La Radiologie et la guerre/Conclusions

Félix Alcan (p. 140-143).

CONCLUSION

L’histoire de la radiologie de guerre offre un exemple saisissant de l’ampleur insoupçonnée que peut prendre, dans certaines conditions, l’application des découvertes d’ordre purement scientifique.

Les rayons X dont les merveilleuses propriétés ont été, presque aussitôt après leur découverte, appliquées à l’examen du corps humain et à la thérapie, n’ont eu, néanmoins, dans cette voie, qu’une utilisation limitée jusqu’à l’époque de la guerre. La grande catastrophe qui s’est déchaînée sur l’humanité, accumulant des victimes en nombre effrayant, a fait surgir par réaction le désir ardent de sauver tout ce qui pouvait être sauvé, d’exploiter à fond tous les moyens pour épargner et protéger les vies humaines. Et aussitôt nous voyons naître de tous les côtés un effort multiple et varié dont une partie prend pour objet de faire rendre à l’emploi de rayons X tous les services à prévoir. Dès lors, ce qui avait paru difficile et problématique, devient aisé et reçoit une solution immédiate ; le matériel, le personnel se multiplient comme par enchantement ; tous ceux qui ne comprenaient pas, cèdent et acceptent, ceux qui ne savaient pas apprennent, ceux qui étaient indifférents, se dévouent. Et un peu d’années se trouve constitué un système réglementaire, où les médecins et les chirurgiens conçoivent aussi peu la possibilité de négliger l’emploi de rayons X, qu’ils en concevaient peu auparavant l’utilisation générale. Dès lors, il devient impossible de limiter au temps de guerre les conceptions qui ont prévalu d’une manière aussi définitive. Le droit à l’examen radiologique, ou au traitement par les rayons X, est, dorénavant, pour tout malade, un droit général et incontesté, — et l’on voit prendre naissance une organisation d’après guerre, destinée à rendre ce droit effectif et opérant. Ainsi la découverte scientifique aura achevé la conquête de son champ d’action naturel, et aura acquis les moyens d’utilisation à plein rendement.

Une évolution analogue aura été accomplie par la radiumthérapie ou application médicale des radiations émises par les radio-éléments. Traitement exceptionnel encore jusqu’à présent, elle est l’objet d’un effort qui tend à la mettre à la portée de tous ceux qui peuvent mettre en elle leur espoir. Les souffrances et les pertes cruelles ont fait sentir plus profondément la valeur de la vie humaine. Les ravages exercés par le cancer appellent une organisation de lutte méthodique et efficace. Il n’est plus possible de reculer la réalisation qui s’impose. Et ainsi nous voyons se liguer vers un but commun des concours convergents : l’Université de Paris et l’Institut Pasteur encouragent et appuient l’œuvre commencée par l’Institut du Radium ; de généreux donateurs apportent leur concours ; la ville de Paris et le gouvernement ne peuvent s’en désintéresser. Dans peu de temps, l’effort général aura porté les premiers fruits, la radiumthérapie aura en France une première organisation, et ainsi aura été atteint le grand résultat humanitaire qui est un des aboutissements de la découverte scientifique du Radium.

Que pouvons-nous conclure de cette fortune inespérée échue en partage aux nouvelles radiations que la science nous a révélées à la fin du XIXe siècle ? Il semble que nul spectacle n’est plus propre à rendre plus vive notre confiance dans la recherche scientifique désintéressée et à augmenter le culte et l’admiration qu’il convient de lui vouer. Telle nouvelle source de lumière, fruit des patients efforts du savant dans son laboratoire, répandra un jour son éclat sur l’humanité, lui apportant la consolation et l’allègement des souffrances, — telle autre contribuera à faciliter la vie et l’effort pacifique vers plus de bien-être physique, moral et intellectuel. Les répercussions de la pensée féconde sont illimitées. Son champ d’action dépasse tout horizon connu. Toute collectivité civilisée a le devoir impérieux de veiller sur le domaine de la science pure où s’élaborent les idées et les découvertes, d’en protéger et encourager les ouvriers et de leur apporter les concours nécessaires. C’est à ce prix seulement qu’une nation peut grandir et poursuivre une évolution harmonieuse vers un idéal lointain.

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