La Religion (Louis Racine)/Chant V

Chant IV Table Chant VI


La Religion (Louis Racine)
Traduction par Louis Racine.
Œuvres de Louis RacineLe Normant, Imprimeur-LibraireTome 1 (p. 197-212).

CHANT CINQUIÈME.

 
Le verbe égal à Dieu, splendeur de sa lumière,
Avant que les mortels sortis de la poussière,
Aux rayons du soleil eussent ouvert les yeux :
Avant la terre, avant la naissance des cieux,
Eternelle puissance, et sagesse suprême,
Le verbe était en Dieu, fils de Dieu, Dieu lui-même.
Fils de Dieu, cependant fils de l’homme à la fois,
Peut-il toujours égal… je m’arrête, et je crois.
Faible et fière raison, dépouille ton audace.
Le vent souffle : qui peut en découvrir la trace ?
Etonnés de son bruit, nous sentons son pouvoir :
Notre oreille l’entend, notre œil ne le peut voir.
Quelque trouble ici bas que mon âme ressente,
La foi, fille du ciel, devant moi se présente.
Sur une ancre appuyée, elle a le front voilé ;
Et m’éclairant du feu dont son cœur est brûlé,
Viens, dit-elle, sur moi. L’éclat que je fais luire,
Quand tu baisses les yeux, suffit pour te conduire.
Est-ce le temps de voir, que le temps de la nuit ?
En attendant le jour, docile à qui t’instruit,
Tu dois à chaque pas, plus adorer qu’entendre,
Plus croire que savoir, et plus aimer qu’apprendre
Faut-il, dit le déiste, enchaîner sa raison ?
N’est-elle pas du ciel le plus précieux don ?
Et pouvons-nous penser qu’en nous l’Etre suprême
Veuille étouffer un feu, qu’il alluma lui-même ?

Il l’alluma sans doute, et cet heureux présent
Par son premier éclat guidait l’homme innocent.
Aujourd’hui presque éteinte, une flamme si belle
Ne prête qu’un jour sombre à l’âme criminelle :
Mais la foi le ranime avec un feu plus pur.
Et d’indignes mortels l’osent trouver obscur,
Quand par bonté pour eux un Dieu se manifeste !
Il leur en dit assez : qu’ils ignorent le reste.
Jusqu’au temps prescrit le grand livre est scellé.
A notre orgueil hélas ! Que n’a-t-il pas voilé ?
Pourrons-nous pénétrer ses mystères sublimes,
Quand ses moindres secrets sont pour nous des abîmes ?
La nature à nos yeux sans cesse vient s’offrir :
Le livre à tout moment semble prêt à s’ouvrir.
Que de siècles perdus sans que rien nous attire
A rechercher du moins ce que l’homme y peut lire ?
Et lorsque nos besoins, le temps et le hasard
Nous contraignent enfin d’y jeter un regard,
Instruits de quelques faits, en savons nous les causes ?
Etonné du spectacle, en vain tu te proposes,
Philosophe hardi, d’en suivre le dessein.
En vain tu veux chercher la nature en son sein :
Là tu trouves écrit, arrête, téméraire,
Nul de vous n’entrera jusqu’en mon sanctuaire.
Oui, même en ces objets si présents à nos yeux
Tout devient invisible à l’œil trop curieux ;
Et celui qui captive une mer furieuse,
Borne aussi des humains la vue ambitieuse.
Pour sonder la nature ils font de vains efforts,
Ils en verront les jeux, et jamais les ressorts.

Partout elle nous crie, adorez votre maître :
Contemplez, admirez, jouissez sans connaître.
D’une attentive étude embrassant le parti,
Du sein de l’ignorance un mortel est parti.
A-t-il tout parcouru ? Pour fruit de tant de peine,
A l’ignorance encor son savoir le ramène.
Tu rougis, fier mortel : prête à me démentir,
Ta vanité murmure : il faut l’anéantir.
De tes fameux progrès cherchons quelle est la gloire :
Faisons de ton esprit l’humiliante histoire.
L’intérêt nous donna nos premières leçons :
L’amour de nos troupeaux, le soin de nos moissons
Nous firent d’un temps cher devenir économes,
Et la nécessité nous rendit astronomes.
Pouvions-nous mieux régler nos travaux et nos jours,
Que sur ces corps brillants, si réglés dans leur cours ?
Le peuple qui du Nil cultivait le rivage,
Les observa longtemps sous un ciel sans nuage.
Pour mieux les contempler, sous différents cantons
Il les partage entre eux, et leur cherche des noms.
Cassini, Galilée, excusez vos ancêtres :
Leurs yeux accoutumés à des objets champêtres,
Ne virent dans le ciel que chiens, béliers, taureaux ;
Vous y saurez un jour porter des noms plus beaux.
Saturne et Jupiter vanteront leur cortège.
Mais de l’antiquité quel est le privilège ?
Ces premiers noms donnés par de vils laboureurs
Imprimeront en nous d’éternelles erreurs.
Ô ! trop heureux l’enfant qui naît sous la balance !
De son cruel voisin détestons la puissance.

Horace frémira, s’il sait que le hasard
En naissant l’a frappé de ce triste regard.
Sur la voûte des cieux notre histoire est écrite.
Dans ce livre fatal plus d’un Cardan médite :
Achetons leur faveur. Richelieu, Mazarin,
Vous-mêmes prodiguez vos bienfaits à Morin :
Ses yeux lisent un chiffre impénétrable aux vôtres ;
Qu’il vous fasse trembler, faites trembler les autres.
D’une éternelle nuit le peuple menacé
Rappelle par ses cris le soleil éclipsé.
Mais quel corps menaçant vient troubler la nature
Par son étincelante et longue chevelure ?
Qu’un si grand appareil annonce de fureur !
Vil peuple, il ne doit point te causer de terreur :
D’un important courroux ces députés sinistres,
Si ce n’est pour des rois, partent pour des ministres.
Le ciel a du loisir, ou nous fait trop d’honneur :
le seul cri d’un hibou peut nous flétrir le cœur.
De tes astres, ô ciel, n’éteins pas la lumière,
Verrons-nous sans pâlir tomber notre salière ?
Rassurez-nous, devins, charmes, enchantements,
Amulettes, anneaux, baguettes, talismans,
Et tant d’autres secours qu’embrasse une ignorance,
Si folle dans sa crainte, et dans son espérance.
De toutes nos erreurs quand le nombreux essaim
Dans l’Égypte produit, s’échappa de son sein,
L’amour d’un doux climat l’emporta dans la Grèce.
Un peuple qu’endormaient dans une longue ivresse
La musique, les vers, les danses, et les jeux,
D’Apelle, de Scopas, et d’Homère amoureux,

Consacrant aux beaux arts ses yeux et ses oreilles,
Du ciel et de la terre oublia les merveilles.
Leurs sages rarement en parurent frappés :
Et jamais les romains n’en furent occupés.
Tout plein de son héros, au lieu de la nature
Lucrèce leur chanta les rêves d’Epicure.
Ambitieux de vaincre, et non de discourir,
L’art des enfants de Mars, fut l’art de conquérir.
L’étude a peu d’attraits pour les maîtres du monde.
Le soleil, disaient-ils, va se coucher dans l’onde,
La voûte dont le cercle a pour base la mer,
Sous son dôme brillant couvre la terre et l’air,
Et le vieux océan, père de la nature,
Etend autour de nous son humide ceinture.
Tels étaient leurs progrès, lorsque du vrai savoir
La fureur des combats éteignit tout espoir.
Faible par sa grandeur, ce n’était qu’avec peine
Que sur la terre encor Rome étendait sa chaîne.
D’esclaves trop nombreux son empire accablé,
Malgré son double appui, se sentit ébranlé ;
Et lorsque par les mains du conquérant Hérule
Le trône des Césars tomba sous Augustule,
Sa chute fit trembler celui des Constantins.
Le fameux imposteur suivi des Sarrasins,
Jeta les fondements d’un pouvoir formidable,
Que sous un autre nom rendit plus redoutable
Le peuple que l’Euxin vomit de ses marais,
Du jour que le second de ses fiers Mahomets,
La gloire du croissant, et la terreur du monde,
Eut enfin foudroyé Byzance et Trébisonde.

Que nos plus beaux palais de cendres soient couverts ;
Mais pourquoi tant d’écrits à nos regrets si chers,
Sont-ils brûlés comme eux, vainqueur impitoyable ?
L’ignorance à tes vœux sans doute est favorable.
Que crains-tu ? Son empire est partout affermi,
Depuis que du bon sens un savoir ennemi,
Trouvant l’art d’obscurcir le maître des ténèbres,
Forme dans ses écrits tous ces docteurs célèbres,
Qui le dilemme en main prétendent de l’abstrait
Catégoriquement diviser le concret.
Quand viendra ton vengeur, ô raison, qu’on outrage !
De tant de mots pompeux le superbe étalage
Trouvait de tous côtés d’ardents admirateurs,
Et la nature entière était sans spectateurs.
L’intérêt cependant va nous rapprocher d’elle.
Un genois nous apprend, quelle étrange nouvelle !
Qu’au delà de ce monde il est un monde encor,
Monde dont l’habitant abandonne tout l’or.
Nous volons. Quel que soit l’objet qui nous anime,
Comment de tant de mers franchissons-nous l’abîme ?
Si longtemps sur sa feuille attaché dans un coin,
Par quel effort l’insecte a-t’il rampé si loin ?
Un aimant (le hasard dans l’air le fit suspendre)
En regardant le pôle, aux yeux qu’il dut surprendre
Révéla cet amour qu’on ne soupçonnait pas :
Amour heureux pour nous, et fatal aux incas.

Nos flottantes forêts couvrent le sein de l’onde.
La boussole nous rend les citoyens du monde.
Des deux Indes pour nous elle ouvre tous les ports ;
et nous en rapportons par elle les trésors.
Tant d’objets différens, tant de fruits, tant de plantes,
Que de l’esprit humain les conquêtes sont lentes !
Donnent enfin naissance aux désirs curieux,
Et la terre ramène à l’étude des cieux.
Faibles amas du sable, ouvrage de la cendre,
Deux verres, le hasard vient encor nousl’apprendre,
L’un de l’autre distants, l’un à l’autre opposés,
Qu’aux deux bouts d’un tuyau des enfants ont placés,
Font crier en Zélande ! ô surprise ! ô merveille !
Et le Toscan fameux à ce bruit se réveille.
De Ptolémée alors, armé de meilleurs yeux
Il brise les cristaux, les cercles, et les cieux.
Tout change : par l’arrêt du hardi Galilée
La terre loin du centre est enfin exilée.
Dans un brillant repos, le soleil à son tour,
Centre de l’univers, roi tranquille du jour,
Va voir tourner le ciel, et la terre elle-même.
Le peuple épouvanté croit entendre un blasphème :
Et six ans de prison forcent au repentir,
D’un système effrayant l’infortuné martyr.
La terre cependant à sa marche fidèle,
Emporte Galilée, et son juge avec elle.
D’un monde encor nouveau que d’habitants obscurs,
Vous tirez du néant, illustres Réaumurs !
Pourquoi sans spectateur tout un peuple en silence
Veut-il nous dérober tant de magnificence ?

Sans un verre nos yeux ne le connaîtraient pas.
Celui qui fit ces yeux pour veiller sur nos pas
Ne nous en donne point pour voir tous ses ouvrages :
Et lorsque nous voulons percer jusqu’aux nuages
Où s’enferme ce dieu, de ses secrets jaloux,
Pour regarder si haut, quels yeux espérons-nous ?
Vers de terre, à la terre arrêtez votre vue.
A peine sa beauté jusqu’alors inconnue
A plus d’une merveille eut su nous attacher,
Que l’on vit en tous lieux, du soin de les chercher
Naître l’heureux dégoût des questions si folles,
Dont, monarque absolu des bruyantes écoles,
Le héros de Stagyre allumait la fureur.
Du vide la nature avait encor horreur.
Rassurons-nous pourtant. Le jour commence à naître :
nous allons tous penser, Descartes va paraître.
Il vit toujours caché : mais ses brillants travaux
Forment ses sectateurs, ainsi que ses rivaux.
Ils tiennent tous de lui, leurs armes et leur gloire,
Et même ses vainqueurs lui doivent leur victoire.
Nous pouvons aujourd’hui porter plus loin nos pas,
Nous courons ; mais sans lui nous ne marcherions pas.
Si la France n’eût point produit cette lumière,
Londres de son Newton ne serait pas si fière.
Par eux l’esprit humain, qu’ils honorent tous deux,
Instruit de sa grandeur la reconnaît en eux.
Mais sitôt que trop loin l’un ou l’autre s’avance,
L’esprit humain par eux apprend son impuissance.
Descartes le premier me conduit au conseil,
Où du monde naissant Dieu règle l’appareil.

Là d’un cubique amas, berceau de la nature,
Sortent trois éléments de diverse figure :
Là ces angles qu’entre eux brise leur frottement,
Quand Dieu, qui dans le plein met tout en mouvement,
Pour la première fois fait tourner la matière,
Se changent en subtile et brillante poussière.
Newton ne la voit pas ; mais il voit, ou croit voir
Dans un vide étendu tous les corps se mouvoir.
Exerçant l’un sur l’autre un mutuel empire,
Par les mêmes liens l’un et l’autre s’attire,
Tandis qu’au même instant et par les mêmes lois
Vers un centre commun tous pèsent à la fois.
Qui peut entre ces corps de grandeur inégale
Décrire les combats de la force centrale ?
L’algèbre avec honneur débrouillant ce chaos,
De ses hardis calculs hérisse son héros.
Vous que de l’univers l’architecte suprême
Eût pu charger du soin de l’éclairer lui-même :
Des travaux qu’avec vous je ne puis partager,
Si j’ose vous distraire, et vous interroger,
Dites-moi quel attrait à la terre rappelle
Ce corps que dans les airs je lance si loin d’elle ;
La pesanteur… déjà ce mot vous trouble tous.
Expliquez-moi du moins ce qui se passe en vous.
Au sortir d’un repas, dans votre sein paisible,
Quel ordre renouvelle un combat invisible ?
Et quel heureux vainqueur a pu si promptement
Chercher, saisir, dompter, broyer cet aliment,
Qui bientôt liqueur douce ira de veine en veine
Se confondre en son cours dans le sang qui l’entraîne ?

Dans un autre combat, non moins cher à nos vœux,
Comment peut une écorce, espoir d’un malheureux,
Attaquer, conquérir, enchaîner l’ennemie,
Qui tantôt en fureur, et tantôt endormie,
A fait trêve avec nous le jour de son sommeil ?
Mais au jour de colère exacte à son réveil
Elle rallume un feu qui dans nos yeux pétille.
Tous nos esprits subtils, vagabonde famille,
S’égarent dans leur course : en désordre comme eux
L’âme même s’oublie, et dans ce trouble affreux,
La mort prête à frapper, déjà lève sa foudre.
Que d’alarmes, quels maux appaise un peu de poudre !
De systèmes savants épargnez-vous les frais,
Et ces brillants discours qui n’éclairent jamais.
Avouez-nous plutôt votre ignorance extrême.
Hélas ! Tout est mystère en vous-même, à vous-même.
Et nous voulons encor qu’à d’indignes sujets
Le souverain du monde explique ses projets,
Quand ce corps, de notre âme esclave méprisable,
Lui cache ses secrets d’un voile impénétrable !
De la religion si j’éteins le flambeau,
Je me creuse à moi-même un abîme nouveau.
Déiste, que pour toi la nuit devient obscure,
Et de quel voile encor tu couvres la nature !
A tes yeux comme aux miens peut-elle rappeler
Celui qui pour un temps ne veut que m’exiler ?
Si la terre n’est point un séjour de vengeance,
Peux-tu dans cet ouvrage admirer sa puissance ?
La peste la ravage, et d’affreux tremblements
Précédent la fureur de ses embrasements ;

Le froid la fait languir, la chaleur la dévore,
Et pour comble de maux son roi la déshonore.
L’être pensant, qui doit tout ordonner, tout voir,
Dans ses tristes états aveugle, et sans pouvoir,
Jouet infortuné de passions cruelles,
Est un roi qui commande à des sujets rebelles,
Et le jour de sa paix est le jour de sa mort.
Son état, tu le sais, attend le même sort :
Tout périra, le feu réduira tout en cendre.
Tu le sais dès longtemps : mais sauras-tu m’apprendre
Par quel caprice un Dieu détruit ce qu’il a fait ?
Que n’avait-il du moins rendu le tout parfait ?
S’il ne l’a pu ce Dieu ; qu’a-t-il donc d’admirable ?
S’il ne l’a pas voulu, te semble-t-il aimable ?
Tu t’efforces en vain, toi qui prétends tout voir,
D’arracher le rideau qui fait ton désespoir.
Pour moi j’attends qu’un jour Dieu lui-même l’enlève :
Il suffit qu’un instant la foi me le soulève.
J’en vois assez, et vais t’apprendre sa leçon,
Qui console à la fois le cœur et la raison.
Oui, le tout doit répondre à la gloire du maître :
L’univers est son temple, et l’homme en est le prêtre.
Le temple inanimé, sans le prêtre est muet.
Cet immense univers, de la main qui l’a fait
Doit par la voix de l’homme adorer la puissance,
Et rendre le tribut de la reconnaissance.
Ce tribut dura peu : l’ordre fut renversé,
Quand par le prêtre ingrat, le Dieu fut offensé.
La nature perdit toute son harmonie ;
Avec le criminel la terre fut punie,

De l’homme, et de ses fils le déplorable sort
Fut la pente au péché, l’ignorance et la mort.
Mais ces fils n’étaient pas ; une race future…
Lorsque le créateur frappe sa créature,
Est-ce à notre justice à mesurer les coups ?
Et ce qu’un Dieu se doit, mortels, le savez-vous ?
La terre ne fut plus un jardin de délices.
Ministre cependant de nos derniers supplices,
Et maintenant si prompte à les exécuter,
La mort, sous un ciel pur, semblait nous respecter.
Hélas ! Cette lenteur à prendre ses victimes
Ne fit que redoubler notre ardeur pour les crimes.
Une seconde fois frappant notre séjour
Le ciel défigura l’objet de notre amour.
La terre par ce coup jusqu’au centre ébranlée,
Hideuse quelquefois, et toujours désolée,
Vit sur son sein flétri les cavernes s’ouvrir,
Des montagnes de sable en cent lieux la couvrir,
Et s’élever sur elle en ténébreux nuages,
De funestes vapeurs, mères de tant d’orages.
Les saisons en désordres et les vents en courroux
fournissent à la mort des armes contre nous ;
Et toute la nature, en ce temps de souffrance,
Captive, gémissante, attend sa délivrance ;
Au criminel soumise, obéit à regret,
Se cache à nos regards, et soupire en secret.
Oui tout nous est voilé, jusqu’au moment terrible,
Moment inévitable, où Dieu rendu visible,
Précipitant du ciel tous les astres éteints,
Remplacera le jour, et sera pour ses saints

Cette unique clarté si longtemps attendue.
Pour eux-mêmes sévère, ici bas à leur vue
Il se montre, il se cache ; et par l’obscurité
Conduit ceux qu’autrefois perdit la vanité.
De quoi se plaindre ? Il peut nous ravir sa lumière :
Par grâce il ne veut pas la couvrir toute entière.
Qui la cherche, est bientôt pénétré de ses traits ;
Qui ne la cherche pas, ne la trouve jamais.
Ainsi de nos malheurs j’explique le mystère.
Dans un Maître irrité j’admire un tendre Père :
Et je ne vois partout que rigueurs et bontés,
Châtiments et bienfaits, ténèbres et clartés.
Si ma religion n’est qu’erreur et que fable,
Elle me tend, hélas ! Un piège inévitable.
Quel ordre ! Quel éclat ! Et quel enchaînement !
L’unité du dessein fait mon étonnement.
Combien d’obscurités tout à coup éclaircies !
Historiens, martyrs, figures, prophéties,
Dogmes, raisonnement, écrits, tradition,
Tout s’accorde, se suit ; et la séduction
A la vérité même en tout point est semblable.
Déistes, dites-nous quel génie admirable
Nous sait de toutes parts si bien envelopper,
Que vous devez rougir vous-mêmes d’échapper.
Quand votre Dieu pour vous n’aurait qu’indifférence,
Pourrait-il, oubliant sa gloire qu’on offense,
Permettre à cette erreur, qu’il semble autoriser,
D’abuser de son nom pour nous tyranniser ?
Par quel crédit encor, si loin de sa naissance
Ce mensonge en tous lieux a-t-il tant de puissance ?

De l’Islande à Java, du Mexique au Japon,
Du hideux Hottentot jusqu’au transi Lapon,
Nos prêtres de leur zèle ont allumé les flammes ;
Ils ont couru partout pour conquérir des âmes ;
Des esclaves partout ont chéri leurs vainqueurs :
Que leur fable est heureuse à soumettre les cœurs !
Si des rives du Gange aux rives de la Seine,
Entraînés par l’ardeur qui vers eux nous entraîne,
D’éloquents talapoins, munis d’un long sermon,
Accouraient nous prêcher leur sommonokodon,
Ou que, prédicateurs au bon sens moins contraires,
L’alcoran dans leurs mains, des derviches austères,
De par le grand prophète en termes foudroyants
Vinssent nous proposer d’être de vrais croyants ;
Quelle moisson de cœurs feraient de tels apôtres ?
Leurs peuples cependant ont tous reçu les nôtres.
Un Dieu né dans le sein de la virginité,
Un Dieu pauvre, souffrant, mort, et ressuscité,
Ne commande par eux que pleurs, et pénitence.
Est-ce de leurs discours la brillante éloquence,
Qui peut à sa pagode arracher un chinois ?
Quel champ pour l’orateur que la crèche et la croix ?
Le Dieu qui l’a prédit opère ce miracle.
Tout peuple, toute terre entendra son oracle.
Sa loi sainte sera publiée en tous lieux :
Je me soumets sans peine à ce joug glorieux.
Quoique captive enfin la raison qui m’éclaire
N’y voit point de lumière à la sienne contraire.
Mais son flambeau s’unit au flambeau de la foi,
Et toutes deux ne font qu’une clarté pour moi.

Le verbe s’est fait chair ; je l’adore, et m’écrie :
Trois fois saint est celui qui m’a rendu la vie.
De l’horreur du néant à ton ordre tout sort :
En toi seul est la vie, et sans toi tout est mort,
Ô sagesse, ô pouvoir dont le monde est l’ouvrage,
Du Très-Haut, ton égal, la parole et l’image.
Quand sous nos traits caché, tu parus ici bas,
Les ténèbres, grand Dieu ne te comprirent pas.
Aujourd’hui que ta gloire éclate à notre vue ;
Que ta religion est partout répandue ;
De superbes esprits, ivres d’un faux savoir,
Quand tu brilles sur eux, refusent de te voir.
Leur déplorable sort ne doit point nous surprendre,
Les ténèbres jamais ne pourront te comprendre.
L’aveugle environné de l’astre qui nous luit,
Couvert de ses rayons est toujours dans la nuit.
En vain ces insensés parlent d’un premier être :
Sans toi, verbe éternel, peuvent-ils le connaître ?
Ouvre leur cœur, mes vers ne le pourront ouvrir,
Change les. Mais pour eux quand je veux t’attendrir,
Moi-même ai-je oublié que ton arrêt condamne
Le pécheur insolent, dont la bouche profane
Aux hommes sans ton ordre ose annoncer ta loi ?
Et dois-je t’implorer pour d’autres que pour moi ?
L’impiété s’armait d’une fureur nouvelle :
L’arche sainte en péril m’a fait trembler pour elle,
Et j’ai cru que ma main la pourrait soutenir :
Oui j’ai couru. Tu vas peut-être m’en punir ;
Et mon zèle peut-être irrite ta colère,
Quand je crains pour ta gloire et celle de ton Père.
Ô

crainte, que la foi doit chasser de mon cœur !
Tu n’as point parmi nous besoin d’un défenseur.
Du prince des enfers que la rage frémisse ;
Qu’il ébranle, s’il peut, ton auguste édifice :
Quand mes yeux le verraient tout prêt à succomber,
L’arche du Dieu vivant ne peut jamais tomber.