliures, l’avait choisi pour son relieur. On lui attribue aussi, avec de bonnes raisons, une grande partie des reliures de la bibliothèque de Colbert ; c’est bien là son corps d’ouvrage, son maroquin ; et les ornements des compartiments de dos, dont on a remplacé cette fois les fleurons par la couleuvre (coluber) qui figure dans les armes du célèbre ministre, nous paraissent être ses fers.

Les coins et fleurons, les roulettes de ces excellents ouvriers appartiennent au style du dix-septième siècle. Voyant leurs travaux toujours appréciés des amateurs, ils restèrent en dehors des changements qui se produisirent dans l’ornementation extérieure des livres dès les premières années du règne de Louis XV, comme nous le montrerons bientôt, et c’est pour cette raison que l’on trouve encore beaucoup de reliures, datant de la Régence, qui sont absolument construites et décorées comme celles du siècle de Louis XIV. Le second des Boyet[6] avait encore, en 1733, le titre de relieur du Roi. Malgré la sobriété de leur ornementation, ils étaient évidemment les continuateurs de l’œuvre de le Gascon ; il fallut à la nouvelle école des protecteurs illustres pour assurer son triomphe définitif, et l’ancienne avait des racines tellement profondes que l’on peut dire qu’elle ne fut pas vaincue, mais absorbée petit à petit quand la mort eut enlevé ses plus illustres représentants. Malheureusement, si la reliure est très-bonne, la dorure est déjà très-imparfaite, et les novateurs qui allaient se trouver aux prises avec des difficultés plus grandes dans l’exécution de leurs motifs d’ornementation ne leur étaient pas supérieurs ; aussi, malgré les très-réelles qualités de décorateurs que nous trouverons quelquefois chez les Derome et les Dubuisson, la reliure du dix-septième siècle, envisagée dans son ensemble, reste supérieure à celle du dix-huitième.


Chiffre de Louis XIV.
Chiffre de Louis XIV.
Chiffre de Louis XIV.
  1. Il a été acquis par MM. Morgand et Fatout.
  2. On appelle ces outils roulettes, parce qu’ils sont gravés sur des cercles, sortes de petits rouleaux qui en tournant impriment les motifs dont ils sont ciselés. C’est à tort qu’on les désigne souvent aujourd’hui sous le nom de dentelles ; cette dénomination ne devrait s’appliquer qu’aux dessins à répétition qui sont terminés en pointe, ce qui est l’exception dans les roulettes. La largeur de la roulette est limitée à la force de l’ouvrier appelé à en faire usage, tandis que celle de la dentelle à petits fers est en réalité sans limite. On nommait molettes des roulettes de très-petit diamètre : les unes servaient à faire des lignes de points ou perles ; les autres reproduisaient un petit motif par répétition ou alternance, fleur de lis, trèfle, dent de rat, etc.
  3. Conseiller au Parlement de Paris, membre de l’Académie française, mort en 1679.
  4. Voir aux Notes.
  5. Voir aux Notes.
  6. Voir aux Notes.