Félix Alcan (p. 16-25).

II

COMMENT ON PEUT PRODUIRE LES RAYONS X

Nous avons vu dans le chapitre précédent que pour produire les rayons X, il faut faire passer un courant électrique dans un tube tel que celui de la figure 1, et qu’il est nécessaire de disposer pour cela d’une tension ou différence de potentiel élevée. Celle-ci n’est généralement pas fournie par les distributions d’électricité dans les villes. Il convient donc de transformer le courant de basse tension distribué par l’usine d’électricité en courant de haute tension capable d’alimenter l’ampoule.

Cette transformation de courant est obtenue à l’aide d’appareils établis dans ce but par l’industrie électrique. Tous ces appareils utilisent le phénomène de l’induction électrique, mais ne l’utilisent pas tous de la même manière. Tous possèdent cependant comme partie essentielle deux circuits électriques, dont l’un contient une spirale de gros fil, l’autre une spirale de fil très fin enroulée autour de la précédente sans communiquer avec elle. Si dans le premier circuit, nommé primaire, on envoie un courant, dont l’intensité varie périodiquement, — soit le courant alternatif industriel, soit le courant continu régulièrement interrompu par un dispositif spécial nommé interrupteur, — il se produit dans le deuxième circuit nommé secondaire des courants induits de haute tension circulant alternativement, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Ce sont ces courants induits qu’on peut employer pour actionner les ampoules.

Bien que les appareils de transformation de courant soient tous basés sur le même principe, ils sont néanmoins de types multiples et leur puissance peut varier dans de larges limites. Je ne décrirai ici, à titre d’exemple, qu’un type d’appareil très couramment employé pendant la guerre, de puissance modérée mais suffisante pour les besoins de la radiologie de guerre.

Le transformateur de courant T (fig. 2) se compose d’un noyau de fer doux autour duquel sont disposés deux enroulements (ou bobines), l’un à gros fil pour le primaire (T1), l’autre à fil fin pour le secondaire (T2) ; l’enroulement secondaire entoure l’enroulement primaire mais en est entièrement séparé par un isolant. Un courant interrompu à intervalles réguliers traverse le primaire, et le secondaire est le
Fig. 2.
siège de courants induits de haute tension produits à chaque interruption du primaire.

Le circuit primaire est alimenté par une source d’électricité convenable, par exemple par une distribution à 110 volts de courant continu ou par un groupe électrogène pouvant remplacer cette distribution. Branché aux pôles de la source (ou secteur), le circuit comprend l’enroulement primaire T1 du transformateur,

T1 Bobine du primaire. A Ampèremètre.
T2x Bobine du secondaire. X Ampoule à rayons X.
I Interrupteur. S Soupape.
R Rhéostat du primaire. Sp Sp. intermètre.
C Coupe-circuit du primaire.xxx MAx Milliampèremètre.
un rhéostat R qui règle l’intensité du courant, un ampèremètre A qui mesure cette intensité, un coupe-circuit C et enfin une pièce essentielle : l’interrupteur I. Le modèle d’interrupteur le plus employé est la turbine à mercure[1].

Le circuit secondaire comprend l’enroulement secondaire T2 du transformateur, l’ampoule productrice de rayons X, une soupape S et un milliampèremètre MA ; ce dernier mesure le courant utile. La soupape est destinée à absorber parmi les courants de haute tension produits dans le transformateur ceux dont le sens ne convient pas au fonctionnement de l’ampoule, et qu’on nomme courants inverses. Quand le courant inverse passe, le fonctionnement est défectueux et l’ampoule se détériore. La soupape est un tube de Crookes à électrodes très dissymétriques, dont l’une est une tige étroitement emboîtée dans une tubulure de verre, tandis que l’autre est une spirale placée dans la partie centrale du tube ; celui-ci porte le nom de soupape, car il laisse passer le courant très facilement de la tige vers la spirale, et très difficilement en sens inverse, à condition que la faible pression d’air à l’intérieur soit convenablement réglée [2].

Il ne suffit pas de disposer d’une intensité de rayons convenables, il faut aussi que ces rayons aient un pouvoir pénétrant adapté ; on dit alors que l’ampoule a une « dureté » convenable. Il est donc nécessaire d’avoir un dispositif qui indique la dureté de l’ampoule, ainsi qu’un moyen de faire un réglage pour obtenir la dureté désirée. Pour se rendre compte de la dureté, on établit aux bornes de l’ampoule une dérivation nommée spintermètre (fig. 2) Sp, comprenant une tige mobile en face d’une pointe. Le courant secondaire peut, soit passer dans l’ampoule, soit franchir sous forme d’étincelle l’intervalle du spintermètre. Quand les deux passages offrent la même facilité, la dureté de l’ampoule, est mesurée par cette étincelle dite équivalente. L’ampoule est d’autant plus dure que l’étincelle équivalente est plus longue, c’est-à-dire que la tension d’alimentation est plus élevée.

Or c’est cette tension qui détermine le pouvoir pénétrant des rayons ; une pénétration moyenne correspond à une étincelle équivalente (mesurée avec un spintermètre à pointes mousses) d’environ 10 centimètres de longueur, et à une tension d’environ 50.000 volts. Les rayons X obtenus dans ces conditions ont un pouvoir pénétrant favorable à la radioscopie et à la radiographie. Avec des tensions plus élevées, on obtient des rayons X très durs qui trouvent leur application dans la radiothérapie. Avec des tensions moins élevées, on obtient des rayons X mous qui traversent difficilement le corps humain [3].

La dureté ou résistance d’une ampoule dépend de la quantité d’air qui y est contenue. Au cours du fonctionnement il arrive que l’air résiduel s’absorbe dans les parois de verre et ceci a pour effet de faire durcir le tube. Pour remédier à cet inconvénient on dispose de régulateurs de divers modèles qui permettent d’introduire de petites quantités de gaz dans l’ampoule. Les soupapes ont besoin d’un réglage analogue ; quand elles contiennent trop ou trop peu de gaz, l’effet protecteur qu’on leur demande n’est pas obtenu. Ce réglage des tubes est très délicat et demande un opérateur habile et exercé [4]. On a représenté dans la figure 5 un régulateur de type courant adapté à une ampoule.

Si les tubes ont besoin d’un réglage particulièrement soigné, l’appareillage au total exige aussi un entretien constant qui consiste en un nettoyage des pièces et des contacts ; c’est seulement à condition d’observer ces soins que l’on peut obtenir un bon fonctionnement. Il ne faudrait cependant pas croire qu’un bon appareillage radiologique doive nécessairement être fragile ; desservi par un bon opérateur, il ne risque pas de se détériorer. La radiologie de guerre demande des appareils robustes, facilement transportables et pouvant être installés avec rapidité.

Un appareil correspondant au schéma de la figure 2 peut être établi en trois pièces principales : transformateur, tableau de commande et interrupteur, pesant respectivement environ 30, 20 et 25 kilos et pouvant se transporter aisément. Le transformateur et le tableau sont, à cet effet, placés dans des boîtes en bois, de forme adaptée, munies d’anses pour le transport et disposées de manière à remplir un rôle utile dans l’installation. Ces appareils peuvent être facilement placés dans une voiture ou expédiés par chemin de fer. Dans le premier cas, il suffit de les immobiliser avec des attaches. Dans le second cas, il convient en général, de les emballer. Pourtant, il m’est arrivé, à plusieurs reprises, de les faire voyager d’urgence, sans emballage, dans un train, en les installant, avec l’aide des employés, dans la voiture à bagages, avec quelques précautions faciles à réaliser et suffisantes pour éviter les accidents.

En dehors de ces pièces fondamentales, l’appareillage complet comprend les tubes et les accessoires indispensables. Parmi ces derniers, il faut citer, en premier lieu, le pied porte-ampoule qui sert à porter le tube producteur de rayons X et à lui donner toutes les positions requises par le service qu’il doit remplir. La mobilité du tube est une condition indispensable de travail utile.

Le blessé soumis à l’examen est, le plus souvent, couché sur une table. Celle-ci est quelquefois une table spéciale, munie d’un support porte-ampoule. Mais quand on dispose d’un pied porte-ampoule convenable, on peut, au besoin, se contenter d’une simple table en bois, à condition que le plateau soit perméable aux rayons et sans défauts ; pour faire une radioscopie on place, en effet, l’ampoule sous la table et on observe sur un écran placé au-dessus du corps l’image obtenue avec des rayons qui traversent la table et le corps. Il est donc nécessaire que le bois de la table soit transparent aux rayons, ce qui est le cas des bois de faible densité sous épaisseur modérée, — et que ce bois ne contienne pas de défauts tels que des nœuds ou des fissures qui ne manqueraient pas d’apparaître sur l’écran. Quelquefois, la table est simplement composée d’une planche reposant sur des tréteaux.

Un certain nombre d’accessoires de moindre encombrement achèvent de composer un appareillage complet. Leur choix est très important quand il s’agit d’une installation qui doit se suffire et qui est destinée à être transportée. On peut évaluer à 250 kilos le poids total d’un appareillage comprenant les appareils de production de haute tension, deux ou trois ampoules, deux soupapes, une table légère, un pied porte-ampoule, une petite provision de plaques et produits photographiques, un écran radioscopique, quelques châssis, des rideaux pour faire l’obscurité, quelques appareils de protection pour l’opérateur, quelques outils, du câble isolé et un certain nombre de petits objets dont l’utilité a été démontrée par l’usage. Le tout peut prendre place dans une voiture d’assez petites dimensions ; des voitures de place ont même pu être utilisés avec succès pour le service d’installations transportables.

  1. Cet interrupteur comprend comme pièce essentielle, une toupie percée de canaux obliques et animée d’une rotation rapide autour de son axe. Cette toupie plonge dans un bain de mercure contenu dans une cuve ; en tournant, elle aspire le mercure par les canaux et le projette ensuite au travers de petits orifices placés à sa partie supérieure sous forme de filet mince qui vient frapper une palette ou dent isolée du vase à mercure. Quand le filet rencontre la palette, le courant s’établit dans le circuit primaire, quand il ne la rencontre plus, la toupie ayant tourné, le courant est interrompu. On a coutume d’adjoindre à l’interrupteur un condensateur dont les deux armatures sont réunies respectivement aux bornes de l’interrupteur, et qui est destiné à rendre l’interruption plus brusque en absorbant l’étincelle qui se produit à la rupture. L’interruption du courant ne doit pas avoir lieu dans l’air, mais dans un milieu réducteur comme le gaz d’éclairage, dont on remplit la cuve étanche de l’interrupteur.
  2. L’emploi de soupapes n’est pas nécessaire, si, au moyen d’un dispositif convenable, on obtient le redressement des courants dits inverses ; ceux-ci peuvent alors servir à alimenter l’ampoule. Il existe des types d’appareils qui fonctionnent sans interrupteur ; le courant alternatif de haute tension fourni par un transformateur est redressé à l’aide d’un commutateur et envoyé dans l’ampoule. 
  3. On emploie couramment, pour reconnaître la dureté des rayons, un petit appareil très simple nommé radiochromomètre Benoît. Le principe de l’appareil consiste à comparer la transparence aux rayons X d’une mince lame d’argent à la transparence d’une série de secteurs d’aluminium d’épaisseurs graduées. Pour se servir du radiochromomètre on peut examiner l’ombre qu’il porte sur un écran radioscopique ou bien reproduire son image en radiographie comme sur la planche 3. L’aspect de l’image permet d’apprécier la dureté des rayons employés.
  4. Il existe un modèle perfectionné d’ampoules basé sur un principe qui permet un réglage rapide et facile. Ce sont les tubes Coolidge dont la cathode est constituée par une spirale de tungstène chauffée à l’incandescence par un courant électrique. Ces tubes sont complètement vides d’air. Les rayons cathodiques y sont produits par la cathode incandescente et la « dureté », ou résistance du tube ne dépend ici que de la température de la cathode qui émet d’autant plus de rayons cathodiques qu’elle est plus fortement chauffée. Les tubes Coolidge sont employés dans des installations de grande puissance.