La Reine Coax (RDDM)


LA REINE COAX

CONTE FANTASTIQUE.


à Mlle aurore sand.

Puisqu’à présent tu sais lire, ma chérie, je t’écris les contes que je te disais pour t’instruire un tout petit peu en t’amusant le plus possible. Tu apprends ainsi des mots, des choses qui sont nouvelles pour toi. Je me décide à publier un de ces contes pour que d’autres enfans puissent en profiter aussi : leurs parens ne m’en saurons point mauvais gré.

Ta grand’mère


Il y avait dans un grand vieux château en Normandie ou en Picardie, je ne me souviens pas bien, une grande vieille daine qui possédait beaucoup de terres, qui était très bonne et très sensée maigre son grand âge. Autour du château, il y avait de grandes douves ou fossés remplis de joncs, de nénufars, de souchets et et mille autres plantes fort belles qui venaient toutes seules, et où vivaient une quantité de grenouilles, quelques-unes si vieilles et si grosses qu’on s’étonnait de leur belle taille et de leur voix forte. La châtelaine, qui s’appelait dame Yolande, était si habituée à leur tapage qu’elle n’en dormait pas moins bien, et personne autour d’elle n’en était incommodé.

Mais il arriva une grande sécheresse. L’eau manqua dans les fossés, les roseaux et les autres plantes périrent ; beaucoup de grenouilles, de salamandres, de lézards d’eau et autres petites bêtes qui vivaient dans ces herbes moururent et furent cause que la boue fut comme empoisonnée, répandit une vilaine odeur de marécage, et fit venir la fièvre dans le château et dans les environs. Cette Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/590 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/591 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/592 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/593 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/594 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/595 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/596 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/597 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/598 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/599 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/600 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/601 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/602 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/603 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/604 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/605 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/606 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/607 Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/608

En ce moment, un fort coup de vent fit entrer dans la chambre des feuilles sèches et des brins de paille. Marguerite alla fermer la fenêtre, et elle vit sur le bord une feuille de papier à moitié écrite et déchirée comme si ce fût un brouillon de lettre. En ramassant ce papier pour le jeter dehors, elle y vit son nom écrit et l’apporta à sa grand’mère. Mme Yolande le prit, l’examina et le lui rendit en disant : — C’est un commencement de lettre de ton cousin à sa mère. Cela a été enlevé par le vent dans la chambre qu’il occupait au-dessus de la mienne, et, puisque nous sommes en train de croire aux esprits, je pense que nous devons remercier le follet qui nous apporte cette révélation. Lis, ma fille, je te le permets.

Et Marguerite lut ce qui suit :

« Ma chère mère, pardonnez-moi mes folies, je suis en train de les expier. Je me résigne à faire un riche mariage, car j’ai découvert que la petite Margot doit hériter de tous les biens de la vieille tante. La fillette est affreuse, une vraie grenouille, ou plutôt un petit crapaud vert, avec cela très coquette et déjà folle de moi ; mais quand on est endetté comme nous le sommes... »

Le brouillon n’en contenait pas davantage, Marguerite trouva que c’était assez ; elle garda le silence, et, comme elle vit que sa grand’mère était indignée et traitait son petit-neveu suivant ses mérites : — N’ayons point de dépit, ma chère maman, lui dit-elle, et rions de l’aventure. Je ne suis point du tout folle de mon cousin, et vous voyez que sa fatuité ne m’offense point. Vous m’aviez dit hier soir de réfléchir. Je ne sais pas si j’ai réfléchi ou dormi, mais dans mes songeries j’ai vu des choses qui sont restées comme une leçon devant mes yeux.

— Qu’as-tu donc vu, ma fille ?

— J’ai vu une grenouille se parer d’émeraudes, jouer de l’éventail, danser la sarabande, se trouver belle et crever à la peine. Elle m’a paru si ridicule que je ris encore en y songeant. Je ne veux point faire comme elle. J’ai vu aussi un beau cygne s’envoler dans un rayon de soleil, et il me disait : — N’épouse que celui qui t’aimera telle que tu es. — Je veux faire comme il m’a dit.

— Et sois sûre que tu seras aimée pour toi-même, répondit Mme Yolande en l’embrassant avec tendresse, car il y a une chose qui arrive à rendre belle, c’est le bonheur que l’on mérite.

George Sand.